Chapitre III. Baptême au ministère de l’Armement 1916-1917
p. 43-73
Texte intégral
1Quand Loucheur devint sous-secrétaire d’Etat, son but était la production totale. A cette fin, il s’entoura d’un groupe d’hommes qui partageaient ses vues, révisa le programme d’artillerie lourde, cultiva une coopération étroite avec l’industrie privée, travailla vigoureusement à assurer des livraisons régulières de matières premières – surtout de charbon et d’acier – et tenta de modifier les procédures d’affectation de la main d’œuvre. Ce faisant, il manifesta la même forme de dynamisme dont il avait fait preuve en tant qu’industriel privé. Mais il rencontra souvent des fonctionnaires dont les priorités étaient différentes. En conséquence, des éléments essentiels de ses plans furent bloqués, retardés, ou réduits par plusieurs ministères, y compris les ministères des Finances, du Ravitaillement, et de la Guerre. De temps en temps, même les services de Thomas, au ministère de l’Armement, travaillaient contre lui. Dans ses contacts avec le GQG, Loucheur découvrit qu’il ne pouvait pas toujours obtenir toute la main d’œuvre qu’il demandait. Cependant, il avança, certain de pouvoir créer un système de fabrications de guerre capable de répondre aux besoins militaires.
2Les responsabilités de Loucheur furent définies par un décret de janvier 1917 qui lui confia, en tant que sous-secrétaire d’Etat des fabrications de guerre, la direction générale des fabrications de l’artillerie, des poudres et explosifs, du matériel chimique de guerre, et l’inspection des fabrications du service automobile. Il avait également le droit de prendre les mesures nécessaires pour procurer des matériaux aux fabricants d’armes, négocier les contrats inhérents à la réalisation de ses obligations, et présenter à Thomas des recommendations concernant salaires et conditions de travail, achats à l’étranger, litigations, et plusieurs autres questions, dont l’achat et la vente de bâtiments1. Pour satisfaire aux besoins de l’armée qui avaient été déterminés par Thomas, Loucheur disposait de la force industrielle mobilisée publique et privée de la France.
3Loucheur s’entoura d'hommes qui, par formation et par profession, tranchaient sur les collaborateurs de Thomas. Les principaux membres de son équipe avaient des diplômes d’ingénieur, et plusieurs avaient été associés à des banques et à l'industrie privée. Xavier Loisy, chef de cabinet de Loucheur, était polytechnicien. Edmond Philippar, chef adjoint de cabinet de Loucheur, et Paul Munich, assistant au chef de cabinet, étaient eux aussi diplômés d’écoles françaises d’ingénieurs. Munich avait été ingénieur avant la guerre, et Philippar avait été membre du conseil d’administration du Crédit foncier d’Algérie et de Tunisie. Loisy avait travaillé pour le gouvernement comme inspecteur colonial. Quelques mois plus tard, Albert Petsche rejoignit Loucheur et joua un rôle important dans le domaine du charbon ; Petsche était un « X » qui avait travaillé avec Loucheur sur des projets d’électrification avant la guerre2. Par contre, la plupart des principaux assistants de Thomas étaient diplômés de l’Ecole normale supérieure ; l’enseignement était leur profession. Son chef de cabinet adjoint, Mario Roques, était un normalien qui avait enseigné à la Sorbonne avant la guerre. Faisait exception Arthur Fontaine, un « X » qui travaillait à la Direction de la main d’œuvre3.
4Loucheur et ses collègues apportèrent au ministère de l’Armement un esprit pratique neuf d’organisation et d’efficacité. Dans les opérations quotidiennes, par exemple, les subordonnés de Loucheur utilisaient des moyens de communication modernes avec plus d’enthousiasme que les membres de l’équipe de Thomas ne le jugeaient nécessaire. Au printemps 1917, lorsque le personnel de Loucheur décida de demander l’installation de lignes de téléphone supplémentaires, en particulier entre la centrale du sous-secrétariat et l’Inspection des forges, leur requête dut passer par les bureaux de Thomas, qui conclurent que les membres du sous-secrétariat de Loucheur abusaient du système. L’étude qui fut menée citait des conversations téléphoniques excessivement longues de dix, douze, et trente minutes. Le ministère rejeta la demande4.
5La méthode de Loucheur est révélée par la façon dont il traita la production d’artillerie lourde, sa première priorité à la fin de 1916 et au début de 1917. Il prit des mesures immédiates pour engager un programme intensifié qui tenait compte des demandes du haut commandement pour accélérer la production du canon de 155 mm court. Le 18 décembre déjà, il réunit ses aides pour étudier avec eux des moyens d’augmenter le rendement, et il donna suite à cette réunion en tenant des discussions avec les services de l’artillerie du ministère et avec Schneider5. Le 24 décembre, il put soumettre une copie du nouveau programme d’artillerie lourde à l’approbation de Thomas. Il insista pour qu’une décision rapide fût prise afin intensifier la production de pièces dans les exploitations de l’Etat. Chose encore plus importante, il demanda que, dans la nouvelle directive envoyée à Schneider qui mettait l’accent sur le 155 mm court, le gouvernement lui accorde les mêmes conditions que celles admises l’été précédent en réponse aux requêtes militaires du 30 mai. Cela voulait dire que l’Etat était responsable pour l’achat et le transport des machines outils requises par le sous-traitant de Schneider dans le projet, la Société d’outillage mécanique et d'usinage d’artillerie (SOMUA). Cela voulait aussi dire que le gouvernement devait endosser une partie des coûts de construction pour tout bâtiment neuf. Loucheur expliqua qu'il était nécessaire de rappeler du front au moins trois mille ouvriers qualifiés et entre huit et dix mille ouvriers non qualifiés. Il ajouta que « La réalisation de ce programme sera évidemment très difficile ; je ne la crois pas impossible, si nous sommes un peu aidés par les événements »6.
6Thomas approuva les propositions de Loucheur le 26 décembre, mais l’avertit, en regard de sa propre expérience, qu’il fallait s’attendre à certains obstacles. Il signala notamment que le rappel des ouvriers prenait en moyenne vingt jours. Et il avertit Loucheur de surveiller la production avec soin pour éviter les ralentissements et les arrêts qui l’avaient assaillie pendant les mois précédents. C’était la voix de l’expérience tempérant l’optimisme du nouveau venu7.
Premières confrontations bureaucratiques
7Ces conseils de prudence acquirent une signification nouvelle pour Loucheur quand il se heurta à la résistance des services du ministère de l’Armement contrôlés par Thomas et du ministère des Finances. Ces premiers problèmes bureaucratiques offraient un avant-goût des conflits que Loucheur devait avoir avec le gouvernement pendant le reste de la guerre.
8Un des premiers problèmes surgit avec le Service ouvrier, qui était contrôlé par l’équipe de Thomas. Le 3 janvier, Loucheur envoya à Thomas un mémorandum dans lequel il décrivait les frustrations des industriels qui traitaient avec le Service. Loucheur se plaignit des retards que causaient les enquêtes menées par le Service quand les industriels demandaient des rappels nominatifs d’ouvriers professionnels. Il déplora également le fait que la Direction ne satisfaisait pas totalement aux demandes des industriels une fois les enquêtes terminées.
9Le 22 janvier, en quête de main d’œuvre pour le programme d’artillerie lourde, Loucheur envoya au Service de Thomas des listes de noms d’ouvriers employés dans des usines d’armement d’Etat, et que Schneider voulait voir transférés aux projets urgents. D’après Schneider, ces listes avaient déjà été soumises trois fois – en novembre 1915 et en mars et en juin 1916 – sans aucun résultat. Loucheur mit le Service en demeure d’agir promptement. A ce point, la dynamique des tensions entre les équipes de Thomas et de Loucheur devient particulièrement claire. Comme tous les contrats passés avec Giros et Loucheur pour les canons de 155 mm apparaissaient sous la signature de Schneider, l’usine la plus importante du programme d’artillerie lourde, les efforts de Loucheur pour obtenir de la main d’œuvre et lancer de nouveaux programmes risquaient de prêter à la critique : Loucheur pouvait facilement être accusé en quelque sorte de servir ses intérêts. Lorsque le Service de la main d’œuvre de Thomas présenta la demande de Loucheur du 22 janvier au ministre de l’Armement, il argua que les usines de munitions de guerre devaient faire face à leurs propres besoins et ne devraient pas devenir un terrain de recrutement pour l’industrie privée en général et pour Schneider en particulier8. Le Service se voyait comme le gardien des intérêts légitimes de l’Etat contre la menace de l’industrie privée, qui avait un nouvel avantage dans l’assistance que leur apportait Loucheur en tant qu’homme d’affaires. D’autre part, Loucheur s’était engagé à réaliser un « programme intensif de[s] canons lourds », qu’il voulait « à tout prix, réaliser »9. Il n’hésita donc pas à importuner Thomas pour obtenir ce qu’il considérait nécessaire pour réaliser ses objectifs.
10Le 28 janvier, Thomas envoya à Loucheur un mémorandum qui exprimait non seulement son avis sur sa demande de plusieurs milliers d’ouvriers, mais aussi ses réactions aux changements apportés par Loucheur au programme d’artillerie lourde peu après son entrée en fonctions, et qu’il avait approuvés le 26 décembre. Ce programme mettait l’accent sur le développement de la production des canons de 155 mm court Schneider, grâce à l’arrêt de la fabrication de nouveaux éléments pour le 120 L et le 155 L et la passation de commandes compensatrices aux Etats-Unis. Thomas était fortement troublé par ces nouvelles figures qui représentaient une réduction considérable du programme de fabrication établi par Thomas avec l'accord des industriels. Tout en lui demandant de « serrer d’un peu près » les chiffres des rappels ouvriers demandés par les industriels, et en recommandant des réductions de demandes de main d’œuvre proportionnelles aux baisses des fabrications, Thomas demanda à Loucheur de relever le plus possible les chiffres de fabrication des matériels réduits et lui enjoignit, en attendant la réaction du haut commandement à ses idées, de se guider d’après l’accord de juillet 1916 et de mettre tout en œuvre pour augmenter les niveaux de production des différents calibres d’artillerie lourde afin de satisfaire les prévisions antérieures. La contradiction inhérente des demandes de Thomas indique combien sa position était difficile ; il devait à la fois satisfaire les exigences du haut commandement en matière de matériel de guerre et tenir compte des « besoins d’effectifs [...] si vivement signalées par le Général en Chef »10.
