Une phénoménologie de la Métaphysique. L’inspiration aristotélicienne de la fondation diltheyenne des sciences de l’esprit
p. 141-156
Texte intégral
1« Je vais commencer mon travail philosophique en exposant et en examinant la façon dont Aristote détermine le concept d’eudaimonia dans son éthique », écrit Dilthey à son père dans une lettre de mai 1856, avec l’espoir que ses critiques ne heurtent et ne déçoivent pas Adolf Trendelenburg « extraordinairement amical et bien disposé à [son] égard »1. Le fait que ce premier projet de travail philosophique porte sur l’éthique d’Aristote est d’autant moins étonnant qu’il est alors l’étudiant de Trendelenburg. On pourrait n’y voir qu’une anecdote par rapport à l’objet de ses travaux ultérieurs.
2Car, ne serait-ce qu’au regard de l’intitulé donné par Dilthey lui-même à son projet d’une « critique de la raison historique », on considère généralement qu’il s’inscrit dans la lignée des philosophes néo-kantiens. Il est vrai qu’en invitant à fonder une science empirique des phénomènes spirituels la conférence de Bâle de 1867 commence et se clôt par la référence à Kant, et que l’Introduction aux sciences de l’esprit de 1883 reprend à son compte son geste redéfinissant la tâche de la philosophie en termes de théorie de la connaissance et non plus de « métaphysique ». Mais, en dehors du fait qu’à cette époque une telle référence n’est pas en elle-même très significative, on ne saurait, comme on le verra, en sous-estimer la dimension critique.
3Le caractère anecdotique de son premier travail de 1856 semble encore plus patent au regard de l’absence d’étude ou de monographie ultérieure portant spécifiquement sur le Stagirite. On ne trouve en effet rien d’équivalent aux travaux relatifs à Leibniz, Hegel ou à l’édition des œuvres de Kant. Mais une telle absence est tout à fait compréhensible dans la mesure où ces travaux s’inscrivent dans une histoire de l’esprit allemand destinée aux yeux de Dilthey à répondre à la menace représentée par l’oubli de la tradition constitutive de l’identité allemande. C’est donc aussi la raison pour laquelle on ne trouve pas plus de travaux spécifiquement consacrés, par exemple, à Platon.
4À la différence de la fascination de la plupart des néokantiens (Cohen et Natorp par exemple) pour Platon, c’est néanmoins la référence à Aristote qui, précisément sur le versant critique de l’Introduction de 1883, c’est-à-dire au niveau de la fondation des sciences de l’esprit, est la plus massive. Cela tient au fait que cette critique de la raison historique est indissociable d’une critique de la métaphysique qui radicalise l’analytique et la dialectique transcendantale de Kant, c’est-à-dire met en question la logique et la métaphysique qu’elles présupposent. Autrement dit, et pour lui appliquer le précepte que la Critique de la raison pure applique à Platon, comprendre Kant mieux qu’il ne s’est lui-même compris impliquerait d’interroger la conceptualité aristotélicienne qui sous-tend sa philosophie. Bien qu’elle comporte une dimension historique, cette lecture d’Aristote est donc essentiellement prospective dans la mesure où elle s’inscrit dans un projet de fondation. En second lieu, c’est également chez le Stagirite que Dilthey trouve une première expression du procédé même des sciences de l’esprit. Enfin, par rapport à la théorie la plus commune de la connaissance, celle que défend Dilthey a pour ambition de ne pas être purement « théorique », et elle retrouverait en cela l’idée aristotélicienne d’un savoir pratique. Avant d’expliciter ces trois dimensions de la relation de Dilthey à Aristote, il convient néanmoins de tracer le cadre de la lecture qu’il en a fait.
5Avec des amis philologues comme Wilhelm Hoffmann et Hermann Usener, Dilthey étudie Platon et Aristote durant plusieurs années au cours de sa formation, et le second plus particulièrement encore dans le cadre du séminaire de Trendelenburg2. À son arrivée à Berlin, en novembre 1882, Dilthey devient le collègue et l’ami d’Eduard Zeller, mais sans parvenir à dialoguer philosophiquement avec lui3, et il sera ainsi aux premières loges pour assister en 1882 et 1883 à son débat théologique avec Franz Brentano sur le créationnisme ou l’éternité du noûs chez Aristote4. Comment Dilthey lit-il le Stagirite ? Sa lecture ne relève ni d’une interprétation philologico-historique, ni d’une histoire de la philosophie.
6Dilthey est loin de méconnaître le caractère incontournable de la « méthode philologique » telle que la pratiquaient Schleiermacher et son école. « Grâce à Schleiermacher, écrit-il, Berlin était devenue le foyer d’une authentique étude de la philosophie grecque. C’est seulement sa reconstitution de Platon qui permit de remonter en deçà, mais surtout d’aller au-delà, vers Aristote »5 comme l’a fait Trendelenburg qui avait, comme on sait, suivi son enseignement. Mais Dilthey ne lit pas Aristote comme Schleiermacher lit Platon. Son Journal de 1859 estimait déjà que son herméneutique restait trop unilatérale, c’est-à-dire trop exclusivement centrée sur l’individu considéré comme un tout clos sur lui-même, sans prendre suffisamment en considération la « continuité » historique. Dans les travaux de l’école schleiermarienne relatifs au christianisme primitif, Paul, par exemple, « est compris à partir de lui-même, et non à partir de l’étude de Philon, de Josèphe […], de ce que nous savons de la théologie juive des temps apostoliques »6.
7Comme il le dit lui-même à propos de l’ensemble de la seconde partie de l’Introduction7, il ne lit pas non plus Aristote en historien de la philosophie comme le faisaient Brandis et Ritter, des élèves de Schleiermacher, ou encore Zeller, alors qu’il célèbre sa monumentale Philosophie des Grecs qui allie à ses yeux la rigueur des méthodes de Schleiermacher et les « vues profondes » de Hegel8. Ce qui le montre, c’est déjà la grande différence entre le chapitre de l’Introduction de 1883 consacré à Aristote et celui de ses cours d’histoire de la philosophie qui, dans une intention évidemment plus scolaire, examinent de façon plus exhaustive, systématique et doxographique, la philosophie du Stagirite. La lecture d’Aristote par l’Introduction excède à un double titre une approche purement historique. Elle se démarque d’une part explicitement de l’histoire de la philosophie qui voudrait reconstituer l’unité systématique des philosophes, ce qui est précisément le projet de Zeller à propos d’Aristote. C’est en effet à partir de cette visée que ce dernier revient sur la tension entre l’héritage platonicien et la vision du monde naturaliste et que se justifient ses remarques conclusives pointant les incohérences du système9.
8Dilthey a en revanche toujours considéré que la réalité vivante ne se laisse pas enserrer en un réseau de concepts, c’est-à-dire en un système. Reconstituer celui d’un philosophe ne peut donc que laisser échapper ce qui, chez ce philosophe, est susceptible de relever d’une appréhension et d’une expression de la réalité vivante10. Si Dilthey n’est pas d’abord historien, c’est d’autre part parce qu’il cherche à fonder les sciences de l’esprit, et, ainsi, à leur donner une nouvelle impulsion, ce qu’il tentera de faire en particulier pour la poétique. Afin de comprendre comment il lit Aristote, il faut donc commencer par revenir au projet qui détermine cette lecture Peu après avoir commencé ses études universitaires, c’est-à-dire dès 1857, se dessine le projet d’une histoire de la pensée médiévale destinée à « lier l’histoire de l’église et des dogmes à l’étude de l’histoire de la vision du monde chrétienne en Occident », et c’est dans ce cadre qu’il entreprend l’étude de Platon et d’Aristote, d’Origène et de Clément d’Alexandrie, et plus largement de l’alexandrinisme et du christianisme primitif11. Sa lettre de novembre 1861 à son père déclare ainsi vouloir achever son travail d’édition de la correspondance de Schleiermacher auquel Jonas l’a incité pour œuvrer à une thèse de doctorat sur la philosophie médiévale. Et ce sont des troubles oculaires qui l’empêchent pratiquement de lire et d’écrire durant six mois qui lui font renoncer à ce projet qui portait sur le nominalisme au profit d’un travail de moindre ampleur sur les principes éthiques de Schleiermacher (1864)12.
