Chapitre 3. Auteurs et lecteurs
p. 63-72
Texte intégral
1Le RST est de ces genres de discours pour lesquels l’instance auctoriale se révèle particulièrement complexe. Il n’est pas facile de répondre à la question : qui est l’auteur d’un RST ? Le texte est signé par tous les membres du jury, mais si tous les membres du jury signent, la responsabilité du verdict est collective, elle n’est pas décomposable. Ce n’est qu’une manifestation d’une structure énonciative banale dans le discours juridique, qui repose entièrement sur ce type de jeu sur les parties et le tout : un texte censé émaner d’une collectivité (« l’État », « le tribunal », « la cour », « la société X », etc.) est signé par un individu, qui représente le groupe, ou par tous ses membres, mais le responsable du texte est le groupe.
2Dans le cas du RST, ce fonctionnement est compliqué par ses conditions de fabrication. En effet, le sujet collectif qui se présente comme son responsable n'est pas matériellement celui qui fabrique le rapport, qui n’est pas non plus un tiers (quelque officier de justice), mais un des membres du jury, mandaté par ce même jury. Ce « scripteur » n’est pas véritablement anonyme puisque – à condition toutefois de connaître les règles tacites du genre de discours, qui sur ce point ne sont pas sans varier – le rôle qui lui est dévolu dans la composition du jury permet de l’identifier. Il est donc en quelque sorte ouvertement caché. Ce qui ne manque pas d’être révélateur d’un genre de discours dont les arcanes ne sont accessibles qu’à ceux qui sont familiers du monde dont il participe.
3En fait, la situation est encore plus complexe : certes, l’ensemble des membres du jury signe l’ensemble du RST, mais chacun pris individuellement est également responsable d’une seule partie de ce texte, celle qui rapporte sa propre intervention. Ainsi, chacun est solidaire d’une décision indivisible lors de la décision finale (« Après en avoir délibéré, le jury la déclare digne du titre de... et lui accorde la mention... »), mais aussi divisible au niveau de chaque intervention (« Monsieur X prend alors la parole pour souligner... »). On a affaire à une position auctoriale qui joue sur trois niveaux :
- À un premier niveau, celui des parties du RS, chaque membre du jury n’est responsable que de l’intervention qui lui est nommément attribuée dans le texte (« M. X intervient alors et... ») ; il y intervient comme sujet évaluateur.
- À un second niveau, celui du tout, le jury considéré comme indécomposable est responsable de l’ensemble du RST. Chacun est alors co-évaluateur.
- À un troisième niveau ce texte est rédigé par un rédacteur individualisé, qui ne se distingue pas des autres signataires, mais dont l’identité est inférable des normes en vigueur dans la discipline concernée. Ce rédacteur à la fois anonyme et identifiable n’a pas un rôle d’évaluateur, mais un double rôle de narrateur de la soutenance et d’agenceur du texte (il recueille et ordonne les interventions, fait apposer les signatures, présente matériellement le texte, lui adjoint un paratexte, qui spécifie son statut pragmatique et les circonstances de la soutenance).
4Nous avons distingué dans le « rédacteur » le rôle de narrateur et celui d’agenceur ; « l’agenceur » organise le texte comme une unité matérielle conforme aux normes de l’institution, le « narrateur » transforme les interventions orales de la soutenance en étapes d’un récit. En effet, au lieu de seulement mentionner les paroles, il les enchâsse dans une succession d’actions : « M. X intervient alors et déclare que... », « Mme Y intervient pour souligner... ». En fait, aujourd’hui ce rôle n’est pas nécessairement tenu par le seul « rédacteur », mais le plus souvent est réparti entre les différents membres du jury, qui sont donc en même temps co-narrateurs de leur propre intervention. La production du RST, on l’a dit, est en effet passée par deux phases successives :
- La situation traditionnelle était celle d’un rédacteur unique qui était à la fois « agenceur » et « narrateur » ; il synthétisait l’ensemble des interventions dans un rapport qu’il montrait ensuite aux autres membres du jury et qu’il leur faisait signer. Dans ce cas le texte était en général homogène (sans espace blanc ni variété de police ou de taille de caractère).
