Chapitre IV. Un hiver de pénuries et de controverses 1917-1918
p. 75-104
Texte intégral
1Un scandale sur fond d’accusations de défaitisme et même de trahison éclata contre le ministre de l’Intérieur, Louis-Jean Malvy, et fit tomber le gouvernement Ribot au début de septembre 1917. Plusieurs jours plus tard, Paul Painlevé, qui avait été député républicain-socialiste depuis 1910, annonça la formation d’un nouveau gouvernement au sein duquel il occuperait les fonctions de président du Conseil tout en conservant son poste de ministre de la Guerre. Dès le début, ce gouvernement fut affaibli par l’absence des socialistes. Agacés que Ribot ait refusé de les laisser participer à un congrès socialiste international sur la guerre et la paix, ils retirèrent leur appui à Painlevé lorsqu’il nomma Ribot ministre des Affaires étrangères.
2Un grand gagnant dans le nouveau gouvernement fut Loucheur qui remplaça Thomas comme ministre de l’Armement1. Loucheur combina ses fonctions de sous-secrétaire – le poste fut aboli – avec la plupart de celles que Thomas avait exercées2. En conséquence, il devint de plus en plus susceptible d’être attaqué par les parlementaires et par l’opinion. Lorsqu’il défendit ses actions contre les critiques qui l’avaient épargné tant que Thomas était ministre, il le fit avec adresse et ténacité. Son étoile politique montait aux yeux de Georges Clemenceau qui devint président du Conseil en novembre. A la fin de 1917 et au début de 1918, Loucheur, ministre de l’Armement, étendit la portée de ses préoccupations de l’organisation de la production de guerre à une coopération interalliée étroite et efficace.
Changements organisationnels : le service automobile et l’artillerie d’assaut
3Peu après la formation de son gouvernement, Painlevé tenta de réduire l’autorité du ministre de l’Armement. Le GQG, qui renâclait devant les délais bureaucratiques et la diminution de son influence sur la production de guerre, en voulait au ministère de l’Armement. A la Chambre, certaines commissions blâmaient Loucheur pour les retards de la production en usine, et certains hommes politiques pensaient qu’il serait préférable que son ministère fût un sous-secrétariat relevant de l’autorité du ministre de la Guerre. Ribot avait suggéré cette possibilité à Loucheur au début de septembre, alors qu’il tentait vainement de créer un nouveau gouvernement3.
4Painlevé proposa de redonner au ministre de la Guerre certaines responsabilités pour le Service automobile que le ministère de l’Armement avait assumées lors de sa création en 1916. Tout comme le ministre de la Guerre, il voulait faire une distinction plus précise entre la production d’un objet et son utilisation, de façon que l’utilisation et l’entretien du matériel de guerre fussent assumés par le ministère de la Guerre qui, à leurs yeux, en était à juste titre le gardien. Painlevé voulait transférer au ministère de la Guerre le personnel des parties du Service automobile non affectées à la production, ce qui comprenait l’artillerie d’assaut, soit les chars4. Le général Pétain, qui le supportait en cela, maintint que la structure organisationnelle existante de l’artillerie d’assaut n’était plus justifiée, la plupart des mesures préparatoires associées au développement de ce service ayant été prises.
5Loucheur s’opposa à cette distinction qui se retournait contre lui : il était convaincu que la fabrication, l’entretien, et l’utilisation étaient trop étroitement liées dans le Service automobile pour les séparer. Il affirma que c’était particulièrement vrai pour l’artillerie d’assaut, où d’importantes modifications techniques étaient en préparation et où il était probable qu’elles continueraient, car certains équipements en cours de production n’avaient jamais été testés au combat5. Il était également convaincu que la proposition de Painlevé menaçait son pouvoir d’autre façon. Son amertume fut visible dans deux arguments qu’il avança le 22 septembre dans une lettre de réfutation. Tout d’abord, il argua que le décret proposé par Painlevé réduirait ses pouvoirs à ce qu’ils avaient été lorsqu’il était sous-secrétaire aux Fabrications de guerre. Puis, à la fin de la lettre, il écrivit, « J’ajoute qu’il y aurait quelque chose de désobligeant – et je suis certain que cet argument ne saurait manquer de vous toucher – à modifier ce décret [le décret du 31 décembre 1916 qui fixait les responsabilités du ministre de l’Armement], au lendemain du départ de Monsieur Albert Thomas qui, depuis qu’il est placé à la tête du ministère de l’Armement, a rendu les services que vous connaissez, et auxquels vous avez donné, à plusieurs reprises, publiquement hommage »6. Loucheur exagéra probablement les pertes qu’il subirait, mais les termes de sa lettre reflètent la profonde insécurité qu’il ressentait. En fin de compte, Painlevé fut forcé de reporter l’affaire parce que Loucheur refusa de signer le décret7.
6Malgré tout, de plus en plus de membres de l’armée et du Parlement se prononçaient à la fin de 1917 en faveur d’un Service d’artillerie d’assaut indépendant placé sous la juridiction du ministère de la Guerre. Les Anglais avaient inventé le char au début de la guerre et l’avaient employé pour la première fois pendant l’offensive de la Somme en 1916. Avant la fin de l’année, Joseph Joffre en commandait mille modèles légers. L’arme étant nouvelle, il n’existait pas de Service d’artillerie d’assaut ou de chars au ministère de la Guerre ; la responsabilité d’exécuter les plans et la fabrication fut donc confiée à Thomas. Toutefois, comme Thomas et Loucheur donnaient toujours la priorité à l’artillerie lourde au début de 1917, les progrès furent lents. En juin, Pétain annonça que l’armée voulait 3 500 chars légers. Thomas promit en juillet d’en fournir 450 vers la fin de l’année, et Loucheur fit de même en septembre et, en octobre, suggéra qu’il pourrait en fournir 1 000 au début du printemps 1918. Néanmoins, l’inquiétude causée par la lenteur de la production des chars était grande8.
7Fragilisé, le gouvernement Painlevé tomba au cours d’un débat sur la réorganisation administrative, le 13 novembre ; Clemenceau devint président du Conseil et ministre de la Guerre à l’âge de soixante-seize ans. Celui qui s’était élevé dès le début du conflit contre le défaitisme et contre les chefs militaires, n’admettait désormais aucune autre issue que la victoire militaire. Le président de la République, Raymond Poincaré, qui avait senti la morsure de ses attaques, n’aurait pas demandé au sénateur du Var de former un gouvernement s’il y avait eu une autre solution. Mais la désastreuse offensive du général Nivelle au printemps, les mutineries qui l’accompagnèrent, les scandales d’espionnage français, l’écrasante défaite de l’Italie à Caporetto, et la révolution bolchevique en Russie, contribuèrent à aggraver le sentiment de crise qui força la main de Poincaré. Avec l’appui du centre et de la droite parlementaires, Clemenceau promit de consacrer les efforts du gouvernement à « la guerre. Rien que la guerre »9.
8Quand Clemenceau forma son cabinet, il était au courant de ce que Loucheur avait accompli au ministère de l’Armement. Ce dernier non seulement avait témoigné devant la commission de l’Armée du Sénat présidée par Clemenceau, mais il s’était rendu au domicile du sénateur pour discuter de la guerre. Clemenceau, qui appréciait l’expertise technique de Loucheur, le voulait dans son gouvernement. Il pensa tout d'abord transférer Loucheur à un ministère du Ravitaillement aux pouvoirs renforcés, car, comme Ribot en septembre, il espérait réduire le ministère de l’Armement à un sous-secrétariat relevant du ministère de la Guerre. Mais Loucheur l’emporta ; il conserva la fabrication des armements et Clemenceau abandonna l’idée d’un sous-secrétariat de l’Armement. Le président du Conseil n’écarta toutefois pas l’idée d’une Direction de l’artillerie d’assaut au ministère de la Guerre ; mais il procéda prudemment. La commission de l’Armée de la Chambre vota en décembre une proposition de résolution qui demandait la création du genre de service qu'il envisageait10.
9Au début de janvier, un décret gouvernemental attacha une Sous-direction de l’artillerie d’assaut à la Direction de l’artillerie du ministère de la Guerre. Ce décret garantissait à Loucheur le contrôle exclusif de la fabrication des chars et stipulait que le GQG et le ministère de la Guerre n’entreprendraient de nouveaux programmes de chars qu’avec l’accord du ministre de l'Armement. Loucheur, qui signa le décret, était apparemment satisfait : sa portée était plus limitée et ses objectifs plus clairs que la proposition de Painlevé11.
10Peu après, les deux ministères achevèrent la réorganisation du Service automobile en en divisant la responsabilité de la même façon que pour l’artillerie d’assaut12. Les deux accords réduisirent l’autorité de Loucheur au bénéfice du ministre de la Guerre. Toutefois, son contrôle administratif sur la production des chars et des autres véhicules ne fut pas affaibli.
11Lorsqu’il comparut devant les commissions de l’Armée et du Budget de la Chambre en janvier 1918, Loucheur dut réduire de 1 000 à 800 ses prévisions pour le nombre de chars légers qui pourraient être produits avant le début du printemps. Cela lui valut d’être immédiatement attaqué au Parlement. Le 5 d’avril, il écrivit à la commission de l’Armée que la Guerre disposait le jour-même de 117 chars légers," mais Clemenceau indiqua peu après que seulement 72 étaient arrivés, et que les 3/4 d’entre eux avaient été incorrectement montés13. Pourtant, Loucheur persista à croire que ses talents techniques et son style de gestion musclé pourraient améliorer le rendement dans l’avenir de façon considérable. Son optimisme s’avéra fondé ; la production de chars augmenta rapidement au printemps et en été 191814.