9Ces travaux relatifs à la pensée médiévale trouvent néanmoins leur aboutissement dans le second des deux livres de son Introduction aux sciences de l’esprit – le plus important des deux aussi bien par son ampleur que par contraste avec le caractère explicitement « introductif » du premier livre –, mais dans la perspective d’une critique de la raison historique qui, bien que déjà présente pratiquement dès l’origine, est devenue fondamentale. Dans son journal de 1860, Dilthey notait en effet vouloir mettre à jour non l’histoire de théories philosophiques ou de systèmes spéculatifs, mais de ce qui les sous-tend : une histoire de l’esprit qui découvre la façon dont se déploie et agit « une vision religieuse et philosophique du monde manifestement ensevelie sous les ruines de notre théologie et de notre philosophie »13. Une telle découverte lui paraissait être la condition d’une logique de la connaissance susceptible de fonder non seulement les sciences de la nature, mais la spécificité de « la théologie, de l’histoire, de la philologie et de la jurisprudence »14, c’est-à-dire des sciences de l’esprit.
10Entre 1864-1868, c’est-à-dire dans la première phase de l’élaboration de son projet d’une telle logique et dans l’esprit de Trendelenburg comme de son élève Friedrich Überweg, c’est du côté de l’Organon d’Aristote que Dilthey cherche une troisième voie par-delà la logique spéculative hégélienne15 et la logique formelle de type kantien qui applique la distinction entre forme et matière à la connaissance humaine16. Dans l’Introduction, ce projet sera réalisé par la « phénoménologie de la métaphysique ». Si l’exergue du premier livre, une citation de Hermann Helmholtz17, annonçait déjà la critique de la métaphysique – et donc celle d’Aristote –, celui du second livre, une citation du Faust de Goethe18, annonce le second versant de cette phénoménologie qui cherche à donner aux sciences et à la théorie de la connaissance une assise véritablement concrète. Cela implique une herméneutique qui remonte non à la cellule germinale d’une œuvre pour en reconstituer la composition comme chez Schleiermacher, mais des abstractions du texte de la métaphysique occidentale à l’expérience vécue dont elles sont l’expression distordue, c’est-à-dire une herméneutique de la vie pré-théorique qui permette de dégager la légalité des structures de cette expérience.
11Libérer cette expérience des abstractions qui l’ont recouverte et mutilée suppose de comprendre l’histoire de la métaphysique dont le déclin est parallèle à l’émancipation des sciences de l’esprit. Et c’est dans les chapitres six et sept de ce second livre intitulé « La métaphysique en tant que fondement des sciences de l’esprit. Sa prédominance et son déclin » que l’on trouve les plus longues analyses consacrées à Aristote. La place centrale qui lui revient y est plus essentielle encore que celle que devait lui reconnaître une histoire de la philosophie médiévale dans la mesure où sa pensée continue de déterminer l’histoire ultérieure de la métaphysique jusqu’au XIXe siècle.
12Conformément à l’invitation des Parties des animaux à élaborer une science du sensible, et comme le faisait déjà Hegel ou Zeller, Dilthey distingue Aristote de Platon en mettant l’accent sur le fait qu’il invitait à connaître la multiplicité des phénomènes soumis au devenir, y compris ceux qui peuvent paraître insignifiants. Le « désir insatiable de trouver dans le monde historique l’expression de cette vie même avec ce qu’elle contient de diversité et de profondeur », de « saisir l’âme de ce monde historique », dont Dilthey affirme qu’il a déterminé sa jeunesse19, est manifestement du même ordre que le désir, étranger à Socrate et à Platon, qui a poussé Aristote à se plonger dans l’étude du vivant. Mais alors que Schleiermacher estimait évidente la « faiblesse de son esprit spéculatif » dans la mesure où « celui qui a commencé par travailler un vaste matériau empirique n’est jamais devenu un authentique philosophe »20 et que Trendelenburg pensait en revanche la complémentarité de Platon et d’Aristote à la manière dont Kant pensait celle du concept et de l’intuition21, aux yeux de Dilthey, comme antérieurement de Zeller ou de Goethe22, c’est Aristote qui a donné sa perfection à la métaphysique. Car si celle-ci n’avait antérieurement trouvé le permanent que dans les concepts en réduisant le réel à un royaume d’ombres, la métaphysique des formes substantielles vise au contraire à connaître le monde sensible23. Mais l’appréhension de ce dernier par la théorie des formes substantielles relève du même coup d’une métaphysique elle-même indissociable de l’invention de la logique :
La logique d’Aristote est un élément de sa théorie de la forme, écrit Dilthey, de même que, en tant que théorie de la découverte de déterminations d’essences, elle est inversement la théorie de la méthode de cette philosophie de la forme.24
13La troisième voie recherchée par Dilthey ne sera ni celle d’Aristote, ni celle de Trendelenburg. L’analyse de la métaphysique aristotélicienne par le chapitre six de l’Introduction commence en effet par pointer son présupposé « dogmatique » ou encore « objectiviste », c’est-à-dire l’obscurité de la théorie supposée rendre compte de notre connaissance : celle de la correspondance entre notre représentation et l’être. Dilthey lui oppose le principe de phénoménalité selon lequel la réalité dite extérieure n’est jamais que pour une conscience. « Il est donc impossible de parvenir à la sphère de l’être à partir de celle de la pensée. La route y conduisant fait elle-même défaut, et donc les règles pour des pèlerins », écrit Dilthey25. Bien qu’il voie dans cette conception réaliste de la relation entre sujet et objet, c’est-à-dire dans la méconnaissance du caractère phénoménal du monde extérieur, ce qui caractérise la naïveté grecque26, cela ne signifie pas que la pensée ultérieure s’en soit pour autant libérée. Qu’il ne s’agisse pas là d’une lecture purement historienne d’Aristote, c’est ce que montre le fait qu’aux yeux de Dilthey ce « réalisme objectif » est encore celui aussi bien de Kant, de Schleiermacher et de Ritter, que de Trendelenburg et de Überweg qui opposait explicitement ce réalisme à la philosophie kantienne27.
14Les recherches logiques de Trendelenburg et de Überweg supposent en effet cette distinction objectiviste entre la pensée et l’être28. En témoigne déjà la définition trendelenburgeoise de la logique comme « science qui unifie la considération du penser et de l’être en tant que tels »29. Car si Trendelenburg pense la médiatisation de cette dualité en reconduisant ses deux termes au mouvement ou à la mobilité30, il n’en reste pas moins que celle-ci reste simplement pensée et seconde par rapport à la dualité qu’elle surmonte : ce mouvement n’est pas la mobilité vécue de la vie.
15On pourrait d’autant plus croire que Dilthey jouerait l’empirisme contre l’abstraction théorique de la métaphysique, et donc un certain Aristote contre un autre, qu’on a souvent inscrit le renouveau à partir de 1830 des études aristotéliciennes dans le cadre d’un nouvel essor des sciences positives qui auraient donné leur congé aux spéculations romantiques31. Mais cela supposerait de s’entendre sur ce que signifie « expérience ». Le propre de Dilthey est de chercher à dégager une sphère d’expérience en deçà de l’opposition entre les abstractions de la spéculation d’une part, et d’un empirisme atomiste tout aussi incapable de saisir la réalité dans sa globalité après l’avoir réduite à des atomes (des sensations) d’autre part. Dans ses ébauches d’une théorie de la connaissance et de la logique antérieures à 1880, Dilthey note ainsi : « Philosophie de l’expérience : empirie, et non empirisme »32.
