La doctrine aristotélicienne de l’être chez Brentano et son influence sur Heidegger
p. 276-293
Texte intégral
1. Quel Brentano ?
1Traiter de manière adéquate le triangle Brentano-Aristote-Heidegger signifie d’abord éviter tout anachronisme. D’où la question préalable : quel est le rapport de Brentano à l’aristotélisme ? Autrement dit, et plus précisément : peut-on qualifier sa pensée d’aristotélicienne ? Et en quelle mesure ?
2En effet, l’œuvre de Brentano est caractérisée par deux centres de gravité, par deux intérêts philosophiques différents, qui ont donné lieu a une influence bifurquée de sa pensée. D’une part, il y a l’intérêt pour la psychologie. Comme on sait, Brentano la conçoit en termes de psychologie descriptive – ou psychologie phénoménologique, distinguée de la psychologie génétique – et il ne lui assigne plus la tâche traditionnelle d’une spéculation sur l’âme pensée comme substance simple et immortelle, mais celle d’examiner à l’aide de critères scientifiques uniquement les phénomènes psychiques. Il parle – utilisant une expression paradoxale tirée de l’Histoire du matérialisme (Geschichte des Materialismus) d’Albert Lange – d’une « psychologie sans âme », et dans sa Psychologie du point de vue empirique, il essaie de la fonder comme discipline scientifique1.
3D’autre part, Brentano cultive un autre intérêt qui ressort de son appartenance déclarée à la tradition aristotélico-scolastique : l’intérêt pour la métaphysique et ses grandes questions traditionnelles. Grâce à une connaissance excellente du corpus Aristotelicum, qu’il avait étudié à fond et traité dans une série de travaux, il développe une doctrine de l’être et des catégories tout à fait originales.
4Sur ce double esprit qui vivifie la recherche philosophique de Brentano il y a un témoignage important, celui de Heidegger. Au début de sa formation philosophique Heidegger eut l’occasion de s’occuper de l’œuvre brentanienne, tant de son côté aristotélicien que de sa psychologie descriptive, et dans ses confessions autobiographiques il est revenu plusieurs fois sur ce point. Notamment à l’occasion d’un séminaire sur les Recherches logiques de Husserl, qui eut lieu en 1973 à Zähringen, chez lui, Heidegger raconta aux participants qu’il avait commencé son chemin philosophique avec le même philosophe quel Husserl, à savoir Brentano. Mais à la différence de Husserl, qui était parti de la Psychologie du point de vue empirique, lui-même il avait commencé à s’intéresser à la philosophie par la lecture de la dissertation Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles [De la signification multiple de l’étant selon Aristote]. À ce propos Heidegger observa avec un sourire malicieux : « Mon Brentano, c’est celui d’Aristote ! »2.
5Or, jusqu’à il y a quelque temps, on avait reconnu les mérites de Brentano plutôt dans le domaine de la psychologie, notamment de la « perceptologie », que dans celui de l’ontologie. Mais depuis quelques années un courant philosophique d’orientation analytique a valorisé la doctrines des catégories et l’ontologie de Brentano. Le premier à le faire a été Roderick Chisholm3, suivi par Rudolf Haller qui a situé sa redécouverte du Brentano dans le contexte d’une reconstruction des origines de la philosophie autrichienne, enfin ceux qu’on a appelés les trois « philosophes de Manchester » : Kevin Mulligan, Peter Simons et Barry Smith. Ils soulignent la valeur méthodologique de l’exigence brentanienne d’atteindre en philosophie la même rigueur que les sciences naturelles, de contrôler le langage philosophique afin d’éviter l’emploi des pseudo-concepts, enfin la tentative d’élaborer une ontologie « réiste » – selon la définition de Tadeuzs Kotarbinski (un élève de Kasimir Twardowski, à son tour élève de Brentano) – se basant sur un « détournement du non-réel » (Abkehr vom Nichtrealen) d’après lequel seulement les choses (res) individuelles, dans leur présence temporelle ponctuelle, peuvent être dites réelles, et au contraire tout étant qui n’a pas ce caractère (tels que les entia rationis, les choses passées ou futures) est exclu du domaine de la réalité4. Leur tendance est de décrocher la pensée de Brentano soit de la phénoménologie husserlienne, qui aurait développé l’analyse brentanienne des phénomènes psychiques dans une direction non-scientifique, prétendant entrer dans la vie de la conscience et dans ses contenus noético-noématiques selon une démarche transcendantale. Ce nouveau brentanisme analytique voudrait également séparer l’ontologie brentanienne de toute compromission avec la théologie, la distinguant par là également de la métaphysique aristotélicienne.
6Tout en reconnaissant le caractère stimulant de cette démarche, du point de vue historico-philosophique, il me semble qu’elle ne rend pas justice à la pensée de Brentano dans son intégrité, dans son appartenance déclarée à la tradition aristotélico-thomiste et sa place historique à l’origine du mouvement phénoménologique. Certes, la pensée de Brentano ne se laisse réduire ni à cette tradition ni à cette situation, mais il ne fait aucun doute que deux âmes vivent en elle : celle du fondateur de la psychologie phénoménologique et celle du métaphysicien à l’ontologie d’inspiration aristotélicienne5.
7À ce propos il faut dire un mot sur la déclaration programmatique bien connue de Brentano dans sa quatrième thèse pour l’habilitation à l’enseignement universitaire. Il y déclare que la véritable méthode de la philosophie ne peut être que celle des sciences naturelles : vera philosophiae methodus nulla alia nisi scientiae naturalis est6. Cette thèse va apparemment dans la direction d’une philosophie anti-métaphysique conçue comme ancilla scientiae. En réalité, à bien y regarder, elle n’est en rien une déclaration contre la métaphysique en faveur de l’empirisme et du positivisme. Sa cible polémique ce sont plutôt les constructions spéculatives de l’idéalisme, contre lesquelles Brentano exprime effectivement l’exigence que la philosophie procède dans son domaine de la même rigueur que les sciences naturelles, et donc qu’elle évite dans le traitement de son objet toute considération étrangère et hétérogène à celui-ci. En ce sens, même la métaphysique doit procéder selon l’idéal d’une méthode scientifique rigoureuse. Comme Oskar Kraus le raconte, à l’occasion de la discussion orale de sa thèse Brentano essaya de montrer comment même la philosophie première d’Aristote se sert de la méthode des sciences naturelles et comment même la métaphysique doit devenir ce qu’on appela à l’époque, par un intéressant néologisme, une « métaphysique inductive »7. De plus : Brentano se proposait de conclure sa Psychologie avec un dernier livre où il aurait voulu démontrer l’immortalité de l’âme. En ce sens il faut rappeler l’avis de Dilthey qui dans une lettre à son ami le comte Paul Yorck von Wartenburg de l’automne 1882 lui raconte d’une visite de la famille Brentano, se souvenant de Franz comme d’un métaphysicien scolastique : « Les Brentano étaient venus nous voir à Vulpera, y compris son frère de Vienne avec lequel j’ai philosophé. Il est resté un métaphysicien médiéval »8.
8Quant aux motifs qui lient la pensée de Brentano à la phénoménologie, il faut dire d’une part qu’il prit ses distances de Husserl, notamment en ce qui concerne la question du temps, à propos de laquelle Brentano disait que son élève avait endossé les vêtements que lui-même avait cessé de porter9. Mais, de l’autre côté, sa distinction entre les phénomènes psychiques et les phénomènes physiques – qu’il introduit à l’aide du critère de l’intentionnalité fondant par là contre les tendances de la psychophysiologie de son époque la possibilité d’une psychologie philosophique (dite aussi descriptive ou phénoménologique) – le situe au début de l’histoire du mouvement phénoménologique.
