Chapitre V. Premières analyses des procédés d’exemplification dans les textes d’élèves
p. 123-162
Texte intégral
1On trouvera ci-après quelques analyses faites sur un corpus de dissertations que j’ai recueilli lorsque j’étais professeur de lycée. Je n’ai retenu qu’un paquet de copies qui m’a servi de premier objet de travail et où l’on verra se constituer des démarches et des outils d’analyse qui seront réutilisés dans les chapitres vi et viii.
2Par ailleurs, le fait que je reprenne ces copies plusieurs années après le moment de leur production présente l’intérêt de pouvoir dissocier deux regards, deux comportements tout à fait opposés : celui du professeur-correcteur et celui du professeur-lecteur. Cette dissociation est passionnante pour l’acteur lui-même qui a été correcteur et qui « se relit » quelque temps après et découvre qu’un autre regard est possible et qu’il modifie ou invalide parfois le premier1. A tout le moins, il permet de comprendre que le premier jugement incluait peut-être des critères autres que strictement textuels. Il ne sera fait que très incidemment état de ces questions, l’évaluation étant hors de mon champ d’étude. Mais il sera intéressant d’utiliser comme étalon, une fois ou l’autre, la note qu’en « situation réelle » telle copie avait reçue.
3Dans un premier temps, la lecture de ces textes sera essentiellement focalisée sur les phénomènes de planification globale rencontrés lors de la mise en œuvre du schéma polémique. L’analyse donnera une vision globale des stratégies de traitement que ces élèves ont pu mettre en œuvre à partir de ce qu’ils avaient compris du schéma polémique. Ainsi on examinera comment, à partir de la question du sujet, ils démarrent leurs textes. De même, on donnera un rapide aperçu des formes que prend, dans ce corpus, la résolution de l’opposition entre les deux positions initiales.
4Ensuite, l’analyse portera sur les procédures d’exemplification repérables dans ces vingt-sept textes. Après une rapide étude quantitative où sera posée la question des rapports entre longueur de texte, nombre d’exemples et évaluation (c’est là que sera utilisée la notation dont il était question plus haut), on observera les relations entre l’exemplification et les compétences rédactionnelles, ce qui permettra d’isoler un certain nombre de niveaux d’analyse selon la nature de ces relations.
5Pour terminer, on évoquera les difficultés linguistiques rencontrées par les élèves dans les zones d’exemplification. On y verra la langue en train de s’écrire, avec toutes les hésitations, les chevauchements, les ruptures, propres aux apprentis scripteurs que sont les élèves de seconde. C’est à partir de telles observations que s’est construite l’idée que l’exemple devait être pour eux un nœud de problèmes et que cela pouvait être intéressant d’essayer de clarifier cette question.
A. Une classe de seconde bien ordinaire
1. Les élèves
6La classe de seconde dont on va observer les productions était une classe tout à fait ordinaire d’un grand lycée d’enseignement général et technologique de la banlieue lilloise, banlieue relativement hétérogène sur le plan social.
7Cette classe de 34 élèves comportait un peu plus de filles que de garçons (16 filles pour 11 garçons2), mais surtout un nombre plus important d’élèves en retard (13 avaient un an de retard, 3 deux ans) que d’élèves « à l’heure » (11 seulement n’avaient jamais redoublé dans leur scolarité - 7 filles et 4 garçons). L’écart des âges en ce mois de Mars 1990 allait de 15 ans et demi à dix-huit ans. Filles et garçons se partageaient équitablement la distribution selon les critères de retard scolaire (7 filles/6 garçons en retard d’un an ; 2 filles/1 garçon en retard de deux ans).
8Donc une présomption de classe moyenne, pas particulièrement brillante. Parmi les seize élèves en retard, cinq redoublaient la classe de seconde. Pour trois d’entre eux, ce redoublement était le premier accroc scolaire : le passage au lycée ne s’était pas fait facilement.
9L’orientation proposée en fin d’année par le conseil de classe a confirmé cette présomption : 6 élèves ont été proposés pour le redoublement, les autres étant orientés en 1°S (6 élèves), en 1°B (9 élèves) et en 1°G (6 élèves). Il faut remarquer que parmi les six nouveaux doublants, cinq n’avaient jamais redoublé au cours de leur scolarité : de nouveau on peut voir dans ce phénomène une forme de résistance de l’institution Lycée à ces « nouveaux élèves de 2° » poussés vers un baccalauréat général par l’objectif national « 80 % d’une classe d’âge au niveau du Bac » mais peu adaptés aux exigences culturelles de ce niveau d’enseignement et pour lesquels l’institution scolaire n’était guère prête, en cette année 89-90, à promouvoir de nouvelles formes d’apprentissage.
10Pour ce qui est des milieux socio-culturels d’origine, je me contenterai de signaler qu’on trouve dans cette classe seulement deux pères ingénieurs, un comptable, un professeur, un entrepreneur dans le bâtiment, un artisan décorateur et un menuisier ébéniste, un commerçant ; et des ouvriers du bâtiment ou de la métallurgie (tourneur), des agents edf, sncf, des employés de banque, et pour finir un programmeur informatique, un moniteur d’auto-école, un enquêteur de police, un instituteur, un aide-soignant. Chez les mères, se trouvent une comptable, un professeur, une commerçante, une technicienne de publicité, deux secrétaires, cinq femmes d’entretien ou gardienne d’enfants, une piqueuse en confection et une lingère-couturière, cinq sont à la maison. La seule fille d’origine maghrébine vivait dans une famille de quatorze enfants (père ouvrier, mère gardienne d’enfants) ; sept élèves vivaient dans des familles monoparentales (divorce ou parent décédé) et les fratries se répartissaient comme suit : cinq enfants uniques, onze familles de deux enfants, huit de trois, deux de quatre et cinq. Bref une classe très ordinaire.
11Mais tout ceci n’est qu’indicatif. D’une part, l’enquête sur les professions des parents n’a pas été systématique et certains élèves ont évité de donner les précisions attendues. D’autre part, il n’est pas dans mon intention de procéder à une étude qui mettrait en relation les compétences linguistico-scripturales de ces élèves avec leur origine socio-culturelle. Ces quelques indications n’ont pour objectif que de donner un aperçu sommaire des élèves dont on va évaluer les compétences ci-après.
2. La tâche d’écriture
12Le corpus qui donne lieu aux observations de ce chapitre est constitué des devoirs écrits produits par 27 des 34 élèves de cette classe présents à un devoir sur table réalisé en mars de cette année-là. Ce devoir se situait vers la fin d’une séquence d’apprentissage du texte dissertatif que je ne détaillerai pas ici3. L’organisation de cette séquence repose sur l’hypothèse qu’un travail sur le texte dissertatif peut être facilité par un apprentissage préalable du texte argumentatif4.
13Une des questions qui se posent en effet, selon moi, dans l’enseignement/apprentissage de la dissertation en seconde, est de savoir comment construire pour les élèves une représentation de l’objet à produire, sans passer par l’imposition de normes. L’hypothèse que j’ai suivie alors est que le fonctionnement du texte argumentatif, si on n’entre pas dans des analyses trop détaillées, était moins éloigné pour les élèves de certaines pratiques langagières que la dissertation, qu’un des objectifs que l’on pouvait poursuivre avec des élèves était donc de consolider la représentation du texte argumentatif afin de pouvoir s’en servir par un jeu de ressemblances/dissemblances dans l’appropriation des mécanismes dissertatifs. Ainsi, le cycle didactique s’est achevé par un bilan des apprentissages qui a consisté à demander aux élèves de faire la différence entre un texte argumentatif et une dissertation, en opérant un retour sur une des premières productions argumentatives de la séquence qu’il s’est agi alors d’analyser pour repérer quelles étaient les modifications à opérer pour la transformer en dissertation.
14Il s’agissait d’amener les élèves à un travail méta-textuel et méta-discursif consistant à prendre conscience des structures textuelles et des intentions discursives différentes, tout en repérant des éléments de textualité communs et sous-jacents à des écrits apparemment fort dissemblables.
15La production écrite dont il s’agit s’est faite en classe sous forme de devoir surveillé, en deux heures, sans préparation ni discussion collective préalable. Au vu des ratures sur les copies et des quelques brouillons que j’ai pu récupérer, on peut dire que l’implication personnelle des élèves dans cette tâche a été bonne.
16Les élèves disposaient d’un texte-support « Vêtements d’un jour » de F. Gaussen (Annabac 90, p. 48, Hatier 1989) dont ils devaient d’abord faire le plan, en prenant en compte tant l’organisation textuelle que les éléments de contenu : le plan était conçu comme une forme de résumé moins coûteux en temps que le résumé traditionnellement attendu dans l’épreuve 1 du baccalauréat (il s’agit de l’ancienne épreuve 1), notamment parce que la reformulation linguistique n’était pas demandée. L’énoncé du sujet de discussion était le suivant :
« La vie est un carnaval » dit F. Gaussen à propos des habitudes vestimentaires des Français. Pensez-vous qu’actuellement, il est important de se distinguer des autres par son apparence ?
3. Les dissertations : considérations générales
17Je commencerai par donner quelques indications sur des caractéristiques générales des textes (leur longueur, le traitement de la consigne d’écriture qu’ils effectuent) avant d’aborder plus précisément la façon dont les élèves utilisent le schéma polémique pour répondre à la question posée dans le sujet.
a. Longueur
18En termes de longueur, les textes vont du simple au double : trois textes d’environ 3000 mots, trois textes d’environ 6000 mots ; la plupart produisant des textes de 3500 à 4500 mots.
19Ce comptage n’est guère intéressant en soi sauf en ce que cela révèle de la disparité des productions dans une même classe. En soi, la longueur d’un texte d’apprenant n’est indicateur peut-être que du degré de familiarité du scripteur avec l’écrit5, en aucun cas de son degré d’expertise (ainsi, un des trois textes très longs pose de très nombreux problèmes). Un grand scripteur n’est pas forcément un bon producteur de textes6.
20A l’inverse, dans cet échantillon, il semble qu’il y ait une relative relation entre la brièveté du texte et certaines difficultés d’écriture : les trois textes très courts ne sont pas parmi les mieux construits ni parmi les plus faciles à lire.