16Cette expérience qu’il appelle « interne », c’est celle d’une conscience à laquelle est simultanément donné – antérieurement à la distinction du sujet et de l’objet – le savoir de soi et celui d’une réalité extérieure qu’elle éprouve comme « résistante ». Dilthey peut ainsi écrire : « Jusqu’ici une telle expérience totale, complète, non mutilée, n’a encore jamais été mis au fondement du philosopher »33. Sa critique vise donc aussi bien Kant et le kantisme que le réalisme objectiviste que lui opposait par exemple Überweg en se faisant le défenseur d’Aristote. Mais, pour être connue, cette expérience demande à être conceptualisée. Si la question est donc de savoir quels concepts sont susceptibles de nous en donner une connaissance, c’est d’Aristote qu’il faut partir puisque c’est lui qui a créé la terminologie scientifique, c’est-à-dire la conceptualité, de l’Europe34.
17Dilthey confie avoir vu naître en lui le désir de savoir35 en lisant la logique de Kant et il lui reconnaît, comme à Fichte, avoir montré l’importance des catégories36 ; mais c’est pour s’inscrire de manière critique dans le prolongement de leurs travaux. Car, à ses yeux, l’insuffisance de la critique de la métaphysique par la dialectique transcendantale de Kant tient à ce qu’elle n’examine pas le problème lui-même, mais, sur le sol de catégories traditionnelles dont il ne questionne pas l’évidence, construit une métaphysique de sorte que c’est seulement cette abstraction qui succombe ensuite à la critique37. Achever sa critique de la métaphysique, c’est devoir en interroger la conceptualité pour réinscrire les catégories dans la mobilité de l’esprit38. Cette critique qui conduira Dilthey à l’élaboration de catégories de la vie vise en premier lieu le concept de substance39. À la différence d’une critique comme celle de Stuart Mill40, les concepts traditionnels de substance, d’être et d’entité…, sont analysés quant à leur généalogie psychique. L’idée de substances ayant un « être en soi » – et qui suppose que, par une application illégitime du principe de contradiction, l’entendement abstrait « isole un fondement incorruptible identique à lui-même »41 – est reconduite par l’Introduction à son origine : « cet être en soi est donné à la conscience de soi dans l’expérience de l’autonomie »42.
18La dislocation de la mythologie qui projette cette expérience interne sur le monde extérieur en prêtant une volonté aux objets ne met donc pas fin à cette transposition du monde intérieur, dans la mesure où celle-ci détermine encore notre quête d’une cause ultime, et nos explications en termes de raison, forces… Autrement dit, en recourant à de tels concepts, nous continuons de baigner dans un « monde mythologique, poétique ». « Le fait que l’on pensait les concepts en tant qu’essences, Idées, entéléchies, était un écho de la mythologie », écrit encore Dilthey43.
19Le cours de logique de 1885-1886 conclut son analyse critique du concept de substance dans le même sens :
Ce qui constitue le fondement primitif de cette représentation, le soi, la personne, a une validité pour les sciences de l’esprit. Au concept de substance est attaché, issu du monde extérieur, une fixité rigide, un schéma spatial, alors que le flux de notre vie interne nous montre partout procès et activité. Selon notre expérience interne, le soi a une constance, une configuration, une unité, mais qui ne concerne que des procès, des processus, des activités. L’usage du concept de substance dans le monde extérieur a conduit à poser, au fondement des changements, des atomes incorruptibles en tant que substances les plus petites.44
20Mais cela signifie que le concept de substance ne peut donc être en retour appliqué « à l’interprétation (Interpretation) de la réalité du je »45.
21Ainsi, dans la mesure où il cherche à contribuer à l’avènement d’une théorie de la connaissance qui ne soit plus métaphysique, c’est donc plus par rapport à Aristote que par rapport à Kant que se définit le projet diltheyen. À un second niveau qui n’est plus celui, fondationnel, d’une doctrine des catégories, mais celui du déploiement du savoir propre aux sciences de l’esprit, c’est la fécondité du concept aristotélicien de forme en tant qu’il pense un développement et l’invention par le Stagirite de la méthode comparative qui sont fondamentales aux yeux de Dilthey.
22Cet Aristote n’est pas celui de l’Organon ou de la Métaphysique, mais celui du De anima dont Trendelenburg avait donné un commentaire en 1833 en le considérant comme l’œuvre la plus significative d’Aristote, celui des traités biologiques – souvent considérés comme une partie plus secondaire de son œuvre –, celui aussi de la Politeia.
23Après avoir mis l’accent sur la dimension critique du concept de forme à l’égard de la séparation platonicienne entre les Idées et l’effectivité des choses, le cours bâlois de 1864-1868 sur la logique rappelle que ce concept qui vise à saisir l’essence individuelle des choses a permis au Stagirite d’aller au-delà de la simple opposition entre l’être et le devenir pour penser ce dernier en termes de développement. Et si Aristote ne le saisissait que lorsqu’un type se réalisait dans un objet particulier, et métaphysiquement dans l’ensemble de la nature, mais sans l’apercevoir dans le monde historique46, ce concept de développement constitue aux yeux de Dilthey un apport considérable puisqu’il a donné une assise nouvelle à toutes les sciences de la vie organique et humaine47. Comme le précise un additif à l’Introduction de 1883, « le concept de forme, qui est cause efficace en tant que finalité et porte en elle la loi de formation – stérile au niveau de la nature –, correspond à la structure téléologique de l’homme et aux configurations douées de sens qui reposent sur cette dernière »48, et on comprend bien que toute philosophie de l’histoire se reconnaisse plus facilement en Aristote qu’en Platon.
24Mais les analyses d’Aristote ne pouvaient pas ne pas être transies de métaphysique. Le cours de Breslau sur la psychologie (1878) comme ceux de Berlin des années 1880 dénoncent en particulier la thèse de l’indépendance de l’esprit par rapport à l’organisme. Cette thèse scinde en effet la vie psychique de sorte qu’il devient impossible d’en saisir l’unité, et elle constitue aux yeux de Dilthey la raison majeure de l’absence de progrès de la psychologie49. Autrement dit, l’« insertion du noûs dans le psychique, le corporel, l’organique » – et qui, pénétrant l’homme de l’extérieur, le rend véritablement humain et le fait participer à la divinité – fait que la psychologie d’Aristote « commence ainsi avec l’expérience et s’achève par une métaphore métaphysique », ou encore se transforme en une « poésie métaphysique »50. On comprend donc que le débat théologique entre Brentano et Zeller n’ait pas passionné Dilthey, et qu’il devait se sentir plus proche de l’esprit des travaux de l’école péripatéticienne dans laquelle les recherches positives prennent le pas sur les spéculations métaphysiques : ceux de Théophraste, d’Eudème, de Dicéarque de Messine ou de Straton51.
25En dehors de l’introduction du concept de développement, le second apport déterminant de la pensée d’Aristote pour l’élaboration des sciences de l’esprit tient à la méthode comparative qu’il met d’abord en œuvre dans ses recherches biologiques pour déterminer les « lois de formation » des organismes. Comme le rappelle Dilthey, c’est la conception selon laquelle « l’âme s’étend en tant que force plastique à l’ensemble du monde organique, et la perception, l’imagination, le souvenir, le plaisir et le déplaisir, les désirs et les mouvements volontaires, englobent l’ensemble du monde animal et humain », qui permet l’analyse des niveaux de la vie psychique à travers les trois règnes du vivant d’un point de vue anatomique, physiologique et psychologique, c’est-à-dire donne toute son extension à l’application de cette méthode dans la psychologie comparée d’Aristote52.
