Peirce lecteur d’Aristote
p. 352-376
Texte intégral
1« J’ai lu et pensé sur Aristote plus que sur n’importe qui d’autre » affirmait C.S. Peirce (1839-1914)1, qui présentait le Stagirite comme étant « de loin le plus grand intellect que l’histoire humaine puisse présenter » (6.96) et comme l’un des ancêtres du pragmatisme (5.11, OPII, 21). Mais comment évaluer la lecture de celui dont l’objectif devient en 1898 celui, architectonique, de « construire une philosophie comme celle d’Aristote », en un mot, de « tracer les traits d’une théorie si compréhensive que, pour un long temps à venir, tout le travail de la raison humaine, en philosophie, quelle qu’en soit l’école ou l’espèce, en mathématiques, en psychologie, dans les sciences physiques, en histoire, en sociologie, et en quelque autre domaine du savoir que ce soit, apparaîtra comme le remplissage de ses détails » (1.1) ?
2Sans doute Peirce fait-il partie des philosophes du XIXe siècle pour qui l’influence d’Aristote n’est pas un vain mot. Mais aussi réelle soit-elle, celle-ci ne s’est pas faite uniformément : l’attention aux textes, l’évolution et le tour que prennent ses réflexions en logique, en sémiotique, en métaphysique, en éthique, en histoire des sciences ou en cosmologie conduisent Peirce à une lecture riche et complexe dont on se contentera dans ce qui suit d’indiquer les grands traits pour mieux apprécier les formes, à certains égards inattendues, sous lesquelles s’opère l’apport aristotélicien, aussi révélateur par ses reprises, rejets ou contresens, de la pensée peircienne que de la manière dont, au tournant du siècle, se retrouvent par delà l’Atlantique, des centres d’intérêt pour une part, spécifiques, mais pour une autre part aussi, communs au philosophe américain et aux lecteurs « européens » d’Aristote.
1. Un aristotélisme qui va de soi
3Quand, dans les années 90, Peirce dit vouloir emboîter le pas à Aristote, ce n’est pas qu’il découvre alors la marche à suivre, à savoir que « la première étape consiste à trouver ces concepts simples applicables à tous les sujets » (1.1) ; c’est plutôt que ceux-ci sont sans doute plus proches qu’il ne le pensait lui-même de ses propres catégories, dégagées dès 1867 dans « Sur une nouvelle liste de catégories » (W2, 49-59)2.
4Ces concepts simples « délibérément choisis » par « Le Prince des penseurs » (N1, 131), quels sont-ils ? « Matière et forme, acte et puissance », des concepts « très larges, et dans leurs grands traits, vagues et grossiers, mais solides, inébranlables, et pas faciles à saper » dira Peirce en 1898. Voilà qui explique qu’on entende l’aristotélisme « gazouiller dans toutes les nurseries », que « le “Sens Commun anglais” » soit « de part en part péripatéticien », ou encore que « le commun des mortels vive si complètement dans la maison du Stagirite que tout ce qu’il voit par la fenêtre lui semble incompréhensible et métaphysique » (1.1). Certes, depuis un certain temps déjà, en dépit de notre « attachement habituel » à celle-ci, la « vieille structure s’est révélée inadaptée aux besoins modernes » ; en conséquence de quoi, « sous les coups de Descartes, de Hobbes et de Kant, ont été effectués, durant les trois derniers siècles, réparations, changements, et démolitions partielles ». Sans doute aussi un autre système est-il depuis apparu, qui « tient sur ses propres bases » : le nouveau « château Schelling-Hegel, récemment et hâtivement fabriqué dans le goût allemand », mais précisément, il y a en celui-ci tant « d’omissions dans sa construction que, bien que flambant neuf, il se révèle déjà inhabitable » (1.1).
5En quelques phrases est ici résumé le parcours de Peirce : l’aristotélisme non questionné, parce qu’évident, des débuts, les tentations aussi, jusqu’à une certaine époque, pour les « nominalistes » modernes (et notamment Hobbes et Kant), puis pour les nouveaux châtelains (Schelling et Hegel), mais in fine aussi le retour, ressenti comme nécessaire, à un aristotélisme revisité par la lente maturation de sa réflexion personnelle sur les catégories et, aussi paradoxal que celui puisse paraître, par l’élaboration d’une cosmologie évolutionnaire.
6Un aristotélisme non questionné, celui de la nurserie, qui « tyrannise la pensée de boulangers et de bouchers qui n’ont jamais entendu parler de lui » (1.173), tel est en effet celui du jeune Peirce jusque vers 1870.
7– Non parce qu’il croit alors en la valeur des dits « concepts simples », mais parce qu’il est sûr que « c’est sur la table des catégories qu’est érigée la philosophie – pas seulement la métaphysique, mais la philosophie de la religion, de la morale, du droit, et de n’importe quelle science ». Former une table des catégories », écrit-il donc en 1866, « est le grand but de la logique » (W1, 351), comme l’ont perçu Aristote et Kant et « tous les métaphysiciens de premier plan » (2.121), pour qui « les concepts communs ne sont rien d’autre que des objectivations de formes logiques » (3.304). Partant, « il n’y a en cette recherche qu’une seule méthode possible : prendre notre logique pour métaphysique » (W1, 491 ; 2.121).
8– Mais en toute rigueur, dans la mise en œuvre de ce projet, les trois grands inspirateurs du Peirce des années 64-67 sont davantage G. Boole, Kant, et les médiévaux (Ockham et Duns Scot notamment) qu’Aristote3. Si Peirce s’engage immédiatement dans une déduction des catégories, celle-ci est plus conçue sur le modèle kantien que sur le modèle aristotélicien4. À la table des fonctions du jugement de Kant, dont il est alors le « fervent dévôt » (4.2), Peirce croit plus implicitement que « si elles étaient descendues du Sinaï » (1.560). Ce dont il faut simplement débarrasser Kant, c’est des effets pervers (entendons : psychologistes5) de la table des jugements, et pour ce faire, s’aider du modèle médiéval. Peirce a vite compris que les médiévaux lui donnaient les moyens théoriques de réaliser cette sémantisation générale de la pensée qu’il avait en vue. Chez eux, il retrouvait « cette habitude de penser sous la forme de signes » qu’il devait prendre pour définition du pragmatisme, « cette philosophie qui devrait considérer le fait de penser comme une manipulation de signes pour envisager les questions » (NEM. III, I, p. 191). Car pour un scolastique, affirmer que la pensée est un signe, c’est juste rappeler que la pensée « est de la même nature générale », qu’elle soit sur le papier, dans la voix ou dans l’esprit, à savoir « un signe » (W2, 474). La logique s’élargit des concepts du seul entendement à tous les symboles, écrits, parlés, pensés (W2, 56). On peut dès lors suivre le modèle (fondamentalement ockhamiste) de la suppositio, « l’un des termes techniques les plus utiles du Moyen-Âge » (5.320n) qui permet de ne plus traiter le signe que sous l’angle de sa capacité « d’être pris pour quelque chose en vertu de sa combinaison avec un autre signe du langage dans une phrase ou une proposition » (Summa Logicae, 1, 64) en laissant de côté, la significatio du signe. Peirce va mettre l’accent sur les caractéristiques formelles et sémantiques du signe et se livrer à une analyse systématique de la relation-signe dans le cadre d’une sémiotisation radicale du mental, mais en retour aussi d’une mentalisation irréductible du signe6. Ainsi peut-on désormais opérer une « analyse logique des produits de la pensée » et, par une refonte sémiotique de la relation sujet-prédicat, dégager les trois catégories de qualité, de relation, et de représentation (la substance et l’être n’étant, dès cette époque, que des catégories-limites, assurant ainsi la nécessaire synthèse par réduction du divers à l’unité, mais dont Peirce, en revoyant sa logique et en abandonnant définitivement le schéma « S est P », fera assez rapidement l’économie).
9– Si Aristote est donc présent à cette époque, c’est essentiellement par la lecture des médiévaux, sur qui, aussi bien en logique qu’en métaphysique, Peirce se penche avec une curiosité dont peu de philosophes et de logiciens sont alors capables. En 1893, Peirce déplorait que la logique médiévale fût trop négligée. Dès 1864, il lit les Scolastiques, et notamment Ockham et Duns Scot, auxquels il consacre plusieurs conférences (W2,310-336). Son enthousiasme sera tel qu’il ne les lira pas que dans des ouvrages comme la Geschichte der Logik de Prantl (Leipzig, 1860). Il suffit de se reporter à la liste des livres de logiciens médiévaux dont les ouvrages sont disponibles en 1880 à Harvard, pour constater le nombre impressionnant de livres rares (295 volumes) appartenant à Peirce, acquis au fil de ses voyages en Europe et dont il a fait don à la bibliothèque Johns Hopkins : parmi eux, Boèce, Béranger, Gilbert de Poitiers, Jean de Salisbury, Averroès, Pierre d’Espagne, Alexandre d’Alès, saint Thomas, Roger Bacon, Duns Scot, Ockham, Paul de Venise, etc. L’érudition de Peirce n’est donc pas uniquement de seconde main (comme en 2.797 où Sherwood est cité à partir de Prantl, vol. 3) : il va aussi directement aux textes (cf. Memoranda de nov. 1866 où Pierre d’Espagne est cité à partir du texte) et se permet même des réserves quant à l’attribution à Thomas d’Erfurt (et non pas à Duns Scot) de la Grammatica Speculativa7. C’est cette lecture d’Ockham, d’Abélard, de Paul de Venise ou de Duns Scot qui le conduit déjà à repenser le cadre strict de l’Organon : en réfléchissant, par exemple, à la nécessaire distinction entre signification et supposition, logique et grammaire, en prêtant attention au traitement scotiste8 de la Conséquence ou, dans l’analyse des modalités, du possible-réel9.
10Pour les médiévaux, rappelons qu’« une consequentia peut être soit une proposition conditionnelle soit la relation entre l’antécédent et le conséquent, soit encore un argument de la forme « p (prémisse) ; donc q (conclusion) », soit la relation entre la prémisse et la conclusion d’un argument. Une consequentia peut être une inférence immédiate, par ex. « Aucun S n’est P ; donc aucun P n’est S » ou un enthymème, par ex. « Socrate est un homme ; donc Socrate est un animal » ou un syllogisme parfaitement exprimé dans le langage-objet : « Si tout M est P et tout S est M, alors tout S est P » ou finalement une série non liée de propositions arrangées comme prémisses et conclusions exprimées dans le métalangage : « A, B ; donc C »10.
11Lorsqu’il modifiera le cadre trop étroit de la syllogistique pour inscrire la logique dans le cadre d’une science normative des bons et mauvais raisonnements, tout autant applicable à la dialectique et à la rhétorique qu’au discours scientifique (2.169-73), Peirce reprendra la distinction scolastique entre déduction et inférence, et jugeant celle-ci plus fondamentale que celle-là, distinguera illatio formelle et matérielle, adoptant dès lors le modèle général de la conséquence. Comme Duns Scot, Peirce ne fera plus alors de distinction entre « Si p, alors q », et « p implique q ». Conservant la diversité des interprétations autorisées par la conséquence, Peirce tiendra que « la relation entre sujet et prédicat ou antécédent et conséquent est essentiellement la même que celle qui existe entre prémisse et conclusion » (4.3). Partant, la distinction entre termes, propositions et arguments est moins fausse qu’inutile (2.407n1 ; 3.175), la relation fondamentale étant la relation illative (3.175 ; 2.44n1.) Pour l’essentiel donc, Peirce continue de s’inscrire dans le schéma logique revu et corrigé par les médiévaux. Il s’agit de proposer une « classification naturelle des arguments » (W2, 23-48), de songer ou non à modifier les modes et figures du syllogisme, mais on ne va pas plus loin11. C’est le cadre classique, à quelques amendements près, qui sert de modèle à l’analyse de la pensée-signe des articles de 1868-6912, et si Peirce s’avise de critiquer Aristote, qui a cru nécessaire de concevoir l’intuition comme fondement de la connaissance ou de poser des premiers principes (2.54), cette critique se confond avec celle, plus générale, adressée au fondationnalisme, et vaut au moins autant pour Descartes (ou « l’esprit du cartésianisme ») ou les adeptes empiristes d’impressions premières qu’elle ne vise spécifiquement Aristote13.
