Chapitre 1. Les acteurs en présence et les éléments de la perception
p. 21-62
Texte intégral
1Deux données sont ici fondamentales. Dans les premières années d’existence de la République fédérale, nous n’avons pas affaire à un État comme les autres ; juridiquement, le statut d’occupation met en place une hiérarchie et un ordre de prééminence entre les Alliés d’une part, les Allemands de l’autre. Ensuite, les relations des puissances occupantes avec les institutions représentatives du pays ont lieu à la fois dans le cadre collectif qu’est la Haute Commission alliée – c. a. d. les trois Alliés occidentaux - et dans un cadre bilatéral à l’intérieur des zones qui perdurent dans cette organisation collective. Il faut donc examiner le cadre contraignant de la Haute Commission, puis les pouvoirs du Haut-commissariat français avant de présenter les interlocuteurs allemands des occupants.
1) Structure et pouvoirs de la Haute Commission alliée
2Le statut d’occupation, qui est rendu public par les Alliés le 10 avril 1949, est un cadre rigide. Toutefois, les membres allemands du Conseil parlementaire qui en ont vu les premières ébauches sont plutôt rassérénés. Le social-démocrate Carlo Schmid n’avait-il pas entendu, en décembre 1948, de la bouche de André François-Poncet, alors conseiller du gouverneur militaire français, que le futur statut d’occupation comporterait au moins quarante pages et seulement un ou deux articles positifs, le reste n’étant que restrictif1 ? Aussi le représentant de la CDU, Konrad Adenauer, et celui du SPD, Carlo Schmid, peuvent-ils exprimer leur satisfaction le 14 avril lorsqu’une délégation du conseil parlementaire est reçue par les trois gouverneurs militaires au sujet du nouveau statut. Ayant eux-mêmes appelé de leurs vœux un cadre contraignant les alliés à conserver leurs responsabilités dans la question allemande, tous deux saluent le nouveau statut tout en le présentant comme un premier pas vers une plus grande autonomie de l’Allemagne.
3Avec ses douze paragraphes, le statut d’occupation organise surtout le maintien des « droits réservés » des Alliés en République fédérale. Il relève certes dès l’abord « le désir et l’intention » des trois gouvernements alliés d’accorder au peuple allemand la plus grande autonomie possible en matière de gouvernement et d’exercice des trois pouvoirs tels qu’ils sont définis par la Loi fondamentale et les constitutions des Länder ; mais il précise aussi les restrictions imposées à cette souveraineté très partielle en invoquant « la nécessité de la poursuite de l’occupation ». Conformément à ce texte et quelles que puissent être les intentions des différents Hauts-commissaires successivement en poste en Allemagne, la Haute Commission sera pesante pour le gouvernement fédéral, car elle se mêle de presque toutes les questions de politique fédérale et régionale, en vertu de ses différents droits, qui vont des droits dits « réservés » au droit de contrôle en passant par les différentes possibilités d’objection et de veto dont disposent les Alliés. La Haute Commission est détentrice de « l’autorité suprême » en Allemagne, ce qui signifie que ses décisions sont placées au-dessus de la Loi fondamentale : en cas de doute ou de conflit, c'est le droit allié qui l'emporte sur le droit fédéral. En outre, tout en accordant aux Allemands de larges espaces d'autonomie, elle conserve aussi le pouvoir de décision des Alliés dans des domaines majeurs, qu’ils soient politiques (affaires étrangères), qu’ils concernent la sécurité (maintien de l’ordre, occupation, désarmement et démilitarisation), ou l’économie (réparations, commerce extérieur, contrôle des devises, décartellisation, contrôle de la Ruhr). Mais son pouvoir de décision s’applique aussi à de nombreuses branches de la politique intérieure, la fiscalité, le droit et la juridiction des entreprises demeurant par exemple soumis à son autorité. En outre, pour toutes les autres questions, les Hauts-commissaires conservent un droit de veto pouvant bloquer une législation allemande.
4L'évolution de la répartition des compétences entre Alliés et Allemands demeure encore dans le flou lors de l'installation de la Haute Commission : exprimant la méfiance qui perdure et la volonté de maintenir un contrôle jugé « absolument indispensable »2, les Alliés se sont en effet réservé un droit d'intervention et la possibilité de rétablir le régime de Potsdam dans le cas où la mise à l'épreuve de l'esprit et de la pratique démocratiques des Allemands serait décevante et exigerait une reprise en main de l'Allemagne fédérale par les Alliés. Cette clause dite d'état d'urgence constitue en quelque sorte une bouée de secours, rassurante pour les Alliés qui vont devoir abandonner progressivement leurs pouvoirs, et menaçante pour les nouveaux dirigeants allemands qui doivent continuellement s'inquiéter de l'avis des Hauts-commissaires et obtenir leur aval. Ces deux points majeurs du statut d’occupation sont considérés par les dirigeants allemands, si ce n’est comme les plus contraignants dans la réalité, au moins comme les plus humiliants. Ils provoqueront d’âpres discussions lors des négociations en vue de la révision du statut qui est prévue dans le texte après un délai de douze à dix-huit mois de pratique.
5C’est aussi par l’importance de son administration que la Haute Commission alliée est pesante sous ce statut d’occupation. Avec une structure à trois étages, la Haute Commission alliée, qui est un organe à la fois singulier et pluriel, représente les trois puissances occupantes au niveau fédéral par le Conseil allié formé des trois Hauts-commissaires, puis au niveau de chaque zone d’occupation par chacun des trois Hauts-commissaires, de son adjoint, de ses conseillers et de son administration, et enfin au niveau des Länder par des commissaires alliés de Land qui sont des agents de transmission et de liaison entre le Conseil et le gouvernement de Land pour les affaires d’intérêt tripartite. Chacun des trois Hauts-commissariats dispose de son administration propre, avec des départements spécialisés lui permettant de traiter localement les questions de politique sur lesquelles le Haut-commissariat est appelé à intervenir, d’informer le Haut-commissaire et de fournir au ministère des Affaires étrangères respectif les éléments d’information et de jugement l’aidant à élaborer sa politique envers la République fédérale.
6Lors de l'installation de la Haute Commission, les trois Hauts-commissaires sont John J. McCloy pour les États-Unis, Brian H. Robertson pour la Grande Bretagne et André François-Poncet pour la France. Robertson étant remplacé dès juin 1950 par Sir Ivone Kirkpatrick puis en 1953 par Sir Frederick Hoyer Millar, et MacCloy en juillet 1952 par Walter J. Donnelly puis en janvier 1953 par James B. Conant, le Français André François-Poncet est le seul Haut-commissaire à conserver ses fonctions pendant toutes les années d'existence de la Haute Commission. Par la suite, seuls le Britannique Hoyer Millar et le Français François-Poncet resteront représentants de leur pays respectif en tant qu'ambassadeurs à Bonn3. Si, dans les premiers temps, c’est le Haut-commissaire français qui occupe une position clef au sein de la Haute Commission, l’Américain McCloy devient vite l’interlocuteur le plus important pour le Chancelier allemand.
7John J. McCloy a été, pendant la guerre, sous-secrétaire d’État au ministère américain de la guerre mais n’a par la suite rien eu à voir directement avec l’Allemagne, étant devenu banquier4. Arrivé le 2 juillet 1949 en Allemagne comme nouveau gouverneur militaire, il voit son poste transformé en celui de Haut-commissaire. Très actif, il est vivement favorable à l’unification européenne et compte parmi les amis personnels de Jean Monnet. Son successeur Walter J. Donnelly, Haut-commissaire américain en Autriche en 1950 et qui ne reste que six mois en Allemagne, est remplacé en janvier 1953 par James B. Conant, ancien président de l’Université de Harvard5. Côté britannique, le Haut-commissaire est d’abord le général Sir Brian H. Robertson qui a été gouverneur militaire en zone britannique de 1947 à 1949. Dès juin 1950, son successeur est le diplomate Sir Ivone Kirkpatrick qui a été premier secrétaire à l’ambassade de Grande Bretagne à Berlin de 1933 à 1938. Après la guerre et juste avant de venir en Allemagne, il a dirigé la section Allemagne du Foreign Office6. Il est remplacé en 1953 par Sir Frederick Hoyer Millar, précédemment ambassadeur auprès de l’OTAN. Le doyen d’âge parmi les Hauts-commissaires est le Français André François-Poncet qui, à 62 ans, a une dizaine d’années de plus que ses collègues successifs. Agrégé d’allemand, germaniste et diplomate, homme honoré (il devient membre de l’Académie française en 19527), il impressionne ses collègues et revendique une connaissance approfondie de l’Allemagne. Si les différents Hauts-commissaires sont des hommes d’expérience, avec des compétences différentes, ils sont plus ou moins connaisseurs des affaires allemandes en prenant leurs fonctions. Le plus sûrement le sont François-Poncet et Robertson, le moins étant McCloy – mais cela ne permet en rien de préjuger de leur efficacité ni de leur ouverture à l’égard des interlocuteurs allemands.
8Le rapport inégal existant entre les Alliés et les Allemands apparaît de manière symbolique dans la géographie de la nouvelle capitale fédérale. La Haute Commission siège sur la colline du Petersberg, proche du centre de Bonn, mais sur l’autre rive du Rhin. Avant l’automne 1951 où seront renégociés les rapports entre puissances occupantes et Allemands et à partir duquel le lieu de rencontre ne sera plus systématiquement le Petersberg mais Mehlem et le siège des différents Hauts-commissariats, toute audience du Chancelier et de son gouvernement auprès de l’organe interallié signifie une montée vers les détenteurs de l’autorité suprême. De la même façon, les règles de préséance sont inscrites dans le statut d’occupation et les Hauts-commissaires accordent une grande importance au respect de ce protocole. Le respect pointilleux des règles va parfois placer le chef du gouvernement allemand dans une situation pénible.
9L’un des épisodes les plus célèbres illustrant ce phénomène est la remise du statut d’occupation au Chancelier. Initialement, les trois Hauts-commissaires avaient prévu de le lui remettre en grande pompe le jour même où il se présenterait à eux avec ses principaux ministres. Le 21 septembre 1949, il a été signifié au Chancelier, qui se présente au Petersberg accompagné de seulement cinq ministres et cinq fonctionnaires de la Chancellerie, qu’il devra prendre place devant le tapis où se tiendront les trois Hauts-commissaires et ne sera autorisé à avancer sur ledit tapis qu’après le discours du Haut-commissaire chargé d’annoncer solennellement la fin du gouvernement militaire et l’entrée en vigueur du statut d’occupation. Alors qu’à son entrée, le Français François-Poncet s’approche pour le saluer, Adenauer profite de cet instant pour avancer lui-même vers lui et poser immédiatement son pied sur le tapis, matérialisant ainsi le rapport d’égalité qu’il souhaite établir avec les représentants des puissances8 ; on a par la suite appelé politique du tapis cette manière de revendiquer par le geste une égalité de traitement pour l’ancien vaincu.
10La grande limitation de la souveraineté du nouvel État se manifeste dans le fait que la gestion de sa politique étrangère soit assurée par la Haute Commission et, donc, dans l’absence d’un ministère des Affaires étrangères ouest-allemand jusqu’en 1951. Adenauer, tout juste élu chancelier, ne manque pas, dans son premier discours devant le Bundestag le 20 septembre 1949, de souligner cette amputation en précisant que ce qui comptera dans la pratique, c’est l’esprit dans lequel le statut sera appliqué. Pour lui, « le statut d’occupation est tout sauf idéal » et l’objectif du gouvernement fédéral est clairement fixé : tout en rendant hommage au progrès que ce statut représente par rapport à la période précédente et tout en acceptant qu’il n’y ait pas d’autre moyen pour le peuple allemand que de tout mettre en œuvre « pour retrouver, main dans la main avec les Alliés, le chemin vers le haut », le Chancelier annonce clairement qu’il s’efforcera « d’élargir petit à petit l’espace de nos libertés et de nos compétences »9.
11Une Charte de la Haute Commission alliée, composée de onze articles, en règle l’organisation et le fonctionnement. Cette organisation est tripartite de, qu’il s’agisse du Conseil allié qui « se réunit aussi souvent qu’il le juge nécessaire et à tout moment à la demande d’un de ses membres » et dont la présidence « est exercée par chacun de ses membres, par roulement mensuel », qu’il s’agisse des Comités (des Affaires politiques, Économique, Financier, Juridique, Office militaire de sécurité) chargés de donner des avis au Conseil dans les domaines de leur compétence et exerçant les fonctions exécutives qu’il leur confiera, qu’il s’agisse encore du Secrétariat général allié chargé de la circulation de l’information, de la préparation des ordres du jour, de la documentation, de l’établissement des procès-verbaux et de la tenue des archives. Parallèlement à ses pouvoirs sur l’ensemble de l’Allemagne fédérale, chaque Haut-commissaire est responsable vis à vis de son gouvernement, en ce qui concerne les Länder de sa zone, pour les questions réservées. Néanmoins, « dans toute la mesure du possible », il coordonne la politique générale qu’il se propose de suivre avec celles des autres Hauts-commissaires, notamment pour assurer le respect de la loi et le maintien de l’ordre en cas de défaillance allemande, pour assurer la protection, le prestige, la sécurité des forces et autorités d’occupation, l’entretien et l’administration des personnes déplacées, mais aussi fixer le sort des criminels de guerre et décider de toutes les questions relatives à l’amnistie, à la grâce ou à la mise en liberté des personnes condamnées par les tribunaux des autorités d’occupation.