26Dans le même additif à l’Introduction qui pointait la fécondité de l’appréhension téléologique des êtres naturels, Dilthey ajoute à propos du concept de forme et de cette méthode : « Finalement ces concepts métaphysiques donnaient la possibilité de différencier clairement les configurations finales – qui avaient été distinguées au niveau de la vie professionnelle – et de déterminer leurs relations internes »53. Dilthey va même jusqu’à accorder à l’élaboration de la méthode comparative une importance « incalculable »54.
27Comment comprendre qu’il célèbre à ce point l’invention de la méthode descriptive et comparative telle que la déploie en particulier l’Histoire des animaux ?55 Car on estime en général que dans les sciences de la nature la description et la classification correspondent à une phase primitive de scientificité qui reste en deçà de l’explication, une phase dont le dépassement impliquerait la critique, c’est-à-dire l’abandon, de la métaphysique aristotélicienne. Mais, et pour reprendre les termes de Gomperz, Dilthey en reste d’autant moins à une opposition entre le Platonicien et l’Asclépiade56 qu’il récuse l’idée selon laquelle c’est cette métaphysique qui aurait été l’obstacle à un progrès de l’esprit scientifique. Comme l’affirme l’Introduction, cette hypothèse – c’est le sens par exemple de la dénonciation par Friedrich Lange des simples « velléités », voir de « l’apparence d’empirisme » d’Aristote57 – supposerait d’expliquer une telle prégnance de la métaphysique. Reconnaître « la corrélation factuelle historique entre le caractère formel et descriptif des sciences d’une part, et la métaphysique des formes d’autre part », c’est devoir s’interroger sur leur commune origine. Aux yeux de Dilthey, celle-ci tient d’abord au caractère contemplatif ou oculaire de l’esprit grec – c’est-à-dire à un intellectualisme que pointait déjà en 1859 son journal58 –, et, « peut-être », ajoute-t-il, à une abstraction encore insuffisante car elle implique une longue pratique d’une science particulière, dont les Grecs ne bénéficiaient pas encore à cette époque59.
28L’abstraction nécessaire au progrès des sciences naturelles est en revanche inutile au développement des sciences de l’esprit dont Dilthey a cherché à montrer la spécificité méthodique. Dans ces sciences, et en premier lieu dans la psychologie compréhensive dont les Idées pour une psychologie descriptive et analytique (1894) défendent la légitimité face aux prétentions de la psychologie explicative, le caractère descriptif et comparatif de la connaissance n’a rien d’une étape primitive. Car si cette psychologie vise en premier lieu à dégager les structures générales de la vie psychique, la connaissance de la « profusion inouïe des formes » singulières sous lesquelles s’exprime cette vie implique la mise en œuvre d’une comparaison susceptible de reconduire cette diversité à quelques grands types, c’est-à-dire l’élaboration d’une typologie60. On comprend donc l’importance accordée par De la Psychologie comparée (1895) à l’invention par Aristote de cette méthode comparative : la seule possible dès lors que l’on se refuse à faire des hypothèses afin de « construire » ces types pour, au contraire, les élaborer à partir d’« en bas »61.
29La grande différence avec Aristote tient évidemment à la nature de l’expérience dont part Dilthey. Cette expérience n’est en effet pas celle de la réalité empirique qui nous est accessible par les sens, mais celle dans laquelle nous est donné le savoir de nous-mêmes et du monde : l’expérience pré-théorique de la vie de la conscience. Et, à ses yeux, ce n’est pas à Aristote qu’il revient de l’avoir découverte – cette expérience n’ayant précisément rien d’oculaire ne pouvait qu’échapper à l’intellectualisme grec –, mais à saint Augustin62. Cela n’implique pourtant pas un désintérêt de la part de Dilthey pour les recherches biologiques ou « physiciennes » du De anima, comme le montre son attention aux travaux de ses contemporains relatifs à la psychologie explicative ou expérimentale63 – une psychologie dont la légitimité n’était pas mise en cause par sa défense de la spécificité de la psychologie compréhensive.
30Juste après avoir rappelé qu’Aristote et ses disciples ont fondé une zoologie et une botanique comparées, Dilthey renvoie en effet au chapitre cinq du second livre du De anima où il trouve la source d’inspiration de la théorie comparée des perceptions sensibles du fondateur de la physiologie, Johannes Müller, et de son disciple von Helmholtz64. Par ailleurs, sur l’arrière-plan de la philosophie goethéenne de la nature et de la philosophie transcendantale de Kant, les travaux de Johannes Müller répondent sur le plan de la physiologie à la conception kantienne de la connaissance, voire la corroborent, et en un sens aussi à l’énoncé du principe de phénoménalité, puisqu’ils découvrent la perception comme impliquant une activité, et non la passivité d’une simple réaction : l’impression est moins la cause de la sensation que l’occasion grâce à laquelle sont mises en jeu les énergies sensitives du sujet percevant65.
31Mais par rapport au projet de fondation méthodologique des sciences de l’esprit, l’intérêt de cette méthode comparative tient au fait qu’Aristote et son école ont entrepris de la transposer de la biologie à ces sciences – un passage dont on trouve un équivalent dans celui qui conduira Goethe de ses études minéralogiques et biologiques à ses analyses des phénomènes sociaux et religieux, c’est-à-dire, pour Dilthey, des expressions ou objectivations durables de la vie psychique66. Cette transposition conduit le Stagirite à collationner des descriptions de toutes les constitutions politiques, « de toutes les œuvres d’art et de tous les discours », et elle sera ainsi le point de départ non seulement de sa Politeia, mais également de sa poétique et de sa rhétorique67.
32Malgré les limites de cette transposition liées à celle, simultanée, du concept métaphysique de forme, Dilthey lui accorde un impact décisif, en particulier dans la sphère politique68. Relevant le rôle si « funeste dans les sciences politiques » de sa conception de l’État comme organisme, il considère ainsi que la conception aristotélicienne de la polis comme « configuration réelle finalisée » s’est révélée très féconde pour l’étude comparée de l’État69.
33De façon analogue, si l’Introduction considérait que l’opposition entre matière et forme conduit finalement Aristote à ramener la réalité des États à leurs constitutions politiques en méconnaissant les forces créatrices, les communautés d’intérêt, que constituent les personnes et les peuples70, quelques années plus tard la Psychologie comparée le célèbre néanmoins pour avoir trouvé le principe d’une « anatomie et d’une physiologie comparée » des États dans le réseau des conditions vitales, des fonctions et des droits des différentes classes à l’intérieur de chaque ensemble politique71. Prolongée par les travaux de Théophraste qui a exposé de façon comparative les lois et les coutumes juridiques des États grecs et de Dicéarque de Messine dont la Vie de l’Hellas retrace l’histoire de la culture grecque du stade de la vie nomade à la décadence de la liberté grecque, cette science politique comparée est, « après la logique », son œuvre « la plus mûre et aujourd’hui encore la plus influente ».
34À deux reprises au moins, Dilthey pointe la répétition du geste aristotélicien de cette transposition dans l’essor des sciences de l’esprit au XVIIIe siècle : c’est en partant des sciences de la nature, et en particulier de la biologie, que le comparatisme dans les sciences de l’esprit a entrepris de saisir non plus l’unité d’une commune nature humaine comme au siècle précédent, mais le processus de l’individuation72. Grâce à cette méthode, Niebuhr, Franz Bopp et Jakob Grimm ont ainsi accompli, en ce qui concerne le langage, le projet humboldtien. La mise en œuvre de cette méthode est ainsi indissociable du développement de l’École historique qui l’a appliquée « à la langue, au mythe, à l’épopée nationale, la comparaison du droit romain et germanique [devenant] le point de départ du développement de cette méthode également dans le domaine juridique »73. Par-delà les deux grandes références explicites au Stagirite dont il a été question jusqu’à maintenant, il est enfin possible de se demander si l’esprit de sa philosophie ne marque pas d’autres aspects de la pensée diltheyenne.