12En vérité, même lorsque Peirce trace les contours de ce qui va constituer la logique contemporaine, avec ses travaux, à partir de 1870, sur les relations et, dans les années 80, sur la quantification14 et montre les limites du Stagirite sur les relatifs, les modalités(2.384), les syllogismes hypothétiques (2.567) ou les futurs contingents15, il continue à dire que ce sont des questions et distinctions – y compris sur l’abduction (1.65 ; 2.776 ; OPI, 380) – qu’Aristote avait « entrevues » (N2, 133, 2.532).
2. La lecture des textes
13Mais d’Aristote, jusqu’aux années 80, Peirce n’a lu que l’Organon et la Métaphysique, « trop tôt, sans nul doute », estimera-t-il, « pour tirer profit de leur lecture »16. Progressivement, la vision change : au gré de l’évolution personnelle, mais aussi d’une lecture plus attentive du corpus aristotélicien et, de façon générale, de la philosophie grecque17.
14De Philodème18 et d’Épicure en premier lieu. Dans le Ms 1604, Peirce dit avoir consacré des mois à l’étude du traité de Philodème et à des éditions d’autres papyri d’Herculanum. « Cette philosophie est mon chouchou (my particular pet) ou l’un de mes chouchous »19. Tout en continuant à assurer des fonctions à l’Institut géodésique de 1879 à 1884, Peirce est en effet lecteur à la Johns Hopkins University et responsable de l’histoire de la logique et de l’histoire des sciences. Il dirige la thèse d’Allan Marquand, bon connaisseur de langues anciennes et qui a étudié la philosophie à Princeton (où il s’était consacré à l’éthique des épicuriens), mais aussi à Berlin avec Harms, Paulsen, Pfleiderer et Zeller. Dans sa thèse, Marquand entreprend de travailler sur Philodème (que Th. Gomperz en 1865 a sorti de l’ombre, en éditant le Peri sêmeiôn kai sêmeioseôn, sur les signes et sur les inférences tirées des signes.) Peirce travaille avec Marquand qui traduit le texte grec et le précède d’un essai « La logique des épicuriens ». Au printemps 1880, Marquand donne aussi un cours sur la Logique de Mill. Peirce et lui concluent que le traité de Philodème comporte une théorie de l’induction assez bien développée, de niveau égal à celle de Mill.
15Tout ceci conduit Peirce à avoir un regard neuf sur le traitement par les Anciens, de l’inférence, des signes, de l’induction et de la probabilité. Jusque là, il avait plutôt considéré que les Grecs n’en avaient aucune théorie et qu’il s’agissait là d’inventions modernes. Mais puisque Prantl et d’autres historiens de la logique et de la philosophie avaient pu se tromper à ce point (comme Peirce en avait déjà fait l’expérience en se penchant sur la logique médiévale), sans doute valait-il mieux être son propre philologue et historien de la philosophie grecque. C’est à cette nouvelle tâche qu’il va se consacrer (lui qui avait eu d’excellents professeurs de grec et de latin : Évangelinus Apostolides Sophocles, Felton, Goodwin, Chase ou Lane).
16Une tâche accélérée par le fait qu’il se voit confier la rédaction, pour le Century Dictionary des entrées de logique, philosophie, mathématiques, mécanique ou encore astronomie (il en rédigera près de 16.000 !). Pour s’y préparer, celui qui avait très tôt consacré des recherches variées à la linguistique20 ajoute à sa dernière année à la Johns Hopkins un cours de « terminologie philosophique » (1883-84) dont la source principale (et celle de ses étudiants Dewey et Jastrow) est l’édition d’Aristote de l’Académie de Berlin et l’index de Bonitz21, même si l’une de ses sources importantes continue d’être Cudworth22.
17Au cours des années suivantes, les travaux de Peirce sur la philosophie grecque s’intensifient : il dispose désormais de plus de temps, ayant ralenti puis cessé ses activités pour l’Institut Géodésique et quitté son poste de lecteur à Johns Hopkins. C’est l’époque (1887) où le « logicien bucolique » (Ms 296) se retire avec sa femme dans la maison (appelée « Arisbe ») qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort. Beaucoup de spéculations vont bon train sur le nom de cette maison que Peirce avait achetée au nom de sa femme française, Juliette, en 1888 et dont il n’a cessé de redessiner les plans et de concevoir l’agrandissement. On a pu noter que cela est contemporain des nombreux articles dans lesquels il conçoit ses recherches de manière architectonique comme « The Architecture of Theories » [1890], 6.7-34) et a l’objectif de construire un édifice aussi systématique que celui d’Aristote. Mais Peirce dira aussi en 1894 que « la complétude systématique... est presque la décoration la plus vaine qui puisse d’attacher à la philosophie » (N2, 20). Comme Max Fisch l’a fait remarquer, « Arisbe » est le nom (donné d’après une femme) de la ville grecque, colonie milésienne, foyer des premiers philosophes de Grèce (Thalès, Anaximandre et Anaximène) que Peirce avait sans doute visitée lors de son périple en Europe du Sud en quête du lieu idéal d’ou pourraient être réalisées les observations de l’éclipse du soleil de décembre 1870. Mais Arisbe était aussi la ville du farouche cavalier Asios dans l’Iliade que devait avoir à l’esprit Peirce, en digne élève de Felton, et grand admirateur, depuis toujours, d’Homère23.
18Cette dernière (et longue) période, entrecoupée de quelques conférences (données pour des raisons d’abord alimentaires) est marquée par un approfondissement de son activité philologique et par le renforcement de l’influence des Grecs.
19Peirce est frappé par la manière dont les archéologues (dont Schliemann à Troie (5.597)) ont démontré les erreurs des plus éminents historiens. Lui-même va se livrer à plusieurs exercices de style : interprétation des vies de Thalès (Ms 1604) ou de Pythagore (Mss 1277, 1582.) Lorsque paraît en 1897 le livre de Lutoslawski sur la logique de Platon, Peirce affronte le problème de la chronologie des dialogues, appliquant des méthodes mathématiques à l’élaboration des données stylistiques de Lutoslawski, et modifiant à certains égards ses conclusions. Il recopie les textes grecs de certains dialogues dans des carnets en laissant suffisamment d’espace entre les lignes pour y insérer ses propres traductions, notant qu’il n’a pas su estimer jusque là l’importante logique des dialogues, et que l’on doit ranger le Théétète et le Parménide parmi les plus grandes productions de Platon. Il s’essaie lui-même à composer des dialogues à la manière du dernier Platon (6.349-352), déclare que l’aristotélisme est une variante du platonisme, de même que sa propre philosophie est une variante de l’aristotélisme (5.77n1).
20Dès 1883, convaincu que la logique est une science normative subordonnée à l’éthique, laquelle est elle-même subordonnée à l’esthétique, Peirce s’est mis à étudier l’éthique (5.111, 129) et a commencé cette étude par les Grecs. Dès cette époque, il lit l’Éthique à Nicomaque (N3, 276-279), la Politique, et se met vraiment à apprécier Platon – qui, jusque là, l’avait plutôt ennuyé – au point de consacrer en 1902 deux cents pages à son éthique, proposant de reprendre, à partir de ce point de vue, la chronologie des dialogues24. Ainsi trouve-t-on trois brouillons rédigés en vue de composer la Minute Logic, dont le tiers est consacré à une longue discussion de la philosophie grecque. Après avoir rapidement passé en revue les théories du bien antérieures, Peirce se consacre alors à Platon. Sans doute n’est-il pas accidentel que ce soit dans cet ouvrage que l’on voit apparaître pour la première fois le terme de « summum bonum », entendu au sens technique dans la propre philosophie de Peirce (2.116). Même encore en 1894 (Ms 1604), Peirce a cet aveu : « N’ai lu Platon qu’en traduction ; un dialogue ou deux seulement en grec. N’ai jamais été intensément intéressé par Platon... Ma description du platonisme (Century Dictionary, p. 4540, [Platonic]) a été écrite aux chutes du Niagara [novembre 1885] sans le moindre livre auquel me référer. Il a été révisé depuis mais sans grand changement ». Nuançons toutefois : dès 1893, dans un des multiples projets d’ouvrage qu’il envisage « Principles of Philosophy », il intitule l’un des volumes (le IV) : « Plato’s World : An Elucidation of the Ideas of Modern Mathematics ». Par ailleurs, en mathématiques, et plus particulièrement en arithmétique, Peirce restera toujours proche d’une forme de réalisme platonicien classique25.
21Ses travaux en histoire des sciences et sur la logique de l’hypothèse l’ont convaincu que toute histoire, qu’il s’agisse de logique, de paléontologie, de géologie ou de physique, est entièrement hypothétique et ne peut recevoir une lecture positiviste (d’ou ses violentes attaques contre A. Comte) (2.511n1). C’est cette nouvelle méthode que Peirce applique à Thalès, à Pythagore et plus minutieusement encore à Aristote (7.233-255) et à l’interprétation de Strabon selon laquelle les manuscrits d’Aristote seraient restés cachés près d’un siècle et demi dans une cave de Skepsis. Ainsi, dans le très long et important article de 1901 « On the Logic of drawing history from ancient documents, especially from testimonies » (Ms 690, CP. 7.162-255) qui présente notamment sa théorie de l’hypothèse (abduction), Peirce s’appuie non pas tant sur une longue analyse des textes grecs – ce qu’il fait ailleurs, repérant, par exemple, plusieurs erreurs dans le livre II des Seconds Analytiques, qui, une fois corrigées, rendent plus cohérente la théorie aristotélicienne de l’induction (epagôgê), de l’analogie (paradeigma) et de l’abduction (apagôgê) (cf. 7.248) –, que sur la manière dont on peut suivre une certaine méthode en histoire. Ainsi dans le cas de l’histoire des manuscrits d’Aristote, on essaie d’évaluer (en s’appuyant notamment sur une méthode probabiliste « of balancing likelihoods »), la valeur des documents et monuments, la validité du témoignage et la valeur explicative de l’histoire.
22On comprendra donc que Peirce n’exagère pas lorsque, vers 1894, il dit « avoir lu et réfléchi sur Aristote plus que sur n’importe qui d’autre » (Ms 1604).
3. L’évolution naturelle vers les Grecs
23Mais on s’en doute, aussi attentive que finisse par devenir la lecture, c’est un Aristote bien particulier sur lequel s’arrête le logicien d’Arisbe.
