Chapitre VII. Analyse de la séquence didactique
p. 191-224
Texte intégral
1La séquence didactique que je vais présenter ci-dessous a des objectifs modestes. Il ne s’agit ni d’une expérimentation contrôlée « scientifiquement » ni traitée statistiquement. Il s’agit plutôt de l’élaboration de quelques exercices et démarches de travail qui se donnent comme objectifs l’exemplification sous ses aspects discursifs et linguistiques. Les séquences de classe ont donc servi essentiellement de test pour la faisabilité et l’intérêt de ces exercices et démarches plutôt que de construction de compétences nouvelles pour les élèves. Je ne veux pas dire par là qu’ils n’ont rien appris à ces quelques séquences de travail, mais l’angle sous lequel sera menée cette description ne sera pas de mesurer finement les apprentissages réalisés. Ce sera plutôt, et le chapitre viii qui suit en est une illustration, l’occasion de pointer les nouveaux problèmes qui peuvent surgir des problématiques envisagées et des démarches mises en place. En quelque sorte, c’est une séquence très semblable aux démarches quotidiennes d’enseignement/apprentissage, où le professeur ajuste ses objectifs aux élèves avec lesquels il travaille, qui observe leurs réactions et leurs productions pour relancer de nouvelles activités et de nouveaux questionnements, dont les objectifs, même précis et bien ciblés, peuvent prendre dans la séquence même des résonances imprévues à cause des associations d’idées ou des transferts que font les élèves d’un apprentissage sur l’autre.
2Ainsi, cette séquence didactique se veut plus du côté de l’action que de la construction de savoirs didactiques théoriques sur la production d’écrits en situation scolaire. Non que je récuse l’intérêt de tels savoirs mais dans l'économie générale de mon travail qui est essentiellement descriptif et « diagnostique » l'élaboration d'une séquence en classe a pris la forme d’une évaluation des outils d’apprentissage et d’appropriation de quelques éléments de savoir et de savoir-faire concernant l’exemplification. Cette conception de la didactique comme « une discipline d’action » (Perrenoud, 1993, 35) n’exclut ni réflexion critique ni propositions, ce qui fait qu’un des objectifs de ce chapitre sera aussi d’élaborer une réflexion sur de micro-faits didactiques où s’entrecroisent à la fois des phénomènes de transposition didactique de « savoirs » (théoriques sinon savants), de construction d’outils d’enseignement/apprentissage et de régulation de ces mêmes apprentissages.
3Les objectifs principaux de cette séquence sont les stratégies d’exemplification en production de texte (dissertatif) et les problèmes linguistiques posés par l’insertion des exemples dans de tels textes. Les problèmes posés par les exemples en lecture/compréhension ne seront donc pas abordés. Les rapports lecture/écriture ne sont certes pas à ignorer mais le choix est fait ici de centrer l’étude sur les problèmes de production textuelle. Des textes ont été donnés à lire dans le cadre de telle ou telle démarche mais ils font partie du contexte didactique général au même titre, en quelque sorte, que les activités d’apprentissage antérieures à la séquence, et ils ne seront pas l’occasion d’une évaluation systématique de la compréhension.
4La séquence didactique s’est déroulée sur un temps bref : deux heures de travail hebdomadaires, en ma présence, pendant trois semaines, suivies de quelques heures où le professeur de la classe a utilisé quelques-uns des exercices prévus ; tout ceci, indépendamment du temps nécessaire aux évaluations. Elle s’est située quelques mois après le début de l’année (en février). En effet, les stratégies d’exemplification ne font pas partie des problèmes centraux d’apprentissage de la dissertation, ils ne peuvent être posés en termes clairs pour les élèves que lorsque cet apprentissage a déjà bien démarré. Par chance (mais c’est également une des raisons pour lesquelles j’ai choisi de travailler dans cette classe-là) le professeur utilisait la référence théorique au schéma polémique pour fonder l’apprentissage de la dissertation1. La communauté de références théoriques a probablement permis aux élèves de se mobiliser assez vite sur l’objet ponctuel que j’abordais avec eux sans avoir à modifier leurs représentations et leurs savoirs en construction sur l’écriture dissertative. En accord avec le professeur de la classe, cette organisation des apprentissages a privilégié les apprentissages textuels globaux par rapport aux apprentissages portant sur des phénomènes micro-structurels ou locaux.
5Cette séquence a présenté aux élèves un certain nombre d’activités répondant aux objectifs fixés ci-dessus, les élèves travaillant comme à leur habitude en bénéficiant des aides que le professeur ou moi-même pouvions leur apporter selon leurs besoins. On le voit, le cadre de référence didactique de cette séquence est ce que Perrenoud appelle « une didactique tout terrain » (op. cit., p. 37).
6Le cadre pédagogique de référence est celui d'un apprentissage programmé par l’enseignant au vu des objectifs qu’il se donne et régulé par lui selon les réactions et les problèmes (ou réussites) qu'il identifie. Un cadre très traditionnel, donc, où, cependant, l’apprentissage est explicitement formulé (et cela d’autant plus que ma présence en classe signifiait de facto quels étaient les objectifs de travail) et où l’enseignant gère le temps et les activités en fonction de sa perception des choses. L'apprentissage visé est ainsi programmatiquement postulé en fonction des exercices et des démarches pensés par l’enseignant et réalisés par les élèves.
7Il faut cependant atténuer ce tableau par deux observations : d’une part les travaux de groupes ont été nombreux (pratiquement deux séances sur trois). Le choix didactique opéré ici est de favoriser les interactions entre élèves dans des réalisations de tâches complexes de sorte que s’opèrent des régulations d’apprentissages entre pairs et notamment au niveau métacognitif. La situation didactique pensée par l'enseignant essaie ainsi d’une part de favoriser « F autorégulation de l’individu en la situant dans une dynamique sociocognitive » (Allai, 1993, 86) et d’autre part de proposer aux élèves des tâches complexes, en l’occurrence tâches d’écriture ou de réécriture, où des choix sont à opérer, des discussions sont à mener, des répartitions de rôles sont à faire, des décisions d’écriture sont à prendre, bref, tout ce qui fait de la production de texte une « résolution de problème mal définie » (Rouquette 1979) est ainsi mis sur la table et devient objet d’interactions entre les élèves et de régulations métacognitives.
8D’autre part, chaque activité donnait lieu à des mises en commun où les élèves étaient placés en situation d’évaluateurs des solutions trouvées aux problèmes posés par tels ou tels groupes. L’évaluation consistait essentiellement à formuler les observations que l’on pouvait faire sur les textes produits et à élaborer ainsi des méta-connaissances sur les phénomènes textuels ou linguistiques concernés. Cela est resté, faute de temps, une évaluation orale qui ne s’est pas transformée en liste critériée mais cela pourrait dans un contexte de classe ordinaire le devenir. L’essentiel des objectifs poursuivis étaient en fait de placer les élèves en situation de métacognition sur des phénomènes textuels et linguistiques. Par rapport aux objectifs de travail annoncés au chapitre précédent, j’ai choisi de présenter ici deux démarches portant sur la fonction argumentative de l’exemple et trois exercices plus strictement linguistiques portant sur les marqueurs d’exemplification et l’interprétation générique.
A. La fonction argumentative de l’exemple
9L’objectif est de travailler sur la fonction argumentative de l'exemple. Illustration d’un argument, il est en position de dépendance, hiérarchiquement second, facilement effaçable, il n’apporte pas grand-chose au déroulement discursif, sinon de permettre à l’élève producteur de dissertation de montrer qu’il sait exemplifier, qu’il a des exemples à sa disposition (transformation classique des rôles communicationnels en rôles métacommunicationnels dans un contexte scolaire : il s’agit rarement, avec l’exemple, de faciliter la compréhension du récepteur par des exemples évocateurs, mais bien de montrer que l’on sait exemplifier ; de même, avec le texte explicatif, il ne s’agit pas de permettre au destinataire-professeur de comprendre, mais bien de montrer que l’on sait expliquer ou que l’on a compris). Mais l’exemple peut être aussi un moyen d’argumenter ou de contre-argumenter, un type d’argument, pour reprendre les catégories aristotéliciennes.
10Les élèves qui démarrent l’apprentissage de la dissertation ont souvent du mal à maîtriser les fonctions argumentatives de l’exemple. On a vu, dans l’étude du chapitre v mais aussi dans celle du chapitre VI, comment un exemple réfutatif faisait déraper la planification d’ensemble. L’objectif est ici de proposer des démarches qui n’invalident pas une de leurs stratégies spontanées d’écriture que l’on pourrait nommer la « pensée par exemples », mais qui favorise une prise de conscience de la diversité des relations argument/exemple et du rapport non naturel, nécessairement contextualisé entre un exemple et l’argument qu’il étaye. Cet objectif sera abordé par deux exercices différents : le premier est une production de texte « assistée », le second est une démarche de révision de texte.
1. Production de texte
11La première situation est une démarche d’écriture accompagnée d’une consigne relativement contraignante et de textes d’appui pouvant servir de réservoir d’exemples. Il s’agit d’utiliser les exemples issus des textes-sources pour alimenter le texte à écrire, sachant que ces extraits peuvent devenir des exemples ou des contre-exemples après l’opération d’insertion et selon le traitement qui en sera fait.
12L’objectif général est de produire, dans un travail de groupe, un texte de nature partiellement dissertative (examen d'une position). Chaque groupe reçoit une consigne d’écriture qui pourrait correspondre à un premier temps d’examen dans un schéma polémique. La consigne en formule les bornes en partant d’une position « alpha », non prise en charge par le locuteur et qui va faire l’objet de l'examen, pour aboutir à une position inverse qui joue le rôle de but à atteindre, d’« oméga » et qui fait le bilan de l’examen précédent2.
13Deux positions contradictoires seront proposées simultanément à l’ensemble de la classe mais réparties selon les groupes, chaque groupe ne travaillant que sur l’une d’elles (et ignorant qu’une autre consigne est mise en jeu dans la classe). Mais à elles deux, elles représentent les deux moments de la phase d’examen d'une question polémique devant aboutir à une aporie permettant de passer à la formulation d'une autre question.