35Car, sans renvoyer au Stagirite et dans le prolongement d’une question et d’une thèse trendelenburgeoise, c’est encore cette méthode que Dilthey met en œuvre pour prolonger la phénoménologie de son Introduction qui cherchait à découvrir, sous les « ruines » de la métaphysique et de la théologie, le savoir pré-théorique de l’expérience vécue au fondement de nos savoirs théoriques. À ce niveau fondationnel qui n’est plus celui de la méthodologie des sciences de l’esprit, cette méthode permet de dégager des « types de vision ou de conception du monde » qui, par-delà la singularité de toutes les philosophies, ramènent leur diversité à quelques groupes en fonction de leurs parentés. La place d’Aristote dans cette typologie précise par ailleurs la façon dont Dilthey le situe, non plus quant à l’efficience historique de sa philosophie, mais par rapport à d’autres attitudes philosophiques fondamentales.
36L’originalité de la théorie diltheyenne des visions du monde se mesure d’autant mieux qu’on la compare à celle de Trendelenburg dont le néo-aristotélisme est sur ce point finalement moins conforme à l’esprit d’Aristote que ne l’est la typologie de Dilthey. Leurs théories se démarquent en premier lieu par le critère de leur distinction. Dans son essai de 1847 intitulé Über den letzten Unterschied der philosophischen Systemen, Trendelenburg suggère de ramener la diversité des systèmes philosophiques considérés comme des organismes à trois types de conceptions du monde selon que le primat est accordé à l’un des deux termes de la relation entre la pensée et l’être, ou que ces derniers sont pensés dans le cadre d’une dualité insurmontable74. Et c’est seulement dans un second temps que ces types sont rétrospectivement examinés dans leurs figures historiques. Si elle s’en est initialement inspirée, la distinction diltheyenne se veut en revanche empirique, et non le résultat d’une déduction logique, dans la mesure où elle invite à partir d’une comparaison des philosophies historiquement données ; sa classification est de ce fait plus souple, ce qui se traduit par le fait qu’elle admet aussi des formes intermédiaires75. Mais la différence de critère n’est pas simplement d’ordre méthodique, dans la mesure où Dilthey reconduit la diversité de ce qui nous est historiquement donné à des différences pré-théoriques pour distinguer des parentés de vision du monde ; celles-ci renvoient à des « structures psychiques » à condition d’entendre ces dernières comme des attitudes ou des comportements, des modes d’être pré-logiques et affectifs76. Autrement dit, la différence entre ces deux variations sur le thème aristotélicien tient au fait que, de Trendelenburg à Dilthey, on passe d’une théorie des conceptions du monde à une théorie des visions du monde.
37Dans le cadre de cette théorie, on ne s’étonnera pas que Dilthey ait vu en Aristote comme en Trendelenburg des représentants de l’idéalisme objectif77. Par rapport au positivisme et à l’idéalisme subjectif ou de la liberté, caractérisés par la prédominance d’interprétations du monde en termes de causalité physique et de volonté, « l’idéalisme objectif repose sur un comportement contemplatif et esthétique qui, dans le monde qui l’environne, veut percevoir du sens, de la signification, des configurations compréhensibles »78.
38Mais l’esprit du Stagirite marque manifestement Dilthey à un second niveau plus implicite et fondamental, et il transparaît peut-être dès sa lettre de 1856 à son père. Le fait que ses premiers travaux aient porté non seulement sur Aristote, mais sur l’éthique – puisque c’est encore le cas de sa thèse d’habilitation –, ne s’explique pas seulement par l’intérêt de Trendelenburg pour cette question79. Intitulé Sur l’étude de l’histoire des sciences de l’homme, de la société et de l’État, le thème de son premier essai de 1875 est tout aussi significatif, et le manuscrit destiné à le prolonger qualifie ainsi les sciences dites humaines de « sciences de la vie pratique » ou de « sciences pratiques »80. Aux yeux de Dilthey, c’est en effet aussi bien l’origine que la finalité de ces sciences qui est pratique. Si l’Introduction rappelle que ce sont des besoins pratiques qui ont déterminé leur constitution dans l’Antiquité, c’est-à-dire la théorisation des techniques « grammaticales, logiques, rhétoriques, poétiques, économiques et juridiques »81, le cours de psychologie de 1878 établit explicitement le parallèle entre la portée des sciences modernes de la nature et celle des sciences de l’esprit.
39Après avoir constaté que le pouvoir accordé par les sciences de la nature pour améliorer les conditions du bien-être a conduit à « la chasse aux biens extérieurs » sans avoir pour autant rendu les hommes heureux, et qu’il a ainsi suscité un « sentiment pessimiste généralisé », Dilthey y déclare dans l’esprit de Bacon et de Condorcet :
Les sciences humaines, sociales et historiques, sont seules susceptibles de nous permettre la maîtrise et la direction de la réalité sociale [...]. C’est seulement lorsque les sciences sociales auront également développé les lois en fonction desquelles se produisent les événements qu’elles étudient que nous pourrons espérer éviter les terribles tempêtes qui s’abattent maintenant périodiquement sur le monde et dissoudre cette tonalité pessimiste généralisée. C’est ainsi que s’explique l’importance de la psychologie.82
40La façon dont ce passage pense la solution sociale et politique à la détresse de l’époque peut laisser croire que Dilthey en reste à une conception technicienne positiviste des sciences de l’esprit. Mais bien qu’il ne s’en soit effectivement pas entièrement libéré, c’est à un double niveau qu’il s’en démarque décisivement. D’abord, cette conception instrumentale du savoir des sciences de l’esprit ne saurait répondre au défi représenté par l’oubli d’une tradition qui menace l’identité de ceux qui l’ont perdue, et qui implique, lui, une conception compréhensive de ces sciences de l’esprit : celle qui motive les recherches diltheyennes relatives à l’histoire de l’esprit allemand – des recherches invitant en particulier à se réapproprier l’héritage de l’idéalisme post-kantien. Une telle ré-appropriation peut seulement orienter un avenir qui reste à déterminer, et c’est donc en termes de sagesse pratique, de phronésis, au sens aristotélicien que doit être pensée l’effectivité de ces sciences.
41En second lieu, c’est au niveau non de la méthodologie de ces sciences – niveau où se situe l’invitation gadamérienne à penser la tâche herméneutique de l’application sur le « modèle » de la phronésis aristotélicienne83 –, mais de leur fondation, que Dilthey se démarque explicitement de la conception objectiviste des sciences dites humaines. Il considère en effet que son Introduction dépasse le trait caractéristique de la tradition métaphysique : la subordination de la philosophie pratique aux sciences théorétiques ou à la raison théorique, si ce n’est leur séparation84. Or un tel dépassement implique la critique des conceptions traditionnelles aussi bien de l’agir que du savoir, et en particulier de l’illusion, souvent dénoncée par Dilthey, d’une connaissance qui serait dénuée de préjugés – une illusion dont participent les conceptions des sciences humaines ou de la culture qui prétendent parvenir à un savoir axiologiquement neutre.
