Chapitre VIII. Évaluation terminale
p. 225-252
Texte intégral
1Ce dernier chapitre est l'aboutissement de ce qui a été présenté et analysé dans les deux précédents chapitres : une évaluation initiale suivie d’une séquence didactique qui tentait de proposer quelques situations d’apprentissage en résonance avec quelques-uns des problèmes identifiés lors de l’évaluation. Ce chapitre viii va tenter de faire le bilan de cette séquence pédagogique. Comme je le disais à l'ouverture du chapitre vi, cette évaluation finale a des objectifs modestes. Elle ne prétend pas faire une évaluation scientifique des acquis des élèves, il aurait fallu pour cela confronter ces résultats à ceux d’une classe témoin. Elle se contentera donc de mettre en évidence ce qui s’est modifié depuis l’évaluation initiale, sans pouvoir fermement le rapporter à l’efficacité présumée de la séquence didactique.
2Le plan suivi pour analyser ces résultats sera légèrement différent de celui des autres analyses de corpus, un peu plus ramassé, en fait. Après une présentation de la nature de l’épreuve, je passerai tout de suite à l’étude quantitative qui permettra d’évoquer les évolutions depuis l’évaluation initiale. Ensuite j’envisagerai simultanément les formes d'organisation textuelle et les stratégies d’exemplification : quatre catégories textuelles seront présentées, et pour chacune d’elles, les stratégies d’exemplification seront analysées. Je terminerai par quelques considérations très brèves sur les difficultés linguistiques.
A. Présentation du contexte de l’épreuve
3Le critère que j’ai retenu pour élaborer l’épreuve permettant de clore cette séquence a été de placer les élèves dans une situation de travail la plus proche possible des apprentissages qu’ils avaient menés jusqu’alors. Cela imposait le choix d’une dissertation accompagnée d’une documentation. C’était la forme prise par les sujets de dissertation dans cette classe. Cette forme est intéressante en ce qu’elle permet d’élaborer un mini-corpus (ou « banque de textes » selon les termes utilisés par professeur et élèves) constitué uniquement de faits spécifiques ou d’anecdotes pouvant prendre le statut d’exemples dans un texte dissertatif. Je présenterai ci-dessous d’abord quelques attendus à cette pratique de la « dissertation sur documents », puis j'analyserai succinctement les documents et le sujet proposé aux élèves.
1. Une dissertation sur documents
4L’intention d’une telle démarche est de minimiser dans l’esprit des élèves le problème de l’inventio. On sait que l’absence d’idées (ou le sentiment de ne pas en avoir) est une des représentations-obstacle principales des apprentis scripteurs (Delforce 1992, 6). Donner aux élèves en accompagnement d’un énoncé de dissertation un ensemble de textes abordant par un biais ou un autre la problématique du sujet est une façon de réduire cet obstacle... tout en leur en proposant un autre simultanément.
5En effet, il ne suffit pas de donner une documentation, encore faut-il aider les élèves à la traiter. Des interviewes d’élèves de seconde menées dans un autre cadre et relatées dans Darras, Delcambre (1989, 41-45) montrent qu’en dehors d’un accompagnement didactique, de tels dossiers ne sont pas faciles à utiliser : risque de planifier son texte en fonction des éléments du dossier plutôt qu’en fonction de la problématique du sujet, risque de collage énumératif, difficulté à prendre de la distance par rapport aux textes du dossier (identifier les discours, les reformuler, les situer), difficulté à construire des relations entre les documents, et entre ceux-ci et le sujet.
6Il faut donc aider les élèves à identifier les discours sociaux sur le thème ou la question posée par le sujet et à construire des relations entre ces documents et la question du sujet, relations à travers lesquelles peut s’élaborer une compréhension fine de la « problématique » (entendons par là, la suite de questions - réponses dans laquelle le sujet se situe).
7Pour travailler le premier objectif, deux conditions sont nécessaires : d’abord que la banque de textes présente un choix de textes hétérogènes quant à leurs origines. Il est important de faire comprendre aux élèves qu’« il n’y a pas que les « bons auteurs » qui parlent » (Darras et al., 1994) mais que les discours traversent la presse (pour adultes, pour adolescents, d'information, de vulgarisation scientifique, féminine, masculine, etc.), les courriers des lecteurs, les copies d’élèves, etc. Cette hétérogénéité voulue des textes composant le dossier permet par ailleurs un travail très fructueux sur la « légitimité sociale des différents discours sociaux » (Darras et al., ibid.) et sur la fonction de la citation dans la dissertation. Cite-t-on de la même manière un propos d’un anonyme et un mot d’auteur ? (cf. le problème rencontré au début du chapitre VI avec « Le téléspectateur »). La deuxième condition requise pour aider les élèves à identifier les discours sociaux est de le faire explicitement : par exemple, « nommer les énonciateurs, repérer quels types de personnes tiennent tel propos sur [le thème], de quel lieu ou de quel droit elles parlent » (Darras et al., ibid.). Cela suppose également de repérer les éclairages différents que prend le thème dans les différents textes et éventuellement d’analyser les différences données à l’extension du thème. Ainsi, un travail sur les mathématiques que j’ai présenté dans Delcambre, Darras 1992 (28-29) montre que selon les textes du dossier, ce qui est traité, c’est la place des maths dans les études ou dans la vie quotidienne ou dans l’exercice d’une profession. On peut ajouter que ces différences d’extension dépendent surtout de la question à laquelle chaque texte essaie de répondre. Pour finir, ce travail de repérage des discours sociaux ne peut se faire sans convoquer également l’opinion des élèves et sans leur demander comment ils se situent par rapport à tel ou tel texte, par exemple.
8Le deuxième objectif est davantage tourné vers l’élucidation du sujet : comme aucun texte ne traite la question posée, il est nécessaire d’examiner comment chacun aborde le thème et quel élément il peut apporter à la construction d'une problématique. Ainsi, un dossier peut aider des élèves à formuler explicitement le débat polémique sous-jacent à un énoncé de sujet1. « Est-ce, selon vous, utile d’être bon en maths pour réussir dans la vie ? ». Qu’opposer à « utile » ? inefficace ? superflu ? nuisible ? Les textes, dans les positions qu’ils manifestent, permettent d’élucider cette dispersion sémantique. Le travail est ici double : il s’agit de dérouler les implicites d’un énoncé de sujet et de travailler les relations entre les textes et le sujet. La question essentielle à poser serait du genre « En quoi chaque texte peut-il aider à la construction de la dissertation ? » (Darras et al., ibid.). Ainsi, l’utilisation d’un « dossier-outil comme aide à la production d'un écrit » (Schnedecker, 1993, 17) est-il ici finalisé et directement lié aux aspects spécifiques de l’écriture d’une dissertation.
9L’ensemble de la démarche est à mettre au compte d’un travail explicite sur les « interactions lecture/écriture » dans une perspective didactique relativement classique, où la lecture est mise au service de l’écriture. « La lecture est convoquée dans l’écriture et l’influence de diverses façons [...] que ce soit par le stock des lectures antérieures, par des relectures en cours de travail ou à son issue […] ou par la lecture projetée du lecteur visé ». (Reuter 1994, 10). Les analyses qui précèdent montrent cependant combien cette relation est constitutive du genre de discours qui est visé dans les apprentissages dissertatifs.
2. Présentation de l’épreuve
10L’épreuve proposée a pris la forme d'une dissertation, dont voici le sujet :
Il faut savoir distinguer le vrai du faux, la vérité du mensonge, la réalité de la fiction. C’est ce qu’on dit généralement.
Pourtant, le faux, le mensonge, la fiction, le trucage, etc. ne sont-ils pas aussi importants ? Qu’en pensez-vous ?
11Une consigne développée était ajoutée, comme cela se faisait habituellement dans la classe. La voici :
1/ Votre texte comprendra :
● un paragraphe d’introduction, où vous présenterez le sujet
● un développement en deux ou trois parties. Vous y présenterez des opinions diverses, qu’elles soient proches ou éloignées des vôtres, en cherchant toujours à préciser quels types de personnes peuvent partager les opinions présentées.
● un paragraphe de conclusion, où vous ouvrirez le sujet sur une problématique plus large.
2/ Votre propre position devra toujours apparaître clairement au lecteur tout au long de votre texte, que vous présentiez des opinions proches ou éloignées des vôtres.
