Introduction
p. 7-17
Texte intégral
1Au début de l’année 1517, Petrus Aegidius – Pierre Gilles – publiait à Anvers, chez Thierry Maertens, un livre de cinquante pages intitulé Summae sive argumenta legum diversorum imperatorum, ex corpore divi Theodosii, novellis divi Valentiniani Aug. Martiani, Maiorani, Severi, preterea Cai et Iulii Pauli sententiis. Adressé au chancelier de Bourgogne Johannes Sylvagius – Jean Sauvage –, l’ouvrage n’est en réalité autre que la première édition imprimée, tirée d’un manuscrit très ancien – ex vetustissimo archetypo –, de la Loi romaine des Wisigoths promulguée en 506 selon la date traditionnellement admise1. Composé sur ordre d’Alaric II par une commission présidée par le comes et uir illustris Goiaricus, le Bréviaire d’Alaric, comme on appelle aussi ce recueil que la tradition manuscrite qualifie indifféremment de Lex romana, Liber Legum, Liber Iuris, Corpus Legum, est une compilation de textes relevant du droit et de la loi. Les commissaires du roi de Toulouse ont choisi les premiers, dans les travaux des jurisconsultes romains, les seconds, à la fois dans le code qui porte le nom du fils d’Arcadius, Théodose, lequel en avait ordonné la réalisation en 435, et dans les novelles promulguées à partir de janvier 439, date d’entrée en application du code.
2Aussi sommaire soit-elle, la publication de Gilles est primordiale pour le Code Théodosien : elle ouvre le chemin de sa redécouverte et de sa lente reconstitution. Les décennies qui suivent voient ainsi la multiplication des éditions, celles de Sichard, de Cujas, de Pithou, chacune enrichie par l’apport de nouveaux textes. Le xviie s. n’est pas en reste, puisqu’en 1665 parait à Lyon l’impressionnante édition, posthume, de Jacques Godefroy : rééditée entre 1736 et 1743, augmentée par les soins de Ritter, elle demeure incomparable par l’importance des commentaires qui l’accompagnent. La découverte fortuite et spectaculaire, au début du xixe s., du manuscrit de Turin et des Gesta Senatus conduit alors Haenel à procurer une nouvelle version du Code en 1842. Les progrès de la recherche philologique et les nouvelles exigences scientifiques qui se font alors jour aboutissent enfin, en 1904-1905, à l’édition de Mommsen : elle devient celle de référence, dès l’instant où Paul Krueger ne put malheureusement achever celle qu’il avait entreprise : elle s’arrête au livre VIII.
3Source de tout premier ordre pour les historiens et les romanistes, le Code Théodosien fait l’objet, depuis le début des années 1990, d’un net regain d’intérêt. L’attestent ainsi les nouvelles recherches qui lui ont été consacrées : tant les ouvrages de J. Harries et I. Wood, de J. Matthews, d’A. J. B. Sirks, de L. Atzeri2, que les articles de D. Schlinkert, H.-J. Wieling, V. Crescenzi3. En témoigne également le vaste projet lancé au début du présent siècle à l’initiative de F. Thelamon et le regretté G. Tate dans le cadre du GDR qu’ils ont alors créé : il n’est autre que la première traduction française du Code (sont déjà parus les livres V et XVI, ainsi qu’un volume consacré aux lois chrétiennes4), une entreprise qu’ont accompagnée, jusqu’à présent, quatre rencontres internationales tenues à Nanterre en 2003, à Lille en 2005, à Neuchâtel en 2007 et à Clermont-Ferrand en 2009.
4Alors que les journées de Nanterre étaient principalement tournées vers les questions de la traduction, sans exclure un regard sur les structures de l’État tardif, celles de Lille, qui se sont donc tenues les 1er, 2 et 3 décembre 2005, ont porté sur la codification théodosienne en elle-même, les pratiques de gouvernement et les aspects de la vie économique et sociale, des thèmes repris et approfondis lors des colloques suivants5.