24Les années 1880-1887 au cours desquelles se sont accélérés ses travaux pour le Century Dictionary ont également été marquées par le tour de plus en plus réaliste qu’a pris sa réflexion et par la conviction désormais ancrée, notamment par la logique des relatifs, que le continu est le véritable universel, la figure paradigmatique de ce que Peirce appelle désormais la troisième catégorie ou Tiercéité26. Les années qui suivent vont développer une conscience de plus en plus aiguë de la part à accorder à la spontanéité, au possible ou au hasard (sur le mode de la catégorie première ou Priméité). Ainsi se dessinent les contours de la métaphysique scientifique réaliste ou cosmologie évolutionnaire à laquelle Peirce croit pouvoir associer Aristote (W6, 397). Résumons-en les étapes :
25– Dès le départ, Aristote et Kant sont des modèles parce qu’ils ont adopté leur logique comme métaphysique, mais aussi parce qu’ils ont considéré que « les principes logiques ne sont pas valides uniquement de façon régulative mais comme des vérités d’être » (1.300 ; 1.487 ; 7.480 ; 8.113). Le problème métaphysique par excellence, qui est aux yeux de Peirce celui des universaux ou du choix à opérer entre réalisme et nominalisme peut se résumer comme « la question de savoir jusqu’où les faits réels sont analogues aux relations logiques et pourquoi » (4.68). Partant, « la métaphysique consiste dans les résultats de l’acceptation absolue des principes logiques comme n’étant pas simplement régulativement valides, mais comme des vérités d’être » (1.487 ; cf. 7.580 ; 6.113). Or que révèle, dès 1870, la logique des relatifs ? D’abord le cadre trop étroit de la théorie classique de la proposition. Dès 1867, la déduction des catégories opérée dans la Nouvelle Liste avait, à partir du modèle de la suppositio, opéré une refonte de la relation classique « sujet – verbe – prédicat ». Mais Peirce maintenait encore les deux catégories d’être (copule) et de substance (sujet). La logique des relations met en évidence que qualités, relations et représentations doivent toutes se lire en termes sémiotiques, à partir du nombre d’arguments ou de termes qu’implique le prédicat qui les décrit, en un mot, comme des relations monadiques, dyadiques ou triadiques. Désormais, « une proposition consiste en deux parties, le prédicat qui suscite quelque chose comme une image ou un rêve dans l’esprit de l’interprète, et le sujet ou les sujets, dont chacun sert à identifier quelque chose que le prédicat représente » (Ms280). Une proposition contient donc un sujet, construit comme un index ou une série d’index (Peirce dit encore des « haeccéités »), correspondant à nos variables, et dont le prédicat ou icône, s’obtient par effacement du ou des sujets logiques. Ainsi dans une proposition telle que « Socrate est un homme », « – est un homme » constitue le prédicat, une forme que Peirce appelle « rhème », très proche de notre notion moderne de prédicat. Les prédicats apparaissent ainsi comme des expressions non saturées à valence définie (vocabulaire emprunté au domaine de la chimie). L’expression prédicative « – route » ou « – aime – » est dite signe iconique parce que ses radicaux non saturés correspondent à la valence de la relation qu’il exprime : monadique dans le premier cas, dyadique dans le second, triadique si nous avons une relation telle que « – donne – à –” ». On aura noté, dans ce nouveau dispositif, l’effacement complet de la copule ou plus exactement son intégration dans le prédicat27.
26La nouvelle logique montre désormais que les relations sont aussi fondamentales que les qualités et pourraient bien constituer l’essence de l’objet : la forme scolastique (du moins chez Duns Scot) est trop statique désormais pour révéler cette structure relationnelle. Au lieu de chercher une essence qualitative d’où découlerait le comportement de la chose, il faut identifier celle-ci à la somme d’habitudes ou de tendances à agir (would-be ; habits) qu’elle renferme28. Dès lors, donner le sens d’une proposition, ce sera montrer quelle habitude (ou loi de la nature) gouverne l’expérience : « dire qu’un corps est dur ou rouge ou lourd ou d’un poids donné ou qu’il a toute autre propriété, c’est dire qu’il est soumis à la loi et qu’il est donc un énoncé se rapportant au futur » (5.450), lequel peut s’exprimer sous la forme d’un énoncé conditionnel subjonctif29. Le réaliste scolastique « considérera une loi de la nature comme réelle et comme ayant une sorte de esse in futuro » (5.48), mettant en avant « l’espèce d’universaux auxquels la science moderne fait le plus attention » (4.1). Ainsi la logique des relatifs aura-t-elle contribué à mettre en relief, parallèlement aux recherches mathématiques menées dans le même temps, l’importance capitale de la continuité, la « révélant comme le véritable universel » (NEM. IV, p. 343), la catégorie troisième par excellence (1.337 ; 4.172). Elle devient « un élément indispensable de la réalité », sous la forme de la doctrine « synéchiste » (5.172), « selon laquelle tout ce qui existe est continu », « voûte de l’arche du système complètement développé » comme Peirce l’écrira en novembre 1905 à William James.
27– Mais en vérité, comme l’analyse inductive et phénoménologique des catégories l’en a convaincu, si la Tiercéité est la catégorie fondamentale, elle ne saurait être la seule. Il faut montrer comment et pourquoi, les trois catégories de Priméité, de Secondéité et de Tiercéité, bien qu’irréductibles l’une à l’autre, sont néanmoins liées dans le phénomène. Et notamment, que si est bien réelle la tendance à la généralisation, à la prise d’habitudes, est tout aussi réel le vague, c’est-à-dire cet élément de possible, de spontanéité ou de hasard qui interdit la réification de l’habitude. C’est cet élément que l’on retrouve bientôt dans le « tychisme » ou doctrine selon laquelle « le hasard (chance) est un facteur de l’univers » (6.201)30. Rendre compte de la régularité, de la continuité, mais aussi de la variété, du discontinu, de l’inexact : tel est désormais l’enjeu de la « cosmogonie philosophique » (6.33) qui se met en place. On doit pouvoir montrer qu’un processus évolutionnaire qui n’a pas à être nécessairement pensé comme régi par la loi peut expliquer l’émergence d’un cosmos régi quant à lui par la loi. C’est par ce biais qu’est introduite la métaphysique évolutionnaire et avec elle l’affirmation du synéchisme et du tychisme, Peirce retrouvant tout naturellement, selon lui, Aristote31 en qui il voit désormais « le grand père de l’évolutionnisme métaphysique » (W6, 397, [1890]).
28Comment entendre cet énoncé paradoxal ? Évidemment pas au sens où Aristote aurait rejoint Darwin32 ou un autre théoricien de l’évolution.
29En vérité, de chacun des trois (Darwin Lamarck, Clarence King) Peirce retiendra quelque chose, car les trois modes d’évolution ont eu un rôle à jouer dans la production de l’espèce. De la théorie darwinienne, Peirce retient deux facteurs : l’hérédité et la sélection naturelle, plus en accord avec le tychisme et la Priméité (6.298 ; 6.304), mais aussi avec la Secondéité (le choc de la sélection). Mais la paléontologie et la géologie semblent donner raison à la théorie de l’évolution cataclysmique, en établissant que les espèces se sont surtout modifiées lors de chocs géologiques (6.17), comme le montre aussi l’histoire des institutions et des sciences qui procède par sauts (1.109 ; 6.17) : elle coïncide donc bien comme théorie de la stimulation et du défi avec la Secondéité, et avec l’idée de la connaissance comme cette enquête reposant sur un va et vient entre doutes perturbateurs et croyances-habitudes. Quant au lamarckisme, il souligne l’aspect téléologique de l’évolution, seul capable d’expliquer l’acquisition d’habitudes en termes de lutte et d’efforts finalisés, et donc de mieux comprendre, de l’intérieur, la Tiercéité (6.16), en assurant une meilleure transition à l’observation psychologique du principe de continuité généralisé dans « la loi de l’esprit », où il fait corps avec le synéchisme. Peut-on rêver meilleur modèle quand on définit l’évolution comme ce qui n’est « ni plus moins que l’élaboration d’une fin définie » ? (1.204). L’important restera de repenser en termes catégoriels, ces trois formes d’évolution qui s’articulent dès lors ainsi : à l’évolution fortuite (tychisme) répond la Priméité, la spontanéité ou le continuum indifférencié de possibilités qualitatives. Le second principe de sélection par élimination illustre la Secondéité (action, réaction, choc, lutte, facticité, confrontation avec le réel). Le troisième principe enfin, essentiel, déjà présent dans le continuum indifférencié, qui se maintient dans la variation fortuite par différenciation et développement, et assure la cohérence de l’ensemble, c’est la Tiercéité, principe de médiation rationnelle : c’est la loi de l’habitude, la véritable loi de l’évolution, qui permet d’expliquer toutes les lois particulières : « En biologie, l’idée de variation fortuite (sporting) est un Premier ; l’hérédité un Second, le processus par lequel les caractères accidentels se fixent, un Troisième. Le hasard est un premier, la loi un second, la tendance à prendre des habitudes, un troisième. L’Esprit est un premier, la Matière un second, l’Évolution un troisième » (6.32).
30Quelle que soit la valeur de ces théories, ce qu’il faut en philosophie, c’est « un évolutionnisme intégral ou rien du tout » (6.14). Entendons : un évolutionnisme capable de restaurer « cette idée rejetée de la loi comme raisonnabilité jaillissant (energizing) dans le monde [...] qui appartenait à la métaphysique essentiellement évolutionnaire d’Aristote, ainsi qu’aux modifications scolastiques qu’en firent Thomas d’Aquin et Duns Scot ».
31– Pour régler le premier problème, celui du synéchisme ou de la nature des lois, le plus épineux parce que « les uniformités sont précisément le genre de faits qu’il s’agit d’expliquer. […] La loi est par excellence ce qui exige une raison » (6.12), Peirce revient aux analyses d’Aristote sur le continu.
32Ayant à définir « continuité » dans le Century Dictionary en avril 1884, Peirce a cette note de désespoir : « La continuité n’a jamais été bien définie. La définition de Kant, à laquelle, j’ai honte de le dire, j’ai jusqu’ici donné mon adhésion, est ridicule quand on y songe. Et sans définition, naturellement tout le raisonnement qu’on peut faire à son sujet est fallacieux ». « Nous avons tous, écrit Peirce, une certaine idée de la continuité. La continuité est la fluidité, la fusion d’une partie en une autre. Mais parvenir à une conception vraiment distincte et adéquate de celle-ci n’est pas une mince affaire... Si je devais essayer de vous en donner la moindre conception logique, je vous donnerais inutilement le vertige ». Mais il poursuit : « Je puis cependant dire ceci. Je trace une ligne. Or les points sur la ligne forment une suite continue. Si je prends deux points sur cette ligne, n’importe lesquels, et aussi proches l’un de l’autre qu’ils puissent être, il y a d’autres points situés entre eux. S’il n’en était pas ainsi, la suite de points ne serait pas continue » (1.164).
33Sa découverte des passages que consacre Aristote33 au continu et des travaux de Cantor (qu’il va assez vite critiquer) le conduisent à revenir au Stagirite.
34Sans entrer dans l’analyse complexe du traitement peircien du continu, on peut, sans forcer les choses, la tenir, comme l’a soutenu Putnam, pour « largement aristotélicienne, bien qu’elle contienne maints éléments qui n’auraient pu se trouver dans Aristote »34. Le continu n’est pas chez Peirce la notion mathématique bien définie qui s’attache à certaines fonctions, courbes ou lignes ; elle part d’une analyse mathématique de la continuité de la ligne pour culminer en une vaste généralisation métaphysique. L’évolution de Peirce sur cette question a été laborieuse : en 1878, il définit encore la continuité comme « le passage d’une forme à une autre, par degrés insensibles » (2.646), admettant vers 1884 qu’une telle formulation (encore retenue en 1881 dans « On the Logic of Number ») a l’inconvénient de créer une confusion entre continuité et divisibilité infinie et de proposer une propriété du système des nombres rationnels, la divisibilité infinie ou, en termes russelliens, la compacité, qui ne convient pas pour le système des nombres réels. En 1884, il rencontre les travaux de Cantor, mais s’il lui rend hommage (6.175 ; 4.331) et le suit dans son traitement des nombres ou de la théorie des « multitudes », il lui reproche assez vite d’en être resté à une vision trop mathématique (N.E.M.III.I., p. 351) là où « la doctrine de la multitude n’est pas une théorie de mathématiques pures » (Ms 458, N.E.M.III.I., p. 333, p. 347, p. 350) mais bien plutôt « une application de la théorie générale de tous les nombres au sujet logique de la multiplicité (maniness) » (ibid. cf. 4.190). La théorie de la multitude (terme préféré à la Mächtigkeit de Cantor) sera donc mieux définie comme « logique de la possibilité substantive » (N.E.M.III.I., p. 351).
35Dès 1892, Peirce a pris ses distances par rapport à la définition cantorienne (6.121-2)35 et a proposé de substituer au schéma des « analystes », une vision géométrique, topologique, du continu36, en montrant que le continu est indépendant de la métrique et de toute notion de grandeur. Et c’est tout naturellement que Peirce se tourne vers Aristote dès 1893 (4.121) puis, plus nettement encore, en 1903 (6.166), pour opposer au « pseudo-continu » de Cantor (6.176) le « véritable continu », c’est-à-dire un continu qui ne soit plus constitué par des collections de points discrets ou « des collections d’objets absolument distincts les uns des autres » (6.176), mais dans lequel les points-limites viennent « se fondre » (are melted together) les uns aux autres (6.170).
