La question des catégories : le débat entre Trendelenburg et Bonitz
p. 63-79
Texte intégral
1. Le contexte historico-philologique
1Pour aborder la problématique catégoriale, dans le cadre du renouveau profond des études aristotéliciennes en Allemagne au XIXe siècle, il est d’abord nécessaire de rappeler brièvement le contexte historico-critique au sein duquel elle se déploie : il est caractérisé par un progrès significatif de la philologie aristotélicienne qui aboutit à un remarquable travail d’édition dans le cadre de l’Académie de Berlin. Dès 1831 paraissent les deux premiers volumes du Corpus aristotelicum, édités par I. Bekker. L’entreprise sera achevée en 1870 avec l’édition de l’Index Aristotelicus dû à H. Bonitz.
2A. Trendelenburg1 est d’emblée partie prenante de ce travail éditorial et historico-philologique, dès sa dissertation de 1826 : De locis, in quibus Aristoteles summam et universam Platonis philosophiam commemoravit ; puis avec sa thèse d’habilitation publiée en mai de la même année : Platonis de ideis et numeris doctrina ex Aristotele illustrata. En 1833, durant les années où il est encore précepteur, il publie son édition du De anima2. Il est nommé en mars de la même année, professeur à l’Université de Berlin où il donne et publie sa leçon académique : De Aristotelis categoriis3. En 1837, il publie une remarquable anthologie, conçue comme une propédeutique : Elementa Logices Aristoteleae. In usum scholarum ex Aristotele excerpsit convertit illustravit F. A. Trendelenburg, qui fut un grand succès et connut de nombreuses rééditions jusqu’en 1852. Il en donnera une version allemande en 1842 : Erläuterungen zu den Elementen der aristotelischen Logik (seconde édition en 1860, troisième édition en 1876)4.
3Trendelenburg, en soulignant que la logique d’Aristote n’a pas vieillie, qu’elle n’est pas « passée de mode » ou « dépassée » (« so wenig veraltet als Euklides Geometrie oder andere wissenschaftliche Entdeckungen der schöpferischen Griechen »), se réfère à la célèbre remarque de Kant, au début de la Préface à la seconde édition de la Critique de la raison pure : « … depuis Aristote, la logique n’a pas eu besoin de faire un pas en arrière,… mais elle n’a pu faire, non plus, aucun pas en avant »5. La référence est passablement ironique, car en vérité, pour Trendelenburg, la logique fait un pas en arrière avec Kant, alors même qu’elle se définit comme « formale Logik », c’est-à-dire que se trouve brisée l’unité de la logique et de la métaphysique6. Nous reviendrons sur ce point.
4C’est aussi dans le milieu des années quarante que sont publiées des éditions fondamentales pour nous, aujourd’hui encore : en 1844 et 1846, les deux tomes de Th. Waitz, Aristoteles Organon Graece, novis codicum auxiliis adjutus recognivit, scholiis ineditis et commentario instruxit Th. Waitz ; en 1848-1849, l’édition de la Métaphysique par Bonitz et le volume de Commentarius. L’année précédente (1847-1848) avait vu paraître à Tübingen l’édition d’A. Schwegler : Die Metaphysik des Aristoteles, Grundtext, Übersetzung und Commentar, nebst erläuternden Abhandlungen, en quatre volumes7.
2. Le contexte doctrinal et critique
5Dès 1831, juste après la mort de Hegel, et avant même le clivage entre droite et gauche hégéliennes, s’était ouvert un débat, très vif et fondamental, concernant les doctrines logico-métaphysiques de Hegel, et en particulier la nature et la fonction de la négation, la définition et le rôle de la dialectique, la question du commencement du système, de sa circularité, et plus généralement de l’identité de la logique et de la métaphysique. C’est dans ce débat qu’intervient directement Trendelenburg, en 1840, avec la première édition, en deux volumes, des Logische Untersuchungen8.
6Les Logische Untersuchungen tentent ainsi de se frayer un chemin entre l’École hégélienne d’un côté et les herbartiens de l’autre, et elles commencent, de manière remarquable, par un rappel à la scientificité, propre au philosopher, par delà les diverses écoles nationales, les visions du monde, les phénomènes culturels, ce qu’on pourrait nommer anachroniquement, l’historicisme.
7Dans la préface à la seconde édition, 1862, Trendelenburg notait :
C’est dans un tel contexte – <celui qui voit se développer les critiques contre le système hégélien d’un côté, et où se trouvent proclamées, de l’autre, les victoires remportées par la Pensée (der Gedanke), en Serbie et en Moldavie, à Naples et au Portugal…> – que l’on en vient à considérer la philosophie, portée par les voix des époques et des peuples, comme un simple élément transitoire de la Culture, comme un écho des impressions changeantes du jour ; expulsée de l’histoire des sciences, elle se trouve alors renvoyée à l’histoire de la Culture, ou encore, à l’égal de la poésie, elle est reconduite à la littérature nationale. La philosophie, qui a vocation à réunir les peuples et les époques en une intuition universelle et en une tâche nécessaire, celle des sciences, comme l’ont fait jadis Platon et Aristote, à travers l’Orient et l’Occident, se trouve ainsi ravalée à une situation subalterne ; il faut l’en retirer, et c’est à cela que les présentes Recherches Logiques souhaitent contribuer.9
8Ainsi le retour à Aristote opéré par Trendelenburg, loin d’être « antiquaire », est aussi et fondamentalement un retour à la science et à son mouvement dont la portée se veut universelle. Mais renouer avec la tradition aristotélicienne, c’est encore s’opposer à l’idée que la philosophie devrait à chaque fois tout recommencer à nouveaux frais pour produire un système singulier. Je cite à nouveau :
La philosophie ne pourra pas recouvrer son ancienne puissance avant d’avoir retrouvé sa consistance <sa permanence>, et elle ne retrouvera pas cette consistance si elle ne parvient pas à cette croissance qui est propre aux autres sciences, si elle ne se développe pas continûment, sans avoir à recommencer à nouveaux frais avec chaque tête, pour ensuite être détrônée ; il lui faut assumer historiquement les problèmes et les conduire plus avant.