42Comme le suggère Manfred Riedel, à l’époque de leur émancipation à l’égard de la métaphysique, les « sciences de l’esprit » telles que les conçoit Dilthey sont le nouvel intitulé de la « philosophie pratique »85, ou de cette philosophie « des choses humaines »86, dans la mesure où l’Introduction entend les fonder sur « une auto-réflexion (Selbstbesinnung) englobant l’intégralité de la vie psychique », c’est-à-dire son activité aussi bien émotionnelle et volitive qu’intellectuelle87. Autrement dit, dénonçant l’intellectualisme de la théorie de la connaissance de Hume, Locke, Kant, Comte et Mill, Dilthey lui oppose celle fondée sur une « philosophie de l’auto-réflexion ou de la vie »88. D’un autre côté, et comme le suggèrent aussi Helmut Johach et Frithjof Rodi, la reprise de la distinction aristotélicienne entre phronésis et épistémé, et le renvoi sur ce point à Socrate et à Schleiermacher89, signifie que cette auto-réflexion doit pouvoir fonder non seulement la connaissance, mais l’action, c’est-à-dire insuffler « une force nouvelle à la vie spirituelle de l’Europe »90.
43Si l’on considère le Stagirite avant tout comme le fondateur de la logique et de la métaphysique qui reste le soubassement de la métaphysique du XIXe siècle, la dénonciation par Dilthey de leur caractère oculaire ne fait pas de lui un aristotélicien. Quoique la référence à Kant soit la plus immédiatement visible, celle à Aristote, plus discrète, est néanmoins la plus constante et essentielle sur chacun des deux versants du projet diltheyen de fondation. C’est en effet contre la fondation aristotélicienne de la conceptualité européenne que Dilthey va chercher à élaborer une conceptualité propre à la vie et aux sciences de l’esprit, c’est-à-dire un nouvel Organon. À ce niveau, il invite néanmoins à reconnaître que le concept aristotélicien de « forme » constitue la première ébauche de ce que les sciences de l’esprit penseront en termes de « développement ».
44En second lieu, et au niveau cette fois méthodologique, c’est chez Aristote que Dilthey trouve à la fois l’invention de la méthode comparative et sa transposition – réitérée au XVIIIe siècle – de la biologie à la sphère des choses humaines. Ce double geste fait du Stagirite le fondateur de la méthode propre aux sciences de l’esprit et déjà impliquée par l’herméneutique philologique des textes, malgré la différence de nature de l’« expérience » à laquelle elle s’applique. Plus souterrainement, c’est encore cette invention qui détermine la typologie diltheyenne des philosophies. C’est enfin le concept d’autoréflexion qui renoue manifestement avec l’idée aristotélicienne d’un savoir pratique. D’une part, dans la mesure où Dilthey invite à penser une théorie de la connaissance qui partirait de la globalité de l’expérience de la vie, c’est-à-dire d’un savoir non seulement intellectuel et sensitif, mais d’un ethos également affectif et historique. Et d’autre part, dans la mesure où les savoirs compréhensifs ainsi fondés co-déterminent la constitution de l’identité de ceux qui s’y livrent et permettent simultanément d’orienter leur action.
Notes de bas de page
1 S’il suit en 1854 le cours quotidien de Trendelenburg sur l’histoire de la philosophie antique, en 1856 c’est aussi chez lui ou chez Jonas que Dilthey a l’habitude de passer le dimanche soir (Der junge Dilthey. Ein Lebensbild in Briefen und Tagebüchern. 1852-1870, C. Misch éd., Leipzig et Berlin, 1933, p. 19 et 31). Voir aussi sa lettre à son frère Karl à la mort de Trendelenburg (Der junge Dilthey, p. 315) et son discours à l’occasion de son 70e anniversaire (1903) où il resitue l’impact, dans le contexte du Berlin des années soixante, de l’enseignement de « [son] maître et ami Trendelenburg [...] qui a exercé sur [lui] la plus grande influence » (Gesammelte Schriften – désormais cité GS – V, Leipzig et Berlin, B.G. Teubner, 1924, p. 8 sq., trad. M. Remy, Le Monde de l’esprit – désormais cité Le Monde de l’esprit –, Paris, Aubier – Montaigne, 1947, I, p. 14, et dans le même sens GS XI, p. 242 sq.).
2 Der junge Dilthey, p. 281. Au printemps 1859 par exemple, il lit la Métaphysique d’Aristote deux fois par semaine avec Hoffmann et Usener (Der junge Dilthey, p. 67).
3 Voir ses lettres à Yorck von Wartenburg de fin 1883 et de l’été 1884 (in Briefwechsel zwischen Wilhelm Dilthey und dem Grafen Paul von Wartenburg. 1877-1897, Halle, M. Niemeyer, 1923, p. 37 et 46). Mais c’est avec Zeller, Beno Erdmann et Hermann Diels – qui lui dédiera ses Fragmente der Vorsokratiker en 1903 – qu’il fondera en 1887 les Archiv für Geschichte der Philosophie.
4 Voir Briefwechsel zwischen Wilhelm Dilthey und dem Grafen Paul von Wartenburg. 1877-1897, op. cit., lettre de février 1883. De la même génération que Brentano, il le considère comme un métaphysicien scolastique.
5 GS XV, p. 152 sq. et 157 sq.
6 Der junge Dilthey, p. 93-95. Friedrich Überweg procède de la même manière dans son Grundriß der Geschichte der Philosophie (1863-1866) comme le remarque aussi John Rogers dans son article « Les paradigmes et l’historiographie de la philosophie » (in Comment écrire l’histoire de la philosophie ?, Y. C. Zarka éd., Paris, Presses Universitaires de France, 2001, p. 226 sq.).
7 GS I, p. 410, trad. L. Sauzin, Introduction à l’étude des sciences humaines, Paris, Presses Universitaires de France, 1942, p. 504.
8 Voir « Aus Eduard Zeller Jugendjahren », in GS IV, p. 448, et dans le même sens l’article nécrologique de 1908 consacré à Zeller, GS XV, p. 272 sq.
9 Voir « Rückblick auf das aristotelische System », in Die Philosophie der Griechen (1844-1852), Leipzig, 1921, 4e éd., p. 797-806.
10 Voir les cours de logique de l’époque bâloise (1864-1868), in GS XX, p. 96 et 98, comme GS I, p. 395-397, trad. L. Sauzin, p. 485-488. Et c’est manifestement l’intellectualisme de l’interprétation de Philon par Zeller que vise Dilthey dans son journal (voir Der junge Dilthey, p. 86).
11 Der junge Dilthey, p. 41 et 281. Si Dilthey déplorera en 1870 le fait que ces travaux n’aient encore donné lieu à aucune publication (Der junge Dilthey, 185), voir néanmoins l’article de 1858 intitulé « Die Gnosis. Marcion und seine Schule » (maintenant in GS XV).
12 Der junge Dilthey, p. 168 et 282 sq. Une version plus élaborée de sa seconde partie est intégrée à GS XIV/1 p. 340-357 ; la même année, sa thèse d’habilitation sera consacrée à un « Essai d’analyse de la conscience morale » (GS VI, p. 1-55, trad. Le Monde de l’esprit II, p. 5-58). Schleiermacher avait de son côté examiné la question de la chronologie des écrits aristotéliciens sur l’éthique dans son essai de 1817 intitulé Über die ethischen Werke des Aristoteles.
13 Der junge Dilthey, p. 140 sq.
14 GS XX, p. 1.
15 GS XX, p. 4-14.
16 GS XX, p. 15-18 (voir dans le même sens la retranscription du cours d’histoire générale de la philosophie du semestre d’hiver 1900-1901, in GS XXIII, p. 239).
17 « D’ailleurs, jusqu’ici l’effectivité s’est toujours dévoilée à ceux dont la recherche suivait fidèlement ses lois sous des traits beaucoup plus sublimes et riches que ceux qu’arrivaient à dépeindre au prix d’efforts extrêmes l’imagination mythique et la spéculation métaphysique ».
18 « MEPHISTO : Des déesses trônent, sublimes, dans la solitude ; aucun espace ne les environne, et encore moins un temps ; comment pourrait-on en parler ?