5Le colloque de Lille s’est ouvert par une réflexion sur les modalités de l’édition, de la diffusion, de la composition et du devenir du Code, une question qu’aucun utilisateur de l’ouvrage ne peut éluder. B. Salway (University College, London) reprend le dossier des Gesta senatus populi romani. Découvert en 1820 dans un manuscrit de l’Ambrosienne de Milan, le texte est exceptionnel : c’est en effet l’unique minute qui nous soit parvenue des milliers de réunions du Sénat de Rome. Y est consigné le discours prononcé par Anicius Acilius Glabrio Faustus devant les sénateurs réunis en mai 4386 dans sa demeure Ad Palmam. Placé dès lors par les éditeurs du Code au début de la compilation ordonnée par Théodose II, comme s’il en était l’avant propos7, ce procès-verbal a été considéré par les romanistes comme la clé permettant de comprendre le processus de diffusion du Code dans les partes imperii. Sans remettre fondamentalement en cause cette analyse, B. Salway, après avoir réexaminé la tradition manuscrite complexe du Code, estime qu’on ne peut réduire, comme on l’a fait jusqu’à présent, le propos d’Anicius à la simple relation, objective, des modalités de transmission et de diffusion du Code en Occident. Un Code officiellement promulgué par la novelle De Theodosiani Codicis auctoritate, adressée par Théodose II le 15 février 438 au préfet du prétoire d’Orient Florentius. Dans ce monument d’autoglorification où il se réjouit d’avoir « toiletté les ouvrages dans lesquels ont été perdues les vies de nombreuses personnes qui n’expliquaient rien8 », l’empereur émet de violentes critiques à l’encontre de ces connaisseurs de la science du droit que sont les prudentes : il dénonce leur ignorance scandaleuse, tout en se disant stupéfait par « le fait qu’en dépit de la grande et triste pâleur de leur teint due à leurs travaux nocturnes, un ou deux seulement de ceux qui se consacrent à la connaissance du droit civil atteignent la ferme assurance d’une connaissance parfaite9 ». C’est cette surprenante attitude à l’égard des prudentes qu’examine A. Lovato (Università di Bari) : il s’interroge minutieusement sur les motifs ayant conduit l’empereur à émettre un avis aussi négatif sur ces « prudents » à qui était promise une place de choix dans le recueil de leges et de jus prévu par la loi 429, un recueil que la loi de 435 semble avoir mis en sommeil puisque le 20 décembre de cette année, l’empereur, réorientait, dans les termes suivants, le projet initialement conçu :
« que toutes les constitutions édictales et générales dont on a ordonné la validité ou l’affichage dans les provinces ou dans des lieux précis, constitutions que le divin Constantin et les princes qui lui ont succédé ainsi que nous-mêmes avons promulguées, soient distinguées par des titres indiquant leur contenu, de sorte que les plus récentes puissent apparaître clairement non seulement par le calcul des consulats et des jours mais aussi par l’ordre de leur composition. Et si l’une d’elles doit être divisée en plusieurs chapitres, chacun d’eux sera séparé des autres et placé sous le titre approprié ; sera retranché de chaque constitution ce qui ne concerne pas la force de la sanction, et le droit seul sera conservé10 ».
6À cette fin, il nommait une nouvelle commission, composée de 16 membres, qui allait travailler rapidement : en trois ans, le Code était achevé. Depuis longtemps, on s’est interrogé sur la méthode utilisée par les compilateurs et les raisons qui les ont conduits à produire un ouvrage loin de regrouper, pour reprendre les termes mêmes de la loi de 429, « toutes les constitutions proposées par l’illustre Constantin, les princes qui lui ont succédé et nous-mêmes [il s’agit de Théodose], constitutions fondées sur la force des édits ou leur nature universelle et sacrée11 » : l’absence, dans le Code, d’un certain nombre de lois est-elle le fruit du pur hasard ou reflète-t-elle l’esprit des membres de la commission soucieux de répondre au mieux au projet impérial, en éliminant des textes ? C’est cette question, relancée par les travaux de J. Matthews et d’A. J. B. Sirks, que reprend O. Huck (Université de Strasbourg II) : il l’aborde en proposant une réflexion sur les Sirmondiennes12, plus particulièrement celles qui ne figurent pas dans le compendium théodosien. Lors du colloque, cette intervention a suscité une discussion passionnante et passionnée entre l’intervenant et A. J. B. Sirks, dont l’importance a conduit les éditeurs à en insérer les termes dans deux textes complémentaires : une Réaction d’A. J. B. Sirks et une Réponse d’O. Huck.
7Outre le problème du tri des constitutions, il en est un autre d’importance qui fait débat, celui du lieu où les compilateurs sont allés chercher les textes (quelles archives ont-ils dépouillées ?) et de leur validité (à quel moment une disposition prise par l’empereur prend-elle force de loi ?). C’est cette question, reprise par J. Matthews – pour qui, comme l’avait déjà énoncé O. Seeck, c’est la publication qui donne sa force à la loi13 – qu’examine de nouveau A. J. B. Sirks (University of Oxford). À ses yeux, le doute n’est pas vraiment permis : l’enquête qu’il mène sur le processus législatif, sur la façon dont une loi est donnée et sur la réalité des textes normatifs le conduisent à la conclusion suivante : ce ne sont pas tant les archives provinciales que les archives impériales qui ont fourni l’essentiel des dispositions retenues par les compilateurs.