3/ Vous donnerez des exemples tirés de vos lectures ou de votre expérience personnelle. Vous utiliserez obligatoirement deux ou trois des documents de la banque de textes.
a. Analyse du sujet et de la consigne
12Le sujet met en scène une position (« C’est ce qu’on dit généralement ») qui s’appuie sur des valeurs qu’on peut penser communément partagées dans l’univers judéo-chrétien qui est le nôtre : le vrai, la vérité, etc. « valent » mieux que le faux, le mensonge, etc. ; il présente donc implicitement le mensonge, le faux, etc. comme des valeurs négatives. Mais cette position est réfutée par une question (interro-négative orientant vers une réponse positive) qui fait pencher le jugement sur ces objets négatifs vers l’attribution d’une valeur positive. La polarisation du débat porte sur l’opposition vrai/faux et le seul appui sémantico-lexical de cette opposition est l’expression « aussi important », qui laisse induire une opposition non pas entre deux aspects (positif/négatif) d’un même thème mais entre deux « objets » aussi positifs l’un que l’autre : la vérité est importante, le mensonge aussi. Un des traitements possibles du sujet peut donc être « le vrai est important » (V+), « le faux est également important » (F+)2 et non pas seulement « le vrai est important, le faux est condamnable » (V+/F-) ou « le vrai n’est pas si important, au regard de ce que peut apporter le faux » (V-/F+), solutions qui ne sont que l’amplification de l’explicite et de l’implicite de chacune des positions en présence ; on peut aussi régler le problème en ne prenant que l’un des deux termes (puisque l'autre est déduit comme antonyme quasi automatiquement ; il est représenté entre parenthèses dans les symbolisations qui suivent) et en voir les aspects contraires : « le faux est condamnable mais il présente des avantages » : F- (V+) /F+ (V-) ; ou « le vrai est souhaitable mais il peut poser bien des problèmes » : V+ (F-)/V(F+).
13Dernière observation sur le sujet : l’énumération des substantifs permet (éventuellement) de construire des domaines d’application pour le problème, de convoquer des champs de savoir : vrai et faux sont en quelque sorte des hyperonymes de vérité/mensonge qui renvoie au domaine de l’action et du jugement moral, réalité/fiction convoque plutôt les domaines de la production d’illusion référentielle, le roman, le cinéma, les jeux vidéos, etc., le trucage entrant dans cette série3.
14La consigne rappelle les points importants de l’apprentissage discursif en cours : les points 1 et 2 ciblent les questions de planification globale de la dissertation, de polyphonie énonciative et de gestion argumentative. Le point 3 rappelle l’exigence d’exemplification et d’usage de la banque de textes sans préciser autrement quel type de travail peut être effectué sur les sept textes proposés.
b. Analyse des documents annexés
15Sept textes courts étaient adjoints à la consigne. Ils avaient été choisis pour présenter essentiellement des « cas » qui pouvaient jouer le rôle d'exemple pour traiter tel ou tel aspect du problème. Je les présente ci-dessous puis commenterai rapidement les difficultés qu’ils présentent. Chacun est associé à un « titre » qui n’apparaissait pas sur les documents remis aux élèves mais qui facilitera le traitement qui en sera fait dans les pages qui suivent.
1. « Holmes »
En Décembre 1893, est publiée à Londres la nouvelle de Conan Doyle intitulée « Le dernier problème » où Sherlock Holmes meurt dans un accident de montagne. L’événement bouleverse les Anglais et l'on peut lire dans la presse des écrits comme ce qui suit :
« Il est à présent indéniable que Holmes a bel et bien été victime d’une mort violente. Ses nombreux admirateurs se raccrocheront jusqu'au bout à l’idée d’une réapparition miraculeuse, mais la seule pensée raisonnable qui puisse nous venir à l’esprit en cette occurrence est que son frère, dont nous connaissons les facultés exceptionnelles, prendra le parti de se substituer à lui pour nous étonner à nouveau... » Ce plaidoyer en faveur d’une survie du détective à travers son frère Mycroft ne sera malheureusement pas entendu de Conan Doyle, qui s'enlise déjà au milieu d’un courrier monstrueux. Ses lecteurs, en effet, n’acceptent pas la mort de Sherlock et rivalisent d’invention afin de ranimer la flamme de son imagination. Dans un discours prononcé en 1894 en Amérique, le romancier reviendra sur le caractère singulier de cette correspondance : « Le contenu de mes histoires est tel qu'il m’a valu d’être identifié à mon personnage, et ce par des lecteurs du monde entier. De San Francisco à Moscou, on m’écrit pour me soumettre des affaires de famille et des cas mystérieux en me priant de les dénouer. Je ne pensais pas que les gens se débattaient dans autant de drames compliqués ! »
Libération « So long Sherlock », 23/12/1993
2. « Rushdie »
Le 14 février 1994 sera célébré un bien sinistre anniversaire. Il y cinq ans, l’écrivain britannique Salman Rushdie était condamné à mort par l’ayatollah Khomeiny, alors chef de l’Etat iranien. Son crime : avoir osé « insulter sa sainteté islamique ». Objet du délit : un roman. Les Versets sataniques. Puni pour avoir écrit une œuvre de fiction, l’auteur vit depuis dans la clandestinité, protégé par les tireurs d’élite de l’unité antiterroriste de Scotland Yard.
Télérama « Salman Rushdie », 09/02/1994
3. « Traven »
L'histoire de la littérature abonde en anecdotes cocasses et mystères propres à dérouter tous ceux qui veulent savoir qui se cache derrière la signature d’un livre.
Le cas de Traven, par exemple, est digne des miroirs de La Dame de Shangaï : ils sont trente Traven, au moins. Mais ce sont tous le même. L’auteur du Trésor de la Sierra Madre a passé sa vie à brouiller les pistes, signer de patronymes lituaniens, hollandais, américains, se faire passer pour un Gringo solitaire perdu dans la jungle mexicaine. On Ta pris pour Ambrose Pierce, Jack London, le fils naturel du Kaiser Guillaume II de Prusse ou d’un misérable potier. Au bout du compte, on ne sait trop. La thèse la plus récente le dénonce comme anarchiste allemand, fils légitime d’un industriel d’outre-Rhin. Le cinéaste John Huston l’aurait repéré lorsque, sous le nom de Hal Graves, il s’était fait embaucher comme conseiller technique sur le tournage du film*, pour voir ce que Ton faisait de son livre.
le film* = Le Trésor de la Sierra Madre Télérama « Cherchez l’auteur », 05/02/1994
4. « Jeux vidéo »
A la suite d’un conflit particulièrement sévère avec un professeur d’un établissement voisin, de jeunes électroniciens imaginèrent un projet ambitieux. Tout le monde connaît ces jeux vidéo qui simulent un combat dans l’espace. Le joueur en appuyant sur une touche tire et, s’il atteint la cible, en général un vaisseau spatial, il la pulvérise. Il s’agissait de remplacer tout bonnement la silhouette du vaisseau par celle du professeur en question. Le travail fut acharné. Ils durent pour cela décortiquer le logiciel d’un de ces jeux, identifier, avec une culture informatique plus que lacunaire, la séquence d’instructions qui représentait le vaisseau et programmer la silhouette voulue. Ils y réussirent et nombre de jeunes pulvérisèrent électroniquement le malheureux maître qui ne dut jamais se douter de quel cruel traitement il était l’objet.
J. Perriault, La logique de l’usage
5. « Misery »
Il* dévora Le Monde selon Garp. Il commit Terreur de lire la scène où le jeune fils de Garp meurt, empalé sur le levier de changement de vitesse, peu avant de se coucher. Il lui fallut des heures pour s’endormir. Il n’arrivait pas à chasser la scène de son esprit. L’idée qu’il était absurde d’éprouver du chagrin pour la mort d'un personnage de fiction ne manqua pas de lui traverser l’esprit tandis qu’il se tournait et se retournait dans son lit.
il* = le personnage principal du roman
Stephen King, Misery
6. « Jurassic Park »
TELERAMA : Jurassic Park, le dernier Spielberg, est annoncé comme une étape décisive dans le développement des images de synthèse au cinéma....
PHILIPPE QUEAU : Et c’est la vérité ! C'est la premières fois qu'un film montre des acteurs - en l’occurrence, des dinosaures - entièrement créés par ordinateur. Il ne s’agit plus d’utiliser et de truquer des éléments de décor ou des marionnettes pour donner aux spectateurs l’illusion d’une vie propre. Il s'agit de créer et de synthétiser le réalisme de toutes pièces : en somme, inventer la vie. Dans le cas de Jurassic Park, c’est d’autant plus impressionnant que personne n’a jamais vu de dinosaures !
Télérama « Images virtuelles », 20/10/1994
7. « Conrad »
Ce conte* marque la première apparition dans le monde de cet homme appelé Marlow avec qui mon intimité ne fit que croître au cours des années (...).