- FAUST : Quel chemin faut-il prendre ?
- MEPHISTO : Il n’y a pas de chemin. Des sentiers que personne n’a jamais foulés, et qu’il est interdit de fouler ».
19 GS V, p. 4, trad. Le Monde de l’esprit I, p. 10.
20 Geschichte der Philosophie, Sämtliche Werke Berlin, Reimer, 1833-1864, III, 4, 1, p. 110 et 120.
21 Voir Peter Petersen, Aristotelische Philosophie im protestantischen Deutschland, Leipzig, Meiner, 1921, p. 12 sqq.
22 À propos de Goethe, voir en particulier « Geschichte der Farbenlehre », in Goethes Werke XIV, Hambourg, C. Werner Verlag, 1960, p. 53 sq.
23 Métaphysique I, 9, 992 a 24, Des parties des animaux, I, 5, 645 a, Zeller, Die Philosophie der Griechen, op. cit., p. 164 sqq. et 176, et GS I, p. 193, trad. L. Sauzin, p. 245.
24 GS XIX, p. 234 (travaux de 1880-1890 relatifs au projet du second volume de l’Introduction).
25 GS XIX, p. 236 et plus largement GS I, respectivement p. 198, 202 et 193, trad. L. Sauzin, p. 252, 256 et p. 246 sq.
26 GS I, p. 176 et 179, trad. L. Sauzin, p. 224 et 228.
27 Cette critique visant la théorie de la correspondance et sa pérennité au XIXe siècle se retrouve par exemple dans le cours de logique de 1885 (voir GS XX, p. 167 sq.), ou dans son cours d’histoire de la philosophie de 1900 (voir GS XXIII, p. 239). En ce qui concerne Schleiermacher voir sa Dialectique (Sämtliche Werke op. cit., III, 4, 2e partie, Berlin, 1839, p. 49 sqq., trad. C. Berner et D. Thouard, Dialectique, Paris, Éd. du Cerf/Labor et Fides/Presses de l’Université Laval, 1997, p. 86 sqq.
28 Geschichte der Kategorienlehre, in Historische Beiträge zur Philosophie I, Berlin, G. Bethge, 1846, p. 365 par exemple.
29 Logische Untersuchungen, 3ème éd., Leipzig, 1870, rééd. Hildesheim, Olms, 1964, p. 11 sq.
30 « Dans la mesure où il [le mouvement] règne sur les deux mondes, le spirituel et l’extérieur, il les médiatise tous deux », Logische Untersuchungen, op. cit., p. 337. Voir également p. 532 sq., et en général le chapitre V consacré au mouvement, p. 141 sq.
31 Voir par exemple Peter Petersen, Die Philosophie Friedrich Adolf Trendelenburgs. Ein Beitrag zur Geschichte des Aristotelismus im 19. Jahrhundert. Hambourg, C. Boysen Verlag, 1913, p. 191.
32 GS XIX, p. 17.
33 GS I, p. 123, trad. L. Sauzin, p. 159.
34 GS XXIII, p. 235.
35 Der junge Dilthey, p. 36 et 281.
36 Der junge Dilthey, p. 92.
37 GS XIX, p. 170. C’est également cette réserve à l’égard de la portée de la dialectique transcendantale que formulera F. Alquié (voir La Critique kantienne de la métaphysique, Paris, Presses Universitaires de France, 1968, p. 140 sq.).
38 Der junge Dilthey, p. 79 sq.
39 Sur l’analyse critique des autres concepts métaphysiques comme ceux d’essence ou de cause, nous nous permettons de renvoyer à nos analyses dans La Pensée herméneutique de Dilthey. Entre néokantisme et phénoménologie, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2002, p. 150-157 et à notre introduction aux Conférences de Cassel de Heidegger, Paris, Vrin, 2003, p. 93-95, 98 sq.
40 Voir son Système de logique de 1843, trad, Peisse, Liège/Bruxelles, Éditions P. Mardaga, 1988, p. 49 sq.
41 GS XIX, p. 173.
42 GS I, 204, trad. L. Sauzin, p. 258 (voir dans le même sens GS I, p. 401, trad. L. Sauzin, p. 492).
43 Logique de Bâle de 1864-1868, GS XX, p. 96.
44 GS XX, p. 204.
45 GS XIX, p. 173.
46 GS VIII, trad. L. Sauzin, Théorie des conceptions du monde, Paris, Presses Universitaires de France, 1946, p. 157.
47 GS XX, p. 42.
48 Additif à l’Introduction aux sciences de l’esprit, GS I, p. 424, trad. L. Sauzin, p. 519.
49 Voir le cours de 1885-1886 sur la psychologie comme science empirique (GS XXI, p. 263 sq.) et dans le même sens celui de 1888-1889 (GS XXI, p. 281).
50 Voir le cours de 1878, in GS XXI, p. 31 et 37 et dans le même sens GS XIX, p. 171 sq.
51 GS XXIII, p. 41.
52 GS V, p. 306, trad. Le Monde de l’esprit I, p. 308, et dans le même sens le constat de 1878 in GS XXI, p. 36 sq.). « Maintenant, ceux qui parlent de l’âme et font des recherches à son sujet semblent examiner l’âme humaine seule, alors que la psychologie est du ressort du “physicien’’ » (De anima I, 1, 402 b 3-5 et 403 a 27). Voir dans le même sens Des Parties des animaux I, 1, 641 a 17-25.
53 GS I, p. 424 sq., trad. L. Sauzin, p. 519.
54 Voir GS XX, p. 149 et GS I, p. 208, trad. L. Sauzin, p. 263 sq.
55 Son objet est en effet de « saisir les différences et les caractères communs », Histoire des animaux, 496 a 6-10. Sur la méthode comparative chez Aristote, voir par exemple René Lefebvre, « Aristote zoologue : décrire, comparer, définir, classer », Archives de philosophie 61 (janvier-mars 1998), 33-59.
56 Sur Th. Gomperz, voir Griechische Denker (1893-1909), trad. A. Reymond, Les Penseurs de la Grèce, Lausanne/Paris, 1904-1910, III, 6 : « Le Platonicien et l’Asclépiade ».
57 Voir sa Geschichte des Materialismus I, Iserlohn, 2e éd., Baedeker, 1873, p. 61 sqq., trad. B. Pommerol, Histoire du matérialisme I, Paris, 1877, p. 73 sqq.
58 Der junge Dilthey, p. 85.
59 GS I, p. 209 sq., trad. L. Sauzin, p. 264-266.
60 GS V, p. 241, trad. Le Monde de l’esprit I, p. 247, et sur la comparaison avec la médecine voir par exemple GS V, p. 280, trad. Le Monde de l’esprit I, p. 285.
61 Voir dans le même sens GS VII, p. 99, trad. S. Mesure in Œuvres 3, Paris, Éd. du Cerf, 1988, p. 53.
62 Voir GS I, p. 259, 263 sq. et 267, trad. L. Sauzin, p. 324 sq., 331 et 333, Dilthey déclarant par ailleurs se sentir étranger à l’égard de la négation de la vie propre au christianisme, comme de sa méfiance à l’égard de la nature humaine et du souci de l’au-delà et du supra-sensible (Der junge Dilthey, p. 152).
63 Dilthey qui suivit à l’époque de Bâle les cours de physiologie d’un de ses collègues dira avoir été fasciné par leurs travaux, et il élaborera lui-même deux théories à partir de ses propres études dans ce domaine (Der junge Dilthey, p. 256, 261, 283 et 285).