12Ce régime a des conséquences sur l’atmosphère dans la capitale fédérale. Parce que la Haute Commission, « héritière de la suprema potestas », « concentre entre ses mains des pouvoirs considérables »10, les Alliés se côtoient dans l’exercice de leur mission mais aussi se fréquentent, cherchant peu, comme c’était déjà le cas dans les années de la période d’occupation stricte, le contact avec la population allemande11. Lorsque des rencontres ont lieu avec des responsables allemands, comme elles sont prévues par la Charte, le climat dépend alors largement de ce que les alliés sont prêts à accepter. Si, les mois passant et le contexte aidant, de meilleures relations parviennent à s’instaurer, il n’en demeure pas moins que la différence de statut des interlocuteurs a été dès l’abord mise en avant, les Hauts-commissaires « restant maîtres absolus des décisions finales, par exemple sur la question de l’interprétation du statut »12. Le Haut-commissaire français est particulièrement pointilleux sur le respect des règles de fonctionnement, mais il arrive aussi à ses collègues américain et britannique de rappeler à l’ordre le Chancelier. C’est par exemple le cas de Kirkpatrick qui, à l’occasion de la publication d’une lettre du Chancelier au secrétaire d’État Foster Dulles en juillet 1953, s’élèvera assez vivement contre l’attitude du gouvernement fédéral « prenant l’habitude de traiter les affaires par des voies obliques, en passant par dessus la tête de la Haute Commission »13.
13Comme en témoignent les procès-verbaux des réunions au Petersberg, il n’est pas rare que le ton soit au reproche et que l’atmosphère tourne à l’aigre. Dans les premiers mois, les rencontres au Petersberg ressemblent souvent plus à une séance de tribunal qu’à des négociations diplomatiques14 et ce n’est qu’à l’issue de la négociation portant sur la modification des relations que s’établissent progressivement des relations plus confiantes. Celles-ci, comme dans le cas du Chancelier avec McCloy, sont facilitées par la mise en place de contacts directs avec l’un ou l’autre des Hauts-commissaires. Si cette pratique facilite la clarification des positions et la circulation de l’information, elle masque aussi parfois une tentative de prise d’influence et de désinformation. A l’occasion apparaît la perspective de jouer les Alliés les uns contre les autres, moyen très utile au Chancelier pour élargir sa marge de manœuvre ; et ce n’est pas un hasard s’il choisit le mois de présidence de tel Haut-commissaire pour formuler des souhaits avec la meilleure chance de succès, en évitant notamment la présidence française.
2) Fonctions et personnalités du côté français
14Les structures de la zone française sont transformées en août 1949. Par un décret du 2 est créée la fonction de Haut-commissaire de la République Française en Allemagne, « représentant le gouvernement de la République », « relevant du ministère des Affaires étrangères et exerçant son autorité sur l’ensemble des services et éléments français en Allemagne » ; « responsable de la sécurité intérieure et du maintien de l’ordre dans les territoires occupés par les Forces françaises », il dispose « à cet effet, du Général commandant les troupes d’occupation dont il est habilité à requérir les moyens ». Une fois André François-Poncet nommé Haut-commissaire par Robert Schuman à la mi-août, et Armand Bérard désigné comme son adjoint sur proposition des membres socialistes de la coalition gouvernementale française, le choix du personnel envoyé à Bonn se fait en grande partie sur proposition du Haut-commissaire lui-même.
15Au Haut-commissariat français cohabitent deux générations de diplomates que sépare, dans certains cas, une bonne trentaine d’années, ce qui va avoir une importance pour la perception de l’évolution politique en Allemagne. On y trouve d’un côté des diplomates en milieu, voire en fin de carrière, comme François-Poncet et son adjoint Bérard : si celui-ci n’a encore que 45 ans en 1949, il fait incontestablement partie de la génération « d’avant », de ceux qui ont connu l’Allemagne de Weimar et ont vécu le traumatisme du IIIe Reich et de la guerre alors qu’ils étaient déjà en fonctions. Ils font partie de la même génération que les grands diplomates français d’après-guerre qui sont déjà de vieux messieurs, tels Catroux en poste à Moscou, Bonnet à Londres et Massigli à Washington, et sont, toutes proportions gardées, plus proches d’un Konrad Adenauer que d’un Herbert Wehner. De l’autre côté, se retrouvent en poste en Allemagne de tout jeunes hauts fonctionnaires qui se sont illustrés par leur opposition au régime de Vichy ou par leur participation à la résistance extérieure à Londres et à Alger. Plusieurs d’entre eux ont déjà participé à l’élaboration de projets pour l’Allemagne dès le milieu des années quarante, ce qui façonne une autre approche particulière de l’Allemagne d’après-guerre. Il s’agit de personnalités telles Louis de Guiringaud en poste à Godesberg, Jean Sauvagnargues chargé à Paris des affaires allemandes ou encore d’un tout jeune officier de liaison à Bonn, Claude Cheysson qui n’a alors pas encore trente ans.
16Cette présence parallèle de deux générations, à une époque où le nazisme vient de constituer une césure particulièrement nette tant dans l’expérience des hommes que dans son impact sur le regard sur l’Allemagne, entraîne non seulement un décalage dans la perception mais aussi souvent une incompréhension réciproque. De la même façon que René Massigli se serait insurgé de ne voir que des petits jeunes dans les services du Quai en 194515, André François-Poncet aurait régulièrement déclaré à ses collaborateurs qu’ils étaient définitivement trop jeunes pour vraiment comprendre l’Allemagne16. A cette opposition de générations se serait ajouté le fait que la plus grande partie des personnels du Haut-commissariat soit issue de la période d’occupation marquée par le général Koenig et qu’il se soit agi, en grande majorité, de gaullistes pour lesquels François-Poncet n’éprouvait pas de grande sympathie. Enfin, l’un des témoins du décalage entre le Haut-commissaire et un grand nombre de ses collaborateurs est le fait que pour les moins âgés des Français en Allemagne, le contact avec la population allemande fut semble-t-il beaucoup plus aisé et même surprenant selon certains, qui vantent une étonnante facilité de dialogue fondée sur une expérience partagée, « ce mélange de fierté d’avoir gagné et d’humiliation d’avoir perdu », ainsi que sur la « remise en question de ce qu’avaient été les familles ».
André François-Poncet
17Au sein du Haut-commissariat français comme de la Haute Commission alliée, la figure centrale et dominante est l’ancien ambassadeur de France à Berlin sous Weimar et sous le régime hitlérien. En 1949, André François-Poncet, né en 1887 à Provins, occupe et entend bien occuper une place spécifique dans le dispositif allié, en raison de sa personnalité politique et intellectuelle, de son tempérament ainsi que de sa longue expérience de l'Allemagne et des difficiles relations entre les deux pays. Si l’expérience détermine et influence chez tout homme perceptions et options, il est incontestable que les vingt années qui précédèrent son retour en Allemagne comme chargé de mission spéciale auprès du général Koenig en 1948 ont eu un impact particulièrement traumatique sur sa perception de la classe politique et de la population allemandes, ou plutôt, selon la terminologie qu'il préféra toujours employer, du « peuple allemand ». La crise du début des années trente en Allemagne, la montée du nazisme, l'effondrement de la République de Weimar, la mise au pas du pays par les nationaux-socialistes, l'affermissement de la dictature et les préparatifs de la guerre, André François-Poncet a assisté à tout cela depuis le poste d'observation qu'était l'ambassade de France à Berlin où il demeura de 1931 à 1938. Après un séjour à Rome comme ambassadeur de France en Italie jusqu'à la déclaration de guerre de l’Italie à la France le 10 juin 1940, il fut placé en résidence surveillée par l'Allemagne nazie en juin 1943, puis détenu au Tyrol du 27 août 1943 au 2 mai 194517.
18Toutefois les racines de sa perception de l'Allemagne remontent beaucoup plus loin, aux années de formation intellectuelle et universitaire. Ayant appris la langue allemande à l'école de la IIIe République, André François-Poncet a eu relativement tôt l'occasion de séjourner dans l'Allemagne impériale. En 1901/02, alors âgé de 14 ans, il passa plusieurs mois au lycée de Offenbourg non loin de la frontière française18. Plus tard, après avoir été reçu à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm en 1907, il découvrit l'Université allemande à Berlin et à Munich où il fit une petite partie des études de philologie allemande qui le conduisirent, sur les conseils du germaniste Charles Andler, à la rédaction d'un mémoire consacré aux Affinités électives de Goethe, publié à Paris en 1910. La même année, François-Poncet est reçu premier à l'agrégation d'allemand. S'il a largement pu, par des séjours et des observations personnelles, étayer et nuancer l'image de l'Allemagne transmise par l'Université, ce brillant jeune diplômé conserva toutefois un jugement caractéristique de la discipline des études germaniques, fondée en France par Charles Andler et Ernest Lichtenberger.
19Au début du XXe siècle, ces études étaient essentiellement fondées sur l'histoire littéraire, la philologie consacrée à l'aire culturelle de langue germanique, tout en produisant un discours complexe et souvent passionnel sur « un pays qui n'est en aucune façon un simple objet d'étude »19. Très minoritaires étaient alors les germanistes fidèles à une image de l'Allemagne héritée de Madame de Staël et ne s'intéressant pas à la question de l'expansionnisme et du militarisme allemands dont les analyses contribuaient à la fois à conforter la vision d’une opposition culturelle fondamentale entre les deux pays et à forger un consensus autour d’un ennemi commun. Avant la Première Guerre mondiale qui allait accentuer le développement d'une germanistique de la méfiance, la discipline entretenait des relations très tendues avec un pays qui demeurait menaçant depuis la défaite de Sedan20. En outre, le contraste entre l'Allemagne impériale et la IIIe République française, en termes de démocratie, de laïcité et de libertés accordées au mouvement ouvrier, contribuait à nourrir l'inquiétude des germanistes français. Ainsi Andler analysa-t-il les rapports de pouvoir dans l'Allemagne bismarckienne non pas comme propres aux problèmes d'industrialisation, ni comme une déviation de la modernité, « mais comme un problème de civilisation », entendant par là le respect de l'autorité constitutif de la civilisation protestante21. Edmond Vermeil fut celui qui donna du protestantisme allemand et de ses rapports au pouvoir l'image la plus négative et livra au grand public les fondements d’une lecture déterministe à rebours de l’histoire allemande. Même si le jugement que porta Henri Lichtenberger sur les effets et les mérites du protestantisme allemand fut beaucoup plus positif, l'image de l'Allemagne véhiculée, après la première guerre mondiale, par ces professeurs de l'Université française resta marquée par le signe négatif de l'étrangeté, du difficilement compréhensible qui fascine et prend le relais, en l'étayant, du concept d’âme allemande conduisant nécessairement aux pires excès.
20Dans la première moitié du siècle, André François-Poncet contribua à propager cette vision du voisin dangereux, en se fondant sur la perception qu'il en eut lors de ses séjours outre-Rhin ; c’est ce dont témoignent ses articles consacrés à la jeunesse allemande publiés en recueil en 1913 et où il met en garde contre le danger du militarisme allemand, porté par une jeunesse placée au service des forces qui régissent le pays. Dans Ce que je pense de la jeunesse allemande, il écrit que l’Allemagne où règnent les partis bourgeois est « désir effréné d’expansion, volonté de suprématie par la force et mépris de la France, qui ne doit plus être une grande nation ». Mais il dit aussi ne jamais vouloir renoncer à une certaine sympathie pour « cette population enfantine, rude et douce, insouciante de son destin et si confiante dans la vie ».
21L’observation attentive et professionnelle, au sens propre, de l'évolution politique de l'Allemagne correspond chez François-Poncet à la césure de la Grande Guerre qui interrompit un projet de recherche universitaire. Le début de sa carrière diplomatique remonte à 1916, où après plusieurs mois au front comme sous-lieutenant d'infanterie, il fut nommé au service de presse de l'ambassade de France à Berne et chargé de l'analyse des informations sur l'adversaire allemand afin de lutter contre la propagande de guerre. Participant ensuite à la conférence de Gênes, il devint conseiller économique à l’état-major du général Degoutte pendant l’occupation de la Ruhr.
22Pendant les années vingt, sa carrière prit aussi un tour politique, François-Poncet partageant alors son temps entre l'industrie, les activités journalistiques et la vie politique dans le sillage de Raymond Poincaré. A Berne, il avait fait la connaissance de Robert Pinot qui avait présidé au redressement de la métallurgie française et qui organisa pendant près de trente ans ce qu’on appelle aujourd’hui du lobbying en faveur du Comité des Forges. L’action controversée de cette organisation fut largement relayée par la feuille Le Bulletin Quotidien que François-Poncet fonda et dirigea. Le futur diplomate est aussi un homme de l’industrie.