Marlow et moi nous nous sommes rencontrés, ainsi que se font ces relations de ville d'eaux qui parfois se transforment en amitiés véritables. Celle-ci a eu précisément cette fortune. En dépit du ton assuré de ses opinions Marlow n'a rient d’un importun. Il hante mes heures de solitude, lorsque nous partageons en silence notre bien-être et notre entente ; mais lorsque nous nous séparons à la fin d’un conte, je ne suis jamais sûr que ce ne soit pas pour la dernière fois. De toutes mes créatures il est bien assurément le seul qui n’ait jamais été un tracas pour mon esprit. Le plus discret et le plus compréhensif des hommes...
ce conte* = Jeunesse
Joseph Conrad, Jeunesse, Préface de l'auteur
16Ces textes ne présentent pas un aussi large éventail d’origines différentes qu’on pourrait le souhaiter, pour une banque de textes. Cela vient en partie du fait que la sélection de ces textes est centrée autour de la question de l’exemplification et non autour de celle de la citation (même si on ne peut éviter la question de la citation, que l’on retrouvera à la fin de ce chapitre).
17Trois textes ne présentent guère de difficultés : ils évoquent de manière assez claire les côtés intéressants des personnages fictifs (F+), pour régler dans l’imaginaire un conflit réel (T.4 « Jeux vidéos ») ou pour combler la solitude (T.7 « Conrad »), et ceux des images de synthèse pour « inventer la vie » (T.6 « Jurassic Park »). Cependant le texte 4 ne prend pas position sur la valeur morale à accorder à de telles manipulations : sa valeur argumentative est à construire.
18Les textes 2 et 5 sont très proches quant au traitement de la question du sujet : ils développent l’un et l’autre l’idée des dangers de la fiction (F-) notamment pour ceux qui confondent fiction et réalité (T.5 « Misery ») ou pour ceux qui subissent le contrecoup de telles confusions (T.2 « Rushdie »).
19Le texte 3 (« Traven ») est le seul qui soit essentiellement situé du côté de faction : le recours à un pseudonyme est qualifiée de « cocasse », le mensonge est ainsi validé comme un moyen efficace de protection de la propriété littéraire (F+).
20Le texte 1 (« Holmes ») rejoint les textes 4 et 7 en ce qui concerne les aspects positifs de la fiction, (F+) voire le plaisir qu’il peut y avoir à mêler, même hypothétiquement, fiction et réalité, auteur et personnage, mais il pose des problèmes de compréhension qui sont dus essentiellement à l’intrication de niveaux différents de « transtextualité » (selon les termes de Genette 1982). Les deux citations sont à identifier comme issue du « monde » de C. Doyle (1893), le reste du texte appartenant au « monde » que nous partageons avec les élèves (1993). Cette intertextualité est compliquée du fait que les deux univers appartiennent tous deux à la même institution « presse ». Il faut donc repérer qu’il y a là un article dans l’article4. Par ailleurs, le paratexte final « So long Sherlock » doit être identifié comme le titre (en anglais) de l’article (en français) de Libération. Tout cela produit une « polyphonie textuelle » qui a troublé quelques élèves5. De même que le texte 4, ce texte reste dans l’ambiguïté quant à la valeur argumentative à accorder à la frénésie britannique vis à vis de S. Holmes (F+/F- ?).
21L’ensemble de ces extraits présente donc un échantillon assez varié d’exemples neutres ou éclairés (positivement ou négativement), mais portant tous sur le thème du faux (mensonge, fiction, trucage). Les exemples illustrant le vrai seront donc à trouver, ou à dégager par changement de point de vue des exemples disponibles. Le risque d’un tel corpus est qu’il induise un traitement du sujet qui ne retienne essentiellement que le thème du faux (F+/F-) et passe sous silence la confrontation faux/vrai. On observera cet aspect-là après avoir fait un bilan quantitatif des stratégies d'exemplification.
B. Stratégies d’exemplification : étude quantitative
22Je tenterai, comme précédemment, en m’appuyant sur le repérage des passages qui, à mon sens, peuvent être jugés tels, de faire le compte du nombre d'exemples et d’établir leur longueur comparativement à la longueur totale des textes. Cela permettra d’apprécier les évolutions par rapport à l'évaluation initiale et de poser quelques hypothèses quant aux stratégies d’exemplification que l’on peut s’attendre à rencontrer dans ce troisième corpus : l’augmentation ou la diminution des exemples (en nombre et longueur) se traduit-elle en une multiplication des exemples ou en une amplification de leur traitement ? Ces prévisions seront bien sûr à justifier dans une lecture qualitative ces textes, que j’opérerai dans la suite de ce chapitre.
23Tout d’abord, il faut relever l’allongement assez considérable des copies. La copie la plus courte (277 mots) n’est pas loin d’avoir la même longueur que la copie la plus longue du corpus initial (303 mots). La moitié des copies ont entre 400 et 500 mots, six copies entre 500 et 700 mots. Cet allongement général va donc avoir des répercussions évidentes et sur le nombre d’exemples et sur leur longueur.
24En ce qui concerne le nombre d’exemples, toutes ont au moins un exemple et la moitié présente de trois à cinq exemples, ce qui est globalement plus que dans le corpus précédent (où 50 % ne présentaient qu’un ou deux exemples). Il faut remarquer, comme dans le corpus initial, deux cas particuliers6 : il s’agit de trois copies courtes ayant peu d’exemples et d’une copie, la plus longue, ayant le plus d’exemples. Ces « extrêmes » évoquent l’idée d'une corrélation entre longueur de texte et nombre d’exemples. Cette corrélation n’existait pas, ou guère, dans l’évaluation initiale, elle semble ici beaucoup plus évidente.
25Quant à l’importance quantitative accordée aux exemples dans les textes, on peut observer un certain resserrement : quinze copies contre huit dans le précédent corpus consacrent 25 % à 40 % du texte aux exemples.
26Il semble donc qu’outre l’allongement des productions écrites et l’augmentation du nombre d’exemples, ce corpus révèle une « normalisation » de l’écriture ou tout au moins une intégration des consignes scolaires : la disparition de la catégorie des textes sans exemples, et surtout de celle des longs textes sans exemples.
27Quelques commentaires sur l’évolution depuis l’évaluation initiale : quatorze élèves augmentent sensiblement la part des exemples dans leurs textes7. Parmi eux, se trouvent bien sûr les quatre élèves qui n’avaient pas du tout exemplifié leurs textes lors de cette première écriture et huit des neuf élèves qui n’avaient qu'un seul exemple. Ces douze élèves augmentent ou le nombre des exemples dans leurs textes ou leur longueur.
28En contexte cette augmentation prend vraisemblablement deux figures différentes : ou les exemples sont plus nombreux et risquent donc d’être plus atomisés, ou ils sont plus développés et risquent donc d’être trop longs !
29Cinq autres textes présentent une diminution du pourcentage de texte accordé aux exemples. Pour quatre d’entre eux, cette diminution va de pair avec une multiplication du nombre des exemples. On peut prédire là aussi une atomisation des exemples et une écriture d’accumulation ou d'énumération. Il se pourrait que pour ces élèves, l’apprentissage ait produit ce phénomène que l’on connaît bien à propos des connecteurs : la clarification sur un phénomène textuel/discursif produit chez l'apprenant une représentation maximaliste du contrat disciplinaire. « Plus il y en aura, mieux ce sera ». On pourrait voir également dans ces quelques cas un échec de l'enseignement/apprentissage qui n’aurait que renforcé la représentation dominante concernant les exemples : « l'important, c’est qu’il y en ait beaucoup » (Delforce 1991. 350). Mais il faut aussi prendre en compte le fait que globalement ces exemples occupent moins de place dans le texte : ce sont donc peut-être des fragments plus illustratifs qu'heuristiques, ou mieux maîtrisés à l’intérieur d’une structure textuelle plus claire que lors de l’évaluation initiale où ils pouvaient prendre la forme d’un développement principal.
30Trois textes sont stables si l’on considère les pourcentages, mais en nette augmentation si on considère le nombre d’exemples : la stratégie d’accumulation se retrouve donc, il faudra vérifier au niveau de la cohérence globale de ces textes quel est le statut accordé aux exemples.
31L’autre stratégie, celle de l’amplification (un même nombre d’exemples mais une augmentation du pourcentage de texte qui leur est consacré), n’est que très peu représentée (deux textes).
C. Stratégies d’exemplification et organisation textuelle
32L’apprentissage effectué par les élèves produit une réduction de la diversité des catégories de textes et notamment la disparition des textes que j’appelais « argumentation indirecte » et des textes faiblement cohérents (ce qui est plutôt satisfaisant !). La grande majorité des élèves produisent des textes polémiques, c’est-à-dire des textes caractérisés par la prise en compte d'opinions opposées et aboutissant à la formulation d’une réponse à la question posée par le sujet. Un petit nombre d’entre eux produisent des textes mono-argumentatifs, répondant tous « oui » à la question du sujet. J’y reviendrai ci-dessous.