8C’est sous un autre angle que J. Dubouloz (Université d’Aix-Marseille) examine les textes : à partir des lois concernant les opera publica, regroupées pour l’essentiel au titre 1 du Livre XV, il s’interroge à la fois sur la démarche suivie par les compilateurs pour construire le titre, dont la cohérence se révèle somme toute relative, et sur la façon dont les mesures qu’ils y ont insérées, ont été reçues et appliquées par les destinataires.
9Quatre-vingt dix ans après sa publication, le Code Théodosien était remplacé par une nouvelle compilation, celle ordonnée par Justinien. Comme il l’indique dans son adresse au sénat de Constantinople le 13 février 528, l’empereur avait en effet entrepris une vaste politique de clarification et de simplification du droit :
« Cette réforme que les nombreux princes qui nous ont précédé ont cru nécessaire mais qu’aucun d’entre eux ne s’est cependant résolu à mener à bien, nous avons décidé, avec l’aide de Dieu tout puissant, de la conduire dans l’intérêt de tous ; elle consiste à réduire la durée des procès en taillant dans le nombre des constitutions contenues dans les trois Codes – Grégorien, Hermogénien et Théodosien –, dans celles que Théodose, de divine mémoire, et plusieurs autres princes après lui, ont édictées, ainsi que dans celles que nous avons publiées nous-mêmes postérieurement aux trois Codes que nous venons de citer ; pour ce faire, un code colligeant tout à la fois des constitutions contenues dans les trois codes ci-dessus mentionnés et des novelles émises à leur suite sera composé ; il portera notre nom bienheureux »14.
10Il demanda également aux membres de la commission qu’il avait placée sous l’autorité de Tribonien d’actualiser les dispositions qu’ils puiseraient dans les recueils précédents, notamment la codification de Théodose : c’est ce travail de réécriture des lois reprises dans le Justinien qu’examine, au travers d’une cinquantaine d’exemples, R. Delmaire (Université Charles-de-Gaulle – Lille 3).
11Cette première partie du colloque montre clairement la complexité de la genèse du Code, dont l’utilisation s’avère bien plus délicate que ne le laisserait supposer une première approche, notamment parce qu’il n’a que peu à voir avec les codifications modernes, comme l’a bien montré J. Gaudemet15 : la plus grande prudence s’impose donc lorsque l’on interroge les lois pour tenter de voir le fonctionnement des institutions.
12Neuf contributions, relatives aux pratiques de gouvernement, constituent la deuxième partie de l’ouvrage. Elle s’ouvre par une réflexion de W. Wolodkiewicz (Université de Varsovie) sur la place du temps, tel qu’il est mesuré par la loi, dans le système juridique des Romains. Après en avoir rappelé les aspects et les effets à l’époque républicaine, l’auteur s’intéresse au temps de la prescription – celui-là même au terme duquel s’éteint l’action en justice – et à son évolution de Dioclétien à Théodose II, l’empereur qui fut le premier à fixer une prescription de 30 ans pour tous les types d’action, qu’elles soient in rem ou in personam : un délai qui, comme le rappelle une constitution de Théodose II du 14 novembre 424 (CTh IV, 14, 1), s’applique notamment aux conflits de bornage, fréquents dans des campagnes où règne une violence sourde que les empereurs ont tenté de réfréner. C’est ce combat auquel s’intéresse B. Pottier (Université de Provence). Il conduit une étude approfondie sur l’arsenal législatif mis en place à l’encontre des coupables de violence manifeste, de ceux qui envahissent des propriétés, déplacent les bornes, volent du bétail, portent des armes et recourent à l’autodéfense, un droit que Théodose octroie en 391 aux provinciaux dans certaines circonstances et qu’Augustin n’a pas renié.