21On est peut-être là devant un phénomène équivalent à celui que l’on connaît bien dans l’apprentissage de la lecture : un lecteur non débutant en difficulté présente des stratégies et des problèmes de lecture proches de celle d’un simple débutant. Parmi ces élèves de seconde, ceux qui écrivent le moins longuement, comme le feraient des élèves plus jeunes, sont également ceux qui maîtrisent moins bien les processus de la production écrite. L’inverse, je le répète, n’étant pas vrai.
b. Redéfinition thématique du sujet
22Parmi les difficultés générales que ces textes révèlent, une première concerne la redéfinition du thème proposé par le sujet qui peut aboutir à ce qu’on appelle communément dans l’institution scolaire un « hors-sujet »7. Cette redéfinition peut bloquer la mobilisation d’un schéma dissertatif de type polémique ou au contraire consister en un déplacement de la question du sujet qui peut être très productif.
23En ce qui concerne le premier cas, « se distinguer par son apparence » devient chez cinq élèves « être distingué » par opposition à « être négligé, sale ». Ce glissement de sens est perceptible notamment à partir des exemples (cf. ci-dessous, pp. 139-140). Il peut s’expliquer par l’équivalence en langue entre la forme passive et la forme pronominale, du type « L’eau s’infiltre/est infiltrée » ou « Il s’entête/est entêté », etc. La différence sémantique, entre forme pronominale non accomplie et forme passive accomplie8, produit des différences sensibles dans les textes des élèves notamment en ce que le choix de l’accompli « être distingué » empêche l’élève de concevoir que l’on puisse se distinguer par une tenue extravagante, non distinguée, et simplifie singulièrement le registre des exemples et des argumentations qu’il peut convoquer. Notamment, la discussion ou l’examen polémique n’a alors plus lieu d’être : si « il est important de se distinguer » et que « être distingué » (X) est une valeur marquée positivement (P++), le sujet est réduit à une tautologie : « X (marqué P++) est important » ; comment discuter une telle évidence ? Et de fait, la seconde position ne peut alors que développer une position contraire Y/N-- : « il est inconcevable, incompréhensible d’être en haillons ou grunge », ce qui revient au même. Corinne9 développe un tel raisonnement :
partie : il est obligatoire d’être bien mis ;
partie : ça devrait être interdit d’être en haillons ;
partie : retour à la 1°.
24Les première et deuxième parties sont de parfaits équivalents : P est obligatoire, non P est interdit. Ce texte illustre parfaitement la tautologie signalée plus haut.
25Une autre stratégie de redéfinition thématique, qui concerne ici trois élèves, consiste à sélectionner un sous thème (« l’habit, s’habiller ») en fonction duquel va être produit l’essentiel de la réflexion. Le problème consiste, vu la restriction thématique opérée, à ne pas pouvoir généraliser à d’autres comportements sociaux ce qui est dit de l’apparence vestimentaire. Voici comment dans le texte de Florence débute la troisième partie : « Si ce n’est par l’habillement, quels autres moyens avons-nous [de nous différencier des autres] ? Aucun, si ce n’est par la coiffure, mais c’est très réduit.. ». Effectivement !
26Quant au deuxième type de redéfinition thématique, plus productif, il est peu fréquent (deux élèves seulement, et parmi ceux qui écrivent les textes très courts10). David pose en introduction la question « pourquoi s’habille-t-on ? » qui va l’engager dans une recherche des causes ou des significations de ce comportement. Le texte de Jacky, assez proche, pose une question en termes d’effet : « à quoi ça sert, de se distinguer des autres ? quelles conséquences sur notre vie ? », questions qui élargissent la question du sujet en faisant apparaître « l’espace de questionnement » constitutif de la dissertation polémique (cf. chap. i, p. 41).
27Ces reformulations du sujet ne mettent pas en danger la mise en œuvre d’un plan polémique : ainsi le second réussit à opposer de manière suffisamment contrastée le couple notionnel apparence/réalité pour donner à son texte une allure de plan polémique : « l’apparence vestimentaire passe pour un bon indicateur du statut social » vs « l’apparence extérieure ne peut pas être prise comme le reflet de l’être profond ». Mais elles ne l’entraînent pas non plus de manière automatique. David organise sa « matière » de manière thématique et non polémique. Il semble que la redéfinition thématique ne soit pas en relation directe avec le choix d’un type d’organisation textuelle, dans la mesure du moins où elle aboutit sur la formulation de questions qui soient traitables (ce qui n’est pas le cas pour le premier groupe d’élèves considéré).
c. Maîtrise de l’organisation polémique
28Les difficultés qui seront observées très rapidement ici concernent la mise en œuvre du schéma polémique comme modalité d’organisation textuelle permettant de répondre à la question posée par le sujet. Je signalerai d’abord les difficultés globales avant d’observer celle qui sont liées plus spécifiquement à l’ouverture ou à l’aboutissement du raisonnement.
Difficultés à réaliser un schéma polémique
29Quelques textes ne peuvent être analysés comme polémiques, soit qu’ils mettent en œuvre un plan thématique (David), soit qu’ils ne présentent pas une organisation globale suffisamment lisible pour être identifiés en tant que texte polémique, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient des non-textes ; en effet l’un présente une partie centrale dont la logique énumérative est très évidente mais qui n’est relayée argumentativement ni en amont ni en aval (Hélène). Quant à l’autre (Sophie), l’« organisation » textuelle manifeste assez bien ce que M. Scardamalia et al. (1982) nomment la stratégie du « What next ? », à savoir une production pas à pas, ce qui est malgré tout une stratégie d’écriture, pilotée par les données et non par une représentation d’une cohérence globale de texte.
30Au niveau de la gestion globale du texte, on constate par rapport au schéma canonique, quelques variations tout à fait intéressantes qui révèlent des difficultés d’appropriation de ce plan de texte.
31La première variation consiste à tenter d’écrire un texte polémique opposant des discours, tout en produisant en fin de compte un texte mono-argumentatif : aucune des deux positions n’est suffisamment mise à distance pour être examinée de manière autonome. Le texte de Delphine est tout entier régi par une seule et même thèse qui tantôt sert à réfuter une position non partagée, tantôt sert de support à une position soi-disant référée à d’autres mais en fait prise en charge par le locuteur principal.
32Une deuxième variante du plan polémique se traduit dans deux textes qui procèdent à une curieuse duplication des deux positions contraires. Celui de Sylviane procède ainsi :
position 1 : | « certaines personnes sont tenues de se distinguer des autres » |
position 2 : | « cependant l’habit n’est pas une manière infaillible pour se distinguer » |
position 1’ : | « certaines personnes s’habillent de façon extravagante pour affirmer leur personnalité » |
position 2’ : | « il vaut mieux éblouir par la générosité et la bonté... » |
conclusion : | « l’apparence joue un rôle important pour se distinguer des autres... mais le plus important est quand même à l’intérieur de nous... » |
33Ce schéma de texte peut se comprendre comme un mixte du schéma polémique et d’un schéma frontalement réfutatif en pour/contre.
34Le schéma polémique engage donc à une argumentation comparative : il s’agit d’examiner le bien-fondé et les limites de deux positions adverses et le locuteur, du moins dans le premier temps du schéma, n’est censé endosser ni l’une ni l’autre. D’où pour les apprenants, un certain nombre de difficultés : difficulté à examiner séparément chacune des deux positions qui se résout par un essai d’harmonisation argumentative et des effets d’homogénéisation énonciative qui tire le texte vers le manifeste plus que vers la dissertation (Delphine). Cette difficulté peut être ponctuellement contournée par des stratégies d’écriture, comme celle où la reprise, la reformulation permet de construire l’argumentation d’une manière spiralaire (Sylviane).
35Les exemples jouent dans ce contexte discursif un rôle de détonateur : les contre-exemples (ou exemples contre-argumentatifs) accentuent la difficulté de gestion globale, en produisant dans le temps de l’écriture une impression de contradiction, que Delphine essaie de résoudre avant même de la poser (d’où l’homogénéisation énonciative)11, que Sylviane pose pour mieux la résoudre dans l’enchaînement argumentatif. La reprise est une façon de gérer la dissonance argumentative provoquée textuellement par l’émergence d’un exemple en fonction de contre argument.
36Peut-être ces difficultés tiennent-elles aussi au fait que le discours argumentatif de ces textes se place au niveau des valeurs et non au niveau des discours. Pour ces deux élèves, il s’agit de dire le vrai, le bien et non d’examiner les conditions de validité de tel ou tel discours. La mise à distance est alors plus difficile à envisager. A l’inverse, la maîtrise des procédés de la polyphonie énonciative est nécessaire pour présenter et discuter des points de vue qu’on ne partage pas.
Comment commencer ?
37Il s’agit ici de voir comment les élèves s’y prennent pour organiser leur propos, pour faire un plan, donc, au sens traditionnel du terme, comment ils commencent, comment ils terminent. Le schéma polémique offre un guidage certain pour l’organisation du démarrage du texte. A partir du repérage (ou de la reformulation) des questions polémiques posées par le sujet, les deux premières parties opèrent le déploiement des deux positions représentatives du débat. Cependant, le choix est nécessaire entre les deux positions polémiques suggérées par l’énoncé. Comment ces élèves commencent-ils donc l’exposé du débat ?
38Dans leur grande majorité les élèves ont commencé leur développement par une première position qui envisage la question du sujet sous la forme positive, qui pose donc que « pour certains, il est très important de distinguer des autres par son apparence » ; la seconde partie traite alors de la même question sous forme négative : « ce n’est pas important » avec quelques variantes comme « ce n’est pas important et c’est même inutile », « c’est inutile, voire dangereux », « c’est ridicule ».
39Deux élèves seulement commencent par poser la position négative, l’un, Denis, l’assume en tant que locuteur12. Vincent, au contraire, pose d’abord la position négative (« certains n’attachent pas d’importance à la façon d’être vêtu ») pour mieux la mettre à distance : elle est beaucoup moins développée que la deuxième position et surtout, la conclusion reprend dans le même ordre les objets de discours évoqués dans le texte, « ceux qui ne se distinguent pas »/« ceux qui se font remarquer », ce qui est un indice de contrôle sur l’organisation du texte.
