La bioéthique : une manière réflexive et critique d’habiter le monde
p. 137-140
Texte intégral
1Ce parcours réflexif s’est interrogé sur la manière pour la bioéthique d’apporter une contribution significative à une éthique pour le monde de demain, à partir de la présentation d’une expérience possible de la bioéthique, soumise aux regards de projets et de perspectives autres sur la bioéthique. La bioéthique a été envisagée dans ce parcours comme un triple lieu de créativité pour la médecine, la société et le monde.
La médecine
2Comme lieu de créativité pour la médecine, l’enjeu d’une réflexion bioéthique est de contribuer à l’orientation des pratiques biomédicales vers une authentique prise en compte du sujet souffrant dans la société contemporaine. Travailler dans une perspective d’éthique clinique à l’émergence d’un sens au travers des pratiques soignantes permet de situer de manière concrète la fonction de la médecine comme un espace de possibilité pour le déploiement de pratiques humaines chargées de sens : espace d’une médiation entre les individus et la société quant à l’hospitalité des sujets souffrants. Pour mieux comprendre l’apport d’une démarche qui se présente comme herméneutique et narrative dans cette conception médiatrice de la médecine, sans doute faudrait-il plus formaliser en quoi l’éthique clinique se situe à la jonction de plusieurs niveaux où s’organisent des espaces démocratiques de discussion au sein et à propos de la médecine : le niveau micro- du sujet, le niveau méso- de l’organisation hospitalière et le niveau macro- de la collectivité. Une telle formalisation permettrait de mieux mettre en rapport deux choses distinctes : l’interprétation de pratiques cliniques et de recherche contextualisées, d’une part, et la compréhension des mutations des représentations de la santé ainsi que le débat social sur les fonctions de la médecine, d’autre part. Plus globalement, c’est ainsi la question du lien entre sujet souffrant et institution de la santé qui s’en trouverait clarifiée.
La société
3Comme lieu de créativité pour la société, l’enjeu d’une réflexion bioéthique est de s’inscrire dans le phénomène de recomposition normative en cours dans les sociétés contemporaines, à partir d’une inscription dans le champ de la médecine et de la santé. Comment de ce point de vue contribuer à la délibération des acteurs concernant l’action à entreprendre et la mise en œuvre des moyens pour y arriver dans le cadre des questions sociales et politiques que met au jour le développement de la médecine ? L’expérience d’éthique clinique permet ici d’alimenter l’exigence critique indispensable aux débats de société concernant la biomédecine. Une telle expérience permet en effet de faire surgir une capacité de résistance des sujets contre les stratégies aliénantes à l’égard de l’autonomie des personnes soignantes et soignées et de renforcer ainsi une capacité critique à l’égard de l’extension du champ de la médicalisation de l’existence. Éthique clinique aussi comme lieu de résistance à la fragilisation des plus vulnérables, eu égard à l’effort toujours plus grand de rationalisation et d’organisation institutionnelles des pratiques techniques. Il s’agit donc de rendre l’interprétation des pratiques et la compréhension des mutations en cours plus effectives au sein de la réalité institutionnelle de l’hôpital et, plus globalement, dans le débat public. L’effort réflexif à mener ici concerne l’action collective et l’institutionnalisation des pratiques elle-même et leurs interactions. Comment créer d’abord des groupes, des connexions et ensuite, des réseaux ? Comment arriver à une transformation des pratiques qui articule progressivement les niveaux les uns aux autres de sorte que la normativité morale de l’expérience en éthique clinique interagisse avec la normativité politique des systèmes de soins qui, comme instance de solidarité avec les plus vulnérables des citoyens, contribuent à un mieux-vivre dans la cité ?
Le monde
4Comme lieu de créativité pour le monde, l’enjeu d’une réflexion bioéthique est de comprendre sa contribution à une éthique du développement humain à l’âge de la science et des progrès fulgurants des sciences biomédicales. En quoi les acquis d’une éthique plus centrée sur le soin alimentent-ils cette exigence d’une éthique globale de santé ? La question du « faire monde » se pose ici comme enjeu pratique concret : comment habiter l’ensemble du global qu’est devenu le monde ? Comment faire monter en généralité, du singulier à l’universel, la prise en considération des enjeux éthiques des pratiques ? Comment développer une démarche pertinente à propos des enjeux éthiques des pratiques biomédicales contemporaines, qui permette les apports des contextes locaux (clinique ou organisationnel) et ceux du global, comme dans une problématique telle que celle du développement de la recherche dans le domaine du SIDA ? Comment contribuer de ce point de vue à l’émergence d’une force démocratique mondiale ? On pourra, par exemple, se demander quelle forme d’institutionnalisation, qui ne soit pas qu’étatique, peut prendre l’action internationale en faveur des droits humains ?
5Nous sommes dès lors renvoyés comme équipe de recherche en bioéthique à notre responsabilité première : continuer à travailler à penser le monde qui nous entoure dans toute sa complexité, le monde de la santé et de la médecine mais, plus généralement, le monde contemporain. Là réside sans doute la créativité possible de notre action : à savoir penser le monde, à travers les mutations de la médecine, en tentant de se situer au plus proche de l’expérience qu’ont les acteurs concernés de ces mutations.
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Y-a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ?
Nouvelle édition revue et corrigée
Yves Jeanneret
2011