C’est un préjugé allemand que chaque philosophe doive recommencer de son propre chef, que chacun ait son propre principe originaire, que chacun tende un miroir bien poli d’après telle ou telle formule, afin d’y capturer le monde. Par là notre philosophie souffre d’une fausse originalité et se pique d’atteindre les paradoxes ; dans la mesure où elle aspire en chacun à une manière individuelle, elle perd en consistance, en grandeur et en communauté…
Il faut renoncer à ce préjugé des Allemands, comme si pour la philosophie de l’avenir, il s’agissait de trouver un principe formulé à nouveaux frais ; ce principe est trouvé ; il repose dans la vision-du-monde organique qui a été fondée par Platon et par Aristote, qui s’est poursuivie à partir d’eux et qui doit encore s’élaborer et petit à petit trouver son achèvement, aussi bien grâce à une recherche approfondie des concepts fondamentaux et des aspects singuliers, que grâce à l’interaction avec les sciences réelles (reale Wissenschaften).10
9Contre Kant, c’est-à-dire contre la dissociation de la logique et de la métaphysique, et contre la relégation corrélative de la logique aristotélicienne, au titre de « logique formelle », Trendelenburg réaffirme dans ses Elementa de 1837 (et dans la version allemande de 1842), l’unité indissociable de la logique et de la métaphysique qui constituent ensemble (par opposition aux sciences régionales et particulières) une « grundlegende Wissenschaft », une « philosophia fundamentalis »11. Les Elementa s’attachent aussi à mettre en évidence l’arrière-plan aristotélicien (conceptuel et terminologique) de la philosophie moderne et contemporaine, et d’abord dans son vocabulaire :
Haec vero vocabula philosophiae propria non aptius explanaveris quam Aristotele interpretando; hic enim omnium caput et fons…
… qui geometriae elementa petit, ad Euclidis et evidentiam et elegantiam, qui logices, ad Aristotelis et subtilitatem et simplicitatem redire jubeatur.12
10Au centre de la logique, se tient donc l’étude du jugement (ibid. XIII), ou même de la proposition, ἀπόϕανσις :
Quoniam logica in cognoscendi natura investiganda versatur, cognoscitur autem verum et falsum: logices initium inde ducitur ubi primum verum et falsum locum habet, h.e. ab enunciatione.13
11Est-ce là une façon de reprendre en la transposant la formule de Kant : penser, c’est juger ? Pas tout à fait : non seulement en raison de la polémique, déjà évoquée, de Trendelenburg contre la « logique formelle » dans le chapitre II des Logische Untersuchungen, mais surtout parce que la fin des Elementa se termine par le célèbre passage qui conclut les Seconds Analytiques sur la saisie « intuitive » (par le νοῦς) des principes :
C’est pourquoi l’intellect est le point de départ du principe : en effet rien n’est plus vrai que l’intellect. De même que la science comprend, par la loi et la raison, la nature des choses et pour ainsi dire l’engendre à nouveau ; de même l’intellect produit de nouveau les principes. Le voici donc, ici à titre de garant de la nature, là de la science.14
3. Kant et la question des catégories
12La encore, il importe, me semble-t-il, de rappeler assez précisément le cadre général de l’étude ou mieux des études de Trendelenburg : en 1846, il publie son Aristoteles Kategorienlehre, comme première contribution d’une série : les Historische Beiträge zur Philosophie. Mais dès 1833 – nous l’avons signalé –, il avait publié une brève étude (en latin), De Aristotelis categoriis, leçon inaugurale à l’Université de Berlin où il venait d’être nommé à titre d’Extraordinarius. La problématique catégoriale ainsi relancée apparaît d’abord comme une réponse aux critiques de Kant, reprises par Hegel et plus tard par E. Zeller qui dénonçaient le caractère rhapsodique des catégories aristotéliciennes, établies sans fil conducteur.
13Je rappelle ici des textes tout à fait canoniques : dans la Critique de la raison pure (A 81), après avoir établi la table des catégories – table qui présente « la liste de tous les concepts originellement purs de la synthèse, que l’entendement contient a priori en lui, et grâce auxquels seulement il est un entendement pur… » –, Kant notait :
Cette division est obtenue systématiquement à partir d’un principe commun, à savoir le pouvoir de juger (qui est la même chose que le pouvoir de penser), et ne provient pas de façon rhapsodique d’une recherche, entreprise au petit bonheur, de concepts purs, que l’on n’est jamais sûr d’avoir en nombre complet, puisque celui-ci est conclu par induction seulement, sans songer qu’on ne voit jamais de cette façon pourquoi ces concepts précisément, et non pas d’autres, se trouvent dans l’entendement. C’était un dessein digne d’un esprit aussi pénétrant que celui d’Aristote, que de rechercher ces concepts fondamentaux. Mais comme il n’avait aucun principe, il les rassembla précipitamment, comme ils lui venaient, et il en produisit d’abord dix, qu’il nomma catégories (prédicaments). Par la suite, il crut en avoir encore trouvé cinq, qu’il ajouta sous le nom de postprédicaments. Mais sa table resta encore lacunaire. En outre, il s’y trouve aussi quelques modes de la pure sensibilité (quando, ubi, situs, également prius, simul) ainsi qu’un mode empirique (motus) qui n’appartient pas à ce registre généalogique de l’entendement, ou encore des concepts dérivés sont comptés parmi les primitifs (actio, passio), et quelques-uns de ces derniers manquent complètement.15
14À ces « catégories » ou pseudo-catégories aristotéliciennes, Kant oppose les catégories entendues comme les vrais concepts-souches de l’entendement pur. On retrouve la même analyse, et la même critique, encore plus détaillée, dans les Prolégomènes :§ 39, Appendice à la science pure de la nature. Du système des catégories. Le passage est tout à fait capital, et à vrai dire plus développé et explicite que celui de la Critique, quant au projet kantien et au contresens qu’il induit nécessairement à propos d’Aristote. On comprend très bien qu’un paragraphe de ce genre ait pu fournir à Trendelenburg le « cadre » de son interprétation et de sa réhabilitation de la « table » aristotélicienne des catégories :
Pour un philosophe, rien ne saurait être plus souhaitable que de pouvoir, en partant d’un principe a priori, dériver la diversité des concepts ou des principes qui s’étaient présentés à lui en ordre dispersé par l’usage qu’il en avait fait in concreto, et de cette façon de tout réunir en une seule connaissance. Auparavant, il <le Philosophe, pris absolument> croyait seulement que le résidu résultant d’une certaine abstraction et semblant, par comparaison mutuelle, constituer un genre particulier de connaissance, formait un rassemblement complet, mais ce n’était qu’un agrégat ; maintenant, il sait que seul ce nombre précis de concepts, ni plus ni moins, peut constituer ce genre de connaissance, il a vu la nécessité de sa classification, qui est une compréhension, et alors il a pour la première fois un système.
Dégager de la connaissance commune les concepts – <dans la perspective kantienne, il s’agit bien de concepts, et même de concepts-souches, et non pas de concepts répondant à « ce qui se dit », ou à la « multiplicité de ce qui se dit dans la langue : chap. IV : τῶν κατὰ µηδεµίαν συµπλοκὴν λεγοµένων, ἕκαστον …> – qui ne se fondent nullement sur une connaissance particulière, et qui se rencontrent cependant dans toute connaissance empirique dont ils constituent pour ainsi dire la simple forme de liaison, cela ne supposait pas plus de réflexion ou de discernement que de dégager de manière générale d’une langue les règles de l’usage effectif des mots, et de rassembler ainsi les éléments d’une grammaire (en fait, ces deux recherches sont aussi très étroitement apparentées), sans pouvoir toutefois le moins du monde donner la raison pour laquelle chaque langue a précisément telle constitution formelle et nulle autre, et encore moins pourquoi l’on peut y trouver en général tel nombre précis, ni plus ni moins, de ces déterminations formelles.16
15Ce qui me paraît tout à fait remarquable, c’est que Kant définit ici – a contrario et en mode critique – ce que reprendra positivement Trendelenburg ! C’est là comme une partie du « programme » de Trendelenburg qui se trouve anticipée et préalablement récusée !
Aristote avait rassemblé dix de ces concepts élémentaires purs <il ne s’agit évidemment pas de cela dans ledit traité des Catégories> sous le nom de catégories <substantia, qualitas, quantitas, relatio, actio, passio, quando, ubi, situs, habitus>. À celles-ci qu’on nommait aussi prédicaments <praedicamenta, κατηγούµενα>, il se vit ensuite contraint d’adjoindre encore cinq postprédicaments <oppositum, prius, simul, motus, habere>, qui se trouvent pourtant déjà partiellement contenus dans les premiers (comme prius, simul, motus) ; mais cette rhapsodie pouvait avoir une valeur et mériter des applaudissements à titre de suggestion faite aux chercheurs à venir, plutôt qu’à titre d’idée développée avec ordre ; c’est pourquoi aussi le progrès des lumières en philosophie l’a fait rejeter comme tout à fait inutile.