40Pour terminer, il faut évoquer le cas de Nicolas, qui, contre tout le travail d’explicitation fait en classe sur le schéma polémique, commence son texte par l’assertion d’une opinion personnelle (ce qui est aussi le cas de Denis, plus haut)13.
41Ces trois textes montrent à la fois des écarts par rapport au plan conventionnel (Nicolas) et la relation entre disposition argumentative et décentrement du sujet scripteur (Vincent par opposition à Denis14). Cela ne signifie pas, loin de là, que tous les autres textes, commençant, de manière plus prévisible, à examiner comme première position une réponse positive à la question posée, déroulent sans problème jusqu’au bout une argumentation totalement cohérente. Comme je le disais plus haut, la troisième partie conventionnelle du schéma est très ouverte et les élèves ont à inventer une stratégie pour la développer.
Comment finir ?
42Quant à la délicate question du dépassement du débat polémique, les solutions inventoriées par les élèves sont largement différenciées. De l’impasse qui consiste à poser une nouvelle question ouverte (ce qui relance vers une deuxième dissertation) aux argumentations concessives ou aux interrogations qui contestent la question du sujet (Nicolas : « je pense que de plus en plus de monde s’habille de façon identique »), on trouve toutes sortes d’autres réponses possibles : les définitions, dont certaines paraissent ici peu pertinentes (définitions par extension : par exemple Delphine termine son texte en examinant la question de l’apparence en Angleterre et en Espagne), les textes prescriptifs (vu le sujet posé, cette manière de dépasser le débat risque de faire un peu « midinette » : Jacky donne des conseils pratiques pour se distinguer) ou ceux qui tentent de trouver une explication causale ou téléologique au comportement vestimentaire évoqué dans le sujet. Un développement de type réfutatif n’apporte guère, dans ce dernier temps du schéma : il donne l’impression de recommencer la pesée argumentative et tombe facilement dans le « normandisme » du « ça dépend » ou du « un petit peu mais pas trop », etc.
43Aucune de ces stratégies discursives ne rencontre vraiment les propositions faites par B. Delforce pour traiter le deuxième temps du schéma polémique (cf. ci-dessus chap. 1, p. 42-43). Les textes qui posent une question en comment ou essaient de faire une définition par l’usage ou l’emploi (Vincent : « se distinguer des autres par son apparence, c’est pour embêter ses parents », Florence : « l’habillement c’est un moyen pour se divertir ») peuvent, éventuellement, être rapprochés du modèle « X oui mais pas n’importe comment ».
44Il faut remarquer que des stratégies typiquement argumentatives, et notamment celles qui utilisent la concession, sont tout à fait possibles et aboutissent à des résolutions où l’énonciateur principal, après l’examen des positions en présence, choisit l’une des deux en opérant une pesée argumentative (Sylviane : « certes P1 mais P2 »). De même, les copies qui réussissent (plus ou moins bien) à mettre en cause l’évidence de la notion avancée par le sujet correspondent aux attentes scolaires maximales (et très distinctives) à propos de la dissertation.
B. L’exemplification
45Cette présentation s’efforcera de dresser un tableau des problèmes suivants : une rapide analyse quantitative permettra de donner un aperçu des rapports entre le nombre des exemples, la longueur des textes et leur « réussite » (considérée ici sous l’angle de la note obtenue). Une seconde analyse tentera de faire le point des fonctions textuelles et argumentatives des exemples, dans une analyse des modes de composition liés à l’insertion d’exemples.
1. Analyses quantitatives : rapports nombre d’exemples/longueur de texte/évaluation notée
46J’ai procédé à un relevé des exemples dans les vingt-sept copies recueillies en m’appuyant sur les marques d’exemplification (marqueurs ou énoncés métadiscursifs), les énumérations et les changements de régime lexical produits par l’emploi de noms propres ou de termes spécifiques.
47Elles présentent un nombre élevé d’exemples : 139 au total. Ce nombre est probablement à mettre au compte de l’enseignement dispensé qui mettait un certain accent sur l’exigence d’exemplification.
48La dispersion selon les copies montre que les deux tiers des copies (20/27) ont entre 3 et 7 exemples, les extrêmes ne regroupant que des exceptions (3 copies avec 1 ou 2 exemples ou trois autres avec 10 ou 11 exemples).
49Cela ne veut pas dire grand-chose (sinon le degré d’intériorisation par les élèves de la norme dissertative et/ou leur difficulté à écrire autrement qu’en convoquant des exemples) ; il faut aussi rapporter cette observation à la longueur des textes.
50Plus le texte est long, plus il y a de chance d’y trouver de nombreux exemples, et vice versa. Mais on constate des phénomènes curieux comme le fait qu’une copie très courte de ce corpus contient six exemples (Sylviane) et qu’une copie très longue n’en contient que quatre (Nathalie). On peut faire l’hypothèse que ce qui est en jeu alors, ce sont des qualités rédactionnelles particulières, et notamment des capacités/incapacités à généraliser ou à argumenter.
51Il reste une dernière observation à mener sur ces questions très générales, c’est le rapport entre le nombre des exemples et la qualité du texte ici mesurée à la note reçue. Cette mesure est tout à fait contestable, vu le caractère très particulier des processus de notation scolaire15 ; elle n’est donc utilisée ici qu’à titre indicatif et « pour voir »...
52Le tableau ci-après prend en compte les trois critères suivants : la longueur des textes (quatre catégories : de A, long, à D, court), le nombre des exemples par texte (trois catégories : de 11 à 8, de 7 à 3, 1 ou 2) et les notes reçues par ces devoirs (de 11 à 5, moyenne de classe : 7,66 ; N.B. : la discussion était notée sur 14). Les élèves y sont représentés par les lettres initiales de leur prénom.
53Pour ce qui est des rapports entre note et nombre d’exemples, on peut voir qu’il n’y a apparemment aucune relation systématique, du moins pour ce correcteur-là à ce moment-là des apprentissages : des copies présentant de nombreux exemples se situent en dessous de la moyenne (Aline, Sophie), à l’inverse des copies ne comportant qu’un ou deux exemples ont une note supérieure ou égale à la moyenne (Loïc, Sandrine 1, Jacky).
54Qu’en est-il des rapports entre note et longueur de texte ? Là au contraire, on peut voir que plus une copie est longue, plus elle a de chance d’être bien notée (cinq des six copies de la catégorie A sont notées au-dessus de la moyenne). Symétriquement, aucune copie très courte (catég. D, entre 2500 et 2000 mots) n’a de note supérieure à la moyenne.
55Mais d’autres facteurs interviennent bien évidemment pour moduler ce déterminisme bien partagé par les élèves16. Ainsi, ce ne sont pas les copies les plus courtes qui reçoivent les notes les plus basses : les dix copies qui ont les deux plus mauvaises notes (5 et 6) se répartissent pour la longueur entre 6000 et 3000 mots. De même les trois copies les plus courtes (Jacky, Isabelle et Sylviane) n’ont certes pas de bonnes notes mais se situent plutôt autour de la moyenne. Quant aux trois copies les plus mauvaises (Delphine, Hélène, Nadia) elles ont une longueur honorable (4500 à 4000 mots). Il faudrait rapporter ces observations à d’autres facteurs (vraisemblablement de nature variée, autant relationnels que textuels et discursifs) pour tenter une explication.
56Mais pour croiser les indicateurs longueur de texte, nombre d’exemples et note, on constate qu’à longueur presque égale (4000-4500 mots) deux copies présentant le même nombre d’exemples peuvent se classer aux antipodes de l’échelle de notes : ainsi Frédéric et Hélène ont tous les deux 7 exemples et Laurent et Nadia, chacun trois exemples, alors que Frédéric et Laurent ont une bonne note et Hélène et Nadia une mauvaise. La capacité à exemplifier n’est pas un indicateur de réussite. Ce que l’on sait, par ailleurs, et qui confirme si besoin était, la nature secondaire, le rôle d’étayage de l’exemple dans un texte argumentatif.
57Cela dit, les relations mises en évidence ci-dessus entre le nombre d’exemples et la longueur du texte produit permettent de comprendre d’une certaine manière l’exigence académique d’insérer des exemples dans une dissertation. C’est un des moyens de faire long, et sans tomber dans la caricature d’une évaluation qui ne prendrait comme critère que la quantité de texte, il est sûr que savoir maîtriser un texte long et riche en exemples est l’indice d’une capacité textuelle et scripturale qui peut se traduire tout à fait trivialement par de bonnes notes.
58Ainsi, les textes longs (catégories A et B) ont tous, qu’ils soient bons ou mauvais, au moins trois exemples. A l’inverse les textes courts (catégories C et D) n’ont pas plus de sept exemples, qu’ils soient bons ou mauvais. Le nombre d’exemples est facteur de la longueur et non de la « qualité ».
59Par ailleurs, les bons textes (notes 11 à 8) ne sont jamais courts (exclusion de la catégorie D), mais l’inverse n’est pas vrai : les textes moyens ou mauvais ne sont pas exclusivement courts, certains peuvent être longs, voire très longs. La longueur d’un texte dissertatif n’est pas une garantie de réussite, mais la brièveté ne « paye » pas.
2. Exemples et compétences rédactionnelles
60Je me propose maintenant de présenter les mécanismes d’exemplification dans les vingt-sept textes de ce corpus. Cette présentation synthétique reviendra sur un problème rédactionnel signalé plus haut (la redéfinition thématique). Mais dans cette section, à la différence des analyses précédentes plus tournées vers des considérations textuelles ou dissertatives générales, on se centrera plus particulièrement sur les problèmes spécifiques posées par l’insertion d’exemples dans une production textuelle de nature dissertative.