9Dans les considérations suivantes j’essaierai d’esquisser un aperçu de la compréhension brentanienne de l’être et de sa doctrine des catégories. Une tâche qui est compliquée par le fait que Brentano emprunte sa démarche à Aristote, mais développe, sollicité par son intérêt spéculatif, une ontologie tout à fait originale, qui se réclame d’Aristote mais qui finalement – comme je voudrais montrer – s’en écarte considérablement.
2. L’aristotélisme berlinois, le nouvel esprit scientifique et la psychologie
10Pour comprendre la doctrine brentanienne des catégories il faut d’abord la situer dans son contexte historico-philosophique, évoquant que l’atmosphère générale de l’époque était marquée par l’exigence de redonner à la philosophie un caractère scientifique et que ce renouveau fut mis en oeuvre suivant le paradigme scientifique offert par la psychologie, qui allait conquérir, dans l’Allemagne de la seconde moitié du XIXe siècle, la position de discipline fondamentale10.
11Brentano interpréta ce renouveau selon l’esprit de l’aristotélisme dans lequel il s’était formé à l’école de Adolf Trendelenburg (1802-1872), qui à l’Université de Berlin s’était opposé à Hegel reprenant les études de philologie classique de Schleiermacher et Boeckh et contribuant à la tradition de l’aristotélisme berlinois avec des représentants célèbres tels qu’Immanuel Bekker (1785-1871), Hermann Bonitz (1814-1888), Valentin Rose (1829-1916), Hermann Karl Usener (1834-1905), Hermann Diels (1848-1922) et Werner Jaeger (1888-1961)11.
12Brentano étudia à fond la pensée d’Aristote à partir de sa thèse de doctorat présentée in absentia à Tubingue sous l’intitulé Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles (Herder, Freiburg, 1862). Elle est dédiée à son maître Trendelenburg, dont Brentano toutefois ne suit pas la lecture kantienne d’Aristote. Il s’approche plutôt de l’interprétation scolastico-thomiste – soit dit en passant, en 1864 il prend les voeux dans le cloître des dominicains à Graz – et il déclare apertis verbis sa préférence pour Thomas d’Aquin : Aristoteles sine Thoma mutuus est. Il écrit en outre à l’adresse des interprètes modernes : « Les commentaires méprisés d’un Thomas d’Aquin étaient en mesure de bien mieux saisir le sens et d’envisager bien plus profondément les raisons de quelques uns des points de doctrine les plus obscurs d’Aristote que nos modernes historiens. » Et à l’égard de Trendelenburg : « Dans mon Multiple signification de l’étant selon Aristote, j’ai exposé cela pour le principe de la division des catégories en telle sorte que Trendelenburg, qui avait tout particulièrement étudié la chose et polémisé abondamment contre mon traité, se déclara persuadé »12.
13De même dans la thèse présentée pour obtenir la venia legendi, La psychologie d’Aristote, en particulier sa théorie du νοῦς ποιητικός13, il montre son originalité par rapport à Trendelenburg et à des spécialistes d’Aristote de son temps tels que Christian Brandis, Félix Ravaisson, Ernest Renan et Eduard Zeller, essayant une reconstruction systématique de la théorie aristotelicienne de l’âme. Ici, et en général, son intérêt principal est adressé moins à la restitution philologique qu’à la solution théorique des problèmes abordés, ce qui le conduit parfois à forcer les textes – comme dans le cas de l’essai Sur l’action du dieu d’Aristote [Über das Wirken des Aristotelischen Gottes] publié à la fin de la thèse d’habilitation, qui sera à l’origine d’un différend avec Eduard Zeller14.
14En effet, l’explication avec Aristote fournit à Brentano le fil conducteur pour mettre en place une recherche philosophique orientée sur les choses elles-mêmes. La pensée d’Aristote devient pour lui le modèle d’une recherches philosophique fidèle à l’esprit et la méthode scientifique. En ce sens il n’hésite pas à intégrer l’aristotélisme avec l’idée de science du positivisme (notamment de Comte et de Stuart Mill). Ce qui explique le caractère de ses recherches dans le domaine de la psychologie, où il pratique cet idéal de science, et qui permet de voir la connexion entre ses deux champs d’intérêt autrement séparés, la psychologie et l’ontologie.
15Aristote devient donc le guide pour obtenir la rigueur scientifique que Brentano – suivant la nouvelle conscience critique de son temps – ne voit pas dans les constructions métaphysiques du dernier idéalisme. En accord avec l’exigence méthodique de son époque, Brentano veut se débarrasser des concepts idéalistes, abstraits et vides, s’appuyant uniquement sur les faits de l’expérience (Erfahrungstatsachen).
16Dans ce cadre, la psychologie reçoit une position éminente dans le système des sciences. Elle devient une discipline fondamentale et fondatrice, dont l’importance s’étend au dehors de son champ épistémique spécifique. Par exemple dans les sciences historiques – où s’affirme surtout grâce à Dilthey l’idéal d’un savoir scientifique, objectif et rigoureux – elle est regardée comme discipline paradigmatique dans la discussion sur la méthode adéquate à la fondation de l’étude de l’histoire. Mais en philosophie également, elle devient une discipline fondamentale, jouant ici un rôle déterminant dans l’éclaircissement de la constitution de l’expérience, dans l’explication de la connaissance scientifique et même dans l’explication de ce que c’est la validité logique. Le grand débat pro et contra le « psychologisme » – qui caractérise la discussion philosophique jusqu’au seuil du XXe siècle – donne l’idée de l’importance de ce phénomène.
17La Psychologie du point de vue empirique se situe dans ce contexte historique, où Brentano intègre la discussion autour de la fonction philosophique fondatrice de la psychologie avec la redécouverte d’Aristote15. Pour ce qui concerne en particulier le fondation épistémologique de la psychologie, le facteur déterminant est l’application de l’investigation de type naturaliste au domaine du psychique. Les phénomènes psychiques deviennent un objet d’observation et d’analyse scientifique au même titre que les phénomènes physiques. Ce qui détermine la naissance de la psychologie comme science ayant pour objet la psyché non plus comme substance simple mais comme la totalité des phénomènes psychiques. Dans sa Psychologie du point de vue empirique, Brentano met au point pour la première fois les problèmes concernant le concept, la méthode, les tâches de cette nouvelle discipline, transformant la psychologia rationalis de type métaphysique dans une science fondé sur l’expérience.
18Mais comment faut-il analyser la psyché sur des fondements scientifiques, c’est-à-dire sur des fondements contrôlables et vérifiables ? Dans le système idéaliste des sciences philosophiques – suivant Hegel – on confiait cette analyse à la phénoménologie, l’héritière de la psychologia rationalis. La nouvelle démarche consiste en ceci, que l’on soumet à une analyse empirico-scientifique non pas la psyché, qui comme substance spirituelle ne se laisse pas observer, mais les modalités dans lesquelles elle se manifeste dans ses effets physiologiques. L’observation empirico-scientifique de ces effets est la voie pour arriver à établir les lois du psychique. Ce qui fait qu’au début la psychologie scientifique est conçue et se développe comme psychologie physiologique ou psychophysiologie. Les Éléments de psychophysique [Elemente der Psychophysik, 1860] de Theodor Gustav Fechner, et les Principes de psychologie physiologique [Grundzüge der Physiologischen Psychologie, 1873] de Wilhelm Wundt, qui précèdent d’un an la Psychologie de Brentano, sont les exemples les plus connus qui témoignent l’effort d’assigner à la psychologie un statut scientifique.