11La réponse de Thomas indique également l’ambiguité de sa position. Il était bien naturel qu’il nourrît des réserves au sujet d’un homme d’affaires qui semblait mieux disposé vis-à-vis de l’industrie que ses propres collaborateurs, et quelques hostilités vis-à-vis d’un nouveau collègue qui par certains côtés était son rival. Mais Thomas savait qu’il avait besoin des talents d’organisation de Loucheur pour stimuler la production d’artillerie lourde. Si le programme ne pouvait être exécuté de façon satisfaisante, il savait que ce serait lui qui serait attaqué au Parlement. Cela le mit dans une situation délicate pendant toute sa collaboration ministérielle avec Loucheur.
12Deux jours après le mémorandum mordant de Thomas, Loucheur souleva de nouveau la question de la main d’œuvre à une réunion à laquelle les deux hommes participèrent en présence du général Robert Nivelle qui avait remplacé Joseph Joffre comme commandant du front nord-est en décembre 1916. Loucheur en repartit content, car Nivelle, qui avait auparavant objecté aux rappels nominatifs, acquiesça à la demande de Loucheur11.
13Le ministère des Finances, chargé de payer des frais de guerre qui dépassaient de beaucoup ses prévisions, attaqua lui aussi les programmes de munitions de Loucheur. Alexandre Ribot, un républicain conservateur de soixante-quatorze ans qui était devenu ministre des Finances en 1914, se plaignit à Thomas au début de janvier 1917 que la prévision d’une forte augmentation des achats à l'étranger de marchandises telle que l’acier, le cuivre, et le zinc, était trop ambitieuse, et dépassait les limites de la prudence fiscale. Il affirma que, après vingt-neuf mois de guerre, les programmes de production de la France avaient suffisamment augmenté pour rendre inutile une augmentation radicale des achats à l’étranger : « Vouloir, dans l’avenir, aller au-delà des programmes péniblement réalisés pendant la seconde moitié de 1916, serait faire œuvre de présomption, et non de prévoyance. Le Parlement ne saurait adhérer à une politique aussi aventurée ». Il recommanda de réviser le programme de Loucheur pour le rendre compatible avec un programme d’achats plus proche de celui déjà en place et plus praticable12.
14Devant l’opposition de Ribot, Loucheur réduisit ses demandes, mais il le fit avec un sentiment d’exaspération. Thomas manifesta la même émotion dans sa réponse à Ribot après que les coupures aient été faites. Thomas souligna que les achats à l’étranger conçus au départ faisaient partie intégrale de l’essai de satisfaire les besoins en munitions de l’armée et que la réalité devrait compter dans la décision finale autant que les arguments du ministère des Finances13. Mais l'exhortation de Thomas ne fut apparemment d’aucun secours, et la correspondance sur le sujet en resta là.
15Loucheur s’attendait indubitablement à une certaine résistance à ses idées de la part de la bureaucratie gouvernementale, mais, devant la gravité de la situation, il fut probablement surpris que le ministère des Finances et l’équipe de Thomas ne fussent pas plus compréhensifs à son égard. Dès ses premiers jours comme sous-secrétaire, il apprit que pour réussir au sein d’un système gouvernemental, il fallait employer des stratégies différentes de celles qu’il avait employées comme homme d’affaires privé. Il prouva bientôt qu’il était capable de s’adapter.
Conflits répétés au sujet de la main d’œuvre
16Pendant que les tensions continuaient au ministère de l’Armement concernant la main d’œuvre au printemps et en été, Loucheur dut confronter des problèmes externes. D’autres ministères cherchaient des ouvriers, le haut commandement rechignait à céder un grand nombre de soldats pour la production d’armement, et le Parlement imposait de temps à autre des révisions de main d’œuvre. La tâche de Loucheur était difficile et parfois extrêmement frustrante.
17Les fermes avaient besoin de main d’œuvre pour faire les récoltes, et l’accent mis sur l’agriculture pendant les mois d’été signifiait un pool réduit pour les autres secteurs. Ce besoin venait en partie du fait que, sur les 5 237 000 hommes employés dans le secteur agricole avant la guerre, 3 700 000 avaient été mobilisés. Au million et demi d’hommes restant vinrent s’ajouter trois millions de femmes et 180 000 hommes rappelés du front pour maintenir le secteur agricole qui souffrait de chutes grandissantes de production au fur et à mesure que la guerre se prolongeait. La récolte de blé, par exemple, tomba de 88 millions de quintaux en 1913 à 58 millions en 1916 et à 40 millions en 1917. Malgré des mesures telles que l’utilisation de prisonniers de guerre et la préparation d’officiers invalides pour servir d’inspecteurs de la main d’œuvre agricole, la pénurie de travailleurs agricoles demeura extrêmement grave en 1917. Il n’est donc pas étonnant qu’au mois de juin, quand, d’après les calculs de Loucheur, les aciéries réclamaient vingt-six mille hommes robustes, neuf mille travailleurs fussent mutés de la métallurgie à l’agriculture14.
18Un projet de loi était également en attente pour appeler de jeunes militaires à des unités de combat ; un certain nombre de travailleurs qualifiés employés aux munitions serait affecté. Loucheur suivit le progrès de ce projet, finalement connu sous le nom de loi Mourier, et en juillet il écrivit à Thomas pour obtenir un amendement qui protégerait les ouvriers employés par ses usines. Ce qui l’inquiétait était que le texte de la loi avait déjà été voté par le Sénat et que son adoption était prévue à la Chambre dans les jours suivants15. Il redoutait apparemment que ce projet de loi ne cause des problèmes puisque le GQG n’était pas disposé à envoyer un grand nombre de remplacements à l'arrière.
19Au retour de Thomas d’un voyage en Russie en mai et juin, les membres de son cabinet lui soumirent un rapport sur le fonctionnement du ministère en son absence, dans lequel ils se plaignaient des empiètements répétés de Loucheur dans leurs domaines, dont la main d’œuvre. Loucheur, contrarié par ce qu’il considérait comme des faiblesses dans la gestion de la main d’œuvre par le ministère, prépara lui aussi un mémorandum pour Thomas, dans lequel il objecta que le nombre d’ouvriers à sa disposition avait considérablement diminué pendant les trois mois précédents. Les fabrications de munitions avaient perdu six mille jeunes ouvriers qualifiés, et quarante mille hommes avaient été mutés, entre autres aux mines et aux fermes. Il souligna qu’il avait besoin de milliers d’ouvriers pour les aciéries et de remplacements pour les ouvriers qualifiés envoyés au front à cause de leur âge. Il modéra pourtant son insistance en suggérant qu’il serait possible de réaliser les buts du programme de production avec des effectifs réduits si son sous-secrétariat assumait le contrôle du placement et du transfert de la main d’œuvre. Loucheur demanda que son bureau soit informé à l’avance de tout changement de personnel affectant les domaines de production de son service ; il proposa des sanctions sévères contre les fonctionnaires négligeant leurs responsabilités dans ce domaine. Pour justifier ses demandes, il cita des cas dans lesquels la Direction de la main d'œuvre, qui avait remplacé le Service ouvrier en mars 1917, avait mal fait son travail de placement et de transfert des ouvriers16. Selon lui, le meilleur moyen de remédier au problème était de concentrer davantage de pouvoir entre ses mains.
20La Direction de la main d’œuvre répondit aux critiques de Loucheur par une longue réfutation qui examinait point par point ses allégations et suggestions. L’auteur de la réponse soutint que la Direction avait déjà donné aux inspecteurs l’ordre de ne pas faire de changements dans le personnel des usines de munitions sans consulter au préalable le service de Loucheur, mais que, les responsabilités de la Direction pour les besoins en main d’œuvre étant plus étendues que les attributions de Loucheur, certains changements de personnel s’effectuaient forcément sans consultation préalable. Le résultat d’une enquête sur les cas de mauvaise gestion cités par Loucheur, permettait une seule conclusion : Loucheur avait été mal renseigné. Soit les difficultés ne s’étaient jamais produites, soit elles étaient le fait d’autres organismes. Le mémorandum attaqua même les améliorations de performance suggérées par Loucheur, affirmant qu’elles occasionneraient une montagne de paperasserie et risqueraient de préjudicier les fonctionnaires qui exécutaient les ordres du ministre de l’Armement concernant les changements de main d’œuvre ne relevant pas du service technique de Loucheur17. La réponse affirmait en guise de conclusion que, si la Direction de la main d’œuvre avait erré sur des points mineurs, Loucheur avait formé des conclusions hâtives sur la base de renseignements erronnés et avait fait des suggestions sans en peser les conséquences. Le message était clair : que Loucheur s’occupe de ses propres affaires et laisse la Direction de la main d’œuvre s’occuper de la main d’œuvre qui était sa spécialité.
21Le rapport de Loucheur avait été si blessant que la Direction ne s’en tint pas là. Elle renforça son plan contre le sous-secrétariat de Loucheur en assemblant des mémorandums écrits par des membres de la Direction. Ce n'était pas tant les critiques de Loucheur qui la gênaient, que les tentatives de ce dernier de la circonvenir pour se procurer des ouvriers. Le mémorandum adressé par le directeur de la Direction, Edouard Sevin, à Thomas le 8 juillet démontrait, preuves à l’appui, que, détourné par les efforts de Loucheur, le processus d’affectation d’ouvriers aux industries de guerre prenait beaucoup plus longtemps que si ce dernier avait suivi les procédures appropriées18. Les plaintes contenues dans les mémorandums exposaient cependant, involontairement mais clairement, les motifs des impatiences répétées de Loucheur devant les lenteurs bureaucratiques qui à ses yeux empêchaient son sous-secrétariat d’agir au fur et à mesure des besoins et avec rapidité.
22La campagne de Loucheur pour améliorer la rapidité et l'efficacité des transferts de main d’œuvre continua pendant le reste de l’été. Le 11 juin, il suggéra à Thomas qu’un représentant du ministre et un du sien se réunissent avec le chef du Bureau de la main d’œuvre du GQG pour établir des méthodes de recrutement des ouvriers qu’il demandait. Il répéta sa demande le 21 juillet et souligna son urgence en implorant Thomas d’envoyer les deux représentants dès le lendemain19.