61Cinq plans d’analyse peuvent être mis en évidence. Les trois premiers ont trait à ce qu’on pourrait appeler des compétences rédactionnelles transversales qui s’actualisent dans l’opération d’exemplification (généralisation et planification), les deux suivants sont liés plus spécifiquement à l’argumentation comme type de texte (et de raisonnement) spécifique. Si l’on reprend les distinctions faites au chapitre iii, p. 87) sur les différents niveaux d’exemplification, on peut dire que les deux premiers plans utilisés ici renvoient à ce qui était défini alors comme opérations sémantico-référentielles, alors que les plans rhétorique et argumentatif sont plutôt du côté des caractéristiques argumentatives de l’exemplification telle qu’elle était définie dans ce passage. Le plan textuel n’apparaissait pas alors, ce qui est normal vu que je traitais alors de l’opération d’exemplification dans le cadre d’une relation entre énoncés et non d’un point de vue textuel global. Mais ces distinctions de niveaux ou de plans ne s’excluent pas mutuellement, elles ne doivent être considérés que comme des regards théoriques qui peuvent éclairer un même texte sous différents aspects.
a. Au niveau linguistico-cognitif : l’exemple révèle une difficulté à généraliser
62Il ne s’agit pas ici des procédés linguistiques d’insertion qu’on observera dans la section suivante mais de compétences linguistiques à généraliser/particulariser que suppose la relation argument/exemple, compétences également cognitives, mais qui peuvent s’observer dans les textes quand interviennent des changements de régime lexical.
63L’exemple révèle une difficulté à généraliser : cette observation n’a rien de nouveau ; c’est même ce que les professeurs relèvent en général le plus vite et le plus souvent (et qui produit la méfiance souvent exprimée dans les manuels scolaires vis à vis des exemples).
64Parmi les copies évoquées plus haut, Vincent qui utilise un exemple dans sa conclusion rencontre ce problème.
Texte de Vincent : conclusion (orthographe rétablie)
Même non X = X (= argument 1/P2) | En tout cas, je trouve que même ceux qui ne se distinguent pas commencent à se faire remarquer car ils sont moins nombreux qu’il y a vingt ans. |
Par contre P2 | Par contre je trouve très bien que les jeunes se fassent remarquer pour s’exprimer à leur façon car on peut donner un avis. De plus, si je rencontre un crépé, habillé en noir et chaussé NIKE, je suis sûr que c’est un curiste. |
Pour finir | Pour finir, je pense que la distinction, c’est une autre sorte de mode qui plaît beaucoup plus que l’ancienne. |
65Dans le commentaire à gauche du texte, X désigne l’élément de signification « se distinguer » issu du sujet. Je considère l’énoncé signalé comme « 3/P2 » (c’est-à-dire 3e argument à l’appui de la 2e position) comme un argument, même s’il se présente comme un énoncé spécifique, car il est mis sur le même plan discursif que les autres par l’emploi de de plus.
66Cette conclusion de discussion est marquée par une abondance de connecteurs : outre le en tout cas initial17, chacun des trois autres « arguments » présentés à l’appui de la position 2 sont annoncés par un connecteur ou un organisateur textuel : par contre, de plus et pour finir. L’organisation textuelle est clairement maîtrisée par le rédacteur qui énumère les ultimes arguments à l’appui de la position endossée par l’énonciateur « je trouve très bien que les jeunes se fassent remarquer ». Le problème est que ces trois arguments sont de « niveau différent » : le deuxième et le quatrième se situent à un niveau de généralisation lexicale et de neutralité énonciative qui par contraste souligne la spécificité du troisième « argument » : « De plus, si je rencontre un crépé, habillé en noir et chaussé NIKE, je suis sûr que c’est un curiste »18. L’argument (la fonction sémiotique du costume) est ici avancé dans un énoncé à la première personne et avec une référence quasi anecdotique au phénomène social des groupes de jeunes (« un crépé, habillé en noir et chaussé NIKE ») qui fonctionne dans tout ce corpus comme l’exemple-type, un des prototypes du marquage vestimentaire. Manquent à cet élève les moyens conceptuels et/ou linguistiques pour produire l’énoncé généralisant de même niveau que ceux qui l’encadrent (quelque chose du genre « le look est une information sur l’appartenance de quelqu’un à un groupe de jeunes »).
b. Au niveau sémantico-référentiel19 : le choix des exemples manifeste l’activité de génération des contenus
67Il s’agit ici d’analyser les phénomènes de gestion du contenu, tels qu’ils peuvent se traduire dans les stratégies de sélection d’exemples en fonction de l’énoncé du sujet. Quel traitement de ses connaissances est effectué par le scripteur ? Comment met-il en relation les connaissances engrangées dans la mémoire à long terme avec le domaine ciblé par l’énoncé ? C’est le niveau peut-être où peuvent s’analyser le plus facilement les relations lecture/écriture dans l’activité de production de dissertation : il s’agit en effet d’élaborer une compréhension du sujet telle qu’elle devienne un cadre pour la planification textuelle.
68La constatation annoncée est là aussi assez banale, l’activité de planification étant, entre autres, caractérisée dans les analyses du processus rédactionnel (Hayes et Flower), par une recherche en mémoire des éléments de contenu pertinents pour résoudre la tâche d’écriture. Les exemples font partie à l’évidence de ces éléments qui sont l’objet d’une recherche consciente ou non en mémoire à long terme.
69Ce que je veux évoquer ici, c’est le fait que le choix des exemples permet au lecteur d’identifier des choix rédactionnels que le scripteur ne rend pas explicites, parce qu’ils lui échappent en partie. C’est le cas des redéfinitions thématiques opérées par les élèves sur le sujet imposé. J’ai évoqué plus haut le cas des élèves qui donnent au thème explicite du sujet « se distinguer par son apparence » le sens de « être distingué (ou non) ». Cette redéfinition n’est jamais explicite, elle se fait à l’insu du rédacteur20.
70Fin du texte de Corinne (orthographe rétablie)
Posons-nous une autre question. Pourquoi de nos jours est-on obligé de s’habiller correctement pour se montrer ?
Moi, je prétends qu’il faut se distinguer des autres par son apparence mais pas de trop non plus car celui qui est haut placé a besoin de se vêtir correctement car lorsqu’il reçoit quelqu’un d’une haute société, il faut qu’il n’ait pas l’air d’un moins que rien. Prenons l’exemple d’un directeur de banque, d’une entreprise, d’un ingénieur. Tous ces gens-là sont obligés de s’habiller non pas comme ils veulent mais surtout de façon à ce qu’ils soient présentables. D’autre part, si on est invité à un mariage ou à une communion, il faut que l’on soit habillé non pas en robe de soirée mais correctement pour ne pas être déguisé par rapport aux autres. Les présentateurs de journal, lorsqu’ils passent à la télévision, ils sont obligés d’avoir un costume en plus d’une cravate même si ça les ennuie car qu’est-ce que diront les spectateurs s’ils sont habillés d’une façon négligée ?
Voilà pourquoi, je pense que c’est bien de se distinguer des autres par son apparence mais sans plus.
71Lorsque Corinne utilise, à l’appui de la position suivante « Moi, je prétends qu’il faut se distinguer des autres par son apparence mais pas de trop non plus », trois exemples qui évoquent une image sociale conventionnelle (le directeur de banque, l’invitation à un mariage et le présentateur de journal télévisé), l’ambiguïté entre se distinguer et être distingué n’est pas loin et cela est confirmé par la présence dans le texte d’expressions comme « s’habiller/se vêtir correctement ». Les exemples choisis sont la trace de cette redéfinition thématique. Par ailleurs, on peut se demander si ce nouveau thème être distingué n’est pas à comprendre aussi comme être conforme. Comment comprendre autrement la reprise de la formule « se distinguer mais sans plus », qui correspond à deux rectifications explicites « non pas comme ils veulent mais de façon à ce qu’ils soient présentables » « non pas en robe de soirée mais correctement pour ne pas être déguisé par rapport aux autres ». La formule « se distinguer mais sans plus » n’est pas le résumé d’une concession mais une formule quasi-lexicalisée, correspondant à la notion de conformité, d’accord avec les circonstances. Si cette interprétation est juste, cette difficulté de formulation serait à mettre au compte également d’une difficulté à généraliser.
c. Au niveau textuel : l’exemple est un élément structurel
72L’exemple est le plus souvent utilisé dans sa fonction d’étayage d’arguments. Cependant, il arrive qu’on puisse lui accorder une fonction déterminante dans l’organisation globale du texte. Deux cas se présentent alors : cette fonction est centrale ou périphérique.
73Ainsi, l’exemple peut avoir une fonction d’accroche lorsqu’il est placé en introduction. Le texte de Loïc ne présente que deux exemples, l’un en ouverture, l’autre en clôture :
L’apparence est un élément de la vie à ne pas négliger. On dit souvent que l’apparence vestimentaire montre le caractère de la personne. Une personne d’apparence vulgaire n’aura normalement pas un caractère distingué et vice versa. Mais est-ce important aujourd’hui de se distinguer des autres par son apparence ? Les avis sont partagés, et les arguments convaincants.
[…]
Il est important aussi de se distinguer des autres dans le travail. On remarquera plus facilement une personne autonome et prenant des initiatives plutôt qu’une personne qui se contente de travailler sans goût aucun.
Donc, se distinguer des autres est une façon importante de s’exprimer, sans pour autant exagérer. En cas d’exagération, on pourrait mal vous juger, et cela se retournerait contre vous.
74On remarquera que ces deux exemples ont un caractère de généralité qui hors contexte ne les signalerait pas comme exemples. Cela dit, l’usage du futur ainsi que la relation de dépendance d’avec un énoncé antérieur marquée par des reprises lexicales (caractère dans l’introduction et travail/travailler dans la conclusion) confirme qu’il s’agit bien là d’exemples. Le futur présente le contenu posé des deux énoncés comme un fait inéluctable, ce qui le distingue énonciativement des énoncés cotextuels qui se présentent comme des opinions discutables/discutées21.
75Mais l’énumération d’exemples peut tenir lieu de structure textuelle globale. A l’inverse du cas de Loïc, qui révèle une certaine maîtrise de l’écriture, ce que je vais présenter maintenant est l’un des pièges les plus fréquents de l’exemplification. L’élève ne se soumet qu’à la consigne d’exemplifier et se trouve pris dans une logique énumérative qui lui fait perdre de vue l’objet dissertation et ses modes de fonctionnement.