19Dorénavant la psychologie est considérée – selon la dite formule paradoxale d’Albert Lange, reprise par Brentano – comme une « psychologie sans âme ». Le domaine psychique – le mental, la pensée, la conscience – est conçu comme l’objet d’une analyse scientifique séparé du monde extérieur. Cette séparation correspond évidemment à la séparation cartésienne entre res cogitans et res extensa, à la différence près que le psychique n’est plus considéré comme une substance spirituelle mais comme l’ensemble des phénomènes accessibles à la perception interne. En tant qu’homogènes à la conscience, ces phénomènes sont considérés présents à l’esprit d’une évidence que Brentano déclare « directe et non illusoire » (unmittelbar und untrügerisch) – donc non pas d’une évidence simplement phénoménal comme il arrive pour la perception externe. Brentano déduit donc de l’homogénéité entre la perception interne et les phénomènes psychiques l’évidence plus certaine de ceux-ci.
20La tâche de la psychologie n’est plus par conséquent d’établir les lois de la manifestation du psychique dans le physique, mais de reconnaître et de classifier les faits de la vie psychique selon un critère adéquat et homogène à la nature du psychique. La Psychologie du point de vue empirique classifie les phénomènes psychiques en trois classes : représentations, jugements, émotions. Le premier livre définit la psychologie comme discipline scientifique, le deuxième donne une classement des actes psychiques. Brentano avait prévu quatre livres ultérieurs qu’il n’arriva pas à écrire : le livres III-IV-V auraient dû traiter les propriétés et les lois de trois types de phénomènes psychiques. Un dernier livre aurait dû s’occuper de la connexion entre le psychique et le corps pour établir finalement s’il y a une continuation de la vie psychique après la dissolution du corps. Ce qui suggère que le point de vue empirique ne signifie pas pour Brentano de renoncer à traiter des questions métaphysiques16.
21L’idée méthodologique selon laquelle la psychologie se fonde sur des bases empiriques ne signifie donc pas que cette science doive se borner aux faits empiriques, mais plutôt qu’elle doit partir d’eux et que l’expérience doit être sa source première, quoique non unique. Il déclare ainsi :
L’intitulé que j’ai donné à mon œuvre la désigne d’après l’objet et la méthode. Mon point de vue en psychologie est empirique : l’expérience est ma seule maîtresse ; mais je partage avec d’autres la conviction qu’une certaine intuition idéale est très bien conciliable avec un tel point de vue.17
22Il s’agit donc de s’en tenir à l’expérience et a sa description phénoménologique rigoureuse, au lieu de dériver la connaissance du psychique à travers un processus de spéculation, d’idéalisation ou de construction. La classification et l’analyse « empiriques » des phénomènes psychiques doivent suivre une voie d’accès originaire pour entrer dans leur champ d’objets, autrement dit elles doivent s’en tenir à la nature et à l’essence même du psychique.
3. La doctrine de la polysémie de l’être et les catégories
23Quant à la doctrine de l’être, il faut distinguer entre la reconstruction brentanienne de la doctrine d’Aristote, d’une part, et le projet brentanien d’une ontologie ou doctrine des catégories, qui se base largement sur Aristote, mais qui ouvre une perspective tout à fait autonome.
24L’originalité de Brentano vient au jour déjà dans sa dissertation de doctorat Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles18. En dépit du jeune âge de l’auteur, il ne s’agit pas seulement d’un travail de présentation, mais d’une tentative de structurer et de résoudre les apories de la difficile doctrine aristotélicienne de la polysémie de l’être. Un travail, donc, qui occupa tout de suite une place importante dans les études aristotéliciennes de l’époque et qui a conservé intacte sa valeur.
25En fait, Brentano entreprend un aperçu concis mais très efficace de la théorie aristotélicienne de l’être, à partir de la célèbre affirmation que l’étant se dit selon des significations multiples (τὸ ὂν λέγεται πολλαχῶς) et essayant de trouver un critère pour articuler et déterminer cette multiplicité. Comme on sait, la particularité de cette doctrine consiste en ceci : que l’être, tout ayant des significations multiples, ne se dit ni selon une homonymie absolue (il n’est pas multivoque selon le hasard, ὁµώνυµον ἀπὸ τύχης) ni selon une synonymie complète (il n’est pas univoque, συνώνυµον ἀπλῶς). Sa polysémie se situe entre ces deux extrêmes : il est multivoque selon un certain critère (ὁµώνυµον ἀπὸ διανοίας).
26On connaît la solution scolastique du problème : c’est la doctrine de l’analogia entis. L’être n’est ni univoque ni plurivoque, mais il se dit selon des significations multiples articulées et coordonnées selon une analogie. La polysémie de l’être est donc réglée par l’unité de l’analogie. Mais la doctrine de la analogia entis est assez controversée soit dans son contenu théorique soit dans son origine historique, et elle attend encore une étude qui fasse définitivement clarté19.
27Dans sa monographie Brentano présente une analyse systématique des significations multiples de l’être, les reconduisant à quatre significations fondamentales, donc réduisant le πολλαχῶς à un τετραχῶς. Mais quelles sont-elles ? Et dans quel ordre et selon quelle organisation réciproque faut-il les concevoir ? Il y a là un premier problème. Car Aristote affirme la polysémie de l’être en plusieurs occurrences, notamment dans les livre Gamma, Delta, Epsilon et Zeta, et à chaque fois il en donne une articulation différente : Dans le livre Gamma (2, 1003 b 6 sqq.) il distingue quatre types d’étants :
Les étants qui sont des substances (οὐσίαι).
Les étants qui possèdent une existence déterminée et accomplie mais qui n’ont pas une subsistance propre (πάθη οὐσίας, ποίοτητες, ποιητικά, γεννητικά).
Les étants en mouvement en tant qu’ils vont vers la génération (ὁδὸς εἰς οὐσίαν) ou vers la corruption (εἰς ϕθοράν). Ce sont des étants qui existent au dehors de l’esprit, réels, mais qui n’ont aucune existence déterminée et accomplie.
Les étants qui ne possèdent aucune forme d’existence au dehors de l’esprit, à savoir les privations (στερήσεις) et les négations (ἀποϕάσεις). En ce sens même du néant on peut dire qu’il « est », et qui serait en ce sens l’étant au statut le plus faible.
28Dans le livre Delta (7, 1017 a sqq.) la quadripartition est effectuée suivant un autre critère. Il y a ici :
le ὂν κατὰ συµβεβηκός et le ὂν καθ’ αὑτό
celui-ci est identifié au ὄν κατά τὰ σχήµατα τῆς κατηγορίας,
le ὂν ὡς ἀληθές,
le ὂν δυνάµει καὶ ἐνεργείᾳ.
29Dans le livre Epsilon (2, 1026 a sqq.) la quadripatition est foncièrement la même, mais elle est modifiée de la manière suivante. On y trouve :
le ὂν κατὰ συµβεβηκός,
le ὂν ὡς ἀληθές,
le ὂν κατὰ τὰ σχήµατα τῶν κατηγοριῶν,
le ὂν δυνάµει καὶ ἐνεργείᾳ.