33L’effet de massification ou de normalisation dans l’écriture, s’il est déceptif quant aux analyses qu’on pourrait avoir envie de faire, est cependant rassurant en tant qu’il est une trace des apprentissages réalisés sur cinq mois de temps. On peut déplorer au nom de la créativité ou de l’expression personnelle ce qui apparaît comme une entreprise d’inculcation de formes rhétoriques stéréotypées. Je me permettrai simplement de rappeler d’une part que le temps de l'apprentissage est une donnée qui échappe à notre présente étude : cinq mois ne paraissent pas un temps trop long dans une scolarité lycéenne pour amener 75 % d’une classe de seconde à produire un texte monogéré où les formes d’un débat d’idées empruntant les voies du dialogisme (voire de la polyphonie énonciative) soient globalement cohérentes, ou apparaissent telles à un lecteur adulte. D'autre part, le filtre que j’ai utilisé (la prise en compte d’opinions opposées) est grossier : n’importe quel texte en pour/contre serait sélectionné. Je me propose donc d’affiner l'analyse de ces textes dits « polémiques » et d’observer un peu quelles formes d’argumentation ils réalisent : la diversification des productions écrites a toutes chances de se retrouver alors, dans une diversification des mises en œuvre des principes du schéma polémique.
34Reprenant la même problématique que précédemment, j’observerai d’abord la question de la compréhension du sujet puis j’analyserai les différents types de formes textuelles. Ce faisant, j’essaierai de ne pas perdre de vue l’hypothèse que je faisais plus haut sur le développement des stratégies d’exemplification en termes d’amplification ou d’énumération que j’essaierai de mettre en relation avec une évaluation de la plus ou moins grande réussite textuelle.
1. La question du hors-sujet, ou de la difficulté à généraliser un exemple
35Une seule copie est concernée (lors de l’évaluation initiale, six copies opéraient des redéfinitions thématiques plus ou moins fortes), mais l’étude un peu longue que j’en ferai est justifiée par l'intérêt du problème d’exemplification qu’elle manifeste. Le hors-sujet est en effet lié à des difficultés de généralisation, qui me permettront de présenter le système de contraintes qui pèse sur l’opération de généralisation dans le cadre d’une production dissertative.
36La copie de Karine P8 occupe une place singulière dans le corpus : la plus longue (et de loin) et celle qui comporte le plus d’exemples, encore plus que lors du premier écrit. Elle semble typique d’une écriture tentée par l’énumération. Cependant, on observe dès l’introduction un dérapage important par rapport à la problématique du sujet :
Le XXe siècle a caractérisé, dans le monde, la grande évolution de la technologie et de la mécanisation. De nos jours, les hommes ont changé et sont habitués à ces méthodes dont ils ne pourraient se passer. Mais qu’advient-il, alors, de ces hommes, si cette technologie les trahit ? En ont-ils vraiment besoin ?
(Karine P.)
37Il semble que ce texte s’apprête à traiter un autre sujet sur les liens de dépendance/indépendance de l’homme par rapport à la technologie. L’origine de ce nouveau thème est à situer dans le traitement des documents 6 (« Jurassic Park », utilisé trois fois) et 4 (« Jeux vidéo », une occurrence) issus de la banque de textes. Pour le document 6, le thème « fiction » chapeaute deux fois l’insertion de l’exemple, le thème « technologie » une fois ; pour le document 4, l’exemple est suivi de la conclusion suivante : « la technique a complètement détruit le respect des hommes ».
38Mais cette généralisation, possible à partir des documents considérés isolément, devient problématique si on la situe dans le contexte de l’énoncé du sujet, qui n’invite pas à débattre sur les dangers des « technologies nouvelles ».
39La difficulté pour l’élève est de décider quelle généralisation effectuer, d’opérer une mise en relation entre deux réseaux notionnels : celui que l’on infère du sujet et celui sous lequel on subsume tel ou tel document. On peut m’objecter que cette difficulté est ici provoquée par la consigne d'écriture d’une dissertation avec documents. Je pense que la forme de la consigne ne fait qu’augmenter le risque mais qu’elle ne le crée pas. Tout exemple, tout élément issu d'une recherche en mémoire à long terme peut actualiser un réseau notionnel voisin ou en intersection partielle avec ce que l’on est en train de traiter et non seulement les textes qui sont à disposition (explicitement ou non). Je n’en veux pour preuve que l’exemple hors-sujet du tunnel sous la Manche qui est un apport de l’élève elle-même. Le risque que fait courir un exemple à une écriture dissertative ne peut être évité que par un très grand contrôle sur les compatibilités des domaines notionnels ou conceptuels convoqués. La consigne, que l’on peut contester par ailleurs, a au moins le mérite ici de mettre en lumière une difficulté qui sert particulièrement bien notre propos.
40Quant à l’hypothèse sur la structure énumérative de ce texte, il faut l’abandonner. Le texte est suffisamment long pour absorber les huit exemples qui servent en fait d’étayage à une organisation que je schématiserai ainsi9 en plaçant sous la première ligne les numéros des exemples dans la copie et les documents de la consigne utilisés :
TRUCAGE+ | mais FICTION- | TECHNOLOGIE- | mais TECHNOLOGIE+ |
EX 2 | EX 4,5 | EX 6 | EX 7,8 |
Doc 6 | Doc 6,2 | Doc 4 | Doc 6, Tunnel |
41Non seulement le document 6 est utilisé dans des cadres de généralisation différents mais il sert, à l’intérieur d’une même réflexion, d’appui à un mouvement argumentatif (TRUCAGE+ mais FICTION-). Ce sont là des indices de l’importance du travail qui a été opéré par cette élève sur cet exemple : non seulement les trois occurrences du document 6 ne sont pas répétitives mais l’exemple qui en est issu remplit des fonctions différentes : illustratif dans sa première occurrence, il devient, dès la suivante, le support d’une réfutation. Malgré le hors-sujet incontestable, on peut dire que cette flexibilité de traitement d’un même exemple est aussi l’indice d’une réussite en production écrite.
42Ce que ce texte montre, c’est que l'exemple oblige à opérer une généralisation qui peut être faite dans deux directions différentes : ou à partir d'une thématique proposée par le sujet, ou à partir de l'« exemple » lui-même, en ce qu’il évoque un domaine notionnel ou une problématique. Le texte de Karine fait les deux successivement, puisqu’elle traite le sujet dans les deux premiers temps puis élargit à la question de la technologie pour finir. Le premier type de généralisation à partir du sujet ou « généralisation descendante » (top down) s’oppose ainsi au second, à partir de l’exemple, ou « généralisation ascendante » (bottom up). Qu'on me permette cette analogie avec les modèles psycholinguistiques de traitement de l’information ; si l’exemplification fait partie des processus rédactionnels, on peut imaginer qu’elle est soumise aux mêmes modes de traitement.
2. Un plan thématique : l’énumération d’exemples illustratifs
43De nouveau, c’est d’une seule copie qu'il s’agira ici. L’intérêt qu’elle présente tient à la relation que l’on peut établir entre une structure textuelle globale et la fonction illustrative des exemples.
44Il s’agit d’un autre cas extrême : le texte d’Emilie réalise une catégorie textuelle non polémique et présente un nombre élevé d’exemples mais à la différence du précédent, ce sont tous des exemples différents : elle emprunte trois exemples aux documents proposés (Rushdie, Jurassic Park et Jeux vidéo) et en ajoute quatre de son cru. Comme le pourcentage de texte occupé par les exemples n’est pas très important (environ 40 %), et qu’il est en tout cas moindre que dans le texte de l’évaluation initiale (52 %) je faisais l'hypothèse plus haut que ce texte pouvait présenter une structure énumérative.
45En effet, chaque exemple est illustratif d’un thème (le cinéma, la presse audiovisuelle, la presse écrite, la vie quotidienne, etc.), les thèmes se succédant dans une logique d’inventaire qui vise à épuiser tous les cas possibles d’examen de la question posée. B. Delforce montre que le plan thématique est un modèle dérivé du schéma polémique : il « repose sur l’examen successif de plusieurs thèmes (ou aspects, problèmes...) qui résultent du découpage en thèmes, en aspects, en problèmes... de l’objet ou du phénomène qu’on propose à la réflexion » (1991, 463). Le débat polémique est alors déplacé à l'intérieur de l'examen de chacun des thèmes. Il semble que c’est ce qui se passe dans ce texte, plus ou moins bien mais de manière assez régulière. Chaque thème est ainsi éclairé positivement/négativement ou donne l'occasion d’un mouvement argumentatif, par exemple :
Le mensonge n’est pas seulement utilisé dans la presse, celui-ci existe dans la vie de tous les jours et rend parfois service à ceux qui l’utilisent. Certains jeunes mentent à leurs parents pour bénéficier d’avantages multiples (F+). Bien sûr tôt ou tard les parents s’en aperçoivent et ils les punissent en conséquence (F-).