76Christophe est pris dans cette logique d’écriture, encore plus marquée comme énumération par l’usage de tirets qui balisent les différents cas présentés. L’extrait qui suit représente environ les deux tiers de son texte :
Les modes vestimentaires sont maintenant beaucoup liées à des styles de musiques bien précis ou à des opinions politiques bien précises. Beaucoup d’exemples d’apparence vestimentaire (ou de « look ») sont à citer, comme :
• les Skinheads qui ont une apparence vestimentaire bien définie et des opinions politiques bien définies : ils ont le crâne rasé, portent des « bombers » verts (blouson d’aviateur anglais), des jeans serrés et des chaussures « Doc Martens » montantes coquées (noires) (munies d’un bout de fer). Ils sont fascistes au plus haut degré, et beaucoup sont hitlériens (nazis)
• les Punks : cheveux le plus souvent en crête et colorés, des boucles d’oreilles (parfois même dans les narines), un blouson en cuir « Perfecto » peint à la bombe de toutes les couleurs, des jeans troués de partout, et des rangers.
• les Curistes : toujours habillés en noir, boucles d’oreilles, baskets non lacées, la chemisequi dépassenon rentrée dans le pantalon, coiffé en brosse ou en pétard, quelquefois maquillés, « bombers » noirs, imperméable noir, veste noire, des Rangers, ou des « Crepers » (chaussures en daim, le plus souvent noires).
Les deux styles Punks et Curistes sont deux grands styles représentants l’anarchie : un Punk sera obligatoirement anarchiste. Un Curiste n’est pas obligatoirement anarchiste, cette apparence vestimentaire est surtout liée au groupe « The Cure ».
• les Red Skins, ils sont communistes, l’habillement étant proche de celui des skins mais avec beaucoup de rouge
• les « minets » : les minets sont des jeunes sans personnalités, dès qu’une mode est lancée ils la suivent, ils changent d’habits tous les trois mois. Les apparences vestimentaires traduisent donc beaucoup les opinions, chez les skins le fascisme, chez les Redskins le communisme, chez les Punks l’Anarchisme. Mais tous ces styles, toutes ces apparences vestimentaires entraînent beaucoup trop de conflits chez les jeunes. Chaque apparence vestimentaire est égale à un clan, et à des bagarres avec des autres clans. Tout ceci entraîne beaucoup trop de haine.
77Le changement typologique se vérifie non seulement au niveau global mais également localement : chaque catégorie est longuement décrite. Christophe n’oublie pas tout à fait la thèse posée initialement « Les modes vestimentaires sont maintenant beaucoup liées à des styles de musiques bien précis ou à des opinions politiques bien précises ». Il la reprend non seulement en conclusion mais aussi en cours de route, comme pour signifier qu’il ne l’oublie pas. Cependant, il ne réalise pas un texte susceptible d’une analyse en termes de schéma polémique, il se peut que la connaissance de ce monde, qu’il avait fort grande (c’était un « curiste », le seul de la classe et presque le seul de toutes les secondes de ce lycée) ait bloqué l’appréhension du sujet comme sujet à discuter et l’ait plutôt engagé dans une stratégie de « knowledge telling », de présentation des informations « dans l’ordre de récupération en mémoire » plutôt que dans une stratégie de « knowledge transforming » où il s’agit de transformer ces informations selon les contraintes du discours22.
d. Au niveau rhétorique : exemple illustratif ou heuristique ?
78Aristote posait une différence entre l’exemple-support d’induction et l’exemple-témoignage, différence fonctionnelle qui repose sur l’inversion de l’ordre entre l’énoncé général de la règle ou de la thèse et l’énoncé-exemple (cf. chapitre II). Qu’en est-il dans ces textes d’apprenants ? Dans leur usage relativement novice de l’écriture argumentative, usent-ils d’un ordre préférentiel ? les changements d’ordre éventuels entraînent-ils un changement de fonction discursive ? C’est ce que je voudrais observer dans cette section.
79Dans leur très grande majorité, lorsqu’un exemple est associé à un argument, c’est l’ordre « argument → exemple » qui est choisi, l’ordre illustratif donc, c’est-à-dire que l’exemple suit l’argument pour l’appuyer, en donner une version figurative.
80De rares cas d’ordre inverse peuvent être relevés, que je vais analyser ci-après. J’ai critiqué plus haut l’usage didactique de la notion d’induction, pour ce qu’elle produit une confusion entre logique formelle et logique discursive. Je proposerai pour analyser ces extraits, de parler d’exemple heuristique, c’est-à-dire d’un exemple à partir duquel s’organise si peu que ce soit un raisonnement, une argumentation. Ce sont des cas où le lecteur peut suivre à partir d’un exemple la progression de la réflexion dans le déroulement textuel même.
81Un exemple paraîtra heuristique lorsqu’il est repris, examiné sous différents angles (Nathalie examine un même exemple sous deux points de vue, celui des jeunes et celui des parents), ou bien lorsque, servant de transition, sa valeur argumentative est particulièrement travaillée comme chez Frédéric :
Il existe aussi les personnes âgées qui certaines ne font plus attention à leur habillement sachant qu’elles ne peuvent plus séduire.
Car l’habillement, c’est avant tout un moyen de séduction qui appartient à une certaine tranche d’âge.
C’est pour ma part ce que je pense car l’habit qui est beau séduira plus qu’un habit moche et démodé.
82Ce passage qui est une transition située entre la deuxième et la troisième partie, montre un aspect de la fonction heuristique de l’exemple : Frédérique passe de l’exemple à une définition justificative (« car... c’est avant tout... ») pour aboutir sur l’assertion de sa position. Son texte n’est pas exempt par ailleurs de problèmes d’enchaînements mais ici la reprise de « séduire/séduction » assure une cohésion à ces trois petits paragraphes et annonce d’une manière acceptable la conclusion de son texte « la vie serait-elle concevable si tout le monde s’habillait pareil ? ».
83Stéphanie23 donne d’autres exemples de cette capacité de passer d’un cas concret à une généralisation qui permet d’envisager l’examen d’une position issue du sujet :
Pour certains, l’apparence qu’ils donnent d’eux aux yeux des autres est primordial.
Prenons l’exemple d’un enfant dont les parents sont plutôt du genre costumes-cravates, dont le père est PDG de X, et dont la mère passe tout son temps dans les boutiques de prêt-à-porter de grandes marques. Il est peu probable que cet enfant viennent à l’école habillé comme ses parents souhaiterait qu’il le soit. Il sera plutôt jean-blouson, baskets, et ça pas forcément parce que ça lui plaît, mais plutôt pour pouvoir dire à ses parents « Vous êtes ce que vous êtes, je suis ce que je suis ».
Il voudra passer aux yeux de ses camarades pour ce qu’il est réellement lui, et pas être le reflet même de ses parents. Pour lui, l’apparence joue un rôle important.
84Ce texte, malgré l’exemple initial longuement développé qui peut faire craindre un dérapage vers du narratif, montre une généralisation par degré : d’abord avec la notion de « reflet » et la thématique de l’être et de l’apparence, puis avec la dernière phrase qui assure la mise en relation de l’exemple généralisé avec la problématique du sujet et la position initiale.
85Ces quelques analyses montrent donc à quel prix un exemple peut devenir support de réflexion dans une dissertation : le changement de point de vue sur un même cas, le passage justifié d’un exemple à une définition ou à une position sont des éléments de cette écriture heuristique.
e. Au niveau argumentatif : le contre-exemple met en danger l’argumentation
86Je présente ci-après deux cas assez complexes, qui nécessiteront des analyses détaillées, exemples des accrocs d’écriture que peuvent produire dans ces textes d’apprenants l’occurrence d’un exemple anti-orienté par rapport à la position dominante, qui est généralement la position du scripteur. Le contre-exemple pose au rédacteur des problèmes de maîtrise argumentative, notamment il nécessite de différer sa réfutation, ce que les deux élèves dont on va examiner les textes ne réussissent à faire qu’au prix de contorsions d’écriture assez spectaculaires.
Un paradoxe : concéder à droite de mais
87Je vais analyser ci-dessous la conclusion du texte de Virginie qui dérape en cours d’écriture à cause d’un exemple. Le texte part d’une assertion tranquille :
« Personnellement, je pense que l’apparence ne signifie rien »
88rencontre en cours d’écriture un exemple :
« par exemple je n’irai jamais parler à un gitan même s’il est très gentil »
89qui fait trébucher son argumentation et la fait passer à un énoncé réfutatif (dernière phrase du devoir)
« je pense que l’apparence n’est pas la seule chose pour se distinguer mais elle y contribue ».
90L’assertion initiale et la réfutation finale sont en contradiction l’une par rapport à l’autre, phénomène d’autant plus sensible qu’il se produit dans un espace textuel très étroit et semble produit par ce par exemple qui m’intéresse.
91Voici le passage considéré (les propositions sont numérotées pour la commodité de l’analyse) :
Texte de Virginie : conclusion (orthographe rétablie)
1 2 3 : énoncé métatextuel 4 5 : position 1 7 : mais il est vrai que =position 2 10 : énoncé métatextuel |
|
92Les derniers énoncés (11-14) peuvent être interprétés comme une réfutation : le thème Y (l’apparence) est commun aux deux énoncés de part de d’autre de mais ; à gauche l’énoncé est négatif (« n’est pas la seule chose pour se distinguer »), à droite il est positif (« elle y contribue »). Mais cette relative clarté est le résultat d’une construction, elle est produite in fine dans l’avancée de l’écriture. Je représente dans le tableau ci-dessous ce cheminement scriptural accompagné d’une part de la formalisation argumentative classique (colonne de gauche) et d’une reformulation à l’aide de prédicats (être + adjectif, colonne de droite) pour rendre plus lisibles les contenus sémantiques sous-jacents aux formules de l’élève :
je pense que P1 | (4-5) Je pense que Y ne signifie rien | = Y est inutile |
93L’opposition initiale (4-7) qui consiste à dire « je pense que l’apparence ne signifie rien mais il est vrai qu’elle fait beaucoup à première vue » (je pense que P1 mais il est vrai Q1) est complexe car elle affaiblit le second terme de la relation P mais Q avec le marqueur il est vrai, généralement utilisée comme certes, pour annoncer un mouvement concessif, c’est-à-dire présenter une assertion P comme ayant moins de force (en faveur de sa conclusion R) que l’assertion Q n’en a en faveur de sa conclusion non-R (cf. chap. i, p. 35). Ici au lieu de il est vrai P mais Q, on a P mais il est vrai Q.