30Au début du livre Zeta (1, 1028 a 10 sqq.) il y a une autre articulation encore, qui est effectuée διχῶς :
la première signification est celle du τί ἐστιν et du τόδε τι,
la seconde est celle de la qualité (ποιόν), de la quantité (ποσόν) et des autres déterminations catégoriales.
31Or, Brentano considère comme déterminante et complète l’articulation proposée dans le livre Epsilon, et il la prend comme base pour son exposition, analysant pourtant dans sa dissertation la signification catégoriale de l’être comme la dernière et comme la plus importante. D’où la distribution des chapitres de son livre. Après le chapitre d’introduction, il traite :
dans le chapitre II : le ὂν κατὰ συµβεβηκός,
dans le chapitre III : le ὂν ὡς ἀληθές,
dans le chapitre IV : le ὂν δυνάµει καὶ ἐνεργείᾳ,
dans le chapitre V : le ὂν κατὰ τὰ σχήµατα τῶν κατηγοριῶν.
32Or, Brentano déclare que la doctrine de la polysémie de l’être est la porte d’accès à la métaphysique20. Mais toutes les significations de l’être ne ressortissent pas de plein droit à la métaphysique. Seules les significations authentiques qui constituent l’objet de la métaphysique au sens propre. Et donc la tâche préalable est celle de séparer les significations authentiques des celles inauthentiques.
33Mais quel est le critère pour ce faire ? En d’autres termes : comment établir ce qui appartient au domaine métaphysique et ce qui en est exclu ? Le critère adopté est celui du « réel » (distingué de l’« objectif », terme par lequel Brentano indique ce qui existe uniquement dans la dimension mentale). Seul l’étant réel – à l’exclusion du mental – est à plein titre l’objet de la métaphysique, tandis que ce qui existe seulement dans la pensée ne possède pas une dignité métaphysique. Par conséquent la métaphysique est définie soit comme « science de l’étant en tant qu’étant » [Wissenschaft vom Seienden als Seiendem] soit comme « science du réel en tant que réel » [Wissenschaft vom Realen als Realem]21. Et seulement l’étant selon les catégories et l’étant en acte et en puissance sont des significations authentiques qui entrent de plein droit dans l’investigation métaphysique. Par contre l’étant par accident et l’étant comme vrai n’y entrent pas. L’étant par accident car il n’existe pas en soi, mais uniquement par les biais d’un autre, l’étant comme vrai car il n’existe que dans la pensée.
34En outre, parmi les significations authentiques de l’être, Brentano considère celle selon les figures catégorielles comme étant la principale et la déterminante. Ce qui implique que la doctrine de l’être se laisse foncièrement reconduire à la doctrine des catégories, notamment à la doctrine de la substance (οὐσία) conçue comme la première catégorie. L’ontologie est donc ousiologie : l’être est re(con) duit dans l’horizon de la substance, et la substance dans l’horizon du catégoriel.
35Ce qui soulève des questions : quel est en effet le rapport entre l’être et les catégories ? Qu’est-ce que la catégorialité de l’être ? Peut-on dire que la significativité de l’être soit entièrement réductible à la dimension catégoriale ? Ou y-a-il des dimensions de l’être qui ne se laissent pas réduire à celle-ci ?
4. La « déduction » brentanienne des significations de l’être
36L’aspect les plus original de l’interprétation brentanienne, qui fut remarqué déjà à l’époque, est l’effort de trouver un fil conducteur qui permette de considérer la table des significations catégorielles de l’être non pas comme un catalogue casuel, mais comme une classification systématique. Contre la critique kantienne selon laquelle Aristote aurait recueilli sa table des catégories de manière rhapsodique et par hasard22, Brentano essaie de montrer que les multiples significations catégorielles de l’étant peuvent être déduites du concept unitaire de l’être en tant qu’elles dérivent de son articulation systématique, sans qu’elle soient pourtant conçues comme des espèces d’un genre unique.
37Cet effort a évidemment une valeur polémique. Il est adressé contre les trois interprétations dominantes à l’époque, celle logique, celle linguistico-grammaticale et celle ontologique, avec lesquelles il est en débat. Ce sont notamment :
Celle de Christian August Brandis (Handbuch der Geschichte der griechisch-römischen Philosophie, 6 vol., 1835-66) et de Eduard Zeller, qui dénient la nécessité d’établir un principe pour une déduction rigoureuse, et qui soutiennent une interprétation logique : les catégories ne sont pas des concepts réels, mais uniquement les schèmes dans lesquels les concepts réels doivent être ordonnés et catalogués. Elles offrent les aspects ou les perspectives d’où chaque objet possible doit être considéré. Elles forment donc la structure, le Fachwerk, par lequel on distingue et on classifie les objets23. Cette interprétation sous-estime selon Brentano la dimension ontologique des catégories, qui ne sont pas uniquement des concepts, mais également les genres suprêmes de l’être24.
Celle de Adolf Trendelenburg (De Aristotelis categoriis, 1833 ; Elementa logicae Aristoteleae, 1836 ; Geschichte der Kategorienlehre, 1846), Franz Biese (Die Philosophie des Aristoteles, 1835) et Hermann Waitz, qui soutiennent l’origine grammaticale des catégories. Donc une interprétation linguistico-grammaticale. Les catégories sont notamment les concepts suprêmes considérés par rapport au jugement comme des prédicats possibles. Trendelenburg avait notamment essayé de montrer la connexion interne qui subsiste parmi les catégories suivant la structure du langage comme critère déterminant, et il l’avait cernée en particulier dans les connexions grammaticales entre le sujet, l’attribut, le prédicat, le verbe et l’adverbe, qui préfigurent celle logique. Les catégories ont donc une origine grammaticale, et elles sont engendrées par l’articulation du jugement dans ses parties qui peuvent subsister même au dehors du jugement (τὰ ἄνευ συµπλοκῆς). Ce fut d’ailleurs Trendelenburg qui reprit et relança l’objection kantienne selon laquelle la table aristotélicienne des catégorie serait casuelle. Il remarque à ce propos : « Il manque d’abord une explication de l’origine des catégories. On ne voit pas d’où elles viennent et où elles vont. C’est pourquoi Kant les a considérées comme ‘ramassées’ et Hegel comme une simple ‘collection’ »25. Brentano ne refuse pas cette interprétation, mais il en souligne l’unilatéralité26.
Celle d’Hermann Bonitz (Über die Kategorien des Aristoteles, 1853) et d’Heinrich Ritter, qui est une interprétation de type ontologique : les catégories sont les genres suprêmes de l’être, indépendamment de la possibilité qu’ils soient des prédicats. Elles constituent les significations réelles de l’être obtenues par induction, afin d’organiser les représentations empiriques.
38Se rapprochant de cette troisième interprétation, Brentano propose de considérer les catégories comme :
des concepts réels,
des significations analogiques de l’être articulées selon l’analogie de proportionnalité et selon l’analogie par rapport au même terme,
les genres suprêmes de l’être,
les prédicats suprêmes de la substance première.