23Loucheur défendit les prérogatives de son service quand il sentit que les subordonnés de Thomas enfreignaient l’accord initial que les deux hommes avaient passé sur les responsabilités ministérielles. Il écrivit le 13 août à Sevin pour lui rappeler que les ordres concernant les transferts ou les retraits de main d’œuvre ne devaient en aucun cas être transmis par la Direction de la main d’œuvre aux usines soumises à l’autorité du sous-secrétariat d’Etat des fabrications de guerre avant d’être approuvées par lui. Le jour même, commenta-til, il avait donné l’ordre à ses subordonnés d’ignorer un certain nombre de circulaires publiées par le commandant Jorré, membre de la Direction de la main d’œuvre, parce que son sous-secrétariat n’en avait pas été informé. Jorré nia avoir outrepassé ses prérogatives et se plaignit que Loucheur eût mal interprété ce qui était en fait l’exécution d’un détail d’une directive approuvée au préalable par Loucheur20.
24Il est apparent que, dans le conflit qui l’opposait à l’équipe de Thomas, Loucheur était non seulement intraitable quand il s’agissait d’obtenir l’application des procédures établies par son sous-secrétariat, mais également déterminé à faire des changements pour agrandir les domaines qu’il contrôlait, ce qui le conduisait parfois à outrepasser ses responsabilités. Les frustrations qu’il éprouva provenaient de son orientation technocratique ; pour lui, l’efficacité comptait plus que pour l’équipe de Thomas.
25Il est difficile d’évaluer dans quelle mesure Loucheur réussit à rallier les aides de Thomas à sa politique d’efficacité, mais il marqua des points dans des domaines importants. Le 19 juillet, il dit à Thomas par lettre qu’il était satisfait de la rapidité avec laquelle Sevin avait réalisé un de ses projets qui donnait à un seul service la responsabilité d’affecter tous les ouvriers disponibles dans les dépôts de métallurgistes. Loucheur remarqua : « Nous avons pu trouver un certain nombre de spécialistes et recouvrer de ce fait l’espoir de réaliser en temps voulu notre programme d’artillerie lourde »21. Le 19 août, il goûta une autre victoire importante lorsque Thomas lui assura que les inspecteurs de la main d’œuvre ne pourraient plus muter d’ouvriers sans passer par les voies appropriées ; c’était la promesse implicite que le service de Loucheur serait consulté avant qu’aucun transfert affectant son sous-secrétariat ne fût fait. Thomas admettait par là que les pratiques de la main d’œuvre n’avaient pas suivi fidèlement l’accord qu’il avait passé avec Loucheur au mois de décembre précédent. Thomas garantit également que les ouvriers obtenus par les dépôts de métallurgistes recevraient leur affectation conformément aux priorités établies par le service de Loucheur22. Ces signes d’une meilleure volonté de coopération de la part de Thomas furent pour Loucheur une victoire importante, mais il n’oubliait pas qu’il fallait aller plus loin s’il voulait atteindre ses buts de production.
26Les conflits intraministériaux sur la main d’œuvre diminuèrent considérablement en septembre, quand Loucheur devint ministre de l’Armement. Et, bien qu’il continuât à avoir des difficultés pour recevoir tous les ouvriers qu'il demandait au GQG pour la production de munitions, ces problèmes furent éclipsés par d’autres pendant le reste de la guerre.
La crise des matières premières, 1914-1916
27Au début de février 1917, Thomas donna l’alarme à propos d’une pénurie de matières premières pour la production de munitions quand il écrivit à Loucheur, « Je suis très gravement préoccupé des répercussions que peuvent avoir sur le jeu des stocks les ralentissements de fabrications que le défaut de matières premières et de charbon nous font subir en ce moment ». Il ajouta que Nivelle avait besoin d’être mis au courant de la gravité potentielle de la crise23. La pénurie ne surprit nullement Loucheur qui tentait d’y pallier depuis son entrée au gouvernement. Au fur et à mesure que la situation s’aggravait, il se trouva forcé de jouer un rôle de plus en plus important pour y remédier ; son attention commença à se concentrer sur le charbon et l’acier.
28Le problème remontait aux toutes premières semaines du conflit, pendant lesquelles les Allemands, dans leur avancée sur les terres du nord-est de la France, avaient privé les Français d’une importante partie de leur base industrielle. Avant que le front ne se stabilise, la France avait perdu 64 % de sa capacité de production de fonte de 1913, 58 % de sa capacité en acier, et 40 % de sa production de charbon. C’est dans un état bien diminué que l’industrie française commença à s’organiser pour la guerre. Quand les industriels se réunirent à Bordeaux le 20 septembre 1914, Alexandre Millerand demanda au Comité des Forges, une puissante fédération d’industriels de l’acier dirigée par Robert Pinot, d’aider à organiser la production de métaux pour la guerre. Le Comité commença sans attendre à réorganiser les usines pour la production de métal à obus ; il acquit également le rôle primordial qu’il devait jouer tout au long de la guerre, comme organe de liaison entre le gouvernement et l’industrie métallurgique. En plus du développement des ressources domestiques, les Français dépendaient fortement des importations, en particulier de l’Angleterre. Dans les derniers mois de 1914 et pendant tout 1915, les importations britanniques arrivèrent en France libres de toutes restrictions de part et d’autre de la Manche24.
29La guerre se prolongeant, les demandes de fonte, d’acier et de charbon augmentèrent, et une par une ces matières premières furent contrôlées par les gouvernements anglais et français. Les Anglais inaugurèrent leurs contrôles au début de 1916 en réglementant l’exportation de fonte, et en conséquence ils insistèrent que la France centralise ses achats. Après des négociations bilatérales, Thomas accorda le 6 mars 1916 au Comité des Forges l'autorité centrale pour les achats de fonte hématite en Angleterre. Sur l’insistance du gouvernement anglais, il étendit le système central d’achats à toutes les formes de fonte au début de mai, désignant encore une fois le Comité des Forges comme acheteur unique. Le Comité prit rapidement des mesures afin de calmer les inquiétudes de ceux qui se méfiaient de son monopole à l’importation, mais étaient forcés de travailler avec lui. Il souligna que Thomas, en tant que sous-secrétaire d’Etat de l'artillerie et des munitions, surveillerait la distribution des importations en prenant en considération les quantités allouées par le gouvernement britannique pour l’exportation et la priorité des besoins. Pendant les mois suivants, le Comité reçut des responsabilités supplémentaires, et il joua un rôle primordial dans le fer et l’acier jusqu’à la fin de la guerre25.
30Les Anglais commencèrent également à réglementer les quantités d'acier livré à la France, et ce faisant ils demandèrent également que la France centralise ses achats. En conséquence, le gouvernement créa le 11 mai 1916 une Commission interministérielle des métaux et des bois (CIMB) qui par la suite devint la Commission interministérielle des métaux et des fabrications de guerre (CIM). Placée sous la direction du sous-secrétariat de Thomas et transférée au nouveau ministère de l’Armement à la fin de l’année, elle surveillait les achats en Angleterre, mais déterminait aussi les besoins des divers services gouvernementaux et distribuait l’acier disponible conformément aux priorités26.
31Les Français établirent également certains contrôles sur le charbon en 1916, sous la direction du Bureau national des charbons qui avait été créé le 12 avril 1916. Le Bureau, opérant de concert avec le ministère des Travaux publics, centralisait les commandes de charbon et établissait des permis pour son importation. Il transmettait ensuite les commandes au Bureau français des charbons de Londres, qui les adressait à un comité local pour répartition. Le gouvernement avait placé des restrictions sur les commandes des industriels en direction de l’Angleterre27.
32Les contrôles sur le fer, l’acier et le charbon qui avaient semblé suffisants lors de leur introduction, se révélèrent inadéquats à la fin de 1916, quand il y eut une pénurie de matières premières, en partie à la suite d’une crise des transports à l’automne. De plus en plus efficaces, les sous-marins allemands coulaient les bateaux alliés : la flotte marchande anglaise était en désarroi en décembre. Mais le problème des transports était plus compliqué que cela, car il y avait également des pannes et des retards dans le réseau des chemins de fer français, ce qui désorganisait les livraisons de matériaux et les rendait peu fiables. Même dans les usines de munitions les mieux équipées, des interruptions de travail furent causées par les arrivées aléatoires de matières premières. Mais le sous-secrétariat d’Etat de l’artillerie et des munitions, que Thomas dirigeait, était en partie responsable pour la crise : la forte dépendance en acier et en fonte importée résultait du fait que Thomas n’avait pas prévu le développement de la production domestique en 1915. Ce ne fut qu’en 1916 qu’il fit un effort pour augmenter le potentiel domestique français en acier en organisant un programme de construction qui faisait appel aux aciéristes les plus connus. Au fur et à mesure que les besoins des pays exportateurs et de la France augmentaient, et que la campagne de sous-marins de l’Allemagne faisait son œuvre, la position de la France se détériora. En décembre 1916, elle attendait 180 000 tonnes d’acier Martin des Etats-Unis et d’Angleterre, mais ne reçut que 85 000 tonnes. Le même mois, il y eut un déficit de plus de 50 % dans les livraisons de fonte. Au 1er février 1917, les réserves de fonte n’étaient plus que d’environ 75 000 tonnes et celles d’acier de 72 000 tonnes28.
33La crise du charbon était encore plus grave. Avec des réserves en charbon de trois millions de tonnes au début de l’hiver, les usines de munitions en arrivèrent en février 1917 au point où leurs réserves étaient pratiquement épuisées. La production de certaines usines fluctua en fonction de l’arrivée des trains de charbon. En mars 1917, un rapport de la commission de l’Armée de la Chambre reprocha à Thomas de n’avoir pas compris que son sous-secrétariat d’Etat de l’artillerie et des munitions, puis son ministère de l’Armement, « n’exerçaient aucun contrôle d’ensemble sur les besoins en combustibles des industries de guerre et sur les ressources mises à leur disposition », ce qui revenait à le blâmer de n’avoir pas participé plus étroitement à la coordination du ravitaillement en charbon. Son ministère ne prit de responsabilités majeures dans ce domaine qu’après l’entrée de Loucheur au gouvernement. Jusque-là, le charbon dépendait du ministère des Travaux publics qui l’avait quelque peu négligé. Le groupe industriel de la Loire, par exemple, qui aurait pu être ravitaillé par des mines voisines, recevait du charbon anglais, ce qui était également le cas des usines du sud-est de la France. D’un autre côté, certaines usines proches de la côte normande recevaient du charbon du bassin houiller central de la France. L’improvisation gouvernementale était visible : le rationnement des industries privées et publiques fut créé afin de remédier à une pénurie des réserves résidentielles. C’était clairement un système illogique29.
