Les formes et l’histoire : influences aristotéliciennes chez Droysen
p. 105-124
Texte intégral
1Les contemporains de Droysen ont été les premiers à percevoir une empreinte aristotélicienne dans l’œuvre de Johann Gustav Droysen (1809-1884). Le témoignage le plus ancien remonte à Heinrich Leo, qui en 1867 écrivait au sujet du Précis de théorie de l’histoire : « Ce petit livre se base essentiellement sur un fondement aristotélicien »1. En 1878, dans le cadre d’une ébauche biographique de Droysen, Alfred Dove fait remonter l’approfondissement d’Aristote à la période où Droysen travaillait sur l’époque alexandrine, précisément dans les années trente, marquées par la « renaissance » aristotélicienne. Dove souligne l’influence de la pensée de Wilhelm von Humboldt sur la théorie de l’histoire de Droysen, mais remarque que ce dernier l’aurait cependant « traduite dans son Historik, d’une certaine manière, avec sa démarche d’historien pratique, de platonicien en aristotélicien »2.
2Malgré ces premières considérations judicieuses, rarement depuis lors on a insisté sur ce trait aristotélicien chez Droysen, pris en considération depuis peu seulement par la critique3.
1. Historien de l’Antiquité
3Le parcours intellectuel de Droysen est lié à l’évolution de la philologie classique. Il se forme à l’école de August Boeckh ; donc à une phase de la philologie classique qui a largement contribué à la transformation de l’image néoclassique de la grécité, dont découlera la mise en question – déjà initiée par Hegel, dont Droysen avait été lui même élève – des stylèmes historiographiques qui affectaient la vision d’ensemble de la philosophie grecque4. Dans les années où Bekker, qui vient comme Boeckh de l’école de Friedrich August Wolf, commence à publier son édition d’Aristote, Droysen se forme en traduisant Eschyle et Aristophane ; il entreprend ensuite des recherches d’histoire ancienne et puis il se consacre, en partie en raison de son engagement politique de plus en plus marqué, à l’histoire moderne et contemporaine5. Dans ses œuvres consacrées à l’histoire ancienne, de Alexandre le Grand à L’histoire de l’Hellénisme, Droysen réfute l’axiome, avancé par Winckelmann et révisé par Heyne6, selon lequel l’époque post-classique de la culture grecque est une époque de décadence, de « corrosion » de la grécité. Dans ce contexte, Droysen donne une vision novatrice des écoles philosophiques hellénistiques, s’éloignant ainsi de l’interprétation hégélienne plus que ne le fera peu après Eduard Zeller7. Droysen vise à unifier Aristote et la culture hellénistique sous l’égide d’un « esprit moderne » qui les rapproche, conformément à son interprétation de l’hellénisme en tant qu’« âge moderne du paganisme »8.
4Cette allusion aux éléments novateurs avancés par Droysen témoigne à elle seule de l’autonomie dont il faisait épreuve dans l’interprétation de l’histoire de la pensée grecque, y compris vis-à-vis de la leçon hégélienne. Mais au-delà de l’œuvre de Droysen en tant qu’historien de l’antiquité9, toute la question tourne autour de la fonction des éléments aristotéliciens qu’il introduit dans l’Historik, son œuvre théorique par excellence, à laquelle renvoient les considérations citées de ses contemporains ; à savoir si et dans quelle mesure cette fonction doit être considérée comme portante d’un point de vue architectural, c’est-à-dire significative à l’intérieur de son projet d’une science de l’histoire.
5En quête de ces éléments portants, nous voudrions poser la question de la fonction d’Aristote chez Droysen à travers quelques thèmes fondamentaux, tels que l’empirie, la notion de forme – qui caractérise sa vision du monde historique ainsi que de la causalité qui y opère –, et la notion de temps historique – que Droysen synthétise en utilisant les termes d’Aristote : epidosis eis autò ; tous éléments qui semblent confirmer la thèse d’une inspiration aristotélicienne dans sa conception de la science de l’histoire et de son processus scientifique. Si, comme le remarque Pandel contre Hayden White, Droysen regrette qu’Aristote, bien qu’initiateur de la recherche historique, n’ait pas saisi l’essence de l’histoire – ce qui a porté à la dérive de l’histoire vers une rhétorisation à partir d’Isocrate (et plus tard avec Gervinus)10 – on peut alors comprendre qu’Aristote puisse lui-même faire office de dieu tutélaire pour le projet qu’il avait de rendre à l’histoire son statut de science.
2. L’empirie
6On a parlé de « crise de la philosophie », de « discrédit de la philosophie spéculative » au cours du XIXe siècle allemand11, et du paradoxe selon lequel c’est précisement l’entreprise philologique et philosophique qui visait à mettre à jour le corpus d’un des plus prestigieux philosophes de l’histoire occidentale, qui semble s’inscrire dans la recherche d’une démarche alternative à la philosophie spéculative. Un enjeu dans lequel l’image d’Aristote en tant que réaliste, philosophe de l’empirie – image avancée par Schleiermacher et reprise encore par Ritter, mais rejetée par Hegel et après lui par Zeller12 – semble jouer un rôle capital. Comme le remarque Maclean, c’est autour de l’instance de l’empirie que se joue, pendant une courte période, la pris de distance vis-à-vis de la philosophie hégélienne, dans laquelle les historiens et les scientifiques se retrouvent provisoirement alliés à cette époque en Allemagne, pour bientôt se différencier pour plusieurs raisons, notamment de nature politique13.
7Freuler développe le thème du discrédit de la philosophie à partir de la mort de Hegel, s’appuyant sur des analyses datant essentiellement de la deuxième moitié du siècle, qui faisaient alors autorité. Droysen apparaît comme un témoin précoce de cette évolution, comme le montre une lettre écrite quelques mois avant la mort de Hegel, en mai 1831 :
Regarde les philosophes après la Révolution [Française] ; ils s’efforcent de connaître ou de fonder de manière critique quelque connexion entre le Moi et le monde, puis [...] de connaître soi-même en connexion au monde, et ensuite, avec finesse et mordant, de se concevoir soi-même au-dessus de cette connexion, ainsi qu’en tant que base et sommet de celle-ci ; enfin, et c’est ça la chose la plus effrayante, de connaître cette connexion même. L’esprit, qui ne jetait qu’un regard si timide, si humble hors de sa finitude, et qui vécut et s’inscrit ensuite dans l’unité totale propre aux philosophes de la nature, est devenu diable puis Dieu ; grâce au ciel, il s’agit seulement d’un Dieu de la Restauration, un Dieu par la grâce de Dieu. Mais que se passe-t-il ensuite ? Il faut commencer à vivre, à penser, à espérer et désespérer selon l’éphémère et l’empirice.14
8Le référence à l’empirice remonte donc au début des années trente. Quelques années plus tard, en 1838, dans un essai-recension consacré à des publications de l’époque autour de la Grèce antique, Droysen semble accréditer l’image d’Aristote en tant que philosophe de l’empirie, soutenant que sa philosophie est, contrairement à celle de Platon, une « justification du réel », tournée vers « la multiplicité des singularités empiriques ; rien n’est trop petit pour qu’il ne le contemple ; mais de ces déterminations il s’élève vers les idées »15. En soulignant la discontinuité entre la philosophie d’Aristote et celle de Platon, Droysen s’éloigne clairement de Hegel16 ; l’accent mis sur l’empirie ainsi définie semble le rapprocher plutôt de la tradition interprétative de Schleiermacher et Ritter.
9Droysen confirmera le principe de l’empirice dans l’Historik, qu’il renforcera encore dans ses versions plus tardives, revendiquant pour l’histoire le statut d’une science empirique, ou même la recherche du commencement relève de l’empirie17. Cette thèse sera explicitée de manière plus systématique dans la dernière version de l’Historik, lorsque Droysen énoncera « le premier axiome fondamental » de la science historique, c’est à dire qu’elle part toujours d’un matériau qui est présent et perceptible18.
10Dans la quête de l’autonomie de la science de l’histoire vis-à-vis d’abord de la domination de la spéculation, c’est à dire de l’idéalisme, et ensuite du positivisme « polytechnique »19, la caractérisation de l’empirie que Droysen met en jeu est un élément décisif. Dans la science de l’histoire, l’empirie équivaut à l’appréhension des « singularités empiriques », tel que Droysen l’avait relevée chez Aristote en 1838 ; un trait qu’il renforce lorsque il s’inspire de Wilhelm von Humboldt, qu’il considère comme le « Bacon des sciences de l’esprit », dont il reprend le précepte selon lequel l’historien doit être pourvu au plus haut degré d’un juste « sens pour les réalités »20. Mais, comme il affirmait à propos d’Aristote en 1838, la science ne saurait se limiter à l’appréhension du particulier. En 1882 il réaffirme que « … pour qu’il y ait science il faut que ce qui se présente dans l’empirie, le factuel (Tatsächliches) et le singulier, devienne un universel et nécessaire, qu’on ne connaît pas à travers l’intuition, mais à travers la pensée »21. Ce qui signifie, comme le remarquera Dilthey, en premier lieu que l’empirie a besoin d’une méthode pour être science22 ; cela ne signifie pas pour autant que l’histoire, en tant que science, peut ou doit aspirer à l’universalité de la loi naturelle, sur laquelle Droysen formule un certain nombre des remarques intéressantes d’ordre épistémologique, et dont il souligne la nature hypothétique voire analogique23. À cet égard :
… l’induction propre aux sciences de la nature recherche dans le variable la loi des changements [...] Elle ne tient nullement en compte le facteur incalculable de l’individuel
[...] Dans le monde historique ce ne sont pas les analogies qui meuvent, mais, dirait-on plutôt, les anomalies. C’est à ces dernières que s’intéresse la méthode historique en vue de leur compréhension. Tout comme celle des sciences de la nature, cette méthode, par l’induction du singulier qui s’offre à l’observation, résume un universel, mais cet universel n’est pas une loi ; elle aussi cherche de manière analytique leur essence à partir des phénomènes ; mais cette essence n’est pas un substrat matériel pourvu d’attributs immuables.24
11Les seuls universels possibles dans l’histoire, selon Droysen, sont plutôt des « types »25, ou « formes phénoménales de la notion de genre » ; cela relève, comme on le montrera, de la caractérisation « morphologique » du monde historique qu’il avance.