13Si la promulgation du Code Théodosien n’a pas mis fin au processus législatif, une disposition de la Novelle I de Théodose II de 438 stipule que toute constitution émise dans une pars imperii ne sera désormais applicable dans l’autre pars qu’à la condition d’y être expédiée par une pragmatique sanction16. Un souci déjà exprimé dans le projet de codification de 429 : pour éviter les fraudes et les assertions douteuses, la loi envisageait une transmission officielle des textes d’une chancellerie à l’autre et une publication solennelle, du type même de celle qui accompagne la promulgation des édits17. La disposition de 438 nous renvoie à la double question de l’application territoriale des lois émises lorsque le gouvernement a plusieurs titulaires, ce qui est le cas le plus fréquent, et de l’unité de l’Empire. Elle a fait l’objet de nombreux débats et l’on s’est demandé s’il ne fallait pas faire remonter la division de l’Empire au moment où Valentinien Ier et Valens se partagent les rênes du pouvoir en juin 364. Pour G. De Bonfils (Università di Bari) qui réexamine le problème en analysant minutieusement deux lois conservées au livre XVI, le doute n’est pas vraiment permis : émis en Occident, ces lois n’ont pas pu être appliquées en Orient.
14Trois contributions portent un regard sur le fonctionnement de l’administration, dont la corruption a trop souvent été mise en avant, quand elle n’était pas considérée comme un facteur déterminant de la chute de l’Empire18, ce qui est sans doute discutable. W. Formigoni Candini (Università di Ferrara) s’intéresse aux missions d’une catégorie de fonctionnaires dont l’arrogance et la réputation sinistre19 ont assurément été exagérées : les curagendarii ou curiosi, dont les fonctions ne se limitaient pas à la surveillance et au contrôle de la poste d’État, le cursus publicus, comme en témoignent les douze lois du titre 29 du Livre VI qui leur est consacré : sa contribution complète ainsi celle qu’avait donnée L. Di Paola lors du colloque de 200320. D’autres fonctionnaires aussi ont mauvaise presse : les Caesariani de la Res privata. Ce sont à ces employés de statut libre que S. Corcoran (University College, London) s’intéresse. Non pas tant pour étudier les extorsions de toutes sortes qu’ils semblent allègrement pratiquer – quand ils ne recourent pas aux allégations mensongères pour accélérer les confiscations ou ne se précipitent pas pour dresser des inventaires avant même que les tribunaux ne se soient prononcé –, que pour réviser la datation de l’edictum de accusationibus qui fustige les abus de ces employés. Quant à L. Di Paola (Università di Messina), elle reprend le dossier du gouverneur provincial, au travers d’une étude notamment diachronique qui lui permet de mettre en évidence les qualités attendues de ce fonctionnaire à qui on n’a peut-être pas suffisamment porté attention.
15Les quatre dernières contributions de cette partie nous conduisent vers d’autres horizons : deux d’entre-elles concernent les rapports entre les particuliers et les biens publics, les deux autres s’intéressent aux ludi circenses.
16La mise en valeur des biens-fonds impériaux se fait notamment par le biais des baux à longue durée que sont le ius perpetuum, un mode d’exploitation – vraisemblablement héritier du ius in agro vectigali – auquel les cités recouraient à l’époque des Antonins, selon le témoignage de Gaius21 et l’emphytéose, un contrat de location de très longue durée, perpétuel en fait, qui impose à son détenteur de valoriser des terres incultes. Si le droit perpétuel se maintient en Occident au ve s., il se confond, en Orient, dès la fin du ive s., avec le droit emphytéotique. Il y révèle sa spécificité, ainsi que le montre A. Laquerrière-Lacroix (Université d’Auvergne) qui, dans son propos, s’attache à l’examen de la nature des droits des perpétuaires et des emphytéotes sur les domaines qu’ils exploitent. Des tenanciers dont les relations avec d’autres exploitants sont parfois tendues, comme le montre la loi de Constantin de 319 conservée en CJ 11, 63 (62), 1, où des colons usurpent l’eau des sources réservée aux emphytéotes. Ce phénomène du vol d’eau, fréquent en pays méditerranéen, a très tôt été combattu par l’État : il a progressivement mis en place un arsenal de mesures répressives, ainsi que le rappelle F. Reduzzi-Merola (Università di Napoli Federico II), qui en conduit l’examen jusqu’à l’époque de Théodoric.
17Les dispositions prises par l’État à l’époque tardive ont longtemps été considérées, on le sait, comme une preuve de sa nature totalitaire : aucun domaine de la sphère privée et de la vie publique n’aurait échappé à sa volonté sans cesse croissante de tout contrôler. Elle l’aurait ainsi conduit à mettre la main sur les spectacles, notamment les courses de chars, et au-delà, l’élevage et la fourniture de chevaux : une affirmation qui se révèle bien moins fondée qu’elle n’apparaît, comme le montrent C. Hugoniot (Université de Tours) et E. Soler (Université de Rouen) dans une étude mettant en relation la documentation juridique et les sources littéraires. Sans les chevaux, les organisateurs de courses ne pourraient mettre en place les spectacles et les auriges ne pourraient concourir ; les cinq lois qui, dans le Code, concernent les coursiers font l’objet de l’étude de J.-A. Jiménez Sanchez (Universitat de Barcelona)22.