34Il n’est pas surprenant que Thomas ait exprimé une profonde inquiétude au sujet de la situation des matières premières en février 1917. En essayant de subvenir aux besoins de son ministère en matières premières, il en vint à collaborer étroitement avec Loucheur.
L’acier
35Pour se procurer de l’acier, Loucheur agit aux niveaux domestique et international. Prévoyant que le programme domestique d’acier réduirait progressivement la dépendance de la France vis-à-vis de l’acier américain, il s’efforça entre temps d’augmenter les importations. Néanmoins, à la fin de 1916, il y eut une diminution importante des livraisons américaines à cause de problèmes de transport30. Qui plus est, les augmentations d'achats à l’étranger se heurtaient à l’opposition inflexible du ministère des Finances.
36Puis, le 31 janvier 1917, les Allemands annoncèrent la guerre sous-marine illimitée, ce qui signifiait qu’ils n’épargneraient plus les transports sous pavillon neutre. Les Etats-Unis, le plus puissant des pays neutres, rompirent les relations diplomatiques avec l’Allemagne le 3 février, et, après que les Allemands eurent coulé quatre bateaux commerciaux américains non armés au milieu du mois de mars, déclarèrent la guerre à l’Allemagne au début d’avril. Les Allemands étaient convaincus qu’en détruisant chaque mois en moyenne 600 000 tonnes de fret allié pendant six mois, ils pourraient forcer l’Angleterre à se retirer de la guerre ; à leurs yeux, la guerre sous-marine illimitée était le moyen de parvenir à ce but. En fait, pendant les six premiers mois de la campagne, 600 000 tonnes de fret allié furent coulées par mois en moyenne, avec une augmentation à plus de 850 000 tonnes en avril, mais les Anglais ne se retirèrent pas de la guerre. Cependant, la guerre sous-marine désorganisa l’économie française au printemps de 1917 et intensifia la crainte des Français de voir s’interrompre les arrivées d’acier américain et anglais, en partie parce que la production des obus de 75 mm dépendait totalement de ces deux sources, ainsi qu’une grande portion des obus d’autres calibres31.
37Le ralentissement des importations d’acier des Etats-Unis à la fin de 1916 aida Loucheur à décider d’augmenter la production française aussi rapidement que possible. En cela, il continuait une politique fixée par Thomas quelques mois plus tôt, mais il agit à une bien plus grande échelle et avec le même genre d’audace dont il avait fait preuve dans la production d’artillerie lourde. A partir du 20 décembre, il se réunit avec les métallurgistes au sujet d’une expansion de la production d’acier. Plusieurs producteurs se dérobèrent par peur d’inonder le marché en temps de paix. Mais certains métallurgistes, qu'ils aient été convaincus par l’optimisme de Loucheur ou pas, consentirent à réaliser des installations nouvelles, et quelques jours plus tard la production domestique avait augmenté de trente-cinq mille tonnes par mois. Toutefois, même cela n’était pas suffisant pour subvenir aux besoins en munitions, et Loucheur, conscient de la campagne sous-marine allemande, appela à la construction d'une grande aciérie près de Paris. Un groupe de métallurgistes de premier plan consentit au projet, que Loucheur vit comme le couronnement du réseau d’acier domestique qu’il construisait, et en l’espace d’une semaine le Comité des Forges, agissant au nom des industriels, avait rassemblé les quarante millions de francs requis du secteur privé, pris des options sur un terrain, et dessiné les plans de l’aciérie. La participation de l’Etat dans cette entreprise était prévue entre cinquante et soixante millions de francs32.
38Les besoins de Loucheur en crédits gouvernementaux pour la nouvelle construction se heurtèrent à la résistance du ministère des Finances. Loucheur et Thomas projetaient de changer le système par lequel le gouvernement finançait l’industrie. Jusque-là, l’amortissement des nouvelles installations industrielles se faisait à travers l’augmentation des prix des produits industriels. Autrement dit, l’Etat payait pour une plus grande capacité de production de l’acier en payant l’acier plus cher. Ce système avait marché aussi longtemps que les industriels pouvaient financer leurs agrandissements de leurs propres deniers. Mais, pour l’immense aciérie prévue près de Paris, les industriels ne pouvaient pas attendre de rentrer dans leurs frais par ce système. En outre, comme Thomas l’expliqua à la commission du Budget de la Chambre en février, le gouvernement avait l’obligation morale de fournir un remboursement immédiat, parce que c’était la pression venant de lui qui mettait les industriels en demeure de s’agrandir33.
39Lors de pourparlers initiaux avec le ministère des Finances, Loucheur réalisa qu’il n’avait aucune chance de le gagner à sa cause. Conscient du fait que l’appui du ministère était essentiel pour obtenir l’accord du Parlement pour le financement qu’il recherchait, il abandonna le projet d’aciérie en avril 191734.
40La pénurie de main d’œuvre industrielle, déjà visible dans les premiers mois de 1917, s’intensifia au cours de l’été. Une requête présentée par Loucheur au début de juin pour vingt-six mille ouvriers, n’avait toujours pas été honorée deux mois plus tard par le nouveau commandant en chef, le général Philippe Pétain, qui avait remplacé Nivelle à la tête des armées le 15 mai. L’hésitation de Pétain venait en grande partie du fait qu’il avait déjà promis de libérer un contingent important de soldats pour faire les moissons. Le nombre d’ouvriers finalement obtenus par Loucheur n’est pas connu, mais, dans de telles circonstances, la production d’acier domestique ne fut pas meilleure en juillet qu’au début de l’année35.
41Loucheur ne désespérait pas de voir se produire une amélioration des importations d’acier. Au début de janvier 1917, il rencontra le ministre anglais des Munitions à Londres pour discuter de la reprise des livraisons anglaises d’acier qui avaient été suspendues à cause de retards au déchargement dans les ports français, en particulier à Nantes. Afin de satisfaire les conditions anglaises pour la reprise des livraisons, Loucheur, avec l’accord de Thomas, envoya un représentant du ministère de l’Armement à Nantes. Celui-ci lui envoya des rapports quotidiens, et en quelques jours il eut augmenté le tonnage d’acier déchargé de 250 à 600 tonnes36.
42Bien que Loucheur pût se vanter en février à Thomas des succès remportés à Nantes, il admit que peu de navires arrivaient d’Angleterre dans les ports français. Par conséquent, les importations anglaises destinées aux fabrications de guerre avaient baissé de quarante mille tonnes en décembre 1916 à vingt-huit mille tonnes en janvier 1917. Loucheur donna l’ordre au commandant Hausser, de la mission française en Angleterre, de lui notifier journellement la situation des livraisons anglaises et de faire des démarches urgentes auprès de l’Amirauté britannique pour augmenter l’aide aux transports. Loucheur avait également l’intention d’exploiter les informations fournies par Hausser pour donner plus de poids à ses arguments en faveur d’une augmentation de la capacité de livraison du Service des transports maritimes français37. Toutefois, ni Hausser ni d’autres fonctionnaires français ne semblent avoir eu de succès auprès des Anglais, car dans les semaines qui suivirent, l’Amirauté britannique réduisit le tonnage disponible pour les livraisons à la France.
43Les efforts de Loucheur furent bien davantage menacés en avril, quand le gouvernement français décida d’utiliser une partie de la flotte marchande pour transporter du grain en provenance des Etats-Unis. Il craignit de voir suspendre temporairement tous les transports d’acier américain, puisque Washington avait accepté de suspendre ses livraisons d’acier à la France pour mettre l’accent sur le blé38.
44Effrayé par les ramifications de la priorité accordée aux céréales, Loucheur prit des contre-mesures. Tout d’abord, il écrivit à Ribot qui avait remplacé Briand comme président du Conseil en mars. La lettre demandait au gouvernement de diviser le fret disponible entre le blé et l’acier. Loucheur implora Ribot de donner des instructions à la mission française de Londres afin de mettre à la disposition du commandant Hausser des bateaux de secours réservés au transport de l’acier. Ensuite, Loucheur demanda au Service des transports maritimes de présenter une demande spéciale d’aide à l’Amirauté britannique et de réduire les importations de charbon d’entre trente et quarante mille tonnes par mois en reportant le fret correspondant sur l’importation des aciers anglais39. Il fit également appel aux industriels français disposant d'une flotte. Ces derniers promirent immédiatement de transporter environ sept mille tonnes d’acier à obus40.
45Le ministre de la Guerre, Paul Painlevé, qui assumait les fonctions de ministre de l’Armement pendant le voyage de Thomas en Russie, écrivit à Loucheur au milieu de mai que ses requêtes présentées par le Service des transports maritimes aux Anglais avaient échoué et qu’il n’y avait guère d’espoir que les bateaux français soient réassignés aux livraisons d’acier anglais. Il l’avertit également qu’étant donné la gravité de la situation, il était peu probable que des importations d’acier américains aient lieu ce mois-là. Dans ces conditions, il suggéra à Loucheur d’accepter une révision des niveaux de fabrication d’après les ressources41.
46La réponse de Loucheur, écrite à la main sur la lettre de Painlevé, fut amère et abrupte : « Je ne vois pas en quoi peut consister un programme quelconque s’il n’y a ni acier, ni coke. Il n’y a pas d’autre solution que celle que j’ai indiquée en ce qui concerne l’apport d’Angleterre et je dois l’examiner demain avec M. Viollette [ministre du Ravitaillement général et des transports maritimes] en présence de Monsieur le président du Conseil »42. La réunion de Loucheur avec Ribot et d’autres ministres aboutit à une décision favorable : Ribot accepta de fournir du fret pour l’acier américain, et quelques jours plus tard le Service des transports maritimes donna l’ordre à plusieurs bateaux assignés aux livraisons de charbon, de transporter de l’acier43.
47Loucheur remarqua dans une lettre à Painlevé le 7 juin que le Service des transports maritimes n’avait cédé qu'après un mois de protestations et de réclamations. Soulignant les conséquences de la lenteur et de l’inefficacité d’un tel processus de décision, Loucheur conclut, « J’espère qu’elles [les commandes du Service des transports maritimes à l’Angleterre] vont être exécutées, mais le fait de ne pas y avoir donné satisfaction dès le début du mois de Mai, nous prive définitivement d’un tonnage de 25 000 tonnes, représentant 3 millions d’obus de 75 »44. Sa lettre montrait qu’il avait enfin été écouté par les autres fonctionnaires gouvernementaux, mais seulement après que la situation ait empiré en dépit de ses inlassables efforts. Cet épisode illustre les obstacles qu’il rencontrait pour activer la bureaucratie gouvernementale et pour réaliser ses objectifs quand d’autres ministères faisaient prévaloir leurs besoins.