Par une études des éléments purs… de la connaissance humaine, j’ai réussi… à distinguer et séparer avec certitude les concepts élémentaires purs de la sensibilité (espace et temps) de ceux de l’entendement…17
16Il s’agissait en effet pour Kant de trouver d’abord un principe « d’après lequel on aurait pu déterminer au complet et avec précision toutes les fonctions d’où proviennent ses concepts purs » <ie. ceux de l’entendement>, ce pour quoi, comme on le sait bien, Kant partait du jugement et des fonctions du jugement : il n’y a de table des catégories qu’adossée à la table des jugements. Et Kant de poursuivre sa critique, toujours dans les Prolégomènes :
… l’essentiel en ce système des catégories, ce qui le distingue de cette ancienne rhapsodie qui s’avançait sans aucun principe, et ce qui seul lui vaut d’être pris en compte en philosophie, c’est que, grâce à lui, la signification véritable des concepts purs de l’entendement et la condition de leur usage ont pu être déterminées exactement. Car il apparut alors qu’ils ne sont en eux-mêmes que des fonctions logiques, qu’à ce titre ils ne constituent pas le moins du monde le concept d’un objet en soi, mais qu’ils ont besoin de se fonder sur l’intuition sensible…
Un tel point de vue sur la nature des catégories, qui les restreignit au simple usage empirique, ne vient à l’esprit ni du premier auteur des catégories ni de personne après lui ; mais sans ce point de vue (qui dépend très précisément de leur dérivation ou déduction), elles sont tout à fait inutiles, misérable nomenclature, sans explication ni règle de leur usage. Si jamais les Anciens s’en étaient avisés, nul doute que l’étude tout entière de la pure connaissance rationnelle qui, sous le nom de métaphysique, a gâté tant de bons esprits durant de nombreux siècles, ne nous fût parvenue sous une forme toute différente, et qu’elle n’eût éclairé l’entendement humain au lieu de l’épuiser, comme cela s’est effectivement produit, dans d’obscures et vaines ruminations, et de le rendre inapte à la science véritable.
17La première question ici, pour nous, est de savoir dans quelle mesure Trendelenburg a lui-même profondément « intégré » cette critique et cette exigence kantienne. Dans quelle mesure a-t-il repris, positivement, la suggestion de la « grammaire » ? Si la position de Trendelenburg est, sur ce point, tout à fait originale, elle s’inscrit pourtant dans le cadre général des nombreuses études sur les catégories aristotéliciennes, suscitées et provoquées, en Allemagne, au XIXe siècle, par la critique kantienne18.
18Comme nous l’avons déjà suggéré, c’est sans aucun doute cette critique qui permet de rendre compte de la rupture opérée par Trendelenburg par rapport au commentarisme ancien (Dexippe, Porphyre, Simplicius…), qui considérait le texte dans son économie « statique ». Trendelenburg adopte d’emblée une perspective nouvelle, que l’on peut caractériser comme dynamique et généalogique, destinée aussi à déterminer la situation du traité et sa portée dans le « système » aristotélicien. Et c’est encore la critique kantienne qui le conduit à mettre d’emblée au premier plan la question du « fil conducteur » dans l’établissement et l’économie de ladite « table » des catégories.
4. Une question généalogique
19Dès l’ouverture de son étude en effet, Trendelenburg met l’accent sur la question de l’origine, sur la question « généalogique » :
Ce qui fait défaut de prime abord, c’est une explication, un éclaircissement sur l’origine des catégories. On ne voit pas d’où elles viennent et à quoi elles tendent (où elles vont). C’est pour cette raison que Kant a considéré qu’elles étaient rafflées précipitamment et que Hegel les tenait pour une simple “collection”19.
20Si le traité aristotélicien ne répond pas directement à cette question généalogique, il comporte cependant plusieurs indications sur lesquelles Trendelenburg va faire fonds20. C’est dans ce cadre problématique que Trendelenburg se réfère aux premières distinctions aristotéliciennes. Les catégories sont définies comme « ce qui se dit sans combinaison » : τὰ κατὰ µηδεµίαν συµπλοκὴν λεγόµενα … τὰ δ’ἄνευ συµπλοκῆς (Cat. 4, 1 b 25), au terme d’une bi-partition introduite au seuil du traité :
τῶν λεγομένων τὰ μὲν κατὰ συμπλοκὴν λέγεται, τὰ δὲ ἄνευ συμπλοκῆς. Τὰ μὲν ὅν κατὰ συμπλοκήν, οἷον ἄνθρωπος τρέχει, ἄνθρωπος νικᾷ· τὰ δὲ ἄνευ συμπλοκῆς, οἷον ἄνθρωπος, βοῦς, τρέχει, νικᾷ (1 a 16 sq.) –
Dans ce qui se dit, il y a ce qui se dit en combinaison, et [ce qui se dit] sans combinaison – en combinaison, par exemple (un) homme court, (un) homme vainc ; sans combinaison, par exemple, homme, bœuf, court, vainc.21
21Et la « συµπλοκή » (« combinaison » ou « connexion ») est elle-même d’emblée comprise par Trendelenburg comme « Satzverbindung », la liaison constitutive de la proposition :
συµπλοκή, entrelacs (Verflechtung), est déjà chez Platon l’expression qui revient quand il s’agit de caractériser la liaison de la proposition (Satzverbindung).
De même que le verbe συµπλέκειν est employé là où s’entrelacent des termes opposés, comme « montée » et « descente », de même le trouve-t-on en particulier là où se lient le nom et l’énoncé, le sujet et le prédicat, dans la mesure où se présente dans cette liaison l’unité de la stabilité et de l’activité (die Einheit des Beharrendes und der Tätigkeit).22
22Faisant référence à Platon, Sophiste 262 D : « en entrelaçant les verbes aux noms » (συµπλέκων τὰ ῥήµατα τοῖς ὀνόµασι …), Trendelenburg poursuit :
C’est cette signification – qui se maintiendra ensuite – de l’entrelacs comme « liaison propositionnel » qui est fixée dans le présent passage,
23avant de conclure en ces termes :
Les dix catégories ont donc toutes en commun d’être énoncées en dehors de la liaison qui constitue la proposition.23
24À l’origine donc, antérieurement à l’analyse, à la décomposition, se tient la proposition, l’énoncé, la phrase complète : « Der Satz ist das Ganze ». Le tout que forme la proposition est ici antérieur à la partie, et c’est ce qui justifie la perspective grammaticale et langagière de l’enquête, conformément à la thèse fondamentale :
… les catégories sont les éléments qui résultent de l’analyse <de la dé-liaison ou de la dé-composition> (Auflösung des Satzes) de la proposition.24
25Trendelenburg remarque justement, à propos des exemples aristotéliciens destinés à « illustrer » les catégories, qu’il s’agit de mots de la langue pris dans leur construction familière au sein d’une phrase élémentaire (« court », « vainc » – τρέχει, νικᾷ), ou encore en référence à 2 a 2 : « … se trouver dans une position (κεῖσθαι), par exemple, est allongé, est assis ; avoir (ἔχειν), par exemple, est chaussé, est armé ; agir, par exemple, coupe, brule (τέµνει, καίει) ; pâtir, par exemple, est coupé, est brûlé (τέµνεται, καίεται)25.