36S’appuyant sur Physique V, 3, 227a10, Peirce adopte la propriété d’aristotélicité, selon laquelle deux points quelconques du continu ont une limite commune (4.122), en d’autres termes le concept « synthétique » du continu, pour le distinguer du principe « analytique » qui relie le continu au principe de la divisibilité infinie de toutes les choses matérielles37. Comme l’a montré Granger, les notions de « successif », de contigu et de continu constituent pour Aristote une suite ordonnée selon le degré croissant de « voisinage » des éléments qu’elles qualifient. « La succession se définit par l’absence d’intermédiaire, dont un vide peut prendre la place, la contiguïté supprime le vide ; la continuité confond les extrémités des éléments que la contiguïté laissait encore distinctes »38. Ce qui est donc caractéristique du continu aristotélicien, comme le voit parfaitement Peirce, c’est que « les extrémités se confondent en une extrémité commune aux deux éléments. Une bonne représentation spatiale de la continuité supposerait, rigoureusement parlant, que les extrémités des éléments en lesquels on désarticule le continu, ne soient jamais marquées, puisqu’on ne saurait les distinguer des éléments voisins. On peut donc dire que, dans la ligne considérée comme continu, chaque point n’est jamais qu’une limite de parties dont il est dit en 212b5 qu’elles sont alors en puissance dans le lieu. En sorte qu’un continu, comme la ligne, n’est pas composée d’indivisibles comme les points, qui ne sont que les limites virtuelles communes à deux parties, lesquelles sont elles-mêmes des lignes. Tout le texte du début du livre IV, 213b5 est parfaitement clair à cet égard »39. Peirce voit l’avantage que l’on peut tirer de la propriété d’aristotélicité : elle permet, par exemple, de penser la notion de limite de couleur entre deux surfaces et d’expliquer le passage dans la conscience d’un instant à un autre (6.126)40.
37Comme Aristote, Peirce tient que « la ligne est un objet géométrique irréductible et non une collection d’objets plus élémentaires »41 et que les points sont le résultat d’opérations mathématiques ou conceptuelles (RLC, 217)42. En termes modernes, nous dirions que les points n’appartiennent pas à la ligne, même s’ils sont situés sur elle ; les points sont des divisions de lignes. Supposons, par exemple, que nous divisions l’intervalle de ligne en un point P puis que nous séparions les deux moitiés segmentées, dans la conception aristotélicienne, comme le dit Putnam « il n’existe pas d’intervalle de ligne ‘‘ouvert’’ ; un intervalle de ligne par le simple fait d’exister comme intervalle de ligne “définit” pour ainsi dire les points qui sont situés aux extrémités. [...] Supposons que nous demandions à un aristotélicien si le point P existait avant qu’il ait divisé la ligne. Il dirait naturellement que P existait en puissance avant la division de la ligne, mais qu’il n’a existé en acte que lorsque nous avons effectué cette construction particulière »43. Peirce adopte le principe énoncé en Physique IV, 231a17-b18 selon lequel il est impossible qu’un continu soit formé d’indivisibles. Comme l’indique le début de la Physique, il y a pour Aristote, solidarité entre les notions de continuité et de divisibilité à l’infini. « En effet le continu est divisible indéfiniment » (I, 2, 185b10, trad. P. Pellegrin, p. 79). « [...] c’est aussi pourquoi il arrive souvent à ceux qui définissent le continu d’avoir en plus recours au concept de l’infini [20] au motif que ce qui est divisible indéfiniment est continu » (Physique III, 1, 200b18-20, p. 159-160). Le continu est donc bien ce qui est « divisible en parties toujours divisibles » (ibid., VI, 2, 232b24-25, p. 314).
38Notons toutefois que la nouvelle approche du continu insistera moins sur cet aspect des choses que sur un élément « kantien » que souhaite maintenir Peirce, à savoir la nécessité qu’un continu doive être tel que « toutes ses parties aient des parties de la même sorte » (6.168 ; 1903). Est donc nettement affirmée la thèse selon laquelle le continu ne peut avoir de partie qui soit constituée de points (6.166) : entre deux points d’une série, existent toujours plus de points. En, introduisant ces deux nouveaux concepts d’aristotélicité et de kanticité, Peirce croit pouvoir améliorer la définition cantorienne. Sans doute est-il ici trop optimiste. On voit mal, notamment, comment, sauf moyennant d’autres postulats, ces propriétés seraient suffisantes pour assurer la connexité. D’où le reproche fait à Peirce de fonder sa métaphysique synéchiste sur une conception baroque du continu. Mais, comme Ketner et Putnam l’ont montré, celle-ci l’est beaucoup moins qu’on ne le pense, et notamment depuis que les travaux d’A. Robinson en analyse non standard ont rendu leurs lettres de noblesse aux infinitésimaux, sur la réalité desquels Peirce s’appuie dans sa démonstration. Les critiques adressées à Cantor par Peirce sur son traitement trop « métrique » et insuffisamment « topologique » sont aussi à méditer.
39Le continu sera une collection bien enchaînée de parties que séparent virtuellement des points limites, ce qui revient ni plus ni moins pour Peirce à rejeter l’idée, déjà avancée par Bolzano44, d’une construction du continu comme ensemble de points. Le continu est ainsi conçu comme une possibilité de division répétée ne pouvant jamais être épuisée dans aucun monde possible, pas même dans un monde où pourraient s’accomplir des processus non dénombrables. C’est la version peircienne des réponses négatives au Principe de Plénitude, c’est-à-dire du principe selon lequel aucune possibilité ne reste à jamais non réalisée, la grande chaîne de l’être n’étant plus comprise comme complète une fois pour toutes et éternellement la même dans toutes les espèces qui la composent, mais, conformément à la tournure de pensée romantique que l’on retrouve chez les spiritualistes, comme se développant progressivement en passant d’un degré inférieur à un degré supérieur de plénitude et d’excellence45. En réalité, les points sont des sortes de monades, de vastes agrégats de parties de points, des possibilia sans individualité distincte (RLC, 216) ; dire que l’habitude (ou que la loi) est générale ou continue, c’est donc dire qu’elle doit permettre Ω réalisations possibles, telles que dans aucun monde possible elles ne seront toutes réalisées. Ainsi la métaphysique synéchiste n’est-elle pas d’abord une métaphysique qui insiste sur le nombre important de continua dans la nature ou sur le nombre de fonctions continuées importantes en physique ; c’est une métaphysique qui identifie la continuité idéale avec l’idée d’une possibilité inépuisable et créatrice. « L’intuition métaphysique sous-jacente est ici », comme le note Putnam, « que nous vivons dans un monde […] dans lequel il y a un nombre énorme de possibilités et de possibilités compatibles » et, en outre, que « la raison pour laquelle elles ne peuvent toutes être actualisées n’est pas que la réalisation de certaines empêche la réalisation de telles autres, même si ce genre de cas existe aussi. Ce n’est pas ce que Peirce veut dire lorsqu’il déclare qu’il ne peut exister Ω individus distincts. L’intuition métaphysique centrale est que le possible outrepasse l’actuel et pas seulement en raison de la finitude des capacités humaines ou des limitations imposées par des lois physiques »46. Le possible, impliquant l’infini est, comme le dit Aristote, « ce dont quelque chose est toujours à l’extérieur de lui »47.
40– Comment alors analyser le second volet, le « tychisme » ? Car le seul moyen d’expliquer les lois de la nature et l’uniformité en général est « de supposer qu’elles résultent de l’évolution, partant, de supposer qu’elles ne sont pas absolues. Voilà qui constitue un élément d’indétermination, de spontanéité ou de hasard absolu dans la nature » (6.13 ; 6.764).
41La lecture du livre II de la Physique a convaincu Peirce d’être parvenu à « la substance même de ce que dit Aristote » (6.96) : « Ne se pourrait-il pas qu’on doive admettre que le hasard (chance) au sens aristotélicien, de pure absence de cause, a une petite place dans l’univers ? » (Ms 875,1884). Peu après, définissant le hasard absolu pour le Century Dictionary (p. 918), Peirce a ces mots : « Selon Aristote, les événements peuvent apparaître de trois manières : premièrement, par nécessité ou par une pression extérieure ; en second lieu, par nature ou par développement d’une tendance germinale interne ; et troisièmement, par hasard, sans quelque cause ou principe déterminant que ce soit, par une originalité sporadique sans loi ». Et, s’empresse-t-il d’ajouter, « cette doctrine est l’essence intime de l’aristotélisme » (6.36). Est-ce pourtant aussi sûr ? Sans doute pas si on considère que prôner un « hasard absolu » (au sens de la Priméité) supposerait que le hasard s’identifiât pour Aristote à l’absence de cause. Mais une telle interprétation est loin d’aller de soi, car si Aristote rejette un déterminisme mécaniste ou logique, il défend bien un déterminisme causal : tous les événements sont susceptibles d’être analysés (expliqués) dans les termes des quatre causes48.
42En invoquant le terme de « hasard absolu », Peirce revendique en tout cas l’existence d’une indéterminité réelle et pas simplement due à notre ignorance (6.57)49 et soutient deux thèses : la première, qui est moins aristotélicienne qu’elle n’est commune à Peirce et à ceux qui soutenaient au XIXe siècle, avec le développement des techniques statistiques dans les sciences fondamentales50, que les lois de la nature sont des lois statistiques (de la forme : la probabilité qu’un F soit G est p) plutôt que des lois déterministes ; la seconde, qui porte sur la question de savoir jusqu’à quel point la réalité est ou non gouvernée par la loi, l’argument majeur étant que les lois sont au mieux approximativement vraies, qu’elles contraignent le cours des événements, mais qu’il y a de la place pour le hasard, et pour des déviations spontanées à partir des lois. D’une part donc, les lois ne sont pas absolument exactes, et d’autre part « elles n’ont pas un balancement absolu dans la nature » (1.325). D’où deux facettes du hasard : 1) comme contingence radicale, absolue spontanéité ou, en termes catégoriels peirciens, Priméité, quand on veut souligner la variété de la nature, le libre-arbitre de l’agent, 2) comme distribution statistique, incarnant donc déjà une forme d’ordre, ou de Tiercéité, quand on veut atténuer l’absurdité qu’il y aurait à soutenir l’absence totale d’ordre Les déviations à partir de la loi restent « soumises à une certaine loi probabiliste » (6.91) : il s’agit bien de fréquences, simplement de fréquences qui ne pourront converger qu’à long terme vers des valeurs fixes. Il serait parfaitement contradictoire avec le synéchisme de soutenir qu’il n’y a aucune loi dans l’univers. Aussi Peirce dit-il parfois que le synéchisme est premier, et qu’il ne faut pas accorder au tychisme une place démesurée (6.202). Un monde absolument livré au hasard serait contradictoire et donc impossible (6.404) : « Tout l’univers aurait alors un tel air de systématicité et de régularité parfaites qu’il n’y aurait plus aucune question à poser » (6.406).
43Mais revenons sur cette naissance progressive du cosmos à partir du chaos, cet « état initial dans lequel l’univers était inexistant, et donc un état de pur néant » (6.215). Dans ce « néant germinal », aux résonances aristotéliciennes mais aussi schellingiennes, « tout est impliqué ou pressenti ». Peirce l’admet lui-même. Il est né et fut élevé « dans le voisinage de Concord, à l’époque où Emerson, Hedge et leurs amis répandaient les idées qu’ils avaient prises à Schelling, et Schelling à Plotin, Boehm, ou Dieu sait quels esprits en proie au mysticisme monstrueux de l’Orient ». Il est donc « probable que de quelques bacilles de culture quelque forme bénigne de cette maladie ait été implantée dans mon âme, à mon insu, et qu’à présent, au bout d’une longue incubation, elle fasse surface, modifiée par des conceptions mathématiques et par une formation en recherches physiques » (6.102 ; ARM, p. 231). Mais, ajoute-t-il : « L’atmosphère de Cambridge fut un excellent antiseptique contre le transcendantalisme de Concord ; et je n’ai point conscience d’avoir attrapé ce virus ».