- Par la suite, le rédacteur s’est contenté d’être un simple « collationneur », qui juxtapose, dans l’ordre de la soutenance, les rédigées par les divers membres du jury (y compris la sienne propre) et leur fait signer le tout. Cette simplification n’est possible que si les membres du jury acceptent de rédiger leur intervention à la 3e personne, prêtes à être insérées dans le texte du RST. Plus exactement, ce procédé connaît deux variantes, qui peuvent se combiner dans le même rapport. Dans la première, la plus ancienne, on juxtapose les différentes contributions, le tout étant ensuite photocopié. Sur le plan matériel cela produit en général des textes matériellement hétérogènes dans leur police, la netteté de l’encre, leur justification. Dans la seconde, qui est en train de s’imposer, les intervenants rédigent leur contribution à la 3e personne (« Le professeur X estime que ce travail... ») et envoient le fichier par courrier électronique ou fournissent des disquettes au rédacteur, qui est véritablement cantonné dans le rôle d’« agenceur » sur ordinateur. Le résultat est un texte homogénéisé dans sa présentation.
5Le fait que chaque membre du jury rédige sa propre intervention en se nommant à la 3e personne n’est pas sans effet sur le ton et le contenu des interventions. Comme il n’y a plus de véritable rédacteur, responsable unique de la narration et de l’agencement, chacun, selon les principes de coordination d’actions, doit rédiger son intervention dans l’ignorance des rédactions des autres membres du jury. De ce fait, il a tendance à chercher à coïncider avec les routines d’écriture prescrites par le genre, à neutraliser sa singularité énonciative pour produire un texte lisse, qui puisse commodément s’ajuster avec celui des autres. Les co-narrateurs se conforment en général à l’ethos distancié et à la scène d’énonciation imposés par le genre (qui privilégie la rupture avec la situation d’énonciation), ils recourent rarement à une mise en scène de la parole qui multiplie les formes d’oralité.
6Cette nouvelle manière de procéder ne fait que renforcer une tendance de fond dans la rédaction des RST : on y formule de moins en moins d’évaluations négatives explicites, ce qui exige du lecteur un art de lire les éventuelles critiques « entre les lignes ». Ici intervient un jeu de « savoir mutuel » familier aux pragmaticiens : X sait que Y connaît les règles, Y sait que X connaît les règles, X sait que Y sait que X connaît les règles, et ainsi de suite à l’infini. Sachant l’importance du RST dans une carrière, chaque rédacteur sait aussi que les personnes intéressées à ce RST (essentiellement le directeur et le candidat, mais aussi les groupes auxquels ils appartiennent) savent qu’il connaît l’importance de sa contribution, si bien qu’il sait que son évaluation de la thèse sera elle-même évaluée par d’autres membres de la communauté et qu’une évaluation exagérément négative (eu égard aux normes implicites du milieu) peut se retourner contre lui. Ainsi, l’évaluation négative de la part d’un membre du jury menace la face positive du candidat et de son directeur, mais menace aussi la face positive de l’évaluateur. La logique d’un tel système est que l’on tende vers une neutralisation des évaluations, de façon à créer le minimum d’asymétries dans le système d’échanges. Les membres du jury sont donc perpétuellement partagés entre la tendance à symétriser les transactions pour se faire un minimum d’ennemis, et le souci de se mettre en règle avec les normes transcendantes de la Science ou de l’Université, qui exigent d’eux qu’ils jugent en leur âme et conscience de chercheur. Et là encore il y a menace possible sur la face positive des membres du jury : une intervention trop complaisante risque de nuire à son image. Il se produit donc une négociation délicate entre les prêtres et les prophètes, entre la légitimation que confère la bonne intégration dans l’institution et la légitimation par les normes qui donnent sa raison d’être à cette institution.
Lecteurs et lectures
7Quand on évoque le lecteur d’un genre de discours écrit, on peut entendre par là des choses différentes1 : le public effectif (l’ensemble des individus qui le lisent), le public générique (celui auquel il est destiné par nature), le lecteur modèle (le type de lecteur qui peut s’inférer de la manière dont est fait le texte), le lecteur invoqué (celui à qui, éventuellement, le texte va s’adresser).