26On retrouve significativement la même observation sous la plume de Benveniste, dans son célèbre article de 195826. Trendelenburg, dans son commentaire, insiste sur ce trait de langue : c’est très consciemment que, dans ses exemples, Aristote n’introduit pas le « concept général », à l’infinitif, mais bien la troisième personne du verbe, conjugué au présent de l’indicatif – une forme verbale « qui, comme à une jointure, à une articulation, renvoie au tout de la phrase, à laquelle elle appartient, à savoir ici, dans cet exemple, au sujet ». Une première conclusion s’impose donc, en réponse au réquisit kantien :
Les catégories conservent ainsi en elles l’empreinte <le sceau> de leur origine, et elles plongent leurs racines dans la proposition <la phrase> simple.27
5. Le fil conducteur grammatical
27C’est en fonction de cette « origine », de cet « enracinement » dans la proposition (l’énoncé – enunciatio, disaient les Elementa) que Trendelenburg entend mettre en évidence le véritable fil conducteur susceptible de faire apparaître, sinon la complétude, du moins la cohérence des catégories aristotéliciennes et de la « table ». Ce fil conducteur est, comme sait, grammatical28 ; « le point de vue directeur est fourni par la langue »29. Évoquer l’« origine grammaticale » des catégories cela signifie d’abord et seulement, pour Trendelenburg, que les catégories ont été dégagées en fonction d’une analyse et d’une décomposition de la phrase, et qu’elles correspondent donc aux parties du discours, ou mieux aux parties constitutives de la proposition. D’une série de passages soigneusement analysés par Trendelenburg, tirés des différentes œuvres d’Aristote (Catégories, Topiques, Métaphysique…), il ressort que « les catégories logiques ont tout d’abord une origine grammaticale et que le fil conducteur grammatical court à travers leur application »30.
28Mais le rapprochement entre catégories « logiques » et distinctions « grammaticales » avait déjà été introduit, avant l’étude de leur « application », même si Trendelenburg prend bien soin de souligner que ces distinctions sont ultérieures et appartiennent au Stoïcisme :
L’ousia correspond au substantif, le poson et le poion à l’adjectif, et cela de telle sorte que le premier peut aussi être exprimé par l’adjectif de nombre (numéral), et que le second désigne la qualité la plus propre (die eigentliche Eigenschaft). Le pros ti a une acception si large qu’on ne saurait le limiter au comparatif relatif, mais il garde pourtant clairement en lui les traces d’une considération grammaticale. Le pou et le poté sont présentés par les adverbes de lieu et de temps ; quant aux quatre dernières catégories, elles se retrouvent dans la classe des verbes : à travers le poiein et le paskhein, la forme active et passive du verbe ; à travers le keisthai, on retrouve au moins une partie de l’intransitif ; à travers l’ékhein, pour autant que les exemples destinés à l’illustrer permettent de le reconnaître, on retrouve les traits caractérisques du parfait grec.31
29On peut comparer cette analyse, pour nous classique aujourd’hui, avec les formulations de Benveniste dans son célèbre article de 1958 : « On peut maintenant transcrire en termes de langue la liste des dix catégories. Chacune d’elles est donnée par sa désignation et suivie de son équivalent : οὐσία (« substance »), substantif ; ποσόν, ποιόν (« quel ; en quel nombre »), adjectifs dérivés de pronoms, du type du lat. qualis et quantus ; πρός τι (« relativement à quoi »), adjectif comparatif ; ποῦ (« où »), ποτέ (« quand »), adverbes de lieu et de temps ; κεῖσθαι (« être disposé »), moyen ; ἔχειν (« être en état »), parfait ; ποιεῖν (« faire »), actif ; πάσχειν (« subir »), passif ». Mais Benveniste poursuivait en ces termes son analyse, dans une direction cette fois tout à fait étrangère à Trendelenburg :
En élaborant cette table des « catégories », Aristote avait en vue de recenser tous les prédicats possibles de la proposition, sous cette condition que chaque terme fût signifiant à l’état isolé, non engagé dans une συµπλοκή, dans un syntagme, dirions-nous. Inconsciemment il a pris pour critère la nécessité empirique d’une expression distincte pour chacun des prédicats. Il était voué à retrouver sans l’avoir voulu les distinctions que la langue même manifeste entre les principales classes de formes, puisque c’est par leurs différences que ces formes et ces classes ont une signification linguistique. Il pensait définir les attributs des objets ; il ne pose que des êtres linguistiques : c’est la langue qui, grâce à ses propres catégories, permet de les reconnaître et de les spécifier.32
30Pour Trendelenburg en effet, si les catégories résultent de considérations grammaticales, leur portée ne se réduit pourtant pas à cette dimension grammaticale. Les catégories demeurent à ses yeux « les prédicats les plus généraux » (p. 20), même si l’on peut, prudemment, remarquer leur « affinité » avec les relations grammaticales33. Le point est tout à fait capital : il s’agit pour Trendelenburg de mettre en lumière l’« origine grammaticale » de catégories, lesquelles demeurent fondamentalement des « catégories logiques ».
31Ainsi, pour Trendelenburg, les deux traits (grammatical et logico-ontologique) se fondent ensemble, comme on le voit à travers l’illustration, sans doute privilégiée de la « première » catégorie : l’« ousia ».
La proposition, la phrase élémentaire se dissocie en sujet et prédicat. Le sujet apparaît comme la base, l’assise auquel le prédicat est référé, l’ὑποκείµενον, qui, appréhendé grammaticalement, est ce dont <quelque chose> est dit (καθ’ὃ λέγεται), et qui est réellement ce en quoi est <inhérent> cela qui est énoncé (ἐν ᾧ ἐστι). C’est ainsi que dans l’ὑποκείµενον se réunissent les concepts de sujet et de substrat. Là où se rencontre au sens propre un jugement et un énoncé, là le sujet est la substance portante et productrice (erzeugende) (οὐσία). Les concepts qui sont énoncés (les κατηγορούενα au sens propre) présupposent le sujet. […] Le sujet conduit ainsi à la première catégorie, la substance, les prédicats aux autres.34
32Mais à la différence de Benveniste, si Trendelenburg souligne déjà la correspondance ou l’affinité entre « catégories de langue » et « catégories de pensée », s’il tire le fil conducteur grammatical, il n’insinue jamais que les catégories « logiques » pourraient se réduire, en dernière analyse, à des catégories de langue, dont elles seraient une simple transposition (c’est le mot de Benveniste). Il oppose bien plutôt fil conducteur génétique ou généalogique (l’origine des catégories) et décisions logiques et/ou métaphysiques, selon une formule répétée à plusieurs reprises : « La forme grammaticale est directrice, mais elle ne décide pas »35.
33On retrouve en particulier cette formule, en conclusion de l’analyse de Réfutations Sophistiques, (ch. 4 et ch. 22). Au chapitre 4 (166 b 10), Aristote mettait en garde contre les sophismes qui s’appuient sur la « forme de l’expression » :
Les arguments qui dépendent de la forme de l’expression (schèma tès léxeôs) se produisent lorsque ce qui n’est pas le même s’exprime de la même façon ; lorsque, par exemple, un masculin s’exprime comme un féminin, ou un féminin comme un masculin, ou un neutre comme l’un de ceux-ci ; ou encore, une qualité comme une quantité, ou une quantité comme une qualité, ou une action comme une passion, ou une disposition comme une action, et ainsi de suite, selon les distinctions faites précédemment <réf. à Topiques I, 9>. Il est en effet possible que ce qui ne compte pas au nombre des actions indique, de par son expression (lexis), qu’il en fait partie. Par exemple le verbe « se bien porter » (ὑγιαίνειν) se dit, du point de vue de la forme de l’expression, de la même façon que « couper » (τέµνειν) ou « édifier » (οἰκοδοµεῖν). Et pourtant le premier verbe exprime en quelque sorte une qualité et une certaine disposition (καίτοι τὸ µὲν ποιόν τι καὶ διακείµενόν πως δηλοῖ, τὸ δὲ ποιεῖν τι), tandis que les deux autres expriment des actions. Il en va de même pour les autres cas.36
34De manière assez surprenante, Trendelenburg cite ce passage pour illustrer l’idée que, dans l’élaboration des catégories, comme nous l’avons vu, « le point de vue directeur » est celui de la langue (der leitende Gesichtspunkt der Sprache) ; ce passage qui pourrait aussi bien, ou mieux, servir à réfuter la thèse selon laquelle les catégories aristotéliciennes ne sont en réalité que la transposition inconscientes des catégories de la langue grecque37. L’illusion contre laquelle Aristote met en garde ici, c’est en effet celle qui résulte du fait que des catégories différentes peuvent trouver la même expression, le même « schèma tès léxeôs ».