94La dernière phrase est comparativement plus claire : « je pense que l’apparence n’est pas la seule chose pour se distinguer mais elle y contribue » (P2 mais Q2). La réfutation mise en œuvre ici (14 « mais elle y contribue ») est partielle, elle ne s’appuie pas sur une contestation totale de P du genre P n’est pas vrai24. La réfutation est donc du genre Y n’est pas nécessaire mais utile où l’on retrouve le fonctionnement classique du mais de rectification qui relie deux éléments nominaux dans la même proposition, le second invalidant le premier non pas SN1 mais SN225.
95L’emploi de il est vrai que pour introduire Q est peut-être à mettre au compte d’une difficulté argumentative : le scripteur pose d’abord la thèse qu’il assume (Personnellement je pense que Y ne signifie rien) puis lui oppose une objection simultanément concédée (mais il est vrai que Y est important)26. Ce qui ne simplifie pas la lecture (réaliser deux actes différents dans le même énoncé) et constitue un paradoxe argumentatif : mettre en position de force argumentative (à cause de sa place à droite de mais) ce qui est présenté comme minoré, comme concédé (à cause du marqueur).
96Il est vraisemblable que l’exemple contre-argumentatif joue un rôle non négligeable dans cette difficulté. De fait, il semble que l’argumentation produite ici soit quasi dialogale. L’ensemble se concevrait bien dans un échange conversationnel, qu’il soit oral ou écrit :
P | « -personnellement, je pense que l’apparence ne signifie rien |
97C’est la gestion monologale de ce « dialogue » qui fait problème car elle oblige l’élève à la gymnastique dialogique inhérente à l’argumentation, qui consisterait ici à conjuguer linéarité des énoncés et minoration argumentative.
98Le scripteur, pris dans le jeu des significations argumentatives de P mais Q. découvre tout en écrivant que Q est plus fort que P et essaye de l’affaiblir27. On s’y retrouverait peut-être mieux dans un mouvement concessif Q mais P comme « Certes l’apparence est importante mais ce n’est pas le seul moyen de se distinguer ». Ce qui me fait dire que la position du scripteur serait plutôt celle-là est l’ampleur accordée au « personnellement je pense que » (proposition 4) repris en 11 et le fait qu’aucune des deux rectifications (7 et 14) n’est reprise sous la portée du verbe déclaratif je pense que. Par ailleurs, cette copie n’est pas exempte de problèmes linguistico-argumentatifs : dans ce même passage le mais plutôt (prop. 6) enchaîne sur autrement que comme si cet adverbe pouvait être paraphrasé par non pas de cette manière... mais plutôt28. Bref, on peut penser qu’il y a là ambiguïté argumentative et que le schéma de ce petit texte pourrait se réduire à P (mais Q), l’emploi de ces parenthèses essayant de représenter le conflit rencontré par cette élève entre l’ordre argumentatif de la réfutation (où P à gauche de mais est en principe plus faible que Q) et l’ordre linéaire de l’énoncé (où l’élève pose d’abord l’assertion principale, la plus fortement prise en charge)29.
99Ce qui se manifeste donc ici, c’est une gestion pas à pas de l’argumentation où la position se construit au fur et à mesure de l’écriture et où les accidents de la pensée, les rencontres inopinées posent des problèmes qui se résolvent au cours de la production écrite sans qu’une révision d’ensemble gomme après coup ces aspérités discursives. C’est le lecteur (et particulièrement le lecteur que je suis, qui prend tout son temps) qui produit une vue d’ensemble où apparaissent ces potentielles incohérences argumentatives. Pour le rédacteur, l’important vraisemblablement est d’arriver à formuler une fin après toutes ces errances textuelles, et on peut dire que l’écriture elle-même est pour ces jeunes scripteurs à la fois source de problèmes et moyen de les résoudre.
Un condensé d’actes langagiers : annoncer et annuler simultanément
100Le mouvement argumentatif dominant dans le texte de Delphine, déjà évoqué ci-dessus p. 131 (la réfutation), est étroitement lié à la difficulté de mettre en œuvre une polyphonie énonciative qui permettrait de présenter des discours autres que celui qu’elle tient (ou celui auquel elle tient). Cette prédominance réfutative produit une orientation discursive plus argumentative (argumenter sur des comportements, des faits) que dissertative (examiner des discours) qui révèle une conception frontale de l’argumentation : discuter, c’est s’affirmer contre, plutôt qu’exposer les arguments qui permettent d’étayer sa propre position. Ainsi, il est intéressant de voir qu’en termes de contenu argumentatif, il y a, dans ce texte, davantage d’exemples ou de jugements sur les conduites réfutées que sur les valeurs partagées ou assumées par le locuteur.
101Scardamalia (1981) analyse des essais argumentatifs produits par des élèves de 10 à 14 ans en réponse à la question « Les collégiens devraient-il pouvoir choisir les matières qu’ils vont étudier à l’école ? ». Elle détermine quatre niveaux de traitement. Le premier niveau est caractérisé par des textes très courts répondant simplement à la question. Le niveau 2 est représenté par une position étayée par un argument. Au niveau 3, on envisage une opposition à la thèse d’abord énoncée (et éventuellement étayée) et réussit à trouver une solution à cette contradiction (par un changement de thèse, par exemple). Le niveau 4, très proche du schéma polémique, aborde un même thème selon deux points de vue différents, chacune des deux positions donnant matière à objection, les quatre éléments ainsi assemblés ne peuvent être dépassés que par l’élaboration d’une synthèse résolvant la double opposition. Le texte étudié ci-dessous, bien qu’il soit beaucoup plus long que les textes étudiés par M. Scardamalia, semble pouvoir être rangé dans la troisième catégorie mais il ne réussit ni à modifier la position choisie pour s’accommoder avec les objections ni à envisager le thème discuté sous un autre angle que celui qui est dominant. Selon les termes de M. Scardamalia on peut dire que cette élève s’est engagée dans une tâche d’écriture (de niveau 3) qu’elle ne réussit pas à accomplir intégralement : il y a distorsion entre le niveau de complexité de la tâche d’écriture imposée et la capacité de cette élève à la réaliser de manière satisfaisante.
102Cette difficulté va de pair avec une dominance forte de l’énonciateur principal, excluant la mise en scène d’autres énonciateurs, ce qui produit un texte mono-argumentatif et non polémique : une seule thèse est réellement présentée, tantôt pour réfuter tantôt pour argumenter. Dans ce contexte, un exemple anti-orienté par rapport à cette thèse omni-présente produit des effets de désorganisation très visibles.
103Je présente ci-dessous un passage difficile à cause de la densité argumentative, et principalement de l’association dans un même énoncé de deux actes distincts, la formulation d’un contre-exemple et sa réfutation simultanée. C’est comme si, dans la perspective du rédacteur, le contre-exemple, mettant en danger l’orientation argumentative, devait être neutralisé.
Texte de Delphine : début de 2° partie
2° position (P2) | Pour d’autres, ça n’est pas important, de se distinguer. |
réfutation | Peut-être se sera-t-il privé de manger pour l’avoir mais dans sa tête il sera mieux |
(ce qui ne sert à rien) | Par contre à l’extérieur, il sera toujours considéré comme avant ou il sera rejeté par les autres qui le traiteront de « bourgeois ». |
Argu 2/position 2 | Je crois qu’il vaut mieux se distinguer des autres par son intelligence et sa culture. |
104L’exemple B est un contre-exemple dans la mesure où il développe un argument qui va contre la position en cours dans ce passage, (CA/Position 2), qui dit à peu près que l’apparence de chacun doit correspondre à son être. L’exemple B développe l’idée contraire.
105La forme de neutralisation choisie ici consiste à énoncer le contre-exemple en le plaçant « sous la portée » d’une négation qui l’annule donc par avance : « rien ne sert de se dire... ».
106Cet énoncé a en fait une double fonction : il est composé de l’annonce métatextuelle d’un contre-discours « mais il y en a qui se disent » et simultanément d’une annulation argumentative « dire cela ne sert à rien ». Ainsi cet énoncé oriente la lecture qui va être faite de l’exemple contradictoire par un jugement incorporé à l’annonce discursive qui introduit ce nouveau mouvement textuel.
107L’exemple anti-orienté est ici producteur d’une réflexion rendue complexe à cause de ce condensé d’acte langagier (faire une annonce métatextuelle et simultanément réfuter par anticipation le segment de texte annoncé) mais dont la complexité est peut-être l’indice que justement une réflexion se fait dans l’écriture.
108La stratégie concessive qui permettrait de poser une thèse tout en annonçant qu’elle va être réfutée est ici compactée sous forme de réfutation anticipée. Le contre-exemple est à la fois annoncé et simultanément réfuté. Ce phénomène ne poserait pas problème si l’exemple était court mais comme il se développe, et notamment avec des changements de points de vue (le point de vue du contre-argumentateur et celui de l’argumentateur) et des glissements thématiques, la cohérence discursive devient impossible : le texte semble produit pas à pas accumulant des énoncés reliés par mais. Ainsi dans le passage du contre-exemple (marqué « Ex B » dans le schéma du texte) à sa réfutation :
(a) pour avoir ce manteau de fourrure, il s’est privé de manger | P (donc non R = il ne va pas bien) |
mais (b) dans sa tête il va mieux par contre (c) à l’extérieur, il est rejeté | mais Q (donc R = « il va bien ») |
109Ces glissements argumentatifs sont sous-tendus par des glissements thématiques : la première opposition (a mais b) repose sur le couple « manger (= dans son corps)/dans sa tête », la seconde (b par contre c) sur le couple « dans sa tête (= à l’intérieur)/à l’extérieur ». Le changement de thématisation n’étant pas explicité redouble l’effet d’absence de cohérence de ce passage.