8Le « public effectif » du RST, on peut le présumer, est peu différent de son « public générique », si l’on excepte la famille et les amis du doctorant, quelques membres du personnel administratif, les chercheurs en sciences sociales qui étudient les RST... Ce public générique n’est pas défini par un texte réglementaire qui stipulerait qui est habilité à lire un RST : c’est son mode de circulation qui le délimite à priori : le candidat et diverses instances académiques auprès desquelles le document peut être produit. Le « lecteur modèle » est aisément circonscriptible : genre de discours fermé, le RST implique des lecteurs familiers du monde académique, en miroir des rédacteurs, des lecteurs à même de maîtriser les compétences encyclopédiques (en particulier la connaissance de la discipline) et l’aptitude à décoder les implicites. Quant au « lecteur invoqué », il est méthodiquement absent du texte du RS, comme il est d'usage dans la production scientifique ou juridique. Nous sommes ici à l’opposé de textes qui visent à provoquer l’adhésion, à capter un destinataire virtuellement récalcitrant : le RST est autolégitimé par son seul statut, il n’a pas à s’imposer contre d’autres.
9Bien souvent, les modes de lecture d’un texte sont anticipés dans rénonciation même. Ainsi, quand les journalistes de la presse écrite disposent des titres en gras, des chapeaux de quelques lignes et des articles proprement dits, en caractères beaucoup plus petits, ils marquent dans le dispositif typographique lui-même la possibilité de parcourir le journal de diverses façons. Le RST, lui, est susceptible de deux modes de lecture principaux :
- la lecture intégrale et qui suit le texte dans sa continuité ; c’est la lecture prescrite ;
- la lecture sélective, par un lecteur expert qui, maîtrisant les règles du genre, est capable de fixer son attention sur quelques passages saillants (en particulier la liste des membres du jury, les conclusions de chacune de leurs interventions et l’évaluation finale, avec la mention attribuée) ; le texte du RST favorise cette lecture dans la mesure où il est constitué d’interventions qui sont indépendantes les unes des autres.
10À défaut d’être tous deux prescrits, ces types de lecture sont attendus. Le texte prend soin d’accentuer les signaux de démarcation entre les interventions, et ces dernières s’achèvent en général sur une formule évaluative synthétique, qui sert à la fois de signe de clôture et de résumé, ce qui favorise la lecture sélective. Voici à titre d’exemple les dernières lignes de quelques interventions :
- M. X conclut son intervention en disant le plaisir qu’il a eu à découvrir ce travail et tous les vœux qu’il forme pour sa très large diffusion. »
- En conclusion M. X estime que Mme Y a réalisé une très bonne thèse ».
- Très satisfait des réponses apportées par la candidate, M. X se joindra à ses collègues pour attribuer la mention Très Honorable avec Félicitations ».
- Ces réserves faites, Mlle X félicite le candidat pour l’ampleur et la richesse de son travail ».
- Mais que ces légers regrets ne fassent pas oublier l’essentiel : la thèse de X constitue un pas important dans un domaine riche et négligé ».
- M. X conclut son intervention en mettant en valeur la remarquable cohérence de cette recherche ; en dépit de sa complexité, de la nouveauté de son objet qui condamnait son auteur à renoncer à un modèle de référence unique – la démarche argumentative est conduite avec rigueur et maîtrise, à travers un exposé d’une belle écriture, claire, précise et agréable ».
- M. X conclut en soulignant la cohérence de ce travail qui force le respect par son sérieux et sa rigueur ».
11À côté de ces lectures attendues, il reste toujours la possibilité de pratiquer des lecture atypiques, dont les motivations ne sont pas conventionnellement attachées à ce genre de discours : par exemple la lecture d’une seule séquence, pour savoir ce que tel membre du jury pense de la thèse, ou encore les lectures que pratiquent les analystes du discours.
Une lecture herméneutique
12Le RST, du point de vue de l’interprétation, présente une caractéristique essentielle : il se lit « entre les lignes », ce qui est une modalité de son caractère de genre de discours fermé. La relation spéculaire entre scripteurs et lecteurs rend possible une lecture à deux niveaux : les membres de la communauté universitaire sont censés partager un certain nombre de signaux dont l’identification déclenche des implicites.
13Dans les études pragmatiques, on étudie en général les implicites sur des interactions conversationnelles, non à partir de genres de discours de nature foncièrement herméneutique (littéraire, philosophique, religieux, juridique en particulier) qui sont pris en charge par d’autres approches. Ainsi, l’intérêt se porte aux extrêmes : d’un côté sur des énoncés aux contenus immédiats, en prise sur des situations de la vie quotidienne, de l’autre sur des textes qu’on pourrait dire « énigmatiques », qui ont été légués par quelque Tradition ; on ne s’intéresse guère aux pratiques herméneutiques comme celles du RST. Cela se comprend : alors que l’interprète d’un texte littéraire ou religieux a pour ambition ultime d’arracher le texte interprété aux circonstances dont il émerge, pour des genres écrits comme le RST la quête des implicites s’inscrit dans une communauté déterminée, dont elle sert les objectifs, elle n’a pas de transcendance. Avec le RST il n’est pas question de pratiquer ces herméneutiques codifiées, comme celles que l’on applique à la Bible, ou aux textes littéraires, qui disqualifient systématiquement le sens manifeste au profit d’interprétations de teneur plus élevée.