(Emilie)
46La structure textuelle énumérative est donc effective mais elle est plus le fait du traitement du sujet dans le cadre d'un plan thématique que le fait d’une simple énumération. N’ayant pas d’information sur les procédures de travail et de planification de l’élève, je ne peux guère aller plus loin mais il est vrai qu’il serait intéressant de savoir comment elle a travaillé à partir des documents de la consigne car on peut se demander si ce n’est pas une procédure de classement thématique de ces documents qui a généré un tel plan.
3. Six textes mono-argumentatifs : une certaine variété dans le traitement des exemples
47Sur le plan organisationnel et argumentatif, ces textes mono-argumentatifs répondent tous « oui » à la question du sujet. Ils n’envisagent que peu d’autres opinions. Ce sont des textes qui ne polémiquent que de manière locale.
48Une copie (Grégory) est de bout en bout mono-argumentative. Il pose l'importance de la fiction et l'exemplifie quatre fois à l’aide des documents 1, 5, 4, 6. C'est une copie où l’énumération d’exemples, même si elle est partiellement masquée par des qualités métadiscursives réelles, est en relation directe avec un type d’organisation textuelle. Il est évident que si l’on n’a qu’une seule position à défendre la stratégie d’accumulation d'exemples ou de preuves s’impose vite.
49Un autre texte (Isabelle) s’essaie à une longue définition initiale, tentant de différencier la fiction et la réalité, puis enchaîne sur des constats de l’existence du faux dans le monde actuel. Rien de bien polémique dans tout cela, plutôt une organisation textuelle aux franges de la dissertation d’idées.
50Dans les quatre autres textes, des traces de débat polémique apparaissent cependant, soit au début du texte soit à la fin. Les contre-argumentations ne jouent pas un rôle important au niveau macrostructurel. L’examen d’une autre position n’est pas le support d’un autre temps du devoir. Le débat se fait comme en incise, de manière seconde et sans mettre en danger la position dominante.
51La gestion des exemples dans ces six copies est intéressante à observer : une tendance à l’énumération d’exemples illustratifs caractérise trois copies : dont les deux premières évoquées ci-dessus. Trois autres textes présentent un emploi non illustratif des exemples. Dans son texte, Mathilde élabore un raisonnement argumentatif en comparant argumentativement deux exemples issus du dossier. Quant au texte de Laetitia, c’est un des cas d’amplification du traitement des exemples. En effet les quatre exemples de ce texte sont traités selon un patron assez repérable qui leur donne un statut textuel et discursif important : chacun est introduit par un énoncé généralisant qui précise la valeur argumentative de l’exemple
Parfois, la fiction peut nous sauver d’un conflit
52suivi de la mention de l’origine de l’exemple
comme nous l’indique J. Perriault
53et d’un résumé
A la suite d’une dispute assez sévère avec un professeur, les élèves ont pu le tuer autant de fois qu’ils l’ont désiré puisqu’ils avaient réussi à entrer la silhouette du professeur dans un ordinateur. Les élèves pouvaient se venger tout en jouant.
(Laetitia)
54De plus l’un des exemples fait l’objet d’une réfutation-concession. Dans l’évaluation initiale de Laetitia, aucun exemple n’a le traitement que l’on peut observer ici.
55Le texte de Ludivine présente ce fonctionnement que j’ai qualifié dans la quatrième partie d’heuristique. Il est organisé à partir de trois exemples (issus des documents 1, 5, et 6) qui ouvrent chaque paragraphe : ils sont résumés puis analysés et commentés avec des énoncés métadiscursifs très explicites sur l’acte de langage qu’ils annoncent :
interprétation : « Mais que peut-on dire de cette situation ? », « La réaction que S. King veut montrer, c’est que.. »
évaluation : « Quelle attitude pouvons-nous adopter envers ces personnes... ? »
explication : « C’est, je pense, ce qui fait vendre les livres.. »
(Ludivine)
56Il semble que la structure textuelle dominante soit précisément ce rôle heuristique donné aux exemples, présentés et analysés les uns après les autres comme pour vérifier jusqu’à quel point ils permettent de soutenir la position (mono-argumentative) choisie.
57Par rapport à l’évaluation initiale, on peut remarquer un certain nombre de bougés. Il me semble pour l’essentiel que les évolutions au niveau de la maîtrise textuelle globale ne sont pas de même nature que les évolutions au niveau du traitement des fragments-exemples. Ainsi, sur le plan textuel, trois de ces textes étaient qualifiés de quasi-polémiques (dont Ludivine et Grégory), deux étaient déjà mono-argumentatifs (dont Laetitia), un était jugé faiblement cohérent (Isabelle). Qu’ils se retrouvent dans la catégorie des mono-argumentatifs cinq mois après, signifierait donc une stagnation pour deux d’entre eux, une régression pour les trois premiers et une possible avancée pour le dernier (mais le texte d'Isabelle n’est pas clairement argumentatif au plan global).
58Cependant, ce constat assez négatif doit être modéré par les observations faites à d’autres niveaux : trois textes présentent des acquis certains au niveau de l’argumentation et de l’utilisation de documents à des fins d’argumentation. Mathilde réussit à comparer la valeur argumentative de deux exemples différents et à les hiérarchiser dans une réfutation-concession ; Laetitia, après avoir présenté un exemple à l’appui d’un argument, le réanalyse sous un autre point de vue et en montre les limites. Quant à Ludivine, j’ai montré la stratégie de traitement heuristique des exemples qu’elle opère. Il faut aussi rappeler chez Grégory le travail d’empaquetage thématique et d’annonce métadiscursive qui compensent le caractère un peu redondant de sa réflexion. Par ailleurs, ont disparu les problèmes de rédéfinition du sujet et les erreurs énonciatives (qui caractérisaient notamment Isabelle).
59Il semble donc que dans cette catégorie de textes, les apprentissages concernant la gestion des exemples soient plus visibles, plus massif que ceux concernant la gestion textuelle.
4. Dix-huit textes polémiques : les exemples passent au second plan
60Ces dix-huit textes présentent au niveau global des oppositions argumentatives ou l’examen de discours opposés qui les rapprochent tous du modèle polémique, mais à des degrés divers et avec une complexité interne assez variée au total. Cela permet de réviser l’impression d’homogénéisation textuelle que donnaient les analyses quantitatives faites au début de ce chapitre. Je présenterai rapidement chacun des sous-types que l’on peut, me semble-t-il, déterminer, puis comme dans la section précédente, évoquerai les stratégies d’exemplification et les évolutions depuis l’évaluation initiale.
61Trois sous-types principaux peuvent être dégagés qui reposent sur le type d’argumentation convoqué. Pour traiter le sujet, on peut en effet opposer les avantages du Faux (ce que je symboliserai par F+) à ses inconvénients (F-), pour reprendre les termes usuels, l'opposition pouvant suivre deux ordres différents. On peut aussi enchâsser l’une des deux catégories à l’intérieur de l'autre dans une organisation de type A/CA/A, et ceci que l’on commence par F+ ou par F-. Ce sont les dispositions les plus courantes. Mais on peut également traiter la question en opposant les qualités du Faux aux qualités du Vrai (F+/V+), ce qui me semble plus complexe cognitivement parlant et favorable vraisemblablement à la mise en place d’un raisonnement réellement concessif. On a vu plus haut que c’est l’organisation qui est induite par l’énoncé du sujet. Au contraire, la précédente serait plutôt issue de la structure du dossier annexe. On peut enfin, traiter l’une ou l’autre de ces catégories non pas en tant que jugement sur le monde ou l’état des choses mais en tant que discours tenus sur le monde (je les symboliserai par l’emploi de guillemets, « V+ » ou « F- »), discours que la pratique dissertative se donne comme objectif d’évaluer ou de critiquer. C’est précisément ce que l’on peut attendre d’un texte « essentiellement polémique » au sens où il a été défini dans le premier chapitre.
62On obtient donc quatre sous-catégories :
CA/A : F+/F- ou F-/F+
A/CA/A : F+/F- /F+ ou F-/F+/F
CA/A : V+/F+ ou F+/V+
examen polémique de discours
63La dernière catégorie ne correspond pas à un type précis de structure argumentative, elle est en fait transversale aux trois autres catégories. Je l’isole cependant pour traiter à part quelques copies assez remarquables par leur réussite de ce point de vue.