110Dans cette gestion textuelle pas à pas, a mais b par contre c, on pourrait logiquement croire que a = c mais on voit bien qu’ici b n’est pas supprimable puisqu’il joue un rôle de pivot thématique entre a et c. En effet, si a dénote le corporel et b le mental, a + b dénotent l’intérieur auquel est opposé l’extérieur en c.
111Dans cet enchaînement pas à pas on peut se demander si la cohérence ne peut pas être restituée à l’aide de parenthésages qui associeraient deux propositions dont la conclusion argumentative serait le point de départ de l’opposition suivante. La première solutions consisterait à associer
112On le voit, c’est la deuxième solution qui est la moins contradictoire. Elle rend de la cohérence à ce qui n’en avait guère30.
113L’exemple anti-orienté par rapport à la thèse dominante produit donc des effets de désorganisation très visibles : au niveau argumentatif, la réfutation s’accélère en enchaînant mais sur mais, en se superposant, par une annulation anticipée, à l’assertion, ce qui bloque tout processus polyphonique et perd le lecteur qui voudrait suivre de près le raisonnement. La contre-argumentation est perçue par le scripteur comme un risque de contradiction qu’il faut annuler dans le moment même où on la pose. Le mouvement de décentration que suppose le schéma polémique ou des mouvements argumentatifs comme la concession sont bien éloignés de la compétence scripturale/argumentative de cette élève. Cependant, comme pour l’élève précédente, on voit comment le mouvement de l’écriture même tente de résoudre des problèmes perçus quasiment au moment même de la production. C’est le lecteur qui en fin de compte peut déplier ce feuilletage discursif pour tente de reconstituer le problème d’où vient vraisemblablement la complexité de formulation.
114Ainsi, les exemples jouent, dans le contexte discursif du schéma polémique, un rôle de détonateur : les exemples accentuent la difficulté de gestion globale, soit qu’ils produisent dans le temps de l’écriture une impression de contradiction, que le rédacteur doit résoudre par des moyens textuels - s’il ne le peut pas, il se trouve alors confronté à des difficultés argumentatives presque insurmontables31, soit qu’ils jouent pour le lecteur un rôle contre-argumentatif insuffisamment marqué métatextuellement, exigeant donc une coopération forte dans la lecture.
C. Problèmes linguistiques autour de l’exemplification
115L’insertion d’exemples dans une dissertation (ou dans un écrit argumentatif en général), par la modification de la posture d’écriture que cela suppose (passage du générique au spécifique, du général au particulier), par le contrôle nécessaire de la relation d’étayage entre l’argument et ce qui l’exemplifie, par le risque que fait courir à l’argumentation le choix et le développement de tel ou tel exemple, est également une source de problèmes linguistiques. L’hypothèse que l’on peut formuler est que la difficulté cognitivo-discursive de l’exemplification mobilise une charge d’attention qui rend le jeune scripteur moins vigilant aux problèmes de construction syntaxique, de choix des connecteurs d’exemplification, d’ambiguïté anaphorique. C’est ce que je vais étudier dans cette section, en proposant à l’analyse un certain nombre de problèmes linguistiques qui apparaissent dans les zones d’exemplification des textes du corpus32.
116Treize copies (soit presque la moitié du corpus) rencontrent des problèmes linguistiques lorsqu’il s’agit d’exemplifier. Certes, ces problèmes ne sont pas spécifiques aux zones d’exemplification (encore que pour trois d’entre elles ce soit précisément le cas). Mais si on liste toutes les difficultés linguistiques rencontrés dans ces treize copies, celles qui apparaissent lors de l’écriture d’un exemple représentent plus de 50 % du total. Bien évidemment tous les exemples ne sont pas non plus sujets à difficultés ; seuls un bon tiers d’entre eux posent problème. Mais ces proportions montrent que l’interrogation initiale qui sous-tend ce chapitre n’est pas tout à fait déplacée.
117Il me faut également préciser que je n’ai pas pris en compte un certain nombre de problèmes linguistiques que je considère comme relativement mineurs : ainsi l’absence de ne dans les structures négatives ou restrictives (ne... pas, ne... que), l’emploi du subjonctif après bien que, la confusion qui/qu’il, problèmes que l’on peut supposer liés à l’évolution de la langue orale et qui sont peu contrôlés par les élèves en production d’écrit. Je range dans la même catégorie l’emploi adverbial de certains adjectifs (« s’habiller correct »), voire l’emploi non marqué de certains substantifs en fonction de circonstanciels (« Je préfère m’habiller « jeans et basket »). On pourra accuser d’un coupable laxisme cette attitude qui ne retient pas comme déviances de tels problèmes, mais les copies d’élèves manifestent de si nombreux dysfonctionnements (et je n’évoque rien ici des problèmes d’orthographe ni de ponctuation) qu’il faut bien choisir les niveaux auxquels il est le plus pertinent d’intervenir. Et il me semble qu’en l’occurrence, une confusion entre comme et ainsi, entre tel que consécutif et tel que analogique, une non-maîtrise des relations anaphoriques sont des problèmes plus globaux et surtout plus fondamentalement liés à notre objet d’étude que le subjonctif après bien que. Par ailleurs, clarifier les problèmes de relation entre norme linguistique et enseignement du français n’est pas l’objet principal de ce travail33.
118Les points que je vais aborder sont les suivants : relations anaphoriques et cataphoriques, confusion entre connecteurs exemplifiants qui produit des télescopages syntaxiques, rethématisation.
1. Contrôle anaphorique et modalités énonciatives : exemple et point de vue
119Je laisse de côté les problèmes généraux posés par les chaînes anaphoriques, comme les syllepses du nombre fréquemment pointées dans les textes d’apprenants34 :
1. Par exemple, prenons un centre commercial : la plupart des gens sont habillés comme couramment, par rapport à une minorité qui se distingue ; mais qui en fait sont peut-être du même rang, point de vue travail que ceux qui ne se distinguent pas.
(Sophie)
120Les substantifs dits collectifs (ici « minorité ») sont fréquemment sujets à des hésitations sur le nombre, apparaissant tour à tour comme singulier et pluriel.
121M.J. Reichler-Béguelin souligne (1988a, 200), que « les ‘erreurs’ de reprise qui apparaissent dans les textes ne font que révéler de manière privilégiée certaines stratégies spontanées de production de ce qu’il est convenu d’appeler les phénomènes anaphoriques : ils tendent à se fonder sur une référence directe aux contenus de pensée de l’énonciateur, eux-mêmes pris dans la mouvance des associations paradigmatiques ». De même, je n’aborderai pas les absences de reprise anaphorique parfois en rupture avec les normes de l’écrit35.
122Je préfère me contenter d’un ensemble de cas plus spécifiquement liés aux phénomènes d’exemplification.
123Dans les deux exemples qui suivent l’anaphorisation proposée par le texte est clairement identifiable mais semble maladroite car elle produit une dénivellation énonciative :
2. Individuellement, pour chaque lycéen, son apparence est importante, mais sinon, il n’est pas soucieux de se distinguer des autres.
(Stéphanie)
3.... pour de jeunes lycéens, ils ne vont pas aller à l’école en tenus stricte, mais, ils vont y aller en tenue décontractée.
(Sandrine 2)
124L’emploi de pour dans ces deux exemples les rapproche tout particulièrement. Pour + N sert ici à thématiser un nouveau point de vue. Dans les deux cas, l’anaphore possessive ou pronominale réfère sans ambiguïté d’interprétation au groupe thématisé36. Mais dans le premier exemple, l’anaphore possessive semble superflue :
2b. pour chaque lycéen, l’apparence est importante.
125Le problème posé par les pronoms il/ils dans les deux exemples est identique, on préférera une absence d’anaphore :
2c. Pour un (chaque ?) lycéen, il est important de se distinguer des autres
3b.... pour de jeunes lycéens, il est préférable de ne pas aller à l’école en tenue stricte
126Il s’agit ici du phénomène classique de la « prohibition des redondances » : « la norme de l’écrit proscrit comme ‘pléonasmes grammaticaux’ les anaphores sur un constituant détaché à l’intérieur de ce qu’elle considère (sûrement à tort du point de vue de l’encodeur) comme une seule et même ‘phrase’. » (Reichler-Béguelin 1988a, 202).
127Le problème anaphorique ici vient aussi de l’aspect polyphonique de pour qui introduit un point de vue, un discours. Deux univers énonciatifs sont en présence (l’univers de l’énonciation et celui de l’énoncé) qui ne peuvent directement coréférer l’un à l’autre, du moins si les frontières énonciatives sont implicites. Comparer avec ces énoncés qui explicitent l’acte de parole :
un/chaque lycéen dira qu’il n’est pas soucieux de...
un lycéen accepte de ne pas se distinguer des autres
les jeunes lycéens disent qu’ils ne vont pas aller...
les jeunes lycéens n’accepteront pas d’aller à l’école en tenue stricte.
128L’emploi de selon, d’après (plus polyphoniques ?) rend ces énoncés plus acceptables, du moins le second :
D’après/selon de jeunes lycéens, ils ne vont pas aller à l’école en tenue stricte.
129Le problème (je signale qu’il est mineur et n’empêche en rien l’interprétation) provient peut-être de ce que le groupe recteur et l’anaphore pronominale ne se situent pas au même niveau énonciatif : le groupe recteur est de dicto37, il annonce une prise de position, l’anaphore est de re, elle renvoie au même substantif, mais en tant qu’il est vu sous l’angle d’un énoncé où il est acteur, sujet syntaxique et non comme énonciateur.
130Je ne peux pour l’instant que rester sur la frange de ces problèmes que je me contente de pointer, les problèmes de référence et d’anaphore n’étant pas centraux dans ma perspective. Cependant quiconque aborderait les phénomènes énonciatifs dans la dissertation ne pourrait que s’y trouver confronté. L’analyse qui précède permet d’aborder les relations entre exemple et point de vue, sous l’angle des difficultés linguistiques et non simplement sous l’angle des constructions discursives.