GROUPES A :
Vous allez écrire un texte qui commence par l’énoncé suivant :
Il y a toutes sortes de raisons de penser que tes jeux vidéo sont à proscrire.
Entre autres, ils seraient une véritable drogue.
et qui se termine par :
A l’issue de cette réflexion, on peut donc constater que les jeux vidéo ne représentent pas le danger que disent certains.
GROUPES B :
Vous allez écrire un texte qui commence par l’énoncé suivant :
Certains pensent que les jeux vidéo sont une merveilleuse invention, qu'ils constituent entre autres une nouvelle forme d’apprentissage.
et qui se termine par :
On voit donc que les jeux vidéo ne sont pas la merveilleuse invention que l'on peut croire.
14Ces deux consignes d’écriture présentent chacune une organisation semblable : l’alpha présente une position sur les jeux vidéo nettement polarisée (A : « à proscrire », B : « merveilleuse invention »), l’oméga une forme conclusive (« donc ») anti-orientée par rapport à l’alpha (A : « ne représentent pas le danger », B : « ne sont pas la merveilleuse invention »). L’ensemble est marquée énonciativement comme non pris en charge par un énonciateur principal potentiel, auquel pourraient s’identifier les scripteurs-élèves (A : « que disent certains » ; B : « Certains pensent que » ; « que l’on peut croire »). La consigne se présente donc comme un problème à résoudre de nature argumentative : il s’agit de réfuter la position initiale de manière à montrer qu’elle n’est pas générale ni universellement partagée.
15Pour réaliser cette écriture, chaque groupe reçoit deux textes, issus d’un dossier de Télérama sur les jeux vidéo (cf. les documents pp. 197-198). Ecrits à la première personne, ce sont des textes de construction relativement lâche, comme un interview dont on aurait ôté les questions. Ce qui fait qu’ils ne paraissent pas argumentativement orientés de manière explicite. Ils accumulent les petits faits, les petites observations, certains sont très positifs, d’autres nettement moins ou simplement ambigus. Ils ont une structure quasi-énumérative de propos sur les jeux vidéo qui en fait de parfaits réservoirs d’exemples. Tous les groupes, quelle que soit leur consigne d’écriture, reçoivent les mêmes deux textes. Le dispositif devrait ainsi contraindre les élèves, sans qu’ils s’en aperçoivent dans un premier temps, à utiliser les mêmes exemples dans des orientations argumentatives différentes. Du moins, on peut espérer que ce soit le cas.
16Comme la masse de documents à lire et à traiter est néanmoins importante, je propose d’effectuer la lecture individuelle des textes en se partageant les tâches : dans chaque groupe deux élèves lisent un texte, les deux autres le deuxième. Avant d’écrire, les groupes sont conviés à une tâche de planification : quels exemples vont-ils retenir pour écrire d’après la consigne ? Ils sont invités à négocier le choix des exemples qui leur semblent les plus pertinents, chaque lecteur « défendant » le texte qu’il a lu et devant reformuler l’exemple qu’il retient pour en montrer l’intérêt par rapport à l’argumentation à construire. Ce dispositif permet également d’obliger les élèves à reformuler l’exemple qu’ils retiennent, ce qui devrait permettre dans l’écriture d’éviter que l’exemple ne devienne une simple allusion à un document connu de tous.
17Pour faciliter cette lecture et aider à la généralisation, les élèves sont invités à faire un repérage d’arguments-pour et d’arguments-contre3 les jeux vidéo à l’aide d’une liste d’items, communs aux deux textes, qui leur permet d’indexer en marge les textes-sources et qui devrait aider l’identification et la généralisation des exemples, opération nécessaire lors de la négociation pour le choix des exemples.
Soulignez les éléments qui pourraient illustrer des arguments-pour ou des arguments-contre les jeux vidéo. Vous résumerez dans la marge le contenu de l’argument à l’aide d’un groupe nominal ou d'un groupe verbal extrait de la liste ci-dessous :
apprendre par la répétition | loisir individuel |
avoir mal | ne pas trouver |
avoir des difficultés | passion du jeu |
chercher la solution | perdre |
dépenser l'argent | plaisir |
développer la communication | pratiquer une langue étrangère |
développer ses capacités d’attention | réaliser des missions imaginaires |
donner beaucoup de son temps | résoudre des problèmes |
esthétique | savoir se contrôler |
faire des compétitions | se documenter |
faire partie d'un groupe | s’évader du monde social |
gagner | s’identifier à un personnage |
loisir collectif | trouver sans chercher |
Vous vous mettrez d’accord sur deux ou trois exemples, issus des deux textes que vous venez de lire, qui vous paraîtraient intéressants pour écrire votre texte.
Avant de rédiger, vous les noterez rapidement sur votre feuille avec leurs références précises, puis vous rédigerez le texte en les intégrant dans votre écriture.
a. Analyse de quelques résultats
18Les six textes produits manifestent de grands écarts de réussite. Je n’en analyserai que deux qui ont été lus lors de l’évaluation collective, en les mettant en relation avec quelques extraits des enregistrements du travail de groupe4, que j’utiliserai uniquement pour caractériser les modes de planification de la tâche, du texte à produire, et la gestion de la consigne. Il apparaît en effet que presque tous les textes « manifestent » l’organisation du travail, comme s’il n’y avait pas de distance entre la façon de discuter des textes lus, des exemples sélectionnés, de la consigne et le produit textuel final. Je présente les travaux par ordre décroissant de réussite textuelle et résumerai rapidement à chaque fois les principes qui ont organisé le travail de groupe.
19Deux textes me paraissent réussis (groupes 4 et 6) : le passage de l’alpha à l’oméga est marqué dans les deux cas par un énoncé métatextuel réfutatif (« Cependant,...) et cette cohérence argumentative s’accompagne d'une cohérence thématique. Tous les deux ont eu des consignes B que l’on peut formaliser par JV+/JV-, c’est-à-dire Jeux Vidéo P+ (merveilleux) vs Jeux Vidéo N-(pas merveilleux). L’alpha de la consigne se termine par « .. une nouvelle forme d’apprentissage », thème qui est développé dans le premier paragraphe de manière à assurer un enchaînement sur l’alpha sans rupture. Je présente le texte du groupe 4 ci-dessous5 en soulignant ces marques d’organisation :
Groupe 4 (l’orthographe et le découpage en paragraphes sont d’origine)
Certains pensent que les jeux sont une merveilleuse invention, qu’ils constituent entre autres une nouvelle forme d'apprentissage.
En effet les jeux vidéos développent l’esprit car nous essayons de trouver les solutions, cela nous force donc à réfléchir tout en passant plusieurs heures devant l’écran. Comme le dit une lectrice de Télérama : « J’ai mis une bonne dizaine d’heures à trouver l’astuce qui commandait la possibilité de passer à la suite du jeux ». Ceci entraîne une perte de temps considérable et une fixation sur le jeux. Cependant, la majorité des jeux vidéos étant de langue étrangère permettent d’accroître le vocabulaire de celle-ci. Ainsi la plupart des adolescents pensent que la traduction n’est pas assez courante comparer à la version originale. Cependant la communication ne se fait qu'avec l'écran et pas avec le monde extérieur.
Les jeux vidéos ne valent pas les jeux de sociétés car les jeux vidéos ne développent pas les contacts humains. En effet dans une partie de jeux de sociétés se créent des liens, des sentiments impalpables qui dépassent de beaucoup (l)e jeux.
On voit donc que les jeux vidéos ne sont pas la merveilleuse invention que l’on peut croire.
20Ce qui assure la réussite6 de ces deux groupes est autant du côté du traitement qu’ils ont opéré des textes d’appui que du côté des modes de planification du travail : ils ont en effet démarré de la même manière la discussion collective (après le temps de lecture, surlignage et indexation individuelle) par une confrontation des exemples qui pouvaient être subsumés par le même item. Cette confrontation amène à une double question : est-on bien d’accord pour dire que ces exemples correspondent à l’item choisi ? (travail de généralisation), et, ces exemples ont-ils une valeur positive ou négative ? (travail sur l’orientation argumentative).
Extrait de la discussion du groupe 4 : les élèves sont en train de sélectionner les exemples pour l’item « passion du jeu » ; elles écrivent au fur et à mesure la liste des items qu’elles retiennent.
1- j'ai un truc « un jour je passerai à autre chose mais je continuerai à suivre les jeux parce que c’est un monde que je connais bien et qui évolue. J’aime trouver tout seul » [extrait du texte Julien]
2- aussi [inaudible] c’est bien parce que si tu restes des heures collé sur l'écran, après..
3- être collé devant le jeu, c’est une perte de temps
4- on peut le mettre dans le temps
5- si y a rien d’autre...
6- c’est la passion du jeu aussi, à 14 ans...
7- c’est parce qu’il aime ça, qu’il joue pendant des heures sinon il le ferait pas
8- on peut mettre dans la passion du jeu pour les dix heures mais après on met « mais cependant c’est une perte de temps »
9- on le met dans les positifs ou négatifs ?
10- ben c'est négatif
11- oui, mais c’est positif aussi
12- c’est positif pour lui, c’est négatif pour [inaudible]
13- y a des conséquences quoi, on les mettra après
14- bon alors on va mettre....
15- dix heures devant l’écran »
21La discussion sur les génériques « passion du jeu » ou « perte de temps » est associée à une polarisation argumentative conflictuelle. La solution de la réfutation qui reprend localement sur un exemple le mouvement d’ensemble du texte à écrire (énoncé 8 : « mais cependant c’est une perte de temps ») est oralisée avant de donner lieu à une mise en texte. Cette bipartition argumentative sur le même exemple explique peut-être la maladresse de ce passage :
« En effet les jeux vidéos développent l’esprit car nous essayons de trouver les solutions, cela nous force donc à réfléchir tout en passant plusieurs heures devant l’écran. Comme le dit une lectrice de Télérama... ».
22Le gérondif accompagné de « tout en » est une forme de concession, ce qui donne à l’énoncé initial un statut argumentatif ambigu : tout en posant dans la suite de l'alpha l’intérêt intellectuel des Jeux vidéo, il opère une quasi restriction avec la perte de temps. Les choses sont beaucoup plus claires après la citation de la « lectrice de Télérama » à qui est rendue l’exemple de la « dizaine d’heures »7.