44Toutefois, l’analyse de la spontanéité, Peirce le dit à plusieurs reprises, est proche aussi de la matière aristotélicienne (6.206 et 6.355-359)51, « en soi indéterminée, en soi inconnaissable, mais à la fois déterminable par la forme et même sensible à travers elle » (6.356), ainsi qu’Aristote la définit dans Métaphysique 1048 b38-1049a. Mais la loi de l’habitude s’oppose à la loi mécanique, et s’interprète donc au sens aristotélicien de la causalité finale, comme l’indique clairement Peirce (1.211 ; 212). Ainsi connote-t-elle « une tendance inhérente à l’actualité qui, si elle n’est pas empêchée, conduit à l’accomplissement final de l’être » (6.364).
45Il est en effet essentiel que de l’indétermination pure, rien de nécessaire ne s’ensuive. C’est le point crucial qui, Peirce le répète à l’envi, le sépare de Hegel52. L’univers a une logique, mais qui n’est pas forcément déductive. Elle est plutôt inductive ou hypothétique : c’est la logique « de la liberté », de la « possibilité » (6.219), de la dynamis, susceptible de s’actualiser quand seront réunies toutes les conditions de sa réalisation (6.365 ; 6.490). L’habitude remplace ainsi l’énergie spontanée qui soutient ces formes (6.300)53. Aussi doit-on « considérer la matière comme des habitudes qui se sont figées de telle sorte qu’elle a perdu le pouvoir d’en former et d’en perdre » (6. 101 ; 6.23 ; 6.148). L’univers n’est donc pas celui décrit par les mécanistes : c’est un univers régi par des causes finales (1.211 ; 5.65), surtout gouverné par la « raisonnabilité » travaillant au sein du concret54, et dont l’indétermination radicale, aux origines comme à la fin, reste le caractère dominant (1.615 ; 8.317)55.
46Ainsi se fait l’évolution de l’univers autour de ces trois modes du devenir : « Le Hasard est Premier. La Loi est Seconde. La tendance à prendre des habitudes est Troisième » (6.32). Mais c’est parce que l’habitude, comme tendance générale, « doit avoir son origine dans la continuité originelle qui est inhérente à la potentialité » (6.204). Comme l’a brillamment soutenu D. Sfendoni-Mentzou, c’est cette potentialité, proche du concept aristotélicien de dynamis qui cimente la cosmogonie évolutionnaire56 aussi bien du côté de la Priméité comme manifestation de l’indétermination de la spontanéité57 que du côté de la Tiercéité, comme manifestation de l’habitude générale, probable et finalisée.
4. Peirce : quel lecteur d’Aristote ?
47Certes, il ne s’agit pas de juger cette lecture à l’aune de l’exégèse, plus ou moins réussie. De toute évidence, Peirce omet, se trompe, assimile, brode.
48Au demeurant, si Aristote est toujours rangé parmi les premiers, dans le classement des philosophes (W5, 28 [1884]) et si sont vantés les mérites de l’éminent « logicien aux jambes en fuseau, au regard porcin et incapable de prononcer la lettre R » (OPII, 142), qui « n’a jamais été assez idiot pour ne pas modifier ses opinions métaphysiques » (6.335), qui, par son tempérament finalement très peu « Grec », a su voir à quel point il ne fallait pas mêler questions théoriques et questions pratiques ou vitales (0PII, 257), Peirce ne ménage pas ses critiques : l’Asclépiade, ce remarquable naturaliste (1.61 ; 6.356) était aussi nul en physique (2.11), a commis des erreurs sur le libre-arbitre (N3, 277), et surtout, n’a pas été assez réaliste, n’admettant que deux modes d’être (acte et puissance, matière et forme, 2.116, W6, 168), là où il en faut trois (1.21), et même si « son système, comme tous les plus grands, était évolutionnaire » et qu’il a su « reconnaître une sorte d’être embryonnaire, comme l’être d’un arbre dans sa graine ou comme l’être d’un événement futur contingent, selon la manière dont un homme décidera d’agir » ; bref, s’il semble bien « avoir eu un obscur aperçu d’un troisième mode d’être dans l’entéléchie », à savoir « la matière, qui est la même en toutes choses, et qui, au cours de son développement, prend forme », Aristote a le tort de ne pas faire ce que devrait faire tout réaliste (et qu’a, entre autres, réalisé Duns Scot) : « renverser » l’ordre de l’évolution, en conséquence, « faire venir en premier la forme, et faire venir, ensuite, l’individuation de cette forme » (1.22-23).
49Dans l’esprit de Peirce, ce n’est donc pas Aristote qu’il faut sauver, c’est l’aristotélisme. En 1905, dans une lettre au pragmatiste italien Calderoni, il présentera « le retour de l’aristotélisme » comme la reconnaissance qu’une « explication du monde doit admettre des éléments Priméens, Secondéens, et Tertiens » (OP.II, 200).
50Mais se tromper, n’est-ce pas là le sort de tous les lecteurs d’Aristote ? Il ne s’agit pas non plus de se demander si Peirce a ou non raison de penser qu’Aristote a baigné dans les eaux du pragmatisme (d’ailleurs, quel philosophe, à l’en croire, n’y aurait pas baigné ?). À une époque comme le XIXe siècle où, une fois encore, chacun a, pour le meilleur ou pour le pire, « son » Aristote, la question est plutôt : l’Aristote de Peirce est-il si différent, et quels enseignements éventuels tirer de « son » Aristote à lui ?
51En posant comme première pour la philosophie la nécessité d’établir une table des catégories, Peirce est dans la droite ligne des problématiques qui, de Trendelenburg58 à Brentano en passant par Brandis, Zeller ou Bonitz59 visent à réfléchir à la bonne interprétation des catégories. Si l’on songe que cinq ans séparent la parution de l’essai de Brentano (1862)60 (qu’apparemment, ignorait Peirce) et la Nouvelle Liste de Catégories, on ne peut manquer d’être frappé par ce que les deux « déductions » logiques ont en commun : pour l’un comme pour l’autre, c’est bien une déduction qu’il s’agit de mener, seule à même de garantir la systématicité dont Kant et Hegel ont été incapables ; certes pour Peirce, le modèle est d’abord Kant et non Aristote et la déduction prend pour point de départ les fonctions du jugement avant d’en déduire les catégories, là où Brentano part directement du quatrième sens de l’être et, suivant pour l’essentiel (contra Bonitz) l’interprétation de Trendelenburg, déduit les catégories à partir non pas « des différentes significations associées à l’énonciation du concept on »61, mais de l’examen des « figures de la prédication »62. Toutefois, dans les deux cas, c’est « l’unité de consistance » qui est recherchée, et si celle-ci est pensée chez Peirce sur le modèle du jugement, c’est parce que le jugement est d’abord réduit à sa dimension prédicative. L’appareil de la suppositio est chargé d’éliminer ce qu’il peut encore avoir de « psychologique » et d’élargir (ou si on veut de « sémiotiser ») d’emblée la structure prédicative, en refusant d’y voir une simple reproduction de la structure grammaticale. En ce sens s’il est vrai que le modèle médiéval de la logique comme traitant d’intentions secondes continue de prévaloir dans la définition (proche de Simplicius63) que donne Peirce des catégories comme étant « premièrement et fondamentalement des pensées sur des mots ou des pensées de pensées » qui n’est ni plus ni moins « la doctrine et d’Aristote (dont les catégories sont des parties du discours) et de Kant (dont les catégories sont les caractères de différents genres de propositions » (OPI, 60 [1868]) ; il n’en reste pas moins qu’elles sont conçues non comme « les genres des étants »64, mais comme les différentes figures selon lesquelles le verbe être peut unir un prédicat à un sujet dans une proposition attributive.
52Toutefois sa position ne peut jusqu’au bout s’accorder avec celle de Brentano65, ni du reste avec aucune des interprétations proposées par les grands commentateurs européens d’Aristote.
53En dépit de maintes réserves, Peirce tiendra aussi souvent ses catégories comme proches des modes de l’être dégagés par Hegel qui a « commencé par l’unité de l’être et parcouru les catégories en se laissant guider par l’homogénéité de leurs relations internes pour finir par les fonctions du jugement ». Certes le résultat est arbitraire, mais c’est bien une combinaison de Kant et de Hegel qui donne la bonne méthode à suivre, à savoir « une méthode qui dérive les catégories des fonctions du jugement mais qui a son point de départ dans l’être pur » (W1, 352) et qui commence par s’interroger sur ce que veut dire l’Être (2.116) et sur ce que sont ses modes.
54Peirce admet du reste que la « Phénoménologie de l’Esprit » a inspiré le titre de son entreprise (5.37) qui présente un air de famille avec celle de Hegel (1.544), plus encore, qui la ressuscite (1.42), mais « en un bien étrange costume ». Il stigmatise aussi le caractère « pragmatoïdal » des catégories de Hegel qui, outre la « pitoyable maladresse de n’avoir tenu aucun compte des mathématiques » (5.40) a commis la « gaffe monstrueuse et fatale » de croire, en oubliant leur irréductibilité respective, que première et seconde catégories pouvaient être aufgehoben par le Concept. Si Hegel a donc fini par présenter un catalogue catégorial « entièrement faux » (5.37) ou des catégories qui ne sont en définitive que des « descriptions » des phases de l’évolution », c’est parce qu’il ne s’est soucié que « de ce qui s’impose actuellement à l’esprit » (5.37). Aussi parle-t-il de la « fossilisation mentale » de Hegel, de sa logique qui a la « cohérence d’un rêve » et dit vouloir une méthode aussi peu hegelienne que possible (W5, 302). En fait, jusqu’au bout Peirce considère qu’Aristote ou Hegel se sont « contentés d’arranger les conceptions déjà courantes », là où il convient de « regarder directement le phénomène universel, c’est-à-dire tout ce qui, d’une certaine manière, apparaît, que ce soit comme fait ou comme fiction, et de dégager les différentes espèces d’éléments que l’on peut y découvrir » (N.E.M.IV, p. 51).
55Nous ferons l’hypothèse que c’est cette recherche de la meilleure manière d’analyser l’être pur (dont Peirce refuse dès 1868 le modèle hegelien), dans l’indétermination radicale qui, selon lui, le caractérise, qui va conduire à l’examen de la Nature Commune scotiste et à la prise en considération dans les derniers écrits du privilège de l’être conçu comme on dunamei kai energei66, beaucoup plus naturellement en tout cas que ne le conduirait une critique de type heideggerien de la méthode brentanienne67. Certes la réhabilitation de la dynamis indique bien la nécessité de lire l’être dans ses « plis et replis » et de ne pas laisser à la logique et à la seule analyse catégoriale le soin de le dévoiler. L’analyse phénoménologique ou plutôt phanéroscopique vise précisément à montrer qu’en un sens les catégories elles-mêmes sont impossibles à définir68, qu’elles ne donnent pas l’image qui convient de l’être, et qu’on ne peut saisir ses modalités que comme des tonalités affectives. Ce pourquoi le philosophe doit avoir des qualités de mathématicien, de bull dog et de poète69. Ainsi qualifiée après 1904 (1.284-287), la pharénoscopie sera bien toutefois une procédure formelle d’analyse et non une simple dérivation empirique des catégories, même si elle ne relève pas d’une discipline logique, puisqu’elle ne touche pas aux questions de vérité, n’est susceptible d’être soumise à aucun contrôle et ne met qu’à peine en jeu le raisonnement (2.197). En phénoménologie en effet, « il n’y a aucune affirmation ; ou plutôt, on n’affirme qu’une chose : l’existence de certaines apparences (seemings) », celles-ci ne pouvant du reste en tout rigueur être dites « affirmées » puisqu’on ne peut que les décrire (1.284). Pour éviter toute confusion, on remplacera donc le concept de « phénomène » par celui de « phanéron », ainsi que l’exige l’éthique terminologique stricte à laquelle Peirce est très attaché en philosophie (et dont il trouve le modèle chez Aristote). Le phanéron sera « la totalité collective de tout ce qui, en quelque façon ou quelque sens que ce soit, est présent à l’esprit, tout à fait indépendamment de la question de savoir s’il correspond ou non à une chose réelle » (1.284). Que pourra donc faire le phénoménologue-philosophe ? Tout au plus « conseiller au lecteur de quel côté regarder et voir ce qu’il voit » (2.197).