L’aéronautique
12En révisant ses besoins pendant l’été 1917, le GQG avait donné la priorité absolue à la production d’avions ; toutefois, celle-ci était assaillie de difficultés. Loucheur croyait pourtant qu’il pourrait assembler un système de production fiable. Lorsqu’il assuma ses nouvelles responsabilités dans ce domaine en novembre 1917, il décrivit ce qui l’attendait : « La tâche devant laquelle je me trouve est la plus dure que j’ai rencontrée de ma vie. Voilà ce que j’affirme très nettement. Je ne sais même pas si je pourrai arriver à y faire face ; je ferai tout mon possible ; vous pouvez compter sur moi, mais je ne souhaite à personne de s’asseoir à cette place pour y assumer une responsabilité pareille. C’est terrible. »15
13Les problèmes auxquels il faisait face étaient plus graves qu’ils n’auraient dû l’être, parce qu’au début de la guerre les Français pensaient que Futilité des avions se limiterait aux opérations de reconnaissance tactique. Les limitations technologiques rendaient difficile leur utilisation dans des opérations stratégiques. On croyait donc généralement qu’il était inutile de construire un grand nombre d’avions, et qu'il suffisait de maintenir le niveau de production du temps de paix. Mais, dès l’automne 1914, les Français se rendirent compte qu’il fallait augmenter la production.
14La décentralisation de l’industrie aéronautique présentait un problème incontournable. Rien qu’à Paris, en 1914, il y avait vingt-deux sociétés participant à la construction de moteurs d’avions. Les commandes partaient vers toutes les sociétés aéronautiques, mais aucune n’était capable d’une production de masse. Pour mettre un peu d'ordre dans cette situation, le gouvernement sélectionna les modèles dont il voulait continuer la production et répartit celle-ci entre tous les fabricants16. Un autre handicap était l’absence d’une autorité centrale régissant les étapes de l’assemblage des avions. Au début de la guerre, la Direction de l'aéronautique au ministère de la Guerre était faible et ses rapports avec le GQG si mauvais que ce dernier dut à plusieurs reprises discuter directement avec les industriels. En septembre 1915, malgré la création d’un sous-secrétariat d’Etat à l’aéronautique au ministère de la Guerre, les tensions et les malentendus continuèrent. Le général Joseph Galliéni, ministre de la Guerre d’octobre 1915 à mars 1916, et opposé au sous-secrétariat, réussit à rétablir la Direction de l’aéronautique en février 1916. Au début de 1917, le gouvernement établit une mission spéciale pour étudier la création d’une branche aéronautique unifiée et coordonnée, mais la mission prit fin en mars, lors d’un changement de gouvernement. Un sous-secrétariat d’Etat à l’aéronautique vit le jour après la crise ministérielle, mais, bien que Daniel Vincent qui le dirigea jusqu’en septembre, eût pris des mesures qui augmentèrent la production d’avions, le sous-secrétariat ne devint jamais la puissante branche gouvernementale tant espérée. A l’automne 1917, il y avait toujours des problèmes au niveau de la production et de l’organisation administrative17.
15Comme la plus lourde responsabilité incombait au sous-secrétariat à l’Aviation, Loucheur joua un rôle limité dans la production aéronautique au début de l’automne 1917. Le ministère de l’Armement surveillait la main d’œuvre et fournissait les matières premières. Il remplissait les commandes de munitions qui lui étaient soumises par l’Aéronautique, mais pas toujours de façon satisfaisante. Par conséquent, Jacques-Louis Dumesnil, le sous-secrétaire à l’Aéronautique, demanda à Loucheur de faire déléguer un officier de ses services en permanence au ministère de l’Armement18. Loucheur trouva utile l’idée d’avoir au ministère de l’Armement un préposé capable de suivre l’exécution des commandes aéronautiques du début à la fin, mais l’association entre les deux organismes resta vague.
16Loucheur participa également aux discussions entamées sur l’initiative de Dumesnil pour établir un système intégré de fabrication de masse dans l’industrie aéronautique. Les deux hommes se rencontrèrent plusieurs fois pour discuter de la main d’œuvre, des matières premières, et des transports. Dumesnil dit à la commission de l’Armée de la Chambre en octobre 1917 que, après avoir choisi certains modèles et certains moteurs pour une production accélérée, il avait l’intention de passer un accord avec Loucheur sur les moyens de production19.
17Plusieurs programmes de construction d’avions s’étaient succédés depuis octobre 1914. Celui de mars 1917 fixait l’objectif à la mise en service de 2 665 avions sur le front nord-est avant la fin de l’année. En octobre, ce chiffre augmenta à 2 870, la date de finition étant prévue pour la fin d’avril 1918. Mais même ce chiffre devint insuffisant : Dumesnil annonça, toujours en octobre, qu’on allait essayer de produire 4 000 avions, le nouvel objectif officiel20.
18Loucheur décida que les besoins aéronautiques de la France exigeaient qu’il jouât un rôle plus actif, surtout lorsqu’il eut pris connaissance du plan de 4 000 avions, mais ce n’est qu’après l’entrée de Clemenceau au gouvernement, à la mi-novembre, qu’il fit pression pour élargir ses responsabilités. Travaillant avec le général Henri Mordacq, le directeur du cabinet militaire de Clemenceau, Loucheur convainquit le nouveau président du Conseil qu’un changement organisationnel s'imposait. Clemenceau adopta ce qu’il appela « une solution de bon sens – concentrer entre les mains d’un seul responsable toutes les constructions de matériels – canons, fusils, munitions, avions, chars de combat, etc. – seul moyen d’utiliser entièrement toutes les matières premières que l’on avait tant de mal à se procurer. » Dans des décrets promulgués les 19 et 21 novembre, le gouvernement confia la production d’avions à Loucheur, Dumesnil devenant son adjoint21.
19Les décrets soulevèrent les protestations de Philippe Pétain et des députés, en particulier des membres de la commission de l'Armée. Ils arguèrent que les décrets ne se souciaient pas d’efficacité : le pouvoir était dispersé par la division des responsabilités entre le ministère de l’Armement et un sous-secrétariat à l’Aéronautique qui, tout en relevant de l’autorité de Loucheur pour les questions de production, demeurait responsable généralement envers le ministère de la Guerre. Les adversaires du décret du 19 novembre signalèrent également qu’il ne donnait pas de définition exacte des rôles des deux responsables et qu’il semblait n’y avoir aucun mécanisme de coordination de l’ensemble du programme d’aéronautique22.
20Loucheur et Dumesnil comparurent devant la commission de l’Armée le 7 décembre pour expliquer les nouvelles dispositions. Soumis à un barrage de questions, Loucheur admit que le nouveau rôle du sous-secrétaire d’Etat était complexe, mais il ajouta que, pour toutes les questions de production, l’autorité finale serait le ministre de l’Armement. Il parla d’un mécanisme coordinateur en annonçant la formation d’un « comité de l’air » réduit consistant de représentants du GQG, du sous-secrétariat de Dumesnil, et de son ministère à lui, et qui tiendrait des consultations journalières qu’il présiderait en personne aussi souvent que possible23. Toutefois, avant que le Comité de l’air ne fût créé, Loucheur et Dumesnil recommandèrent à Clemenceau d’éliminer les liens organisationnels entre leurs services. Mais Clémenceau, mis en demeure par Pétain et par la commission de l’Armée d’unifier l’aéronautique, somma les deux hommes de faire marche arrière ; le 19 décembre, ils installèrent le colonel Paul Dhé, qui occupait déjà un poste élevé au sous-secrétariat de Dumesnil, à un poste concomitant au ministère de l'Armement, reconstituant par là le lien entre les deux départements. Le rôle de Dhé fut renforcé à la fin du mois par la création du Comité de l’air promis par Loucheur. Apparemment, cette solution irrita Loucheur : en février, il mina l’autorité de Dhé en donnant à un représentant du ministère de l’Armement placé sous les ordres du colonel, un titre administratif qui le rendait indépendant de Dhé. Cette mesure fut annulée trois jours plus tard, lorsqu’on dit à Loucheur qu’il avait dépassé les limites de son autorité24. Il fut donc forcé d’accepter un compromis dont il dut s’accommoder jusqu’à la fin de la guerre.
21Par les décrets de novembre, Loucheur avait espéré obtenir le pouvoir nécessaire pour transformer le processus de production des avions ; une fois ce but atteint, il travailla à identifier les faiblesses, à déterminer les besoins, et à rationaliser les procédures. Entre autres, il imposa aux industriels un système de production donnant toute son attention à un ou deux modèles pour chaque catégorie d’avions (chasseurs, observateurs, et bombardiers). Pour soutenir les constructeurs, Loucheur agrandit le réseau des sous-traitants et travailla à synchroniser la production d’avions et de moteurs. Pour améliorer la qualité, il fit construire des vérificateurs pour assurer le calibrage des moteurs et l'interchangeabilité de leurs pièces – ce qui, jusque-là, en tout cas pour le modèle Hispano-Suiza utilisé par bien des chasseurs, n’avait pas été le cas. Il introduisit également des contrôles sur les sous-traitances par les constructeurs et travailla étroitement avec les propriétaires d’usines pour résoudre les problèmes particuliers de la production25.
22Lorsqu’il prit les commandes de la production aéronautique en novembre, ce fut avec un optimisme mitigé qu'il dit à une sous-commission de la commission du Budget de la Chambre, « Je ne veux pas faire de prévisions, vous promettre tant d’avions. Mon programme, c’est le maximum »26. Sa position ne lui permettait pas de s’engager sur des chiffres précis à ce point-là, car l’évaluation du réseau de production et des implications du programme de quatre mille avions adopté officiellement au début de décembre était toujours en cours. Mais, le 9 janvier, il était prêt à offrir à la commission du Budget de la Chambre des chiffres réjouissants : plus de trois mille appareils des types les plus récents que Pétain, Dumesnil et lui étaient d’accord pour promouvoir, seraient prêts avant avril, et ce rendement pourrait être augmenté rapidement pour réaliser le but ambitieux de quatre mille avions27. Ce changement d’attitude lui valut d’être interrogé par Albert d’Aubigny, chef de la sous-commission de l'Aéronautique, sur les calculs qui se cachaient derrière « ces promesses réconfortantes. » Loucheur envoya les données à d’Aubigny le 27 janvier, sans les nuancer davantage que lors de la séance du 9 janvier : il reconnut seulement que des changements imprévisibles dans le déroulement de la guerre, des problèmes de transportation, ou le mauvais temps, risquaient de ralentir le rendement, et il continua à se montrer confiant sur la réalisation de ces chiffres de production28.