23Élu député de la Seine en 1924 pour l’Alliance Républicaine Démocratique et réélu en 1928, il fut membre de la Chambre des Députés pendant plusieurs années où il s’illustra notamment en reprochant à Édouard Herriot d’avoir accepté l’évacuation de la Ruhr sans avoir, au préalable, cherché à conclure un accord commercial avec Berlin. Nommé sous-secrétaire d’État des Beaux-arts et de l’Enseignement technique en 1928, puis auprès de la présidence du Conseil et de l’Économie nationale en 1930 puis 1931, il participa à plusieurs gouvernements avant d'être envoyé en septembre 1931 par le ministre des Affaires étrangères Aristide Briand (Cabinet Laval) comme ambassadeur de France en Allemagne. Sa nomination intervient après que François-Poncet se fut occupé, comme sous-secrétaire d’État à l’Économie nationale, de l’affaire de la formation d’une union économique et douanière entre l’Allemagne et l’Autriche, telle que venait de la proposer le ministre des Affaires étrangères Curtius le 24 mars 1931. L’idée du gouvernement français, qui s’était formellement opposé à ce projet en vertu du traité de Versailles, était d’amener les milieux industriels allemands à renoncer définitivement à cette idée d’Anschluss pour plutôt s’entendre avec leurs homologues français. François-Poncet participa alors très activement à la défense d’un « plan constructif » au sein du comité d’Études pour une Union européenne à Genève, ce qui fut compris comme une manœuvre évidente de la France pour contrer une union douanière germano-autrichienne. François-Poncet participa aussi activement aux négociations franco-allemandes sur les réparations en 1931, se montrant, selon Brüning qui tentait d’en obtenir la fin, très intransigeant et accusant ce dernier d’utiliser des méthodes « particulièrement dangereuses, remontant à une tradition toute bismarckienne »22. De cette époque, le nouvel ambassadeur confia avoir compris que l’Allemagne « l’attirait et le repoussait dans une égale mesure »23.
24Le parcours politique d'André François-Poncet fut placé sous le signe du libéralisme conservateur, une orientation fixée dès avant la Première Guerre mondiale et qui trouva son expression dans son action militante au sein d'un parti du centre droit, le Parti républicain démocrate et social, dont il formula les grandes lignes politiques lors d'un congrès en 1924. Se définissant lui-même comme un « républicain moderne », il insistait alors sur son « réalisme » issu de l'expérience de la guerre et sur son « libéralisme » trouvant son expression dans le refus d'une intervention de l'État dans la vie économique et sociale. Partisan d'un État fort dans l'application des lois, François-Poncet se définit ensuite comme un patriote, attaché à la notion de Nation. Mais cette idée de Nation ne « nous possède pas d'une frénésie mystique (…) C'est, encore une fois, une réalité moderne, une force créatrice, qu'il s'agit de savoir utiliser. C'est un des piliers nécessaires à la solidité et à l'équilibre de l'ensemble humain »24. Cette définition positive d’une bonne vie nationale en France repose en grande partie sur le rejet des usages du voisin allemand.
25Arrivé à Berlin en septembre 1931, François-Poncet y restera jusqu'en octobre 1938 où il sera l'une des personnalités les plus en vue, devenant le plus ancien ambassadeur en fonction dans l'Allemagne hitlérienne. Si les dépêches et rapports qu'il envoya en grand nombre au Département devinrent de plus en plus critiques au fur et à mesure que s'affirmaient les intentions bellicistes des dirigeants nazis - ce qui lui valut son arrestation par l'occupant allemand en France après la malencontreuse publication d'extraits de certains de ses rapports par le Ministère français des Affaires étrangères en 193925 -, ses années berlinoises furent l'objet d'interrogations quant aux réelles distances qu'il aurait prises par rapport au nouveau régime. William Dodd, ambassadeur américain en Allemagne, écrivit en 1937 : « François-Poncet n’est pas loin d’être un fasciste »26. Certes cette perception a pu être suscitée par le style particulier du diplomate, certes les jugements accompagnant ses dépêches envoyées à Paris furent généralement sans ambiguïté. Mais l’ambassadeur sut longtemps jouir d'une excellente réputation auprès des nationaux-socialistes, il accepta d'endosser l'habit d'une personnalité très connue de la capitale du Reich et eut des contacts très étroits avec les dirigeants de l'Allemagne nazie. Il se défendit de toute collusion en arguant de l'importance diplomatique de ses contacts personnels avec le Führer notamment. Néanmoins, bien qu’il ne puisse être soupçonné de proximité idéologique avec les nazis, la qualité de ses relations avec eux alla même, selon ses propres dires, jusqu’à impatienter Mussolini27. Mais pendant son ambassade d’une année et demie dans la capitale italienne (octobre 1938 à mai 1940) où il pensa pouvoir influencer le Duce, il tenta en vain de persuader le Quai de lancer un rapprochement avec Ciano et Mussolini pour les éloigner de Hitler, se heurtant à un silence de Paris. Il fut rappelé quelques jours après l’offensive allemande de mai 1940. N’avoir pas su influencer les acteurs tant à Rome qu’à Berlin et n’avoir pas été écouté par le Département à Paris, ce sentiment de double impuissance demeurera très vivace après la défaite, l’Occupation, son internement en compagnie de Français de haut rang28 et la Libération. Dès 1946, François-Poncet publie Souvenirs d’une ambassade à Berlin, accompagné d’un avant-propos où s’exprime l’amertume face à cet échec. Dans le même temps, il s’attache à souligner qu’il a toujours éprouvé, à l’égard du régime national-socialiste, « la plus vive répulsion », sa formation libérale et humaniste l’ayant conduit à être « intimement révolté par cette tyrannie implacable qui foulait aux pieds la morale courante, exaltait les instincts les plus brutaux et se faisait gloire de sa propre barbarie. »
26Dans ce texte, comme dans les nombreux articles qu’il écrit alors pour le Figaro, il prend clairement position dans le débat de l’immédiat après-guerre sur la façon de traiter l’Allemagne, préconisant pour sa part le contrôle, une forme de décentralisation et « l’amoindrissement de la Prusse » ainsi que des efforts pour aider ceux des Allemands voulant orienter l’Allemagne vers des voies nouvelles29. Le traitement à imposer à l’Allemagne semble alors devoir découler de deux réalités qui s’imposent selon lui : d’une part « l’unité allemande a toujours été le support du pangermanisme, le fondement de sa volonté de puissance, de ses appétits d’expansion et de domination » ; d’autre part « l’écrasement et la dislocation du Reich hitlérien ne suppriment pas le problème allemand. Soixante millions d’Allemands, rompus à la discipline, acharnés au travail et prompts à l’enthousiasme collectif, vivent toujours à nos côtés. » C’est encore dans cet état d’esprit, fort représentatif de l’opinion dominante en France, qu’il est envoyé en Allemagne comme chargé de mission auprès du général Koenig à Baden-Baden le 10 novembre 1948, quelques semaines après la visite impromptue qu’a rendue, à Coblence, le ministre Schuman en octobre 1948 aux représentants des partis politiques allemands. François-Poncet a entre-temps suivi l’inflexion des positions françaises à l’égard de l’Allemagne en s’exprimant en faveur d’une organisation confédérale de ce pays, et, en juin 1948, il a accompagné le tournant pris lors de la conférence de Londres où la France abandonna la plupart de ses revendications concernant l’Allemagne. Le 19 juin 1948, François-Poncet écrivait dans le Figaro : « Gardons-nous de penser la sécurité de demain en fonction de celle d’hier et ne soyons pas en retard d’une guerre comme nos généraux ont été en retard d’une paix ! » De tels propos, se voulant tournés vers l’avenir tout en exprimant clairement le besoin de sécurité de la France, plaisent au nouveau ministre français des affaires étrangères, Robert Schuman qui le rappelle à Paris le 15 décembre 1948 et en fait son conseiller diplomatique, spécialement chargé des affaires allemandes. Le rapprochement de vues semble patent entre le ministre, qui lance en quelques mois une nouvelle politique à l’égard de l’Allemagne, et l’ancien ambassadeur, qui annonce le 31 janvier 1949 qu’à ses yeux l’instauration du contrôle international sur la Ruhr est un premier pas vers la création d’un consortium européen du charbon et de l’acier. François-Poncet est, semble-t-il, l’homme de la situation lorsque Schuman le nomme le 2 août 1949 Haut-commissaire de la République Française en Allemagne. Même s’il conserve un jugement très sévère et un regard très inquiet sur l’Allemagne d’après-guerre, il peut apparaître comme plus progressiste que le conseiller politique du général Koenig, Jacques Tarbé de Saint-Hardouin30. Mais l’ambassadeur de France et Haut-commissaire François-Poncet ne va être qu’inégalement apprécié des milieux dirigeants de Bonn, ainsi que, comme dans le cas de la presse, d’une partie de l’opinion allemande. Si les commentaires écrits des hommes politiques sont très prudents et se limitent souvent à des remarques un peu ironiques sur le style et le ton du Haut-commissaire, François-Poncet s’attire des attaques très vives de la presse peu de temps avant la fin de ses fonctions de Haut-commissaire, au début de l’année 1955. Juste avant le Spiegel en mars 1955, la Deutsche Saar-Zeitung publie ainsi dans son numéro de février un long article intitulé « François-Poncet, du provisoire à Bonn » où les commentaires sur la personnalité et le style de « celui qu’on ne regrettera pas beaucoup en Allemagne » sont très acides, n’épargnant ni ses compétences, ni sa vision de l’Allemagne, ni sa position sous le IIIe Reich et suggérant qu’il n’aurait, face à la Résistance, songé qu’à sauver sa tête. S’il est clair que le journal sarrois règle d’abord des comptes avec le Haut-commissaire français qui l’a interdit par le passé pour avoir publié un article jugé insultant pour le représentant de l’État français en Sarre Gilbert Grandval31, il est frappant de voir que François-Poncet est perçu avant tout comme un homme de la haute finance et de l’industrie lourde, une réputation qu’il conserve depuis les années trente et qui a été entretenue par l’ancien Chancelier Brüning32. En 1955, François-Poncet est perçu par le journal sarrois comme un mauvais représentant de la France, « sa vision de l’Allemagne et des Allemands n’étant que préjugés français ». A la publication de cet article dans la Saar-Zeitung et juste avant celle du Spiegel, André François-Poncet se plaint auprès de Herbert Blankenhorn de l’insulte qui lui est faite et qualifie de « mœurs barbares » un tel traitement d’un ambassadeur, « impossible dans tout autre pays civilisé du monde »33.
Les collaborateurs à Godesberg et le lien avec Paris
27Le numéro deux du Haut-commissariat est, de 1949 à 1955, Armand Bérard, né en 1904 d’une famille d’intellectuels et d’universitaires. Son père était sénateur et helléniste, son grand-père le fondateur de la librairie Armand Colin, la famille compta plusieurs normaliens. Armand Bérard lui-même intégra l’école de la rue d’Ulm en 1924 et séjourna à l’université de Heidelberg l’année suivante. A la différence de son supérieur, il n’est pas agrégé d’allemand, ayant préféré les études d’histoire et de géographie et les études hispaniques avant de se présenter au concours du Quai d’Orsay. Pourtant, son premier poste d’attaché d’ambassade le conduit à Berlin en août 1931 auprès de l’ambassadeur François-Poncet. Il demeure dans ce poste jusqu’en 1936 puis est successivement envoyé à l’ambassade à Washington, affecté au Cabinet du ministre Yvon Delbos en 1937, avant de retrouver François-Poncet au Quirinal en février 1939, son chef notant dans son journal son plaisir de retrouver son « collaborateur et très cher jeune ami Armand Bérard »34. Détaché à la délégation française d’armistice à Wiesbaden en 1940, il assiste à l’humiliation de la défaite. Sous l’Occupation, Bérard compte parmi les diplomates français engagés dans la résistance : membre du bureau d’études clandestin des affaires étrangères de Jean Chauvel en 1943, évadé de France en mars 1944 avant de devenir chef de service au commissariat aux affaires étrangères à Alger en avril de la même année, il est de ces diplomates révoqués par le régime de Vichy (juin 1944) et très rapidement réintégrés ; en 1945 il devient conseiller d’ambassade à Washington où il demeure jusqu’en 194935.
28Agé de 45 ans lorsqu’il revient en Allemagne, Armand Bérard a déjà une bonne expérience des affaires allemandes : non seulement il a vu la fin de Weimar à l’ambassade de Berlin mais il s’est aussi occupé des questions allemandes durant sa mission à Washington. Il y a observé la politique américaine à l’égard du vaincu et a rédigé plusieurs mémorandums et notes sur le traitement de l’Allemagne, exprimant notamment son scepticisme quant aux chances de succès de la politique française de revendications en Rhénanie et dans la Ruhr36. Il mit également en garde contre une politique attentiste ou de frein sans imagination parce qu’elle contraindrait la France à accepter pour l’Allemagne des plans anglo-américains à l’élaboration desquels elle n’a pas participé37. Ses prises de positions au sujet de la Sarre en 1947, où il rejette les positions maximalistes, et son choix de favoriser la construction européenne pour encadrer l’Allemagne le font apparaître comme un modéré constructif. Cela ne l’empêche cependant pas d’envisager toute la politique à adopter face au vaincu dans la perspective de la sécurité française et donc de l’extrême limitation de la puissance allemande : s’il promeut une solution européenne du problème allemand, c’est « suivant des modalités qui nous soient favorables » et pour empêcher de manière durable le retour de l’Allemagne « à des projets de domination économique et politique »38.
29Bérard a également une bonne expérience du travail avec François-Poncet qu’il a côtoyé pendant plusieurs années à Berlin et à Rome. Discret, il sait composer avec celui dont il partage la vision globale du potentiel danger allemand, tout en l’invitant parfois à ne pas adopter une attitude négative à l’égard de la nouvelle Allemagne39. Néanmoins, les relations ne sont pas très chaleureuses, et, selon des témoins, leurs rapports ne sont pas réellement confiants40. Au sein du Haut-commissariat, Bérard assure les fonctions d’adjoint, assumant celles de François-Poncet en l’absence de celui-ci et remplaçant le Haut-commissaire dans certaines de ses missions au sein de la Haute Commission alliée. C’est par exemple lui qui négocie en 1951, avec ses homologues Hays et Ward et une délégation allemande d’experts militaires, les modalités d’un réarmement allemand dans le cadre de la solution OTAN alternative à la CED.