39Le point crucial de l’interprétation brentanienne est la tentative de contester l’objection kantienne reprise par Trendelenburg, montrant qu’on peut bien trouver chez Aristote un critère pour la classification des catégories : il consisterait dans une « déduction » de celles-ci à partir du concept d’être27. Bien qu’Aristote n’en fasse jamais mention, Brentano suppose donc que la division des catégories ait été faite selon une déduction diairétique. Il serait impensable – voici son argumentation – qu’Aristote, ayant la possibilité d’une preuve syllogistique (πίστις διὰ συλλογισµοῦ) se soit servi seulement d’une preuve inductive (πίστις διὰ τῆς ἐπαγωγῆς). En plus l’expression qui revient plusieurs fois « les catégories qui furent partagées » (αἱ διαιρεθεῖσαι κατηγορίαι, An. prior. I, 37 ; Top. IV, 1 ; de anima I, 1, 402 a 24 ; 5, 410 a 14) suggère explicitement une dérivation ou division des catégories à partir de l’être. Elles seraient donc établies par les biais d’une véritable partition de l’être (διαίρεσις τοῦ ὄντος).
40Il faut pourtant préciser le sens de « déduction ». Deduktion est le terme employé chez Kant pour indiquer le processus qui fournit l’épreuve de l’origine et de l’articulation des catégories, et précisement au sens d’un Beweis des Rechtsanspruchs, donc au sens juridique de « légitimation » ou « justification ». Kant distingue en outre la Deduktion de l’Exposition, qui est uniquement l’indication du contenu. « Déduction des catégories » signifie alors justification transcendantale – pas empirique et pas métaphysique – de leur origine à partir des formes du jugement.
41Brentano a sans doute présent à l’esprit l’emploi kantien du terme, sauf que dans sa déduction il ne prend pas son départ du jugement mais du concept général d’être pour le partager dans ses significations multiples : comme si l’être était un genre et ses significations multiples ses espèces. La possibilité de déployer la métaphysique comme science de l’être – ou science du réel – dépend de la possibilité que l’être exerce par rapport aux différentes catégories la même fonction d’un genre, sans pourtant l’être28. Cette fonction serait garanti par l’analogie.
42Pour le comprendre, il faut rappeler la quadripartition de la polysémie de l’être du livre Gamma, que nous citons dans la traduction donnée par Brentano lui-même :
Telle chose est dite un étant parce qu’elle est une substance, telle autre parce qu’elle est une propriété de la substance, telle autre encore parce qu’elle est un acheminement vers la substance, ou une corruption de la substance, ou une privation des formes substantielles, ou une qualité de la substance, ou bien parce qu’elle est une cause efficiente ou génératrice soit d’une substance soit de ce qui est nommé relativement à une substance, ou enfin parce qu’elle est une négation de quelqu’une des qualités d’une substance, ou de la substance même. C’est pourquoi nous disons que même le non-être est, il est non-être.29
43Dans ce passage, il est évident que la signification fondamentale à laquelle les autres doivent être reconduites est la substance, laquelle est donc l’étant au sens véritable et premier. La substance est donc le sujet légitime de la métaphysique. Les autres significations de l’être sont « étant » dans la mesure où elles se rapportent à la substance, autrement dit elles dérivent leur existence de l’être de la substance, qui est le substrat des toutes les autres déterminations catégorielles. Or, ce qui offre d’après Brentano un critère pour déduire la table des catégories à partir du concept de l’être substantiel ce sont les modalités différentes selon lesquelles les catégories sont dans la substance, donc les modalités d’inhérence des catégories dans la substance.
44Comment effectue Brentano sa déduction ? Voici ce qu’il déclare à propos de cette opération :
La preuve déductive de la subdivision des catégories doit commencer par la différence entre substance et accident. La première n’admet pas de plus ample subdivision, tandis que la seconde se laisse répartir dans les deux classes des accidents absolus et des relations, la première de ces deux classes se subdivisant à son tour en inhérences, affections et circonstances extérieures.30
45C’est-à-dire : Brentano déduit du concept général de l’être les deux modes fondamentaux de l’étant :
l’être de la substance (οὐσία) et
l’être de l’accident (συµβεβηκός).
46La première modalité n’est pas susceptible de divisions ultérieures, tandis que la deuxième, l’être accidentel, peut être articulée selon des modalités successives, à savoir :
2.1) les accidents absolus ou affections (πάθη),
2.2) les relations (τὰ πρός τι).
47Les affections, à leur tour, se rapportent à la substance :
2.1.1) en tant qu’elles sont « en elle », « inhérentes », ἐνυπάρχοντα : c’est le cas du ποσόν et du ποιόν ;
2.1.2) en tant qu’elles concernent des mouvements (ποιεῖν et πάσχειν) ;
2.1.3) en tant qu’elles sont tirées de quelques chose d’extérieur comme τὰ ἔν τινι (πού et ποτέ).
48Brentano obtient par cette déduction systématique la table complète des catégories : οὐσία, ποσόν, ποιόν, ποιεῖν, πάσχειν, πού, ποτέ, πρός τι.
49L’unité analogique des catégories – qui sont dites en relation à une unité et selon une certaine nature (πρὸς ἓν καὶ µίαν τινὰ ϕύσιν), donc suivant une homonymie non accidentelle (ἀπὸ τύχης) mais intentionnelle (ἀπὸ διανόιας), qui se situe entre la synonymie ou univocité et l’homonymie totale réduite au hasard – est interprétée selon une acception forte, où les catégories indiquent des modalité d’être dans la substance (Existenzweisen, Inhärenzen, Inexistenzen).
50Quoique l’être ne soit pas un genre, il possède selon Brentano une unité analogique serrée, jouant en tant que tel la fonction d’un terme unitaire compréhensif par rapport à ce qui existe comme inhérent à lui, et ceci d’une façon comparable aux différences spécifiques qui existent dans un genre dont elles constituent l’articulation. « Comparable » mais non pas identique, car :
La division en catégories n’est pas la division d’une unité synonymique, mais analogue ; par conséquent elles ne sont pas déterminées dans leurs parties singulières par des différences spécifiques, mais par des modes d’existence spécifiques, par le rapport différent à la substance première dont les catégories sont prédiquées.31
51En ce sens Brentano déclare :
Il y a autant de catégories qu’il y a de façons pour les choses d’exister en un sujet.32
52Cette solution laisse transparaître des influences scolastiques évidentes – Brentano remonte au demeurant explicitement à saint Thomas33 – qui apparaissent en toute clarté dans la tendance implicite à concevoir l’être comme le terme ultime auquel l’analogie des étants se rapporte et à partir duquel les autres déterminations catégoriales peuvent être déduites, comme si l’être était un genre – hypothèse qui doit être présupposée dans toute tentative de diviser les catégories à partir de l’être. Ce qui fait que Brentano donne l’impression d’aller contre l’interdiction explicite d’Aristote, mais en réalité ne le fait pas. Il évite en effet de réduire l’être à un genre, car il connaît bien l’interdit d’Aristote et il ne veut pas le violer. Donc il échappe à la difficulté concevant les différences entre les catégories non pas comme différence spécifiques (spezifische Differenzen), qui résulteraient de l’articulation d’un genre, mais comme différentes modalités d’existence (Existenzweisen).