23Un rapport sur l’aviation présenté par la commission de l’Armée de la Chambre au début de mai compara le nombre d’avions de modèles clé promis par Loucheur pour le premier trimestre de 1918 à celui du rendement en usine. Il y avait un manque à la production de 36 % sur les 3 407 avions promis, cela en l’absence de tout obstacle hormis un bref arrêt dans une usine. Le rapport conclut que la division des services d’aéronautique et les nouvelles responsabilités de Loucheur dans ce domaine n’avaient pas contribué à accélérer la production ; un directeur unique aurait été nécessaire depuis le début : « Erreurs d'organisation, de commandement, vices d’organisation, leur cause profonde est une et se manifeste à chaque instant dans la succession des faits que nous venons d’étudier : l’aviation n’a pas de direction unique. L’absence d'une autorité supérieure possédant des attributions étendues, un pouvoir absolu de décision pour déterminer les types et en organiser la fabrication, telle a donc été la cause première de la crise où l’Aviation s’est toujours débattue »29. Le rapport reflétait les frustrations des parlementaires dont la solution avait été rejetée. Convaincu qu’une autorité aéronautique unifiée au sous-secrétariat pour l’Aviation s’imposait, la commission voyait Loucheur comme un obstacle. La date de rédaction du rapport en affecta également le contenu30.
24Loucheur ne réussit pas à produire le nombre d’avions espéré, mais il semble probable que sans l’esprit de décision dont il fit preuve au début de 1918, le rendement n’aurait pas atteint le niveau qu’il atteignit par la suite. Ce n’était pas seulement la quantité qui lui importait, mais aussi la qualité : il ordonna un ralentissement temporaire dans la production d’au moins un modèle pour assurer une meilleure qualité31. Le rapport de la commission de l’Armée du mois de mai mit l’accent sur les problèmes. Au contraire, le général Mordacq, dont les vues représentaient probablement celles de Clemenceau, semblait penser que la puissance aéronautique française en avril était non seulement impressionnante, mais qu’elle augmentait régulièrement de mois en mois32. Loucheur puisa son réconfort dans la certitude que ses efforts étaient appréciés par les proches collaborateurs de Clemenceau. Sa formation professionnelle et son expertise technique l’avaient préparé à résoudre les problèmes de production et d’organisation. Mais il avait beaucoup moins d’expérience dans un autre domaine qui lui échut lorsque Thomas quitta le gouvernement en septembre, celui des relations du travail.
La main d’œuvre : un point d’interrogation
25Les responsabilités assumées par Loucheur en septembre 1917 comprenaient le contrôle et l’administration de la main d’œuvre classifiée comme travaillant pour la Défense nationale. Bien qu’il abandonnât une partie de son autorité en octobre en approuvant le transfert du recrutement de la main d’œuvre civile au ministère du Travail, il continua d’être la personne clé pour l’adoption et l’application de mesures touchant un vaste réseau d’ouvriers qui travaillaient dans les industries de la Défense nationale33.
26Il eut deux préoccupations majeures en automne et en hiver. Tout d’abord, l’agitation ouvrière des industries aéronautiques débuta par une grève importante peu après son entrée en fonctions comme ministre de l’Armement. Au cours des mois suivants, les troubles continuèrent de façon sporadique, et une importante réunion des délégués d’atelier eut lieu. Ne voulant pas provoquer des troubles graves à l’arrière, Loucheur développa une politique qui alliait la conciliation et la modération à la fermeté et la discipline. Sa seconde préoccupation majeure était les conditions de vie des ouvriers, qu’il chercha à améliorer grâce à des augmentations de salaires et des primes de cherté de vie.
27A la fin de 1917, les signes d’agitation ouvrière étaient considérables ; les grèves avaient été nettement plus nombreuses en 1916 qu’en 1915 et avaient continué d’augmenter tout au long de 1917. Thomas passa beaucoup de temps à essayer de trouver des solutions : en janvier 1917, deux directives concernèrent le problème des salaires et des conflits du travail. Une des directives tentait d’instaurer une sorte d’uniformité pour les salaires des industries de l’armement en établissant des barêmes de salaires minimums pour différentes classifications d’ouvriers. Mais certains industriels temporisèrent ou ignorèrent tout simplement les barêmes. Conscient du fait que sa politique risquait de créér des conflits, Thomas signa une directive complémentaire visant à limiter les ramifications de la régulation des salaires dans toutes les industries de l’armement. Cette directive envisageait la création de commissions d'arbitrage régionales composées d’un nombre égal de représentants du patronat et du personnel, qui encourageraient les accords volontaires dans les conflits du travail, quitte à rendre des sentences arbitrales avec pénalités à la clé. Plusieurs commissions furent créées, mais seules quelques-unes fonctionnèrent bien. La seule décision rendue par une commission d’arbitrage dans un conflit important concernait l’industrie aéronautique et fut rendue en septembre 1917 ; ironiquement, elle exacerba la situation qu’elle tentait de calmer34.
28Au début de février 1917, Thomas prit une autre mesure pour réduire les tensions entre le patronat et le personnel. Pressentant que bien des conflits pourraient être évités si les deux parties restaient en communication régulière, il proposa que des délégués d’atelier soient choisis parmi le personnel afin de garder les voies de communication ouvertes. Il pensait entretenir des consultations régulières entre délégués et dirigeants à propos des problèmes concernant la partie de l’usine dont les délégués venaient. Dans les mois qui suivirent, il souligna les avantages de ces dispositions et suggéra différentes façons de les appliquer. Chaque propriétaire d’usine avait la latitude d’appliquer ces dispositions ou pas, et de fixer certains points tels les conditions d’électorat et d’éligibilité. Comme Thomas n’avait pas reçu l’accord du Parlement, il n’avait pas le droit de rendre son plan obligatoire. Mais, dès le début, il tenta de clarifier les limites de l’activité des délégués à leur section de l’usine. D’aller plus loin – en créant des comités de délégués, par exemple- risquait d’engendrer des malentendus avec les syndicats dont certains dirigeants s’étaient méfiés de l’idée des délégués dès le début35.
29Les grèves continuaient ; en septembre, Loucheur fut confronté à une grève surprise de cinquante mille ouvriers de l’aéronautique. La grève était née des demandes d’augmentations de salaire présentées par les dirigeants syndicaux au ministre de l’Armement en juin 1917. Certains chefs d’usine avaient accordé des augmentations de salaire, mais dans des proportions bien moindres que celles demandées. Une commission d’arbitrage de la Seine rendit bien une décision sur les points litigieux qui fut appliquée à tous les ouvriers de la Défense nationale en région parisienne, mais elle refusa de trancher la question des salaires minimaux et des primes de cherté de vie. Loucheur entérina leur décision, ce qui remplit d’amertume les dirigeants syndicaux et les ouvriers. La situation fut également envenimée par les révélations à la Chambre d’abus financiers et de bénéfices excessifs par les fabricants d’avions qui avaient reçu des contrats avec le gouvernement. Les ouvriers durcirent leur position sur ce qu’ils considéraient être des augmentations de salaires satisfaisantes. Certains ouvriers de l’aéronautique se mirent même en grève avant la publication de la décision de la commission d’arbitrage, puis, une fois que la décision fut connue, la grève s’étendit rapidement. On parla de grève dans d’autres syndicats dont les dirigeants approuvèrent une grève sur le tas en région parisienne métropolitaine36.
30Pendant que les grévistes s’interrogeaient sur la réaction du nouveau ministre de l'Armement, Loucheur, mis sur la défensive, dit à un groupe d’ouvriers qu’il croyait que la grève était dirigée contre lui personnellement37. Il y voyait en partie une protestation contre le départ de Thomas, mais aussi une réaction contre un remplaçant formé dans les affaires. De toute façon, il était clair que les méthodes qu’il emploierait pour résoudre la crise auraient des conséquences décisives sur ses relations avec le monde du travail. Il procéda avec son aplomb habituel.
31Son approche fut essentiellement modérée : il allia la conciliation et la compréhension à la fermeté et à l’intimidation dans le cadre de contacts directs. Tout d'abord sceptiques, les dirigeants syndicaux furent agréablement surpris par la rapidité avec laquelle il invita les secrétaires d’organisations syndicales à discuter avec lui plutôt que de s’en remettre à son équipe pour obtenir des renseignements sur les raisons de la grève. Autre geste conciliateur, il annonça qu’il honorerait la politique du ministère de l’Intérieur, de ne pas poster de policiers aux abords des réunions syndicales38.
32Son invitation fut acceptée ; le 26 septembre, il se réunissait avec les patrons et le personnel. Il assura les représentants ouvriers que les demandes des grévistes seraient entendues « dans le plus grand esprit de justice » et que les salaires seraient augmentés dans les cas justifiés, mais il les avertit également que tout dépendait de la reprise immédiate du travail. Si la grève continuait, il prendrait des mesures pour réquisitionner usines et ouvriers. A son grand soulagement, ses conditions furent acceptées le jour suivant, et le travail reprit le 28 septembre dans les usines qui s’étaient mises en grève. En guise de remerciement, Loucheur décida de ne pas prendre de sanctions contre les grévistes, fussent-ils classés comme militaires mobilisés ou pas39.
33Les problèmes soulevés par la grève n’étant toutefois pas résolus, Loucheur entama de longues et difficiles négociations avec le patronat et le personnel. Le point de départ fut un tarif syndical des salaires qui lui fut remis par Alphonse Merrheim, secrétaire général du Syndicat de la métallurgie, au début d’octobre. La première réaction des négociateurs patronaux fut de rejeter la proposition des ouvriers et d’offrir quelques concessions sur les salaires particulièrement bas. Loucheur, tenant compte des deux parties, présente un compromis salarial aux délégués ouvriers au début de novembre, mais, dirigés par Merrheim, ces derniers trouvèrent l’offre insuffisante. Ils doutaient également que le gouvernement puisse rompre avec ce qu’ils prenaient pour de l’intransigeance patronale. Loucheur présenta une autre proposition salariale qui comprenait des augmentations de salaire pour tous les ouvriers, hommes et femmes, qualifiés ou pas, dont la paie journalière était inférieure à quinze francs. Il accompagna cette offre d’un avertissement : il avait fait le maximum. Les deux parties acceptèrent cette proposition et la crise prit fin avec la publication officielle des nouveaux barêmes de salaires le 23 novembre 191740.