12Droysen reconnaît trois méthodes possibles de la connaissance, soutenant un pluralisme épistémologique qui préserve la science de l’histoire, dans une position d’équidistance vis-à-vis de ses adversaires les plus dangereux, c’est-à-dire la spéculation philosophique – encore considérée en 1857 en tant que « science » – et la méthode des sciences de la nature26. Cette tripartition, initialement perçue comme organisation interne d’un système englobant du savoir27, sera retraduite en 1882 en des termes presque helmholtziens28. Mais, si la tolérance épistémologique de Droysen survit jusqu’en 1882, elle est à la fois profonde et significative, d’une part d’une position de principe vis-à-vis de la pluralité des sciences – lesquelles connaissent au XIXe siècle une remarquable fragmentation disciplinaire29 –, et d’autre part du fait que Droysen – pourtant interprète précoce, nous l’avons vu, du malaise existant vis-à-vis du système hégélien – ne dispute pas la légitimité autonome de la philosophie, malgré les influences visibles de Wundt et Helmholtz dans son Historik de 1882. Il continue en effet à concevoir la philosophie comme une « spéculation », une connaissance de l’absolu ; même s’il est évident qu’il tend à considérer que la sphère du sacré est véritablement le lieu ou s’achève cette connaissance30.
3. L’hylémorphisme du monde historique
13Selon la première version de l’Historik, dans les sciences de la nature il s’agit exclusivement de matières, tandis que les formes n’y sont pas qu’accidentelles et transitoires.
Le morphologique ne présente aucun intérêt pour la méthode physico-mathématique, la science de la nature ne dispose d’aucun organe pour le percevoir. Le contraire se produit dans notre discipline ; celle-ci s’intéresse exclusivement au morphologique, à la mise en forme de la part de l’individu.31
14Pour Droysen c’est la spécificité des phénomènes historiques qui fonde la nécessité de méthodes et démarches analytiques différentes de celles de la nature – il s’agit de la célèbre distinction entre comprendre et expliquer, que Droysen est le premier à formaliser.
Ce sont les œuvres, les formations et les transformations de tous genres, les caractères, les actions qui se présentent à la recherche historique : des mises en forme qui sont le produit de la raison et de la libre volonté des particuliers, du génie des totalités politiques, religieuses, nationales, des siècles, de l’humanité, dans lesquelles l’esprit humain n’a pas laissé de οἶον αὐτό, mais plutôt un αὐτοτατόν. Ces {forces formatrices} sont ce qu’il faut connaître à partir de ce qui est encore présent, c’est-à-dire il faut rapprocher les formes gravées dans le présent de ce qui a voulu se fixer en elles. Il s’agit de comprendre.32
15Le monde historique n’est pourtant pas composé uniquement de formes ; pour qu’une forme puisse se modeler, elle a besoin d’un substrat sur lequel exercer son action. Les particuliers ou les individualités historiques qui font fonction de sujets, ou comme dit Droysen d’« artisans » (Arbeiter)33, dans la mise en forme, partent de matières qui présentent tous les caractères du positif ; dans la mesure ou elles précèdent l’action du sujet historique, celui ci ne peut que les transformer ou les modeler en une forme nouvelle.
Nous, les hommes, ne créons pas, mais formons et modelons ce que nous trouvons déjà dans la nature ou dans l’histoire.34
16Deux types de matières caractérisent ainsi le monde historique ; ce qui est donné par la nature et ce qui est le produit de l’histoire. Il existe entre eux une distinction ontologique, qui présente des analogies remarquables avec la distinction existant entre matière première et matière seconde35.
Ce qu’on considère d’habitude comme spontanéité naturelle n’est qu’un facteur, une des conditions dans la vie historique mais, si je puis dire, la moins historique de toutes, le simple substrat de la création ; et un développement uniquement organique pris à la lettre ne pourrait qu’exclure le progrès, la ἐπίδοσις εἰς αὑτό.36
17La matière première est, du point de vue de l’histoire, une sorte de degré zéro ; en revanche, la materia signata au sens strict du mot est plutôt le produit de l’histoire, qui porte la trace d’une précédente mise en forme par l’homme. L’action humaine apparaît dans les deux cas comme éminemment transformatrice37. Dans le cas de la matière première, cela signifie qu’elle est asservie à des fins humaines. Cependant, si une assimilation fonctionnelle entre les deux matières s’avère possible, c’est parce que leur distance apparaît plus chronologique que logique, c’est-à-dire qu’elle concerne le mécanisme même de sa formation ; en ce sens elle se présente comme une distance historique. C’est le cas de la notion de peuple, que Droysen analyse à propos des Communautés naturelles, et à propos de laquelle il admet que c’est bien la nature (la matière première) qui donne au peuple son type originel. Ce noyau qui relève de la nature première n’est que la première couche des processus successifs de formation, et Droysen finit par admettre que, dans la succession de ces « formations de matière », « l’élément matériel se fond pratiquement à la pression de la formation qui le porte, et au souffle de l’esprit qui l’emplit et le meut ».
18Mais ce « pratiquement » demeure une limite précise et infranchissable de l’action humaine. Droysen résume en effet, dans une perspective cosmologique qui semble indirectement marqué par la pensée évolutionniste, le processus dans son ensemble :
Le travail d’éons a produit une croûte sur le rigide corps terrestre, {une patine} de vie organique, et a engendré dans le contexte d’un processus d’oxydation progressive les conditions et les moyens d’organisations supérieures. L’histoire est, pour ainsi dire, la continuation intensifiée de ce processus, l’histoire n’est qu’une nouvelle oxydation, plus élevée, pour ainsi dire la aerugo nobilis de la surface terrestre ; elle recouvre cette surface d’une couche tout à fait particulière, éthique et spirituelle, imprime sur elle la marque de l’être humain conscient.38
19La création spécifiquement humaine est donc une « création ultérieure, non pas de matières, mais de formations, et qui ne s’oppose pas à la création première »39. Les mises en forme successives, destinées à redevenir matières au cours de l’histoire, et ainsi objet de formations ultérieures40, se stratifient au-dessus de la nature « première » sans être en contradiction avec celle-ci – der ersten nicht feind. Le processus de l’histoire poursuit donc la nature, il ne la dépasse ni ne l’ôte, ni même ce qui est donné originairement dans celle-ci.
20Droysen met les matières en continuité avec les formes, la nature en continuité avec l’histoire (comme avant lui Herder et Humboldt41), mais en même temps il réaffirme le caractère ineffaçable du matériel au niveau historique, et du sensible au niveau anthropologique – où celui-ci constitue, avec le spirituel, l’autre composante de la vie historique42. C’est l’irréductibilité à une actualité pure et concluante, qui caractérise la matière dans la double acception qu’elle reçoit chez Droysen. La matière première est irréductible dans le mesure où elle continue son action en tant que substrat de la création, aussi inaliénable que l’aspect sensible de l’humanité ; la matière signata, en revanche, persiste sous la forme de couche morphologique supportant les formations successives, tout en donnant la direction des mises en forme ultérieures43.
21L’histoire apparaît de plus en plus constitué de matières signatae – le matériau de l’histoire est éminemment celui qui porte la trace de l’homme44. Les stratifications qui se succèdent dans le continu des matières premières, matières secondes et nouvelles formations, produisent une cumulation, un « soulèvement » progressif du front de l’histoire45. Chacun des « artisans » de l’histoire, à la fois sujet et dépositaire de la force formatrice que l’histoire déploie dans le temps, actualise la puissance recelée par le matériau historique ; mais ce faisant ils engendrent une forme nouvelle et inédite, qui est impression (Abdruck) et expression (Ausdruck) de sa plus profonde individualité46.
22Cette formulation dynamique du principe de congénialité, déjà énoncé par Humboldt, permet à Droysen d’envisager une science des formes historiques clairement « épigénétique », dans laquelle les mises en forme propres à l’action humaine dans l’histoire sont des productions de nouveau, plutôt que de simples déploiements de potentialités déjà définies47. Une conception donc ouverte de l’avenir, qui s’inscrit contre le préformisme ancré dans l’organicisme de l’École Historique :
Si notre science voulait arguer que ce qui est doit être expliqué à partir de ce qui a été, {c’est-à-dire le déduire sous forme d’inférence}, elle admettrait qu’il y a dans l’antécédent toutes les conditions du suivant, qu’on les ait connues par la recherche ou non ; elle exclurait l’essence propre au monde historique, c’est-à-dire éthique, la libre action éthique et le droit de chacun à être un nouveau commencement et une totalité en soi, elle aboutirait, dans le monde historique, à un fastidieux analogue de l’éternité de la matière. Cela parce que chaque avenir y serait préformé dans le passé, et il faudrait seulement que les événements naissent et se développent pour que le suivant découle de l’antécédent ; un mécanisme qu’on ne trouve pas même chez la plante, laquelle n’est pas en vérité contenue microscopiquement dans sa semence. Cette simple considération permet d’exclure de l’histoire, une bonne fois pour toutes, la fausse doctrine de la spontanéité naturelle e du soi-disant développement organique. [...] Le sens de la nécessité dans l’histoire est tout à fait ailleurs.48
23Il y a donc dans l’histoire matières et formes, impliquées dans un processus de transformation continuelle ; un processus délimité, vis-à-vis des sciences de la nature, par une particularité ontologique, à savoir que dans la science de l’histoire la matière seconde prévaut et s’accroît constamment, qu’elle est porteuse et accumulatrice de formes pourvues d’individualités. Cette particularité ontologique peut être, comme l’a remarqué Schnädelbach, probablement considérée comme un trait archaïsant, qui coexiste sans heurt avec d’autres aspects plus modernes, tel que l’accent mis sur le lien indéfectible existant entre la science et la méthode49. Mais c’est ce même trait – la spécificité de sa définition ontologique du monde historique – qui ouvre cette remarquable perspective de l’aristotélisme chez Droysen, à propos de laquelle Norkus a évoqué la figure aristotélicienne de l’hylémorphisme.