23La confrontation, au début du travail, des deux textes-supports sous l’angle générique autant qu’argumentatif est associée à une formulation très explicite de l’organisation textuelle à respecter. Ainsi, peu de temps avant l’extrait présenté ci-dessus, l’une des élèves précise qu’« il faut trouver des arguments pour et des arguments contre, vu la fin » ; de même, dans le groupe 6, quand le premier paragraphe est rédigé et relu une nouvelle phase de planification prévoit qu’après avoir « marqué un truc bien » l’on va passer à du négatif : « les idées on les élimine8... on peut marquer cependant... on va changer d’opinion ».
24Ces deux groupes ont réussi à fonctionner en gérant simultanément un travail au niveau local et une planification globale : le choix des exemples, régulé par une mise en commun des items généralisants, est sans arrêt mis en perspective avec des orientations argumentatives cadrées par la consigne d’écriture.
25Trois groupes (1, 5, 2) produisent un texte que l’on peut identifier comme étant un texte en pour/contre. Leur organisation de travail est caractérisée par de nombreuses occurrences d’activités de classement antagoniste des items, sans qu’il ait de manière dominante de recherche d’exemples. Ainsi, après la lecture individuelle des textes-supports, l’activité principale consiste à faire la liste des items communs (voire, à ne retenir que ceux-là, parce que, dit un élève du groupe 5, « sinon, pourquoi on aurait deux textes différents ? ») en les classant comme contre-arguments (c’est-à-dire, dans le contexte de la discussion, arguments-contre) et arguments-pour. La réitération fréquente de l'oralisation de ces listes, voire la discussion sur le fait de savoir si tel item est positif ou négatif, et non pour chercher à évaluer la valeur de tel exemple, renforce une planification de type tabulaire, énumérative, dont le texte du groupe 1 est bien représentatif (consigne A : JV-(Jeux Vidéo à proscrire) vs JV+ (pas si dangereux)) :
Groupe 1
Il y a toutes sortes de raisons de penser que les jeux vidéo sont à proscrire. Entre autres, ils seraient une véritable drogue. Tout d'abord, les jeux vidéo coûtent cher. En effet, comme nous le prouve le texte Julien Vidéo Kid, de Télérama : Acheter une console à 1500 frs et une cartouche à 500 frs revient très cher. Ensuite, on consacre beaucoup de son temps aux jeux vidéos. En effet, comme nous le dit TerminaFlore, de Télérama : la jeune femme reste coincée trois semaines à chercher à trouver la solution ; Elle va jusqu’à passer ses nuits devant son ordinateur. Enfin, le maniement répétitif des jeux vidéos causent chez certaines personnes quelques ennuis de santé : dans Julien Vidéo Kid, il nous montre qu’à force de manier le « Joystick », on finit par avoir mal au pouce, au poignet et chez les personnes photosensibles, ils peuvent même provoquer des crises d’épilepsie. Dans Terminaflore, ils disent même que ça provoque des troubles de la vue.
Mais on ne peut pas vraiment dire que les jeux vidéos soient nocifs car ils présentent quelques avantages. En effet, ils permettent de s’évader, de se détendre, de s’amuser entre amis, de se défouler... Et si chaque personne apprend à se contrôler, les jeux-vidéo peuvent paraître comme des avantages. (A l’issue de cette réflexion on peut donc constater que les jeux vidéo ne représentent pas le danger que disent certains.)
26L’enchaînement thématique avec l’alpha n’est pas géré (de même dans les deux autres textes). Par contre, l'enchaînement entre le deuxième et le premier paragraphe se fait ici localement (« on ne peut pas vraiment dire que les jeux vidéos soient nocifs » réfute la liste des dommages physiques occasionnés par les jeux vidéo qui clôt le premier paragraphe). Un tel enchaînement n’est même pas présent dans le texte du groupe 2 qui articule les deux moments argumentatifs par un « d’autre part » plutôt mal venu sans qu’aucun autre lien ne soit construit entre les deux positions.
27Ainsi, le dispositif de travail trouve ici ses limites : d’une part la liste d’items prévue pour faciliter le travail de lecture des textes-supports et notamment l’identification des exemples est utilisée à la place des exemples eux-mêmes. Cela produit dans les discussions préparatoires une focalisation sur des énoncés généralisants plutôt que sur les cas particuliers ou les exemples que l’on peut extraire des deux textes. Certes, cela facilite les discussions grâce à la proposition « toute faite » de catégories d’analyse : il suffit de voir avec quelle fréquence les élèves utilisent ces expressions (« pratiquer une langue étrangère - je l’ai pas » ; « on peut faire savoir se contrôler », etc.). Elles fonctionnent comme des blocs permettant d’identifier rapidement des unités de sens. Elles facilitent la mise en commun des lectures et les choix d’écriture. Mais dans ce contexte de production argumentative contrainte par les bornes alpha-oméga, la liste d’items induit des stratégies de classement polarisé qui vont intervenir comme une nouvelle consigne d’écriture masquant et faisant oublier la première. Ainsi, le groupe 1 a des moments de planification par rapport à l’alpha-oméga très clairs mais qui ne servent à rien :
Extrait des discussions du groupe 1 qui a reçu une consigne « JV-/JV+ ». L’extrait suivant se situe après une intervention de ma part sur la gestion du temps sur l’urgence de passer à la mise en commun et à la sélection des exemples. Ce sont deux élèves seulement qui parlent.
- là je comprends pas bien leur truc, en fait c'est, ils disent que les jeux vidéo c’est pas bien quoi, donc i faut trouver des.. des..
-des contre-arguments.
- oui, des contre-arguments., des jeux vidéo mais aussi il y a il y a, on fait que ça comme paragraphe ? mais si on fait que ça, ça finira pas sur ça [l’oméga]
- mais si parce que tu dis, en fait tu dois dire que les jeux vidéo c'est bien quoi c’est pas vraiment une drogue
- oui, les jeux vidéo c’est pas bien et trouver des contre-arguments et les jeux vidéo c’est bien et trouver des [inaudible]
- oui donc, et après ils te disent en conclusion qu’il y a pas le danger que disent certains... puisque tu as réussi à prouver que c’était pas., si mauvais que ça
28Ce moment de planification est resté inefficace au moment du passage à l’écriture (qui s’est fait, il est vrai, dans une grande urgence vu le retard pris par ce groupe ; retard imputable à un travail extrêmement fouillé sur les textes-support qui s’est enlisé dans des discussions fort longues pour savoir, par exemple, si tel passage devait être généralisé sous la forme « savoir se contrôler » ou « apprendre à se contrôler »). La reformulation du thème initial (« drogue ») que l’on constate dans cet extrait, n’a pas aidé à ajuster l’enchaînement sur l’alpha et l’on a vu plus haut que le passage à la réfutation se faisait plus par rapport aux phrases immédiatement antérieures que par rapport au bloc de texte tout entier9.
29Le dernier groupe (groupe 3 : « JV-/JV+ »)) propose un texte qui obéit à une organisation inédite, mais très peu efficace : les deux paragraphes sont à interpréter comme deux comptes-rendus successifs des deux textes-supports. La planification se fait non à partir de l’alpha-oméga mais comme un compte-rendu quasi-dialogique de deux cas qui ne sont même pas vraiment constitués explicitement en cas exemplaires. Cette organisation de l’écrit reflète étrangement l’organisation du travail du groupe qui a consisté en des reformulations successives du texte Julien de manière intégrale et linéaire. Le texte Flore, faute de temps, étant traité beaucoup plus rapidement. Ce traitement des textes-support fait que le rapport à l’exemplification est quasiment nul. Le résultat final est donc tout à fait flou.
b. Compte-rendu du travail en classe
30Les textes des groupes 1 (JV-/JV+) et 4 (JV+/JV-) ont été lus et commentés collectivement avec deux objectifs différents. Le premier est d’ordre textuel : il s’agissait de révéler à l'ensemble du groupe la manipulation ayant présidé à l’élaboration des deux consignes d’écriture et de mettre en relation cette tâche avec ce qu’ils avaient déjà appris à propos de la dissertation et notamment du schéma polémique. Des références fréquentes lors du travail de groupes étaient faites aux dissertations antérieures, qui montraient qu’un bon nombre de ces élèves étaient capables d’opérer des transferts entre diverses tâches d’écriture. Mais il fallait rendre ces transferts explicites pour tous et clarifier le cadre de travail dans lequel je me situais. Ainsi, après avoir repéré que les consignes A et les consignes B pouvaient servir d’examen de positions adverses dans un premier temps, les élèves ont dit qu’« il manquait l’avis final et la conclusion », ce qui est une façon de traduire l’image mentale qu’ils s’étaient faite de ce que peut être une dissertation « polémique » (mais aucun n’a évoqué le fait qu’il manque un sujet !). Ils perçoivent moins la dissertation comme réponse à une question, comme construction d’un enchaînement de questions/réponses que comme formulation d’une opinion.
31Le deuxième objectif de cette confrontation était de travailler sur la relation argument/exemple et notamment sur le caractère « non-naturel » de cette relation, c’est-à-dire sur le fait qu’un exemple peut se trouver généralisé par des énoncés différents, qu’il peut fonctionner en tant qu’argument ou contre-argument, appuyer un argument ou une réfutation/concession selon le contexte d’emploi.
32Cela peut s’observer dans les textes choisis à partir de ce que devient le thème « chercher, réfléchir », issu du texte « Terminaflore » :
Texte du groupe 4 : « En effet les jeux vidéo développent l'esprit car nous essayons de trouver les solutions, cela nous force donc à réfléchir tout en passant plusieurs heures devant l’écran. »
Texte du groupe 1 : « on consacre beaucoup de son temps aux jeux vidéo. En effet, comme nous le dit TerminaFlore de Télérama, la jeune femme reste coincée trois semaines à chercher, à trouver la solution. Elle va jusqu’à passer ses nuits devant son ordinateur. »
33On voit que le thème, et les exemples afférents, est présenté différemment dans les deux textes, en fonction du contexte de l'alpha initial. Analyse a été faite ensuite des mécanismes argumentatifs qui polarisent différemment les deux énoncés et notamment dans le texte du groupe 1 la valeur axiologisée des termes « elle reste coincée (trois semaines à chercher) » et l’intensif « Elle va jusqu'à passer ses nuits ».