56Reste que c’est bien la logique sémiotique qui, quelle que soit la méthode retenue (déductive, empirique, inductive ou phénoménologique), dessine le canevas. Sans doute a-t-on raison, dès lors, d’y trouver une inspiration possible pour un néo-aristotélisme du XXIe siècle70 qui souligne la nécessité du point de départ sémiotico-logique et catégoriel pour une réforme de la philosophie71. C’est d’ailleurs parce que ce modèle refond d’emblée le modèle grammatical (dont Peirce a vu très tôt le caractère problématique si l’on voulait établir une liste catégorielle correcte) qu’il coupe court aux critiques qui pourront être adressées au XIXe siècle puis par Benveniste sur le caractère linguistiquement déterminé de la table aristotélicienne. C’est ainsi qu’on le voit refuser d’asseoir la logique sur la grammaire et ironiser sur les « éminents linguistes » tels que Steinthal ou A.H. Sayce (l’auteur de Introduction of the science of Language, 1880) : « Lorsque Sayce dit que “si Aristote avait été mexicain, son système de logique aurait pris une forme entièrement différente”, je suis prêt à admettre qu’il y a une bonne dose de vérité là-dedans (je souligne), mais loin de trouver dans cette remarque le moindre encouragement à se fier aux indications du langage ordinaire comme preuve de la nécessité logique, il me semble que cela va dans le sens directement opposé » (2.69 ; cf. 2. 37 ; 2.67-70).
57Tout en soulignant ce nécessaire point de départ sémiotico-catégoriel, Peirce reste dans le même temps sensible aux impossibles dualismes entre logique et biologie, ontologie et théorie de la connaissance, sciences de la nature et sciences de l’esprit et donc, pour l’essentiel, plus proche d’un horizon pratique aristotélicien que kantien ou transcendantal72.
58Mais pour la même raison, parce que le modèle sémiotique est ce qu’il est, à savoir censé non pas refléter de pures formes, mais rendre compte des catégories de la réalité elle-même (1.300), il est impossible de faire de Peirce (si tant est d’ailleurs que cela ait aussi un sens pour Aristote) un empiriste prônant une pure et simple dérivation naturaliste des normes73. En outre, si la description phénoménologique offre une illustration des catégories telles qu’elles se manifestent dans l’expérience, c’est à la logique et à l’ontologie de nous renseigner sur leur nature.
59Car si l’ambition de la cosmogonie évolutionnaire est bien de nous rapprocher un peu plus de notre monde ambiant, et si ce rapprochement passe par l’élaboration d’une métaphysique scientifique conçue comme une série d’hypothèses susceptibles d’être vérifiées ou réfutées par de futures observations (1.7), c’est une métaphysique qui va de pair avec une forme d’« idéalisme objectif » et de réalisme des universaux74.
60C’est peut-être là que Peirce est le plus authentiquement aristotélicien : dans la conscience aiguë – puisqu’une métaphysique implicite accompagne tous nos jugements (1.129 ; 6.2 ; 2.18.6) – de la priorité de l’investigation métaphysique et du type de méthode à suivre pour y progresser : poser des problèmes, s’appuyer sur la logique, rester en permanence au contact des sciences75. Mais c’est un aristotélicien, comme il le dit lui-même, « de la branche scolastique, proche du scotisme, et allant beaucoup plus loin en direction du réalisme scolastique » (5.77n1).
Notes de bas de page
1 Ms 1604, septembre 1904. La numérotation des manuscrits se fait d’après The Annotated Catalogue of the Papers of C.S. Peirce, établi par Richard Robin en 1967, Amherst, The University of Massachusetts Press. Les autres œuvres de Peirce citées renvoient soit aux Collected Papers of Charles Sanders Peirce en 8 volumes, éd. C. Hartshorne, P. Weiss et A. Burks, Harvard University Press (1931-1958) que nous citons, selon l’usage, par numéro de volume suivi du numéro de paragraphe, soit à l’édition chronologique en cours (6 sur les 30 volumes prévus des Writings of C.S. Peirce : A Chronological edition, éd. M. Fisch, N. Houser et al., Bloomington, Indiana, 1982 (abr. : W suivi du numéro de volume et de page), soit aux comptes rendus parus dans la revue The Nation (abrev. : N suivi du numéro de volume et de page), éd. K. Ketner et J. Cook, 4 vols., Lubbock, Texas Tech Press, 1975-1988, soit aux New Elements of Mathematics (abrev. : NEM, suivi du numéro de volume et de page), éd. C. Eisele, 4 vols. (deux tomes pour le vol. III), La Haye, Mouton, 1975-1976, soit aux Conférences de Cambridge (1898) réunies sous le titre Reasoning and the Logic of Things, éd. K. Ketner et H. Putnam, Harvard University Press, 1992, trad. fr. C. Chauviré, P. Thibaud et C. Tiercelin, Le Raisonnement et la logique des choses (RLC), Paris, édit. du Cerf, 1995. Lorsque les textes cités sont accessibles dans les deux volumes parus (2002 et 2003) de l’édition française des Œuvres philosophiques de C.S. Peirce (par C. Tiercelin et P. Thibaud) en cours aux éditions du Cerf (2002-), nous en donnons la référence comme suit : OP, suivi du numéro de volume et de page.
2 Qu’il tiendra pour l’un des meilleurs qu’il ait écrits, « le cadeau que je fais au monde » (W2, 1). Comme Klaus Oehler l’observe, du début à la fin, Peirce a des remarques sur le traitement aristotélicien des catégories, Sachen und Zeichen, Zur Philosophie des Pragmatismus, Frankfurt am Main, Klostermann, 1995, p. 141. Voir aussi « Peirce contra Aristotle : Two Forms of the theory of Categories », in Proceedings of the C.S. Peirce Bicentennial Congress, K. Ketner (éd.), Amsterdam, 1976, 335-342.
3 Je me permets de renvoyer ici au chap. 1 de La pensée-signe (ci après désignée : PS), Nîmes, J. Chambon, 1993, où j’ai analysé ce parcours.
4 Peirce le reconnaîtra (cf. 1.300) même si, a posteriori, il tendra à presque toujours associer à sa première démarche, Kant et Aristote.
5 Même si le psychologisme de Kant semble en un sens à Peirce assez inoffensif. Sur ce point, PS, p. 31 sq.
6 Cf. C. Tiercelin, « Entre grammaire spéculative et logique terministe : la recherche peircienne d’un nouveau modèle de la signification et du mental », Histoire, Épistémologie, Langage, tome 16, fasc. 1, 1994, 89-121.
7 Cf. Max Fisch et Jackson Cope, « Peirce at the Johns Hopkins University », Studies in the Philosophy of C.S. Peirce, Ph. Wiener and P. Young (eds.), Cambridge, Mass., 1952, 277-311.
8 En fait, sans un détour rigoureux par la pensée de Duns Scot, la nature du réalisme peircien, clé de voûte de cette philosophie, reste parfaitement hermétique. Cf. C. Tiercelin, « L’influence scotiste dans le projet peircien d’une métaphysique scientifique » in numéro spécial : « Jean Duns Scot, la métaphysique classique », Revue des Sciences philosophiques et théologiques, janvier 1999, 117-134, 125-126.
9 Peirce comprendra tout le parti que l’on peut tirer du traitement scotiste des modalités qui sait tenir compte dans la Consequentia simplex de inesse du facteur temporel (hic et nunc) de la possibilité. Cf. C. Tiercelin, « Logique, psychologie et métaphysique : les fondements du pragmatisme peircien », Zeitschrift für allgemeine Wissentschaftstheorie, XVI/2, 1985, 229-250, p. 244, note 90.
10 I. Boh, « Consequences », Cambridge History of Later Medieval Philosophy, Cambridge University Press, 1982, 300-314, p. 300-310.
11 Voir aussi « Memoranda concerning the Aristotelian Syllogism » (1866), W1, 505-515 et « Upon Logical Comprehension and Extension » (1867), W2, 70-86.
12 W2, 193-272, OP1, 15-107. Voir notamment le troisième : « Fondements de la validité des lois de la logique », où Peirce croit nécessaire de se demander si l’action mentale « vivante » peut être représentée par un syllogisme (cette supposée « formule morte »), et où il analyse les sophismes, insolubilia et fautes de logiques pouvant s’opposer à une telle conception (que pour sa part alors il adopte sans sourciller).
13 Cf. PS, chap. 2, p. 56-64.
14 Pour une présentation des apports de Peirce à l’histoire de la logique contemporaine, cf. C. Tiercelin, intr. à « Sur l’algèbre de la logique » (1885), Logique et fondements des mathématiques, anthologie (1850-1914), Ph. de Rouilhan et F. Rivenc (éds.), Payot, 1992, 143-172.
15 Il a certes été frappé par le chapitre 9 du De Interpretatione mais il partage alors sur ce point, l’opinion « nominaliste » générale de la « puérile naïveté » d’Aristote sur « la grande différence de statut logique entre le futur et le passé » (6.368). Du moins jusqu’à ce que « les progrès ultérieurs de ses propres études le conduisent de force jusqu’à la substance même de ce que dit Aristote » (6.96).
16 Ms 606, p. 25. Max Fisch a analysé cette évolution en 1971 dans un très bel article : « Peirce’s Arisbe : The Greek influence in his Later Philosophy », Peirce, Semeiotic and Pragmatism, Essays by Max Fisch (K. L. Ketner et Ch. Kloesel (eds.), Indiana University Press, Bloomington, 1986, 227-248.
17 Pour les détails, nous renvoyons à M. Fisch, op. cit., p. 230 sq.
18 Pour les références à Philodème, voir CP. 7.60 (1882), 2.741 (1883), 2.38 et 6.98 (1902), 8.379 (1908), et 2.761 (c. 1908).
19 Cité par. M. Fisch, op. cit., p. 346.
20 On se reportera notamment aux Mss 1135 à 1261 (entre 1859 et 1914) : Mss 1135-1142 : notes sur la classification et pour un dictionnaire scientifique des synonymes, sur l’histoire naturelle des mots ; Mss 1143-1177 (voir les entrées de Peirce dans le Dictionnaire Baldwin : 471 p.) ; des spécimens de mauvaises définitions dans le Century Dictionary (18 p). Sur les définitions mathématiques commençant par la lettre « Q » pour le Century Dictionary (Ms 1169) ; 73 p. de définitions mathématiques pour le même dictionnaire (Ms 1170) ; plan (32 p.) d’un dictionnaire scientifique (Ms 1176), etc. Sur la phonétique, la prononciation de l’anglais moderne, l’orthographe, les suffixes latins, les suffixes et préfixes chimiques, les erreurs de prononciation, etc. voir Mss 1178-1213. Pour les Mss 1214, 1215, 1216 : notes sur l’histoire et la terminologie de la grammaire, les temps grammaticaux, les inflexions, le possessif, le génitif, la réforme du langage ; Ms 1218 sur l’usage des virgules ; Mss 1219, 1220, 1221 sur la ponctuation ; Ms 1222 : 70 p. sur la prononciation anglaise à l’ère élizabéthaine ; Ms 1223 : 10 p. sur le son « e » dans « end » ; Ms 1224-1225 : notes sur la grammaire anglaise, l’anglais courant et littéraire ; Ms 1226 : comparaison de plusieurs langues : japonais, tibétain, dravidien, esquimo, etc. à différents égards ; notes sur le langage Adélaïde ; Mss 1227, 1228 : sur les hiéroglyphes égyptiens ; Mss 1229-1233 : 70 p. sur le grec : index à l’introduction des Odes à Horace de C.C. Smith, notes sur les constructions d’Horace en grec, prononciation et grammaire du grec ancien ; comparaison des prépositions grecques et indo-germaniques ; lettre (1904) sur les tétramètres anapestiques dans les Nuées d’Aristophane ; notes sur les termes de couleur en grec et en latin, etc. ; Ms 1234 : sur la grammaire allemande ; Ms 1235 : sur l’italien ; Ms 1236 : principes de grammaire espagnole ; Ms 1237 : 34 p. sur une règle mnémonique pour l’utilisation de « à » et de « de » avec les verbes infinitifs français suivant les verbes personnels ; Mss-1242-1261 : études comparées (plus de 200 p.) sur l’arabe, le grec, le latin, l’égyptien, l’hébreu, le cunéiforme, le tagalog, le hongrois, plusieurs dialectes (gaélique, gallois), études des cardinaux et des ordinaux dans plusieurs langues (cf. Ms 1590).