5. L’issue dans l’univocité
53Pierre Aubenque, dans son livre classique sur Le problème de l’être chez Aristote, a souligné les limites de la déduction brentanienne des catégories à partir de l’être. Il objecte à Brentano :
Qu’Aristote présente les catégories comme les significations multiples de l’être par soi…, ce qui exclut que les catégories autres que l’essence soient les divisions de l’être par accident ;
Que les catégories autres que l’essence ne peuvent être considérées comme des divisions de l’accidentalité, parce que l’accident ne se laisse pas connaître, ni par conséquent diviser [...] ;
Que la classification de Brentano confond distinction de sens et division. D’une façon générale, une division de l’être supposerait qu’il fût un genre, ce qu’Aristote nie constamment. Cette seule considération suffit… à ruiner toute tentative pour chercher un principe de classification des catégories.34
54Quant au premier point, en vérité Brentano ne mêle pas l’être par accident et les catégories comme accidents qui sont inhérents à la substance.
55Quant au deuxième point, il faut dire qu’il ne s’agit pas de diviser ou de connaître l’accidentalité dans ses contenus casuels imprévisibles, mais de déterminer le concept d’être accidentel par rapport à l’être essentiel, et d’en préciser les différentes manifestations et modalités.
56C’est avec la troisième critique qu’Aubenque cerne – me semble-t-il – le véritable problème qui affecte la déduction brentanienne des catégories, et il me semble que du point de vue aristotélicien Aubenque a raison : il est impossible d’organiser à partir de l’être une déduction systématique de ses significations.
57On peut y ajouter en outre que le dernier Brentano, développant ses recherches ontologiques, aboutira à la thèse que l’être est un concept doué d’une unité forte et qu’il se dit au fond dans un sens univoque. Certes, il serait fatal qu’exploiter cette thèse conclusive pour interpréter sa pensée de jeunesse, projetant donc l’adhésion du dernier Brentano à la univocatio entis sur le premier, qui est encore fidèle à la théorie thomiste de l’analogia entis. Toutefois, son interprétation jointe à la tentative d’une déduction diairétique des catégories révèle une tendance dont les conclusions finales sont la manifestation la plus explicite.
6. L’influence sur Heidegger
58Heidegger fut influencé – comme lui-même le déclare35 – par la lecture de la dissertation de Brentano, qu’il entreprit dès la fin de ses années de lycée. Face à l’exposition brentanienne de la doctrine aristotélicienne de la polysémie de l’être, il se posa bientôt le problème du fondement de cette polysémie dans la forme de la question suivante : si l’étant se dit selon des significations multiples, y-a-t-il un sens fondamental, une unité de l’être, à laquelle cette plurivocité peut être reconduite comme à son fondement ? Par la suite, comme on sait, Heidegger reprendra le problème dans une question encore plus radicale, celle de la différence ontologique : y-a-t-il par delà les étants un être différent d’eux ?
59La lecture de l’interprétation brentanienne d’Aristote est donc déterminante non seulement pour orienter l’intérêt philosophique du jeune Heidegger vers la problématique de l’être, mais aussi bien pour le conduire a focaliser le problème de l’ontologie dans les termes d’une interrogation qui sollicite la multiplicités des étants pour envisager la question de l’être et de son unité.
60En d’autres termes : Heidegger s’intéresse très tôt à la position du problème de l’être présentée par Brentano, mais il ne s’arrête pourtant pas à la solution brentanienne. Il ne partage pas la réduction de l’ontologie à l’ousiologie, car elle signifie à ses yeux la contrainte de l’être dans les limites du catégorial. Et c’est justement dans la direction opposée qu’il oriente sa recherche : franchir les limites du catégorial et ouvrir le problème de l’être dans toute son amplitude et sa profondeur.
61Dans le cours du semestre d’été 1931 il résume sa critique à la conception traditionnelle en ces termes :
Dès le Moyen Âge, on a tiré de la proposition du début de Met. E 1 que la première signification fondamentale dominante de l’être en général – y compris pour les quatre modes pris ensemble, et non seulement pour l’un et sa multiplicité – était l’ousia, que l’on a pris l’habitude de traduire par ‘ substance’. Comme si l’être possible, l’être réel et l’être vrai devaient être reconduits à l’être au sens de la substance. Au XIXe siècle, on a été (et surtout Brentano) d’autant plus tenté de le faire que l’être, l’être possible, l’être réel avaient été reconnus comme étant des catégories. C’est donc une opinion très répandue que la doctrine aristotélicienne de l’être est une ‘doctrine de la substance’.36
62Il faut se poser alors la question : la doctrine aristotélicienne de l’être est-elle réductible à une ousiologie ? Certainement oui, si en tant que métaphysique elle doit s’occuper uniquement des significations authentiques, c’est-à-dire réelles, de l’être, ce qui semble être le cas dans l’interprétation du jeune Brentano. Mais, au delà de celles-ci, Brentano considérera plus tard également les significations « inauthentiques », « objectives », synsémantiques, copulatives, qui deviendront de plus en plus importantes dans sa réforme de la doctrine aristotélicienne des catégories, et qui seront traitées davantage par ses élèves tels que Husserl, Marty, Meinong.
63Étant donnée la réduction ousiologique de l’ontologie dans la thèse de doctorat, l’intéressant est de voir comment Heidegger exploite le problème posé par Brentano pour déployer à partir de 1919 une nouvelle lecture phénoménologique d’Aristote et pour tracer son chemin philosophique original. Insatisfait par la solution ousiologique – que Brentano lui-même dépassera – Heidegger dégage dans les cours des années vingt une recherche systématique visant à établir laquelle parmi les quatre significations des l’être peut avoir la fonction de signification fondamentale. La centralité de la question de la vérité dans ces cours montre à l’évidence qu’il croit pouvoir la cerner dans la signification de l’étant comme vrai (ὂν ὡς ἀληθές), tandis que plus tard, à partir des années trente, il essayera de la voir dans l’étant selon la puissance et l’acte (ὂν δυνάµει καὶ ἐνεργείᾳ). Ce que j’ai essayé de montrer plus en détail ailleurs37.
Notes de bas de page
1 Psychologie vom empirischen Standpunkt (Leipzig, Duncker & Humblot, 1874) ; Hamburg, Meiner, 1973 [réimpression de l’édition de 1924]. Pour la citation de Lange cf. vol. I, p. 16. La distinction entre psychologie descriptive ou psychognosie et psychologie génétique n’est pas encore formulée avec clarté dans la Psychologie de 1874, mais Brentano opère déjà avec elle. Sur ce problème Brentano donna plusieurs cours (sous l’intitulé de Psychognosie) en 1887/88, 1888/89 et 1890/91 ; ces cours ont été publiés sous le titre Deskriptive Psychologie, éd. Roderick M. Chisholm et Wilhelm Baumgartner, Hamburg, Meiner, 1982. Brentano écrivait en 1895 à propos de cette distinction : « Meine Schule unterscheidet eine Psychognosie und eine genetische Psychologie (in entfernter Analogie zur Geognosie und Geologie). Die eine weist die sämtlichen letzten psychischen Bestandteile auf, aus deren Kombination die Gesamtheit der psychischen Erscheinungen wie die Gesamtheit der Worte aus den Buchstaben sich ergibt. Ihre Durchführung könnte als Unterlage für eine characteristica universalis, wie Leibniz und vor ihm Descartes sie ins Auge gefaßt haben, dienen. Die andere belehrt uns über die Gesetze, nach welchen die Erscheinungen kommen und schwinden » (Meine letzten Wünsche für Österreich, Stuttgart, Cotta, 1895, p. 34). Sur les caractères et la tâche de la psychologie descriptive cf. Wilhelm Baumgartner, « Die Rolle der deskriptiven Psychologie Franz Brentanos am Beispiel der Wahrnehmung », dans : La scuola di Brentano, Dordrecht, Kluwer, 1988, p. 5-25.