4. Formes et fins
24De quels instruments la morphologie de l’histoire dispose-t-elle ?
25C’est dans la dernière version de l’Historik qu’on retrouve la reprise la plus explicite d’un schéma aristotélicien, véritable manifestation de ce « fondement aristotélicien » identifié par Leo. Dans les années quatre-vingt, Droysen choisit d’organiser la partie systématique de ses leçons selon le schéma aristotélicien des quatre causes, c’est-à-dire clairement sur le « noyau de la philosophie de la science aristotélicienne »50 ; et on a même établi un rapprochement entre le schéma aristotélicien et la quadripartition des formes de l’interprétation, voire des formes de l’exposition historique51.
26Dans son analyse systématique du monde historique, Droysen fait une distinction entre causes formelles, causes matérielles, causes finales et artisans, lesquels représentent la « quatrième arché »52 ; en identifiant le moteur, la source d’énergie spécifique à l’histoire, Droysen est en mesure d’inclure dans la systématique un chapitre consacré à l’anthropologie historique, c’est à dire « le travail de l’histoire du point de vue de ses artisans »53.
27La justification de cette démarche, qui n’est pourtant mise en œuvre que dans la deuxième version, apparaît uniquement dans la première version de l’Historik :
Aristote explore les quatre principes, ἀρχαί, les catégories selon lesquelles il faut considérer tout ce qui existe en vertu des causes, c’est à dire qui n’existe pas par soi-même, comme la divinité. Il considère l’image de la statue d’une divinité destinée au temple. Dans l’âme de l’artiste, il y a l’image avant qu’elle existe (τὸ τί ἦν εἶναι), mais elle a besoin de la matière (τὸ ὑποκείµενον) dans laquelle elle doit être modelée, et dans cette matière se trouve quelque sorte de condition de la forme qui se configure dans l’âme de l’artiste ; sa conception se transforme selon que la statue doit être exécutée en métal, en marbre, en bois. Pour que la pensée et la matière se réunissent, il faut la σύνθεσιs, la composition, et celui qui compose, chacun à sa manière, réalisera son œuvre de manière plus ou moins adroite, sûre, achevée ; c’est ce qu’Aristote appelle τὸ ὑϕ’ οὗ. Les trois aspects correspondants pour l’histoire sont ainsi indiqués : les conditions matérielles, ce qui est préformé dans la spontanéité naturelle, les activités humaines. Mais l’artiste (ce qui meut) ne pourrait pas modeler dans la pierre la forme de la statue qui est dans ses pensées, si la fin ne le poussait pas à l’action ; les choses historiques apparaîtraient comme un jeu du hasard et de l’arbitre, si on ne pouvait reconnaître en elles les déterminations de fin qui les avaient mues : il ne faut pas comprendre les dispositions originelles, ni les conditions du développement, ni leur cours plus ou moins accidenté, ni leurs résultats respectifs, autrement que dans cette projection sur une détermination supérieure de la fin à laquelle, de manière consciente ou inconsciente, elles sont asservies.54
28Quelle fonction le renvoi à la doctrine aristotélicienne des causes – en tant que répertoire de questions possibles à propos du monde historique55 – a-t-il chez Droysen ? L’emploi qu’il fait de cette doctrine quelques années plus tard, dans la polémique avec Buckle56, contre l’idée que la méthode quantitative suffit à accomplir le travail scientifique de l’histoire et définir son statut de science, apparaît significatif.
… on peut, dans une certain mesure, dans le domaine des phénomènes physiques, appliquer la méthode des phénomènes quantitatifs ; là où il s’agit d’existence physique, de conditions naturelles, de situations statistiques, notre discipline suivra avec le plus grand intérêt les travaux des sciences exactes, accueillera ses splendides résultats avec une reconnaissance joyeuse. Mais [...] les lois qu’il [Buckle] croit avoir trouvées par voie de généralisation [...] n’« élèvent » pas « l’histoire au rang de science » par la seule explication de ses phénomènes. On ne les explique pas de cette manière, pas plus qu’on explique la statue de l’Adorant57 par le bronze dans lequel on l’a réalisée, par l’argile dans laquelle on l’a moulée, par le feu grâce auquel on a fondu le métal. Il fallait encore, comme déjà le disait le « maître de tous les savants », l’idée de la figure qui allait surgir [...] il fallait le but dans lequel on l’avait exécutée [...] il fallait la main habile pour fondre le but et l’image idéale et la matière dans l’œuvre achevée.58
29La perspective particulière qu’offre chacune des causes, matérielle, formelle, efficiente et finale, « est en soi partielle, fausse, nuisible » – alors que « les quatre moments que nous décomposons dans notre esprit […] font corps et s’interpénètrent les uns avec les autres ».
30Le matérialisme naïf de Buckle semble donc donner à Droysen l’occasion d’exploiter l’argumentation aristotélicienne dans une optique anti-réductionniste, et de renforcer ainsi la complexité de l’objet historique, qui ne saurait être appréhendé que dans une perspective pluricausale et, pour ainsi dire, synoptique.
31La fonction anti-réductionniste de la théorie aristotélicienne des quatre causes est d’ailleurs explicitement revendiquée dans un texte des années quatre-vingt-dix, qui porte le titre significatif de Die teleologische Naturphilosophie des Aristoteles und ihre Bedeutung in der Gegenwart ; et où l’on oppose au mécanicisme – qui limite les sciences de la nature aux seules causes matérielles et efficientes – la centralité de la cause finale et de la téléologie en tant que « point de vue universel » en mesure d’unifier le champ de la connaissance59.
32En effet, en particulier le passage tiré de la première version de l’Historik justifie la question de la place de la cause finale chez Droysen (est-elle sur le même plan que les autres ?). Pour que, par exemple, le phénomène historique prenne le sens d’un événement dotée de signification, pour qu’à partir des « affaires » (Geschäfte), véritables « pulsations de l’histoire », on accède à l’histoire (Geschichte), il faut qu’apparaisse une détermination de fin transcendant la logique immédiate, pour ainsi dire mécanique, de l’événement ; ce n’est qu’à la lumière de cette dernière qu’on peut enfin atteindre le « sentiment vivant de la connexion dont elles [les affaires] prennent naissance »60.
33Il n’est donc pas incongru que Droysen tienne à célébrer Aristote – toujours nettement distingué de Platon – pour avoir introduit la notion de telos :
Dans la langue grecque il n’y a qu’Aristote qui ait développé complètement la notion de fin, qu’il explicite en tant que τέλος, λόγος, τὸ οὗ ἕνεκα etc. Celle-ci affleure déjà chez Platon, mais uniquement sous forme de τὸ καλόν, τὸ ἀγαθόν, c’est-à-dire qu’elle n’est pas encore une figure effective, qu’elle ne contient pas encore l’aspect, la détermination comme être un mouvement ; la notion de fin ne s’est pas encore manifestée à lui de manière complète ; et si aujourd’hui, en lisant Platon, nous complétons sa formulation par la notion de fin qui nous est familière, nous ajoutons quelque chose qui n’existe pas dans son langage ni dans ses pensées.61
34La cause finale est donc la seule qui soit en mesure de rendre compte de la « détermination comme être un mouvement » ; et le fait que le propre du mouvement historique soit de tendre à la mise en forme nous ramène sans doute à l’assimilation entre cause formelle et cause finale déjà explicitée chez Aristote, en particulier à propos de la génération62. La question du sens et de la portée de cet aspect téléologique met l’accent sur la relation existant entre Droysen et Aristote, et permet également de relever chez lui quelques discordances avec la lecture que l’on avait d’Aristote à son époque, dans la mesure où cette dernière accréditait l’idée déjà évoquée, selon laquelle la téléologie peut faire fonction de « point de vue universel » pour l’unification des acquis des sciences particulières63. La fin, autant que l’origine, est pour Droysen au-delà de la portée de la connaissance humaine, et davantage encore de la science historique64. En effet, comme déjà chez Ranke, la notion de développement historique apparaît encore opposée à la notion de progrès du XVIIIe siècle ; et même lorsque le développement historique se projette contre la dimension suprahistorique de l’histoire universelle, cette dernière n’est plus envisagée selon un modèle de temps linéaire et progressif65. Dans l’anthropologie historique de Droysen, même les idées qui habitent l’histoire se fragmentent en « pensées » immanentes66 ; ces pensées sont la véritable forme anthropologique que revêtent les idées dans le devenir concret de l’histoire. Si donc on considère l’instance de la téléologie, la position de Droysen se rapproche plutôt des interprétations récentes d’Aristote, comme celle de Wieland, pour qui la téléologie chez Aristote est « une forme de la pensée qui peut être appliquée uniquement à des relations particulières entre événements et ne permet aucun énoncé sur l’ensemble du monde naturel » – de même que, chez Droysen, on ne peut avoir de la fin dernière du monde de l’histoire qu’une Ahnung, un pressentiment tout à fait extra-scientifique67.
35La séparation entre nature et histoire telle que Droysen la formule est directement liée aux limites de la validité du point de vue téléologique. En vertu de cette séparation Droysen peut, par exemple, contrairement à Trendelenburg, purger des causes finales la science de la nature ; une conséquence qui n’est pas réellement accidentelle, si l’on considère la remarquable connaissance des acquis des sciences naturelles dont Droysen fait preuve surtout dans l’Historik, connaissance qui se reflète dans la représentation rigoureuse qu’il donne du paradigme « physicaliste » à travers sa discussion sur les méthodes de la science.