48Loucheur continua à chercher des moyens d’augmenter la capacité de transport d’acier. Dans les semaines suivantes, il coopéra avec d’autres pour implanter des techniques qui permettaient de diriger de plus près la distribution du tonnage à la disposition de la France et de la centraliser. En juillet, il proposa que les Etats-Unis fournissent des bateaux pour livrer de l’acier à la France en échange des canons d’artillerie que la France fabriquait pour l’armée américaine45. Pour remplir le vide créé par la réduction des livraisons américaines, il se tourna vers l’Angleterre, bien qu’il sût que cela ne procurerait qu'un répit. Le commandant Hausser avertit le ministère de l’Armement au début de juillet que, bien que l’on pût s’attendre à des importations d’acier anglais de plus de soixante mille tonnes pour ce mois-là, le gouvernement anglais voulait réduire ce chiffre par la suite. Et, le 27 juillet, il transmit l’insistante demande des Anglais qui voulaient que les Français révisent leurs réquisitions d’acier pour août et ne demandent pas « un gramme de plus que ce dont vous ne pouvez absolument pas vous passer pour une utilisation immédiate et rigoureusement indispensable ». En raison de l’inflexibilité anglaise, il jugea indispensable la venue de Thomas à Londres46.
49Loucheur avait l’intention de prolonger les importations d’Angleterre dans la mesure du possible. Il écrivit au sous-secrétaire d’Etat des transports maritimes et de la marine marchande le 31 juillet, soulignant que les efforts de la France en matière de transport en juin et en juillet devraient être maintenus au même niveau en août et qu’il avait besoin de soixante mille tonnes d’acier anglais. Cette pression produisit des résultats, au moins pendant la première partie d’août, pendant laquelle les niveaux d’importation furent conformes à ses désirs. Mais, à la mi-août, il ressentit de fortes inquiétudes : les Anglais avaient produit pendant la deuxième quinzaine de juillet bien moins d’acier que la France n’en requiérait, et les effets de ce manque commençaient à se faire sentir. Loucheur dit à Thomas le 11 août qu’il était absolument essentiel d’effectuer « une intervention énergique [...] auprès de nos alliés anglais. Si l’acier nous manque aussi de ce côté, il n’y a plus qu'à fermer »47.
50Tout poussait à suivre le conseil de Hausser de se rendre à Londres. Ce fut Loucheur, et non Thomas, qui fit partie de l’équipe de négociations économiques dirigée par le ministre du Commerce, Etienne Clémentel. L’acier ne figurait pas à part sur l’agenda des réunions officielles des 16 au 27 août, mais Loucheur profita de l’occasion pour en parler avec le ministre anglais des Munitions, Winston Churchill, qui donna son accord pour que les Anglais mettent tout en œuvre afin de fournir aux Français suffisamment d’acier pour la fabrication des obus de 75 mm en août et septembre. Loucheur s’engagea à explorer la possibilité de réduire ses besoins en acier anglais en augmentant les importations américaines48.
51En août, les Anglais exigèrent que la France centralise ses achats entre les mains d’un agent unique49. Par la décision interministérielle du 31 août 1917, à laquelle Thomas et Clémentel étaient associés, le Comptoir d’exportation des produits métallurgiques devint responsable pour les importations d’acier anglais sous la juridiction du CIMB50. Le résultat fut un système contrôlé de bien plus près51.
52Loucheur fut de nouveau menacé quand le ministère du Ravitaillement l’informa à la fin de juillet que le fret alloué aux importations d’acier pour le mois suivant serait bien inférieur à ce qu’il attendait. Il protesta immédiatement auprès du sous-secrétaire d’Etat aux transports maritimes : il n’avait accepté des diminutions importantes en juin et en juillet que sur l'assurance formelle de Viollette, le ministre du Ravitaillement, de voir rétablir le fret à son minimum normal en août et en septembre. Loucheur transmit cette information à Thomas, l’avertissant du risque que courait la fabrication de munitions52.
53Thomas et Loucheur firent part de leurs craintes à une commission interministérielle qui avait été créée plusieurs mois plus tôt pour répartir le fret. Tout en reconnaissant que le transport de grain des Etats-Unis était absolument essentiel, les deux hommes en appelèrent à donner davantage d’attention à la situation désespérée de la France au point de vue de l’acier. Sans une augmentation d’acier américain en août, la production de guerre en France risquait de cesser en septembre ou en octobre. Le comité répondit en leur accordant des bateaux pour transporter trente-cinq mille tonnes supplémentaires en août. Ceci assurait la disponibilité de 75 000 tonnes d’acier en septembre, garantissant « à peu près » le maintien des fabrications53. Une fois de plus, Loucheur avait prouvé son talent et sa détermination à défendre ses intérêts dans des circonstances difficiles.
54Avant le début du mois d’août, il avait abandonné l’idée de rendre la France indépendante de l’acier américain. En partie parce qu’il n’avait pu obtenir toute la main d’œuvre qu’il demandait au GQG, il n’avait pu développer le programme d’acier domestique au degré espéré. Mais il fit également remarquer à la commission de l’Armée de la Chambre le 3 août que, pour produire une tonne d’acier en France, il fallait d’importer trois tonnes de matières premières. Il était beaucoup plus facile d’importer le produit fini. Après l’entrée en guerre des Etats-Unis, et après que la menace posée par les sous-marins allemands aux couloirs de navigation entre la France et l’Amérique ait diminué, il décida probablement de continuer les importations. Ses efforts pour augmenter la production d’acier domestique continuèrent néanmoins, et le 17 août, il assista à Caen à la mise à feu du plus puissant haut fourneau jamais construit par la métallurgie française. D’après Thomas, un autre haut fourneau devait être mis à feu en novembre54.
55Malgré plusieurs revers, Loucheur et Thomas présentèrent des statistiques impressionnantes à la commission de l’Armée de la Chambre en août. Pas une seule fois après janvier, par exemple, les réserves d’obus de 75 mm n’étaient tombées en dessous de vingt millions. Bien que la production de ces obus ait dépendu entièrement de l’acier importé, et qu’un grand nombre ait été consommé pendant l’offensive du printemps, les réserves avaient atteint vingt-cinq millions en juillet. La production d’obus de 155 mm, qui dépendait en partie des importations d’acier, était également satisfaisante. En mars, les Français en avaient approximativement cinq millions en mains, et bien que l’inventaire soit tombé à un peu moins que trois millions à la suite de l’offensive du printemps, des réserves étaient remontées de nouveau à cinq millions55.
56Thomas dit que son ministère avait « été obligé de diminuer la nourriture des canons pour permettre celle de la population »56. Mais les statistiques semblent confirmer que Loucheur assura à l’armée les matériels militaires essentiels. Le travail gouvernemental différait toutefois de celui d’un homme d’affaires ; Loucheur ne pouvait pas toujours compter sur des décisions rapides ou sur des appuis bureaucratiques solides. Il apprit que l’expertise technique ne suffisait pas pour convaincre les fonctionnaires et qu’il devait y ajouter la tactique des pressions.
Le charbon
57Quand Loucheur entra au gouvernement en décembre 1916, le ministère de l’Armement n’exerçait aucune autorité réelle sur le charbon, bien que les industries liées à la guerre en fussent les plus grandes consommatrices dans le dernier trimestre de 1916. La responsabilité gouvernementale pour le charbon incombait au ministère des Travaux publics dont la gestion était mal organisée et faible57. A la mi-juillet 1917, Loucheur était devenu le tsar du charbon en France. Une fois de plus, le gouvernement avait fait appel à lui, l’expert technique, pour trouver une solution au problème.
58La France avait un problème systémique en ceci que sa production de charbon était insuffisante dès avant le début de la guerre. En 1913, elle produisait 41 millions de tonnes mais en consommait 59,5 millions. Des importations d’Angleterre, de Belgique, et d’Allemagne, compensaient la différence. Quand la guerre éclata, les importations de Belgique et d’Allemagne cessèrent. Pire, la France perdit un grand nombre de mines pendant les premières semaines de la guerre. La production domestique tomba à 19,5 millions de tonnes en 191558.
59Même après la perte, la fermeture, ou le ralentissement de plusieurs secteurs industriels, la France continua à dépendre largement de charbon importé, l’Angleterre restant son seul fournisseur. En 1916, la consommation était d’environ quarante-quatre millions de tonnes, la production domestique étant alors de moins de vingt-deux millions de tonnes. Pour garantir un ravitaillement continu d’Angleterre à un prix raisonnable, les Français signèrent au printemps 1916 les accords Runciman-Sembat qui augmentèrent le total mensuel de charbon anglais à deux millions de tonnes59. Mais en automne les Anglais commencèrent à réduire leurs livraisons, car une partie de leur fret était allouée au transport du blé dont la France avait désespérément besoin. En décembre, il n’arriva en France que 1,4 million de tonnes de houille anglaise.
60Confronté à une situation qui empirait, Clémente !, le ministre du Commerce, entama des négociations avec les Anglais au sujet du fret, des prix de transport, et des licences d’exportation. Le 3 décembre 1916, il signa avec Walter Runciman, le président du Board of Trade, un accord qui centralisait à Londres l’affrètement de bateaux neutres transportant de grandes quantités de charbon anglais vers la France. Le Bureau interallié des affrètements neutres fut organisé pour répartir ce tonnage entre la France et l’Italie. En acceptant ce nouveau système de répartition qui lui permettait de faire d’appréciables économies sur les coûts de transport, la France s’engagea, tout au moins temporairement, à recevoir moins de fret neutre qu’elle n’en avait absolument besoin60.
61Telle était la situation lorsque Edouard Herriot entra au gouvernement en décembre comme ministre des Travaux publics chargé du charbon. Mis en demeure soit d’ignorer l’accord du 3 décembre et d’engager du tonnage neutre à n’importe quel prix, soit de respecter la convention et recevoir du fret en quantité insuffisante à des prix fixés par les Alliés, il choisit la première alternative. Autorisant l’affrètement de plusieurs bateaux neutres à des taux bien supérieurs à ceux des accords de décembre, il expliqua, « Je préfère être volé que tué ». Quand les Anglais refusèrent aux bateaux la permission d’appareiller, Herriot décida de se rendre en Angleterre pour négocier. Les Anglais abolirent finalement leurs restrictions, mais ils refusèrent également d’honorer leur engagement du printemps précédent comme le leur demandait Herriot, soit des envois mensuels de deux millions de tonnes de charbon à la France. Ils n’avaient tout simplement pas les bateaux nécessaires pour des livraisons de cette envergure. Herriot renonça toutefois à acheter du transport maritime neutre à n'importe quel prix. Il décida d’honorer l’accord du 3 décembre malgré les réductions de fret. Il conclut que la France souffrirait financièrement si elle revenait au marché libre et que cela nuirait à la solidarité alliée61.