35Mais Trendelenburg de conclure son analyse en ces termes :
Il est impossible de méconnaître, d’après le passage cité, que si les catégories sont tout d’abord découvertes selon la forme de l’expression <le tour de langue>, elles s’attachent ensuite et aussitôt après, par delà le tour de langue, au contenu conceptuel.38
36Il note encore, cette fois en référence au chapitre 22 des Réfutations Sophistiques :
Ainsi le fil conducteur grammatical vient au jour, mais également et même davantage le point de vue centré sur la chose elle-même, l’affaire en question, point de vue qui dépasse la forme grammaticale.
37Rappelons l’argument du chapitre 22 :
Est également claire la façon dont il faut faire face aux arguments qui viennent de ce que des choses non identiques sont exprimées d’une manière semblable, puisque nous connaissons les catégories de la prédication (ἐπείπερ ἔχοµεν τὰ γένη τῶν κατηγοριῶν39). En effet, un individu a accordé, en réponse à une question, qu’un des termes qui signifient une essence (ὅσα τί ἐστι σηµαίνει) n’appartient pas à un sujet, tandis qu’un autre a montré qu’un terme exprimant une relation ou une quantité, mais qui passe pour signifier une essence en raison de son expression (διὰ τὴν λέξιν), est un attribut appartenant à un sujet. L’argument suivant illustre une confusion de ce genre : Est-il possible de faire et d’avoir fait en même temps la même chose ? Non. Mais il est pourtant possible de voir et d’avoir vu la même chose au même moment et du même point de vue. – Y a-t-il une forme de passivité qui soit une forme d’activité ? Non. Alors, « il est coupé » (τέµνεται), « il est brûlé » (καίεται), « il est affecté par un objet sensible » (αἰσθάνεται) s’expriment semblablement et désignent tous une forme de passivité ? D’un autre côté, « dire » (λέγειν), « courir » (τρέχειν), « voir » (ὁρᾶν) sont des expressions semblables entre elles ; mais « voir » est pourtant une façon d’être affecté par un objet sensible, de sorte que c’est à la fois une forme de passivité et une activité (178 a 4 sq.).
38Là encore, la conclusion de Trendelenburg, à l’issue d’une longue et remarquable analyse est parfaitement claire : « Ici la contradiction résulte simplement du fait que les catégories sont déterminées selon la forme identique des mots <des termes>. La forme grammaticale est directrice, mais elle ne décide pas ».
6. Les catégories de pensée
39Au-delà du « fil conducteur grammatical », indispensable pour éclairer, dans une perspective généalogique, la table aristotélicienne, il faut donc aussi ou surtout envisager les catégories comme des « catégories de pensée », comme des « concepts » qui ont une portée objective et ontologique. Pour mettre en place la relation entre proposition (Satz), jugement (Urteil) et catégorie, Trendelenburg renvoyait d’abord aux Seconds Analytiques, I, 22, 83 a 1 sq. et au célèbre passage où Aristote distingue entre α ἁπλῶς κατηγορεῖν et κατὰ συµβεβηκὸς κατηγορεῖν.
40Les catégories, pour autant qu’elles sont liées au jugement et que c’est grâce au jugement et à travers lui que surgit la possibilité d’un énoncé vrai ou faux, impliquent aussi une « signification en soi objective » (objective Bedeutung in sich) :
Certes, c’est seulement avec le jugement qu’apparaît la possibilité d’un énoncé vrai ou faux, et des concepts pris isolément, comme les catégories, peuvent, même indépendamment d’une telle relation, venir au premier plan. Mais puisqu’elles sont des éléments du jugement et que dans le jugement elles servent à caractériser ce qui est réel-effectif, ainsi que les relations de ce réel-effectif, elles portent en elles cette référence au « réel » et elles ont une signification objective.40
41Les catégories – catégories grammaticales, catégories de langue – sont aussi d’emblée logico-ontologiques. Ce que Trendelenburg précise un peu plus loin, sans dissimuler la tension induite par cette analyse :
Il ne fait aucun doute que la proposition entend tout d’abord représenter le réel-effectif dans sa liaison ou sa séparation ; et les concepts pris isolément, pour soi, ne peuvent l’exprimer. Mais dans la mesure où ils désignent, à titre de matériau de la proposition, le contenu de ce qui est ainsi lié ou séparé, ils comportent du même coup une référence aux choses et cette signification <portée> réelle accompagne donc les catégories, nonobstant leur origine à partir de la dissociation de la synthèse propositionnelle (κατὰ µηδεµίαν συµπλοκὴν λεγόµενα).41
42Ce qui vient donc ici au premier plan, c’est bien la portée ontologique des catégories, en dépit de leur origine « grammaticale », par où l’opposition avec l’interprétation de Hermann Bonitz est en réalité moins forte qu’il n’y paraît d’abord. Trendelenburg avait d’ailleurs souligné lui-même, dans la conclusion de son essai, les limites de son point de vue langagier et grammatical : les considérations grammaticales ne permettent pas d’éclairer l’articulation des catégories entre elles, pas plus que de répondre à la question de leur nombre : pourquoi dix précisément, pas moins, pas plus ? Faisant fond sur l’opposition du πρότερον τῇ ϕύσει − πρότερον πρὸς ἡµᾶς, Trendelenburg reconnaît que la série, la « Reihenfolge » des catégories ne s’éclaire qu’en fonction de critères proprement ontologiques. Point qu’il avait déjà fortement souligné dans ses Elementa Logices Aristoteleae (1re édition 1836) :
Ita Aristoteles categoriarum genera ex grammaticis fere orationis rationibus invenisse videtur, inventas autem ita pertractavit, ut, relicta origine, ipsam notionum et rerum naturam spectarent.42
43Voilà une thèse pour le moins nuancée ! Pourtant bien des commentateurs d’Aristote, après Trendelenburg, n’ont pas toujours pris en compte, dans sa complexité relative, l’interprétation de l’Aristoteles Kategorienlehre de 1846.
7. La critique de Bonitz
44Le petit traité de Hermann Bonitz (Über die Kategorien des Aristoteles, 185343) trouve son point de départ dans une confrontation critique explicite avec Trendelenburg ; « l’objet de la recherche et la nécessité d’un débat critique explicite avec Adolf Trendelenburg », telle est l’ouverture du traité où l’auteur déclarait d’emblée : « Je ne peux pas être d’accord, sur des points essentiels, avec les résultats que présente Trendelenburg ». Ce que Bonitz se propose donc d’étudier, en « philologue », c’est le sens qu’avait la doctrine des catégories, « pour Aristote lui-même », ainsi que la place et la fonction de cette doctrine dans la « structure globale » de sa pensée. C’est seulement après que ce point de départ aura été solidement assuré qu’il deviendra ensuite possible de s’interroger sur l’évolution de la problématique et ses transformations éventuelles à travers les époques44.
45Ainsi, même si Bonitz partage avec Trendelenburg certains présupposés communs : l’importance du « retour » à Aristote en particulier, et s’il peut faire siennes les déclarations de Trendelenburg dans les Logische Untersuchungen, que nous avons rappelées ; s’il est, lui aussi, soucieux de proposer une nouvelle articulation philosophique et philologique, anti-idéaliste (au sens postkantien), il entend pourtant et d’emblée « défendre un point de vue différent », en s’attachant à ces deux questions directrices :
Quelle est la signification des catégories pour Aristote ?
Comment Aristote est-il parvenu à établir cette table des catégories ?