36Trendelenburg, de son coté, reprend pour le monde éthique l’idée de liberté (garantie par « une âme librement active »), et l’idée d’une organisation selon des causes finales68. On voit ici plus d’une analogie avec la caractérisation du monde historique/éthique69 chez Droysen comme « patine organique », au dessus de la couche de la « création ». Mais si chez Trendelenburg la continuité entre nature et histoire s’appuie finalement sur une notion d’organique qui rapproche les deux termes dans une unique tension téléologique, où l’éthique s’avère être effectivement une potentialisation, « Organisches höherer Ordnung »70, chez Droysen le simple organique en tant que tel relève de la science de la nature et des ses lois « physicalistes » : le vivant, dans la mesure où il se répète, ne reproduit que lui même et obéit à une loi qui relève du physicalisme. La téléologie n’accède donc jamais au statut de « point de vue universel », mais elle constitue uniquement le mécanisme de la production et la structure de la continuité du monde historique. Le fait que chaque domaine scientifique ait un statut propre constitue aussi la limite de l’applicabilité de la congénialité et de l’analogie qui est à la base du Verstehen, et justifient ainsi la spécificité de la méthode historique71.
5. Epidosis eis hautò
37La théorie de l’histoire chez Droysen est une théorie du mouvement (du devenir) qui a lieu dans l’histoire. À partir des années soixante, Droysen emprunte d’ailleurs une expression aristotélicienne pour caractériser la spécificité du processus qui a lieu dans le monde historique : epidosis eis hautò72.
38Le passage où l’on trouve cette expression chez Aristote traite des différentes manières de passer de la puissance à l’acte ; l’expression renvoie en particulier à la notion de « pâtir », d’être affecté, et illustre une des possibles acceptions qu’Aristote donne à ce terme, soit « conservation de l’être en puissance par l’être en entéléchie »73. Il s’agit donc de la continuité entre ce qui est en puissance et ce qui est en entéléchie ; on a entre ces termes la plus haute ressemblance possible dans une altération. Il s’agit en effet d’altération – une alteratio perfectiva distincte de la corruptiva74 –, dont le modèle est l’exercice de la connaissance de la part de celui qui la possède. Comme le souligne Trendelenburg dans la correction qu’il apporte à ce passage, on a là « un progrès de l’être en lui-même », donc vers soi-même, « et son entéléchie », c’est à dire εἰς αὑτό γὰρ ἡ ἐπίδοσις καὶ εἰς ἐντελέχειαν75 ; ou, comme il l’affirme un peu plus loin, « un changement… dans le sens de dispositions positives et de la nature du sujet »76. Aucune aliénation n’a lieu dans l’alteratio perfectiva, comme le remarque Trendelenburg à propos de ce passage : « cavendum est, ne alloiosis, alienatio, male intelligatur ; neque enim in causa alienatio est, ut res quasi ad se ipsam progrediatur et suum assequatur finem »77. Droysen semble donc réaffirmer l’identité essentielle de ce qui arrive dans le processus historique, soit une identité qui ne passe à travers aucune négation, aucun abandon annonciateur d’un retour en soi, à la manière de Hegel.
39L’application du terme epidosis à l’histoire n’est pas en soi saugrenue, puisque Edelstein, dans une réflexion sur la notion de progrès dans l’antiquité, stigmatise ce lemme en des termes auxquels Droysen aurait probablement largement souscrit : « caractère continu du mouvement en avant et de l’enchaînement des événements, – cet aspect du progrès temporel qui transforme le progrès même en un temps organique –, parce que ce qui se développe et s’accroît est à tout moment la même chose et autre chose, c’est-à-dire quelque chose qui témoigne de la persistance et du changement, de l’identité et de la différence »78.
40Mais en fait, il n’est pas banal d’expliquer le choix de Droysen d’employer l’expression aristotélicienne pour signifier la structure du temps spécifiquement humain79.
41Si l’on part des énoncés que Droysen même rapproche de l’expression aristotélicienne, le sens le plus évident est celui de l’augmentation, de l’accroissement, c’est à dire l’acception la plus fréquente du terme epidosis. L’epidosis eis hautò est en effet une
Continuité, dans laquelle chaque élément antécédent se continue, se complète, s’élargit dans le suivant (ἐπίδοσις εἰς αὑτό), chaque élément suivant se présente en tant que résultat, accomplissement, accroissement du précédent.80
42Dans les illustrations les plus fournies que Droysen donne de la locution aristotélicienne, en particulier dans la deuxième version de l’Historik, l’idée d’un accroissement, en tant qu’accroissement vers soi-même (Zuwachs zu sich selbst), a la fonction de déterminer la spécificité de la condition humaine par rapport à celle de l’animal, lequel est sujet au cycle de la reproduction de l’identique et donc ancré dans la périodicité de la nature81 ; pareillement, dans le Précis, l’epidosis eis hautò s’oppose à la temporalité périodique du naturel au sens large. L’homme, au contraire, « par chaque manifestation nouvelle et individuelle, crée du nouveau et du plus »82. Le processus de l’epidosis se déploie en une succession d’individualités dans l’histoire, dont le résultat est une somme83. Si l’histoire est « un devenir qui avance infiniment […] chacune des configurations vécues y apparaît en tant que moment du devenir de la somme »84. Dans la somme – ce qu’on a décrit plus haut comme succession stratigraphique de materiae signatae et des mises en forme ultérieures – les résultats de toutes les actions et des émotions humaines se sédimentent, jusqu’à composer « un tout, une continuité, un patrimoine commun » dont chaque être humain participe. Chaque individu étant un commencement nouveau, il pose vis-à-vis du devenu un plus (ein Mehr), que Droysen connote aussi comme une intensification (Sichsteigern) ; la Steigerung, qui apparaît quelque fois associée à l’acte de sommer (summierend), voit renforcer en 1862 son sens d’accomplissement, d’achèvement du précédent85.
43Ce qui pose problème au regard du contexte aristotélicien, c’est la juxtaposition entre Steigerung et Summe. Puisqu’en effet l’idée d’intensification (Steigerung) – c’est-à-dire d’augmentation de la participation à une qualité – est inhérente à l’idée de alteratio perfectiva, l’idée d’accroissement vers soi-même, plus, somme, semblerait plutôt indiquer un changement quantitatif, le seul dont relèvent les phénomènes d’accroissement et de diminution, qu’Aristote distingue nettement de l’altération, conçue comme un changement qualitatif86.
44Comment donc peut-on concilier la thèse d’une identité qui se préserve dans le changement avec l’idée que le mouvement historique est un accroissement, une création continuelle de formes nouvelles ? Quel rapport se configure-t-il, en ces termes, entre croissance quantitative et « croissance » qualitative, entre accumulation et Bildung, dans la conception du temps historique de Droysen ?
45L’association de l’intensification (Steigerung) et de la somme nous conduit – pour pénétrer l’interprétation droysenienne de l’expression aristotélicienne – à comprendre la deuxième à partir de la première. En effet, le fait de prendre comme fil conducteur le terme Steigerung nous renvoie à un autre ensemble de problématiques, celles de la philosophie goethéenne de la nature et de la conception de la forme propre à cette philosophie.
46La morphologie goethéenne se présente comme une continuation du programme de la Critique du jugement, d’une « science générale de la forme », laquelle se réalise, on le sait, dans l’identification de morphotypes – ensembles régis par une loi d’organisation interne qui règle leurs transformations possibles – et débouche sur une morphologie idéaliste ou fonctionnaliste87. Goethe rentre en effet, comme l’a montré Lenoir, dans la tradition post-kantienne de la pensée biologique, qui développe, à travers la notion de forme, un modèle de causalité propre au vivant, irréductible à un rapport mécanique de cause à effet88. Dans le monde organique, ces termes sont en effet interdépendants, se succèdent donc en une série plus réflexive que linaire, orientée vers la Zweckmäßigkeit, c’est à dire structurée autour d’une cause finale. Ce qui est intéressant, par rapport à l’application que Droysen fait des lois organiques au seul monde de l’histoire, c’est que la notion goethéenne de la forme – causale en soi et finalement identique à la loi du développement –, implique le temps dans sa constitution ontologique et comporte donc une dimension processuelle : l’identité de la forme est dans son entier, pas dans un aspect particulier isolé unilatéralement. Le devenir, le changement, sont la condition naturelle de la forme ; de plus, la dimension de la cause finale ne transcende en aucune façon les phénomènes, n’a pas le caractère d’une « finalité extérieure » mais s’inscrit dans le cadre d’une conception autoréférentielle de la vie en tant que « purposive without a purpose », pourvue donc d’une structure téléologique mais non finaliste89.
47Il y a cependant une différence importante entre la notion de forme chez Droysen et chez Goethe, qui découle naturellement de la transposition de la nature à l’histoire que Droysen semble faire de la morphologie goethéenne. Dans le développement de la forme chez Goethe – « geprägte Form/die lebend sich entwickelt »90 – on a exclusivement une production de variété91 ; la métamorphose goethéenne ne dépasse jamais les limites de l’identité renfermée dans la figure (Gestalt), dans son eidos spécifique ; et même si cette métamorphose présente une intensification, une Steigerung, c’est uniquement comme raffinement, comme « effacement progressif du matériau et transparence croissante de l’eidos ». La Steigerung est une « potentialisation morphologique »92, mais dans le sens de l’acquisition d’une transparence, voire d’une perfection finale de la forme au détriment de la matière93. Il ne s’agit donc pas d’un accroissement de puissance mais plutôt d’actualité (entéléchie), du parvenir à soi-même de l’eidos, comme dans l’alteratio perfectiva d’Aristote.
48Si la Steigerung renvoie à la conception goethéenne de la nature, dans laquelle les types et leurs modifications morphologiques restent cantonnés dans une logique tout à fait ontogénétique – qui constitue d’ailleurs l’axe de référence obligé pour la conception de l’épigenèse propre à l’embryologie scientifique de l’époque94 –, la transposition de l’épigenèse faite par Droysen au monde historique, lui même constitué, en un certain sens, de types, donne lieu à des implications différentes puisque, dans ce contexte, la potentialisation morphologique est pensée non plus dans les limites d’un organisme particulier mais de manière phylogénétique, en tant que mouvement global de l’humanité vue comme une succession d’individus95 et donc, pour ainsi dire, comme une structure interne d’hérédité (tradition) croissante. L’epidosis en tant qu’accroissement illustre donc l’influence de l’autre matrice remarquable de la théorie droysenienne, la pensée de Humboldt lequel, dans sa correspondance avec Schiller, franchit la conceptualité de l’harmonie qui régit encore la variété chez Goethe96 et attribue à la force productrice une indéfectible tendance à l’accroissement97.