18Les nouvelles instructions données par Théodose II en 43523 ont, on le sait, conduit les membres de la commission qu’il nomme alors, à actualiser les lois et à supprimer les attendus des constitutions : c’est, assurément, pour l’historien, un facteur de difficulté accrue pour la compréhension des dispositions relatives aux faits de société et à la vie économique, objet de la troisième partie de l’ouvrage.
19Le domaine impérial s’est accru, au fil du temps, par des voies diverses, telles que les donations, les confiscations des biens des individus condamnés et des personnes décédées sans testament et sans héritier légitime. Or, un certain nombre de dispositions figurant dans les premiers titres du Livre V – un livre qui s’ouvre par la question des successions ab intestat –, stipule que ce sera désormais la corporation ou le groupe auquel appartient le défunt qui héritera des biens de ce dernier : une situation nouvelle examinée par P. Cuneo (Università di Milano-Bicocca). L’auteur met en relation ce revirement avec les nouvelles orientations qui se font jour à compter du ive s., celles qui, notamment, imposent l’hérédité des conditions et mettent les corporations au service de l’État, constamment confronté à des difficultés financières. Parmi les multiples causes qui les expliquent, non négligeable est celle des exemptions fiscales. Ce qui le conduit à prendre, en période de crise, des mesures drastiques : ainsi, en 364, Valentinien Ier et Valens se résolvent à imposer le règlement du chrysargyre – cet impôt qui frappe les commerçants – aux personnes jusqu’alors exemptées, parmi lesquelles sont les clercs. La disposition a suscité nombre de débats. L. Guichard (Université de Nancy) propose une nouvelle analyse de ce texte qu’il replaçe notamment dans le cadre de la politique fiscale des deux frères.
20C’est au titre de l’impôt en nature que les producteurs de porcs d’Italie étaient tenus de fournir des bêtes pour les distributions de caro porcina qu’avait institué Aurélien. Comme nous l’apprennent plusieurs lois conservées au titre 4 du Livre XIV, la responsabilité de la levée des animaux incombait aux suarii, les marchands de cochons. Les données chiffrées contenues dans ces lois sont ici exploitées par P. Jaillette (Université Charles-de-Gaulle – Lille 3) non sous l’angle avec lequel elles ont été jusqu’ici très souvent considérées – à savoir l’estimation de la population de la capitale à l’époque tardive – mais dans une optique autre : la réalité matérielle de l’acheminement des animaux vers la capitale et le nombre de bêtes concernées.
21Dans son ouvrage consacré aux personnes condamnées aux mines24, le regretté Franco Salerno estime que le metallarius est un travailleur dont la vie se passe dans les entrailles de la terre. Initialement énoncée par J.-P. Waltzing25, cette affirmation est réexaminée par C. Freu (Université de Rouen) qui s’attache, par une enquête minutieuse, à préciser le statut du personnage, qui s’avère être plus proche de l’exploitant que de l’ouvrier mineur.
22La damnatio ad metallum n’est, dans un arsenal répressif particulièrement riche, qu’une des formes de condamnation prévues par le législateur à l’encontre des personnes, de statut libre ou servile, contre qui est requise la peine capitale. Dans l’attente de l’exécution de leur peine, elles se voient privés sur le champ de tout droit, devenant ainsi, de fait, servi poenae, esclaves de leur peine, selon l’expression qui les désigne à partir du règne d’Antonin. Ce sont les deux textes du Code Théodosien les concernant qu’analyse A. McClintock26 (Università di Benevento) dont l’étude offre une intéressante confrontation entre dispositions législatives et littérature chrétienne. Ces servi poenae pouvaient être envoyés combattre les fauves lors de chasses à l’amphithéâtre, une forme particulièrement sanglante d’exécution. Elle parut insupportable à Constantin : en 325 il supprima la condamnation à la gladiature au nom de la cruauté du châtiment et de sa nature sanguinaire. Mais de façon surprenante, il n’interdit pas pour autant les combats de gladiateurs, un paradoxe qu’examine F. Salerno† dans une réflexion sur la politique de répression des crimes telle que la conduit l’empereur chrétien27.