64Dans le premier groupe, on trouve dix copies, c’est le regroupement le plus important. Sept texte offrent l’ordre F+/F-, et trois l’ordre inverse, F/F+10. La symbolisation précédente étant une schématisation ne tient pas compte des réduplications de la formule de base à l’intérieur du texte. Ainsi on peut trouver aussi bien la formule simple (F+/F-) qu’une formule où chacun des termes est traité trois fois, avec trois des sous-thèmes du sujet
F+ (mensonge)/F+ (trucage)/F+ (fiction) // F- (mensonge)/F- (fiction)/F (trucage).
(Marlène)
65Toutes les variantes intermédiaires sont imaginables.
66Cette formule textuelle est propice à des développements en pour/contre où les deux positions s’opposent, se juxtaposent sans être argumentativement reliées. Ce qui est le cas pour trois textes de ce groupe.
67Le deuxième groupe comprend quatre textes11 dont voici un exemple :
fiction+ malgré cela fiction- // mensonge-cependant mensonge+
(Marjorie)
68Sa conclusion laisse entendre que le mensonge pourrait l'emporter dans la pesée finale des valeurs.
69Le troisième groupe comprend deux textes dont le texte de Karine L. donne une image très claire. Voici les ouvertures de chacune des deux parties :
Tout d’abord, la vérité est très importante. Apprendre à être honnête avec les autres est à considérer comme un sentiment crucial.
[...]
Mais on ne peut pas vraiment dire qu’on puisse se dispenser du mensonge ou de la fiction.
(Karine L.)
70Sa conclusion tire exactement le bilan de cette confrontation. Je la cite intégralement car elle est unique dans le refus de choisir entre les deux termes opposés du sujet et dans l’affirmation d’une nécessaire cohabitation entre des contraires. Par ailleurs, elle se termine par un exemple, non travaillé dans le reste du texte et placé là comme une sorte d’invitation au lecteur à tirer lui-même la morale de cette histoire en faisant les inférences argumentatives nécessaires, ce qui me semble d’une grande liberté par rapport au modèle canonique de la dissertation :
Le mensonge, la fiction, le trucage sont donc aussi importants que la vérité, la réalité et le vrai. Il faut tout simplement ne pas incarner simplement un seul rôle et savoir utiliser les éléments péjoratifs, négatifs que lorsqu’il en ait vraiment nécessaire. Ne pas punir l’écrivain Salman Rushdie parce qu’il écrit un livre de fiction comme Les versets sataniques car il n’a écrit que ce que demande le lecteur.
(Karine L.)
71On voit donc que la réflexion de Karine L. est très éloignée d’une juxtaposition du type pour/contre, ce que pourrait néanmoins laisser craindre la schématisation de son texte.
72La dernière catégorie est constituée de textes ouvertement polémiques en ce qu’ils s’appuient sur des discours explicitement reformulés et parfois analysés et critiqués en tant que discours. Cette catégorie ne présente pas de nouveaux phénomènes structurels. Les sept textes qui la composent ont déjà été classés dans l’un des groupes précédents. Je vais surtout présenter les deux textes qui me semblent centralement réfléchir sur des discours plus que sur des valeurs à accorder aux faits ou aux comportements, qui me semblent donc moins argumenter que débattre (cf. l’opposition de ces deux termes présentée dans le chapitre I) ou examiner des argumentations, « méta-argumenter » en quelque sorte. Le premier déroule une structure du type V+/F+ mais en insérant les valeurs ainsi attribués à V et F dans des discours qui sont réfutés soit en tant que discours soit parce qu'un argument plus fort vient s’y opposer.
« V+ » mais on a tort de penser cela // « F+ » mais c’est dangereux.
(Tatiana)
73« V+ » représente le « discours Khomeiny » extrait du document 2 que l’élève reformule ainsi « on ne doit écrire que sur des sujets réels ».
74Les énoncés qui réalisent ces deux types de réfutation sont les suivants :
Je pense que ceux qui peuvent commettre de pareilles erreurs sont ceux à qui l’on devrait apprendre à distinguer le vrai du faux
Cependant il faut faire attention, qui sait où le rêve peut nous emmener. Il faut tout de même rester lucide.
(Tatiana)
75On voit la différence des objets sur lesquels porte la réfutation : dans le premier cas, ce sont les fondements mêmes d’une position, on pourrait dire ses présupposés, qui sont contestés ou invalidés, dans le second cas, c’est la valeur accordée à l’objet du discours qui est invalidée. On pourrait quasiment opposer ici argumentation de dicto et argumentation de re.
76Le second texte présente une organisation différente qui le rapproche de la deuxième catégorie (A/CA/A) :
« F+ » mais F- // F- « mais on ne peut pas penser comme ça ». (Audrey)
77« F- » (« la fiction est un pêché ») représente également le « discours Khomeiny ». Je cite le dernier paragraphe de ce développement qui réfute à l’aide d’un enchaînement de raisonnements implicatifs le discours anti-fictionnel :
toutefois, cette façon de voir les choses est complètement absurde. Si l’on nous interdit d’écrire de la fiction c’est qu’on interdit de le lire. Dans ce cas, interdisons nous d’imaginer de rêver à un monde meilleur. Dans ce pays ou la guerre a éclaté, si les gens n’ont pas le droit de rêver, alors qu’espèrent-ils de la vie ?
(Audrey)
78On retrouve la dissection d’un discours qui a pour but d’en montrer les conséquences pratiques et de les invalider au nom de valeurs posées comme absolues.
79Il faut souligner que les deux copies mettent en jeu ce débat typiquement polémique toutes les deux à propos du même document 2 (« Rushdie »), il se peut que ce soit un exemple assez bon pour favoriser l’émergence ou la mise en œuvre d’une telle distance critique.
80Trois autres textes présentent des fonctionnements équivalents mais partiels. Il faut aussi signaler deux textes où l’on voit bien qu’essaye de s'installer une telle réflexion mais avec une systématisation qui constitue une déviation caricaturale de l’écriture polémique et qui souligne par contraste la réussite de Tatiana et Audrey. Il s’agit d’une accumulation de discours référés à des énonciateurs parfois identifiés mais entre lesquels l’énonciateur principal ne tranche pas. On trouve ainsi
On entend souvent les parents dire... Mais souvent les enfants pensent que…
Certaines personnes pensent que... d’autres personnes pensent que... souvent les adultes disent que...
Je pense que...
(Laurie)
81On peut faire l’hypothèse que dans les deux cas les élèves ont compris de manière formelle (et peut-être n’y ont elles pas compris grand-chose) l’explicitation et l’enseignement du schéma polémique. Utiliser une fois la formule magique « certains pensent que » ne garantit guère que les textes soient polémiques, au sens fort du terme.
82Pour conclure ces observations, on peut dire que les phénomènes de gestion polémique des discours n’apparaissent que dans la catégorie de textes que j’ai nommés « polémiques » au sens large. Il me paraît intéressant de souligner la relation entre une stratégie argumentative qui fait place à la contre-argumentation et le débat polémique au sens où l’entend Delforce. Mais on a vu plus haut que l’objet du discours argumentatif n’est pas le même : démonter un discours suppose une position métalangagière qui est peut-être plus difficile à prendre pour des élèves de seconde. Il faut pouvoir se représenter qu’un discours est non-naturel, qu’il a des déterminations, qu’il repose sur des règles sous-jacentes, des valeurs et des présupposés qui sont non-dits et que la réfutation doit s’efforcer d’élucider. L’on sait que la dénonciation des présupposés est un des actes argumentatifs les plus délicats. C’est ce que suppose la version la plus élaborée du schéma polémique.
83Les stratégies d'exemplification dans ces dix-huit copies donneront lieu essentiellement à des observations sur sept textes qui peuvent d'après l'étude quantitative présenter des énumérations d’exemples. Quatre le font de toute évidence. Ce sont des textes dont l’organisation est de type binaire (F+/F- ou F+/V+). L’activité rédactionnelle semble être réduite à une activité de classement des documents proposés et/ou des exemples personnels et la planification globale thématise ces classements en marquant l’orientation argumentative de chaque paquet sans réellement, avant la conclusion, relier entre eux les exemples ou les arguments.
84Deux autres textes soupçonnés d’énumération font en fait un usage argumentatif des exemples.
85Globalement, très peu d'exemples font l’objet d’un traitement contre-argumentatif. Dans ces dix-huit textes, j’en ai relevé une dizaine qui, à l’intérieur d'une sous-unité textuelle, sont soit l'appui d'une contre-argumentation soit sont eux-mêmes contre-argumentés.