34L’ensemble de cette démarche a abouti finalement à donner plus d’importance aux problèmes de cohérence textuelle et argumentative qu’à la gestion des exemples, qui devient dans le contexte d’une telle consigne, un matériel, une question parmi d’autres. Cela confirme le rôle secondaire de l’exemple au niveau de la planification textuelle et de la mise en mots à l’opposé du rôle important qu’il peut avoir en liaison avec l’inventio. Le rôle secondaire de l’exemple ne cesse d’apparaître tout au long de ce travail : il était déjà signalé au chapitre VI, p. 176, par exemple. Ces observations à propos des exercices ne font que renforcer ce que l’on peut constater quand on traite les textes des élèves.
35Certes, l’ensemble de la démarche induisait fortement la mise en œuvre de telles procédures, puisque les éléments donnés comme documentation avait le statut de cas particuliers exemplaires et puisque la consigne de travail supposait de s’aider de ce matériel pour produire un texte qui cependant l’excédait et l’englobait dans un propos plus large. Par ailleurs, le matériel était trop complexe, trop long, et d’une certaine manière trop riche ; d’autre part la consigne d’écriture était, malgré tout, trop ouverte pour donner lieu à des observations régulières sur tous les groupes concernant l’analyse et la gestion des exemples. Et il est vrai qu’à l’écoute des enregistrements, certains groupes ne donnent jamais l’impression de se préoccuper d’exemples mais bien plus d’arguments ou de contre-arguments.
2. Révision de textes
36Le deuxième exercice utilise un extrait d’un texte dissertatif produit par la classe de seconde avec laquelle j’avais travaillé antérieurement (cf. chapitre v). Cet extrait présentant des problèmes d’exemplification, j’ai choisi d’en faire un support d’observation et d’écriture afin de proposer aux élèves un objet-texte qui leur permette de transférer quelques-uns des apprentissages en cours sur la dissertation tout en construisant des savoirs sur l'exemplification.
37Cette démarche repose sur l’idée que travailler sur des textes que l’on n’a pas soi-même produits facilite l’activité de détection des problèmes textuels (Fayol 1987, 233 pour une présentation et Brassart 1989, 100 sqq. pour une discussion). Ce n’est pas pour autant que la réécriture de textes doive être un objectif d’apprentissage en tant que tel. Savoir réviser un texte, en effet, est un savoir-faire interne à l’écriture (processus on line), pas nécessairement lié à l’activité visible de raturage (Brassart 1991 c10). Il est vraisemblablement plus important d’apprendre aux élèves à produire des textes (en activant le processus de révision comme contrôle de leur production) que de leur apprendre à les réviser après coup. Un exercice de révision de textes ne peut être selon lui qu’« une stratégie didactique voulue par le maître et qui vise à développer, à terme, la compétence rédactionnelle » (et non un objectif d’apprentissage).
38L’activité que je propose ci-dessous se situe dans ce cadre et vise à mettre à l'épreuve les critères d’évaluation que les élèves ont à leur disposition sur des textes plus ou moins bien formés. L’objectif poursuivi est essentiellement de mobiliser leurs représentations mentales de la dissertation polémique en tant qu’organisation textuelle et gestion de la contre-argumentation. Le fait de travailler sur des textes d’autres élèves permet de mettre en veilleuse deux des composantes du processus rédactionnel : la génération des contenus et la mise en mots. En effet, les textes sont généralement présentés dactylographiés et tous les problèmes orthographiques ou linguistiques ont été effacés. Par ailleurs, comme ils sont relativement longs (sans être des textes complets), ils permettent d’identifier la stratégie d’écriture adoptée pour répondre au sujet, donc de mobiliser des catégories textuelles, des normes discursives, des critères d’évaluation qui, vu le type de problème sélectionné par le professeur, ont toutes chances de porter essentiellement sur l’organisation, le « plan de texte ». Le type d’exercice sélectionne donc le type de problème à détecter/réviser, étant entendu qu’il s’agit d’opérations de révision portant sur des niveaux macro-structurels.
39Le cadrage effectué sur les textes-sources constitue une mise en problème de la tâche d’écriture visée. Le moment où cet exercice intervient dans un apprentissage peut le transformer en évaluation initiale, de type procédural, en faire une activité terminale, où les élèves peuvent mettre à l’épreuve les critères qu’ils se sont constitués au cours de l’apprentissage ou le constituer en découverte d’un phénomène nouveau.
a. Présentation du texte à réviser
40Un des textes retenus11 est celui de Virginie dont le dernier paragraphe a été analysé au chapitre v, p. 145-149, pour un problème argumentatif de concession à droite de mais. Pour l’exercice de révision, je n’ai retenu que l’introduction et la première partie où apparaît un exemple anti-orienté : j’ai extrait l’exemple problématique du texte, la tâche consistant alors à le réinsérer selon les modalités qui conviendront aux élèves.
Soit le sujet suivant de discussion :
« La vie est un carnaval » dit F. Gaussen à propos des habitudes vestimentaires des français. Pensez-vous qu’actuellement, il est important de se distinguer des autres par son apparence ?
Introduction et première partie du texte de Virginie :
Actuellement est-il important de ne pas être comme tout le monde, en se distinguant des autres par l’apparence ou au contraire faut-il ne pas se distinguer et être comme tout le monde ?
Certains disent qu’il est important de se distinguer des autres par son apparence pour afficher sa propre personnalité. C’est à dire tout le monde ne doit pas ressembler à tout le monde. Lorsque chaque personne est habillé différemment, c’est beaucoup moins triste, beaucoup moins monotone et également quelque fois beaucoup plus marrant, par exemple lorsque l’on voit une personne avec un chapeau sur la tête, un long manteau noir, et avec des cheveux rouges, cela fait sourire. Les gens peuvent grâce à la tenue vestimentaire se différencier des autres et même quelque fois faire apparaître leurs points de vue, comme par exemple les punks qui sont reconnaissables à leur cheveux colorés dressés sur leur tête ; eux, ils sont différents de la foule, en les voyant on sait que ce sont des anarchistes. Chacun s’habille à sa façon, à son goût comme il le souhaite et sans se soucier de l’avis des autres.
Exemple :
Par exemple dans certaines pensions, chaque fille est habillée d’une jupe noire, d’un chemisier blanc, d’une veste noire, et chaque garçon d’un pantalon à pinces noir, d’une chemise blanche décorée par une cravate et d’un veston noir.
Consigne : de quelle manière et à quel endroit pouvez-vous insérer cet exemple dans la première partie ?
41La tâche est de nature argumentative : il s’agit de décider de l’orientation argumentative du texte et de celle de l’exemple (qui est clairement antiorienté), d’attribuer à l’exemple un statut de contre-argument par rapport à la conclusion temporaire de cette partie de texte puis à l’insérer en position de contre-argument (p) ou de réfutation (mais q) dans le paragraphe. Le problème peut être résolu par une opération d’insertion locale ou par une révision macrostructurelle.
b. Analyse des révisions effectuées : de l’exemple comme réfutation à l’exemple comme négation polyphonique
42Le texte a été travaillé par quatre groupes : trois d’entre eux font des propositions d’insertion locale, un seul formule une consigne de réécriture globale. Cependant on verra que, pour évaluer les textes, il faut croiser ces phénomènes de stratégie globale avec le statut argumentatif donné à l’exemple (réfutation ou non). Dans l’exercice de révision de textes, les décisions de planification globale sont à croiser avec des opérations de mise en mots.
43Voici d’abord le travail du groupe qui a adopté une stratégie globale. Il produit un écrit métatextuel et non une réécriture effective :
on met l’exemple après « anarchiste » [juste avant la dernière phrase] en mettant « dans d’autres cas une contrainte vestimentaire est imposée » : ex. - on le développe.
Ce paragraphe parlerait de la « mode » austère et monotone qui apporterait un monde sans gaieté.
Conclusion : par rapport au 1° paragraphe et au second qui devrait être développé.
44Le statut donné à l’exemple est celui d’un deuxième paragraphe succédant au paragraphe proposé (voir « austère, monotone, sans gaieté » qui reprend « moins triste, moins monotone, plus marrant » du texte-source) et de statut textuel identique puisque les deux paragraphes seraient chapeautés à égalité par la conclusion.
45La solution envisagée consiste donc à présenter deux cas, la mode marrante et la mode austère ; l’exemple n’a pas de statut argumentatif et le tout modifie sensiblement le texte de départ puisque, d’une partie présentée comme une première partie de dissertation, on passe à la comparaison de deux cas différents, la conclusion tombant dans le normandisme du « ni oui ni non », « des goûts et des couleurs,... » bien connu. Mais ce qu’il faut souligner, c’est la formulation d’un projet d’amplification textuelle qui s’appuie sur l’opposition liberté/contrainte (cf. l’énoncé métatextuel proposé pour annoncer le deuxième paragraphe « dans d’autres cas une contrainte vestimentaire est imposée »).
46Les trois autres cas insèrent l’exemple à l’intérieur du texte proposé selon deux modes différents. Deux groupes effacent le connecteur par exemple pour le remplacer par un marqueur d’opposition par contre ou contrairement à, et même le reformulent pour en faire un énoncé plus abstrait. Je présente ci-dessous en italiques ces deux réécritures :
Certains disent qu’il est important de se distinguer des autres par son apparence pour afficher sa propre personnalité. C’est à dire tout le monde ne doit pas ressembler à tout le monde. Lorsque chaque personne est habillé différemment, c’est beaucoup moins triste, beaucoup moins monotone et également quelque fois beaucoup plus marrant, par exemple lorsque l'on voit une personne avec un chapeau sur la tête, un long manteau noir, et avec des cheveux rouges, cela fait sourire. Contrairement à certaines pensions où chaque fille est habillée d'une jupe noire, d’un chemisier blanc, d’une veste noire, et chaque garçon d’un pantalon à pinces noir, d'une chemise blanche décorée par une cravate et d’un veston noir. Par contre, les gens peuvent grâce à la tenue vestimentaire se différencier des autres et même quelque fois faire apparaître leurs points de vue, comme par exemple les punks qui sont reconnaissables à leur cheveux colorés dressés sur leur tête ; eux, ils sont différents de la foule, en les voyant on sait que ce sont des anarchistes. Chacun s’habille à sa façon, à son goût comme il le souhaite et sans se soucier de l’avis des autres.