64 GS V, p. 305 sq., trad. Le Monde de l’esprit I, p. 308 sq.
65 Voir De anima, III, 2, 425 b 25.
Sur cette référence de Dilthey à Müller, voir Der junge Dilthey, p. 283 sq. et, par exemple, ses cours berlinois de psychologie de 1883-1884 et de 1888-1889 (GS XXI, p. 211 et 287 sq.) et GS I, p. 59, trad. L. Sauzin, p. 80. Il semble qu’ici Dilthey se démarque de Lange dont la Geschichte des Materialismus dénonce le supposé empirisme d’Aristote et considère que « la physiologie des organes des sens, c’est le kantisme développé ou justifié », que « le système kantien pourrait être considéré comme un programme – pour ainsi dire – des plus récentes découvertes dans ce domaine » (op. cit., p. 850, trad. Histoire du matérialisme, op. cit., p. 437).
66 GS V, p. 22, trad. Le Monde de l’esprit I, p. 28. Par rapport à la portée du De anima, la réduction aux objectivations de la vie psychique humaine des phénomènes susceptibles d’être compris constitue un recul comparé à la position initiale de Dilthey (sur ce recul, nous nous permettons de renvoyer à notre article « Gadamer et l’École de Göttingen : les deux voies de l’herméneutique post-diltheyenne », in L’Héritage de Gadamer, Paris, Éd. Le Cercle herméneutique, 2003, p. 215 sq.). En revanche, les travaux de Von Uexküll peuvent être considérés comme un élargissement des sciences compréhensives à la biologie comme science du sensible. Celle-ci revient en effet en quelque manière à Aristote dans la mesure où ce sont précisément les qualités dites « secondes » qu’elle invite à étudier (voir par exemple sa critique de la psychologie expérimentale d’inspiration pavlovienne ou behavioriste dans l’introduction à sa Bedeutungslehre in Streifzüge durch die Umwelten von Tieren und Menschen. Bedeutungslehre, Hambourg, Rowohlt, 1956, p. 161).
67 S’appuyant également sur les travaux de Johannes Müller sur l’imagination (voir GS I, p. 59, trad. L. Sauzin, p. 80 et GS VI, p. 178, trad. D. Cohn et E. Lafon, in Écrits d’esthétique. Œuvres 7, Paris, Éd. du Cerf, 1995, p. 107), la nouvelle fondation que Dilthey cherche à donner à la poétique se démarque encore d’Aristote : elle n’aurait pas un fondement objectiviste comme la théorie aristotélicienne de l’imitation, mais supposerait de comparer les « cellules originelles de la poésie telle qu’elle s’exprime chez les peuples primitifs » (voir GS VI, p. 196, trad. Œuvres 7, p. 126).
68 GS XX, p. 40, et sur cette méthode dans la poétique, voir par exemple GS VI, p. 109 sq., trad. in Œuvres 7, p. 37 sq. Il reste étonnant que Dilthey ne mentionne pas l’Éthique à Nicomaque. Car – loin de la déduction platonicienne des vertus à partir des diverses fonctions de l’âme et bien qu’Aristote n’y indique certes pas aussi clairement son identité avec celle de ses travaux biologiques – la description et la distinction typologique des vertus des livres III à V met en œuvre la même méthode. D’une certaine manière, cette éthique, dont l’impact n’a pas été moins grand, nous semble en effet encore plus éloignée que la Politeia des constructions théoriques dont Dilthey démarque les sciences de l’esprit.
69 GS I, p. 229, trad. L. Sauzin, p. 288.
70 GS I, p. 231, trad. L. Sauzin, p. 290.
71 GS V, p. 307 et plus largement 304-308, trad. Le Monde de l’esprit, p. 309 et 306-310. En ce qui concerne Aristote, voir Politiques, IV, 4, 1290 b 25-38 sur la classification qui, à partir de l’observation des parties, déduit le nombre de combinaisons possibles, et V, 3, 1302 b 34-40 sur les causes de transformations.
72 GS V, p. 309-316, trad. Le Monde de l’esprit I, p. 310-317, Dilthey distinguant trois époques respectivement marquées par Linné, puis par Buffon et Haller, et enfin par Lyell et Darwin, qui correspondent à trois stades de l’application de cette méthode à l’homme et à la société.
73 GS VII, p. 99, trad. in Œuvres 3, p. 53.
74 Même si Aristote n’est pas nommé, la transposition de sa méthode comparative est patente dès la première page de cet essai qui compare l’ultime différence entre les systèmes philosophiques qu’il se propose de mettre à jour afin de pouvoir les ordonner d’une part, et l’ultime différence que constituent les cotylédons pour les plantes ou les systèmes axiaux pour les cristaux d’autre part (voir Historische Beiträge zur Philosophie II, Berlin, 1855, p. 1).
75 « Die drei Grundformen der Systeme in der ersten Hälfte des 19. Jahrhunderts » (1898), in GS IV, p. 553. Il y a également parfois des différences dans la classification ; ainsi, « la pensée romaine » relève de l’idéalisme de la liberté, lorsque l’accent est mis sur la volonté (GS II, p. 314), ou de l’idéalisme objectif, lorsqu’il est mis sur le caractère métaphysique des concepts romains (GS IV, p. 543). Sur l’indéductibilité des conceptions du monde, voir aussi GS VIII, p. 15, trad. L. Sauzin, p. 17.
76 Dès 1860, Dilthey invite ainsi à substituer au point de vue de la logique universelle, celui des « formes en devenir et changeantes de la mobilité de l’esprit » (Der junge Dilthey, p. 124). Voir Joachim Wach, Die Typenlehre Trendelenburgs und ihr Einfluß auf Dilthey, Tübingen, J.C. B. Mohr, 1926, p. 18 et 29 sq.
77 GS IV, respectivement p. 543 et 540.
78 GS IV, p. 547 sq.
79 Voir son Naturrecht auf dem Grunde der Ethik de 1860.
GS XVIII, p. 57 sq., et voir dans le même sens p. 225. Cet intérêt le conduit aussi à faire des recensions de Comte, Spencer et Marx (voir GS XVII).
80 Voir son Naturrecht auf dem Grunde der Ethik de 1860.
GS XVIII, p. 57 sq., et voir dans le même sens p. 225. Cet intérêt le conduit aussi à faire des recensions de Comte, Spencer et Marx (voir GS XVII).
81 GS I, p. 225, trad. L. Sauzin, p. 283 (et en un sens analogue GS I, p. 21, trad. L. Sauzin, p. 34).
82 Voir le cours de psychologie de 1878 in GS XXI, p. 23 sq. Les premières pages de l’Introduction insistent dans le même sens sur la nécessité de contribuer à un « sain progrès » de la vie sociale par la connaissance des forces qui la régissent (GS I, p. 4, trad. L. Sauzin, p. 12).
83 Wahrheit und Methode, Gesammelte Werke 1, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1990, p. 317, 320 et 329, trad. P. Fruchon et. alt., Vérité et méthode, Paris, Seuil, 1996.
84 GS I, p. 225, trad. L. Sauzin, p. 283.
85 Voir l’introduction de Manfred Riedel à son édition de Der Aufbau der geschichtlichen Welt in den Geisteswissenschaften, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1983, p. 21 et 52.
86 Éthique à Nicomaque, X, 10, 1181 b 15.
87 GS V, p. 152, trad. Le Monde de l’esprit I, p. 158.
88 Voir « Übersicht meines Systems », in GS VIII, (6e éd., 1991), p. 178 sq., trad. L. Sauzin mod., p. 225.
89 GS XIX, p. XXVII ; en ce qui concerne Socrate et Schleiermacher, voir respectivement GS I, p. 178 sq., trad. L. Sauzin, p. 226 sq., GS XIX, p. 152 et GS XIV/1, p. 464.
90 GS XIX, respectivement p. 57, 89 et 275.
Auteur
Maître de conférences à l’Université de Dijon.
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