21 Cf. N3, 34 ; il fait aussi l’éloge de Trendelenburg : W2, 106, 276 ; W4, 487 ; N1, 25 ; N1, 38 ; N2, 74 ; 1.617 ; 2.387-8, 554. À plusieurs reprises, il indique la nécessité d’une lecture attentive du texte grec (par ex. 2.37n1 ; 2.445n1) et ironise sur les « envolées fumeuses et rhétoriques » de Prantl (OPI, 333).
22 Essentiellement, True Intellectual System of the Universe, 1678 (réimpr. 1845, édition utilisée par Peirce). En l’absence des Epicurea d’Usener (1887), des Stoicorum veterum fragmenta (1905-1924) et des Fragmente der Vorsokratiker de Diels (1903), c’est « dans » Cudworth que beaucoup continuent de lire les philosophes grecs. Quant à Épicure, Peirce s’appuie beaucoup sur les interprétations de Gassendi (popularisé en Angleterre par Walter Charlton, Physiologia Epicuro-Gassendo-Charltoniana : or a Fabrick of Science Natural, upon the Hypothesis of Atoms, Londres, 1654, Johnson Reprint Corporation, 1966), au point, du reste qu’il a tendance à assimiler Épicure, Aristote et Gassendi. Cf. M. Fisch, op. cit., p. 236.
23 Cf. M. Fisch, op. cit., p. 242-244.
24 Cf. MSS 432-434. Sur les relations à Platon, voir M. Fisch, op. cit., p. 233, 240 et 246. Sur Platon, voir Mss 973, 974, 975, 976, 977, 978 (chronologie des Dialogues établie par des développements stylistiques), 979, 980, 981, 982, 983 984, 985, 986 (traduction du début du Cratyle), 988 (Notes (22 p.) sur l’Apologie, Criton, Gorgias, Phédon, Protagoras et République), 989, 990 (sur le Philèbe).
25 C. Tiercelin : « Peirce’s Realistic Approach to Mathematics : or Can one be a Realist without being a Platonist ? », Charles S. Peirce and the Philosophy of Science, E.C. Moore (ed.), The University of Alabama Press, Tuscaloosa and London, 1993, 30-48.
26 Brièvement : la Priméité est la conception de l’être ou de l’exister indépendamment de toute autre chose, la Secondéité, la conception de l’être en relation, en réaction avec quelque chose, la Tiercéité enfin, la conception de la médiation, par laquelle un Premier et un Second entrent en relation (6.32).
27 Sur tout ceci, cf. PS, p. 284-296.
28 Cette tendance à agir foncièrement indéterminée et générale (5.538) ne se limite pas à l’activité humaine ; elle est présente dans toute la nature, y compris dans un dé (2.664).
29 Ainsi, par exemple, le sens du terme « dur » ou de la proposition « ceci est dur » peut s’exprimer sous la forme suivante : non rayable par plusieurs autres substances » ou « ceci ne sera pas rayé par d’autres substances », sous la forme d’un ensemble de conditionnels dont l’antécédent spécifie quels seraient les résultats observables qui s’ensuivraient si ces opérations étaient effectuées et si la proposition était vraie. L’évolution de la « maxime pragmatiste » vers le « réalisme scolastique extrême » va consister à interpréter de façon subjonctive le conditionnel et à dire que parler de la dureté du diamant c’est tenir pour « un fait réel qu’il résisterait (would) à la pression » (8.208 ; cf. 543). Cf. C. Tiercelin, Peirce et le pragmatisme, Paris, PUF, 1993, 28-42.
30 Que Peirce complètera par « l’agapisme » ou l’accroissement de la raisonnabilité concrète (5.4), indispensable pour comprendre le passage du « vague au défini » (6.191).
31 Non sans avoir commencé par Épicure en qui il voit, un allié, non en raison de son atomisme – ici, Peirce est Boscovichien (6.242), mais parce que l’hypothèse de la déclinaison des atomes, lui semble d’abord un bon moyen de battre en brèche le nécessitarisme, l’ennemi à abattre dès 1887 (cf. 6.35-65) et de faire dériver le cosmos du hasard La déclinaison deviendra d’ailleurs l’un des paradigmes peirciens de la catégorie de Priméité (6.201 ; 6.33-36 ; 1.362). Pourtant ni Épicure ni les cosmologistes pré-socratiques ne seront finalement jugés aussi « évolutionnistes » qu’Aristote. Mais Peirce fait souvent sur ces auteurs des raccourcis saisissants (M. Fisch, op. cit., p. 235).
32 Peirce aura jusqu’à une date assez tardive des réticences à l’égard de Darwin : bien qu’il en ait vu dès 1859 l’importance (5.64), et en dépit de son admiration pour la simplicité de la théorie, l’élève d’Agassiz considèrera toujours plus ou moins qu’elle est « l’Évangile de la Cupidité », « ne faisant qu’étendre au règne animal et végétal des thèses politico-économiques sur le progrès » (6.293 ; Ms 954).
33 Ms 278, cité par M. Fisch, op. cit., p. 233. Lorsqu’en 1905, Peirce distinguera « cinq degrés d’originalité en matière de logique » (Ms 816) il aura ces mots : « Le premier degré et le plus élevé consiste à montrer pour la première fois qu’un élément quelconque, aussi vaguement soit-il caractérisé, est un élément qu’on doit reconnaître comme distinct des autres. C’est dans de tels accomplissements qu’Aristote est incomparable. On pourrait tirer de ses écrits des exemples à la pelle. Je ne mentionnerai que ses définitions ; sa définition de la continuité suffirait, quand bien même ce serait la seule ».
34 Cf. la huitième des conférences Cambridge, dans Le Raisonnement et la logique des choses (RLC), op. cit., p. 311-341 et les analyses éclairantes données en introduction par H. Putnam sur la dette de Peirce envers Aristote, en particulier, p. 57-74. Ce texte a été repris et complété dans « Peirce’s continuum », Peirce and Contemporary Thought, K. Ketner (ed.), Fordham University Press, New York, 1995, 1-22.
35 À laquelle il reproche de trop « tourner autour de considérations métriques », de définir une série parfaite comme une série contenant « tous ses points », mais « sans donner la moindre idée de ce que sont ces points ni comment ils sont reliés » (Ms 14, N.E.M. II, p. 48) ; bref de ne pas donner une notion distincte de ce que sont les composants de la conception de la continuité. Cette conception « enveloppe ingénieusement ses propriétés dans deux colis séparés, mais elle ne les déploie pas devant notre intelligence » (6.121).
36 Peirce a été l’élève de Klein, de Cayley, de Sylvester et de Listing, en un mot de tous ceux qui, au XIXe siècle, ont contribué à donner leurs lettres de noblesse à la topique géométrique. Sur la topologie peircienne, voir le volume II des New Elements of Mathematics, notamment, p. 165, p. 270-272.
37 Selon la formulation de H.J. Waschkies, « Mathematical continuum and continuity of movement », La physique d’Aristote et les conditions d’une science de la nature, F. De Gandt et P. Souffrin (éds.), Paris, Vrin, 1991, 151-179. Cf. Physique V, 3, 287a10-18, trad. P. Pellegrin, Paris, Seuil, GF-Flammarion, 2000, p. 287-288. Voir aussi Métaphysique K, 12, 1069a5.
38 G. Granger, La théorie aristotélicienne de la science, Paris, A. Colin, 1976, p. 305).
39 Granger, ibid.
40 L’espace nous manque pour analyser une autre caractéristique que Peirce partage avec le traitement par Aristote du continu, à savoir, non seulement une conception continuiste de l’espace, ainsi que du temps et du mouvement, mais l’idée que « la continuité de l’un quelconque des trois quanta entraîne la continuité des deux autres ». Cf. A. Laks, « Épicure et la doctrine aristotélicienne du continu », La physique d’Aristote et les conditions d’une science de la nature, op. cit., 181-194, p. 188.
41 H. Putnam, op. cit., p. 57-58.
42 Putnam, op. cit., p. 69.
43 Ibid., p. 58.
44 Cf. G. Granger, « Aristote, Bolzano : le continu », Études Philosophiques, 1964, 513-523, p. 522.
45 Cette « temporalisation » du principe de plénitude se retrouvant de façon typique dans l’évolutionnisme radical ou absolu de Bergson. Cf. A. Lovejoy, The Great Chain of Being, Harvard Univ. Press, 1933, p. 316-317 et P. Engel, « Plenitude and Contingency : modal concepts in nineteenth century French Philosophy », dans Studies of the History of Modal Theories from Medieval Nominalism to Logical Positivism, S. Knuuttila édit., Kluwer, 1988, p. 179-237. De ce point de vue, Peirce oppose sans doute moins Duns Scot à Aristote que certains n’ont pu le faire, visant à opposer le possible scotiste au modèle « statistique » (et « déterministe ») d’Aristote. Cf. J. Hintikka, « Gaps in the Great Chain of Being : an Exercise in the Methodology of Ideas », Reforging the Great Chain of Being, Studies of the History of Modal Theories, S. Knuuttila (ed.), Dordrecht, Reidel, 1981, 1-17 et « Aristotle on the Realization of Possibilities in Time », ibid. 57-72. S. Knuuttila a souligné l’originalité du traitement scotiste des modalités, lequel rompt selon lui avec le schéma statistique et le principe de « plénitude » pour introduire à une définition nouvelle de la possibilité et de la contingence. Cf. « Time and Modality in Scholasticism », Reforging the Great Chain of Being, 163-257. Mais il convient sans doute de nuancer cette opposition, comme l’a montré R. Sorabji, Necessity, Cause and Blame, Duckworth, Londres, 1980, p. 129, 132-134, 137 sq. De toute évidence, en tout cas, comme nous le verrrons plus bas, Peirce tire Aristote du côté de l’indéterminisme plutôt que du déterminisme. Aussi voit-il en lui un allié de son combat contre le nécessitarisme.
46 Putnam, op. cit., p. 74.
47 Physique, 207 a1. ; trad. Pellegrin, op. cit., p. 192.
48 Ainsi, pour Ph. H. Wang, « Aristotle and Peirce on Chance », C.S. Peirce and the philosophy of science, op. cit., 262-278, Peirce se tromperait donc sur les concepts aristotéliciens de hasard et de spontanéité, ne voyant pas que pour Aristote tous deux dénotent l’absence moins d’une cause que d’une intention (op. cit., p. 273). Hasard et spontanéité sont bien des choses qui se produisent « en vue de quelque chose » (2.8, 196b21-22). Toutefois, comme R. Sorabji l’a suggéré, il n’est pas sûr que les accidents qui semblent bien n’être ni nécessités ni causés ne constituent pas une exception au déterminisme causal, op. cit., p. 17. Reste qu’Aristote fait sûrement moins appel à la chance au sens de tychê que ne le voudrait Peirce, dans la mesure où la tychê est d’abord et avant tout ce qui s’oppose à la finalité et à l’intention (op. cit. p. 152 et p. 177n1). Et lorsque, dans De la Génération et de la corruption, Aristote envisage l’hypothèse d’Empédocle du « mélange fortuit » d’éléments comme cause possible de la génération des êtres naturels, c’est pour lui opposer la thèse de la proportion comme constituant « la nature de chaque chose », laquelle est « la cause en question », ou « la substance formelle » (2,6, 333b12-16).