62Vers la fin de février 1917, les Français demandèrent une autre conférence avec les Anglais pour discuter des importations de charbon. Paul Cambon, ambassadeur de France à Londres, souligna la gravité de la situation dans une lettre au Foreign Office le 20 février : « Monsieur Briand redoute, si la situation actuelle venait à se prolonger, de voir interrompre la production des établissements de guerre les plus importants »62. Les Français envoyèrent Herriot et Loucheur, qui était inclus en partie parce que la pénurie de charbon affectait les fabrications de guerre, mais bien davantage parce qu’il semblait avoir une meilleure maitrise des problèmes traités que Herriot. La veille du départ, René Viviani, le ministre de la Justice, dit à Loucheur que Herriot n’était pas à la hauteur de la situation. Les entretiens ne donnèrent guère plus que l’espoir de voir le Parlement anglais limiter certaines importations, ce qui pourrait, le cas échéant, libérer du fret pour le transport des matières premières63.
63Herriot quitta le ministère des Travaux publics peu après, lorsque le gouvernement Briand tomba. Dans le gouvernement Ribot, qui lui succéda, la responsabilité pour le charbon était partagée entre le nouveau ministre des Travaux publics, Georges Desplas, et le chef d’un ministère du Ravitaillement qui venait d’être créé, Maurice Viollette. Plusieurs semaines d’incertitude s’ensuivirent : ni Desplas ni Viollette ne se montrèrent capables de définir une politique du charbon64.
64Pendant le mois de mars, Loucheur mit au point un système de distribution du charbon basé sur la géographie. Dans son organisation structurée et globale qui concernait tous les consommateurs, l’Etat devait jouer un rôle prépondérant. Tout d’abord, la France serait divisée en trois régions principales : la première, située au sud, dépendrait du charbon produit dans les mines du centre et du sud de la France ; la deuxième, comprenant Paris, les zones de combats, et l’est, serait servie par les mines en activité du Pas-de-Calais ; et la troisième, qui comprenait les côtes de France le long de l'Atlantique et de la Manche, dépendrait complètement des importations. Cette division en zones projetait de systématiser et de rationaliser le transport du charbon pour diminuer la lenteur des livraisons et leurs retards. Un bureau de répartition au ministère du Ravitaillement assurerait une distribution conforme aux priorités établies. Le plan présupposait un monopole d’Etat sur la vente du charbon domestique et importé, ainsi que des prix uniformisés par catégories de charbon. Ce système d’égalisation des prix, appelé péréquation, se proposait d’équilibrer les prix entre le charbon importé, très cher, et le charbon domestique, beaucoup moins cher. La péréquation était apparue tout d’abord dans un projet de loi gouvernemental en 1915, mais bien que la Chambre des Députés ait gardé la péréquation dans la loi qu’elle vota, le Sénat l’avait rejetée lorsqu’il avait examiné la loi au début de 1916. Malgré tout, la loi qui s’ensuivit avait donné au gouvernement un certain contrôle sur les prix du charbon65.
65Les idées de Loucheur, publiées le1 er avril dans Le Temps, nourrirent un débat public déjà intense sur la disponibilité du charbon. L’opposition à la péréquation et à un système de distribution du charbon contrôlé par l’Etat était forte, et un rapport du Sénat préparé à l’époque refléta l’hostilité que beaucoup ressentaient envers de tels arrangements. Certains doutaient également que les sources de charbon prévues par le plan de Loucheur pour la zone parisienne puissent satisfaire la demande et avertirent qu’un arrangement zonal devrait être suffisamment souple pour faire face aux perturbations et aux imprévus de la guerre66.
66Le gouvernement tenta de calmer les esprits en annonçant qu’il n’avait pas l’intention d’assumer le monopole de la vente du charbon, qui serait une lourde tâche. L’Etat serait simplement un distributeur qui superviserait la répartition du charbon produit en France et pour la France. Les importateurs et les compagnies de mines seraient toujours à même de contrôler leurs ventes. Le ministère du Ravitaillement fit également un communiqué qui soulignait qu’il n’avait accepté la responsabilité pour un bureau d’allocation qu’en principe. Il ajouta, « Toutefois, aucune solution ne sera prise actuellement et la question est seulement mise à l’étude »67.
67Peu de temps après, Viollette prit l’initiative de formuler une politique du charbon. Il promulgua plusieurs mesures en vue d’introduire une structure mieux organisée et plus strictement contrôlée dans les domaines de l’importation, de l’allocation, et des prix. Une mesure identifiait quatre catégories de consommateurs d’après leur rôle dans l’effort de guerre – les usines à gaz, secteurs de force motrice, chemins de fer ; les usines de guerre ; le chauffage domestique ; et l’industrie privée. Chaque catégorie était divisée en un certain nombre de groupements charbonniers responsables pour la distribution et la péréquation. Les usines de guerre constituant une des catégories, Loucheur les organisa en mai en un système d’associations régionales. Mises en opération à peine quelques semaines plus tard, vingt associations régionales furent connues sous le nom de Groupements Loucheur. Les usines de chaque région soumettaient un état de leurs besoins en charbon à une société en participation, soit un groupement, dont le gérant unique désigné par le gouvernement les présentait ensuite aux services de Loucheur. Le contrôle final de la répartition se trouvait par conséquent dans les mains de Loucheur, tandis qu’au niveau régional elle incombait au groupe lui-même, ainsi que par les catégories de charbon. Aucun industriel ne pouvait se procurer de charbon hors de son groupement68.
68La Chambre applaudit les mesures que Viollette leur expliqua à la fin de mai, mais commença à lui retirer son appui en juin, quand plusieurs parlementaires commencèrent à percevoir la mollesse avec laquelle il les exposa au Sénat. Des expressions de désenchantement apparurent également dans la presse, où un journal remarqua, « Si nous n’avons pas de charbon, c’est que nous avons un ministre du Ravitaillement »69. En réponse, le gouvernement, qui prenait des mesures pour consolider le contrôle du charbon dans les mains d’un seul homme, transféra la responsabilité de l’importation et de l’approvisionnement en combustibles à Loucheur le 19 juin. La consolidation fut complétée le 3 juillet, quand le contrôle de la production des mines françaises passa du ministère des Travaux publics au sous secrétariat de Loucheur. En fait, Loucheur devint ministre du charbon, car il acquit le contrôle de sa production et de sa distribution70.
69Etant donné le mécontentement grandissant contre Viollette ainsi que les demandes en charbon suscitées par l’effort de production de munitions, cette centralisation de pouvoir n’est pas surprenante. André Tardieu avait déjà fait allusion en mars à la possibilité de confier au ministère de l'Armement le contrôle de la production et de la distribution de la houille, en critiquant dans son rapport le fait que le ministère de l’Armement ne jouait pas de rôle significatif. Desplas, le ministre des Travaux publics, s’était également ouvert de ses sentiments au début de juillet, en disant qu’il était logique que le ministère de l’Armement contrôlât toute l’affaire71. En outre, Loucheur avait été fortement engagé dans la politique du charbon pendant le printemps et avait des connaissances considérables sur le sujet. Son expérience, ajoutée à ses talents techniques, firent de lui un candidat de premier ordre pour un rôle important dans n’importe quel programme gouvernemental. En tout cas, certains hommes politiques croyaient que Loucheur avait les qualités idéales pour mettre fin au virulent débat dans la presse et au Parlement entre les adversaires et les défenseurs des contrôles gouvernementaux sur la production, l’importation, la distribution, et les prix. Le député Pierre Laval fit remarquer pendant la discussion du 20 juillet à la Chambre, « Monsieur Loucheur, il m’est agréable qu’on ait songé à vous confier ce service important ; car votre nom, votre personnalité, votre autorité dans le monde de l’industrie et dans le monde du commerce ont eu au moins un résultat, c’est de faire taire les polémiques et de faire trouver admirable par les mêmes journaux la même politique qui était critiquée hier »72.
70Dans le programme de charbon que Loucheur mit en route à la mi-juillet, sept catégories spécifiques de consommateurs devaient recevoir initialement le charbon disponible, et l’une de ces sept était les Groupements Loucheur. La première priorité allait aux foyers domestiques, car, comme Loucheur le dit à un membre du Parlement, il était impossible de s’occuper effectivement de la production en usine tant qu’il n’y avait pas la paix à la maison. Cela indiquait qu’il voulait maintenir le moral de la population et éviter une agitation qui aurait pu aggraver la situation militaire73. Un élément majeur dans l’attribution aux foyers domestiques de Paris était l’émission de cartes de rationnement. Pour améliorer les chances de succès du plan à tous les niveaux, il établit un système de communication et d'interaction entre les représentants du ministère de l’Armement à Paris, les villes portuaires et les régions des mines d’une part, et les particuliers et les groupements de l’autre. Le Bureau national des charbons supervisait le système, ce qui renforça considérablement son rôle.
71En réponse à un appel de plusieurs députés pour la réouverture de la question de la gestion du charbon, Loucheur comparut devant la Chambre le 20 juillet pour y faire son premier discours. De manière typique, il expliqua son programme en faisant appel à des faits et des données. Après l’énoncé des actions qu’il avait déjà effectuées pour augmenter le ravitaillement, il mentionna qu’il s’était réuni avec Anatole de Monzie, le sous-secrétaire aux Transports maritimes, et un troisième fonctionnaire, pour étudier un plan de transport du charbon anglais basé sur les besoins des divers départements situés sur la Manche, en remplacement de l’ancien système de livraison qui était illogique et inefficace74. Il fit en outre remarquer que, bien que la production de charbon domestique ait monté à deux millions de tonnes en avril, il avait l’intention de la faire monter jusqu’à 2,4 millions et qu’il avait déjà réuni les propriétaires des mines pour examiner les moyens d’atteindre ce but.