46Et quand il aborde la première question, l’approche de Bonitz est déjà radicalement différente de celle de Trendelenburg qui partait – comme c’est traditionnel, au moins depuis Porphyre, dans l’ordre de lecture « pédagogique » du corpus aristotélicien – du traité des catégories. En effet, pour Bonitz, dès lors que l’authenticité du texte est discutée, la rigueur philologique interdit d’en faire un point de départ doctrinal. Et dans la mesure où, comme Brandis l’avait déjà souligné de son côté45, Aristote n’explicite jamais son concept de « catégorie » et n’indique pas non plus la voie qu’il a empruntée pour le découvrir, il importe d’analyser d’abord l’usage commun, et pour ainsi dire non « technique », des termes κατηγορία, κατηγορεῖν, afin de voir comment les textes authentiquement aristotéliciens le déterminent progressivement46.
47Après avoir examiné la signification des expressions : κατηγορίαι, κατηγορήματα, σχήματα τῆς κατηγορίας, τῶν κατηγοριῶν, Bonitz étudie le terme central : κατηγορεῖν au sens de κατηγορεῖν τί τινος, κατά τινος, ἐπί τινι, περί τινος. Affirmer quelque chose de quelque chose, attribuer quelque chose comme prédicat à quelque chose pris comme sujet (τὸ καθ’ὃ κατηγορεῖται), voilà qui nous situe assurément dans l’horizon de la prédication, et, dans ce contexte défini, τὸ κατηγορούμενον, ἡ κατηγορία, τὸ κατηγόρηµα désignent le prédicat du jugement. Pourtant, cette dernière acception, comme le souligne avec force Bonitz, convient parfaitement à toutes les catégories, sauf à la première. Et contre l’interprétation de Trendelenburg, qui partait de la proposition et de sa dissociation en « sujet et prédicat », Bonitz pose que dans son acception aristotélicienne, les κατηγορίαι désignent primairement « les genres suprêmes de l’être » :
Je crois que si les κατηγορίαι ne peuvent désigner autre chose que les prédicats <(« prédicaments, praedicamenta »)>, alors aucune technique ou stratégie interprétative ne parviendra jamais à démontrer qu’Aristote, avec ce terme, a aussi voulu désigner les genres, tels que le premier et le plus important d’entre eux, comme il est affirmé expressément, ne peut jamais être un prédicat.47
48La question qui se pose est donc de savoir si, chez Aristote, le terme de κατηγορία a seulement et uniquement le sens de prédicat dans un jugement, ou bien s’il reçoit aussi une autre acception, vraisemblablement plus générale, selon laquelle il est légitime de faire usage de ce terme pour désigner les genres suprêmes. La réponse de Bonitz est nette : « Je pense que c’est cette seconde hypothèse qui peut être démontrée avec assurance ».
49Bonitz analyse alors Réf. Soph. 31, 181 b 27 ; Métaph. Γ 2, 1004 a 29 et Z 1, avant de conclure : le terme « katégoria » désigne fondamentalement l’énonciation, la formulation d’un concept, selon une signification déterminée.
8. Les catégories ontologiques
50Dans son opuscule, Bonitz prend donc pour fil conducteur de son examen le début du chapitre 1 du livre Z de la Métaphysique, puisque aussi bien, dans ce livre ontologique ou « ousiologique », Aristote distingue d’emblée les concepts tels que « marcher », « être-assis », « être en bonne santé », qui ne sauraient être pensés sans présupposer quelque chose, une « substance », en laquelle se manifeste l’activité en question, et « ce qui marche », « ce qui est assis », « ce qui est en bonne santé » (τὸ βαδίζον, τὸ καθήµενον, τὸ ὑγιαῖνον), avant de conclure :
ταῦτα δέ μᾶλλον ϕαίνεται ὄντα, διότι ἔστι τι τὸ ὑποκείμενον αὐτοῖς ὡρισμένον· τοῦτο δ’ἐστίν ἡ οὐσία καὶ τὸ καθ’ἕκαστον, ὅπερ ἐμϕαίνεται ἐν τῇ κατηγορίᾳ τῇ τοιαύτῃ (1028 a 25-29)48. La traduction que donne J. Tricot de la formule ἐν τῇ κατηγορίᾳ τῇ τοιαύτῃ est ici tout à fait fidèle à l’esprit de l’interprétation de Bonitz : l’expression ou la forme d’expression s’entend comme « catégorie » et celle-ci implique toujours un déterminant, expressément formulé ou non : le génitif objectif (τοῦ ὄντος). Les catégories sont les catégories de l’être, à telle enseigne que cette accentuation ontologique, en réponse à la question des acceptions multiples de l’être, s’impose aussi rétroactivement pour les autres tournures aristotéliciennes : τὰ γένη, αἱ διαιρέσεις, αἱ πτώσεις.49
51La première conclusion que Bonitz tire de son examen de la « langue » ou de l’usage, est donc très différente de celle de Trendelenburg : les catégories constituent une subdivision des significations multiples de l’être ; ainsi tout l’horizon du penser et de l’être est subdivisé en dix « sphères » en sorte que tout objet possible de notre représentation ou de notre expérience appartienne nécessairement à l’une de celles-ci. C’est toujours sur la base de la perception ou de l’expérience que nous parlons de l’être, et c’est par là, grâce à l’expérience, que nous pouvons acquérir une vue d’ensemble sur tout le champ, ample et varié de « ce qui est », en sorte que ce champ soit subdivisé selon les genres suprêmes. Bonitz peut donc conclure la première partie de son étude par une formule qui est comme une tentative de réconciliation de Kant et d’Aristote :
Les catégories indiquent, selon Aristote, les différentes acceptions dans lesquelles nous exprimons le concept d’être ; elles désignent les genres suprêmes, tels que tout être doit pouvoir se subordonner à l’un d’entre eux. C’est par là qu’elles permettent de s’orienter dans le domaine de ce qui est donné par l’expérience, sans avoir pour autant la prétention de fournir une réponse aux questions métaphysiques (sur les principes, les causes, la substance, etc.).50
52Je n’entends pas, pour conclure, trancher le débat entre Bonitz et Trendelenburg, je noterai simplement qu’il ne me semble pas avoir perdu de son actualité dans le commentarisme aristotélicien aujourd’hui : À Richard Bodéüs, notant, dans sa récente et remarquable édition/traduction des Catégories, de manière sans doute un peu trop péremptoire, en renvoyant à Trendelenburg et Benveniste (p. LXXX-LXXXI) :
Que sont au fond les catégories ? On a dit notamment que les distinctions catégoriales étaient de simples distinctions linguistiques, qui plus est, inspirées dans la langue grecque, par des différences grammaticales, allant du substantif (οὐσία) à la voix passive (πάσχειν). Cette thèse est insoutenable et personne aujourd’hui ne la prend plus au sérieux…,
53il convient, me semble-t-il, d’opposer une interprétation différenciée des thèses de Trendelenburg et de Benveniste. En laissant ici de côté l’interprétation de Benveniste, j’ai déjà insisté sur la complexité de l’interprétation de Trendelenburg, qui distingue clairement fil conducteur, origine, et élaboration logico-ontologique. Comme l’indiquait très justement Charles Kahn, sans songer, semble-t-il, à Trendelenburg, on comprend parfaitement bien que, dans le contexte du traité des Catégories, « la grammaire philosophique, l’analyse conceptuelle et l’ontologie ne sont pas des entreprises distinctes à proprement parler, quoique des aspects différents puissent prédominer à différents stades de l’enquête. Et dans une analyse de ‘‘comment X est dit de Y’’, des considérations linguistiques vont naturellement prédominer au commencement »51.