30C’est certainement avec Herbert Blankenhorn de la Chancellerie que Armand Bérard a le plus de contacts, comme il ressort du journal du collaborateur du Chancelier, chargé des affaires étrangères41. Toutefois, les fonctions de Bérard semblent le porter peu à rechercher, avec d’autres Allemands, des relations dépassant celles prévues par le statut d’occupation. Son portrait brossé par Blankenhorn et conservé dans ses papiers témoigne de la façon dont il a pu être perçu dans les cercles dirigeants de Bonn : « Un membre inhabituellement compétent de la diplomatie française. D’une ambition ardente, proche des socialistes, plein de ressentiment en raison du destin de son frère assassiné par la Gestapo. Connaissance exceptionnelle de l’Allemagne et du Berlin de l’époque hitlérienne. Nettement plus étroit que François-Poncet dans ses conceptions. Grande force de travail. Grande éloquence »42. Diplomate appliqué à remplir strictement sa mission, Bérard ne laisse pas le souvenir d’avoir été un initiateur et un moteur de la présence française en Allemagne, à la différence du couple formé, entre Godesberg et Paris, par Louis de Guiringaud et Jean Sauvagnargues.
31Ces deux diplomates (qui se succéderont d’ailleurs à la tête de la diplomatie française dans les années soixante-dix) font partie de cette génération plus jeune qui, si elle a connu la guerre et la résistance, n’a pas été marquée comme les aînés par l’expérience de l’effondrement du régime de Weimar. Louis de Guiringaud, né en 1911, de formation traditionnelle pour le Quai (droit et sciences politiques), a été en poste à Ankara puis au Haut-commissariat en Syrie en 1940. Il a compté, avec Bérard, parmi les fonctionnaires du Quai entrés en opposition au régime de Vichy : actif au Commissariat aux affaires étrangères à Alger en 1943, il est révoqué par Vichy en décembre de la même année. Réintégré dès la libération, il devient en mai 1946 premier secrétaire à l’ambassade de France à Londres où il demeure jusqu’à ce que François-Poncet le réclame pour prendre les fonctions de directeur général des affaires politiques au Haut-commissariat en Allemagne où il est détaché le 16 août 194943. Ses fonctions de directeur des affaires politiques à Godesberg l’amènent à traiter et à exploiter l’information collectée par les services français en Allemagne ; il y devient vite un observateur avisé de l’évolution politique qu’il analyse pour le Département. Ses collègues Leroy-Beaulieu et Schmittlein sont ses équivalents, respectivement pour les questions économiques et financières et pour les affaires culturelles.
32Parce qu’il est sous-directeur à la sous-direction d’Europe centrale, qui est chargée des affaires allemandes et autrichiennes à la Direction d’Europe du Quai d’Orsay, Jean Sauvagnargues est le destinataire intermédiaire des télégrammes et dépêches en provenance de Godesberg et le principal filtre chargé du tri des dépêches à présenter au ministre. Né en 1915, il fait partie, comme François-Poncet, des diplomates formés à la rue d’Ulm et à la germanistique française. Agrégé d’allemand en 1939, Sauvagnargues est entré en diplomatie en 1941. Envoyé peu de temps à Bucarest et révoqué par Vichy en avril 1943, il a rejoint Massigli à Alger où il a été chargé du bureau de presse et de l’information ; il est ensuite attaché au cabinet du général de Gaulle et est mis à la disposition du Commissariat général aux affaires allemandes et autrichiennes (CGAAA) dès sa création le 26 décembre 1945. Dans cette structure chargée de la gestion de l’occupation française en Allemagne, il s’occupe des relations avec la presse puis en devient chef du service politique en 1946. Après l’intégration du CGAAA à l’administration centrale, Sauvagnargues rejoint la sous-direction d’Europe centrale à la DGAP officiellement en avril 1951. Il occupe ce poste pendant toute la durée d’existence du Haut-commissariat en Allemagne, assurant ainsi la continuité très caractéristique des diplomates en charge des affaires allemandes. En effet, Jean Sauvagnargues illustre de la manière la plus nette ce phénomène, mis en relief par la recherche44, d’une très grande stabilité du personnel diplomatique français chargé de l’Allemagne, depuis les projets élaborés dans la résistance, à Alger, pour l’Allemagne future, en passant par les fonctions au CGAAA et à la rédaction du mémorandum français du 17 janvier 1947, jusqu’à l’administration centrale ou aux Hauts-commissariats en Allemagne et en Sarre. Il ressort de cette stabilité non seulement que les affaires allemandes constitueront un excellent tremplin pour l’avenir de la carrière de ces diplomates, mais également que le traitement de l’Allemagne est confié à un groupe très réduit de gens souvent jeunes, qualifiés et engagés dans leur action en ou pour l’Allemagne.
33Chez les autres membres du Haut-commissariat chargés des affaires politiques en Allemagne, on retrouve les mêmes caractéristiques précédemment relevées. D’un côté, des diplomates en fin de carrière et passés par Berlin dans les années trente, comme Pierre Arnal qui devient en 1949 observateur politique pour le Haut-commissariat en Rhénanie du Nord-Wesphalie ; de nombreux résistants, comme Louis Roché, révoqué dès 1941 et membre de l’équipe française à la radio de Londres, qui devient observateur politique en Bavière en 1949 ; et à l’autre extrémité de la pyramide des âges, de très jeunes énarques comme Jacques Morizet, en service détaché en 1952, ou Claude Cheysson, déjà passé par la résistance. Le rôle de ce dernier, un peu particulier, mérite qu’on s’y arrête quoiqu’il ait occupé des fonctions en apparence subalternes en Allemagne. Jeune polytechnicien né en 1920, énarque, issu d’une famille dont la branche rhénane s’est installée en France et a été naturalisée après la guerre de 1870 (elle compte l’historien Franz von Brentano), ce jeune résistant engagé dans les FFC au Maroc a été envoyé en Allemagne fin 1948 comme officier de liaison pour y observer les travaux du Conseil parlementaire. En 1949, François-Poncet choisit de le maintenir en activité à Bonn (et non à Godesberg où est installé le Haut-commissariat français) avec une fonction d’attaché de cabinet afin qu’il utilise ses contacts avec les hommes politiques allemands pour informer le Haut-commissariat sur la vie politique dans la nouvelle capitale fédérale. Particulièrement bien intégré dans les milieux politiques allemands et souvent reçu par des responsables de partis comme par le Chancelier à Röhndorf, Cheysson sera jusqu’en 1952 un pourvoyeur d’informations hors hiérarchie très utile, mais souvent très irritant parce que livrant au Haut-commissaire des informations généralement positives et entrant en contradiction avec l’image sombre et inquiétante de l’Allemagne que s’est forgée l’ambassadeur dans les années trente et, comme on le verra, à laquelle il éprouve de la peine à renoncer.
Les décideurs à Paris
34Depuis 1945, il y a eu à Paris plusieurs tendances dans la conception du traitement de l’Allemagne, ces tendances se côtoyant, se succédant, se recouvrant parfois. Pour simplifier, il y eut un mouvement où l’approche strictement punitive de l’Allemagne, couplée à l’expression de revendications maximalistes en Sarre, mais aussi en Rhénanie et dans la Ruhr, laissa progressivement la place en 1946-47, puis plus nettement encore après le coup de Prague de 1948, le blocus de Berlin et la négociation du Pacte atlantique, à l’abandon de revendications territoriales sur le Rhin, à un traitement plus bienveillant du voisin, à la poursuite de son contrôle par des structures collectives et à l’orientation de la rééducation et de la démocratisation vers la perspective d’une prise d’autonomie progressive. Mais il y eut aussi, dans cette même période et derrière le discours germanophobe qui faisait partie des « dix commandements de la politique intérieure française de l’après-guerre »45 des hommes politiques fixant des objectifs réalistes, et envisageant dès 1944/45 la future sécurité de la France à partir de conceptions où dominait le souci d’intégration tout en permettant le maintien d’une certaine hégémonie sur l’Allemagne. Dans le contexte de germanophobie générale en France, la catégorie des diplomates a été traversée par les différents courants de pensée dominants depuis une méfiance extrême envers l’Allemagne, nourrie de tous les souvenirs du siècle et axée, par compensation, sur la conservation d’un contrôle restrictif sur le voisin en matière économique et politique, jusqu’à une vision nouvelle tant de l’Allemagne en mutation que de la politique à adopter envers elle : cette évolution est sous-tendue en partie par la perception d’un contexte international modifiant les rapports ami-ennemi et en partie par la conviction que seule l’instauration de nouvelles relations avec une Allemagne nouvelle permettra d’éviter de retomber dans les catastrophes du passé.
35Au moment où s’installe le Haut-commissariat en Allemagne à l’été 1949, Robert Schuman a en moins d’un an fait évoluer la politique allemande de la France à petits pas dans le sens d’un « retour de l’Allemagne dans le concert des nations européennes à titre de partenaire égal »46. La crainte de brusquer l’Union soviétique y rencontrait le souhait de résister au communisme : certains préconisent encore en 1948 la plus grande décentralisation politique possible et même l’absence de suffrage direct en Allemagne dans le but de faire barrage au communisme - « et sans doute au nationalisme »47. D’autres diplomates mettent en avant la nécessité d’encadrer l’Allemagne dans une construction européenne qui permette à la fois de renforcer la partie occidentale de l’Europe contre le péril soviétique tout en conjurant l’éventuel danger que pourrait encore représenter l’Allemagne48. Si les deux fils principaux de l’action à mener en Allemagne, à savoir assurer la sécurité de la France et aider vraiment la démocratie à s’installer durablement en Allemagne, sont toujours tenus en même temps en main par ceux qui élaborent la politique de la France, la tension exercée sur l’un ou l’autre fil est inégale. A partir de 1949, la politique allemande de la France, reposant sur le trio ministre – direction d’Europe – Haut-commissariat, est plus conséquente, rompant avec les hésitations de Georges Bidault et avec la politique qui avait consisté à n’accepter des concessions que sous la contrainte et à contre-cœur au lieu de proposer des initiatives qui auraient moins coûté, à terme, en abandons49. Robert Schuman n’en est pas pour autant moins convaincu de l’existence d’un danger allemand et de la nécessité d’observer la plus grande vigilance, mais il mise sur le levier de la construction européenne pour résoudre le problème allemand, en proposant le « dérivatif puissant aux aspirations allemandes » que peut représenter l’organisation de l’Europe occidentale50. Demeurant à la tête du Quai d’Orsay de juillet 1948 à juillet 1953, Robert Schuman a orienté durablement la politique allemande de la France et l’a installée dans une direction sur laquelle son successeur (et prédécesseur) Georges Bidault ne reviendra pas.
36On ne peut retracer ici la carrière politique des deux ministres des affaires étrangères de la période, Robert Schuman et Georges Bidault51 mais seulement rappeler les grands traits de leur attitude à l’égard de l’Allemagne. De Robert Schuman le mosellan, né allemand et éduqué en allemand à l’époque où les départements de l’Est de la France sont Reichsgebiet, on conserve sûrement trop l’image d’Épinal de l’homme de l’Est, de l’homme des frontières appelé par sa biographie à être l’initiateur d’un rapprochement franco-allemand, tout comme on est tenté de conserver du plan qui porte son nom l’image idéale d’une initiative visant principalement à éviter une nouvelle guerre entre voisins. Si ces images comportent une part de vérité suffisamment positive pour être toujours rappelée, elles taisent que le rapprochement franco-allemand et l’enchevêtrement organique des industries du charbon et de l’acier, initiés par Schuman et Monnet, reposaient aussi sur la double perspective du contrôle de l’autre et de l’assurance de l’approvisionnement de la France en matières premières. Il n’en reste pas moins que le contrôle réciproque, l’acceptation de se laisser contrôler par le voisin pour pouvoir soi-même le contrôler, va constituer le fondement d’une construction visant à exercer une influence suffisante sur les sociétés pour assurer la paix de l’avenir. L’idée que la nouvelle relation avec l’Allemagne va accompagner la transformation du contrôle par des concessions réciproques est la base de cette politique que le Haut-commissariat français en Allemagne est chargé de suivre et d’appliquer sur place. La relation personnelle de Schuman et de Adenauer a été, elle aussi, souvent idéalisée par les témoins vantant l’entente de deux catholiques rhénans adoptant une perspective carolingienne de l’Europe. Elle sera souvent difficile, notamment sur la question sarroise, entre deux hommes pratiquant « l’art des allusions, du silence entendu et de l’évitement élastique »52.