23Le « plus probe juge des mœurs », ainsi que Marcien qualifie le fils de Constance Chlore28 a également pris d’importantes mesures dans le domaine de la sphère privée : elles concernent notamment les femmes, auxquelles se sont également intéressés ses successeurs. L’importance des textes qui leur sont consacrés n’a pas échappé aux membres de la commission de 435, qui ont inséré dans la compilation 211 textes les concernant. P. Laurence (Université François Rabelais de Tours) consacre son propos aux devoirs, droits et privilèges que leur octroie le législateur29. Quant à A. Marcone (Università di Udine), il réexamine la fameuse constitution de Valentinien Ier relative aux mariages entre Romains et Barbares30, dont la rigueur extrême visait à donner un coup d’arrêt radical à des unions de cette nature.
24Avant que le lecteur ne découvre le contenu détaillé des contributions de ces journées, avant qu’il ne prenne connaissance des hypothèses des uns et des autres et des arguments avancés par les auteurs pour défendre leurs opinions, les responsables du colloque tiennent à dire que les actes de ce colloque, dont la publication a été retardée par la nécessité de changer d’éditeur, n’auraient pu se faire sans l’aide précieuse d’un ensemble de personnes.
25Que soit d’abord remercié Jérome Vaillant, directeur des Presses Universitaires du Septentrion, qui a volontiers accueilli l’ouvrage dans la collection Temps, espace et société.
26Que soient également remerciés les contributeurs31 dont la patience fut mise à rude épreuve et qui, en dépit de délais sans cesse retardés, ont volontiers accepté d’actualiser leur texte en fonction des recherches les plus récentes.
27Que soient aussi remerciés Gérard Hilmoine (Université Charles-de-Gaulle – Lille 3) et Guy Richard (IEP Lille), les collègues anglicistes qui se sont acquittés, avec leur générosité coutumière, de la traduction des résumés.
28Que soient enfin remerciés Christophe Hugot, le dynamique responsable de la Bibliothèque des Sciences de l’Antiquité, pour sa judicieuse suggestion de mise en forme de la première de couverture, et Nicolas Delargillière pour la maquette d’ensemble.
29La reproduction des documents qui illustrent la publication n’aurait pu être possible sans le précieux travail de Gilbert Naessens, responsable du laboratoire photographique d’Halma-Ipel.
30Mais l’ouvrage n’aurait pu paraître sans le travail de saisie et de mise aux normes de l’éditeur qu’a effectué avec un soin extrême par Christine Aubry, Ingénieur d’études à Halma-Ipel. Sa disponibilité a été constante, et jamais son humeur ne s’est ressentie des multiples exigences qui ont été celles des éditeurs : qu’elle en soit chaleureusement remerciée.
31À tous la gratitude des éditeurs du colloque est acquise.
Notes de bas de page
1 B. Saint-Sorny, « La fin du roi Alaric II : la possibilité d’une nouvelle datation du Bréviaire », Studi di storia del diritto, 3, 2001, p. 27-90, propose de dater la promulgation du 2 février 507.
2 J. D. Harries, I. N. Wood (éd.), The Theodosian Code. Studies in the Imperial Law of Late Antiquity, London, 1993 [20102 ] ; J. F. Matthews, Laying Down the Law. A Study of the Theodosian Code, New Haven & London, 2000 ; A. J. B. Sirks, The Theodosian Code. A Study, Friedrichsdorf, 2007 ; L. Atzeri, Gesta senatus Romani de Theodosiano publicando. Il Codice Teodosiano e la sua diffusione ufficiale in Occidente, Berlin, 2008.
3 D. Schlinkert, « Between Emperor, Court, and Senatorial Order : the Codification of the Codex Theodosianus », AncSoc, 32, 2002, p. 283-294 ; H. J. Wieling, « Die Einführung des Codex Theodosianus im Westreich », dans M. J. Schermaier, J. M. Rainer, L. C. Winkel (éd.), Iurisprudentia universalis : Festschrift für Theo Mayer-Maly zum 70. Geburtstag, Köln, 2002, p. 865-876 ; V. Crescenzi, « Testo originale e testo autentico nella tradizione delle compilazioni normative : il caso del Teodosiano », dans G. Crifò, S. Giglio (éd.), AARC, XVI, Napoli, 2007, p. 305-323.
4 R. Delmaire, J. Rougé+, L. Guichard, O. Huck, F. Richard, Les lois religieuses des empereurs romains de Constantin à Théodose II (312-438), II, Code Théodosien I-XV, Code Justinien, constitutions sirmondiennes. Paris, Cerf, 2009 (SC, 531) ; S. Crogiez-Pétrequin, P. Jaillette, J.-M. Poinsotte, Codex Theodosianus, Le Code Théodosien, V, Brepols, Turnhout, 2009.