49La croissance interne à l’histoire est-elle effectivement quantitative ? Droysen fait-il donc un emploi abusif de l’expression aristotélicienne ?
50Il convient de revenir au contexte dans lequel Aristote utilise l’expression epidosis eis hautò – c’est-à-dire la possession et l’exercice de la connaissance ; un contexte qui peut être traduit comme « l’élément du savoir » dans l’époque hégélienne où s’ancre la pensée de Droysen. Mais chez ce dernier, contrairement à Hegel, cet élément n’est pas ultime. Nous savons que Droysen, dans un mélange caractéristique d’enracinement théologique et de rigueur scientifique, prend position en 1857 contre la réduction intellectualiste de l’expérience humaine, de l’absolu même, au seul « vrai ». Il s’agit d’une intuition qui anticipe la théorie diltheyenne de l’entièreté du sujet historique, de la multiplicité des aspects spirituels-sensibles constitutifs de l’humanité historique concrète, en vertu de laquelle le sujet particulier trouve place au croisement d’innombrables sphères éthiques et consiste, pour ainsi dire, en plusieurs couches morphologiques98. Chez Droysen, c’est plutôt la dimension de l’action – seul dénominateur commun à chaque mise en forme – qui synthétise l’intégralité de l’homme et, en effet, « l’histoire fournit la genèse du “postulat de la raison pratique”, lequel était demeuré impossible à déceler pour la “raison pure” »99.
51La connaissance n’étant pas l’élément sous lequel on peut subsumer l’entièreté de l’expérience humaine, l’epidosis eis hautò se place en un certain sens dans l’élément moins du savoir que d’une conscience réflexive, qui se rapproche toutefois plutôt du Gewissen, de la conscience au sens éthique, plutôt que de la dimension cognitive du Bewußtsein. L’identité qui se préserve et s’intensifie à travers l’expérience du changement historique s’avère être celle du sujet collectif de l’humanité, en tant que processus du « devenir et du développement de la conscience du moi de l’humanité, de l’idée de liberté ». Au cours du changement l’humanité acquiert une identité « processuelle », ouverte à la transformation et à la genèse de configurations inédites, mais par rapport à laquelle l’accroissement du matériau et du travail historique constitue une potentialisation morphologique en deux acceptions différentes : un accroissement cumulatif des matières et une potentialisation au sens évidemment romantique de ce terme, c’est-à-dire accès à un « sens » de l’agir « à la puissance 2 »100.
Notes de bas de page
1 Cité par H.J. Pandel, Mimesis und Apodeixis, Hagen, Rottmann, 1990, p. 62-3. La première version du Grundriss der Historik, seul texte de théorie de l’histoire de J.G. Droysen accessible à ses contemporains, a été publiée à Iena, Frommann, 1858. On dispose maintenant d’une remarquable traduction française, accompagnée d’une introduction exhaustive, de la III édition du Grundriss (Leipzig, Veit & Comp., 1882) : Précis de théorie de l’histoire, éd. A. Escudier, Paris, Cerf, 2002.
2 Cf. A. Dove, « Johann Gustav Droysen », Im neuen Reich 8 (1878) 2, p. 372. Il se réfère à la conception des idées et de leur manifestation dans l’histoire, telle que Humboldt l’expose dans son essai en 1822 (W. von Humboldt, Über die Aufgabe des Geschichtsschreibers, trad. fr. La tâche de l’historien, par A. Disselkamp et A. Laks, introd. de J. Quillien, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires de Lille, 1985). La matrice platonicienne de la conception des idées dans ce texte de Humboldt est d’ailleurs largement discutée (cf. par exemple T. Borsche, Wilhelm von Humboldt, München, Beck, 1990). Droysen se réfère pourtant, dans la deuxième version de l’Historik, directement à Aristote lorsqu’il définit la notion d’idée : cf. J.G. Droysen, Historik. Vorlesungen über Enzyklopädie und Methodologie der Geschichte (1882), éd. R. Hübner, München 1937, p. 180.
3 Après l’allusion faite à ce propos par H. White dans Metahistory, John Hopkins University Press, 1973, p. 270-272 et plus encore dans la recension de l’édition Leyh (History & Theory IX, 1980, p. 73-93) de la première version de l’Historik (J.G. Droysen, Historik. Historisch-kritische Ausgabe (1857-58), Bd. I, éd. P. Leyh, Stuttgart-Bad Canstatt, 1977) à ma connaissance seulement Pandel, Mimesis und Apodeixis, surtout p. 62-81 et 118-139 (pour lequel l’interprétation droysenienne d’Aristote fait clairement apparaître une médiation de Hegel), et plus récemment Z. Norkus, « Droysen und Aristoteles », Storia della storiografia 39 (1994) 26, et Ch. J. Bauer, « Das Geheimnis aller Bewegung ist ihr Zweck ». Geschichtsphilosophie bei Hegel und Droysen, Hamburg, Meiner, 2001 (lui-même enclin à souligner la continuité entre Droysen et Hegel, et en particulier la philosophie de l’histoire de ce dernier) exposent amplement ce thème.
4 Droysen, inscrit à l’Université de Berlin comme étudiant en philologie et en philosophie, obtenait son doctorat sous la direction de Boeckh en 1831, avec une dissertation sur De Lagidarum Regno Ptolomaeo VI Philometore rege ; il suivit en outre plusieurs cours de Hegel (Logique et métaphysique, Philosophie de la religion, Philosophie de l’histoire, Esthétique), et également de Gans ; cf. B. Bravo, Philologie, histoire, philosophie de l’histoire. Étude sur J.G. Droysen historien de l’antiquité, Wrocław, Zaklad Narodowy, 1968 p. 169-173. Sur l’importance et l’originalité de l’interprétation hégélienne d’Aristote cf. W. Wieland, Die aristotelische Physik. Untersuchungen über die Grundlegung der Naturwissenschaft und die sprachlichen Bedingungen der Prinzipienforschung bei Aristoteles, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, deuxième éd. revue, 1970 (trad. it. Bologna, Il Mulino, p. 40-43).
5 Cf. Des Aischylos Werke, éd. J.G. Droysen, Berlin, Finke, 1832 et Des Aristophanes Werke, éd. J. G. Droysen, Berlin, Veit, 1835 ; ces traductions ont été rééditées plusieurs fois et servent encore de support pour des éditions récentes. Droysen, dont l’engagement politique commençait dès la fin des années trente, fut membre de l’Assemblée de Francfort pendant le Vormärz, dans les rangs des libéraux modérés, partisans de la « petite Prusse » ; sur l’histoire politique de Droysen cf. surtout O. Hintze, « J.G. Droysen und der deutsche Staatsgedanke im 19. Jahrhundert », dans G. Oestrich (éd.), Soziologie und Geschichte, Göttingen, 1930 ; F. Gilbert, J.G. Droysen und die preussische Frage, München, 1931, qui a également édité un recueil des écrits politiques de Droysen (Politische Schriften, München, 1933) ; W. Hock, Liberales Denken im Zeitalter der Paulskirche. Droysen und die Frankfurter Mitte, Münster, 1957 ; R. Hübner, « J.G. Droysens Vorlesungen über Politik », Zeitschrift für Politik X (1917).
6 Cf. Ch. G. Heyne, De genio saeculi Ptolemaeorum (1763), dans Opuscula academica collecta (1785), réimpr. anast. Hildesheim, Olms, 1997, publié au même moment que l’Histoire de l’art de Winckelmann. Cf. M. Isnardi Parente, Filosofia postaristotelica e filosofia ellenistica : storia di un concetto storiografico, « Annali dell’Istituto di Studi storici », IX (1985-86), qui souligne la différence entre la relecture de Droysen et celle de Winckelmann et Heyne. A. Bernardini et G. Righi, Il concetto di filologia e di cultura classica, Bari, 1943, p. 260, estiment au contraire que l’interprétation globale de Heyne, pour qui l’âge des Ptolémées est une époque féconde – bien qu’incapable de poésie –, anticiperait les arguments de Droysen. Sur la formation de la notion d’hellénisme, voir en général, en dehors de Bravo, Philologie, histoire, philosophie de l’histoire, A. Momigliano, « Genesi storica e funzione attuale del concetto di ellenismo », dans Sui fondamenti della storia antica, Torino, Einaudi, 1982 ; R. Bichler, Hellenismus. Geschichte und Problematik eines Epochenbegriffs, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1983 ; L. Canfora, Ellenismo, Roma-Bari, Laterza, 1987.
7 Cf. Isnardi Parente, op. cit., qui valorise surtout l’analyse politique droysenienne du stoïcisme, qui loin de représenter un retrait en soi de l’esprit, constituait plutôt pour Droysen une prédication éthique riche en implications politiques ; et Bravo, op. cit., p. 370 sq. L’analyse de Isnardi Parente souligne la divergence d’interprétation de la philosophie grecque entre Droysen et Zeller, lequel serait plus proche du schéma interprétatif de Hegel. Il faudrait toutefois enrichir cette reconstitution en tenant compte du fait attesté que Droysen eut avec Zeller une relation nullement superficielle. La correspondance témoigne en plusieurs points de l’intensité des liens et de l’estime que Droysen lui portait, au point qu’il intervint à plusieurs reprises pour soutenir sa carrière académique à ses débuts difficiles (cf. J.G. Droysen, Briefwechsel, éd. R. Hübner, Leipzig-Berlin, 1929, vol. I, lettre 193 du 26/12/1845 à Heydemann ; lettre 305 du 1/1/1845 à Duncker). Droysen intervint encore entre 1855 et 1861 auprès de Heinrich von Sybel pour patronner la candidature de Zeller, d’abord à Iena puis en Prusse (Ibid., vol. II, lettres 821, 822 et 1109), même ce n’est qu’en 1872 que Zeller fut engagé à l’université de Berlin, grâce au soutien de von Helmholtz. De même, l’incompatibilité politique que Isnardi Parente suppose entre le libéral Zeller et le philoprussien Droysen n’était pas nécessairement si aiguë, puisque Droysen appartenait à une faction libérale modérée.