34Au cours de ce conflit, les primes de cherté de vie avaient posé un problème majeur. Loucheur fit preuve de sollicitude envers les ouvriers des usines d’armement en recommandant d’ajouter une somme fixe aux salaires journaliers, les salaires les plus bas recevant la plus grande prime journalière41. Cette question l’occupa tout l’hiver, et, avant même de conclure les négociations liées à la grève, il en parla devant une conférence interministérielle sur les tarifs des salaires. Comme il voulait des primes de cherté de vie flexibles pour éviter d’avoir à réviser sans cesse les salaires de base, il recommanda de séparer les primes de cherté de la vie des tarifs de salaires. Et, comme on s’attendait à une baisse du coût des denrées après la guerre, il est raisonnable de penser que cette solution fut recommandée afin de permettre l’élimination des primes une fois les conditions économiques redevenues normales. Loucheur employa cette approche dans la décision d’arbitrage du 23 novembre pour aider les ouvriers les plus mal payés et pour déterminer une prime valable pour un certain temps ; il encouragea ses inspecteurs régionaux de la main d’œuvre à appliquer ce principe dans leurs négociations avec les ouvriers et les industriels lorsque le coût des denrées justifiait des augmentations de salaire. En février 1918, il se déclara satisfait des négociations qui avaient eu lieu sur ce sujet et il annonça que des primes de cherté de vie avaient été établies au niveau régional pour les ouvriers les plus mal payés. Mais il ne s’en tint pas là : dans le même document, il demanda à ses inspecteurs de la main d’œuvre des rapports mensuels sur les prix en vigueur de certaines denrées afin de pouvoir rester au courant de la relation entre les salaires les plus bas et le coût de la vie42. Il est plus que probable que Loucheur avait l’intention d’utiliser ces renseignements pour s’assurer que tout déséquilibre notoire entre les deux puisse être corrigé avant l’irruption de nouveaux troubles ouvriers.
35Les bénéfices reçus par les ouvriers des industries de guerre n’étaient pas limités aux salaires. En décembre 1917, par exemple, Loucheur inaugura les congés de sept jours plus le temps du voyage pour les ouvriers mobilisés travaillant loin de leurs foyers. En septembre 1918, il annonça que ces congés seraient payés43. Loucheur fit également preuve de clémence à l’égard des ouvriers récalcitrants. Bien que les preuves soient partielles, elles tendent à confirmer qu’il était sensible aux frustrations des ouvriers. Au printemps 1918, des arrêts de travail s’étant produits dans un atelier de construction de l’Etat à Bourges, le directeur de l’usine recommanda des mesures disciplinaires, mais Loucheur, arguant que les ouvriers des usines de guerre avaient prouvé leur patriotisme par un rendement supérieur, se prononça contre les sanctions44. Conscient des pressions et des difficultés auxquelles les ouvriers étaient soumis, Loucheur croyait assurément que la production de munitions serait mieux servie par une approche conciliatrice et souple vis-à-vis de l’agitation ouvrière que par des pénalités sévères et immédiates imposées à titre d’exemple.
36Pourtant, cette attitude avait des limites. Loucheur s’opposa vigoureusement aux délégués d’atelier en février 1918, lorsqu’il crut qu’ils outrepassaient leurs droits. Le 3 février, environ mille délégués de la région parisienne se réunirent pour discuter de la guerre. Conscients du fardeau que la guerre représentait pour des millions d'hommes depuis « quarante-deux mois », les délégués demandèrent une paix sans annexions, sans indemnités, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et une paix durable sous les auspices d’une Société des Nations basée sur « la confiance, la solidarité et la communauté des intérêts des classes ouvrières de tous les pays unis dans l'Internationale »45. Le 21 février, Loucheur désavoua publiquement les conclusions de la réunion et réaffirma que les délégués d’atelier « sont nommés dans les usines afin de faciliter les relations des ouvriers d'un atelier ou d’une spécialité avec la direction de l’établissement. Les fonctions de délégués d’atelier ne peuvent donc s’exercer qu’à l’intérieur de l’usine et les échanges de vue qui ont lieu à l’usine entre la direction et les délégués ne sauraient avoir aucun écho au dehors »46. Non seulement il considérait que les délégués s’étaient aventurés hors limites en discutant d’un sujet qui n’avait rien à voir avec le travail dans leurs usines, mais il maintint qu’ils avaient outrepassé leur mandat en se réunissant en groupe. Les sujets touchant la collectivité étaient du ressort des syndicats. Les remarques de Loucheur eurent l’effet de souligner le rôle des délégués d’atelier comme de simples agents s’occupant de problèmes locaux pratiques dans les usines de guerre pour empêcher que les tensions ne montent.
37La création des délégués d’atelier avait été controversée depuis sa conception et L’Usine, se faisant l’écho de certains milieux d’affaires, titra : « Où allons-nous ? ‘Soviets’ et ‘Délégués d’atelier.’ » Redoutant la contagion bolchevique, le journal compara la réunion des délégués d’atelier à Paris à celle d’un « soviet d’usine ». L’Usine fit de cet incident une « question nationale » concernant tous les citoyens et le gouvernement47. Le document que Loucheur fit circuler le 21 février rassura quelque peu les industriels, mais ils continuèrent probablement à redouter les initiatives des délégués.
38Les syndicats avaient eux aussi émis des réserves au sujet des délégués d’atelier. Certains syndicalistes comme Léon Jouhaux, secrétaire-général de tendence réformiste de la Confédération générale du travail (CGT), appuya la décision de Loucheur de réaliser le plan des délégués selon le dessein original de Thomas. Ils affirmaient que le système ne posait aucun problème pour la main d’œuvre aussi longtemps que les délégués restaient subordonnés aux syndicats. Mais d'autres leaders du mouvement ouvrier redoutaient que les industriels n’essaient de supplanter les syndicats. Ils croyaient que les avantages du système des délégués étaient annulés par le mal qu’il pouvait faire à la solidarité ouvrière et au pouvoir syndical48. Ces peurs et malentendus ne sont pas surprenants : le système avait été conçu lors de tensions ouvrières, et des clarifications sur leur rôle furent plusieurs fois nécessaires49. Il semblait inévitable que le système ne fût tôt ou tard l’objet d’une attaque concertée. Ce jour arriva à la suite d’une grève importante en mai 1918 (voir infra, p. 110-113).
39Les responsabilités de Loucheur vis-à-vis de la main d’œuvre changèrent du tout au tout après le départ de Thomas. Il dut soudain contrôler et gérer une force ouvrière d’un million et demi de personnes50. Il lui incombait moins d’apprivoiser la bureaucratie gouvernementale, comme cela avait été le cas avec la production de munitions et les matières premières, que de saisir les données d’un problème humain dont les dimensions défiaient les prédictions, les expédients, les solutions fiables, et l’efficacité. Pour couronner le tout, Loucheur devait remplacer un homme dont la solide réputation parmi les ouvriers semblait lui nuire, car sa formation d’homme d’affaires apparut tout d’abord suspecte au monde ouvrier. Son comportement fut essentiellement pragmatique, mais teinté d’un souci humanitaire. Certaines mesures qu’il prit pendant les conflits ouvriers préfigurèrent celles qu'il devait championner après la guerre dans l’intérêt du bien-être, telles la loi sur les habitations à bon marché connue sous le nom de loi Loucheur. Mais il ne se laissa jamais dominer par son âme humanitaire. Pendant la guerre, il fit toujours en sorte que les usines produisent sans interruption.
Le charbon : un programme à l’essai
40Après la réorganisation structurelle qui donna à Loucheur la responsabilité du ravitaillement de la France en charbon, il dut opérer au jour le jour, comme dans d’autres domaines. Se rappelant les pénuries et la détresse de l’hiver précédent, les Français avaient une confiance limitée dans la capacité du gouvernement de faire mieux dans les mois à venir. Un des soucis les plus pressants de Loucheur fut donc de raffermir les liens entre la France et l’Angleterre en matière de charbon. A la fin de 1917 et au début de 1918, alors que les Alliés augmentaient leurs efforts en vue de resserrer leur coopération, Loucheur ne fut pas le seul fonctionnaire français à être frustré par la tendance des Anglais à suivre leurs propres idées concernant la répartition optimum du fret et du charbon. Loucheur œuvra avec Clemenceau et d’autres pour convaincre la bureaucratie anglaise qu’un accord satisfaisant tous les Alliés s’imposait rapidement. Les Français pensaient que les Anglais ignoraient leurs intérêts. La création d’un pool du fret est mieux connue comme exemple de coopération alliée à l’arrière, mais les Alliés recherchaient également une coopération plus rapprochée en matière de distribution du charbon et d’autres matières premières. Pour Loucheur, il était en effet de la plus grande urgence d’assurer des réserves de charbon adéquates à la France en vue de soutenir l’effort militaire allié et d’éviter que le moral du public ne baisse.
41Pendant l’été 1917, Loucheur tenta d’organiser les transports de charbon allié pour utiliser au mieux le tonnage disponible. Il proposa d’envoyer à l’Italie, par chemin de fer, du charbon des mines du sud de la France en échange d’une quantité équivalente de charbon anglais à la France. L’idée fut introduite à la conférence de Londres en août 1917, et un accord franco-britannique fut conclu sous réserve de discussions ultérieures avec les représentants italiens51.
42Les Français favorisaient une approche alliée globale dans des domaines variés. Etienne Clémentel, qui fut l’homme du renforcement de la coopération alliée, se plaignit que les seuls accords conclus jusque-là étaient pointus et temporaires ; il voulait voir une unité accrue dans la répartition des fardeaux économiques entre Alliés. Loucheur partageait ses vues. Ainsi, le plan tripartite pour le charbon qu’il avait proposé au mois d’août fut rediscuté lorsque les Alliés créèrent à Paris, à la fin de novembre et au début de décembre, le Conseil allié des transports maritimes qui devait devenir le symbole d’unité et de coopération économiques alliées. En fin de compte, les vivres et le charbon reçurent une attention considérable dans le plan de distribution du fret. Quant au charbon, l’accord qui fut passé prévoyait que la France enverrait mensuellement entre 150 000 et 200 000 tonnes de charbon français de Marseille à Gênes par bateaux italiens. Les Anglais remplaceraient ces exportations par des livraisons à Rouen et Bordeaux52.