5 Journées de Nanterre : S. Crogiez-Pétrequin, P. Jaillette (éd.), Le Code Théodosien. Diversité des approches et nouvelles perspectives, Rome, 2009 (Coll. EFR, 412) ; de Neuchâtel : J.-J. Aubert, Ph. Blanchard (dir.), Droit, religion et société dans le Code Théodosien, Actes des 3e journées d’études sur le Code Théodosien, Genève, Droz, 2009 (Université de Neuchâtel, Recueil de travaux publiés par la Faculté des Lettres et Sciences humaines, 54e fasc.). Les actes du colloque de Clermont, « Aux sources juridiques de l’histoire de l’Europe (Antiquité tardive et haut Moyen Âge) : le Code Théodosien » sont en préparation.
6 Selon la datation proposée par L. Atzeri, op. cit., note 2, p. 129-132.
7 Ce qui, comme le suggère L. Atzeri, op. cit., note 2, p. 264-286, n’est sans doute pas vraiment le cas. À la suite des Gesta les éditeurs placent la constitutio de constitutionariis promulguée par Valentinien III en 443, sur laquelle on se reportera à L. Atzeri, op. cit., p. 287-314. Placés sous l’autorité du préfet du prétoire plutôt que du préfet de la Ville selon L. Atzeri, op. cit., p. 233 et 253, les constitutionnaires sont des fonctionnaires officiellement chargés de copier les constitutions.
8 NTh I, § 3 : Quamobrem detersa nube uoluminum, in quibus multorum nihil explicantium aetates adtritae sunt…
9 NTh I, pr. :… tam pauci rarique extiterint, qui plene iuris ciuilis scientia ditarentur, et in tanto lucubrationum tristi pallore uix unus aut alter receperit soliditatem perfectae doctrinae…
10 CTh I, 1, 6 : Omnes edictales generalesque constitutiones uel in certis prouinciis seu locis ualere aut proponi iussae, quas diuus Constantinus posterioresque principes ac nos tulimus, indicibus rerum titulis distinguantur, ita ut non solum consulum dierumque supputatione, sed etiam ordine conpositionis apparere possint nouissimae. Ac si qua earum in plura sit diuisa capita, unumquodque eorum, diiun[c]tum a ceteris apto subiciatur titulo et circumcisis ex qua[que] constitutione ad uim sanctionis non pertinentibus solum iu[s]relinquatur.
11 CTh 1, 1, 5 :… cunctas colligi constitutiones decernimus, quas Constantinus inclitus et post eum diui principes nosque tulimus, edictorum uiribus aut sacra generalitate subnixas.
12 Sur ces constitutions, appelées ainsi à la suite de leur découverte par le jésuite Jacques Sirmond, qui les publia en 1631, on se reportera à O. Huck, « Les Constitutions Sirmondiennes. Introduction », dans R. Delmaire, J. Rougé, L. Guichard, O. Huck, F. Richard, Les lois religieuses des empereurs romains de Constantin à Théodose II (312-438), II, op. cit., note 4, p. 429-468.
13 J. Matthews, Laying Down the Law. A Study of the Theodosian Code, New Haven & London, 2000. On verra également les remarques de R. Delmaire, dans R. Delmaire, J. Rougé+, L. Guichard, O. Huck, K. L. Noethlichs, J.-M. Poinsotte, F. Richard, Les lois religieuses des empereurs romains de Constantin à Théodose II (312-438), I, Code Théodosien Livre XVI, Paris, Cerf, 2005 (SC, 497), p. 15-17.
14 CJ, De nouo codice componendo, pr. : IMPERATOR IVSTINIANVS AVGVSTVS AD SENATVM. Haec, quae necessario corrigenda esse multis retro principibus uisa sunt, interea tamen nullus eorum hoc ad effectum ducere ausus est, in praesenti rebus donare communibus auxilio dei omnipotentis censuimus et prolixitatem litium amputare, multitudine quidem constitutionum, quae tribus codicibus Gregoriano et Hermogeniano atque Theodosiano continebantur, illarum etiam, quae post eosdem codices a Theodosio diuinae recordationis aliisque post eum retro principibus, a nostra etiam clementia positae sunt, resecanda, uno autem codice sub felici nostri nominis uocabulo componendo, in quem colligi tam memoratorum trium codicum quam nouellas post eos positas constitutiones oportet,
15 J. Gaudemet, « La codification, ses formes et ses fins », Revue juridique et politique des États francophones, 40, 1986, p. 239-260 ; id., « Codes, collections, compilations », Droits, 24, 1996, p. 3-16.