54Et au refus pur et simple, opposé par Bodéüs, de considérer l’entrelacs des distinctions catégoriales et des distinctions linguistiques, on préférera sans doute la position plus fine et nuancée de Frédérique Ildefonse et Jean Lallot, dans leur récente et tout aussi remarquable édition-traduction du Traité, qui écrivent, en référence à l’ouverture « du chapitre 4 où les dix catégories sont présentées comme ce que signifie (sémainei) “ce qui se dit sans combinaison” (symplokè) »52 :
Ce sont donc des « signifiés » qui sont l’objet du traité, mais ce ne sont pas les « signifiés » de n’importe quels signifiants (gestes, images, codes…) : ce sont les signifiés de ce qui « se dit », et, pour parler d’eux, le moyen le plus direct est de recourir à leurs signifiants linguistiques, les mots de la langue. C’est bien ce que fait Aristote : pour illustrer chacune des dix catégories, il énonce des mots grecs – anthrôpos, « homme », meizon, « plus grand », khthes, « hier », kathêtai, « est assis », etc. Il puise donc dans sa langue ce qu’elle lui paraît fournir de plus adéquat à chaque signifié visé – ici un substantif, là un comparatif, là un adverbe de temps, là encore un verbe moyen d’état, etc. … l’étude des signifiés de ce qui se dit (légétai) est pratiquée sur des échantillons choisis de signifiants linguistiques.
55Et s’il faut accorder à H. Bonitz que les catégories aristotéliciennes sont bien des catégories de l’être, qu’elles renvoient au « tout de l’expérience », à « ce qui est », cette référence (Bezug, Bedeutung), parfaitement reconnue par Trendelenburg, n’est elle-même possible, dans le registre du traité des Catégories, qu’en raison de l’entrelacement entre « dire et être », ou mieux encore et plus précisément, parce que ce qui se dit est aussi et du même coup ce qui est dit des étants (conformément aux deux acceptions, indissociables, du verbe λέγεσθαι).
Notes de bas de page
1 Sur Trendelenburg, on consultera, au-delà de l’ouvrage déjà ancien de Peter Petersen, Die Philosophie F. Adolf Trendelenburg. Ein Beitrag zur Geschichte des Aristoteles im 19. Jh., Hambourg, Boysen, 1913, l’ouvrage de Maurizio Mangiagalli, Logica e metafisica nel pensiero di A. Trendelenburg, Milan, CUSL, 1983 ; cf. aussi le chapitre que lui consacre Mauro Antonelli, Seiendes, Bewußtsein, Intentionalität im Frühwerk von Franz Brentano, Alber, Munich/Fribourg, 2001, p. 41-72.
2 2e édition, Berlin 1877 ; reprint Akademische Druck-und Verlagsanstalt, Graz, 1957.
3 Le texte est réédité en appendice à la traduction italienne, La dottrina delle categorie in Aristotele, a cura di Giovanni Reale, Milan, Vita e Pensiero, 1994, p. 377-399.
4 Signalons aussi la réédition partielle, en 1967, par Ernesto Grassi, dans la collection de poche RoRoRo.
5 KrV., B VIII ; trad. fr., Pléiade, Œuvres philosophiques I, sous la direction de F. Alquié, p. 734.
6 Cf. Logische Untersuchungen, Leipzig, 1862 2, ch. II, p. 16. Cf. aussi la traduction italienne de ce chapitre, présentée par Marco Morselli, F.A. Trendelenburg, Il metodo dialettico, Bologne, Il Mulino, 1990.
7 Reprint, Francfort, Minerva, 1960.
8 L’ouvrage connaît plusieurs rééditions, revues et augmentées, en 1862 et 1870.
9 Logische Untersuchungen, p. VII-VIII : « In einem solchen Zusammenhange geschieht es, daß man die Philosophie, von den Stimmungen der Zeiten und Völker getragen, nur als ein vorübergehendes Culturelement ansieht, als ein Echo von den veränderten Empfindungen des Tages und sie aus der Geschichte der Wissenschaften in die Culturgeschichte oder gleich der Poesie in die Nationallitteratur verweist. Die Philosophie, die berufen ist, in einer allgemeinen menschlichen Anschauung und in einer nothwendigen Aufgabe der Wissenschaften die Völker und Zeiten zu vereinigen, wie einst Plato und Aristoteles thaten, durch Abendland und Morgenland hindurchgehend, muß aus dieser demüthigenden Stellung, in die sie gedrängt wird, wieder heraus ; und die logischen Untersuchungen wünschten dazu mitzuwirken ».
10 Ibid., p. IX : « Die Philosophie wird nicht eher die alte Macht wieder erreichen, als bis sie Bestand gewinnt, und sie wird nicht eher zum Bestande gelangen, als bis sie auf dieselbe Weise wächst, wie die anderen Wissenschaften wachsen, bis sie sich stetig entwickelt, indem sie nicht in jedem Kopfe neu ansetzt und wieder absetzt, sondern geschichtlich die Probleme aufnimmt und weiterführt. … Es ist ein deutsches Vorurtheil, jeder Philosoph müsse auf eigene Hand beginnen, jeder sein ureigenes Princip haben, jeder einen nach einer besondern Formel geschliffenen Spiegel, um die Welt darin aufzufangen. Dadurch leidet unsere Philosophie an falscher Originalität, die selbst nach Paradoxen hascht ; indem sie in jedem nach individueller Eigenart strebt, büsst sie an Bestand und Großheit und Gemeinschaft ein.… Es muß das Vorurtheil der Deutschen aufgegeben werden, als ob für die Philosophie der Zukunft noch ein neu formulirtes Princip müsse gefunden werden ; das Princip ist gefunden ; es liegt in der organischen Weltanschauung, welche sich in Plato und Aristoteles gründete, sich von ihnen her fortsetzte und sich in tieferer Untersuchung der Grundbegriffe sowie der einzelnen Seiten und in der Wechselwirkung mit den realen Wissenschaften ausbilden und nach und nach vollenden muß ».
11 Elementa logices Aristoteleae, Berlin 1862 2, p. 14.
12 Elementa, Praef. primae ed., p. VI. « Mais ces mots propres à la philosophie, on ne saurait en donner une explication plus adéquate qu’en interprétant Aristote ; car, de tous, il est le principe et la source. […] Pour qui recherche les éléments de la géométrie, il faut revenir aux démonstrations d’Euclide, évidentes et élégantes ; pour qui recherche la logique, à la subtilité et à la simplicité d’Aristote ».
13 « Puisque la logique consiste à enquêter sur la nature de la connaissance, et qu’on connaît le vrai et le faux, il faut prendre comme point de départ le lieu du vrai et du faux, à savoir la proposition. <la « proposition », pour autant qu’elle est énoncée, proférée, assertée> ».
14 Elementa, p. 164 : « Itaque intellectus principium est principii : intellectu enim nihil est verius. Quemadmodum rerum naturam scientia lege et ratione comprehendit et quasi denuo gignit : ita intellectus principia refert. Hic igitur ut naturae, ita scientiae auctor ».
15 Trad. cit., Pléiade, I, p. 835.
16 Prolegomena, éd. K. Vorländer, Meiner, Hambourg, 1957, p. 82-83 ; trad. fr. Louis Guillermit, Paris, Vrin 1986, p. 95-96.