8 Cf. J.G. Droysen, désormais cité : Historik (1857-58), p. 72 et Kleine Schriften zur alten Geschichte, Leipzig, Veit, vol. I, p. 308.
9 Cf. Bravo, op. cit.
10 Cf. Pandel, désormais cité : Mimesis und Apodeixis, p. 63 sq., se référant à Droysen, Historik (1857-8), p. 45-46.
11 Cf. L. Freuler, La crise de la philosophie au XIXe siècle, Paris, Vrin, 1997 et, supra, D. Thouard, « Aristote au XIXe siècle : la résurrection d’une philosophie », p.* : « la redécouverte philologique d’Aristote est solidaire d’une prise de position philosophique, liée à la quête d’une nouvelle forme de la philosophie après l’idéalisme ».
12 Sur le schéma interprétatif continuiste de la philosophie grecque à partir de Socrate, soutenu par Tennemann et jusqu’à Schleiermacher puis Ritter, cf. Isnardi Parente, désormais cité : « Filosofia postaristotelica e filosofia ellenistica ». Wieland, désormais cité : Untersuchungen, p. 44 attribue à Hegel le mérite d’avoir été le premier à distinguer Aristote de l’aristotélisme et, en soulignant les éléments de continuité entre Platon et Aristote, à avoir liquidé le cliché de l’opposition en termes d’idéalisme-réalisme.
13 M. Maclean, « History in a Two-Cultures World : the Case of the German Historians », Journal of the History of Ideas XLIX (1988) 3, p. 473-494 ; dans son analyse, ce processus éclaire également la genèse de la séparation entre les « deux cultures ».
14 Droysen, désormais cité : Briefwechsel, vol. I, lettre 14 du 28/5/1831 à Ludwig Moser.
15 Droysen, Zur griechischen Litteratur (1838), dans Kleine Schriften, vol II.
16 Cf. Wieland, Untersuchungen, p. 44.
17 Droysen, Historik (1857-58), p. 7 : « Empirisch wie unsere Wissenschaft ist, können wir nichts anders als unseren Anfang ganz empirischerweise nehmen » ; cf. Droysen, Briefwechsel, vol. I, lettre 60 du 8/2/1837 à Friedrich Perthes. Sur la notion d’empirie chez Droysen cf. G. Cacciatore, « Il concetto di Empiria tra Droysen e Dilthey », Atti della Accademia Pontaniana XL (1991), qui affirme entre autre que Droysen reprend « l’ambitieux projet aristotélicien de la fondation d’une philosophie seconde » (p. 67).
18 Ce principe est en effet déjà énoncé dans la première version de l’Historik, dans un niveau stratigraphique du texte qui remonte aux années soixante (Droysen, Historik (1857-8), p. 162) ; mais Droysen l’hypostasie en tant que principe méthodologique seulement dans la deuxième version de l’Historik, et l’insère dans la partie consacrée à la « méthode historique » (Historik 1882, p. 20). Le deuxième principe fondamental sera le « forschend verstehen ».
19 Droysen, Historik 1882, p. 17 sq.
20 Droysen se réfère ici à Humboldt, désormais cité : Über die Aufgabe des Geschichtsschreibers ; mais il est significatif que Droysen décline au pluriel le « Sinn für die Wirklichkeit » de Humboldt. Voir mon article, « La recezione di Humboldt in Droysen : elementi per una ricostruzione », dans G. Cacciatore, G. Cantillo, G. Lissa (éd.), Lo storicismo e la sua storia. Temi, problemi, prospettive, Milano, Guerini, 1997. Cf. en général, sur l’influence de Humboldt et Hegel sur Droysen, F. Tessitore, L’Istorica di Droysen tra Humboldt e Hegel (1971), dans Contributi alla storia e alla teoria dello storicismo, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 1995.
21 Droysen, Historik 1882, p. 27.
22 Cf. Cacciatore, désormais cité : « Il concetto di Empiria », p. 69, qui cite à ce propos Dilthey : « Droysen donna en cette université pendant deux années un cours sur la méthodologie de l’histoire, dont la publication montrera la profonde différence de fondement pour un travail utile entre l’historien et le physicien. Une empirie sans méthode déterminée cesse d’être une science » (W. Dilthey, Zur Geistesgeschichte des 19. Jahrhunderts : Aufsätze und Rezensionen aus Zeitungen und Zeitschriften 1859-1874, éd. U. Herrmann, II éd., Leipzig, Teubner, 1985, p. 105).
23 Droysen, Historik (1857-8), p. 21.
24 Droysen, Historik (1857-58), p. 20-21.
25 Droysen, Historik (1857-58), p. 28.
26 À la rigueur, la thèse de l’incommensurabilité des sciences pourrait être considérée comme aristotélicienne, dans la mesure où Aristote postule l’impossibilité de la µετάβασις εἰς ἄλλο γένος, cf. An. Post. I, 7.
27 Droysen, Historik (1857-8), p. 31.
28 Cf. Historik 1882, p. 18, et Erhebung der Geschichte zum Rang einer Wissenschaft, dans Historik 1882, p. 391.
29 A. Diemer, « Die Begründung des Wissenschaftscharackters der Wissenschaft im 19. Jahrhundert. Die Wissenschaftstheorie zwischen klassischer und moderner Wissenschaftskonzeption », dans A. Diemer (éd.), Beiträge zur Entwicklung der Wissenschaftstheorie im 19. Jahrhundert, Meinsenheim am Glan, 1968, qui considère comme un des éléments porteurs de la science au XIXe siècle la tendance à l’autonomisation, d’où découle une multiplication des champs disciplinaires.
30 Cf. Historik 1882, p. 232-233.
31 Cf. Historik (1857-8), p. 20.
32 Op. cit., p. 21-22. Sur la distinction entre comprendre et expliquer cf. ibid., surtout p. 23-35 et 159-163.
33 On préfère ici la traduction de Arbeiter par « artisan » plutôt que par « travailleur » choisi par Escudier (cf. Droysen, Précis, p. 84), pour éviter toute connotation marxienne du terme « travailleur », qui demeure étrange à la conception du travail chez Droysen, bien que cette dernière soit liée à l’acception hégélienne du terme.
34 Droysen, Historik 1882, p. 13. Sur ce thème cf. M. Riedel, Verstehen oder Erklären ? Zur Theorie und Geschichte der hermeneutischen Wissenschaften, Stuttgart, Klett-Cotta, 1978, cap. III.
35 Sur la distinction existant chez Droysen entre Stoff et Material, cf. n. 2, p. 42 ajoutée par A. Escudier dans Droysen, Précis.
36 Droysen, Historik (1857-8), p. 163 ; les indications critiques de l’édition Leyh signalent que le passage fait partie d’une couche stratigraphique successive à 1857.
37 Droysen s’avère ainsi proche des éléments de la pensée de Humboldt, que P. Giacomoni a largement traités dans son livre Formazione e trasformazione. « Forza » e « Bildung » in Wilhelm von Humboldt e la sua epoca, Milano, 1988.
38 Droysen, Historik (1857-8), p. 15.
39 Droysen, Historik (1857-8), p. 314 : « eine weitere Schöpfung, nicht von Stoffen, sondern von Formungen, und der ersten nicht feind ».
40 Sur la présence chez Hegel d’une idée de « Überformung » voir Bauer, Das Geheimnis aller Bewegung ist ihr Zweck, p. 373, à propos de la lecture de N. Hartmann, Aristoteles und Hegel, II éd., Erfurt, 1933.
41 Cf. J.G. Herder, Idée pour la philosophie de l’histoire de l’humanité (1784), éd. M. Rouché, Paris, Aubier, 1962 ; W. von Humboldt, « Betrachtungen über die bewegenden Ursachen der Weltgeschichte » (1814), trad. fr. « Considérations sur les causes motrices dans l’histoire mondiale », dans La tâche de l’historien, où il affirme que il n’existe aucun conflit entre nature et esprit, « puisque l’une se sert de l’autre et de sa puissance génératrice ».
42 Cf. mon essai La « duplice natura dell’uomo » : la polarità come matrice generativa del mondo storico da Humboldt a Droysen, Rubbettino, Soveria Mannelli (Cz), 1999.
43 « Couche » et « stratification » sont clairement parmi les notions tirées des sciences de la nature qui plus revient le plus souvent chez Droysen.
44 Droysen, Historik 1882, p. 38 : matériau pour la recherche historique est « alles, was die Spur von Menschengeist und Menschenhand an sich trägt ».
45 Droysen, désormais cité : Die Erhebung der Geschichte, p. 395.
46 Cf. Droysen, Historik 1882, p. 21 ; « prägend, formend, kombinierend, in jeder Äusserung macht das flüchtige Dasein des einzelenen die Stoffe zu Träger dessen, wodurch er an dem Göttlichen und Ewigen teilhat ».
47 Cf. Droysen, Historik 1882, p. 14 : chaque homme n’est pas simplement une somme de tout ce qui a été vécu et élaboré avant lui, comme il dit ailleurs « Ergebnis der Geschichte », mais « ein neuer Anfang weiterer Arbeit ». L’aspect épigénétique de la conception du processus historique chez Droysen a été souligné par Norkus, dans : « Droysen und Aristoteles », avec une référence explicite à Aristote et à sa théorie de la génération ; cf. sur ce thème également mon article, « Il concetto di sviluppo tra biologia e storia », dans M. Donzelli (éd.), La biologia : parametro epistemologico del XIX secolo, Atti del Seminario internazionale Napoli, 30-31 marzo 2001, Napoli, Liguori, 2003.