16 NTh I, § 5 : His adicimus nullam constitutionem in posterum uelut latam in partibus Occidentis alioue in loco ab inuictissimo principe filio nostrae clementiae p (er) p (etuo) Augusto Valentiniano posse proferri uel uim legis aliquem obtinere, nisi hoc idem diuina pragmatica nostris mentibus intimetur.
17 CTh I, 1, 5 : In futurum autem si quid promulgari placuerit, ita in coniunctissimi parte alia ualebit imperii, ut non fide dubia nec priuata adsertione nitatur, sed ex qua parte fuerit constitutum, cum sacris transmittatur adfatibus in alterius quoque recipiendum scriniis et cum edictorum sollemnitate uulgandum.
18 Un point de vue avancé par R. McMullen, Le déclin de Rome et la corruption du pouvoir, Paris, 1991.
19 R. M. Sheldon, Renseignement et espionnage dans la Rome antique, Paris, Les Belles Lettres, 2009, p. 336-338, n’hésite pas à les comparer aux « commissaires politiques soviétiques ».
20 L. Di Paola, « I curiosi in età tardoantica : riflessioni in margine al titolo VI, 29 del Teodosiano », dans S. Crogiez-Pétrequin, P. Jaillette (éd.), Le Code Théodosien…, op. cit., note 5, p. 119-141.
21 Institutiones III, 145 : Veluti si qua res in perpetuum locata sit, quod euenit in praediis municipum quae ea lege locantur ut quamdiu id uectigal praestetur, neque ipsi conductori neque heredi eius praedium auferatur.
22 L’auteur vient de publier une importante étude sur les ludi circenses et scaenici, les ludi circenses et scaenici, les munera et les venationes : Los juegos paganos en la Roma cristiana, Fondazione Benetton, Studi Ricerche, Viella, 2010 (Ludica : collana di storia del gioco, 10).
23 CTh I, 1, 6 : retrancher « de chaque constitution ce qui ne concerne pas la force de la sanction » pour ne conserver que « le droit seul », titulo et circumcisis ex qua[que] constitutione ad vim sanctionis non pertinentibus solum iu[s] relinquatur.
24 F. Salerno, « Ad metalla ». Aspetti giuridici del lavoro in miniere, Napoli, 2003.
25 J.-P. Waltzing, Étude historique sur les corporations professionnelles chez les Romains depuis les origines jusqu’à la chute de l’Empire d’Occident, Louvain, 1895-1900, II, p. 237-239.
26 Depuis la tenue du colloque, l’auteur a poursuivi et approfondi ses recherches dont elle vient de publier les résultats dans Servi della pena. Condannati a morte nella Roma imperiale, ESI, 2010 (Università degli Studi del Sannio, Pubblicazioni della facoltà di economia e del Dipartimento di Studi Giuridichi, Politici e Sociali, Sezione giuridico-sociale, 65).
27 Le 16 avril 2010 s’est tenue à l’Université Federico II de Naples, une journée d’hommage au savant disparu, à laquelle a participé P. Jaillette et où il est intervenu au nom du centre de recherches Halma et des organisateurs du colloque.
28 Morum sanctissimus censor, NovMarc IV, l. 29.
29 La contribution de l’auteur illustre le projet qu’il avait présenté en 2003 : voir P. Laurence, « Les femmes dans le Code Théodosien. Perspectives », dans S. Crogiez-Pétrequin, P. Jaillette (éd.), Le Code Théodosien…, op. cit., p. 259-269. Les lois sur les femmes sont rassemblées dans son ouvrage : Les droits de la femme au Bas-Empire romain. Le Code Théodosien. Textes, traduction et commentaires, Paris, 2012.
30 Constitution dont D. Liebs analyse les destinées dans les royaumes germaniques : D. Liebs, « Il divieto di matrimoni misti nel diritto germanico-romano/Das verbot von Mischehen in germanisch-römischen Recht », dans S. Giglio (a cura di), AARC XVII, Roma, Aracne, 2010, I, p. 617-628. On verra également R. Mathisen, « ‘Provinciales’, ‘gentiles’ and marriages between Romans and barbarians in the late Roman Empire », JRS, 2009, 99, p. 140-155.
31 Sont indiquées dans l’ouvrage les fonctions exercées par les contributeurs à la date du colloque. Leurs affectations actuelles figurent en 4e de couverture. Francesco Salerno nous a quittés en 2009 (voir note 27).
Auteurs
Université de Tours
Université Charles-de-Gaulle – Lille 3, Halma-Ipel – UMR 8164 (CNRS, Lille 3, MCC)
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