86D’autres cas de figures rencontrés plus haut, comme l’exemple heuristique, ne se trouvent pas dans cette catégorie de textes qui est essentiellement caractérisée par l’émergence du modèle polémique qu’il soit bien réussi ou présente les déviations que j’ai signalées.
87Certaines structures textuelles semblent favoriser l’énumération : on a déjà signalé plus haut la structure thématique, il faut y ajouter les textes qui utilisent le plan réfutatif (pour/contre, ici F+/F-) en faisant une interprétation déviante du schéma polémique. Par ailleurs, les copies spécifiquement polémiques sont des copies qui n’ont pas beaucoup d’exemples. Ces constatations me semblent avoir deux conséquences, relativement importantes : ce n’est pas le nombre d’exemples qui fait la qualité dissertative d’un texte (cela a déjà été dit notamment à propos de l’évaluation initiale) mais plutôt leur traitement ou leur insertion, comme énoncé dominé, dans un schéma textuel englobant. D’autre part l’exigence institutionnelle d’exemplification peut amener les élèves à se centrer sur des problèmes difficiles, complexes, de généralisation ou d’orientation argumentative locale, au détriment d’un travail sur la globalité du texte et notamment sur la mise en œuvre du schéma polémique. La stratégie d’énumération paraît alors comme une façon économique, facilitante, de répondre à la demande institutionnelle mais peut-être plus coûteuse lorsqu’il s’agira d’installer un modèle textuel plus complexe. D’où la persistance de modèles textuels réfutatifs (pour/contre) qui semblent économiques bien que moins performants. Je ne peux ici que formuler une hypothèse sur les stratégies d'enseignement-apprentissage qui paraîtraient les plus efficaces : la demande d’exemplification comme toute demande formelle (ou comprise comme telle par les élèves) peut devenir un obstacle à l'apprentissage à cause des stratégies de contournement mises en place par les apprenants.
88S’il s’agit de confronter les résultats de l’évaluation initiale avec ceux de ce devoir, onze de ces dix-huit élèves étaient considérés comme ayant produit un texte non polémique. Tous se retrouvent dans la catégorie des textes polémiques, que ce soit au sens large ou dans un sens plus spécifique. Globalement il y a un progrès pour tous dans la compréhension de mécanismes argumentatifs de base, et dans la compréhension des exigences discursives de la dissertation. L’exemple, s’il est massivement illustratif, est beaucoup plus long, plus travaillé, non plus allusion vague « pour faire semblant » mais traitement autonomisable dans le texte qui associe des opérations aussi différentes les unes des autres que le résumé, la généralisation thématique ou argumentative, voire pour certains la discussion et la réfutation. Ce peut être un effet de la consigne particulière de dissertation sur documents, mais auquel cas, ce n’est pas un effet négatif. Les fonctions discursives qui lui sont dévolues sont cependant moins diversifiées, et les usages argumentatif ou heuristique de l’exemple tout à fait minoritaires voire inconnus.
89Cette série de textes à l’inverse de la précédente se caractérise donc essentiellement par des avancées sur le plan de la maîtrise textuelle plus que sur le plan de la gestion des exemples.
90Pour conclure, si l’on compare les observations faites sur ces dix-huit copies et celles faites sur les six précédentes, il semble qu'on puisse avancer l'idée que l’évolution des apprentissages dans ces deux ensembles ne suit pas la même direction. Ou l’apprentissage semble focalisé sur l’intériorisation et l’assimilation de structures textuelles globales et alors le travail plus local sur le rôle et la fonction des exemples semble passer au second plan, l’exemple ayant massivement dans ces textes une fonction illustrative. Ou le travail macro-structurel est de fait minoré par une écriture mono-argumentative et la réflexion sur les exemples, leur usage en tant que support d’argumentation semble importante et même être un moteur de la production textuelle.
D. Exemplification et problèmes linguistiques
91L’examen sera d'une extrême brièveté, non que les élèves n’aient plus en cette évaluation terminale de problèmes avec la langue écrite, mais concernant les marques de l’exemplification, ces problèmes sont relativement répétitifs et je ne signalerai que ce qu'il y a de réellement nouveau.
92J’ai opéré un relevé des marques utilisées : sur les 112 exemples que j'ai isolés dans le corpus des 26 copies, 49 sont introduits par comme accompagné 32 fois de par exemple. Seulement 11 sont introduits par un énoncé métadiscursif du genre « C’est le cas de » ou « Cette situation est illustrée dans ». Vingt-six exemples ne sont pas signalés par un marqueur. La fréquence d’emploi de comme légitime l’intérêt qu’on lui a porté dans les passages antérieurs d’autant plus que le caractère ténu des problèmes qu’il engendre et la souplesse syntaxique qu'il rend possible explique en partie qu’il présente davantage de difficultés que d’autres outils linguistiques d’exemplification.
93Dans ce corpus on retrouve donc les mêmes problèmes chez les mêmes élèves que dans l’évaluation initiale : essentiellement difficulté à gérer pour le lecteur le référent de comme, et emploi de comme en tant que signal d’exemplification (avec les formules comme dans, comme avec) sans lien syntaxique construit12 entre le référent et l’exemple.
94Cependant la structure de la consigne, notamment la présence de textes d’appui, a généré de nouveaux problèmes d’écriture, liés à la citation. Or comme, dans un de ses emplois que Licitra nomme « de reprise », peut être utilisé pour introduire une citation : « Comme dit X... ». Il va donc y avoir concurrence dans les textes d’élèves entre deux comme différents notamment dans leur construction syntaxique (le comme citationnel est indépendant syntaxiquement d'un référent nominal et introduit une proposition subordonnée) mais pas forcément différents dans leur fonction discursive. Les documents peuvent servir tout aussi bien de source d’exemples, non forcément référencés à un énonciateur, que de source de citations où ce qui restera malgré tout un exemple (vu la structure du corpus de documents) sera de plus légitimé par une référence faite à un énonciateur spécifique. Ce problème supplémentaire, induit par la nature de la consigne, fait que la comparaison avec le corpus de l’évaluation initiale est faussée, ce qui est regrettable dans une logique de comparaison « scientifique » mais qui l’est moins dans une logique d’enseignement-apprentissage où l’on vise à complexifier les apprentissages et à poser aux élèves de nouveaux problèmes d’écriture ou à diversifier l’analyse qu’ils peuvent faire d’un problème donné. Que la problématique de l’exemplification rencontre celle de la citation est par ailleurs justifié par le programme d’apprentissage de cette classe de seconde qui se trouvait en janvier-février à la charnière entre l’apprentissage de la dissertation-discussion et celui du commentaire composé. On sait que dans ce dernier exercice, la citation (du texte-source) devient exemple dans le texte-cible que l’élève a à rédiger. Certes, il ne s’agit pas de citations reformulées (comme dans la dissertation) mais de citations « textuelles », ce qui est une nouvelle distinction propre à l’exercice de commentaire écrit, mais la problématique des différences/ressemblances entre exemple et citation n’est pas mal venue dans une classe de seconde au milieu de l’année.
95Je ne donnerai qu’un exemple des hésitations syntaxiques que peut provoquer ce recouvrement entre comme d’exemplification et comme de reprise :
Parfois, les livres peuvent choquer certaines personnes voir même les amener à commettre des choses insensées. Comme l’a été publié dans Télérama un documentaire sur Salman Rushdie qui était condamné à mort par l’ayatollah Khomeiny, qui lui était le chef de l’état iranien. Parce qu’il avait écrit un roman Les versets sataniques.
(Mathilde)
96Il s’agit bien d’une hésitation entre des formules d'introduction de références textuelle du genre
Comme l'a publié Télérama, S. Rushdie...
Comme il a été publié dans Télérama, S. Rushdie...
Comme l’a montré un documentaire, publié dans Télérama, sur S. Rushdie qui...
97et une formule exemplifiante du genre :
... comme S. Rushdie qui, selon un documentaire publié dans Télérama,...
98En fait, pour éviter ces hésitations, il faut qu’il y ait traitement autonome des deux fonctions, dont un exemple réussi pourrait être :
Parfois la fiction peut nous sauver d’un conflit, comme nous l’indique J. Perriault dans La logique de l'usage. A la suite d’une dispute assez sévère avec un professeur, les élèves ont pu le tuer autant de fois qu’ils l’ont désiré puisqu’ils avaient réussi à entrer la silhouette du professeur, dans un ordinateur. Les élèves pouvaient se venger tout en jouant.
(Laetitia)
99la mention de l’origine de l’exemple servant de formule introductive pour l’exemple.