47Cette solution ne modifie rien au texte proposé mais encadre simplement l’exemple de deux marqueurs ; les élèves ont inscrit en marge de leur brouillon « rôle du contre-exemple ».
48Deuxième solution où l’insertion se fait plus bas dans le texte :
.... Les gens peuvent grâce à la tenue vestimentaire se différencier des autres et même quelque fois faire apparaître leurs points de vue, comme par exemple les punks qui sont reconnaissables à leur cheveux colorés dressés sur leur tête ; eux, ils sont différents de la foule, en les voyant on sait que ce sont des anarchistes. Par contre dans certaines pensions, filles et garçons ont une tenue vestimentaire stricte. Mais on ne peut pas juger une personne sur sa façon de s'habiller comme dit le dicton : « L'habit ne fait pas le moine ». Chacun s’habille à sa façon, à son goût comme il le souhaite et sans se soucier de l'avis des autres.
49Dans cette réécriture, l’exemple, condensé et reformulé, devient un énoncé général. Les élèves ont ajouté ensuite une nouvelle opposition « mais on ne peut pas juger.. » qui annonce la dernière phrase du texte. Les élèves ont rédigé un commentaire que voici :
[depuis le début] jusqu’à « anarchiste » on ne peut pas inclure l’exemple car dans cette partie du développement de cette dissertation, on cite des exemples qui différencient la personnalité de chacun (de la façon dont ils s’habillent). On peut insérer l'exemple, en le modifiant, [avant la dernière phrase] car c’est la conclusion de cette partie du développement.
50L’insertion en fin de texte (et le commentaire) montrent une interprétation de l’exemple identique à celle du premier groupe ci-dessus : l’exemple (même s’il n’est pas amplifié et s’il a ici un statut réfutatif explicite mais q) contrebalance l’ensemble du paragraphe. Mais, dans cette solution, la réfutation est immédiatement à son tour réfutée (p mais q mais r) de manière à ce que le texte puisse aboutir à la conclusion proposée. Cette stratégie est analogue aux stratégies dites « pas à pas » où le traitement est essentiellement local ; l’insertion ne provoque de révision macrostructurelle du texte proposé. La réécriture précédente, au contraire, à cause du point d’insertion placé plus haut dans le texte, produit une structure du type A/CA/A (p mais q mais p) où l’exemple occupe une place centrale de contre-argument, sans que l’orientation de la conclusion du texte-source soit modifiée.
51Le dernier groupe qui a travaillé sur ce texte maintient le statut d’exemple de l’énoncé proposé et l’insère à l’aide de comme au début du texte après la proposition négative « tout le monde ne doit pas ressembler à tout le monde » en modifiant très habilement l’énoncé négatif d’origine :
Texte de Virginie :
Certains disent qu’il est important de se distinguer des autres par son apparence pour afficher sa propre personnalité. C’est à dire tout le monde ne doit pas ressembler à tout le monde. Lorsque chaque personne est habillé différemment, c’est beaucoup moins triste,...
Texte réécrit :
Certains disent qu’il est important de se distinguer des autres par son apparence pour afficher sa propre personnalité. Et ne pas ressembler à tout le monde comme dans certaines pensions où chaque fille est habillée d’une jupe noire, d’un chemisier blanc, d’une veste noire, et chaque garçon d'un pantalon à pinces noir, d’une chemise blanche décorée par une cravate et d’un veston noir. En effet, quand chaque personne est habillé différemment, c’est beaucoup moins triste,...
52L'exemple, introduit par comme, trouve son correspondant en l’énoncé négatif « ne pas ressembler à tout le monde » ; il exemplifie en fait le prédicat positif présupposé, il prend donc un rôle d’exemple « négatif » sans avoir ici de rôle contre-argumentatif. L’exemple est inséré en position seconde à l’intérieur d’un énoncé piloté par un prédicat négatif (non P), il exemplifie l’affirmation P sous-jacente. Si l’on adopte la version polyphonique de la négation telle qu’elle est proposée par Ducrot et al (1980, 49 sq.) on peut dire que l’exemple réalise ici une voix énonciative rejetée par l’énonciation de non P. D’autant plus que non P est clairement sous la dépendance d’un verbe de parole « Certains disent qu’il est important de se distinguer des autres... et (de) ne pas ressembler à tout le monde ». Cette réalisation textuelle manifeste une fonction de l’exemple plus polyphonique qu'argumentative.
53Brassait (1991 b) montre, dans une analyse qui croise des phénomènes textuels de production contre-argumentative avec des phénomènes de mise en mots, que « les élèves (CE2-5°) comme les adultes préfèrent nettement la mise en mots affirmative aux formes négatives ». Une des deux hypothèses explicatives proposées en conclusion de cette étude se réfère à la version polyphonique de la négation et avance que le risque d’ambiguïté argumentative lié à l’usage d’énoncés négatifs (faire entendre deux voix distinctes et contraires) pourraient expliquer la faible fréquence des énoncés négatifs dans la production d’écrits contre-argumentatifs.
54Cela ne peut que souligner l'habileté rédactionnelle du groupe qui a produit cette réécriture. Habileté d’autant renforcée si on la compare avec le texte qui est à la source de cet outil didactique
Texte original de Virginie
Certains disent qu’il est important de se distinguer des autres par son apparence. Il est vrai car en effet chaque personne doit avoir sa propre personnalité. C’est à dire tout le monde ne doit pas ressembler à tout le monde. Comme par exemple dans certaine pension où chaque fille est habillée d’une jupe noire, d'un chemisier blanc, d’une veste noire, et chaque garçon d’un pantalon à pince noir, d’une chemise blanche décorée par une cravate et d’un veston noir. Lorsque chaque personne est habillé différemment, c’est beaucoup moins triste, beaucoup moins monotone.
55Dans le texte de Virginie, la pause syntaxique entre l’énoncé introduit par comme et le précédent qui se présente comme une phrase complète (sujet + prédicat) me paraît produire une autre interprétation. Notamment l’interprétant générique de l’énoncé « Comme par exemple dans certaines pensions... » apparaît être la proposition précédente entière, c’est-à-dire une relation sujet/prédicat, qui est de plus modalisée. Or cette modalisation négative « ne doit pas ressembler » est en contradiction avec le sens de l’exemple qui présente un cas où tout le monde se ressemble, et il faut une grande coopération du lecteur pour comprendre que l’énoncé e exemplifie le présupposé du prédicat négatif « ne pas ressembler à ». La présence de la modalité devoir, négativée, fait obstacle à la construction directe d’une référence entre l’énoncé-exemple et le présupposé du prédicat négatif. La formule trouvée par le groupe dont on analysait ci-dessus la réécriture supprime la modalité et isole la négation devant le verbe « ne pas ressembler » : cette modification très simple rend possible l’articulation entre l’exemple et son interprétant-présupposé sans aucune ambiguïté.
56Le type d’exercice qui était ici proposé, présente donc de multiples résolutions possibles : prendre l’exemple comme un prétexte soit pour écrire une réfutation qui annulerait l’ensemble du texte-source, soit pour l’insérer sous forme d’énoncé général en position de réfutation locale à l’intérieur du bloc de texte proposé. Soit le considérer comme exemple et trouver la solution du dernier groupe observé (qui peut bien évidemment recevoir bien d’autres réalisations linguistiques). L’intérêt de la démarche est de montrer aux élèves que l’énoncé désigné comme exemple dans la consigne initiale peut devenir, selon la place où on l’insère, le statut qu’on lui donne (notamment à l’aide des marqueurs) et, éventuellement, l’ampleur qu’on lui attribue, soit un exemple soit un argument dans la chaîne argumentative. De plus, cette insertion demande de contrôler des effets de sens globaux, et notamment l’orientation argumentative de l'énoncé conclusif : reste-t-il la conclusion d’un discours particulier, simple pièce d’un texte qu’il faut imaginer plus ample (notamment par la présentation d’autres discours) ou devient-il la conclusion d'un texte complet ?
B. Problèmes linguistiques de l’exemplification
57En cohérence avec l’étude menée au chapitre IV, je me suis essentiellement focalisée sur deux questions connexes : d’une part, la question des marqueurs et celle de l’interprétation générique. Comme sera au centre de cette sous-séquence, qui, cependant, est très brève. On se souvient des études des chapitres v et VI qui montraient la relative ambiguïté d’emploi de comme en tant que marqueur d’exemplification dans les textes d’élèves. Les exercices qui suivent n’ont pour objectif que d’amener les élèves à percevoir un emploi nouveau de ce marqueur par rapport au cours de grammaire qu’ils ont reçu au Collège sur le comme comparatif. Des exercices complémentaires qui n’ont pas été soumis à l’épreuve des élèves seront présentés pour compléter le dispositif.
1. Les frontières entre exemplification et paraphrase
58Le travail a commencé par une première observation sur le fonctionnement linguistique des connecteurs c’est-à-dire, comme, par exemple, à savoir. Cette question avait deux objectifs : d’une part, il s’agissait de faire découvrir aux élèves un ensemble de connecteurs proches sémantiquement que cependant on peut différencier par des sémantismes et des fonctionnements différents (cf. chapitre iv).
59L’exercice se présente comme une suite de neuf extraits de textes où le connecteur observé a été effacé : il s'agit d’un banal exercice à trous. Ce travail s’effectue par couples de connecteurs de manière à mieux focaliser les comparaisons. Je présente l’ensemble de l’exercice :
Les connecteurs
Comme / C’est-à-dire
1. Un autodidacte ----- le personnage du roman de Sartre qui s’appelle La Nausée est capable de lire tous les livres d’une bibliothèque en suivant l’ordre alphabétique des noms d’auteur.