37L’attitude de Georges Bidault à l’égard de l’Allemagne est moins positive que celle de Robert Schuman. C’est en particulier sur ce point qu’on a souvent opposé les deux ministres MRP (qui ont l’un et l’autre également été président du Conseil53), l’un étant plus atlantiste, l’autre plus franco-allemand dans l’approche de la construction européenne. Favorable à l’entente franco-allemande dans les années vingt, Georges Bidault est assez représentatif de l’évolution de son parti démocrate-chrétien tant face à l’Allemagne que face à l’idée européenne. Avant 1949, il a d’abord incarné les positions françaises les plus dures face au vaincu telles qu’elles étaient formulées en 1945-1946 : désarmement total, réparations et annexion, une sévérité néanmoins accompagnée de la volonté de promouvoir la démocratisation des institutions et des esprits en Allemagne. Il avait accompagné le général de Gaulle à Moscou en décembre 1944 et adhérait alors à la vision géopolitique française antérieure à la Première guerre et selon laquelle la sécurité de la France passait par une alliance avec la Russie contre l’Allemagne. Tout en initiant l’inflexion de la politique française en 1947 au moment de la doctrine Truman et en provoquant le renversement de la politique allemande de la France à l’issue de la conférence de Londres en juin 1948, Bidault a représenté une position dominante dans la France d’après-guerre, fondée sur l’idée que l’unité allemande est nocive et que se protéger de l’Allemagne nécessite de l’affaiblir politiquement et économiquement, si nécessaire par des confiscations et la création d’un glacis rhénan54. Le ralliement progressif de Bidault à l’idée européenne s’expliquerait par la nécessité de trouver un nouveau cadre pour contrôler l’Allemagne après l’abandon des revendications et l’échec de la politique française antérieure à la conférence de Londres. L’idée de continuer à contrôler l’Allemagne par d’autres moyens est donc une idée partagée par Bidault et Schuman. Néanmoins, l’édification de communautés européennes avec l’Allemagne comme partenaire a chez Bidault une dimension plus résolument défensive que chez Schuman qui est plus sensible à la portée historique d’une réconciliation franco-allemande55. Si certes Bidault a cherché dès 1947 à nouer des contacts avec Adenauer, si MRP et CDU sont parvenus à initier des rencontres régulières dans le cadre des réunions du Cercle de Genève, il n’en demeure pas moins qu’une méfiance, et au moins des réticences, demeurent du côté français56. Quand on compare en outre la qualité du contact personnel entre Adenauer et Schuman avec la paire Adenauer/Bidault, il apparaît que le Chancelier préfère indiscutablement être confronté à Robert Schuman. Les relations de François-Poncet avec Schuman sont également de bien meilleure qualité qu’avec Bidault57.
L’abondance de la correspondance
38La correspondance adressée au Département par le Haut-commissariat est inhabituellement volumineuse, comme en témoigne l’ampleur des archives. Cette abondance peut s’expliquer par la diversité des tâches incombant au Haut-commissariat qui est bien plus qu’une ambassade : outre l’information classique concernant l’évolution du pays et l’habituelle relation bilatérale, on y trouve l’information et les rapports d’activité portant sur la zone française en particulier ainsi que sur l’ensemble de l’État soumis au statut d’occupation. De ce point de vue, la correspondance illustre le rapport très déséquilibré entre la puissance occupante et l’objet de l’occupation.
39Mais elle trouve aussi son explication dans la personnalité du Haut-commissaire et son expérience. François-Poncet est un homme de l’écrit, attaché aux traditions de la diplomatie et au respect de sa terminologie, distinguant scrupuleusement l’objet du télégramme de celui de la dépêche58 et se pliant à l’exercice du rapport mensuel où il récapitule, à la fin d’un mois, les impressions accumulées au quotidien en les assortissant d’un jugement politique. Déjà lorsqu’il était ambassadeur à Berlin, François-Poncet était particulièrement prolixe, qualifiant lui même sa correspondance de « fort copieuse et qui, par sa masse, effarait ses destinataires », certaines dépêches ayant comporté « au mépris des convenances » de 20 à 30 pages59. En 1946, il a dit son amertume de ne pas avoir été écouté à Paris, ayant peut-être « trop crié ‘ au loup ! ‘ », mais regrettant que les ambassadeurs ne soient traités que comme « des préfets de l’extérieur ». En 1949, il entend bien, vu l’abondance de sa correspondance, ne pas être réduit à ce rôle d’un préfet de l’extérieur qui appliquerait aveuglément les directives venues de Paris. Et comme le note Bérard dans son journal, « François-Poncet a repris ses habitudes de Berlin » se pressant dès le matin de chiffrer et de faire partir son premier télégramme, « quitte à en préparer ensuite un second pour tenir compte d’éléments nouveaux, intervenus entre temps, qui lui sont signalés »60. Dans les archives, le nombre de messages rédigés dans la même heure à la même date, parfois sur le même sujet, est frappant. De son ambassade à Berlin dans les années trente, François-Poncet a écrit : « Je donnais de moi-même mon avis. On ne me le demandait jamais »61 ; à Godesberg, il fait manifestement de même.
40Cette continuité appelle plusieurs commentaires : le Haut-commissaire semble voir un parallèle entre la gravité de la situation en 1949 et celle des années trente qui avait justifié une correspondance si abondante ; il espère se faire mieux entendre des décideurs après la catastrophe de l’Allemagne et au cas où une nouvelle se préparerait. Il a, dans cette situation exceptionnelle, une haute idée de l’importance de son rôle, notamment parce que sa fonction nouvelle a plus de poids que celle d’un simple ambassadeur, et parce qu’il n’agit pas sans un certain mépris pour les hommes politiques dont il craint qu’ils puissent, comme dans le cas de Robert Schuman qu’il apprécie pourtant, avoir leurs propres moyens de contact en Allemagne. A l’inverse, on peut aussi s’interroger sur la diversité des intentions de Paris dans le choix de François-Poncet : son excellente connaissance de l’Allemagne (d’avant-guerre) et sa disposition à encourager une solution européenne de la question nationale allemande l’ont-elles emporté sur le caractère pesant de sa correspondance et de ses commentaires, ou bien ceux-ci faisaient-ils au contraire partie de l’approche voulue à Paris ? Le Haut-commissariat ayant au fond peu de contacts avec la population et la vie domestique allemandes et disposant de moyens d’investigation limités (presse, textes officiels et rapports des services de renseignements), il est légitime de penser qu’une approche dominante à Paris a été de ne pas chercher à tenir compte de l’avis des Allemands et à privilégier un rapport de tutelle exercé et incarné par cette figure qu’était André François-Poncet.
41Que cette tutelle et l’inégalité de statut soient particulièrement mises en évidence par la partie française de la Haute Commission alliée est attesté par de nombreux documents et témoignages. Lors des réunions de la Haute Commission, c’est souvent le Français qui a les mots les plus fermes, comme le 29 septembre 1949 où François-Poncet rappelle Adenauer à l’ordre en soulignant expressément la dissymétrie de la relation : « Cette nouvelle République est notre enfant. Vous vivez dans une liberté contrôlée et surveillée ». A plusieurs reprises, les collaborateurs de la Chancellerie et du Auswärtiges Amt créé en 1951 relèvent ce fait et se plaignent « du ton brutal et inamical » des notes rédigées sous présidence française, alors que sous présidence britannique elles étaient « presque sans exception courtoises »62.
42Cette attitude du Haut-commissaire français est-elle le simple reflet de la position de la France et l’expression d’une volonté de montrer explicitement le caractère inamical des rapports, ou bien est-ce le Haut-commissaire lui-même qui confère ce caractère à la position du gouvernement qu’il représente en Allemagne et face aux deux autres alliés ? On peut trouver un début de réponse à cette question en observant d’une part quels sont les interlocuteurs allemands des Français en Allemagne et d’autre part quelle signification est donnée au terme de nationalisme qui fonderait la méfiance et la vigilance françaises.
3) Fonctions et personnalités du côté allemand
43S’il y a aussi, dans le personnel politique allemand auquel sont confrontés les membres du Haut-commissariat français, plusieurs générations, on constate une nette prédominance de celle qui a connu déjà la Première guerre mondiale. Mais, notamment parce qu’en 1949 la proximité du nazisme fait qu’aucune classe d’âge n’échappe au soupçon, il semble que ce ne soit pas tant la question de l’âge des interlocuteurs allemands qui compte tellement dans la perception qu’on en a à Godesberg, mais bien plus leur origine géographique, perçue comme vraiment déterminante. Ainsi les origines rhénanes et catholiques de Konrad Adenauer posent-elles apparemment des difficultés de compréhension à André François-Poncet dans la mesure où, de par sa sensibilité, son expérience de l’histoire et sa culture, le Chancelier ne serait pas de ces « Prussiens » bien connus de l’ancien ambassadeur à Berlin. Ce type d’approche repose sur l’interprétation du rôle qu’auraient joué la Prusse et le protestantisme dans le « conditionnement » de l’Allemagne au nazisme. Les ravages auraient été d’autant plus grands que, selon les termes du Haut-commissaire, « le peuple allemand est, par nature, toujours inassouvi »63. Aussi le Haut-commissaire peut-il d’un côté apprécier et soutenir le projet du nouveau Chancelier de centrer l’Allemagne sur le Rhin et sur l’Europe de l’Ouest, en plein accord avec la vision qu’a Robert Schuman de l’avenir de l’Europe, et d’un autre côté être extrêmement défiant à son égard, le soupçonnant de jouer un double jeu et de cacher sa vraie nature d’Allemand derrière un masque d’Occidental. A l’inverse, il éprouve une réelle aversion pour le Prussien Schumacher dont il rejette les idées et la vision de la question nationale ; mais, en comparaison avec Adenauer, Schumacher pose moins de problèmes à François-Poncet car celui-ci éprouve moins de difficultés à le percer à jour.
Konrad Adenauer
44Le Chancelier, élu d’une seule voix de majorité au Bundestag après les élections législatives du 14 août 1949, demeure une énigme pour le Haut-commissaire français qui ne manque une occasion de décrire ses sautes d’humeur64. Il ne s’agit pas ici d’en faire un portrait détaillé ; on relèvera seulement qu’avec sa perception de la situation nationale de son pays, Konrad Adenauer a, a priori, de bonnes raisons de plaire aux représentants du gouvernement français en Allemagne.
45Indubitablement démocrate et chrétien, très sincèrement attaché aux valeurs humanistes de l’Occident, il partage de nombreuses craintes françaises face à l’Union soviétique mais aussi face à ses concitoyens en Allemagne même. Convaincu que l’histoire de son pays a été le produit d’une trop grande étrangeté de l’évolution de l’Allemagne par rapport à ses voisins de l’Ouest européen, Adenauer choisit d’ancrer son pays sur la partie occidentale de l’Europe : mais cette politique est loin de ne reposer que sur ce qu’on pourrait appeler du pragmatisme face à la situation géographique et politique issue de l’antagonisme idéologique en Europe après la guerre, autrement dit le choix de fonder un Etat croupion sur la base des trois zones occidentales, en attendant mieux. Cette politique s’appuie aussi sur la conviction d’Adenauer qu’il est indispensable d’arrimer l’Allemagne à une Europe unifiée qui serait un bastion de la tradition et de la culture chrétiennes contre le communisme. Il faut déplacer le centre de gravité de l’Allemagne vers l’Ouest65. Cette vision rencontre les vœux du gouvernement français et particulièrement du ministre des Affaires étrangères Schuman et il est patent que le quai d’Orsay a soutenu Adenauer, notamment au moment du choix de la capitale fédérale. En faisant réquisitionner, en zone française à la limite de Bonn, le château d’Ernich qui deviendra la résidence du Haut-commissaire, et en faisant l’acquisition, à Bad Godesberg en zone anglaise, de l’hôtel Dreesen, qui deviendra le siège du Haut-commissariat, avant même le vote sur la capitale, la France fit un pari sur la victoire de Bonn contre Francfort, mais elle contribua aussi par là à renforcer la position de Adenauer qui en fut ravi et utilisa cet argument pour emporter la décision. La France de Schuman a au moins deux bonnes raisons de soutenir le vieil homme : son choix pour l’Ouest et sa volonté de modifier les liens avec la France. Dans son premier discours devant le Bundestag le 20 septembre 1949, Adenauer fait certes clairement comprendre que l’un des objectifs majeurs de son gouvernement est d’élargir progressivement l’espace de compétence alloué aux Allemands par un statut d’occupation qui est « tout sauf idéal » ; mais l’aspiration se double d’un hommage aux puissances occupantes et d’une profession de foi : « il ne fait pour nous aucun doute que, de par nos origines et nos convictions, nous faisons partie du monde de l’Occident européen »66. Et comme si le message n’était pas assez clair, il précise que tout en souhaitant avoir de bonnes relations avec tous les pays, son gouvernement favorisera celles avec les voisins occidentaux et plus particulièrement avec la France car « l’antagonisme franco-allemand qui a dominé la politique européenne pendant des siècles et a provoqué tant de guerres, de destructions et de sang versé, doit être définitivement éliminé ».
46La question nationale apparaît, dans ce projet d’Adenauer, beaucoup plus dans la dimension de la souveraineté à reconquérir, dans celle du retour à l’égalité en droit, tandis que la politique visant à rétablir l’unité nationale semble passer au second plan. Plus exactement, la perspective de parvenir à une réunification est soumise chez Adenauer à la condition absolue du maintien de la liberté et de la sécurité de l’Allemagne, ce qui passe par l’arrimage très ferme de la République fédérale au bloc occidental au moyen de son intégration dans un système collectif. Ces éléments concourent à définir une stratégie qu’on peut qualifier de nationale et dans laquelle la modification des relations avec les Alliés occidentaux trouve une place logique. Aussi n’est-il pas surprenant d’entendre le Chancelier parler dès septembre 1949 « d’intérêts nationaux » devant s’agencer le plus harmonieusement possible avec ceux des voisins. Aussi y a-t-il plus de complémentarité que de hiérarchie entre les trois objectifs majeurs du Chancelier : assurer la sécurité de l’Europe de l’Ouest face à la menace soviétique, normaliser les relations entre Français et Allemands et retrouver souveraineté et influence. Il faut cependant en ajouter un quatrième, non moins essentiel : obtenir l’égalité des droits et un droit de parole pour empêcher que les Alliés de la guerre, et notamment Soviétiques et Français, puissent conclure un accord sur l’avenir national sans l’avis et aux dépens de l’Allemagne.