43Le problème étant apparemment réglé, Loucheur commença les livraisons à l’Italie, mais elles furent loin de soulager cette dernière. L’Italie estimait en effet avoir un besoin minimum de 700 000 tonnes par mois, mais n’en recevait que de 300 000 à 400 000 tonnes en tout. Le gouvernement italien plaida donc auprès des Anglais pour obtenir davantage de charbon, expliquant que, faute de combustible, l’Italie se verrait probablement contrainte d’abandonner son effort de guerre53.
44Devant l’état critique de la situation en Italie et la pénurie du fret allié, les Anglais se sentirent exemptés d’avoir à remplacer le charbon français en quantité équivalente à celle que la France envoyait à l’Italie. En signant l’accord de Paris, l’Angleterre s’était engagée à remplacer le charbon si la France se trouvait incapable de satisfaire ses besoins nationaux. Mais, comme la production française de charbon domestique avait soudainement augmenté pendant les douze mois précédents, les Anglais croyaient que les Français pouvaient désormais aider les Italiens sans recevoir de compensation54. Ils estimaient que les Français étaient à même d’envoyer 150 000 tonnes de charbon par mois à l’Italie et même d’augmenter rapidement ce chiffre à 300 000.
45En janvier 1918, au cours d’âpres discussions entre les fonctionnaires français et anglais sur cette question, Loucheur envoya un mémorandum au Foreign Office sur la situation du charbon en France. Il caractérisa la situation « comme tout-à-fait tendue et précaire » et souligna que la France avait atteint la limite du sacrifice. Si le délicat équilibre des réserves était détruit, une catastrophe était possible, avec de terribles conséquences pour les Alliés. Il fit remarquer que, malgré l’augmentation de la production française, la qualité du charbon disponible avait diminué parce que le charbon anglais de qualité supérieure manquait. Il maintint que la situation de la France en charbon n’était pas bien meilleure qu’en 1916, date depuis laquelle la France n’avait plus pu équilibrer l'offre et la demande. Comme le fret anglais nécessaire avait été libéré par les livraisons françaises à l’Italie, Loucheur exhorta l’Angleterre à commencer ses livraisons compensatoires55.
46Il est possible que Loucheur ait exagéré pour étayer son cas, mais les chiffres confirment l’évaluation contenue dans son mémorandum de janvier. A la Chambre des Députés, Antoine Drivet fit remarquer que la qualité de certains charbons extraits en France était si mauvaise que les chiffres brut de production devaient être diminués de 10 à 15 % ; Loucheur était d’accord avec cette évaluation. Clémentel justifia en grande partie la position de Loucheur lorsqu’il décrivit, dans son livre sur la France et le développement de la coopération économique alliée pendant la guerre, les nombreux problèmes rencontrés par les Alliés pendant l’hiver 1917-1918. Il fut de l’avis de Loucheur pour dire qu’il y avait une différence importante entre l’offre et le besoin en France dont il estima la pénurie d’approvisionnement entre 500 000 et 600 000 tonnes par mois56.
47Comme la description que Loucheur fit au Foreign Office était très éloignée de ce qu’on disait aux Français, il souligna la nature strictement confidentielle de son message57. Néanmoins, l’incrédulité des Anglais à l’égard des craintes françaises persista, et les deux pays continuèrent pendant plusieurs semaines à se disputer. Au début de février, l’ambassadeur d’Angleterre à Paris, qui avait parlé avec Clemenceau ce jour-là, décrivit le président du Conseil comme « abattu, préoccupé, et irrité par le problème du charbon »58. Et, quand les Anglais proposèrent aux Français à la mi-février de fournir une quantité substantielle de charbon à l’Italie sans compensation, Clemenceau fulmina : comment osaient-ils compter que la France puisse « subsister avec 3 500 000 T. [tonnes] de charbon par mois dont la plus grande partie est composée de charbons de qualité médiocre... alors que la consommation actuelle de la Grande-Bretagne dépasse 15 millions de tonnes de charbons de bonne qualité »59.
48Les discussions continuèrent jusqu’à la mi-mars, date à laquelle les Alliés se réunirent à Londres pour la première session du Conseil allié des transports maritimes. Loucheur et Clémentel représentaient la France. Un accord provisionnel fut conclu entre la France, l’Angleterre et l’Italie, aux termes duquel les Français fourniraient à l'Italie 350 000 tonnes de charbon français entre le 15 mars et le 15 avril pendant que l’Angleterre enverrait un montant équivalent à la France entre le 15 mars et le 30 avril. L’accord n’était que pour une brève période, car les Alliés étaient conscients de la fluidité de la situation. Le transport du charbon en Italie après avril devait être étudié lors d’une autre séance du Conseil au début d’avril60. L’aspiration de Loucheur à réorganiser les routes du charbon dans un but d’efficacité avait produit un accord tripartite du charbon et le rôle prédominant qu’il joua, ainsi que ses talents de négociateur, ne passèrent pas inaperçus de Clemenceau.
49Loucheur eut de la chance : sa politique du charbon reçut l’appui du Parlement et de la presse à l’entrée de l’hiver 1917-1918. Le journal socialiste L’Humanité, par exemple, le félicita en novembre d’avoir vaincu la résistance obstinée du Sénat à un plan global du charbon sans s’attirer les commentaires hostiles de la part du journal Le Temps. L’Humanité se déclara satisfait que le système étatiste qu’il avait réclamé dès l’hiver 1914 soit enfin mis en place61.
50L’Usine, qui représentait les intérêts des industriels et des commerçants, fut plus prudent. Tout en informant ses lecteurs chaque semaine de la situation du charbon, le journal se plaignit à l’automne de l’insuffisance du ravitaillement et des fautes de gestion du système de Loucheur. L’Usine changea de ton en janvier – au moment même où Loucheur disait secrètement aux Anglais que la crise était plus sérieuse que le gouvernement ne l’admettait publiquement – et commença à présenter une image plus optimiste qui fut renforcée par une vague de beau temps. A la fin de janvier, le journal nota que la hausse de température spectaculaire de moins 10 degrés à 17 degrés signifiait qu’on utiliserait moins de charbon pour chauffer les logements, et qu’il y en aurait donc davantage pour les industries non liées à la Défense nationale. L’Usine continua à signaler une amélioration pendant le mois de février, et à la fin de l’hiver, son enthousiasme pour la façon dont Loucheur avait résolu la crise s’accrut62. Vers la mi-février, on pouvait y lire ces lignes : « Allons, monsieur le ministre de l’Armement, vous avez fait vos preuves, et votre plan de répartition du combustible – à part quelques critiques que vous savez justes – a donné de meilleurs résultats que ceux qu’avaient escomptés vos censeurs ; redoublez d’efforts pour la deuxième année de son application, et ainsi nous vous applaudirons des deux mains »63.
51Vis-à-vis de l’opinion publique, Loucheur se garda de présenter une vue d’ensemble ; au contraire, il souligna la réussite de son programme qui assurerait suffisamment de charbon pour tenir le coup pendant l’hiver64. Il essaya de remonter le moral du public au long de ce quatrième hiver de guerre. Ce qu’il cacha n’était un signe ni de faiblesse ni de panique, mais une réponse calculée.
L’acier en crise perpétuelle
52Peu après que Loucheur devint ministre de l’Armement, un rapport établi par la commission de l’Armée de la Chambre sur l’acier le critiqua vivement pour n’avoir pas tenu les délais du programme d’acier domestique inauguré en janvier 1917 pour augmenter la production. Le rapport s’en prit également à lui pour ce qu’il considérait une sur-dépendance vis-à-vis de l’acier étranger pour satisfaire les besoins de la France. En conclusion, le rapport notait que « Quelles que soient les décisions prises, elles ne pourront remédier efficacement à la situation créée par près de trois ans d’inertie. Au moment même où ils proclamaient leur résolution de conduire la guerre ‘jusqu’au bout,’ les Gouvernements qui se sont succédés ne prenaient pas les décisions sur lesquelles auraient dû s’appuyer leurs affirmations dans la ‘certitude de la Victoire’ »65. Ce rapport, qui montrait l’ignorance de la commission quant à la sévérité des problèmes rencontrés par Loucheur pendant les huit premiers mois de 1917, provoqua une réponse immédiate de la part du ministère de l'Armement. Le cabinet de Loucheur attribua les problèmes de production de l’acier aux conditions défavorables qui accablaient la nation. Les déficiences les plus importantes étaient causées par la pénurie de main d’œuvre, le manque de charbon, et l’insuffisance des transports. La longueur même de la réfutation – seize pages – montre combien Loucheur était sensible aux critiques ; venant tout juste d’être investi de ses fonctions de ministre de l’Armement, il devait parer à des attaques de tous côtés. Lorsqu’il comparut devant la commission de l’Armée au début de décembre, il expliqua que les programmes de construction des aciéries étaient achevés, mais que la production avait pris du retard à cause de la pénurie de charbon et de main d’œuvre66.
53Il était évident pour Loucheur et pour la commission de l’Armée que la dépendance en acier anglais et américain devrait continuer ; pendant l’automne et l’hiver, Loucheur œuvra pour assurer à la France un approvisionnement adéquat de ces deux sources. En septembre, il rencontra à Paris Winston Churchill avec lequel il avait discuté à Londres le mois précédent. Churchill l’avertit que les Anglais étaient contraints de réduire la quantité d’acier à obus qu’ils produisaient pour la France, mais il calma les craintes françaises en ajoutant que le Contrôleur anglais du fret libérerait assez de fret pour transporter cinquante mille tonnes d’aciers à obus des Etats-Unis en France en octobre, et le double en novembre. Les deux ministres se rencontrèrent de nouveau en octobre pour officialiser et prolonger l’accord de septembre. Ce que Loucheur désignait sous le nom de convention Churchill accordait également à la France une capacité de fret pour livrer cinquante mille tonnes d’acier à obus américain en décembre et de soixante mille tonnes en janvier67.