2. Certains jeunes reprochent à l’école de ne pas leur donner suffisamment de culture scientifique et technique. Ils sont inquiets pour leur avenir et la pratique de l’informatique leur paraît un gage d’insertion sociale. Cela peut être à la source de nombreuses pratiques d’autodidaxie ----- de pratiques où l’individu se forme par lui-même, telles celles que l’on peut observer chez les jeunes de 15-16 ans.
3. Le 15 décembre 1993, la France a obtenu que les Etats-Unis reconnaissent l’exception culturelle ----- la non application des lois de la concurrence commerciale concernant exclusivement les produits culturels —-----les films, les productions TV ou la musique.
Par exemple/, à savoir
4. Qu’est-ce que la mémoire ? Comment fonctionne-t-elle ? Tous les souvenirs sont-ils de même nature ? ----- un lieu d’enfance, un parfum, un verbe irrégulier, une partie d’échecs et un pas de danse sont-ils mémorisés de la même manière ?
5. Les courts métrages et les films de Cyril Collard ----- Grand huit, Alger la blanche, Taggers, Les nuits fauves, racontent tous une rencontre brutale entre des vies et des désirs.
6. Les sept péchés capitaux ----- l’orgueil, l’avarice, la luxure, l’envie, la colère, la paresse, la gourmandise, ont été inscrits au catéchisme par le pape Grégoire le Grand (qui a, par ailleurs, donné son nom au chant « grégorien »), mais à cette époque-là, en Tan 600, la liste en était un peu différente : la paresse n’existait pas mais c’était un péché que d’être triste !
C’est-à-dire/par exemple
Voici trois extraits d’un article du Monde sur les transports urbains ; on y fait l’interview du directeur général du second groupe français de transports publics de voyageurs, groupe qui travaille généralement pour les municipalités. Le directeur s'appelle Joël Le breton.
7. « Le maire doit être au clair sur ce qu’il veut faire de sa ville, ce qui nécessite un travail de réflexion qui dépasse largement le problème des transports. -----, à Nantes, le tramway aura été l’occasion de renouveler le centre-ville.
8. « D’après nous, il ne faut pas vendre le transport en commun globalement mais se consacrer à une action spécifique, explique Joël Lebreton. -----, plutôt que de racheter des bus neufs disséminés sur l’ensemble du réseau, on va mettre tous nos efforts sur une ligne tout en allant chercher la clientèle en distribuant des bons d’essai gratuits. On renouvelle le matériel en améliorant le temps de trajet par l’installation de couloirs réservés ou la priorité aux feux ». L’expérience a démarré à Grenoble..
9. « Nous ne voulons pas de réseaux à deux vitesses dans une même ville avec d’un côté le tramway ou le métro, de l’autre le bus. -----, à Lille, il n’y en a que pour le VAL, et la fréquentation s’en ressent. Dans l’agglomération lilloise, on comptait 89 voyages par habitant et par an, en 1990, contre une moyenne nationale de 98, et une moyenne de 122 pour les agglomérations de plus de 250000 habitants, poursuit J. Lebreton en égratignant au passage la concurrence.
60Je me propose d’abord de montrer aux élèves la distinction entre la paraphrase lexicale (c’est-à-dire) et l’exemplification (comme) en utilisant l’opposition suivante : dans l’explication de mots (a càd b) a et b désignent les sens différents d’une même notion, alors que dans l’extraction (un a comme b), a et b désignent une seule et même chose vue sous deux angles différents. D'un côté ce dont on parle, c’est le sens des mots, de l’autre, ce qui est en cause, c’est une même chose désignée par deux mots. Cette transposition didactique de mes études sur comme peut paraître obscure, mais (curieusement) il a été assez vite évident pour les élèves que c’est-à-dire permettait de donner une explication de mot alors que comme a été perçu comme présentant une « partie » de l’objet, une « filiale » (comme dira une élève), de l’élément qui se trouve à sa gauche. Dans a comme b, b fait partie de a, alors que dans a c'est-à-dire b, b est un autre sens de a.
61La deuxième partie de l’exercice consiste à différencier l’exemple comme ouverture d’une liste potentielle de cas spécifiques (par exemple) de l’énumération exhaustive des éléments d’une liste fermée (à savoir). Dans les deux cas, cependant, on a une expression générique ou généralisante et une liste de termes. Dans le premier, on peut ajouter etc., au contraire du second (etc. joue le rôle d’une clôture formelle tout en produisant une ouverture sémantique).
62L’énoncé 5 parlant de Cyril Collard partage les réponses : une majorité avait choisi à savoir, une minorité avait choisi par exemple ; ils argumentent en disant que C. Collard aurait pu faire d’autres films qui parlent d’autre chose que de la vie et du désir et qu’ils ne connaîtraient pas. Cette verbalisation montre en tout cas que les sémantismes d’ouverture vs d’exhaustivité sont tout à fait perçus.
63Cette discussion fait suite à des observations quasiment unanimes sur l’opposition entre à savoir - liste fermée (ex. 6 : les sept pêchés capitaux) et par exemple - liste ouverte (ex. 4 : les souvenirs). Finalement, je souligne le fait que le choix du connecteur ne tient pas à la réalité des choses mais au choix du rédacteur, en fonction de ses connaissances, d’orienter le lecteur vers la signification « liste fermée » ou la signification « liste ouverte ».
64Pour en finir avec ce premier exercice, la distinction entre la paraphrase comme reprise corrective (c’est-à-dire) et l’exemplification (par exemple) reprend des observations proches du premier cas (c’est-à-dire/comme) mais dans un cadre interphrastique. On peut ainsi observer la mobilité de par exemple à l’inverse de c’est-à-dire.
65La confrontation des réponses en classe aboutit à repérer que certains énoncés (les ex. 7 et 9) ne peuvent accepter que par exemple par opposition à l’énoncé 8 qui peut accepter les deux connecteurs, où par exemple est proche de c’est-à-dire avec un sémantisme d’explication (en fait un sémantisme d’hésitation).
2. Comme extracteur
66L’exercice suivant a été construit à partir des observations faites à la fin de l’étude sur comme. L’objectif est ici de faire prendre conscience aux élèves que le GN à la droite de comme peut être très différent selon les contextes phrastiques. Il s’agit en quelque sorte de casser l’illusion naturaliste produite par les mécanismes d’inclusion référentielle de la formule un N comme N propre. L’objectif qui sous-tend cet objectif est d’amener les élèves à contrôler le type de substantif qu’ils peuvent placer à gauche de comme, à travailler donc sur les termes génériques qu’ils peuvent utiliser dans cette place. De manière éventuellement à éviter les hyperonymes trop généraux qui font de cette formule un passe-partout vague et flou.
Johnny
Consigne : Compléter les énoncés suivants
1. Un ----- comme Johnny, c’est un modèle de longévité artistique.
2. Un ----- comme Johnny, ça n’est pas un modèle à donner en exemple aux jeunes.
3. Un ----- comme Johnny, c’est le roi de la combine.
4. Un ----- comme Johnny est à surveiller de près.
5. Un ----- comme Johnny, c’est une bonne affaire pour la presse à sensation.
6. Un ----- comme Johnny, c’est la risée des rockers, il ne fait même pas de solos !
7. Un ----- comme Johnny, c’est une vraie assurance-chômage.
8. Un ----- comme Johnny, c’est l’angoisse du producteur.
9. Un ----- comme Johnny, c’est de la frime, histoire de soigner le look !.
Aide : Voici une liste dans laquelle vous pouvez choisir :
artiste | homme | |
chanteur | mari | |
coureur de jupons | motard | |
guitariste | père | |
homme à femmes | tocard | |
homme d’affaires | travailleur | |
etc. |
67L’exercice est réalisé sans difficultés et sans mise en commun collective. Sinon la valorisation de certaines réponses non présentes dans la liste comme « casse-cou, mec, frimeur, crâneur ».
68L’exercice a frappé les élèves. Certains, en aparté, en ont tiré des conclusions concernant l'apprentissage du commentaire composé qui était juste en train de débuter à cette époque. Ce fut par exemple la question de Nicolas posée au professeur de la classe : « est-ce que je peux utiliser comme dans le commentaire composé pour éviter la paraphrase ? ». Si la réponse ne saurait être simplement une confirmation, la question révèle, il me semble, une certaine perception de la fonction d’outil de généralisation de comme.
69L’exercice suivant est de même facture que le précédent mais convoque davantage les connaissances du monde. Les problèmes posés par les énoncés excèdent le fonctionnement linguistique, voire peut-être l’exemplification et se focalisent plutôt sur la construction d'objets de discours. Le contexte postérieur induit le choix d’un générique plutôt que d’un autre par construction d’une isotopie sémantico-référentielle12. Il s’agit donc d’observer les phénomènes de congruence entre l’exemple et l'objet de discours. Il ne s’agit guère ici de phénomènes lexicaux ; vu du côté des élèves, les problèmes de disponibilité lexicale ne sont pas ici concernés, mais bien plus si l’on veut l’aspect « documentaire » ou la dominante cognitive de l’exemplification.
Johnny, Eddy et les autres
Consigne : Compléter les énoncés suivants ; vous pouvez sélectionner l’expression que vous jugez la plus satisfaisante dans les propositions qui vous sont faites.