14Supposons qu’on lise dans une intervention : « X est un chercheur méticuleux dont le travail se signale par son sérieux ». Au niveau littéral, celui des usagers de la langue qui ne participent pas du monde universitaire, il s’agit là d’un compliment. Mais il est vraisemblable que le lecteur averti, le « bon entendeur », interprétera cet énoncé comme signifiant que le doctorant est un tâcheron besogneux qui n’a pas l’étoffe d’un véritable chercheur. Ce n’est cependant là qu’un exemple artificiel car dans la réalité l’interprétation favorable/défavorable ne se construit pas de manière atomiste, à partir d’un énoncé isolé, mais par une convergence d’indices qui sont pondérés dans un calcul aux résultats foncièrement instables. Un compliment bref venant après une longue série de reproches graves n’aura pas la même valeur que ce même compliment venant après une série d’éloges dithyrambiques. Le mouvement argumentatif local a aussi une importance décisive. Comparons ainsi deux contextualisations distinctes de notre exemple :
- « X est un chercheur méticuleux dont le travail se signale par son sérieux. Mais c’est aussi un chercheur audacieux qui ouvre des pistes nouvelles ».
- « X est un chercheur méticuleux dont le travail se signale par son sérieux. Il a patiemment relevé toutes les occurrences et dressé des tableaux qui synthétisent certains aspects des documents ».
15En (1) le scripteur s’appuie sur le topos « plus on est sérieux, moins on est imaginatif » pour le renverser au profit du candidat, annulant ainsi le topos contraire, négatif dans les disciplines empiriques : « plus on est imaginatif, moins on est sérieux » ; c’est donc un éloge évident. Par contre, en (2) le second énoncé opte pour la continuité, il confirme rétroactivement l’énoncé précédent dans son statut négatif en l’étayant par un exemple.
16Comparons à présent quatre formules conclusives attestées dans notre corpus. Nous connaissons déjà la première :
- Après une courte délibération, les membres du jury s’accordent pour attribuer la mention « Très honorable ». Elle leur paraît bien correspondre à l’appréciation portée sur le doctorant : un chercheur dont le potentiel est évident, capable de proposer et d’élaborer une « thèse » (au sens plein du mot), dans un domaine où il a commencé à marquer sa place. Il manque un effort de conceptualisation et de modélisation que l’on sent tout à fait à la portée du doctorant ».
- Après délibération, le jury décerne à X le titre de docteur en N avec la mention très honorable et les félicitations du jury ».
- Après délibération, X a été déclaré digne du titre de Docteur d’université, avec la mention Très Honorable à l’unanimité ».
- Après en avoir délibéré, le jury déclare X digne du titre de docteur en N, et lui accorde la mention très honorable avec les félicitations du jury, mention accordée à l’unanimité ».
17Il me semble clair que de (a) au trio formé par (b)-(c)-(d) il y a progression dans la qualité de l’appréciation, comme le marque clairement la hiérarchie des mentions. Mais entre (b), (c) et (d) il peut y avoir doute sur la hiérarchie ; c’est ce qui précède ces formules, la convergence avec d’autres indices, qui permettrait de trancher.
18Nous avons parlé de « sous-entendu ». Mais cela peut poser problème. Tel qu’il a été théorisé par H.P. Grice, le sous-entendu suppose la transgression d’une maxime conversationnelle, ou plus généralement d’une norme d’usage du discours dans un contexte déterminé. De tels phénomènes sont fréquents dans les RST. Ainsi, quand on lit à la fin d’un texte :
19« En conclusion, le président rappelle les conclusions des différents membres du jury et les siennes, que la soutenance n’a fait que confirmer : à savoir que X présente un travail rigoureux et précis, qui sait réunir de la vigueur dans les choix effectués, de l’originalité dans la conception et des qualités de chercheur dans la démarche et l’exposition. ».