47Si Konrad Adenauer entend être et est réellement la figure dominante du gouvernement nouvellement formé en 1949, s’il monopolise les contacts avec les Hauts-commissaires et s’il parvient à obtenir la création d’un ministère des Affaires étrangères en cumulant cette nouvelle fonction avec celle de Chancelier jusqu’en 1955, il n’en est pas moins entouré de ministres dans un cabinet dont la composition est le résultat d’un compromis. Après le résultat des élections au Bundestag qui virent arriver en tête les deux principaux partis CDU/CSU avec 139 sièges (31 % des voix) et SPD avec 131 sièges (29,2 %), plusieurs combinaisons gouvernementales ont été possibles, d’autant plus que de nombreux autres partis sont représentés, ayant obtenu, ensemble, 39,8 % des voix. Après d’âpres négociations, le chef de la CDU parvient à former, selon ses vœux, un gouvernement de coalition avec le FDP et le DP (Parti allemand). La composition de cette coalition gouvernementale est l’objet de jugements négatifs au sein du Haut-commissariat où tous ne partagent toutefois pas le même avis. François-Poncet regrette ouvertement que la CDU n’ait pas eu, selon ses termes, la « sagesse » de poursuivre avec les sociaux-démocrates la coopération qui permit l’adoption de la Loi fondamentale et que Adenauer ait refusé de former une grande coalition avec le SPD67. Il trouve surtout regrettable que la CDU ait dû se plier à la nécessité d’élargir sa coalition au DP jugé nationaliste et réactionnaire. Il est vrai que ce parti est loin de rassembler les forces les plus progressistes du pays et que son programme est résolument conservateur et anti-socialiste68. Le Haut-commissaire n’y voit qu’un repère d’anciens nazis à l’affût de l’occasion de détruire la démocratie. Dès 1949 se pose ainsi une question fondamentale que François-Poncet ne soulèvera qu’à la fin de la période étudiée ici : celle de la possibilité d’une intégration réussie des anciens électeurs nazis au système démocratique de l’Allemagne fédérale. C’est Bérard qui entrevoit cette perspective, notant que c’est au contraire la formation d’une grande coalition qui aurait pour effet de renforcer les petits partis réactionnaires de droite, rejetés seuls, avec les communistes, dans l’opposition69. François-Poncet voit dans cette coalition libérale-conservatrice principalement un danger de débordement du Chancelier par ses alliés de droite. C’est cet argument qu’il met en avant dans sa correspondance destinée au ministre Schuman alors que celui-ci, qui était également favorable à une grande coalition CDU-SPD, y aurait surtout vu un intérêt économique dans la perspective d’un probable chômage70. Malgré le souhait du social-démocrate Carlo Schmid de former une grande coalition avec les chrétiens-démocrates afin d’éviter que l’un des partis puisse être taxé de parti de l’occupant71, une telle solution est cependant irréaliste car ni Adenauer n’en veut, ni non plus le chef du SPD Schumacher pour qui l’un des péchés du parti social-démocrate a été d’avoir participé à des coalitions avec l’ennemi de classe à l’époque de Weimar et qui n’envisage à l’avenir de participer à des coalitions que si le SPD en prend la direction72.
48Ce gouvernement comporte aussi des personnalités dont la ligne, au sein même de la CDU, diverge de celle du Chancelier.
Jakob Kaiser
49Jakob Kaiser est de ceux-là et c’est une personnalité-clé pour la question nationale en Allemagne fédérale ainsi que, par suite, pour le jugement porté par les occupants français sur les différents aspects de cette question. Il est, dans les premier (1949) et deuxième (1953) gouvernements Adenauer, « ministre chargé des questions touchant l’Allemagne dans son ensemble » - dont la dénomination étrange renvoie, avec le qualificatif gesamtdeutsch, à cette Allemagne entière évoquée dans le texte de Potsdam et dont l’existence perdure malgré la réalité de la division. Par définition, Kaiser est le ministre de la division, mais aussi le ministre de la négation et du refus de cette division. Chrétien-démocrate comme Adenauer, il se distingue de lui d’une part en représentant au sein de la CDU la branche de la zone soviétique et d’autre part par son passage dans la résistance active contre le régime hitlérien et par sa proximité avec la classe ouvrière. Agé de 61 ans en 1949, il a derrière lui une longue carrière dans les rangs du syndicalisme chrétien. Membre du Zentrum dans l’entourage de Stegerwald et Brüning, il a été député dans le dernier Reichstag de Weimar. Arrêté pour haute trahison par les nazis en 1938 et incarcéré pendant six mois, il a été membre du groupe du 20 juillet 1944 dont il représenta l’aile ouvrière et syndicale. Après l’attentat manqué contre Hitler, il resta plusieurs mois caché dans une cave avant de participer en 1945 à la création de la CDU dans la zone soviétique et de la centrale syndicale FDGB dès que l’occupant y autorisa la formation d’organisations démocratiques. Premier président de la CDU dans cette zone, il refusa sa participation au Volkskongreβ fin 1947, fut démis de ses fonctions par l’administration militaire soviétique en décembre et interdit de parole en janvier suivant. S’installant à Berlin-Ouest, c’est en représentant de cette ville qu’il participa au Conseil parlementaire et fut élu député au premier Bundestag le 14 août 1949. Au sein de la CDU de l’Allemagne fédérale, Kaiser passe pour un représentant de l’aile gauche et syndicale, favorable à une grande coalition avec le SPD73, et est clairement un concurrent de Adenauer.
50Ce n’est pas un hasard si c’est précisément à Jakob Kaiser que le Chancelier confie ce ministère très particulier dans le gouvernement qu’il forme à la fin de l’été 1949. En effet, Kaiser est non seulement originaire de l’Est et connaît d’expérience les dirigeants est-allemands ainsi que l’occupant soviétique, mais il va être aussi et surtout appelé, dans ces nouvelles fonctions, à traiter une matière que, par définition, il ne peut maîtriser : en effet, une modification de la situation de « l’Allemagne dans son ensemble » dépend en pratique et donc en priorité de l’Union soviétique et de la RDA nouvellement créée, et en théorie, c’est à dire juridiquement, des seuls Alliés. Aussi Kaiser se voit-il confier un ministère incarnant la situation schizophrène dans laquelle est la République fédérale et qui trouvera une autre expression caractéristique dans le choix du 17 juin comme journée nationale en mémoire de l’événement matérialisant en 1953 la violence de la division et l’impuissance de l’Allemagne de l’Ouest à résoudre cette question nationale. Confier à Kaiser ce portefeuille revient a priori à le neutraliser en le cantonnant dans un rôle d’agitateur du problème national en direction des Alliés, de l’opinion internationale et surtout de l’opinion publique en Allemagne, de l’Ouest comme de l’Est74. Cependant, comme dans le cas de la Sarre, les prises de position de Jakob Kaiser sur la division ne vont pas être qu’utiles à Adenauer, au moins à court terme, et parfois le menacer directement en relayant et amplifiant les critiques formulées par l’opposition parlementaire contre un Chancelier qui négligerait les efforts en faveur de la réunification.
51Kaiser rejoint les différents opposants à Adenauer en ce qu’il place le rétablissement de l’unité nationale - dans un cadre et des conditions démocratiques - devant les autres objectifs politiques du pays et qu’il tend à considérer comme néfastes et condamnables les entreprises détournant les Allemands de cet objectif majeur ou le rendant moins accessible. Il n’est pas hostile à la politique de construction européenne et d’intégration de l’Allemagne fédérale à l’Occident, mais cet objectif ne peut à ses yeux être poursuivi que sur la base du refus de la division, ce qui signifie que toutes les tentatives de rétablissement de l’unité nationale doivent être envisagées et examinées, et qu’elles doivent précéder toute autre démarche. C’est ce qui explique qu’en mars 1952 il soit favorable à l’examen attentif des propositions de Staline, sans pour autant lâcher sur les frontières. Il reste fidèle aux obligations qu’il avait définies pour les Allemands en 1947 : « Ce n’est pas nous qui sommes responsables de la division de l’Allemagne en quatre zones. Mais nous commençons à être coupables à partir du moment où nous nous accommodons de la division »75 ; le terme provisoire était même un commencement d’abandon.
52Le cœur de la vision de Kaiser pour résoudre la question nationale a été dès 1946-47 l’image du pont entre l’Est et l’Ouest incarné par une Allemagne pouvant réaliser la « synthèse », y compris idéologique, des réalités du continent européen. Cette vision du pont permettant de faire la jonction et le passage entre l’Est et l’Ouest a une dimension géographique plaçant le cœur de l’Allemagne au centre du continent – et non pas sur le Rhin comme l’envisage Konrad Adenauer. Aussi n’est-il pas surprenant de voir l’opposition entre le Chancelier et le ministre se manifester à chaque étape de l’intégration de la République fédérale à l’ensemble occidental. Cela n’empêche pas Jakob Kaiser de soutenir une politique de fermeté à l’égard de l’Union soviétique et d’accepter une participation de la République fédérale à la défense occidentale. Cependant, parce qu’il est convaincu qu’une solution à la question nationale ne peut être trouvée qu’en accord avec l’Union soviétique et parce qu’il doute de la réelle disposition des Occidentaux à favoriser une réunification, il reste fidèle à son idée du pont avec la priorité accordée aux intérêts allemands. Il déclarait en 1947 : « aux ordres ni de l’Est, ni de l’Ouest, mais à ceux de la voie de l’Allemagne et du peuple allemand »76. Ce type de propos le rend suspect de nationalisme, notamment lorsqu’il exprime une idée qu’il partage avec le Chancelier mais sans les implications qu’elle a pour Adenauer dans l’ensemble européen : la République fédérale n’aurait de légitimité à exister que dans la perspective de la réunification. C’est dans cette perspective que s’inscrit la création en 1954 de l’association l’Allemagne indivisible (Kuratorium Unteilbares Deutschland) visant à entretenir un sentiment national dans la population allemande. La grande tension des relations entre Kaiser et Adenauer est sensible dans leur correspondance, chacun se plaignant de l’attitude de l’autre et le Chancelier insistant toujours sur la tendance de Kaiser de vouloir faire cavalier seul et notamment d’aborder publiquement les questions Est-Ouest77. Le désaccord sera particulièrement net lorsque Kaiser s’abstiendra lors de l’acceptation des accords sur l’Allemagne par le Cabinet fédéral78.
Les autres ministres « sensibles »
53Représentant du parti libéral FDP au sein de la coalition gouvernementale, le ministre de la Justice Thomas Dehler est, à plusieurs reprises au cours des années étudiées ici, à l’origine d’incidents entre le gouvernement fédéral et les Hauts-commissaires. Ce n’est pourtant pas non plus le passé de Dehler sous le régime national-socialiste qui les provoque : ce juriste, âgé de 52 ans en 1949, s’est engagé dès 1919 dans le libéralisme en Bavière (DDP) et a participé en 1924 à la création de la ligue démocratique Bannière d’Empire Noir, Rouge et Or. Retiré entre 1933 et 1945, il a été plusieurs fois arrêté et a entretenu des contacts avec le groupe de résistance de Goerdeler. Élu président du FDP en Bavière en 1946 et membre de premier plan du Conseil parlementaire, il est avec le président fédéral Theodor Heuss l’une des personnalités majeures du parti libéral fondé après la guerre. C’est en revanche en raison de prises de position assez brutales et sans nuances sur la politique des Alliés ou sur des choix de Adenauer, notamment face à la note de Staline de 1952, que Dehler s’attire les foudres des Hauts-commissaires. Ainsi fait-il naître une réelle inquiétude en janvier 1950 en tenant des propos jugés inadmissibles sur les vraies responsabilités dans le déclenchement de la guerre. Ne redoutant pas de s’opposer au chef du gouvernement, son engagement passionné pour la cause de la réunification repose au fond sur une fidélité un peu naïve au concept de Reich allemand et il s’accroche, en juriste, à la théorie de sa pérennité. Dans le cadre des négociations pour la révision du statut d’occupation en 1951 et jusqu’à la signature en mai 1952 du traité sur l’Allemagne, Dehler va contester, aux côtés de Jakob Kaiser et du vice-chancelier libéral Franz Blücher la clause III de l’article VII du texte concernant la confirmation des engagements internationaux de l’Allemagne dans le cas d’une réunification.
54C’est quelques années plus tard qu’il formulera le plus brutalement son amertume face à la politique de Adenauer sur la question nationale et à ses effets négatifs pour la conscience nationale en Allemagne79 ; Dehler étayera la thèse de la « chance qu’on a laissé passer » avec le rejet de la proposition de Staline en 1952 et accusera le Chancelier d’avoir favorisé en Allemagne fédérale l’éclosion d’un discours convenu sur la réunification sans entreprendre quoi que ce soit pour la faciliter. En outre, ses interventions contre une possible européanisation de la Sarre, envisagée au printemps et à l’automne 1952, le placent dans la ligne de mire de critiques du Haut-commissariat français, notamment lorsqu’il déclare le 20 octobre 1953 : « nous revendiquons les territoires orientaux de l’Allemagne et la Sarre et nous pouvons pour cela nous référer à la charte des Nations Unies et aux principes qui y sont fixés »80.