48 Droysen, Historik (1857-8), p. 162. La prépondérance de la matière seconde, materia signata, dans l’histoire, et de la « création ultérieure » sur la base de celle ci, converge avec l’évolution épigénétique de l’embryologie de la Goethezeit, où la matière était toujours porteuse d’une direction virtuelle, dont la productivité était suscitée par l’action du principe vital ; Humboldt, qui soutenait pleinement la théorie épigénétique, emploie le terme Erweckung dans son illustration de la génération : cf. Über die männliche und weibliche Form (1795), dans Wilhelm von Humboldts Gesammelte Schriften, éd A. Leitzmann, Berlin, 1903, vol. I.
49 Cf. H. Schnädelbach (Geschichtsphilosophie nach Hegel, Freiburg/München, Alber, 1974, p. 90-100), quoiqu’il attribue à l’Historik de Droysen des éléments d’originalité du point de vue de la théorie de la connaissance, soutient qu’elle est loin de l’épistémologie moderne, dans la mesure où cette dernière part de principes formels, tandis que Droysen reste ancré à un materialer Vorbegriff de l’histoire.
50 Cf. Norkus, « Droysen und Aristoteles ». La « Systématique » de l’Historik 1882 est organisée en quatre parties : « I. Le travail de l’histoire du point de vue de sa matière » ; « II. Le travail de l’histoire du point de vue de ses formes » ; « III. Le travail de l’histoire du point de vue de ses artisans » ; « IV. Le travail de l’histoire du point de vue de ses fins ».
51 Cf. Pandel, Mimesis und Apodeixis, p. 62-81, Norkus, op. cit., et Bauer, désormais cité : Das Geheimnis aller Bewegung, p. 354.
52 Droysen, Historik (1857-8), p. 385-386 : « Zum Werden aber des Zweckbegriffs gehört nicht nur bloss der Stoff, nicht bloss der Gedanke, sondern noch eine vierte ἀρχἡ, welche Aristoteles das Bewegende, das Machen, die Synthesis nennt, – der Künstler in jenem Beispiel, der Stoff und Gedanke zueinander vermittelt ».
53 Cf. Droysen, Historik 1882, p. 353 : « Die Geschichtliche Arbeit nach ihren Arbeitern ».
54 Droysen, Historik (1857-8), p. 29.
55 Cf. I. Düring, Aristoteles : Darstellung und Interpretation seines Denkens, Heidelberg, Winter, 1966 (trad. it. Milano, Mursia, 1976, p. 275) qui considère tout d’abord les quatre causes comme un instrument heuristique.
56 Sur la querelle avec Thomas Buckle cf. surtout Riedel : Verstehen oder Erklären, cap. III ; Maclean : « History in a Two Culture World » ; et, sous un autre angle, F. Wagner, « Biologismus und Historismus im Deutschland des 19. Jarhunderts », dans G. Mann (éd.), Biologismus im 19. Jarhundert, Stuttgart, Enke, 1973 ; Dilthey lui-même prit position contre Buckle ; cf. Cacciatore, « Il concetto di empiria ».
57 Il s’agit d’une statue de l’école de Lysippe, qui était conservée à Berlin.
58 Droysen, Die Erhebung der Geschichte, op. cit.
59 N. Kaufmann, Die teleologische Naturphilosophie des Aristoteles und ihre Bedeutung in der Gegenwart, II éd., Paderborn, Schöningh, 1893 ; le titre de la traduction française est encore plus explicite : Philosophie naturelle d’Aristote. Étude de la cause finale et son importance au temps présent, Paris, Ancienne Librairie Germer Bailliere et Cie, 1898.
60 Droysen, Historik (1857-8), p. 69 ; ibid., p. 342.
61 Droysen, Historik (1857-8), p. 319.
62 Cf. Phys., éd O. Hamelin, 1907, II, 7, 23-27 : « Or, les causes étant quatre, il appartient au physicien de les connaître toutes et il indiquera le pourquoi en physicien en le ramenant à toutes : la matière, la forme, le moteur et la chose qu’on a en vue. Il est vrai que trois d’entre elles se réduisent à une en beaucoup de cas : car l’essence et la chose qu’on a en vue ne font qu’un, et la source prochaine du mouvement est spécifiquement identique à celles-ci : car c’est un homme qui engendre un homme ». Sur l’assimilation entre cause formelle et cause finale chez Aristote cf. A. Carbone, Introduzione a Le parti degli animali, éd. A. Carbone, Milano, Rizzoli, 2002.
63 Cf. Kaufmann, désormais cité : Philosophie naturelle d’Aristote, p. XVI-XVII ; la téléologie qui imprègne la philosophie aristotélicienne de la nature veut embrasser « toutes les connaissances sous un point de vue plus élevé et universel » et indiquer le chemin à suivre pour s’opposer à la réduction de tous les phénomènes aux seules causes matérielles et motrices propres aux mécanicismes modernes, qui marchent aussi bien sur les traces de Socrate que sur celles de Démocrite.
64 Droysen, Historik (1857-8), p. 30.
65 Cf. mon article « Il concetto di sviluppo ».
66 Le terme « pensées » revient chez Droysen beaucoup plus fréquemment qu’« idées », et indique la contextualisation historique des idées dans les situations de fait ; voir Historik (1857-58), p. 215 ; cf. aussi ibid. p. 385, dans le quel, précisément en reprenant la théorie aristotélicienne des quatre causes Droysen, souligne : « der Gedanke, der sich im Stoff ausprägt und der, so sich ausprägend, das wirklich ist, was er an sich war, τὸ τί ἧν εἶναι, es drängt ihn, ἐν ἔργῳ zu erscheinen, er ist die Energie ». Comme le remarquait déjà Meinecke, les idées sont chez Droysen surtout « déploiement d’énergie » ; leur « moteur » est chaque pensée humaine.
67 Cf Wieland, Untersuchungen, p. 330-331 ; Droysen, Historik (1857-8), p. 38 : « historisch [...] aus dem Verständnis des Theiles erschliesst sich uns eine Ahnung des Ganzen » ; ce pressentiment est en effet la seule forme qui permette de faire, de façon quasi psychologique, l’expérience de la totalité.
68 Cf. P. Petersen, Die Philosophie Friedrich Adolph Trendelenburg. Ein Beitrag zur Geschichte des Aristoteles im 19. Jahrhundert, Hamburg, Boysen, 1913, p. 90 ; et A. Orsucci, Dalla biologia cellulare alle scienze dello spirito. Aspetti del dibattito sull’individualità nell’Ottocento tedesco, Bologna, Il Mulino, 1992, cap. I : « Von Baer, Johannes Müller e Trendelenburg : l’aristotelismo e le ricerche embriologiche degli anni ’20 e ’30 », p. 31-58.
69 Sur l’assimilation de ces deux termes voir A. Escudier, « Présentation » à Droysen, Précis de théorie de l’histoire, p. 23.
70 Cf. Petersen, ibid.
71 Cf. Droysen, Historik 1882, p. 23, qui, se référant entre autre aux théories évolutionnistes, souligne que l’analogie décroît d’autant plus que l’on passe de l’organique à l’inorganique ; une remarque qui dénote une réutilisation critique des schémas conceptuels de Haeckel. On a dans la correspondance beaucoup d’exemples de la mauvaise opinion que Droysen avait de Haeckel ; mais, comme le remarque Maclean, « History in a Two Culture World », Droysen fut le premier historien allemand à comprendre l’importance de la pensée darwinienne.
72 Dans l’Historik cette expression n’apparaît pas avant les années soixante du XIXe siècle, comme le montrent les indications critiques de Leyh, ainsi que le fait qu’on la retrouve dans l’essai Nature et histoire de 1862, inclus ensuite dans l’édition de 1872 du Grundriß der Historik. La manière dont il cite le passage aristotélicien tiré du De anima est caractéristique de l’édition canonique de Bekker (Aristoteles Opera ex recensione Immanuelis Bekkeri, edidit Academia Regia Borussica, 4 vol., Berlin 1831-1876), dans la mesure où il omet l’indication du numéro de page, qui sera en revanche reprise dans la numérotation du texte aristotélicien dans toutes les éditions successives. L’édition du De anima de Bekker n’était pas tout à fait, comme le soutiennent M.C. Nussbaum et A. Oksenberg Rorty (éds) Essays on Aristotle’s De anima, Oxford, Clarendon Press, 1992 : Introduction, la première depuis le XVIIe siècle ; mais selon P. Petersen (Geschichte der aristotelischen Philosophie im protestantischen Deutschland, Stuttgart, Bad Cannstatt, 1964, réimpr. anast. de l’éd. Leipzig, 1921, II partie) l’édition de Weise, qui venait de paraître, ne présentait pas d’innovations significatives. Droysen semble toutefois connaître l’édition de Trendelenburg de 1833, dont il reçoit la correction qui consistait à appliquer l’esprit doux au lemme autò (cf. Aristotelis de anima libri tres : Ad interpretum graecorum auctoritatem et codicum fidem recognovit commentariis illustravit Frider. Adolph. Trendelenburg, Jena, 1833).
73 Aristote, De l’âme, II, 5, 417b2-16 (éd. A. Jannoni), Paris, Les Belles Lettres, 1966.
74 Cf. le passage complet : « c’est par l’exercice de la science que passe à l’acte celui qui possède la science, et ce même passage ou bien n’est pas une altération (car c’est un progrès de l’être en lui-même et vers son entéléchie), ou bien constitue un autre genre d’altération » (417b5-6). Si on reprend la traduction de J.A. Smith (in The Basic Works of Aristotle, éd. R. McKeon, New York, Random House, 1941), il paraît plus évident que l’expression « n’est pas une altération » signifie « n’est pas une altération de la science » (« alteration of it »), c’est à dire qu’il n’y a pas de changement qualitatif de la connaissance. Sur la notion d’altération chez Aristote, cf. R.R. Barr, « The Nature of Alteration in Aristotle », New Scholasticism 30 (1952), et l’article Alteratio, dans J. Ritter und K. Gründer (éd.), Historisches Wörterbuch der Philosophie, Basel et Stuttgart, Schwabe, 1984, vol. I.
75 Cf. également la traduction de D. W. Hamlyn in De anima. Books II and III, Oxford, Clarendon Press, 1968 IV ed. : « development unto itself ».