49 En vérité, l’indéterminisme épistémique qui devait s’épanouir avec Heisenberg en 1905 était déjà bien connu des milieux scientifiques du XIXe siècle (Voir par ex. les vues de Clerk Maxwell sur le déterminisme dans The Collected Scientific Papers of James Clerk Maxwell, ed. W.J. Niven, Cambridge University Press, 1890, vol. II, p. 760.
50 Par ex. A.A. Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique (1851), Œuvres Complètes, édition J.C. Pariente, Vrin CNRS, Paris, 1975. Peirce sera l’un des premiers à voir la base statistique du raisonnement de Darwin dans l’Origine des Espèces (1859). Selon Ph. Wiener, il est aussi le premier à avoir analysé la relation qui existe entre les méthodes statistiques utilisées dans la formation des théories en physique, en sociologie et en économie, d’une part, et l’idée darwinienne de variation fortuite d’autre part ; Évolution and the founders of pragmatism, Philadelphia, Univ. of Pennsylvania Press, 1972, p. 82.
51 « La potentialité originelle est la matière aristotélicienne ou l’indéterminité à partir de laquelle l’Univers s’est formé » (6.206). Cf. Métaphysique Z 3. 1029 a 20-22 : « J’appelle matière ce qui n’est pas soi, ni existence déterminée, ni d’une certaine quantité, ni d’aucune autre des catégories par lesquelles l’Être est déterminé ». « Pour Aristote, dit Peirce, l’embryon est l’être qu’il appelait matière » (1.22).
52 Qui a tort de penser, non que l’univers est rationnel, mais qu’il est, parce que rationnel, contraint d’être tel qu’il est (6.218).
53 Comme je l’ai montré ailleurs, ce sont là des thèmes que l’on retrouve aussi à la même époque chez Ravaisson, Maine de Biran, Boutroux ou Bergson. Notons toutefois une différence de taille entre Peirce et la plupart des spiritualistes français : son refus de limiter le mental au domaine de la conscience ou du moi. Cf. « Le projet peircien d’une métaphysique scientifique réaliste », op. cit., 168sq.
54 En définitive, la loi de l’habitude est donc la loi de l’esprit. Aussi la métaphysique de l’évolution parvient-elle à l’idée que le cosmos est « vivant », le monisme ou l’identité de la matière et de l’esprit apparaissant dès lors comme une conséquence naturelle de la métaphysique : « La seule théorie intelligible de l’univers est celle de l’idéalisme objectif, selon lequel la matière est de l’esprit dégénéré, des habitudes invétérées devenant des lois physiques » (6.25 ; 6. 101 ; 6. 158 ; 6. 261 ; 6. 264 et 6.605). Aussi l’évolution rejoint-elle en définitive l’action de l’amour (dite agapisme) ou de la « Règle d’or » (6.288 ; 6.306).
55 Nous avons proposé une évaluation de cette cosmologie au regard de la science in « Le projet peircien d’une métaphysique scientifique », op. cit., 2003, p. 173-176. On peut aussi se demander si la métaphysique indéterministe proposée n’est pas finalement mieux adaptée à ce que nous enseignent la physique et l’histoire des sciences contemporaines (Voir par ex. P. Suppes, Probabilistic Metaphysics, Oxford : Blackwell, 1984).
56 « The Role of Potentiality in Peirce’s Tychism... », C.S. Peirce and the Philosophy of Science, op. cit., et « Peirce on Continuity and Laws of Nature », Transactions of the C.S. Peirce Society, 1997, vol. XXXIII/no 3, 646-678. C’est aussi ce qui lui donne sa fécondité à la lumière des analyses contemporaines menées en mécanique quantique qui insistent sur le caractère indéterminé de la loi et sur la variété qualitative de la nature (op. cit., p. 252 sq.) Beaucoup estiment, à juste titre, que les analyses menées par Peirce en ce domaine, et notamment ce qu’elles doivent à l’aristotélisme constituent une contribution importante à la détermination de la philosophie de la physique contemporaine. Cf. Peder Voetmann Christiansen, « Peirce as Participant in the Bohr-Einstein Discussion », C.S. Peirce and the philosophy of science, op. cit., 223-232, et dans le même volume, Eliseo Fernandez, « From Peirce to Bohr : Theorematic Reasoning and Idealization in Physics », 233-245, Demetra Sfendoni-Mentzou, « The Role of Potentiality in Peirce’s Tychism and in Contemporary Discussions in Quantum Mechanics », 246-261 et Philip H. Wang, « Aristotle and Peirce on Chance », 262-278. On sait la fortune qu’auront ces thèmes aristotéliciens au XXe siècle, aussi bien chez Heisenberg (1958) que chez Popper (1982). Aujourd’hui ces thèmes sont repris par ceux qui, dans le sillage néo-aristotélicien de Peirce ou de Popper, prônent le retour à la valeur explicative des « possibles réels » pour les lois de la nature, tels qu’ils s’incarnent dans des pouvoirs, habitudes, dispositions ou propensions à l’œuvre dans l’univers physique. La littérature est très abondante. Voir par ex. Brian Ellis, Scientific Essentialism, Cambridge University Press, 2001.
57 La spontanéité étant un terme qui a plus d’extension que le hasard. « En effet tout ce qui se produit par hasard se produit spontanément, alors que toute spontanéité ne se produit pas par hasard » (Physique, 2, 6 197a33-197b37).
58 De Aristotelis categoriis, Berlin, 1833 et Geschichte der Kategorienlehre, Berlin, 1846.
59 Hermann Bonitz, Über die Kategorien des Aristoteles, Sitzungsberichte der kaiserl. Akad. d. Wiss., Phil. -hist. Kl., vol. X, Vienne, 1853, p. 622. Réimpr., Darmstadt, 1967.
60 F. Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles, Fribourg en Brisgau, 1862, Hildesheim : Olms, 1960, trad. fr. pr P. David, De la diversité des significations de l’être d’après Aristote, Paris, Vrin, 1992.
61 H. Bonitz, op. cit., p. 622.
62 F. Trendelenburg, op. cit., p. 6, 18-20.
63 Pour qui le statut des catégories est vu comme se trouvant « à l’intersection de la logique, de l’ontologie et de la gnoséologie », seule étant récusée la grammaire. P. Aubenque, Concepts et catégories dans la pensée antique, P. Aubenque (éd.), Vrin, 1980, préface, p. VII. Cf. Simplicius, In Aristotelis Categorias Commentarium, éd. C. Kalbfleisch, Berlin, 1907.
64 Bonitz, op. cit., p. 622.
65 Avec lequel, par ailleurs, il aurait pu partager certaines conceptions, dont, chez l’auteur de la Psychologie d’un point de vue empirique, des arguments en faveur de l’intentionnalité (fortement inspirées, elles aussi, des scolastiques) ou sur l’aide que peuvent apporter à une « psychologie descriptive » certaines généralisations inductives et génétiques. Car l’une des caractéristiques majeures du projet peircien, dont est en permanence maintenue l’exigence formelle, est le refus d’un partage strict entre immanence et transcendance ou entre ce qui relèverait de la conscience interne et ce qui appartiendrait au monde extérieur.
66 Voir le chapitre IV de F. Brentano, op. cit.
67 Sur le sens et la portée de cette critique, cf. J.F. Courtine, « La critique heideggerienne de l’analogia entis », in Les catégories de l’être, Paris, P.U.F., 2003, p. 215-217. Si Peirce, comme Heidegger, prône en un sens de plus en plus l’acception de l’être selon le couple dynamis-energeiai (comme chez Heidegger à partir de 1930), ce couple n’a pas toute la place. Peirce n’est pas loin de penser, comme Brentano, que la question de l’être et de ses acceptions multiples se concentre (même si elle ne s’y épuise pas) dans l’analyse catégoriale, mais entendue, pour lui (et la différence est de taille), à la lumière de la réélaboration logique (sémiotique) des figures de la prédication.
68 Peirce voudrait les rendre « aussi vives, aussi incontestables aussi rationnelles qu’elles lui semblent à lui » (2.79 sq.). Mais il admet qu’il est « absolument hors de question » de rêver d’une « conception absolument pure d’une catégorie » (2.86 ; 2.117-118). On peut donc dire que Peirce, comme Heidegger, veut rendre compte du « bougé » ou du « flottement » des analyses aristotéliciennes (cf. là dessus Interprétations phénoménologiques d’Aristote, tableau de la situation herméneutique, trad. J.F. Courtine, TER, Mauvezin, 1992, notamment, p. 49, 50, 51, 52). Mais ce qu’on pourrait appeler, en un sens aussi chez le fondateur du pragmatisme, la reconduction par delà l’analyse prédicamentale du legein ou du logos à l’expérience (au « commerce » avec le monde-ambiant) du produire et de « l’agir » ne signifie pas que cette expérience soit tenue pour « plus fondamentale ». Cela s’énonce plutôt chez Peirce comme une sorte de jeu de « suivez-le guide » qui le conduit à dérouler les catégories, comme il le fait dans A Guess at the Riddle (Chercher le fin mot de l’énigme), « d’un champ de la pensée à l’autre », logique, psychologie, physiologie du système nerveux, théorie du protoplasme en général, puis sociologie et théologie » (1.364 sq.).
69 Cf. PS, p. 13-26.
70 Voir par ex. Dieter Münch, « Zeichenphilosophie und ihre aristotelischen Wurzeln », Zeitschrift für Semiotik, 22, 3/4, 2000, 287-340. On peut considérer H. Putnam comme l’un de ceux qui mettent aujourd’hui le plus brillamment en œuvre ce programme, explicitement inspiré d’Aristote et du pragmatisme (pas seulement peircien au demeurant). Cf. C. Tiercelin, Hilary Putnam, l’héritage pragmatiste, Paris, P.U.F., 2002.
71 Pour des raisons assez voisines que je ne puis détailler ici, J. Habermas inverse les choses lorsqu’il présente Peirce comme l’un de ceux qui aurait vu dans la situation de parole et de rationalité communicationnelle le fondement de la sémiotique. Klaus Oehler, « A response to Habermas », Peirce and Contemporay Thought, op. cit., 26-271, p. 269. Voir Habermas dans le même volume, 243-266.
72 Je partage les mêmes réserves que D. Münch, Ch. Hookway ou K. Oehler envers ceux qui, comme K.O. Apel, voient en Peirce le fondateur d’une recherches transcendantale des fondements de la sémiotique. Cf. Oehler, Sachen und Zeichen, op. cit., p. 186, et « Is a Transcendental Foundation of Semiotics possible ? », Transactions of the C.S. Peirce Society, XXIII, 1987, 45-62, C. Hookway, « Pragmaticism and ‘Kantian realism’ », Versus 49, 1988, 103-112. Comme le rappelle Oehler, Peirce a même décrit la méthode transcendantale comme de « l’occultisme » (3.422) (op. cit., p. 268). Voir aussi 2.113 sur les « apothicaires transcendantaux » (2.113).
73 Il s’agit là d’un point très délicat que j’ai essayé d’analyser ailleurs. Cf. « Peirce on norms, evolution and knowledge », Transactions of the C.S. Peirce Society, 1997, vol. XXXIII, no 1, 35-58 ou « L’empire du sens fait-il partie de l’empire de la nature », Critique, 612, 1998, 246-267.
74 J’ai tenté de dégager les principes qui animent cet idéalisme dans « Sur l’idéalisme de Peirce », Revue Philosophique, no 3, 1997, 337-352.
75 Méthode que j’ai moi-même prônée in « La métaphysique », Notions de philosophie, vol. II, D. Kambouchner (ed.), Paris, Gallimard, 1995, réimpr. 2003, 387-500.
Auteur
Professeur à l’Université de Créteil – Paris XII, membre de l’Institut Jean Nicod.
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