55Le ministre de l’Intérieur Gustav Heinemann provoque lui aussi le souci des observateurs français en Allemagne, non pas parce qu’il propagerait des idées irrédentistes, mais bien plutôt parce qu’il apparaît comme le chef de file d’un mouvement neutraliste en Allemagne fédérale, entretenant notamment des liens avec le pasteur Niemöller, dirigeant de l’Église évangélique de la Hesse. Ce juriste et économiste, originaire de la Ruhr et né en 1899, est un chrétien engagé dans l’organisation des églises protestantes en Allemagne. De 1933 à 1945 il a été membre de l’Église Confessante hostile au nazisme et il assume après la guerre des fonctions importantes dans l’EKD, qui regroupe toutes les Églises évangéliques en Allemagne, y compris en RDA ; il en est président du synode pour l’Allemagne entière entre 1949 et 1955. Heinemann a été l’un des signataires de la déclaration de Stuttgart par laquelle l’EKD reconnut la part de responsabilité des Églises évangéliques dans l’installation du nazisme. Maire de Essen en 1946 et ministre fédéral de l’Intérieur en 1949, il entre en conflit avec le Chancelier pendant l’été 1950 au moment où les opposants à la participation allemande à un système de défense occidental s’insurgent de voir Adenauer laisser les Alliés prendre le dossier en main81. Il démissionne en octobre 1950 et quitte la CDU en 1952, aussi parce que le parti chrétien-démocrate s’est éloigné de la dimension sociale qui était encore sensible dans le programme de Ahlen en 1947 et dont Heinemann représentait la sensibilité. Il restera l’objet d’une attention particulière des services d’occupation qui le perçoit, avec son Groupe d’assistance pour la paix de l’Europe qu’il fonde en 1951, comme un agitateur.
56Les occupants sont confrontés à une palette de sensibilités et de revendications à composante nationale et le fait que ces personnalités se trouvent régulièrement en opposition avec le Chancelier et puissent, à l’occasion, faire pression sur lui, ajoute une dimension dramatique à la perception de la coalition gouvernementale. Le Chancelier Adenauer sachant à l’occasion arguer de cette situation pour tenter d’obtenir plus des Alliés et agitant lui-même le chiffon rouge du danger nationaliste, on trouve réunis les éléments d’une vision angoissante de l’avenir de la République fédérale.
Kurt Schumacher et Carlo Schmid
57Les prises de position et le ton adoptés par Kurt Schumacher, le chef du principal parti d’opposition, le SPD, ne contribuent pas à améliorer ce tableau. L’hostilité de Schumacher envers la politique gouvernementale, mais aussi envers les Alliés, se cristallise, jusqu’à sa mort en août 1952, sur la politique de rapprochement avec les voisins occidentaux et sur l’intégration de la République fédérale à l’ensemble ouest-européen, que le chef social-démocrate considère comme une trahison à la cause nationale. Cette hostilité souvent bruyante et violente a parfois été expliquée par l’histoire personnelle et familiale du chef de l’opposition, ses origines prussiennes ayant marqué une vision du monde le distinguant fondamentalement du Rhénan Adenauer. Mais elle est aussi fondée sur une évaluation, différente de celle de Adenauer, des possibilités concrètes s’offrant à une nouvelle politique étrangère allemande82.
58Originaire de Kulm sur la Vistule, Kurt Schumacher a conservé de la Première guerre mondiale des blessures et l’amputation d’un bras qui le feront souffrir sa vie durant et auxquelles s’ajouteront les séquelles de ses séjours en camp de concentration pendant les années nazies et l’amputation d’une jambe à la fin de la Seconde guerre mondiale. Docteur en droit public, il adhéra dès 1918 au SPD et se révéla dans ses articles et discours un adversaire de tous les extrémismes. Élu en 1930 au Reichstag, il prononça en février 1932 sa célèbre condamnation du national-socialisme, qu’il qualifia d’« appel constant au salaud dans l’homme »83, ce qui lui valut un an plus tard d’être arrêté par les nazis et envoyé en prison et en camp où il resta dix ans. Dès la fin des hostilités, il recréa le SPD en rassemblant les groupes sociaux-démocrates des zones occidentales autour de son « bureau » de Hanovre. Reconnu début octobre 1945 comme chef et porte-parole du parti, puis élu président du SPD lors du premier congrès d’après-guerre en mai 1946, il imposa sa vision et son rejet de toute collaboration avec les communistes, dénonçant la fusion du SPD avec le KPD en zone soviétique. Ce rejet du communisme contribua à donner au SPD occidental les fondements à partir desquels il se développera dans le respect des valeurs de liberté de l’État de droit. Dès les premiers signes de la division réelle du pays, le chef social-démocrate proclama, en mai 1947, à l’encontre du parti pro-soviétique SED, que « la social-démocratie ne cesserait jamais de se battre pour l’unité de l’Allemagne », qu’elle n’était « pas anti-russe, mais pro-allemande »84. Fidèle à cette maxime, Kurt Schumacher imposa à son parti une position extrêmement rigide face à tout progrès de l’ancrage de République fédérale à l’Ouest puis de la construction européenne. Dénonçant dès 1948 le diktat des Alliés dans le processus menant à la fondation de la République fédérale et réclamant d’abord l’égalité en droit pour son pays et l’indépendance nationale, il condamne, fin 1949, les accords du Petersberg et l’adhésion de la République fédérale à l’Autorité de la Ruhr : cette politique, en plaçant l’industrie allemande sous contrôle international et en ne favorisant selon lui que les intérêts de classe des grands industriels, reviendrait à trahir le peuple allemand en l’éloignant de ce qui devrait légitimement demeurer son objectif suprême, le rétablissement de l’unité nationale.
59Cette position de principe, alliée à une attitude et un ton jugés désagréables, voire insupportables, par ses propres amis politiques, font de Kurt Schumacher le support de toutes les craintes des alliés occidentaux et, au premier chef, des Français qui l’ont longtemps interdit de parole dans leur zone85. Les propos de Schumacher, renvoyant par exemple dos à dos Soviétiques et Américains pour affirmer poursuivre uniquement les intérêts nationaux du peuple allemand, font sursauter également les trois Alliés occidentaux : « Il n’est pas vrai qu’il n’existe qu’une alternative, être soit le satellite des Soviets, soit le vassal de l’Ouest. Nous les sociaux-démocrates, nous ne laissons fixer notre politique que par les intérêts vitaux de l’ensemble du peuple allemand »86. Ce qui amène la formule : « Nous sommes des sujets comme les autres et non pas des objets dans les mains d’autres »87.
60Il faut au SPD un Carlo Schmid pour tenter de réparer les faux-pas et les scandales provoqués par le chef de file des sociaux-démocrates. Ce professeur de droit et de sciences politiques de Tübingen, aux origines familiales franco-allemandes, est connu des Français depuis les premières années d’occupation et globalement apprécié d’eux. Moins dogmatique que Schumacher, représentant de la tradition réformiste du parti, hostile à la planification de l’économie et favorable à la transformation du SPD en un parti travailliste à forte composante syndicale, Schmid a soutenu et porté le processus de création de la République fédérale au sein du Conseil parlementaire : c’est souvent en passant outre les avis de Schumacher, qui tentait de freiner le processus depuis son lit de malade, que Schmid a fait participer activement le SPD à l’élaboration de la Loi fondamentale. Si Carlo Schmid a servi de conseil juridique auprès de la Oberfeldkommandantur de Lille pendant la guerre, il ne s’est pas compromis avec le régime qui l’avait mis sur la touche avant le début du conflit, lui qui avait qualifié la théorie des races de « philosophie de vétérinaire ». Rallié au SPD en 1945, il en assura la présidence dans le Land de Württemberg-Hohenzollern en zone française et fut élu au Bundestag en 1949. Considérant Carlo Schmid comme le rival de Schumacher, les Alliés sont déçus qu’il n’en soit pas le successeur lorsque Erich Ollenhauer est élu à une majorité écrasante au congrès de Dortmund en septembre 1952. Même si d’aucuns le considèrent comme versatile et si François-Poncet dit de lui que « c’est un bohémien »88, Schmid est apprécié des Alliés parce qu’il refuse d’adopter une attitude de confrontation avec le gouvernement fédéral et parce que ses positions sur la question nationale sont moins radicales que celles de Schumacher. Plus ouvertement favorable à l’intégration aux structures occidentales, il soutient très activement la construction de l’Europe au sein du mouvement Europa Union dont il est élu vice-président en 1949 à côté d’Eugen Kogon. Aussi s’attache-til au début des années cinquante à chercher les contacts avec l’entourage de Adenauer afin de tenter soit d’influencer les choix de politique étrangère, soit de trouver une ligne commune à la majorité et à l’opposition face aux Alliés. Ce sera notamment le cas sur le dossier de la Sarre, lors de la signature des conventions en 1950. Car, tout en cherchant à avoir des relations de qualité avec les puissances occupantes, Carlo Schmid aspire à une solution équitable de la question sarroise et à un retour rapide de l’Allemagne fédérale à la souveraineté, afin d’éviter l’émergence de ce qu’il appelle un « nationalisme de chien attaché par une chaîne »89.
Les collaborateurs de Adenauer
61C’est par le biais de Herbert Blankenhorn que Carlo Schmid tente d’intervenir sur les choix de politique étrangère de Adenauer, ce dernier approuvant d’ailleurs que son principal collaborateur soit en contact régulier avec un social-démocrate qui ne soit pas Schumacher et qui puisse accorder le soutien du SPD à la politique gouvernementale. Herbert Blankenhorn, qui passe pour le jeune spiritus rector de Adenauer (il est âgé de 45 ans en 1949), est non seulement une figure centrale de l’entourage du Chancelier mais aussi une personnalité très importante pour les relations entre le gouvernement et les Hauts-commissaires. D’abord secrétaire général de la CDU en zone britannique et attaché parlementaire de Adenauer pendant les travaux du Conseil parlementaire, Blankenhorn prend la direction du Bureau de Liaison avec la Haute Commission alliée qui est créé à l’automne 1949 à la Chancellerie et qui va devenir, avec le Bureau pour la Paix de Stuttgart, l’embryon du futur ministère allemand des Affaires étrangères.
62Diplomate de carrière depuis 1929 et issu d’une famille de diplomates, le dynamique et bouillonnant Herbert Blankenhorn apporte à la fois expérience et entregent à Konrad Adenauer qui débute en politique extérieure. S’il semble avoir peu de convictions personnelles quant aux orientations fondamentales de la politique étrangère de la République fédérale, il va conseiller le Chancelier utilement dans la pratique, lui servir d’intermédiaire habile dans les négociations avec les Hauts-commissaires et activement participer à l’élaboration du Auswärtiges Amt en 1951. C’est dans l’exercice de cette mission qu’il s’attirera des critiques publiques : lui même ancien membre du NSDAP (il a adhéré en 1938), il va en effet recruter en majorité d’anciens diplomates de la Wilhelmstrasse, ce qui va amener le Bundestag à aborder en 1952 le problème de la continuité avec l’ancien régime90. A partir de la création du Auswärtiges Amt au printemps 1951, Blankenhorn va être chargé de la direction du Département des affaires politiques de ce ministère tout en conservant son bureau au palais Schaumburg à proximité du Chancelier (et ministre des Affaires étrangères) Adenauer. C’est dans cette fonction qu’il sera en contact presque quotidien avec Bérard et fréquent avec François-Poncet.
63Il reste à évoquer Walter Hallstein et Wilhelm Grewe, proches de Adenauer et très en contact avec les Hauts-commissaires. Walter Hallstein, professeur de droit et de sciences économiques de Francfort, ajoutant à ses connaissances techniques en matière juridique le double avantage d’avoir une expérience de séjours aux États-Unis et de ne pas s’être compromis avec le régime, est nommé en août 1950 secrétaire d’État à la tête de la Chancellerie, après avoir présidé la commission allemande dans les négociations du plan Schuman en juin 195091. Dans la hiérarchie de la Chancellerie, il est placé au dessus de Blankenhorn en charge des affaires étrangères et de Hans Globke aux affaires intérieures. Il deviendra secrétaire d’État au Auswärtiges Amt le 2 avril 1951, juste deux semaines après la création de celui-ci, et en assurera en grande partie la direction sous les ordres du Chancelier qui occupe officiellement les fonctions de ministre des Affaires étrangères. Distant mais courtois, froid et précis, sans préférence partisane affichée92, il est, face aux Alliés, un négociateur efficace. Et pourtant même ses collaborateurs se demanderont si Hallstein a eu une vision politique en matière d’unité nationale tellement il est difficile de trouver des discours, interviews, articles ou déclarations publiques où il ait abordé ce thème93. Pour lui, la réunification d’une Allemagne libre étroitement liée à une Europe intégrée et à l’Alliance atlantique n’est pas réalisable à moyen terme, on ne pourra l’atteindre que « par étapes. Pour pouvoir réaliser ce qui est possible, il faut d’abord renoncer à des choses que l’on souhaite et accepter des choses qui ne nous conviennent pas. Il faut avoir confiance en les vertus du temps qui passe »94. Un discours propre à convenir aux interlocuteurs français.
64Son collègue Wilhelm Grewe, également juriste, est chargé en 1951 de diriger la délégation allemande dans les négociations du traité devant mettre un terme au statut d’occupation. Restant volontiers dans l’ombre95, il va pourtant jouer un rôle non négligeable dans la formulation des compromis de ce traité. Après l’entrée en vigueur en 1955 des accords de Paris d’octobre 1954 et l’entrée de l’Allemagne dans l’OTAN, il prendra, à la direction du Département des affaires politiques du Auswärtiges Amt, la succession de Blankenhorn devenu ambassadeur de la République fédérale auprès de l’OTAN à Paris.
Notes de bas de page
1 Weber, Carlo Schmid, 1896-1979, p. 365.
2 Instructions à J. McCloy, 17. 11. 1949, Foreign Relations of the United States (FRUS), 1949, III, p. 319.
3 Kirkpatrick deviendra secrétaire d'État au Foreign Office et McCloy conseiller influent de plusieurs présidents, Grewe, Rückblenden, 1976-1951, p. 148.