54Pendant que Loucheur essayait d’assurer le ravitaillement de la France en acier pendant l’automne, ses programmes de munitions furent compromis par une pénurie sévère de céréales. L’étendue du problème fut exposée dans un mémorandum rédigé par Clémentel et adressé par Painlevé, président du Conseil, au Premier ministre anglais, David Lloyd George, le 9 octobre : « La situation du ravitaillement des Alliés, et celle de la France en particulier, est actuellement tellement critique qu’elle risque de compromettre le résultat de la guerre. Depuis trois mois, la France vit au jour le jour et même heure par heure sur ses arrivages. Les réserves pour Paris et les grands centres sont d’un jour, celles pour les armées de un à trois jours : de nombreuses localités ont déjà manqué de farine et les incidents se multiplient. »68 Loucheur était en partie responsable de l’ampleur de la crise ; son insistance à recevoir des bateaux pour les transports d'acier en juin et en juillet avait privé les céréales d’un certain tonnage. Pour éviter une catastrophe majeure, il dut restituer au ministère du Ravitaillement le fret qu’une commission interministérielle lui avait accordé pour le transport nord-atlantique. La crise des céréales illustre également pourquoi, pendant le dernier trimestre de 1917, les livraisons anglaises d’acier à obus américain tombèrent bien au-dessous de ceux spécifiés par la convention Churchill69.
55En guise de consolation, Loucheur put constater que la crise des vivres déclenchait de sérieuses négociations sur la mise en commun des frets anglais, français, et italien. Clémentel, qui préconisait l’égalité dans le sacrifice afin d'aider la France à passer l’hiver, poussa à l’ouverture des discussions. La question la plus urgente étant les vivres, Clémentel voulait que les trois alliés européens mettent en commun leurs ressources de transports pour l’importation de denrées aussi essentielles que le blé. Les discussions d’octobre et du début de novembre aboutirent dans l’accord du 3 novembre 1917 qui, malgré l’imprécision de son langage, affirmait que les trois puissances étaient prêtes à fournir du fret pour les denrées alimentaires « proportionnellement à leurs moyens de transport respectifs. » Ce qui revenait à dire que les signataires devraient calculer leur potentiel de fret combiné, puis déterminer une allocation pour les importations de vivres. Cette procédure éliminait pratiquement la distinction entre les vivres et les autres importations, parce que les attributions de tonnage seraient basées sur l’estimation des besoins globaux d’importation des trois nations. L’accord représentait donc une étape majeure vers la mise en commun du fret70.
56Les délégués alliés réunis à Paris à partir du 29 novembre établirent un mécanisme organisationnel qui devait créer le noyau d’une coopération économique alliée rapprochée. Il en résulta le Conseil allié des transports maritimes qui se réunit formellement pour la première fois en mars 1918. C’est dans ce système et à travers lui que Loucheur travailla, tant et si bien qu’il devint membre de ce Conseil71.
57Loucheur dut faire face à un approvisionnement en acier réduit parce que l’Angleterre, qui manquait de fret, avait fait accepter à la France une réduction drastique des importations anglaises prévues en 1918. Ernest Mercier, qui représenta Loucheur à une réunion de la Commission interministérielle des métaux et des fabrications de guerre (CIM), annonça le 27 février que les importations anglaises estimées à 35 000 tonnes par mois en mars diminueraient soudainement jusqu’à seize mille tonnes par mois à partir de juin. Qui plus est, il révéla que l’Angleterre, qui était un important fournisseur d’aciers à obus en 1917, suspendrait indéfiniment l’exportation de cette qualité d’acier à la France ; les Français devraient donc se fier à leur production domestique de vingt mille tonnes par mois et aux importations d’Amérique. Or, les arrivées d’acier américain avaient chuté d'une part parce que les Anglais n’avaient pas appliqué les programmes de tonnage de la convention Churchill, et d’autre part parce que la disponibilité du fret français était au plus bas72. En février, Loucheur estima qu’il y aurait en 1918 une réduction de 30 % des produits métallurgiques sur l’année précédente. Autrement dit, on attendait des ressources inférieures de 40 % aux besoins minimum prévus pour les programmes de production des divers ministères. Présentant le problème au Comité de guerre, Loucheur recommanda que soient réévalués les programmes de fabrication à base de produits métallurgiques, soit avec la participation directe de Clemenceau, soit sous un organisme constitué par le Comité de guerre. Au début d’avril, le Comité entreprit de faire la réévaluation lui-même73.
58Entre temps, Loucheur espérait vivement obtenir des quantités accrues d’acier américain. Ses espoirs étaient fondés en partie sur un accord conclu l’été précédent, aux termes duquel les Français s’engageaient à fournir des pièces d’artillerie aux forces américaines arrivant en Europe en échange d’acier brut. Les effets de cet accord furent visibles en février 1918, lorsque 82 000 tonnes d’acier arrivèrent des Etats-Unis pour les programmes d'artillerie, bien au-dessus de la quantité livrée les mois précédents. En mars, ce montant s’éleva à 122 677 tonnes74.
59Loucheur fut impliqué dans une controverse sur le rôle du Comité des Forges et du Comptoir d’exportation des produits métallurgiques qui étaient les agents du gouvernement pour l’approvisionnement et la distribution des produits en fer et en acier. Au début de l’automne 1917, le gouvernement utilisait le Comité des Forges comme unique acheteur et distributeur de produits en fonte anglaise et comme agent distributeur pour la fonte américaine et française achetée par le gouvernement. Ces deux agences entretenaient des liens rapprochés : en effet, avant la guerre, la fonction primordiale du Comptoir avait été la promotion des exportations de produits métallurgiques de ses compagnies affiliées. L’intervention de l’Etat et la dépendance du gouvernement vis-à-vis du Comité des Forges avaient déjà valu à ce programme des critiques, surtout de la part des utilisateurs de ces produits, mais la décision du 31 août provoqua un nouvel assaut contre le système75.
60Le chef de la campagne en faveur de la dérégulation et contre le Comité des Forges était Jules Niclausse, président du Syndicat des mécaniciens, chaudronniers et fondeurs – une association patronale. Niclausse s’inquiétait du tort que les pénuries de fer et d’acier infligeaient aux industries privées non liées à la défense. Lors d’une réunion avec Clémentel le 3 septembre, il indiqua que le chômage dans les industries représentées par son association avait augmenté de façon alarmante et que, faute de concessions, les membres de son association seraient désavantagés vis-à-vis de la compétition étrangère après la guerre. Blâmant le ministère de l’Armement, Niclausse chercha à libérer les importations de matières premières de l’autorité centrale à laquelle elles étaient soumises. Il affirma que l’on verrait baisser les prix et augmenter les quantités d’acier et de fer importées76.
61La campagne de Niclausse força la commission des Douanes de la Chambre des Députés à tenir audience pendant l'hiver. Parmi les intervenants, Robert Pinot et Loucheur défendirent tous deux les mesures de contrôle prises par le gouvernement. Loucheur témoigna à la fin de janvier 1918 ; selon lui, l’intensification de la guerre sous-marine par les Allemands en 1917 avait justifié les restrictions et la centralisation de l’acier en provenance d’Angleterre, et le Comptoir d’exportation avait été prié de servir d’agent centralisateur pour l’acier anglais. Attaquant l’optimisme de Niclausse au sujet du libre marché, il suggéra que, même si le Syndicat des mécaniciens, chaudronniers et fondeurs parvenait à se procurer quelques tonnes d’acier en Angleterre par ses propres efforts, ce serait à un prix double de celui demandé alors par les Anglais qui s’accordaient avec les Français pour éviter l’inflation que la compétition entre les Alliés ne manquerait pas d’enflammer. Loucheur affirma que le Comité des Forges avait été extrêmement utile dans les premiers moments du conflit. Mais, tout en affirmant être personnellement satisfait de la responsabilité du Comité pour les produits métallurgiques anglais, il admit que le fait de demander aux concurrents du Comité de passer par ses services pour obtenir de l’acier anglais créait des difficultés. Mais, tout en admettant que l’organisme centralisateur idéal pour les achats était l’Etat lui-même, en vertu de son impartialité, il ajouta que cette possibilité n’existait pas77.
62Loucheur songea pendant quelque temps à remplacer le Comité des Forges par une agence de l’Etat pour acheter et répartir les importations métallurgiques. Il pensait que le CIM pourrait s’acquitter de cette tâche, mais il réalisait aussi que, pour lui en donner les moyens, il faudrait créer un mécanisme financier pour gérer les transactions entre les consommateurs et les vendeurs étrangers. Loucheur fit part de cette idée au ministre des Finances dans une lettre en décembre et proposa de créer à cet effet un compte spécial du Trésor. Le ministre des Finances fut favorable à cette initiative, mais rappela à Loucheur que la création d’un tel compte nécessiterait l’accord du Parlement78.
63Loucheur avait demandé à Mercier d’étudier un système contrôlé et géré par l’Etat et, au début de janvier, Mercier envoya son rapport au ministère du Commerce. La date indique que Mercier se mit en contact avec Loucheur dans les derniers jours de décembre pour lui communiquer les résultats de son étude. Mercier y parlait surtout du Comptoir d’exportation, mais il présenta également ses impressions sur un système global d’achats et de répartition des métaux et sur le Comité des Forges. Conscient du fait que Loucheur désirait que l’Etat assume directement la responsabilité des importations d’acier présentement déléguée au Comptoir d’exportation, Mercier énuméra néanmoins les mérites du système existant et les problèmes qu’entrainerait une passation de pouvoir. Le Comptoir bénéficiait de son expérience, du soutien du Comité des Forges, et de vastes relations d’affaires. En outre, il permettait une bien plus grande souplesse de financement et de paiement qu’aucun autre organe étatiste, même s'il disposait d’un compte spécial du Trésor. Mercier recommanda le maintien du Comptoir, mais avec certaines modifications susceptibles d’être acceptées par les critiques79.