100En conclusion, il faut rappeler les conclusions de l’évaluation initiale : comme par sa faculté à opérer des mises en relation entre des unités syntaxiquement fort diverses est un élément de prédilection pour signifier l’intention d’exemplifier, sans forcément aller jusqu’à construire une relation d’exemplification en contrôlant les relations sémantiques et syntaxiques entre référent générique et exemplifiant. Opérateur protéiforme et polysémique, il semble être bien souvent en relation avec une dilution des liens syntaxiques, référentiels ou anaphoriques.
101Les élèves dont j’ai observé les productions dans ce chapitre ne sont pas les mêmes que ceux qui étaient alors en cause. Seul Grégory et Arnaud semblent présenter des problèmes récurrents avec les relations générique/spécifique. Pour les autres, c’est la question nouvelle de la citation, induite à la fois par le corpus de textes annexés et, je pense, par la mise en place, parallèlement à cette séquence didactique, d'apprentissages nouveaux portant sur le commentaire de textes, qui semble focaliser l’essentiel des observations linguistiques dans ce corpus. Ce phénomène paraît tout à fait spécifique des apprentissages « en temps réel » dans une classe, où il est souvent bien illusoire de vouloir isoler tel ou tel fait de langue ou de texte. Même s'il est nécessaire de les isoler pour les traiter, en production il semble que la récurrence et le mixage soit la loi.
Conclusion : Deux types de développement scriptural
102Ce dernier chapitre permet de mettre en valeur quelques faits dignes d’être soulignés ici. D’abord, méthodologiquement, les quelques études quantitatives que j’ai pu mener sur les deux corpus recueillis dans cette classe ne révèlent pas des éléments fort signifiants quant à l’exemplification et à son apprentissage. Certes, l’augmentation globale de la longueur des textes, du nombre et de la longueur des exemples ne peut s’observer que dans des comptages. Mais, ces comptages sont inaptes, du moins dans l'étude telle que je l’ai menée, à rendre compte de la pertinence textuelle des exemples. J’ai ainsi montré que l’abondance d’exemples ne signifie pas réussite textuelle, que l’augmentation quantitative de segments au statut discursif subalterne comme les exemples peut s’orienter vers les deux figures textuelles que sont l’énumération ou l’amplification, toutes deux mettant en danger la planification argumentative si elles deviennent un facteur d’organisation dominant, la première étant de loin la plus fréquente. L’analyse qualitative est donc nécessaire pour « vérifier » dans une lecture globale les effets de sens produits.
103Cette constatation de l’absence de signification « en soi » de l’aspect quantitatif de l’exemplification peut laisser à penser que les exigences institutionnelles (énoncés de sujet d’examen, évaluations nationales, discours des manuels) portant sur la présence d’exemples dans les textes dissertatifs ne sont probablement pas le moyen le plus efficace d’amener les élèves à exemplifier avec pertinence quand ils écrivent. A la fin de cette étude, on peut dire que ces exigences paraissent n’avoir comme justification que d’être le substrat de la représentation la plus souvent partagée en matière d’exemples : « il faut qu’il y en ait beaucoup » et que cette représentation est tout sauf opératoire pour produire des dissertations. Si l’on peut tirer quelque perspective didactique de tout ce qui précède, peut-être pourrait-on dire d’associer la prescription à une limitation sur le nombre d’exemples, qui alerterait les élèves et freinerait la solution de facilité qui consiste à énumérer des cas illustratifs d’une position pour répondre à la consigne d’écriture. Une telle solution n’est pas magique et suppose de toute façon (car il est difficile de croire en l’efficience d’une simple consigne) un travail explicite sur l’énumération et les moyens de la structurer par des opérations de généralisation ou d’abstraction13.
104Un autre élément que je veux souligner et qui rejoint d’ailleurs le précédent, a trait aux types de développement scriptural que j’ai pu observer sur quelques mois dans cette classe de seconde. Que l’enseignement produise des effets de normalisation observables dans les productions écrites des élèves ne chagrinera que ceux qui pensent que l’écriture est un art d’origine divine. La normalisation que j’ai décrite porte à la fois sur l’intégration de structures textuelles et discursives (le schéma polémique) et sur l’usage des exemples (essentiellement leur nombre, et leur fonction, majoritairement illustrative dans le deuxième corpus). Mais cette normalisation s’accompagne d'une différenciation interne et externe, si on peut dire. Différenciation interne en ce sens que la majorité d’élèves qui produisent un texte identifiable comme polémique sont loin de produire tous des textes organisés selon le même plan. Ainsi de l’émergence de fonctionnements discursifs identifiés comme spécifiquement polémiques, tenant des discours sur d’autres discours, les présentant comme contestables ou irrecevables. Ainsi également, de la prise de distance par rapport à la consigne d’écriture qui amène certains à des solutions textuelles très éloignées du pour/contre classique (que peut induire le schéma polémique mal compris). Différenciation externe en ce sens que la relation entre maîtrise de l’exemplification et maîtrise de l’organisation textuelle semble inversement proportionnelle. Ou l’élève se focalise sur le traitement heuristique de certains exemples et produit un écrit de structure plus simple, ou il se focalise sur le traitement global du texte à produire, et il simplifie le traitement des exemples en ne les utilisant que dans une fonction illustrative.
105Le fait que ce dernier cas soit dominant dans cette classe est certainement à mettre au crédit des apprentissages qui y ont été faits. La séquence didactique sur l’exemplification ne peut guère par contre être rendue responsable d'apprentissages équivalents concernant l’exemple : trop courte vraisemblablement, trop centrée aussi peut-être sur la seule production écrite, n’associant donc pas pour les élèves les problèmes de l’exemple en réception à ceux de la production, trop isolée aussi du moment de la découverte par les élèves des contraintes propres à l’écriture dissertative. Cela signifie vraisemblablement que le traitement d’un élément textuel et discursif secondaire ne peut guère se faire indépendamment du traitement de la structure qui l'accueille et lui donne sens. Certes, aucun des exercices de la séquence ne séparait l’exemple de ses contextes d’emploi, mais le fait même de dérouler une séquence d’apprentissage sur un objet discursif subalterne mobilise peut-être moins les élèves que des apprentissages incidents menés sur le même objet discursif mais à des occasions diverses et multiples, en réception et production, à l’occasion du résumé, de la dissertation, voire du commentaire (pour le rapport citation/exemple). Ce que peut faire un professeur tout au long d’une année d’apprentissage mais qu’il est mal aisé pour le chercheur de mettre en œuvre dans des observations de courte durée.
Notes de bas de page
1 Sur les différences de polarisation des termes du sujet selon les textes d’un dossier, voir Delcambre, Darras (1992).
2 Par Faux (avec une majuscule) j’entends toute la série des hyponymes citée dans le sujet, à savoir le faux, le mensonge, la fiction, le trucage. De même pour Vrai.
3 Si l’on était en classe de philosophie, il est évident que se poseraient en plus les problèmes épistémologiques de la vérité scientifique. Mais c’est un peu prématuré en classe de 2°.
4 De plus, le chapeau d'introduction rédigé pour écourter le texte, ajoute si l’on veut un niveau supplémentaire.
5 Une élève a eu également des difficultés à comprendre le texte 5 qui représente un personnage de roman en train de lire un autre roman. Elle n’a pas compris la mise en abîme.
6 Mais ce ne sont ni les mêmes élèves ni les mêmes « cas particuliers ».
7 Par sensiblement, j’entends que le pourcentage des exemples dans leurs textes est plus important d’au moins 10 %.
8 L’initiale du nom propre permet de distinguer Karine P. de Karine L. dont il sera question plus loin.
9 Je laisse de côté le premier paragraphe du développement qui assure sans le dire le passage de l’introduction hors-sujet à la problématique du sujet. La première ligne du tableau renvoie à une schématisation possible du texte de l’élève qui n’est pas sans rapport avec les catégories du schéma polémique.
10 Cette tendance majoritaire à commencer par une opinion positive a déjà été remarquée dans le premier corpus (chap.v, p. 132).
11 Il faudrait y ajouter le texte de Karine P., analysé pp. 236-238, qui, malgré son « hors-sujet », réalise cette structure.
12 Exemple : « Les films de fiction les aident à pouvoir élargir leur imagination et à pouvoir s'évader. Comme avec Jurassic Park personne n'a connu les dinosaures mais grâce à ce film ils peuvent enfin voir à quoi pouvait ressembler les dinosaures » (Laurie. la ponctuation est de l'élève).
13 Delforce (1991, 392-393) propose des séances de travail qui se donnent pour objectif de « contrôler l’évocation des exemples » en faisant découper un thème en sous thèmes ou aspects différents.
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