20Ici le président du jury ajoute à sa propre intervention un paragraphe initié par un connecteur en gras dans laquelle il impose une évaluation très élogieuse, censée reprendre les différentes interventions. Or ce type d’intervention conclusive est rarissime, de même que l’usage du gras ; le lecteur est porté à y lire un signal de dérivation d’un sous-entendu portant sur l’excellence de la thèse de doctorat.
21Mais le plus souvent le sous-entendu est un une sorte d’inférence globale, qui porte sur l’ensemble du RST, et non sur tel ou tel énoncé, même restitué dans son cotexte. Quand on lit une formule conclusive comme (c) ou comme (d) on ne va pas en inférer un implicite déterminé, ce n’est qu’un indice parmi bien d’autres qui permet d’inférer une proposition comme : « La thèse de X est remarquable/médiocre/moyenne/nulle... ».
22On pourrait développer une réflexion précise sur les procédures d’inférence qui sont à l’œuvre dans cette herméneutique. Ici (et c’est pour cela précisément qu’il s’agit d’un genre à lecture herméneutique) il n’y a pas de maximes conversationnelles attachées à l’exercice ordinaire du discours. Il s’agit plutôt d’un code local où des phénomènes textuels d’ordres très divers peuvent fonctionner comme signaux adressés au lecteur pour lui signifier qu’il doit dériver des interprétations non-littérales qui viennent s’ajouter (et non se substituer) à l’interprétation littérale.
23Il serait intéressant d'élaborer à ce propos un protocole expérimental. Un premier axe d’expérimentation consisterait à proposer des extraits de RST à trois publics distincts : des sujets cultivés mais ignorants du monde universitaire, des universitaires de la discipline en question, des universitaires d’une ou d’autre(s) discipline(s). Ce serait un moyen de vérifier le caractère herméneutique fermé de ce genre de discours ; il peut se faire en effet que cette pratique herméneutique soit liée à une compétence discursive non spécialisée, accessible à toute personne qui maîtrise certaines aptitudes sociales. Il pourrait se faire aussi que ce soit une compétence propre aux universitaires, quelle que soit leur discipline. Il est vraisemblable que, dans des proportions qu’il est difficile d’évaluer à priori, certains implicites soient accessibles à tout le monde, d'autres aux seuls universitaires, d’autres aux seuls membres d’une discipline ou de disciplines voisines. Un autre type d’expérimentation que l’on pourrait mener porterait sur la nature des indices pouvant fonctionner comme signaux, et la pondération réciproque de ces indices. On peut penser qu’en modifiant tel ou tel on parvienne à inverser non seulement le degré mais aussi la polarité des évaluations.
24Au lieu de monter des dispositifs de test, on pourrait envisager une approche qui ne manquerait pas de soulever des difficultés considérables sur le plan déontologique. On pourrait ainsi confronter les RST avec les différents rapports qui en sont tirés, de manière à voir comment sont effectivement interprétés les textes des RST. Démarche d’autant plus intéressante quand il y a plusieurs rapporteurs chargés de lire le même RST. Mais cette voie risque de se révéler aporétique. En effet, on l’a vu, la rédaction des RST est soumise à un fort contrôle, les scripteurs devant négocier entre l’obligation de sincérité, l’obligation de ne pas menacer la face positive du candidat et de son directeur, l’obligation de ne pas compromettre leur propre position universitaire par un excès de franchise ou d’hypocrisie. Mais les rapports sur les RST sont à leur tour soumis à des contraintes du même ordre, pour peu que le RST ainsi commenté soit celui d’une personne qui soit liée d’une manière ou d’une autre à certains membres de la commission qui doit juger le dossier.
25Une autre démarche envisageable (mais tout aussi suspecte sur le plan déontologique) d’inspiration plus ethnométhodologiste, consisterait à étudier le déroulement de réunions de commissions de recrutement ou de promotion, pour considérer de quelle manière s’y exerce le commentaire oral des RST. L’accent se porterait alors sur les procédures mises en œuvre par les acteurs de la vie universitaire dans leurs évaluations. Une telle approche serait particulièrement pertinente, dans la mesure où le RST est par nature voué à être traité dans d’autres genres de discours universitaires.
Notes de bas de page
1 Nous reprenons pour l’essentiel les distinctions que nous avons faites dans (Maingueneau 1990 : chap. 2).
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Nouvelle édition revue et corrigée
Yves Jeanneret
2011