1/ ------ comme Johnny ne monte pas seulement sur scène pour jouer de la musique mais pour réaliser un spectacle total.
a : un chanteur, une bête de scène
2/ ------ comme le Johnny des années 60 a réussi à se maintenir parce qu’il s’est métamorphosé.
b : une idole yéyé, un yéyé de la première heure
3/ ------ comme Eddy Mitchell non seulement décide des arrangements musicaux, des enchaînements pour ses spectacles, mais aussi chouchoute toute sa troupe !
c : un patron, un rocker
4/ ------ comme Eddy Mitchell ne se prosterne pas pour autant devant la culture américaine. « J’ai horreur du Coca Cola et Mickey m’emmerde » a-t-il déclaré à Télérama.
d : un amateur de séries B, un cinéphile
5/ ------ comme Eddy Mitchell n’a pas besoin de savoir la musique, il suffit qu'il ait de l’oreille.
e : un musicien, un crooner, un chanteur
6/ ------ comme le rap est historiquement et par essence le témoignage d’un engagement contre le malaise des cités.
f : un phénomène social, un mouvement musical
7/ ------ comme Claude Sicre, membre des Fabulous Trobadors, s’inspire des joutes poétiques des troubadours occitans pour composer les chansons de son groupe.
g : un théoricien du rap, un universitaire autodidacte
8/ ------ comme le pantalon à pattes d’eph, à la mode aujourd'hui, était déjà prisé par les élégants des années 1870.
h : un vêtement, une antiquité, un revenant
9/Le pantalon est le fruit d’— comme celui qui opposa en 1789 les aristocrates (qui portaient des culottes) et les « sans culottes » (qui portaient des pantalons)
i : un combat révolutionnaire, un débat idéologique
10/ ------ comme le complet-veston était profondément méprisé au début du siècle par les riches qui pouvaient se payer un tailleur.
j : un produit de la confection de masse, un uniforme bureaucratique et petit-bourgeois, un modèle du bon ton d'aujourd’hui13.
70Le cadre syntaxique de cet exercice utilise deux formules prototypiques un N comme N propre et un N comme le N. Les premiers énoncés sont relativement simples et ressemblent tout à fait aux énoncés de l’exercice précédent. Le choix est relativement ouvert et il n’y a guère d’inconvénient à choisir un terme plutôt que l’autre, même si des phénomènes d’isotopies font préférer « bête de scène » à « chanteur » (1) ou « patron » à « rocker » (3 ; à cause notamment du verbe « décider » et de l’expression « sa troupe »).
71Mais à partir de l’énoncé 4, ça se complique : « un cinéphile » serait en contradiction argumentative avec le « pour autant » qui suit. D'autre part, pour qui sait, il y a une relation de filiation entre la culture américaine et les séries B, alors que la cinéphilie est davantage cosmopolite ! De même, dans l'énoncé 6, l’expression « malaise des cités » impose rétroactivement le choix de « phénomène social », de même « un revenant » (dans 8) annonce, prépare le prédicat « déjà prisé dans les années 1870 ». Quant à 9, le choix entre « combat révolutionnaire » et « débat idéologique » convoque des valeurs historiques et politiques, voire des connaissances anthropologiques sur les significations historiques de phénomènes aussi futiles que l’évolution de la mode ! Dans 10 pour finir, le choix de « modèle du bon ton d’aujourd'hui » est imposé par l’opposition à la fois temporelle (aujourd’hui/début du siècle) et sociale (modèle du bon ton/profondément méprisé).
72Cela dit, il est fort probable que ces contraintes sémantico-référentielles changent dans un contexte plus large, à cause notamment de problèmes de thématisation et selon le point de vue sous lequel on considère l’objet. Le danger de travailler sur ces énoncés brefs est de laisser croire à la nécessaire cohérence isotopique. L’apport d’informations nouvelles peut au contraire jouer de ruptures isotopiques à l'intérieur d’un énoncé.
73Un dernier exercice sur la recherche de génériques à partir de comme + GN permet de revenir vers l’écriture dissertative et des problèmes fréquents dans l’écriture des élèves. Comment généraliser un exemple personnel ? Comme semble un outil, non pas pour éviter la paraphrase comme disait Nicolas, mais pour généraliser facilement un énoncé qui risque de paraître trop spécifique, voire non généralisable.
Moi, mon frère... et moi, ma sœur...
Consigne : Les énoncés suivants sont spécifiques. A quelles conditions peut-on leur donner une signification générique ou générale ?
1. Mon frère s’entraîne comme un fou pour être le plus fort en sport. Il veut toujours vaincre les autres.
2. Ma sœur a tout sacrifié à ses études : maintenant qu’elle est kiné, elle me pousse à faire de même.
3. Ma mère a supprimé à la maison tous les jeux vidéo un peu violents.
4. Certains de mes copains se sont fait insulter, bousculer et même gifler à la sortie du lycée parce qu’ils étaient habillés tout en noir avec des cheveux hirsutes et des Rangers noirs.
Aide :
A. Un ------ comme mon frère s’entraîne comme un fou...
Des ------ comme mon frère s’entraînent comme des fous...
Mon frère, en tant que. ------, s’entraîne comme un fou
B. Une ------ comme ma sœur...
etc.
Précisez quels pourraient être les « arguments » que ces énoncés pourraient appuyer ou illustrer. Vous rédigerez le tout en un petit texte cohérent.
74La proposition d’aide, ainsi que le travail antérieur sur comme sont ici déterminants car l’exercice me paraît très difficile à faire hors de ce contexte. Il s’agit en fait de montrer un des usages possibles de comme pour traiter un objet de discours sous l’angle simultané d’une référence spécifique et d’une référence générique.
75Cependant, ces exercices supposent de construire certains savoirs sur l’interprétation générique et l’interprétation spécifique. Ce sera l’objet de la section suivante.
3. L’interprétation générique
76Deux exercices ont été élaborés dont le premier a été présenté aux élèves de cette classe par le professeur de la classe. Les observations que je rapporterai sont donc la reformulation de ce qu’il m’a succinctement rapporté.
77Le premier de ces exercices essaie de poser le problème de l'interprétation générique ou spécifique et de donner quelques outils (tests) pour aider les élèves à faire le partage et à se représenter la nature du problème. Il a été élaboré en empruntant abondamment aux exemples canoniques qui jalonnent les analyses théoriques sur la généricité évoquées dans le chapitre IV à propos de comme. Il consiste simplement à décider si tel énoncé peut accepter une interprétation générique ou spécifique.
Générique 1
Consigne : Classer les phrases suivantes selon qu’elles expriment une idée spécifique (le nom concerne un individu particulier) ou une idée générique (le nom renvoie à un ensemble ou à une classe)
La baleine est un mammifère.
Les castors construisent des barrages.
Un chien aboie, un chat miaule.
Un lynx, ça a une vue perçante.
Le chat, c’est affectueux.
Il y a un lapin qui ne mange plus.
Les lapins se reproduisent rapidement.
Il y a les jouets qui traînent et les plantes qui se dessèchent.
Il y a le lit qu'il faut déplacer.
Il y a la casserole qui fuit.
Il aime les pandas.
Elle aime le gigot.
Ils élèvent un chinchilla.
Cette année-là, un écureuil nichait dans la haie du jardin.
Mon chat est horrible.
Ce platane est déplumé.
Cette année, le muguet sera rare mais beau.
Le chat des voisins est albinos.
Les souris que tu as achetées sont adorables.
En 1969, l’homme a marché sur la lune.
En 1969, un homme a marché sur la lune.
Un homme descendit de la Torpédo.
Les hommes l’ont toujours fait beaucoup souffrir.
78On retrouve dans cette liste la succession des problèmes abordés par les études des linguistes sur la généricité : les tests de l’énoncé clivé avec c’est (énoncés 4, 5) ou de la transformation par il y a (énoncés 6, 8, 9, 10) qui permettent de préciser respectivement l’interprétation générique ou l'interprétation spécifique, la position objet du GN étudié (énoncés 11, 12, 13) qui impose à un N (à la différence de le N) l’interprétation spécifique, de même que l’association de prédicats événementiels et de temps du passé (énoncés 14. 21, 22) ; pour finir, l’emploi des déterminants et des adjoints nominaux (énoncés 15, 16, 18, 19) qui empêche l'interprétation générique. S’y trouvent même les énoncés 17 et 23 où un seul GN est interprété génériquement.
79D’après donc la relation de ce travail qui m’a été faite par le professeur de la classe, il est apparu que deux éléments au moins rendaient cette tâche de classement très difficile pour les élèves. D’une part, est apparu un conflit entre la tâche d’interprétation en termes de générique/spécifique et des savoirs conceptuels grammaticaux à propos des déterminants. Ainsi, la dénomination du déterminant le comme « article défini » a entraîné par contamination parasynonymique (« défini = déterminé, précis ») l’identification des syntagmes en le + N comme spécifiques, alors que la dénomination de un comme article indéfini provoquait l’identification de un + N comme générique.
80Par ailleurs, il y a eu confusion entre l'interprétation du GN en termes de référence (le GN désigne-t-il ou non l’ensemble des N ?) et la valeur de vérité de l’énoncé. Ainsi, l’énoncé 1 a été interprété comme spécifique en alléguant que tous les animaux ne sont pas des mammifères, de même l’énoncé 5, au nom du fait « moi, je n’aime pas les chats ». La confusion provient dans le premier cas vraisemblablement d'une focalisation sur le prédicat plus que sur le sujet (c’est comme si au lieu de chercher à comprendre si toutes les baleines sont des mammifères, on cherchait à vérifier si tous les animaux sont des mammifères) ; dans le second cas, les choses sont beaucoup plus claires : l’énoncé est dit spécifique parce qu’il n’est pas vrai pour tout le monde (puisque moi, je constitue une exception à cette règle).
81Il se peut (et c’est même fort probable) que ces confusions soient induites par la consigne de l'exercice qui parle d’« idée générale vs idée particulière ». Il faudrait vraisemblablement proposer quelque chose du genre : comment interpréter les GN ? est-ce que dans ces énoncés, les GN renvoient à l'ensemble des N, considéré comme une classe, ou à un exemplaire particulier de cette classe ?
82Cela dit, les réactions des élèves, ici rapportées très succinctement, montrent l'intérêt que constituerait l’étude de cette question dans un programme d’analyses de la langue pour les classes de seconde et de première où il s’agirait d'aborder des faits linguistiques qui complexifient le programme de grammaire tel qu’il est vu au collège ou modifient le regard des élèves sur les faits de langue. Ainsi, la classification des déterminants semble constituer un obstacle à l’analyse de la généricité ; de même on peut supposer que la modification de l’interprétation générique/spécifique en fonction des contextes, ce que travaillera l’exercice suivant, est difficile à imaginer pour des élèves qui interprètent les énoncés avec une telle rigidité (un signe = un sens).