64Ayant connaissance des recommandations de Mercier d’une part, étant placé devant une situation métallurgique extrêmement difficile de l’autre, Loucheur écrivit à Pinot le 31 décembre 1917. Il déclara son intention de faire de l’Etat le seul acheteur de fonte française et exprima son désir de voir le Comité des Forges la distribuer sous le contrôle de son ministère. Il avait l’intention d’étendre le rôle du Comité à tous les produits en fonte, c’est-à-dire à ceux importés d’Angleterre et des Etats-Unis et à ceux produits en France et achetés par l’Etat. Loucheur croyait que cela permettrait d’indiquer plus précisément aux industriels sur quelles quantités de fonte compter mensuellement. Il précisa également qu’il espérait utiliser ses contacts pour obtenir des contrats avec des producteurs visant à une péréquation générale des prix par catégories de fer produites en Amérique, en Angleterre, et en France. Il fixa au 31 mars la date de mise en route de cette mesure, et il demanda à Pinot de transmettre la teneur de sa lettre aux consommateurs de fer80.
65Bien entendu, Niclausse attaqua vivement le plan de Loucheur. Il mit en question le bien-fondé d’un élargissement des pouvoirs du Comité des Forges et se plaignit que les industriels qui avaient jusque-là réussi à éviter de passer par lui seraient forcés de participer au système81. Il est évident que la lettre de Loucheur du 31 décembre contribua à entretenir la controverse au sujet du rôle du Comité des Forges pendant la guerre.
66La vive opposition de Niclausse et de ses alliés fit abandonner ce projet à Loucheur. Pourtant, en février, il parlait toujours de sa préférence pour le Comité des Forges qui était déjà en place et qui faisait ce qu’il fallait82. Une fois le vacarme calmé, il reprit ses efforts pour appliquer le plan qu’il avait décrit à Pinot. Mais ce plan ne prit pas effet le 31 mars ; Loucheur dut accepter un délai.
Du désarroi vient le succès
67Malgré tous ses problèmes, Loucheur put faire un rapport positif à la commission du Budget de la Chambre au début de décembre 1917 sur la production entre le 1 er septembre et le 1 er décembre. En septembre, pour satisfaire à la demande de Pétain pour davantage d’artillerie, Loucheur avait mis en place une nouvelle stratégie de production qui prévoyait d’avoir rempli la commande de Pétain le 1er avril 1918. Loucheur dit à la commission que, sauf pour deux modèles, le 145 mm et le 155 mm de modèle 76, les délais de production avaient été soit presque tenus soit devancés. La production du 155 mm court, notamment, une arme à laquelle l’armée attachait une grande importance, avait dépassé les prévisions : on en avait produit 572, soit cent de plus que ce que Loucheur avait prévu. Puisque, pour certains calibres, la production d’obus d’artillerie était plus que suffisante, il se vanta de pouvoir ralentir le rendement pour économiser l’acier83.
68Les statistiques de Loucheur confirment qu’il finissait généralement ses programmes d’artillerie et d’obus dans les délais prévus. Entré au gouvernement en partie pour intensifier la production d’artillerie lourde, Loucheur satisfaisait donc les attentes de ceux qui avaient placé leur confiance en lui. Même un étranger comme Winston Churchill appréciait ce que Loucheur avait fait. Disant à l’automne de 1917 que le nouveau programme français d’artillerie lourde avait trouvé son rythme et que, d’ici avril 1918, les Français auraient en tout 9 000 canons modernes et l’assurance de recevoir d’importantes livraisons mensuelles, il ajouta, « Nos chiffres comparables sur le front français seront de presque 8 000, ce qui est le maximum fixé présentement par notre armée. Notre infanterie ne sera donc pas aussi bien soutenue par l’artillerie que les Français »84.
69Etant donné les nombreux problèmes auxquels Loucheur dut faire face, sa performance pendant l’automne et l’hiver 1917-1918 fut impressionnante. Il assuma des responsabilités dans l’industrie aéronautique en pensant à améliorer les produits en quantité et en qualité, il continua à produire des canons et des obus d’artillerie lourde en quantités proches de ce qui était prévu ou excédant les prévisions du programme, et il commença à s’occuper des chars d’assaut. Il assura un approvisionnement en charbon satisfaisant aux besoins minimum, il établit un rapport acceptable avec le monde ouvrier, et il joua un rôle clé dans le développement de l’union économique alliée que Clémentel et lui s’accordaient à juger essentielle pour gagner la guerre. Quant à sa carrière politique, ces mois furent un tournant, car ses réussites et ses qualités personnelles lui valurent non seulement le respect de plus d’un homme politique professionel et d’une partie importante de l’opinion publique, mais aussi l’estime et l’amitié de celui dont l’appui devait permettre sa métamorphose en homme politique à part entière en 1919 – Georges Clemenceau.
Notes de bas de page
1 David Robin Watson, Georges Clemenceau : A Political Biography (New York, 1974), p. 258-265. Loucheur, Carnets secrets, p. 41-54. Le récit par Thomas de la crise ministérielle de septembre 1917 se trouve dans 94 AP, 356, AN.
2 Le sous-secrétariat aux inventions intéressant la Défense nationale fut transféré du ministère de l'Armement au ministère de la Guerre.
3 Paul Painlevé à Louis Loucheur, 15 septembre 1917, dans 6 N, 103, SHAT. Loucheur, Carnets secrets, p. 41-43.
4 Painlevé à Loucheur, 15 septembre 1917, dans 6 N, 103, SHAT
5 Louis Loucheur à Paul Painlevé, 22 septembre, 1917, ibid.
6 Ibid.
7 Note pour M. Le secrétaire général de la présidence du Conseil, 30 septembre 1917, dans 6 N, 103, SHAT.
8 B. H. Liddell Hart, The Real War. 1914-1918 (Boston, 1964), p. 118, 205. Rapport de Monsieur Abel Ferry sur l'artillerie d’assaut, Commission du Budget (Chambre), 10 mai 1918, dans C, 7502, AN.
9 Watson, Georges Clemenceau, p. 249-272. Wright, France in Modem Times, p. 312-313. Georges Bonnefous, Histoire politique, II, p. 346.
10 Raymond Poincaré, Au service de la France (10 vols. ; Paris, 1926-1974), IX, p. 371 - 372, 374. Renouvin, The Forms of War Government, p. 73-77. Rapport de Monsieur Abel Ferry sur l’artillerie d’assaut, Commission du Budget (Chambre), 10 mai 1918, dans C, 7502, AN. Loucheur, Carnets secrets, p. 31-32, 35-36. Rapport sur l’organisation de l’artillerie d’assaut, Sous-commission des Armements, Commission de l’Armée (Chambre), 25 décembre 1917, dans C, 7503, AN
11 France, Journal officiel de la République française : Lois et décrets, 9 janvier 1918, p. 372.
12 Ibid., 19 janvier 1918, p. 746.
13 Rapport de Monsieur Abel Ferry sur l’artillerie d’assaut, Commission du Budget (Chambre), 10 mai 1918, dans C, 7502, AN.
14 Ropp, War in the Modem World, p. 268-269.
15 Procès-verbal, Commission du Budget : Sous-commission des Armements (Chambre), 6 décembre 1917, dans C, 7560, AN.
16 Reboul, Mobilisation industrielle, I, p. 93-96.
17 Rapport sur l’aéronautique présenté à la commission de l’Armée par M. d’Aubigny (Chambre), 3 mai 1918, dans C, 7502, AN. Charles Christienne et. al., Histoire de l'aviation militaire française (Paris, 1980), p. 163-169.
18 Procès-verbal, Commission de l’Armée (Chambre), 12 octobre 1917, dans C, 7499, AN.
19 Procès-verbal, Commission de l'Armée (Chambre), 17 octobre 1917, ibid.
20 Rapport sur l’aéronautique présenté à la commission de l’Armée par M. d’Aubigny (Chambre), 3 mai 1918, dans C, 7502, AN. Procès-verbal, Commission de l’Armée (Chambre), 12 octobre 1917, dans C, 7499, AN.
21 -Jean Jules Henri Mordacq, Le Ministère Clemenceau : Journal d'un témoin (4 vols. ; Paris, 1930-1931), I, p. 35-39 La citation se trouve en p. 36-37. Rapport sur l’aéronautique présenté à la commission de l’Armée par M. d’Aubigny (Chambre), 3 mai 1918, dans C, 7502, AN. Albert Etevé, La Victoire des cocardes (Paris, 1970), p. 239.
22 Rapport sur l’aéronautique présenté à la commission de l’Armée par M. d’Aubigny (Chambre), 3 mai 1918, dans C, 7502, AN. Procès-verbal de la commission de l’Armée (Chambre), 7 décembre 1917, dans C, 7499, AN. Maurice Duval à Philippe Pétain, 21 novembre 1917, dans la Sous-série 130 AP, Papiers Jacques-Louis Dumesnil, Carton 7, AN.
23 Procès-verbal, Commission de l’Armée (Chambre), 7 décembre 1917, dans C, 7499, AN.
24 Rapport sur l’aéronautique présenté à la commission de l’Armée par M. d’Aubigny (Chambre), 3 mai 1918, dans C, 7502, AN. Etevé, La Victoire des cocardes, p. 240-241. Article paru dans Le Petit Parisien, le 31 décembre 1917, p. 1, dans Fl2, 7681, AN. « Fonctionnement des Services et bureaux de l'aéronautique », de Louis Loucheur à Jacques-Louis Dumesnil, 14 décembre 1917, dans 130 AP, 12, AN. Note sur le fonctionnement des Services de l'aéronautique, 19 décembre 1917, dans 130 AP, 12, AN.
25 Emmanuel Chadeau, Le Rêve et la puissance : L'Avion et son siècle (Paris, 1996), p. 94 Procès-verbal, Commission du Budget : Sous-commission des Armements (Chambre), 6 décembre 1917, dans C, 7560, AN. Procès-verbal, Commission de l’Armée (Chambre), 7 décembre 1917, dans C, 7499, AN. Procès-verbal, Commission du Budget (Chambre), 9 janvier 1918, dans C, 7560, AN. L'Usine, 10 mars 1918, p. 1. La Journée industrielle (Paris), 22 mars 1918, p. 2.