4 Président de la Banque mondiale de 1947 à 1949, il sera un dirigeant de la Chase National Bank.
5 Juriste de formation, Donnelly est dans la diplomatie américaine depuis 1927. Conant, chimiste, est depuis 1946 membre du comité consultatif de la commission pour l’énergie atomique américaine.
6 Robertson connaît l’occupation en Allemagne : après la Première guerre mondiale, il a été l’aide de camp de son père, général commandant en chef des troupes britanniques d’occupation de la Rhénanie en 1919-1920. Kirkpatrick, Haut-Commissaire en Allemagne de 1950 à 1953, sera sous-secrétaire d’État au Foreign Office de 1953 à 1957.
7 Il prend la suite du maréchal Pétain à l’Académie Française, son discours en l’honneur de son prédécesseur est un exemple de rhétorique, François-Poncet présentant Pétain (dont il défend l’action jusqu’à novembre 1942) comme le bouclier et de Gaulle (qu’il n’aime pas) comme la lance, Discours de réception à l’Académie française, Bibl. FNSP, p. 93.
8 Adenauer, Erinnerungen 1945-1953, p. 234 ; Dehler, Zur Person, p. 65 ; Schwarz, Aufstieg, p. 672.
9 D. Bundestag., 20. 9. 1949.
10 RM 3. 5. 1955, Rapports, p. 1393.
11 C. Cheysson, entretien avec l’auteur, 15. 3. 2001.
12 François-Poncet à Schuman, 30. 9. 1949, MAE, Eur. 1944-60, All. 776, fo 228-233.
13 François-Poncet à Schuman, 29. 7. 1953, MAE, Eur. 1944-60, All. 777, fo 255-256.
14 Baring, Im Anfang war Adenauer, p. 112.
15 Cité par Hüser, Doppelte Deutschlandpolitik, p. 153.
16 Cheysson, entretien avec l’auteur, 15. 3. 2001.
17 François-Poncet, Carnets d'un captif ; Bock, Zur Perzeption, note 12 introduction.
18 François-Poncet à Adenauer, 14. 6. 1952, BA, NL Blankenhorn, N 1351, 10, fo 144. Aussi : Bock introduction aux Rapports mensuels, p. 15-77.
19 Espagne/Werner (dir.), Les études germaniques en France, p. 7.
20 Picard, Usages, p. 465-518.
21 Andler, Les origines du socialisme d'État en Allemagne, thèse d'État, 1897.
22 Hömig, Brüning, Kanzler in der Krise der Republik, p. 209,448, 554. Brüning n’aimait pas les sarcasmes de François-Poncet qui prenait Brüning, issu du Zentrum, pour un jésuite et un chauvin, p. 372.
23 François-Poncet, Souvenirs d’une ambassade à Berlin, p. 18.
24 François-Poncet, Réflexions d'un Républicain moderne, p. 67.
25 MAE, Le livre jaune français. Documents diplomatiques 1938-1939, Paris, 1939.
26 Dodd/Dodd (dir.), Ambassador Dodd’s Diary 1933-1938, p. 402 ; Adamthwaite, France and The Coming of The Second World War, 1936-1939, p. 152 et 286.
27 François-Poncet, Au Palais Farnèse, p 9. Il aurait continué à entretenir d’excellentes relations avec les dirigeants de l’Allemagne hitlérienne « ne manquant jamais, lorsqu’ils passaient à Rome, de venir me voir », p. 48.
28 Arrêté avec Albert Lebrun, détenu dans un château en Autriche avec Reynaud, Daladier, Jouhaux, Gamelin, Borotra notamment, puis retenu comme « hôte d’honneur » à l’hôtel Ifen à Hirschegg.
29 François-Poncet, Ambassade, p 14-15.
30 Citations in : Poidevin, Schuman, p. 209-228.
31 François-Poncet à Adenauer (12 et 16. 4. 1952), BA, NL Blankenhorn, N 1351, 11, fo 116-117.
32 Pour Brüning, les liens de François-Poncet avec l’industrie lourde française l’auraient poussé à conseiller la solution Papen, lettre à Curt Hoff, 29. 10. 1947, Briefe 1946-1960, p. 104.
33 Blankenhorn, Journal, 24. 2. 1955, BA, NL Blankenhorn, N 1351, 42a, fo 166.
34 François-Poncet, Farnèse, p. 81.
35 Annuaires diplomatiques ; Les affaires étrangères et le corps diplomatique français, tome 2.
36 Hüser, Doppelte Deutschlandpolitik, p. 348.
37 Le 7. 11. 1948, cité in : Poidevin, Schuman, p. 212.
38 Bérard à Bidault, 14. 11. 1947, Hüser, p 348.
39 Bérard à François-Poncet, 13. 11. 1948, Hüser, p. 349.
40 Cheysson, entretien avec l’auteur, 15. 3. 2001.
41 BA, NL Blankenhorn, N 1351. En partie in : H. Blankenhorn, Verständnis und Verständigung.
42 Blankenhorn, Journal, 10. 10. 1949, BA, NL Blankenhorn, N 1351, 1b, fo 32.
43 Direction Europe à Ambassade à Londres, 20. 7. 1949, MAE, Eur. 1944-60, All. 130, fo 6.
44 Hüser, Doppelte Deutschlandpolitik, p. 155 ; Maelstaf, Que faire, p. 123.
45 Wolfrum, « Französische Besatzungspolitik », in : Benz, Deutschland unter alliierter Besatzung, p. 60-72.
46 Note Direction Europe, 14. 7. 1948, MAE, Z Europe, All. 83.
47 Leusse à Massigli, citée par Maelstaf, Que faire, p. 136-137. La méfiance domine chez Leusse, Couve de Murville et Courcel, p. 141.
48 Par ex. Maillard, comme Sauvagnargues, sous-direction d’Europe centrale (ici SdEc).
49 Grosser, La IVe République et sa politique extérieure, p. 193-213.
50 Leusse, novembre 1948, cité par Poidevin, Schuman, p. 221.
51 Dalloz, Georges Bidault, biographie politique ; Schreiner, Bidault, der MRP und die französische Deutschlandpolitik ; Berstein/Mayeur/Milza (dir.), Le MRP et la construction européenne
52 Schwarz, Die Ära Adenauer, p. 92-93.
53 Georges Bidault a été ministre des Affaires étrangères de septembre 1944 à juillet 1948 (sauf un mois en décembre-janvier 1946-47), chef du gouvernement provisoire de juin à décembre 1946, président du Conseil d’octobre 1949 à juin 1950, ministre de la Défense d’août 1951 à mars 1952, ministre des Affaires étrangères de janvier 1953 à juin 1954. Robert Schuman a été ministre des Finances de juin à novembre 1946 et de janvier à novembre 1947, président du Conseil de novembre 1947 à juillet 1948, ministre des Affaires étrangères de juillet 1948 à décembre 1952 puis ministre de la Justice de février à décembre 1955 avant de devenir président de l’Assemblée parlementaire européenne.
54 Soutou, « Georges Bidault et la construction européenne, 1944-1954 », in : Berstein/Mayeur/Milza, MRP, p. 198 ; Dreyfus, « Les réticences du MRP face à l’Europe, 1944-1948 », in : ibid., p. 116.
55 Soutou, « Bidault », p. 217.
56 La confidentialité de ces rencontres serait due à la réticence du MRP à afficher en France à la fois leur dimension chrétienne-démocrate (alors qu’il gouverne avec des partis de tradition anticléricale) et une coopération avec des Allemands, incompréhensible pour l’opinion publique. Schreiner, « La politique européenne de la CDU relative à la France et au MRP des années 1945-1966 », in : Berstein/Mayeur/Milza, MRP, p. 276-277.
57 Adenauer manifesta sa joie que Schuman prenne la relève de Bidault au Quai en juillet 1948 Konrad Adenauer und die CDU in der britischen Besatzungszone, K. A. S. (Hrsg.), p. 521 et 539 ; Cheysson, entretien avec l’auteur, 15. 3. 2001.
58 Une dépêche est une synthèse de la vie politique, économique et sociale du pays, un télégramme rapporte des entretiens ou des événements saillants en appréciant les conséquences à en tirer, Les affaires étrangères, p. 821.
59 François-Poncet, Ambassade, p. 6. Aussi la Revue de Paris, 9. 1948, p. 1-15.
60 Bérard, Ambassadeur, p. 254.
61 François-Poncet, Ambassade, p. 12. Il s’est plaint de n’avoir été convoqué à Paris qu’une fois en neuf ans.
62 Böker à Dittmann, 14. 7. 1951, AA, Büro Sts., 267.
63 RM 31. 5. 1952, Rapports, p. 726.
64 Par ex. RM 20. 11. 1949, p. 200.
65 Plusieurs discours, par ex. Bamberg, 20. 7. 1952, Adenauer, Reden 1917-1967, p. 260-263.
66 Aussi à Berlin, 18. 10. 1952, ibid., p. 281.
67 RM 10. 9. 1949, Rapports, p. 186. Sur partisans et adversaires d’une grande coalition, Schwarz, Ära, p. 29.
68 Les ministres du DP sont Heinrich Hellwege, aux relations avec le Bundesrat, et Hans-Christoph Seebohm, aux Communications et Transports.
69 Bérard, Ambassadeur, p. 212.
70 Weber, Schmid, p. 404.
71 Schmid, Parlamentarischer Rat, 24. 02. 1949, p. 131. Une remarque prémonitoire, neuf mois avant que Schumacher ne qualifie Adenauer de « Chancelier des Alliés ».
72 Schumacher, 25. 8. 1945, in : Albrecht (hrsg.), Reden - Schriften - Korrespondenzen, 1945-1952, p. 269.
73 Adenauer le lui reproche, Adenauer à Kaiser, 12. 8. 1953, BA, NL Kaiser, 172, fo 25. Kaiser exprime son souci face à l’éloignement de la CDU par rapport à la classe ouvrière, Kaiser à Adenauer, 27. 8. 1953, fo 26.
74 D’autres ont vu dans le choix de Kaiser un alibi visant à satisfaire à bon compte ceux qui souhaitaient voir poursuivre une politique de réunification, Doering-Manteuffel, Konrad Adenauer-Jakob Kaiser–Gustav Heinemann in : Weber (hrsg.), Die Republik der fünfziger Jahre, p. 40. Il s’agit aussi d’un piège où enfermer Kaiser : voir la correspondance entre Adenauer et Kaiser où le Chancelier lui conseille de se cantonner à son domaine d’attribution. Par ex. 8. 1. 1953, NL Kaiser, 183, fo 84.
75 Berlin 16. 11. 1947, in : Mayer (Hrsg.), Jakob Kaiser. Gewerkschafter und Patriot, p. 355.
76 Berlin, 31. 5. 1947, in : Hacke (Hrsg.) Jakob Kaiser. Wir haben Brücke zu sein, p. 231.
77 Adenauer à Kaiser, 16. 6. 1953, BA, NL Kaiser, 172, fo 20.
78 Blankenhorn dit d’Adenauer qu’il « n’en peut plus de Kaiser » et qu’il « aimerait le changer le plus tôt possible ». (Journal, 4. 7. 1952, BA, NL Blankenhorn, N 1351, 13, fo 59).
79 D. Bundestag, 23. 01. 1958 in : Dehler, Bundestagsreden, p. 219.
80 D. Bundestag, 28. 10. 1953.
81 Kabinettsprotokolle der Bundesregierung, II (1950), p. 370.
82 Kleßmann, Doppelte Staatsgründung, p. 227.
83 Reichstag, 23. 2. 1932, in : Steinbach/Tuchel (Hrsg.), Widerstand in Deutschland 1933-1945, p. 25-27.
84 Radio Francfort, 31. 5. 1947, in : Reden – Schriften, p. 522.
85 Weber, Schmid, p. 325.
86 RIAS, 15. 7. 1952, in : Reden – Schriften, p. 968.
87 7. 8. 1951, in : Scholz/Oschilewski (Hrsg.) Kurt Schumacher, Reden und Schriften, p. 505.
88 Blankenhorn, Journal, 23. 11. 1949, BA, NL Blankenhorn, N 1351, 2, fo 113-114.
89 « Deutsche und Franzosen » in : Münchener Merkur, 19. 7. 1948.
90 Voir la cinquième partie.
91 Loth/Wallace/Wessels (Hrsg.) Walter Hallstein – der vergessene Europäer ?
92 Il adhérera plus tard à la CDU.
93 Grewe, „Hallsteins deutschlandpolitische Konzeption“, in : Loth/Wallace/Wessels, Hallstein, p. 57. Hallstein, Der unvollendete Bundesstaat ; Hallstein, Die Europäische Gemeinschaft.
94 Automne 1951 selon Schmid, Erinnerungen, p. 514.
95 Il sera l’initiateur de la doctrine Hallstein en 1955, Grewe, „Konzeption“, p. 58-59 ; Rückblenden, p. 251.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les entrepreneurs du coton
Innovation et développement économique (France du Nord, 1700-1830)
Mohamed Kasdi
2014
Les Houillères entre l’État, le marché et la société
Les territoires de la résilience (xviiie - xxie siècles)
Sylvie Aprile, Matthieu de Oliveira, Béatrice Touchelay et al. (dir.)
2015
Les Écoles dans la guerre
Acteurs et institutions éducatives dans les tourmentes guerrières (xviie-xxe siècles)
Jean-François Condette (dir.)
2014
Europe de papier
Projets européens au xixe siècle
Sylvie Aprile, Cristina Cassina, Philippe Darriulat et al. (dir.)
2015