2 « Mein Brentano ist der des Aristoteles ! », Cf. Martin Heidegger, Seminare, Gesamtausgabe, vol. 15, Frankfurt a. M., Klostermann, 1986, p. 385-386. Comme on verra, Heidegger a tout à fait raison de se réclamer du Brentano aristotélicien, mais il faut quand même dire que dans son premier livre, la thèse de doctorat Die Lehre vom Urteil im Psychologismus (1913), il consacre un chapitre important de son travail au Brentano psychologue.
3 Cf. Roderick M. Chisholm, Brentano and Meinong Studies, Amsterdam, Rodopi, 1982, p. 3-16.
4 Voir Barry Smith, The Legacy of Franz Brentano, Chicago et Lassalle, Open Court, 1994 ; Jocelyn Benoist, Phénoménologie, sémantique, ontologie. Husserl et la tradition logique autrichienne, Paris, Puf, 1997 ; Id. (éd.), « Brentano et son école », dans : Les Études philosophiques, janvier-mars 2003.
5 Voir la monographie fondamentale de Mauro Antonelli, Alle radici del movimento fenomenologico. Psicologia e metafisica nel giovane Franz Brentano, Bologna, Pitagora, 1996 (éd. allemande : Seiendes, Bewußtsein, Intentionalität im Frühwerk von Franz Brentano, Freiburg et München, Alber, 2001).
6 Franz Brentano, « Die Habilitationsthesen » (1866), in Id., Über die Zukunft der Philosophie, mit Anmerkungen hg. von Oskar Kraus, neu eingeleitet von Paul Weingartner, Hamburg, Meiner, 1968 [première édition : Leipzig, Meiner, 1929], p. 136-137. Il ajoute égalemente la thèse : Philosophia neget oportet, scientias in speculativas ac exactas dividi posse ; quod si non recte negaretur, esse eam ipsam jus non esset.
7 Ce terme se trouve chez Oswald Külpe, mais également chez Theodor Gustav Fechner, Hermann Lotze et Eduard von Hartmann. Cf. les notes d’Oskar Kraus dans Franz Brentano, Über die Zukunft der Philosophie, p. 166, 168. Dans ce texte, qui contient un exposé de 1893, Brentano revient sur la quatrième thèse (IVI, p. 30 sqq.).
8 « Brentanos waren uns zu sehen nach Vulpera gekommen und ebenso sein Wiener Bruder, mit dem ich philosophiert habe. Er ist ein mittelalterlicher Metaphysiker geblieben », Briefwechsel zwischen Wilhelm Dilthey und dem Grafen Paul Yorck von Wartenburg 1877-1897, Halle a. S., Niemeyer, 1923, p. 26.
9 Je renvois sur ce point à ce que j’ai écrit dans « Il problema della coscienza del tempo in Brentano », dans : Vittorio Benussi nella storia della psicologia italiana, éd. G. Mucciarelli, Bologna, Pitagora, 1987, p. 65-104 ; « The Experience of Temporal Objects and the Constitution of Time-Consciousness by Brentano », dans : The Objects and its Identity, Dordrecht, Kluwer, 1989, p. 127-39 ; « Coscienza del tempo e temporalità della coscienza da Brentano a Husserl », dans : Magazzino di filosofia, 2, 2001, n. 4, p. 45-71.
10 Cf. Stefano Poggi, I sistemi dell’esperienza. Psicologia, logica e teoria della scienza da Kant a Wundt, Il Mulino, Bologna, 1977.
11 Cf. Maurizio Mangiagalli, « Il circolo filologico di Berlino e la riscoperta del pensiero aristotelico nella seconda metà del secolo XIX », dans : L’atto aristotelico e le sue ermeneutiche, Roma, Herder, 1990, p. 201-229.
12 « Die verachteten Kommentare eines Thomas von Aquin konnten einige der dunkelsten Lehrpunkte im Aristotelischen System viel richtiger in ihrem Sinn und viel tiefer in ihren Gründen erfassen als unsere modernen Historiker » ; « In meiner Mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles habe ich dies für das Prinzip der Kategorieneinteilung in einer Weise dargetan, daß Trendelenburg, der die Frage ganz besonders studiert hatte und gegen den meine Abhandlung ganze Bogen polemisierte, sich für überzeugt erklärte », F. Brentano, Über Aristoteles, cit., p. 13.
13 Die Psychologie des Aristoteles, insbesondere seine Lehre υom νοῦς ποιητικός, Mainz, Kirchheim, 1867.
14 Sur la controverse avec Zeller, éclatée à cause des considérations critiques de Brentano dans la Psychologie des Aristoteles à propos de la Philosophie der Griechen de Zeller, cf. l’introduction de Rolf George dans Franz Brentano, Aristoteles Lehre vom Ursprung des menschlichen Geistes, Hamburg, Meiner, 1980 [première édition : Leipzig, Veit, 1911], qui réunit Über den Creatianismus des Aristoteles [première édition : Wien, Tempsky, 1882] et les répliques de Brentano. Voir encore : Rolf George, « Brentano’s Relation to Aristotle », dans : Roderick M. Chisholm et Rudolf Haller (éds.), Die Philosophie Franz Brentanos. Beiträge zur Brentano-Konferenz Graz, 4. -8. September 1977, Amsterdam, Rodopi, 1978, p. 249-266 ; Enrico Berti, « Zeller e Aristotele », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa, s. III, vol. XIX, 3, 1989, p. 1233-54. Brentano publia également Aristoteles und seine Weltanschauung, Leipzig, Quelle & Meyer, 1911, réédité avec une introduction de Roderick M. Chisholm, Hamburg, Meiner, 1977. D’autres écrits sur le Stagirite ont été publiés postumes par Franziska Mayer-Hillebrand dans la Geschichte der griechischen Philosophie, Bern et München, Francke, 1963, p. 215-309, et par Rolf George : Über Aristoteles. Nachgelassene Aufsätze, Hamburg, Meiner, 1986.
15 Je renvois à l’approfondissement de la question que j’ai fait dans : « War Franz Brentano ein Aristoteliker ? Zu Brentanos und Aristoteles’Psychologie als Wissenschaft », dans : Die Brentano. Eine europäische Familie, éds. Konrad Feilchenfeldt et Lucio Zagari, Tübingen, Niemeyer, 1992, p. 129-45.
16 On comprend donc pourquoi Brentano insiste sur la question de l’immortalité de l’âme, une doctrine-pilier dans la psychologie rationnelle traditionnelle. Cf. Brentano, Psychologie vom empirischen Standpunkt, cit., vol. I, préface et p. 21 sqq. (sur l’immoralité de l’âme chez Platon et Aristote), et p. 105-106 (sur la méthode à suivre dans l’investigation de l’immortalité de l’âme). La position de Brentano sur ce dernier problème est assez claire : « Auch bei der Untersuchung über die Unsterblichkeit wird das Verfahren ein deduktives sein, und die Deduktion auf allgemeine Tatsachen sich stützen, die in früheren Erörterungen induktiv festgestellt wurden. Die Forschung [...] wird offenbar einen neuen Charakter annehmen müssen. Sie wird einerseits nicht umhin können, auf einige Gesetze der Metaphysik, mehr als es sonst eine phänomenale Psychologie tut, Rücksicht zu nehmen ; und andererseits wird auch von den Ergebnissen der Physiologie hier mehr noch als in den früheren Untersuchungen Anwendung zu machen sein. [...] ob es uns freilich möglich sein wird, durch Induktion auf psychischem Gebiete allgemeine Tatsachen zu finden, welche für eine Deduktion zur Entscheidung der Unsterblichkeitsfrage die Prämissen liefern ; ob wir nicht genötigt sein werden, so tief in die Metaphysik einzugehen, daß der sichere Pfad in unbestimmten, haltlosen Träumereien sich verliert ; ob nicht auch die Tatsachen, welche wir der Physiologie zu entlehnen haben, bei dem jetzigen Zustande dieser Wissenschaft, auf allzuwenig Vertrauen Anspruch machen können : – das sind Fragen, die wohl nicht mit Unrecht aufgeworfen werden dürften, über die aber hier zu entscheiden nicht des Ortes ist ».