72Dans son discours, Loucheur déplora l’injustice du système de distribution qui avait existé dans le passé et qui avait permis à certaines usines industrielles d’emmagasiner le charbon au détriment d’autres ; il regretta la spéculation larvée d’un système qui avait permis de vendre le charbon jusqu’à trois ou quatre cents francs par tonne, soit plusieurs fois le prix moyen du marché d’alors. Loucheur argua que c’était largement pour combattre de telles injustices qu’un système de distribution contrôlé par l’Etat avait été créé, et il parla même d’introduire un projet de loi parrainé par le gouvernement pour appliquer la péréquation à toute la nation. Cette suggestion fut visiblement appréciée par la Chambre, qui supportait l’idée. Les députés furent également satisfaits de la position de Loucheur sur les foyers domestiques, qui selon lui devaient recevoir la première priorité dans le processus de distribution.
73La Chambre réagit positivement au discours de Loucheur. De tous côtés vinrent des applaudissements retentissants qui accompagnèrent sa descente de la tribune ; il était évident que son programme jouissait du soutien de la Chambre. Les réactions de la presse furent également favorables : Le Figaro, par exemple, dit qu’il avait bien mérité les félicitations de la Chambre75.
74Tirant parti des vacances parlementaires pour contourner un Sénat réticent, Loucheur fit ce qu’il put pour mettre en œuvre son plan avant le début de l’automne. Une étape consistait à transférer la responsabilité pour la péréquation des groupements de charbon au Bureau national des charbons, qui se servait de la caisse du compte spécial des chemins de fer de l’Etat comme organisme financier. Dans le nouveau système, l’Etat devait acheter et vendre le charbon à des prix qui taxaient le charbon domestique et subventionnaient les importations. En lançant ce programme au niveau administratif plutôt que législatif, Loucheur évita les obstacles parlementaires. En fin de compte, même le Sénat jugea avec indulgence sa façon de procéder. A la fin d’octobre, il put dire fièrement à la Chambre des Députés que son plan fonctionnait et que le ravitaillement en charbon était généralement conforme aux prédictions qu’il avait faites trois mois plus tôt76.
75Ce que l’on voit en Loucheur est la volonté du gouvernement de faire appel à un expert technique quand des hommes d’une orientation plus politique s’étaient montrés inadéquats. Il y avait évidemment parmi les chefs gouvernementaux la conviction que Loucheur, homme d’affaires orienté vers l’efficacité, pourrait rapidement réduire les difficultés ; dans un sens, ils le voyaient comme l’homme de la situation, capable d’expédier les problèmes économiques.
Premier bilan
76Quand Loucheur devint sous-secrétaire d’Etat au ministère de l’Armement, le domaine de la production le plus important pour lui était l’artillerie lourde, puisque c’était celui qui l’avait fait entrer au gouvernement. Et, bien que la production fût inférieure au rendement qu’il avait estimé pour la plupart des modèles d’artillerie lourde pendant la première moitié de 1917, la production du 155 mm court, qui était devenue une priorité absolue, atteignit presque les chiffres qu’il avait prévus le 11 janvier 1917. Cinq cents canons furent produits de janvier à juin 1917 sur les 540 prévus77. En outre, il apparaît que, au début de l’été, la production s’opérait sans difficultés pour ce calibre et qu’il était possible d’anticiper, à moins d’une catastrophe, que la production continuerait à peu près aux niveaux désirés. De nouvelles complications apparurent quand, en avril 1917, un programme d’artillerie lourde sur voie ferrée fut élaboré et que, le 25 juin 1917, le GQG soumit une demande supplémentaire à sa réquisition originale d’artillerie lourde du 30 mai 1916. Le GQG demandait à présent une augmentation importante de la fabrication des canons de 220 mm court et de 280 mm. Il voulait aussi davantage en matière d’aéronautique. A ce point, le ministère de l’Armement dut faire revenir Pétain à la réalité : il n’y avait ni les matières premières ni la main d’œuvre pour construire tout ce que le commandant en chef demandait. Thomas demanda au GQG d’assigner des priorités à l’artillerie et à l’aéronautique. Le GQG choisit de faire passer en première ligne l’aviation, en deuxième ligne l’artillerie de défense ou d’écrasement (canons de 155 mm court et de 220 mm court), et en troisième ligne l’artillerie lourde sur voie ferrée ou à grande puissance (canons de 280 mm)78. L’effet de ces choix sur les programmes de Loucheur n’était pas clair, mais il était évident que les priorités changeaient pour refléter l’évolution de la guerre.
77Les premiers mois de Loucheur comme haut fonctionnaire lui firent faire un apprentissage des diverses dimensions des opérations gouvernementales. Il découvrit rapidement que ni le soutien de personnalités politiques influentes, ni son expertise technique, ne lui garantissaient la coopération des autres fonctionnaires. Etant donné la compétition entre les intérêts et les priorités bureaucratiques, il dut souvent se battre pour préserver les conditions qu’il considérait essentielles pour la production de munitions. Au lieu de l’indépendance dont il jouissait dans l’industrie, il fut soudain confronté à des priorités et des idées contraignantes qui défiaient les siennes. Mais, malgré ses fréquents conflits avec d'autres services bureaucratiques, il semble qu’au niveau ministériel l’on ait respecté ses talents d’organisateur et d’administrateur. On en veut pour preuve l’augmentation des responsabilités confiées à son sous-secrétariat dans le domaine du charbon. La réserve à son égard au sein des cercles gouvernementaux se concentra sur des principes technocratiques étrangers à la bureaucratie, tels que l’efficacité, l’aspect pratique, la rapidité d’action.
78Les expériences faites par Loucheur pendant ces mois nourrirent son dédain pour les hommes politiques et les bureaucrates. Mais, loin d’être démoralisé par les frustrations qu’il rencontrait, il décida de persister dans une approche qui, il en était convaincu, serait décisive pour la victoire.
Notes de bas de page
1 Bulletin des usines de guerre, 8 janvier 1917, dans la Sous-série 10 N, Ministère de l'Armement, Carton 2, SHAT.
2 Jean-Michel Chevrier, « Le Rôle de Loucheur dans l’économie de guerre, 1914-1918 », [Maîtrise, Université de Paris X – Nanterre, 1972] p. 28, 31. « Service du cabinet du sous-secrétaire d’Etat – situation nominative du personnel au1er mai 1917 », dans 94 AP, 51, AN. Mercier, Albert Petsche, p. 36-37.
3 Chevrier, « Le Rôle de Loucheur », p. 27-30. Chevrier a fait œuvre utile en se concentrant sur les hommes qui travaillaient étroitement avec Loucheur, par opposition à ceux qui étaient les principaux associés de Thomas. Toutefois, un point doit être clarifié. Chevrier évalue neuf membres du groupe de Loucheur et donne au lecteur l’impression que le groupe était déjà bien en place pendant que Thomas était ministre de l’Armement. En fait, l’équipe se constitua graduellement. Certains des associés cités par Chevrier n'entrèrent au cabinet que plus tard. Ernest Mercier, par exemple, rejoignit Loucheur après que ce dernier fût devenu ministre de l’Armement à l’automne 1917. Philippe Girardet ne fit pas partie du cabinet de Loucheur avant les derniers jours de la guerre. Voir Kuisel, Ernest Mercier, p. 6. Girardet, Ceux que j’ai connus, p. 115.
4 Chevrier, « Le Rôle de Loucheur », p. 32-33.
5 Albert Thomas à Louis Loucheur, 28 janvier 1917, dans 94 AP, 63, AN. Loucheur, Carnets secrets, p. 29.
6 Louis Loucheur à Albert Thomas, 24 décembre 1916, dans 94 AP, 87, AN.
7 Albert Thomas à Louis Loucheur, 26 décembre, ibid.
8 Louis Loucheur à Albert Thomas, 3 janvier 1917, dans 94 AP 63, AN. Note pour M. le ministre, 24 janvier 1917, ibid. Contrat de participation à la manufacture d'artillerie lourde signé par MM. Schneider et Cie., MM. Giros et Loucheur, et d’autres, 4 septembre 1916, dans B, 1 5617, MF
9 Loucheur, Carnets secrets, p. 29.
10 Thomas à Loucheur, le 28 janvier 1917, dans 94 AP, 63, AN.
11 Loucheur, Carnets secrets, p. 33.
12 Alexandre Ribot à Albert Thomas, 6 janvier 1917, dans 94 AP, 63, AN.
13 Louis Loucheur à Albert Thomas, 7 février 1917, ibid. Albert Thomas à Alexandre Ribot, 13 février 1917, ibid.
14 Duroselle, La Grande Guerre des Français, p. 171-172. Louis Loucheur au ministre intérimaire de l’Armement, Paul Painlevé, 11 juin 1917, dans 94 AP, 133, AN.
15 Note pour M. Albert Thomas, 24 octobre 1917, dans 94 AP, 121, AN. Louis Loucheur à Albert Thomas, 19 juillet 1917, dans 94 AP, 133, AN.
16 Notes préparées pour le retour du ministre, juin 1917, dans 94 AP, 176, AN. Louis Loucheur à Albert Thomas, 26 juin 1917, dans 94 AP, 133, AN.
17 Note pour Thomas de la Direction de la main d’œuvre, juillet 1917, dans 94 AP, 362, AN.
18 Edouard Sevin à Albert Thomas, 8 juillet 1917, dans 94 AP, 133, AN.
19 Louis Loucheur à Albert Thomas, 21 juillet 1917, ibid.
20 Louis Loucheur à Edouard Sevin, 13 août 1917, ibid. Note pour M. le Directeur de la main d’œuvre, du commandant JORRÉ, 14 août 1917, ibid.
21 Loucheur à Thomas, 19 juillet 1917, ibid.
22 Albert Thomas à Louis Loucheur, 19 août 1917, dans 94 AP, 63, AN.
23 Albert Thomas à Louis Loucheur, 2 février 1917, ibid.
24 Arthur Fontaine, French Industry During the War (New Haven, 1926), p. 270-271. Gerd Hardach, The First World War, 1914-1918 (Berkeley et Los Angeles, 1977), p. 87-88. Pinot, Le Comité des Forges, p. 135, 177-189.
25 Gabriel Girault, Le Comité des Forges de France (Paris, 1922), p. 130-133. Pinot, Le Comité des Forges, p. 114-118. Hardach, « La Mobilisation industrielle », p. 100-101.
26 Rapport de Lyautey et de Thomas à Poincaré, 18 janvier 1917, avec le décret du 18 janvier 1917, dans la Sous-série F 12, Archives du ministère du Commerce et de l'Industrie, Carton 7664, AN. Girault, Le Comité des Forges, p. 130. Note sur la création d’un bureau central d’achats, sans date, dans F 12, 7799, AN.