26 Procès-verbal, Commission du Budget : Sous-commission des Armements (Chambre), 6 décembre 1917, dans C, 7560, AN.
27 Rapport sur l’aéronautique présenté à la commission de l’Armée par M. d’Aubigny (Chambre), 3 mai 1918, dans C, 7502, AN. Procès-verbal, Commission du Budget (Chambre), 9 janvier 1918, dans C, 7560, AN.
28 Rapport sur l’aéronautique présenté à la commission de l’Armée par M. d’Aubigny (Chambre), 3 mai 1918, dans C, 7502, AN.
29 Ibid.
30 Pour plus de détails sur ce rapport et l’importance de sa place dans les événements, voir infra, p. 128-129.
31 Procès-verbal, Commission du Budget (Chambre), 9 janvier 1918, dans C, 7560, AN.
32 Mordacq, Le Ministère Clemenceau, I, p. 39.
33 Le Temps, 20 octobre 1917, p. 3. William Oualid et Charles Picquenard, Salaires et tarifs : Conventions collectives et grèves (Paris, 1928), p. 39-40.
34 Roger Picard, Le Mouvement syndical durant la guerre (Paris, 1927), p. 104-105, 118-120. Oualid et Picquenard, Salaires et tarifs, p. 454.
35 Picard, Le Mouvement syndical, p. 124. John N Horne, Labour at War : France and Britain, 1914-1918 (Oxford, 1991), p. 191. Gilbert Hatry, « Les Délégués d’atelier aux usines Renault », dans 1914-1918 : L'Autre front, édité par Patrick Fridenson (Paris, 1977), p. 222-224. Bulletin des usines de guerre, 10 septembre 1917, dans N, 2, SHAT. Rapport daté du 11 septembre 1917, dans la Série B A, Carton 1375, APP.
36 Oualid et Picquenard, Salaires et tarifs, p. 396-397, 454. Rapport daté du 11 septembre 1917, dans B A, 1375, APP. Yves Merlin, Les Conflits collectifs du travail pendant la guerre, 1914-1918 (Dunkerque, 1928), p. 15-16. « Situation dans les usines d'aviation », 22 septembre 1917, dans B A, 1375, APP. Documents relatifs aux décisions de grève et aux discussions dans l'industrie aéronautique, dans la Sous-série F 7, Police générale, Carton 13366, AN. « Dans les usines de guerre », 24 septembre 1917, dans F 7, 13366, AN.
37 Rapport daté du 27 septembre 1917, dans F 7, 13366, AN.
38 R. Roche à M. Garin, 26 septembre 1917, ibid.
39 Oualid et Picquenard, Salaires et tarifs, p. 454, note 1. Rapport daté du 27 septembre 1917, dans B A, 1375, APP. Rapport daté du 27 septembre 1917, dans F 7, 13366, AN.
40 « Dans l’aviation », 4 octobre 191 7, dans F 7, 13366, AN. Rapport daté du 19 octobre 1917, dans B A 1375, APP. Rapport daté du 26 octobre 1917, dans B A 1375, APP. « Le Conflit de l'aviation et de l’armement », 14 novembre 1917, dans B A, 1375, APP. Oualid et Picquenard, Salaires et tarifs, p. 397. Le Temps, 25 novembre 1917, p. 3.
41 Décision d’arbitrage du ministère de l’Armement, 13 novembre 1917, dans F 7, 13366, AN.
42 Bulletin des usines de guerre, 31 décembre 1917, 18 février 1918, les deux dans 10 N, 2, SHAT.
43 Bulletin des usines de guerre, 17 décembre 1917, 23 septembre 1918, les deux, ibid.
44 Le général Gages à Louis Loucheur, 26 mars 1918, Louis Loucheur au général Gages, 1er avril 1918. tous deux dans 6 N, 149, SHAT.
45 L’Usine, 3 février 1918, p. 1.
46 Bulletin des usines de guerre, 4 mars 1918, dans 10 N, 2, SHAT.
47 L'Usine, 3 février 1918, p. 1.
48 Picard, Le Mouvement syndical, p. 129-130.
49 Hatry, « Les Délégués d’atelier aux usines Renault. » p. 223.
50 Oualid et Picquenard, Salaires et tarifs, p. 45, 81.
51 Mémorandum sur la situation de la France au point de vue du charbon, 10 janvier 1918, dans FO 382/2078, Dossier 1398, PRO. Clémentel, La France et la politique économique. p. 335-336.
52 Clémentel, La France et la politique économique, p. 219-230. James Arthur Salter, Allied Shipping Control : An Experiment in International Administration (Oxford, 1921), p. 232-236
53 Note du ministère des Affaires étrangères à l’ambassade d’Angleterre, 19 décembre 1917, dans F 12, 7785, AN. David Lloyd George à Georges Clemenceau, 20 décembre 1917, dans FO 382/2078. Dossier 1398, PRO.
54 Note du ministère des Affaires étrangères à l’ambassade d’Angleterre, 19 décembre 1917, dans F 12, 7785, AN. Procès-verbal, Cabinet de Guerre, 20 décembre 1917, dans CAB 23/4 (303), PRO.
55 Mémorandum sur la situation de la France au point de vue du charbon, 10 janvier 1918, dans FO 382/2078, Dossier 1398, PRO.
56 Olivier, La Politique du charbon, p. 155-156. Clémentel, La France et la politique économique, p. 235-238.
57 Aimé de Fleuriau au Foreign Office, 19 janvier 1918, dans FO 382/2078, Dossier 1 398, PRO.
58 Télégramme de Lord Bertie au Foreign Office, 6 février 1918, dans FO 382/2079, Dossier 1398, PRO.
59 Georges Clemenceau à Lord Robert Cecil, 19 février 1918, ibid.
60 Mémorandum sur la question du charbon, non daté, accompagné d’une lettre explicative par Aimé de Fleuriau à Lord Robert Cecil, 18 mars 1918, dans FO 382/2078, Dossier 1398, PRO. Clémentel, La France et la politique économique, p. 245-246.
61 L'Humanité (Paris), 18 novembre 1917, p. 2.
62 L'Usine, 27 janvier 1918, p. 9, 24 février 1918, p. 21.
63 Ibid., 10 février 1918, p. 7.
64 France, Annales de la Chambre : Débats, 29 octobre 1917, p. 2927-2928.
65 Rapport sur l'acier présenté par M Dalbiez, Commission de l’Armée (Chambre), sans date, avec une lettre explicative à Louis Loucheur, datée du 19 septembre 1917, dans 10 N, 3, SHAT.
66 Réponse de Loucheur au rapport Dalbiez de septembre 1917, non daté, ibid. Procès-verbal, Commission de l'Armée (Chambre), 7 décembre 1917, dans C, 7499, AN.
67 Note faisant connaître les observations suggérées par les résolutions adoptées par la commission du Budget de la Chambre des Députés le 31 décembre 1917, Le ministère de l’Armement à Georges Clemenceau, 25 janvier 1918, dans 10 N, 37, SHAT.
68 Clémentel, La France et la politique économique, p. 172.
69 Ibid., p. 170, 185. Note faisant connaître les observations suggérées par les résolutions adoptées par la commission du Budget de la Chambre des Députés le 31 décembre 1917, Le ministère de l’Armement à Clemenceau, 25 janvier 1918, dans 10 N, 37, SHAT.
70 Salter, Allied Shipping Control, p. 148-149.
71 Ibid., p. 151-155. Clémentel, La France et la politique économique, p. 243-244.
72 Commission interministérielle des métaux et des fabrications de guerre, 27 février 1918, dans la Sous-série F 30, Administration centrale du ministère des Finances, Carton 1501, MF.
73 Procès-verbal, Comité de guerre, 6 avril 1918, dans la Sous-série 3 N, Comité de guerre, Carton 2, SHAT. Le Comité de guerre, qui comprenait les ministres de la Guerre, des Finances, de la Marine, de l'Armement, et des Affaires étrangères, avait été créé par Briand à la fin de 1916. Plusieurs personnes, surtout au Parlement, espéraient qu’il superviserait la conduite générale de la guerre dans le même style que le Cabinet de guerre anglais, mais, au contraire de son homologue d’outre-Manche, il ne devint jamais un puissant organe de décision. La plupart des questions qu’il traitait étaient soumises au Conseil des ministres pour leur acceptance. Voir Renouvin, The Forms of War Government, p. 92-94.
74 Procès-verbal, Commission de l’Armée (Chambre), 5 avril 1918, dans C, 7500, AN. Procès-verbal, Commission du Budget : Sous-commission des Armements (Chambre), 6 septembre 1918, dans 94 AP, 57, AN. Edward M. Coffman, The War to End All Wars : The American Military Experience in World War I (New York, 1968), p. 40.
75 Pinot, Le Comité des Forges, p. 115-118, 122, 143-144, 298-303, 15-18. Jeanneney, François de Wendel, p. 70-71.
76 Jules Niclausse à Etienne Clémentel, 8 novembre 1918, dans F 12, 7673, AN.
77 Procès-verbal, Commission des Douanes (Chambre), 28 décembre 1917, 24 janvier 1918, toutes deux dans 94 AP, 233, AN.
78 Louis-Lucien Klotz à Louis Loucheur, 21 décembre 1917, dans F 30, 1500, MF.
79 Note au sujet de la centralisation des commandes de produits métallurgiques, sans date, avec une note explicative d’Ernest Mercier à Monsieur le capitaine Guillet, 3 janvier 191 7 [sic ! l’année est 1918], dans F 12, 7673, AN.
80 Pinot, Le Comité des Forges, p. 281-283.
81 Jules Niclausse à Etienne Clémentel, 28 janvier 1918, dans F 12, 7673, AN.
82 Louis Loucheur à Etienne Clémentel, 20 février 1918, ibid.
83 Procès-verbal, Commission du Budget Sous-commission des Armements (Chambre), 6 décembre 1917, dans C, 7560, AN.
84 Winston Churchill, The World Crisis, 1916-1918 (2 vols. ; New York, 1927), 11, p. 29.
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