17 « Die Aufschrift, die ich meinem Werke gegeben, kennzeichnet dasselbe nach Gegenstand und Methode. Mein Standpunkt in der Psychologie ist der empirische : die Erfahrung allein gilt mir als Lehrmeisterin : aber mit anderen teile ich die Überzeugung, daß eine gewisse ideale Anschauung mit einem solchen Standpunkte wohl vereinbar ist ». Ibid.
18 La valeur de cet ouvrage est témoignée par les traductions qu’on en a fait dans les derniers temps : On the Several Senses of Being in Aristotle, ed. and transl. Rolf George, Berkeley, University of California Press, 1976 ; Les significations de l’être, trad. de Pascal David, Paris, Vrin, 1992 ; Sui molteplici significati dell’essere secondo Aristotele, trad. it. di Stefano Tognoli, a cura di Giovanni Reale, Milano, Vita e Pensiero, 1995.
19 Voir les études fondamentales de Jean-François Courtine, Les catégories de l’être. Études de philosophie ancienne et médiévale, Paris, PUF, 2003.
20 Cf. Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles, p. 5.
21 Cf. Brentano, Über Aristoteles, op. cit., p. 155 sqq.
22 Immanuel Kant, Kritik der reinen Vernunft, A 81, B 107.
23 Cf. Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles, cit., p. 76.
24 Cf. Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles, cit., p. 80.
25 « Zunächst fehlt eine Erklärung über den Ursprung der Kategorien. Man sieht nicht, woher sie kommen und wohin sie gehen. Daher ist es geschehn, daß Kant sie für “aufgerafft” und Hegel für eine bloße “Sammlung” ansah », Adolf Trendelenburg, Geschichte der Kategorienlehre, Berlin, Bethge, 1846, p. 10, où l’objection est pourtant tout de suite relativisée.
26 Cf. Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles, p. 184, 200.
27 Cf. Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles, chapitre V, par. 12, 13, 14.
28 Cf. Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles, p. 4 sq, 96 sq., 135.
29 « Einiges wird Seiendes genannt, weil es Substanz, anderes, weil es Eigenschaft der Substanz, wieder anderes, weil es ein Weg, der zur Substanz führt... oder weil es die Substanz, oder etwas von dem, was in Beziehung auf die Substanz ausgesagt wird, hervorbringt oder erzeugt, oder weil es eine Negation von etwas Derartigem oder von der Substanz selbst ist. Daher sagen wir auch, es sei das Nichtseiende ein Nichtseiendes, Aristote, Met. IV 2, 1003 a 33 sqq. », traduit par P. David d’après la traduction de Brentano dans Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles, p. 6, Brentano, Les significations de l’être, op. cit., p. 21.
30 « Der deduktive Beweis für die Kategorieneinteilung muß beginnen mit dem Unterschiede zwischen Substanz und Accidenz. Die erstere wird keine weitere Untereinteilung zulassen, das letztere zunächst in die zwei Klassen der absoluten Accidenzien und der Relationen, und die erstere von diesen wieder in die der Inhärenzen, Affectionen und äußerlichen Umstände zerfallen », Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles, p. 148 ; trad. P. David, op. cit., p. 147.
31 « Die Einteilung in die Kategorien ist die Einteilung keiner synonymen, sondern einer analogen Einheit, und sie werden folglich nicht durch spezifische Differenzen, sondern durch spezifische Existenzweisen, durch das verschiedene Verhältnis zur ersten Substanz, von der die Kategorien prädiziert werden, in ihren einzelnen Gliedern bestimmt werden », Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles, p. 113.
32 « Es gibt so viele Kategorien, als es Weisen gibt, in denen die Dinge in ihrem Subjekte existieren », Ibid. ; trad. P. David, p. 113.
33 Cf. Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles, chapitre V, par. 14.
34 P. Aubenque, Le problème de l’être chez Aristote, Paris, PUF, 1962, p. 197.
35 Cf. M. Heidegger, Préface, in W. Richardson, Heidegger, Through Phenomenology to Thought, The Hague, Nijhoff, 1963, p. XI, et Zur Sache des Denkens, Tübingen, Niemeyer, 1969, p. 81.
36 « Man hat aus dem obigen Satz von Met. E 1 Anf. schon im Mittelalter geschlossen, die erste leitende Grundbedeutung des Seins überhaupt – auch für die vier Weisen zusammen, nicht nur für die eine und deren Mannigfaltigkeit – sei die ousia, was man mit “Substanz” zu übersetzen pflegt. Als müßte auch das Möglichsein und Wirklichsein und Wahrsein auf das Sein im Sinne von Substanz zurückgeleitet werden. Im 19. Jahrhundert hat man (vor allem Brentano) dazu um so mehr geneigt, als inzwischen Sein, Möglichsein, Wirklichsein als Kategorien erkannt worden waren. Es ist daher eine landläufige Meinung, die Aristotelische Lehre vom Sein sei eine “Substanzlehre” », M. Heidegger, Aristoteles, Metaphysik IX, 1-3, Von Wesen und Wirklichkeit der Kraft, Gesamtausgabe vol. 33, Frankfurt a. M., Klostermann, 1990, p. 45.
37 Je me permets de renvoyer à mes travaux : Heidegger e Brentano, Padoue, Cedam, 1976 ; « La dissertation de Franz Brentano et son influence sur la formation philosophique du jeune Martin Heidegger », dans : Proceedings of the World Congress on Aristotle. Thessaloniki August 7-14, 1978, Athens, 1982, p. 48-52 ; Heidegger e Aristotele, Padoue, Daphne, 1984 ; « Dasein comme praxis. L’assimilation et la radicalisation heideggerienne de la philosophie pratique d’Aristote », dans : Heidegger et l’idée de la phénoménologie, Dordrecht, Kluwer, 1988, p. 1-41 ; « La question du logos dans l’articulation de la facticité chez le jeune Heidegger, lecteur d’Aristote », dans : J. F. Courtine (éd.), Heidegger 1919-1929. De l’herméneutique de la facticité à la métaphysique du Dasein, Paris, Vrin, 1996, p. 33-65 ; « Le fonti del problema dell’essere nel giovane Heidegger : Franz Brentano e Carl Braig », dans : Costantino Esposito et Pasquale Porro (éd. s), Heidegger e i medievali, Turnhout, Brepols, 2001 (“Quaestio” 1, 2001), p. 39-52. Voir également Ion Tanasescu, « Das Sein der Kopula oder was hat Heidegger bei Brentano versäumt », dans : Studia phaenomenologica, 2, 2002, p. 97-123.
Auteur
Professeur à l’Université de Padoue.
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