76 Ibid., 417b15-16.
77 De anima, éd. Trendelenburg, p. 365-6.
78 L. Edelstein, The Idea of Progress in Classical Antiquity, Baltimore, 1967 cap. III n. 79, en expliquant les termes epidosis et auxesis, attribue à epidosis la définition citée. Mais E.C. Dodds, The Ancient Concept of Progress and Other Essays on Greek Literature and Belief, Oxford, Clarendon Press, 1973, p. 1, critique l’emphase de Edelstein autour du terme, et soutient que epidosis ne signifie rien d’autre que increase.
79 H. Astholz (Das Problem ‘Geschichte’ untersucht bei J.G. Droysen, Berlin, Ebering, 1933), pour expliquer l’emploi que Droysen fait de l’expression aristotélicienne, rappelle le sens de epidosis comme « don volontaire », attesté également par Der neue Pauly : Enzyklopädie der Antike, éd. Manfred Landfester avec H. Cancik und H. Schneider, Stuttgart – Weimar, 1999 chez Démosthène (cf. Or. 21, 161). Cette acception explicite bien l’opposition à l’idée hégélienne de développement nécessaire, logiquement structuré ; Droysen conteste la notion hégélienne de nécessité, l’assimilant presque à une instance préformationniste : « Ce que nous appelons nécessaire n’est pas une contrainte productive, mais une construction rétrospective », écrit-il dans une lettre en 1842, remarquant qu’il est impossible d’affirmer que les siècles postérieurs à Alexandre ont engendré le Christ, mais seulement que leur action a rendu possible son avènement. Cf. Droysen, Briefwechsel, lettre n. 1209 à Heydemann du 7/7/1842, p. 219). Sans aucun doute Droysen connaissait bien Démosthène, auquel il avait consacré des études specialisés (cf. J.G. Droysen, Über die Echtheit der Urkunden in Demosthenes Rede vom Kranz (1839), dans Kleine Schriften zur alten Geschichte, vol. I). L’interprétation de Astholz est donc incontestablement intéressante, dans la mesure où elle permet d’évoquer une conception de la spontanéité qui s’oppose à l’organicisme de l’École Historique, ce que l’on a textuellement dans l’essai Natur und Geschichte (1862), dans Historik 1882. Mais, dans les textes de Droysen, l’expression aristotélicienne se présente toujours suivie d’explicitations, de translittérations en allemand, dont on ne peut faire abstraction.
80 Droysen, Historik 1882, p. 12. L’acception du terme epidosis en tant qu’accroissement est attestée chez Platon (Theaet. 146b, Sym. 175e), Aristote (Cat. 10b28, Nic. Eth. 1109a17, e 1098a25, Pol. 1293a27) et Isocrate (15.267).
81 Droysen, Historik 1882, p. 9.
82 Ibid. Cf. Droysen, Précis de théorie de l’histoire, p. 39-40, où Escudier traduit « steigernd und summierend » par « s’accroisse par intensification et accumulation continuelles ». Cf. Droysen, Historik 1882, p. 9 sq.
83 Pandel, Mimesis und Apodeixis, loc. cit., a rapproché de Hegel, ou d’une médiation hégélienne dans l’interprétation d’Aristote, l’acception de l’induction qui marque la méthode empirique chez Droysen. Il renvoie donc au « syllogisme de la réflexion » de la Science de la logique, bien que la figure du syllogisme soit caractérisée ici, dans son inaccomplissement au regard de la ligne portant vers la direction supérieure du concept, un syllogisme intrinsèquement infinitisant : « nur ins Unendliche fort » les objets successifs de l’induction « machen die Gattung aus und geben die vollendete Erfahrungen » (G.F.W. Hegel, Wissenschaft der Logik, Frankfurt am Main, Suhrkamp, vol. 6, p. 386).
84 Droysen, Historik 1882, p. 12.
85 Cf. Précis, ibid. ; Droysen, désormais cité : Natur und Geschichte ; Historik 1882, p. 14.
86 Aristote, Physica V, 2 26-7 ; cf. Barr, « The Nature of Alteration ».
87 Cf. T. Lenoir, « The Eternal Laws of Form : Morphotypes and the Conditions of Existence in Goethe’s Biological Thought », dans F. Amrine, F. Zucker, H. Wheeler (éd.), Goethe and the Sciences. A Reappraisal, Dordrecht et Boston, Reidel, 1987, p. 17-28, qui soutient, contrairement à la définition classique de « morphologie idéaliste », que la morphologie goethienne est plutôt fonctionnaliste.
88 Cf. Lenoir, op. cit., pour qui la problématique de la pensée biologique de Goethe doit être redéfinie en termes de « biocausalité ».
89 I. Kant dans la Critique du jugement réfute l’application de la notion de « finalité extérieure » à la nature (§ 66-67). La définition citée en anglais est de R.H. Brady, « Form and Cause in Goethe’s Morphology », in Goethe and the Sciences, p. 289, qui rappelle l’enthousiasme suscité chez Goethe par l’attaque kantienne contre le jugement téléologique ainsi interprété (cf. J.W. Goethe, Einwirkungen der neueren Philosophie, in Goethes Werke. Hamburger Ausgabe in 14 Bänden, Bd. XIII : Naturwissenschaftliche Schriften I, éd. D. Kuhn et R. Wankmüller, München, 1981).
90 Goethe, Urworte Orphisch, dans Goethes Werke, Bd. 1, p. 359, v. 8.
91 Cf. L. Dolezel, Occidental Poetics : Tradition and Progress, Lincoln, University of Nebraska Press, 1989 (trad. it. Poetica occidentale, Torino, Einaudi, 1990, p. 76) : « La force motrice du changement est la métamorphose, cette opération qui produit de la variété individuelle à l’intérieur de l’invariabilité de l’Ur-typ ».
92 Cf. G. Baioni, Forma e simbolo in Goethe, dans O. Longo (éd.), Forma rappresentazione struttura. Atti del Convegno Padova 3-6 dicembre 1986, Napoli, 1989, p. 205. Sur l’extension de la notion de Steigerung chez Goethe au sens plus général cf. Erläuterungen zu dem aphoristischen Aufsatz « Die Natur » (1828), dans Naturwissenschaftliche Schriften, p. 48.
93 Sur le thème du perfectionnement dans la pensée biologique de Goethe cf. G. Uschmann, Der morphobiologische Vervollkommnungsbegriff bei Goethe und seine problemgeschichtlichen Zusammenhänge, Jena, 1939.
94 Cf. K.E. von Baer, Über Entwickelungsgeschichte der Thiere. Beaobachtung und Reflexion, Königsberg, 1828.
95 Cf. mon article « Droysen e l’idea storicista del tempo cumulativo », Archivio di Storia della Cultura, 2000, p. 75-92.
96 Goethe applique au type la loi de balancement de E. Geoffroy Saint-Hilaire ; comme le remarque également Lenoir, op. cit., il se crée une relation figée entre Bauplan, plan d’organisation, et la « quantité » de force dont il dispose, qui est identique pour toutes ses manifestations morphologiques.
97 Cf. W. von Humboldt, « Latium und Hellas oder Betrachtungen über das classische Alterthum » (1806), in Gesammelte Schriften, éd. A. Leitzmann, vol. 3 : « Keine Kraft ist mit dem, was sie bis jetzt gewirkt hat, vollendet. Sie erhält mit jedem Wirken Vermehrung ; sie hat schon einen nie bekannten Überschuß über jedes ihr Wirken, und ihre künftige Erzeugnisse lassen sich nicht nach den vorhergehenden berechnen. Es kann und muß ewig fort Neues entstehen ».
98 Cf. W. Dilthey, Einleitung in die Geisteswissenschaften (1883), trad. it. Firenze, La Nuova Italia, 1974, p. 72-73. On retrouve déjà chez Droysen le thème de l’appartenance à plusieurs « sphères éthiques », cf. Historik 1882, p. 192-3.
99 Droysen, Précis, § 82, p. 91. La primauté du faire – dans son sens le plus large, celui d’une ouverture des possibilités sédimentées dans l’histoire – est formulée de manière pittoresque déjà dans l’Alexandre, et en des termes qui laissent entrevoir aussi les thèmes caractéristiques de sa critique de Hegel. En décrivant le rapport entre Alexandre le Grand – l’homme politique, qui, comme Droysen devait soutenir plus tard, est « l’historien pratique » – et Aristote – le philosophe qui se consacre entièrement à la spéculation – il écrit : « le philosophe n’avait qu’un but, cataloguer les choses qui existent, et contribuer à leur maintien. Le roi, en revanche, voyait dans les transformations que les choses subissent la possibilité d’échapper à ce déterminisme rigoureux et de vaincre les décrets de la nature par la puissance libératrice du devenir » (J.G. Droysen, Geschichte Alexanders des Großen, Berlin, Finke, 1833, trad. it. Milano, Dall’Oglio, 1965, p. 249).
100 Le « sens à la puissance 2 » est la définition que Schlegel donne de l’esprit, cf. « Philosophie der Philologie », éd. Josef Körner, Logos XVII (1928) 1, p. 51 : « Was ist Geist oder Sinn ? Ist Geist etwa Sinn in der zweiten Potenz ? », (trad. fr. par D. Thouard, dans Critique et herméneutique dans le premier romantisme allemand, Lille, Septentrion, 1996), p. 223, qui semble bien s’adapter au sens du terme sittlich chez Droysen. Pour une contextualisation du sens de cette expression de Schlegel dans le romantisme allemand en général cf. W. Benjamin, Der Begriff der Kunstkritik in der deutschen Romantik, Buchdruckerei A. Scholem, 1920 (trad. fr. Le concept de critique esthétique dans le romantisme allemand, trad. de l’allemand par Ph. Lacoue-Labarthe et A.M. Lang, Flammarion, 1986).
Auteurs
Chercheuse à l’Istituto di Storia del Pensiero Filosofico e Scientifico Moderno (ISPF, Napoli) du Consiglio Nazionale delle Ricerche.
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