27 Georges Sardier, Le Ravitaillement en charbon pendant la guerre (Paris, 1920), p. 1-2. Maurice Olivier, La Politique du charbon, 1914-1921 (Paris, 1922), p. 122-123.
28 Samuel Hurwitz, State Intervention in Great Britain : A Study of Economic Control and Social Response, 1914-1919 (New York, 1949), p. 193-194. Rapport sur l’artillerie lourde de campagne et l'artillerie à grande puissance, par André Tardieu, Commission de l’Armée (Chambre), 12 mars 1917, dans C, 7503, AN. Hardach, « La Mobilisation industrielle », p. 101.
29 Rapport sur l’artillerie lourde de campagne et l’artillerie à grande puissance, par André Tardieu, Commission de l'Armée (Chambre), 12 mars 1917, dans C, 7503, AN.
30 Note en réponse aux conclusions du rapport de M. Gervais, sénateur, 3 janvier 1917, dans 94 AP, 113, AN. Les importations d’acier des Etats-Unis pour les fabrications de guerre étaient à la fin de 1916 de 93 000 tonnes en septembre, de 64 000 tonnes en octobre, de 72 000 tonnes en novembre et de 58 000 tonnes en décembre.
31 Duroselle, La Grande Guerre des Français, p. 243-244. James L. Stokesbury, A Short History of World War I (New York, 1981), p. 203-204, 220-222. Procès-verbal, Commission de l’Armée (Chambre), 3 août 1917, dans C, 7498, AN. Note pour M. le ministre, 12 juillet 1917, dans 94 AP, 113, AN.
32 Note en réponse aux conclusions du rapport de M. Gervais, sénateur, 3 janvier 1917, dans 94 AP, 113, AN. Procès verbal, Commission du Budget (Chambre), 7 février 1917, dans C, 7559, AN. Pinot, Le Comité des Forges, p. 258-259.
33 Note en réponse aux conclusions du rapport de M. Gervais, sénateur, 3 janvier 1917, dans 94 AP, 113, AN. Procès-verbal, Commission du Budget (Chambre), 7 février 1917, dans C, 7559, AN.
34 Procès-verbal, Commission du Budget (Chambre), 3 avril 1917, dans C, 7559, AN. PINOT, Le Comité des Forges, p. 258-259.
35 Procès-verbal, Commission du Budget (Chambre), 3 août 1917, dans C, 7498, AN.
36 Note en réponse aux conclusions du rapport de M. Gervais, sénateur, 3 janvier 1917, dans 94 AP, 113, AN. Louis Loucheur à Albert Thomas, 3 février 1917, dans 94 AP, 63, AN.
37 Loucheur à Thomas, 3 février 1917, dans AP 94, 63, AN.
38 Paul Painlevé à Louis Loucheur, 13 mai 1917, dans 94 AP, 113, AN. Télégramme de New York signé Liebert, 5 mai 1917, ibid.
39 Louis Loucheur à Alexandre Ribot, sans date, attaché à la lettre de Louis Loucheur à Albert Thomas du 3 mai 1917, ibid. Louis Loucheur à Paul Painlevé, 9 mai 1917, ibid. Bien qu'aucun document n’indique formellement que c'était Loucheur qui insista pour que le Service des transports maritimes fasse une demande à l’Amirauté britannique, plusieurs documents pointent très clairement dans sa direction.
40 Rapport fait à la commission de l’Armée sur l’acier, par N. A. Gervais (Sénat), 13 juillet 1917, ibid.
41 Painlevé à Loucheur, 13 mai 1917, ibid.
42 Ibid.
43 Louis Loucheur à Paul Painlevé, 19 mai 1917, ibid. Rapport fait à la commission de l’Armée sur l’acier, par N. A. Gervais (Sénat), 13 juillet 1917, ibid.
44 Louis Loucheur à Paul Painlevé, 7 juin 1917, ibid.
45 Rapport fait à la commission de l’Armée sur l’acier, par N. A. Gervais (Sénat), 13 juillet 1917, ibid. Note pour Loucheur, 10 juillet 1917, dans 94 AP, 112, AN. Suite de la note 46. – AP, 113, AN. Télégramme du commandant Hausser au ministre de l’Armement et des Fabrications de guerre. Département de l’organisation générale de la production, 27 juillet 1917, ibid. En juillet, les importations d’acier anglais destiné à l’artillerie française furent de 59 198 tonnes. Voir Statistiques sur la production et les importations, 1917-1918. Fonte et acier, dans la Sous-série 6 N, Fonds particuliers : Fonds Clemenceau, Carton 58, SHAT.
46 Note sur le tableau des prévisions d'importation des aciers, 19 juillet 1917, dans 94
47 Note pour M. le chef du Service des produits métallurgiques, 10 août 1917, avec une note ajoutée par Loucheur le 11 août 1917, dans 94 AP, 170, AN.
48 Etienne Clémentel, La France et la politique économique interalliée, (Paris, 1931), p. 156-165. Le commandant Hausser à Albert Thomas, 23 août 1917, dans 94 AP, 170, AN.
49 Pinot, Le Comité des Forges, p. 143-144.
50 Pour des informations sur le CIMB, voir supra, p. 34-35.
51 Comité des Forges de France, Circulaire no 961 du 13 septembre 1917, dans 94 AP, 233, AN.
52 Louis Loucheur au sous-secrétaire d’Etat des transports maritimes et de la marine marchande, 27 juillet 1917, dans 94 AP, 87, AN. Louis Loucheur à Albert Thomas, 28 juillet 1917, ibid.
53 Procès-verbal, Commission de l'Armée (Chambre), 3 août 1917, dans C, 7498, AN.
54 Ibid. Discours prononcé par M. Thomas, 19 août 1917, dans 94 AP, 343, AN.
55 Procès-verbal, Commission de l'Armée (Chambre), 3 août 1917, dans C, 7498, AN.
56 Ibid.
57 Rapport sur l’artillerie lourde de campagne et l’artillerie à grande puissance, par André Tardieu, Commission de l’Armée (Chambre), 12 mars 1917, dans C, 7503, AN D’après Tardieu, le charbon utilisé pour les derniers mois de 1916 s’élevait à 3 millions de tonnes pour les usines de guerre, 2,3 millions de tonnes pour les chemins de fer, 1,55 millions de tonnes pour le gaz et l'électricité, 275 000 tonnes pour les bateaux, 900 000 tonnes pour des industries diverses, et 2,7 millions de tonnes pour la consommation des foyers domestiques.
58 Ministère du Commerce, de l’Industrie, des Postes et Télégraphes, des Transports maritimes et de la Marine marchande, Direction des études techniques, Rapport général sur l'industrie française, sa situation, son avenir (3 vols. ; Paris, 1919), I, p. 7-12. Les chiffres de consommation ne comprennent pas le coke. D'autre part, plus d’un million de tonnes de production domestique étaient exportées.
59 France, Annales du Sénat : Débats parlementaires, 8 février 1917, p. 140. Clémentel, La France et la politique économique, p. 88-91.
60 Clémentel, La France et la politique économique, p.110-113, 327-330.
61 Ibid., p. 138-140.
62 Paul Cambon au Foreign Office, 20 février 1917, dans Foreign Office, General Correspondence, Contraband, FO 382, Vol. 1680, PRO
63 Loucheur, Carnets secrets, p. 34. Procès-verbal du Cabinet de guerre,1 er mars 1917, Appendice III, dans Cabinet Office, Records of the Cabinet, Minutes of Cabinet Meetings, Conférences of Ministers, CAB 23/2, PRO.
64 Olivier, La Politique du charbon, p. 140-141. Georges Bonnefous, Histoire politique, II, p. 450-451.
65 Réunion générale des fabricants d’obus en acier et en fonte aciérée, 3 mars 1917, dans 10 N 29, SHAT. L'Usine, 8 avril 1917, p. 3. Olivier, La Politique du charbon, p. 113-122, 126-127, 141-142.
66 - L'Usine, 8 avril 1917, p. 3-4. Olivier, La Politique du charbon, p. 141-142.
67 L'Usine, 8 avril 1917, p. 3-4.
68 Ibid., 3 juin 1917, p. 1, 17 juin 1917, p 7. Groupement des industries de l’armement no 10 pour l'approvisionnement du charbon (sans nom d’éditeur, 1917), p. 1-5.
69 L'Usine, 10 juin 1917, p. 7.
70 Olivier, La Politique du charbon, p. 144-148. Bulletin des usines de guerre. 25 juin 1917, dans 10 N, 2, SHAT. Comité des Forges de France, Circulaire no 931 du 30 juin 1917, Circulaire no 936 du 17 juillet 1917, toutes deux dans 94 AP, 275, AN.
71 Procès-verbal, Commission des Mines (Chambre), 6 juillet 1917, dans C, 7761, AN. Après la création d’un ministère du Ravitaillement séparé en mars 1917, les principales responsabilités pour le charbon avaient été partagées entre ce ministère et le ministère des Travaux publics. Voir Georges Bonnefous, Histoire politique, II, p. 450-451. Olivier, La Politique du charbon, p. 140-141.
72 France, Annales de la Chambre des Députés : Débats parlementaires, 20 juillet 1917, p 1932.
73 Le Petit Journal (Paris), 18 juillet 1917, p 1.
74 Anatole De monzie fut nommé le 4 juillet à la tête d'un sous-secrétariat qui unissait deux juridictions auparavant distinctes, les transports maritimes et la marine marchande.
75 France, Annales de la Chambre : Débats, 20 juillet 1917, p. 1939-1943. Le Figaro (Paris), 21 juillet 1917, p. 2.
76 Olivier, La Politique du charbon, p. 152, 155, 161-162. Sardier, Le Ravitaillement en charbon, p. 160-161.
77 Prévisions d'entrée en service des matériels d’artillerie en 1917, 11 janvier 1917, dans 94 AP, 87, AN. Les prévisions des chiffres de production envoyées par Loucheur à Thomas pour le 155 mm court le 11 janvier était proches, sinon identiques à celles qu’il avait soumises le 24 décembre 1916. Aucune table énumérant le rendement exact que Loucheur avait estimé pour l’artillerie lourde en décembre ne semble exister.
78 Procès-verbal, Commission de l’Armée (Chambre), 3 août 1917, dans C, 7498, AN.
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