83Par ailleurs, un jugement linguistique qui ne s’appuie que sur des valeurs de vérité aussi partielles que celles que j’évoquais plus haut (« c’est vrai/faux pour moi ») pose problème. Il serait important, me semble-t-il, de travailler le rapport à la langue et au langage que cela suppose. Et il n’est pas impossible que le fait de travailler la variabilité du sens des énoncés en contexte soit une façon plus efficace (en tout cas moins frontale) de traiter ce problème que de l’aborder à propos des opinions.
Générique 2
Voici quelques phrases qui peuvent recevoir l’interprétation générique ou spécifique. Trouvez-leur un contexte qui supprime l’hésitation et précise le type d’interprétation qu’il faut produire.
Exemple : Les chats sont affectueux.
Contexte à interprétation spécifique :
Mon fils passe de bonnes vacances chez sa grand-mère. La nourriture est bonne et les chats sont affectueux.
Contexte à interprétation générique :
Pour meubler ta solitude, tu devrais prendre un chat, les chats sont affectueux.
Phrases à contextualiser :
Le chat est paresseux.
Les oiseaux chantent.
Les enfants sont menteurs.
Un concierge surveille les portes.
Un boulanger n’a pas de weekend.
Le chêne est un grand arbre.
84Cet exercice permet d’affiner et de prolonger le précédent en dénaturalisant l’interprétation : elle ne tient pas forcément à l’énoncé, ni aux « choses » mais au rapport que l’énoncé entretient avec le contexte. On aura reconnu dans l’exemple de démonstration ainsi que dans certains de ceux qui suivent des énoncés analysés par M. Galmiche (1985, 24).
85La modification d’interprétation des énoncés en le N ne pose guère de problème ; c’est plus délicat avec les énoncés en un N. Il faut par exemple imaginer des contextes comme :
Un boulanger n’a pas de week-end ; il s’agit de M. X ; mais les autres peuvent partir à la mer sans problèmes.
Si on le compare avec les autres commerçants, un boulanger n'a pas de week-end
86L’interprétation spécifique vient de la comparaison entre un N et les autres N ; l'interprétation générique de la comparaison entre un N, et les autres N0, N0 étant un hyperonyme de N1.
87Partant de ces observations, un troisième exercice peut être proposé, davantage ludique et créatif mais tout aussi rigoureux au niveau linguistique :
Générique 3
Les énoncés qui suivent sont obligatoirement génériques, quelque soit le contexte. Cependant on peut imaginer des mondes fictifs où ils prendraient un sens spécifique. Décrivez succinctement ces mondes.
Pour vous aider à produire l'interprétation en termes de vérité particulière, non générale, insérez « généralement » ou transformez la phrase avec « il y a ».
Le canari est un oiseau.
Un homme a des poumons.
Les horloges mesurent le temps.
Les avions volent en s’élevant dans l’atmosphère.
Les hommes sont mortels
La vie a besoin d'eau
88Il s’agit ici d’énoncés obligatoirement génériques en vertu de contraintes sémantiques et non plus pragmatiques (ils sont toujours issus, pour certains, de Galmiche 1985, 24). La fiction, et notamment la science-fiction, peut néanmoins inventer des mondes où ces énoncés génériques deviennent des spécifiques. Un monde où par exemple certains hommes aient des poumons, d’autres n'en aient pas, ou aient des branchies..., certains hommes soient mortels, d'autres immortels, etc. Un monde où les canaris sont généralement des oiseaux mais peuvent être des poissons ou des stylos-plume ou des idées généreuses, etc. Le travail sur la généricité s’éloigne ainsi curieusement de l’écriture dissertative où ce genre de jeu n’est guère attendu. Mais on a vu que l’emploi de comme exemplifiant donne sens à cette question dans le cadre de la dissertation.
Conclusion : séquence ou cycle didactique ?
89En conclusion de ce chapitre, il faut faire quelques remarques générales sur ce qu’on peut appeler une séquence didactique. Le terme est à la mode, surtout depuis qu’il apparaît comme cadre de référence pour certaines épreuves des concours internes de recrutement (cf. Denizot, 1994). Si notre projet, très restreint, d’intervention dans une classe a été contraint de se cantonner à des activités de production écrite et d’observation linguistique, il a tenté de ne pas exclure les activités de lecture, même si elles ont occupé une place seconde, mises au service de la production écrite. Il est en effet difficile, si l’on quitte le domaine de l'étude littéraire, de ne pas lier lecture et écriture. Les compétences visées ici font interagir les deux activités et dans le quotidien de la classe, il est bien difficile de traiter l’un séparément de l’autre. Je dirais de plus qu’en ce qui concerne la production dissertative une telle séparation serait contre-nature : sinon, comment faire comprendre aux apprentis-scripteurs qu’on n’écrit rien de « personnel » que par appui sur l’écriture d’autrui ? Comment amener à prendre des distances vis à vis de la croyance en l'écriture comme expression sincère de ce qu’on pense, si on n’impose pas que chacun mêle son discours à d’autres discours ? Comment des adolescents peuvent-ils avoir accès à ces discours autrement que par les textes à lire qu’on prépare pour eux ou qu’ils se procurent pour réaliser la tâche prescrite ?
90L’autre remarque tient à la signification possiblement programmatique de la notion de séquence. Une séquence didactique consacrée à la lecture-écriture peut difficilement être organisée linéairement : si les processus en jeu dans la production de textes ont la récursivité et l’interactivité que montre le schéma célèbre d’Hayes et Flower (et surtout sa deuxième version, présentée dans Brassart 1991c, 109), il serait didactiquement prétentieux de prétendre qu’il vaut mieux commencer ainsi et terminer ainsi un apprentissage quelconque concernant la production écrite. Ainsi, dans la séquence présentée ici, les activités linguistiques n’ont été placées ni au début (en position de prérequis) ni à la fin (en position d’application) mais n’importe quand, à vrai dire quand il restait un petit moment à la fin d'une heure, entre deux activités plus prenantes, etc. L’important était que les élèves fassent le lien entre une observation sur les connecteurs et un problème d’écriture, et non que ce lien soit fait pour eux.
91La seule progression possible est celle qui organise les apprentissages textuels en distinguant la construction de savoirs et de savoir-faire portant sur les structures textuelles globales et ceux qui portent sur des phénomènes locaux. Ainsi, il était impensable de mener cette séquence sur l’exemplification dans la dissertation avant que ne débute l’apprentissage de la dissertation, avant que ne commence à être construit un modèle de texte dissertatif et que ne soient, ne serait-ce qu’un peu, explicitées certaines notions d’argumentation.
92Ainsi, le terme de cycle didactique (Brassart, Delcambre 1988, 65) est vraisemblablement plus intéressant que celui de séquence : « Favoriser, provoquer, au sein d’un cycle didactique, les convergences entre les diverses tâches, entre les diverses situations-problèmes didactiquement contrôlées, nous paraît également plus conforme aux processus « naturels » d’apprentissage des enfants ou des adolescents, processus qu’il s’agit plus d'activer, d’alimenter et de développer dans un projet d’apprentissage explicité, que de construire à partir de (presque) rien ».
Notes de bas de page
1 Un grand merci à Bertrand Daunay qui m’a accueillie dans sa classe et a permis ce travail avec ses élèves.
2 Le principe de l’exercice alpha-oméga est issu des travaux de D.G. Brassart (par exemple, 1987, 1988 a). Il souligne le rôle de « facilitation procédurale » d'une consigne d’écriture qui oriente vers un but et contraint à avoir une planification globale de l'écriture. L'imposition d’un démarrage permet de « baliser quasi intégralement le parcours de l’écriture ».
3 Cf. la définition de ces notions au chapitre I p. 32. Ce critère de repérage n’est valable ici que parce que les textes choisis ne sont pas des plaidoyers globalement orientés pour ou contre les jeux vidéo, mais une mosaïque de points de vue organisée comme un collage. On ne saurait pas clairement dire quelle est la position de chaque interviewé. Si on fait le total, plutôt pour, vraisemblablement ? Ce sont des textes en définitive très proches de certains textes scolaires en pour/contre, sauf que les points de vue sont ici mélangés et non bien rangés en deux tas antagonistes !
4 Ils sont malheureusement de très mauvaise qualité, les six groupes travaillant ensemble dans la même salle ; l’exploitation extensive des six enregistrements serait donc délicate. Je me suis contentée de sélectionner les passages relativement audibles. J’ai choisi d’observer surtout le début du travail, au cours de la première demi-heure environ.
5 Le travail du groupe 6 a fait l’objet d’une analyse détaillée dans Delcambre (à paraître).
6 Réussite relative, on reviendra plus loin sur un des problèmes du texte produit par le groupe 4.
7 Dans la discussion, l’exemple extrait du texte Flore est attribué à Julien.
8 Il faut comprendre « on les élimine » comme « on les annule », en référence au schéma polémique.
9 On remarquera aussi la disproportion de la gestion des exemples dans leur texte : cinq exemples dans la première partie, aucun dans la suite. Elles ont considéré qu'elles avaient accompli la consigne et que cela suffisait. La question de savoir si un exemple pourrait être pertinent pour illustrer ou appuyer la réfutation ne s’est pas posée. Je vois également dans cette décision expéditive l'indication d'une surcharge de travail.
10 Brassart (ibid.) propose, à la suite de Scardamalia M., Bereiter C. (1986), de distinguer le retraitement (processus on line) de la révision (processus off line).
11 J’ai présenté dans Delcambre (1994 b) la même démarche sur un autre texte, celui de Christophe, analysé au chapitre v, p. 142.
12 Il serait souhaitable d’élaborer également des exercices semblables portant sur des contextes antérieurs.
13 Les « réponses » c’est-à-dire les choix opérés par les rédacteurs des textes dont j’ai extrait ces énoncés, sont les suivantes : 1/une bête de scène 2/un yéyé de la première heure 3/un patron 4/un amateur de séries B 5/un crooner 6/un phénomène social 7/un théoricien du rap 8/un revenant 9/un combat révolutionnaire 10/un modèle du bon ton d’aujourd’hui.
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