17 Ibid.
18 On peut mentionner, de manière non exhaustive : H. Bonitz, Über die Kategorien des Aristoteles (1853) ; Fr. Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles (1862) ; Wilhelm Schuppe, Die aristotelischen Kategorien (18712) ; Otto Apelt, « Die Kategorienlehre des Aristoteles », in Beiträge zur Geschichte der grieschichen Philosophie (1891) ; sans oublier les pages consacrées aux catégories aristotéliciennes par C. Prantl dans sa Geschichte der Logik im Abendland, tome I, 1855, p. 182-210, et par E. Zeller, Die Philosophie der Griechen in ihrer geschichtlichen Entwicklung, Leipzig 1921 4, p. 263 sq. – On peut renvoyer sur ce point à l’étude remarquable de Giovanni Reale, « Filo conduttore grammaticale, filo conduttore logico et filo conduttore ontologico nella deduzione delle categorie aristoteliche e significati polivalanti di esse su fondamenti ontologici », (Rivista di filosofia neo-scolastica, 1964) ; étude reprise dans le volume déjà cité : La dottrina delle categorie in Aristotele, Con in appendice la prolusione accademica del 1833 « De Aristotelis categoriis », a cura di G. Reale, Milan 1994, p. 17-70.
19 Geschichte der Kategorienlehre, I. Aristoteles Kategorienlehre, Berlin, 1846, reprint Georg Olms, Hildesheim 1979, p. 10. – Cf. déjà la remarque formulée dès la première page de cette étude : « L’importance et la signification historiques des catégories aristotéliciennes requièrent une enquête portant sur leur origine incertaine ».
20 Ibid., p. 11 : « Si l’on pose de prime abord la question de l’origine des catégories, le traité lui-même ne fournit qu’une indication (Andeutung) relative au schéma des dix concepts ».
21 Trad. F. Ildefonse/J. Lallot, Paris, Point/Seuil, 2002.
22 Ibid., p. 11-12.
23 Ibid., p. 12.
24 Ibid., p. 13.
25 Il faut noter que Trendelenburg lit ici un texte différent de celui de l’édition Minio-Paluello ou de l’édition Bodéüs (Aristote, Catégories, texte établi et traduit par R. Bodéüs, Paris, Les Belles Lettres, 2001).
26 « Catégories de pensée et catégories de langue », repris in Problèmes de linguistique générale, t. I, p. 67 et 69.
27 Trendelenburg, op. cit., p. 13.
28 « Grammatischer Leitfaden », p. 25.
29 « Der leitende Gesichtspunkt der Sprache », p. 24.
30 Ibid., p. 33.
31 Ibid., p. 23.
32 Problèmes de linguistique générale, op. cit., p. 70. Il n’est évidemment pas dans notre propos ici de réouvrir le dossiers des discussions suscitées par la thèse de Benveniste. On peut renvoyer aujourd’hui au dossier : « Catégories de pensée et catégories de langue : le débat contemporain », in Aristote, Catégories, présentation, traduction et commentaires de Frédérique Ildefonse et Jean Lallot, Points/Seuil, 2002, p. 328-344.
33 Trendelenburg, op. cit., p. 23 : « Bei dieser Verwandschaft der logischen Kategorien mit grammatischen Verhältnissen… ».
34 Ibid., p. 18-19.
35 « Die grammatische Gestalt leitet, aber entscheidet nicht », op. cit., p. 26.
36 Aristote, Les réfutations sophistiques (166 b 10 - 20), introduction, traduction et commentaire par Louis-André Dorion, Vrin/PUL, 1995.
37 Cf. la note de Louis-André Dorion, ad loc., p. 231 : « En présence de trois verbes qui ont manifestement tous le même type de signifiant (ὑγιαίνειν, τέµνειν, οἰκοδοµεῖν), soit un signifiant caractéristique des verbes à l’actif, Aristote nous met en garde contre la tentation de les considérer tous trois comme des “actions” ». En effet, le verbe ὑγιαίνειν ne renvoie pas à une action (transitive), même si « son signifiant comporte la marque habituelle des verbes d’action ».
38 Op. cit., p. 25 : « Es ist nach der Stelle kaum zu verkennen, daß sich die Kategorien zunächst nach der Gestalt des Ausdrucks zurecht gefunden, sodann aber über diese hinaus den Inhalt des Begriffs verfolgen ».
39 Nous suivons ici la traduction de J. Brunschwig, Topiques, Paris, Les Belles Lettres, 1967. Trendelenburg traduisait, quant à lui : « da wir ja die Geschlechter der Kategorien haben » – « puisque nous possédons les genres des catégories ».
40 Op. cit., p. 17 : « Zwar entsteht erst mit dem Urtheile die Möglichkeit der wahren und falschen Aussage und die vereinzelnten Begriffe, wie die Kategorien, gehen ohne eine solche Beziehung vorüber. Aber da sie Elemente des Urteils sind und im Urteil dazu dienen, das Wirkliche und dessen Verhältnisse zu bezeichnen, so tragen sie den Bezug auf das Reale und eine objective Bedeutung in sich ».
41 Op. cit., p. 18 : « Hiernach will zwar erst der Satz das Wirkliche in seiner Verbindung oder Trennung nachbilden ; und die einzelnen Begriffe sprechen dies für sich nicht aus. Inwiefern sie jedoch als die Materie des Satzes den Inhalt dessen bezeichnen, was sie verbindet oder trennt : so haben sie insofern einen Bezug auf die Dinge und diese reale Bedeutung begleitet daher die Kategorien trotz ihres Ursprungs aus der aufgelösten Satzverbindung ».
42 Op. cit., p. 57 : « Ainsi Aristote semble avoir découvert les “genres des catégories” à partir de raisons pour ainsi dire grammaticales, propres au discours, mais, une fois découvertes, il les a traités de telle sorte que, en laissant de côté leur origine, ils prennent en vue la notion et la nature même des choses » – On retrouve cette même thèse, reformulée dans les Erläuterungen zu den Elementen der aristotelischen Logik, 1re édition 1842, p. 79 sq.
43 « Sitzungsberichten der kaiserlichen Akademie der Wissenschaften » (Philosophisch-historische Klasse, Bd. 10, Heft 5), Vienne 1853, p. 591-645. On pourra, ici encore, consulter l’excellente traduction italienne : Hermann Bonitz, Sulle categorie di Aristotele, Prefazione, introduzione, progettazione e impostazione editoriale di G. Reale. Traduzione del testo tedesco e indici di Vincenzo Cicero, Vita e Pensiero, Milan, 1995.
44 Cette dernière question avait été traitée par Trendelenburg, dans la seconde partie de sa Geschichte der Kategorienlehre (« Die Kategorienlehre in der Geschichte der Philosophie. Überblick und Beurtheilung »), p. 196-380.
45 Geschichte der griech. -röm. Philosophie, II, 2, 1, p. 375.
46 Les premiers textes de référence analysés par Bonitz sont les suivants : Topiques, I, 9, 103 b 20-26 ; de anima I, 1 ; Réf. Soph. I, 22 ; Eth. Nic. I, 4.
47 Op. cit., I, § 4.
48 « … mais s’il y a quelque être, c’est bien plutôt ce qui se promène qui est un être, ce qui est assis, ce qui se porte bien. Et ces dernières choses apparaissent davantage des êtres, parce qu’il y a, sous chacune d’elles, un sujet réel et déterminé : ce sujet, c’est la substance et l’individu qui se manifeste dans une telle catégorie, car le bon ou l’assis ne sont jamais dit sans lui », trad. J. Tricot, La Métaphysique, t. I, Paris, Vrin 1964, p. 348.
49 Op. cit., I, § 9. Les autres passages sur lesquels Bonitz fonde son interprétation « ontologisante » des catégories sont les suivants : ∆ 7, 1017 a 22 ; ∆ 28, 1024 b 13 ; Θ 1, 1045 b 27 ; K 9, 1065 b 7 ; N 2, 1089 a 7 ; N 6, 1093 b 19.
50 Op. cit., I, § 9.
51 « Questions and Categories. Aristotle’s doctrine of categories in the light of modern research », in H. Hiz (éd.), Questions, Dordrecht, Reidel, 1978, p. 227-278.
52 Ed. cit., p. 23.
Auteur
Professeur à l’Université de la Sorbonne – Paris IV.
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