2. Hésitation sur les connecteurs : problèmes posés par comme et tel que
131Les problèmes que je vais aborder maintenant me semblent être spécifiquement liés à la mise en mots d’exemples dans la mesure où ils posent au lecteur des problèmes d’interprétation liés au choix des connecteurs et aux contraintes syntaxiques instaurées par tel ou tel connecteur.
a. Problème de portée de l’exemple : le problème est en amont
132L’extrait ci-dessous (qui n’est pas unique dans le corpus) manifeste certaines imprécisions d’interprétation qui tiennent vraisemblablement au fait que le connecteur choisi (tel que, comme) est de la catégorie des extracteurs mais qu’il ne trouve pas dans le cotexte antérieur un référent, un interprétant générique qui puisse être la base nominale pour l’extraction : à gauche du connecteur un énoncé phrase, et à droite, un groupe nominal (prépositionnel ou non) expansé par une relative sans support direct pour la relation d’extraction :
4.... certains pensent que se distinguer par son apparence n’est pas important. Ils disent que pour eux l’apparence n’est pas ce qu’il y a de plus important, c’est ce qui est en eux qui compte. Ils pensent qu’il vaut mieux se distinguer par son intelligence que par son apparence, comme par exemple des vedettes qui ont un bel aspect mais quelquefois n’ont rien dans la tête.
(Virginie38)
133Dans ce cas, il semble qu’on soit face à un problème de portée de l’exemple : à quel élément de signification, voire à quel segment antérieur renvoie l’exemple ? J’emprunte à M. Charolles (1988, 9) la notion de portée qu’il utilise pour désigner « le cadre (ou l’espace) de véridiction » dans lequel doit être interprété un énoncé attribué à un autre énonciateur (particulièrement avec « pour A... », « selon A. ; » « A dit que... »). On ne se trouve pas ici dans le cadre des discours rapportés, l’emprunt est donc métaphorique. Dans cet extrait, l’exemple « porte » précisément sur le présupposé de l’énoncé situé à gauche de comme :
il vaut mieux se distinguer par son intelligence que par son apparence : présupposés : certains se distinguent par leur intelligence, d’autres se distinguent par leur apparence
exemple : comme par exemple des vedettes qui ont un bel aspect mais quelquefois n’ont rien dans la tête.
134Il semble que, dans une mise en relation P ainsi P ou P par exemple P, il soit plus facile pour le décodeur de suppléer les liens et les enchaînements sur les présupposés.
4b.... certains pensent que se distinguer par son apparence n’est pas important. Ils disent que pour eux l’apparence n’est pas ce qu’il y a de plus important, c’est ce qui est en eux qui compte. Ils pensent qu’il vaut mieux se distinguer par son intelligence que par son apparence ; par exemple des vedettes ont un bel aspect mais quelquefois n’ont rien dans la tête.
135En fait, cela peut tenir à ce que, par rapport à la production de l’élève, il n’y a pas en plus à rechercher dans le cotexte antérieur un interprétant pour le GN introduit par comme ou tel que.
136La difficulté ici tient aux hésitations que peut avoir le lecteur pour identifier dans le cotexte antérieur ce à quoi réfère l’extraction opérée par comme ou tel que. Mais y a-t-il réellement extraction ici ? L’élève redouble par exemple par comme ; la formule « comme des vedettes » n’est pas une formule soudée (cf. la distinction de Delabre, chap. IV, p. 113). Tout cela renforce l’hypothèse que comme est ici superflu.
b. Problème de portée de l’exemplifié : le problème est en aval
137A l’inverse, le problème peut être pour le lecteur d’avoir trop à attendre ou à chercher pour identifier le terme qui est censé être extrait de la classe constituée par N1. Le problème est ici en aval, non plus en amont, il concerne la difficulté à construire la relation d’extraction.
138L’exemple qui suit illustre ce type de problème. Tel que met bien en relation un interprétant générique et un exemple spécifique :
5. si il existe des différences, il y a aussi des ressemblances : ceux qui sont habillés de la même façon, montrent qu’ils ont les mêmes goûts pas seulement pour les habits mais aussi dans la vie tel que Cure, un groupe de chanteurs, leurs fans essayeront de leur ressembler en portant un pantalon et un pull noir avec une chemise blanche qui sort du pantalon.
(Florence)
139« ceux qui sont habillés de la même façon.... tel que Cure, un groupe de chanteurs, leurs fans » : en dehors des maladresses de surface on peut lire dans cet extrait une relation d’extraction du genre « ceux qui sont habillés de la même façon, comme les fans de Cure... ».
140Cependant, la relation d’extraction suppose de cibler l’élément nominal pertinent pour l’instaurer, ici le nom déterminé par un complément. Or on voit, dans 5, combien cette opération est délicate, puisqu’elle pose un premier thème (Cure) qu’elle paraphrase (un groupe de chanteurs) avant d’aboutir au groupe nominal cible (leurs fans). On est en présence d’une présentation linéarisée des objets de discours et non articulée (sinon par des anaphores « leurs fans »). Ici encore la substitution de l’extracteur par un connecteur interphrastique simplifierait les enchaînements :
5b. si il existe des différences, il y a aussi des ressemblances : ceux qui sont habillés de la même façon, montrent qu’ils ont les mêmes goûts pas seulement pour les habits mais aussi dans la vie. Ainsi, Cure, un groupe de chanteurs, leurs fans essayeront de leur ressembler en portant un pantalon et un pull noir avec une chemise blanche qui sort du pantalon.
c. Comme exemplifiant peut-il devenir un connecteur interphrastique ?
141Le dernier exemple présente le cas le plus typique de ces confusions entre classes de connecteurs : comme est ici bien évidemment exemplifiant et non analogique, l’exemple-phrase porte sur l’ensemble de la phrase située à gauche de comme, malheureusement comme exemplifiant n’est pas compatible avec une subordination ; si on lui substitue ainsi ou par exemple introducteurs de phrase, la difficulté disparaît.
6. Enfin le reste et moi-même pensons que s’habiller est naturel, on peut porter ce que l’on veut sans trop exagérer. Comme les curistes habillés exclusivement de noir, chaussant des doc martins pensent que c’est leur look, le look de ceux qui aiment The Cure, un groupe de chanteur anglais s’habillant comme cela.
(David)
6b. Enfin le reste et moi-même pensons que s’habiller est naturel, on peut porter ce que l’on veut sans trop exagérer. Ainsi les curistes habillés exclusivement de noir, chaussant des doc martins pensent que c’est leur look, le look de ceux qui aiment The Cure, un groupe de chanteur anglais s’habillant comme cela.
142David a bien signifié une exemplification en utilisant comme mais sans contrôler les contraintes syntaxiques. Si dans cet emploi comme n’accepte qu’un GN, une autre solution de réparation est une construction du genre comme + GN qui qui est très souvent utilisée par les élèves :
6c. Enfin le reste et moi-même pensons que s’habiller est naturel, on peut porter ce que l’on veut sans trop exagérer, comme les curistes habillés exclusivement de noir, chaussant des doc martins qui pensent que c’est leur look, le look de ceux qui aiment The Cure, un groupe de chanteur anglais s’habillant comme cela.
3. Télescopages
143Les cas examinés ci-dessus sont proches de ceux que je présente maintenant. En effet en 6, on a pu voir se superposer deux fonctionnements sémantico-syntaxiques différents : un sémantisme d’exemplification et une construction phrastique, les deux étant portés par comme avec une confusion syntaxique entre le comme exemplifiant et le comme analogique. Les télescopages que présentent les extraits ci-dessous concernent plutôt, via la formule tel que, une erreur d’aiguillage entre consécution et exemplification/analogie. J’emprunte la notion de télescopage à Boutet & Fiala (1986), notion reprise et développée dans Fiala & Boutet (1991). « Nous pouvons, disent-ils, caractériser le télescopage comme un enchevêtrement d’énoncés dans lequel deux structures syntaxiques distinctes sont présentes simultanément dans la surface linguistique, ce qui a pour conséquence de mettre en circulation dans l’interaction plus d’une valeur interprétative » (1986, 112). Les exemples de 1986 sont issus de corpus oraux (ce qui explique un terme comme « interaction ») mais il est précisé dans l’article de 1991 que ce phénomène se rencontre aussi bien en français parlé qu’en français écrit : « ce n’est donc pas le « support » de la communication qui est pertinent mais bien plutôt un type de pratique du français que nous pouvons caractériser comme vernaculaire ou peu standard » (1991, 82). Et les auteurs citent des lettres de lecteurs à leurs journaux, des lettres d’embauche, des entretiens non formels auprès d’ouvriers et d’ouvrières. Je pense que l’on peut sans difficulté faire figurer à côté de ce corpus les écrits scolaires que sont les dissertations.
144Comme illustration de ce phénomène, je reprends un autre exemple de Sophie :
7. Evidemment, ce n’est pas ce qui compte quand on emploie quelqu’un, mais il y a certaines obligations telles que pour un serveur dans un hôtel, il est obligé de s’habiller « chic » où comme pour un PDG qui doit toujours être en costume.
(Sophie)
145Boutet et Fiala montrent que « le télescopage n’est pas seulement une interruption d’un schéma syntaxique : il est aussi une imbrication de deux constructions syntaxiques » (1986, 117). Je pense que on peut ici hésiter entre une interprétation exemplifiante et une interprétation consécutive. L’interprétation exemplifiante est portée par
certaines obligations telles que
146l’interprétation consécutive est lisible dans
(des) obligations telles que, pour un serveur, il est obligé/obligatoire de...
147Dans le premier cas, on interprète quasi automatiquement « il est obligé » comme coréférent avec « un serveur », dans le deuxième cas, peut se construire une interprétation impersonnelle de « il est obligé », construction qui n’est pas impossible sous la plume d’un élève. Dans ce cas il faudrait néanmoins substituer le déterminant des à certaines, pour empêcher la lecture « extraction exemplifiante » souvent appelée par le couple « certains... tels que »..
4. Erreurs d’aiguillage : la rethématisation
148Le cas par lesquels va se terminer cet inventaire, présente, comme dans la catégorie précédente, une rupture de construction directement liée à l’intrusion d’un exemple à l’intérieur d’une structure syntaxique, cependant il n’y a pas ici de superposition d’interprétation, plutôt une réorientation syntaxique. L’incise que l’exemple produit n’est pas gérée comme un élément parenthétique mais devient dans le cours de l’énoncé nouveau thème et sujet syntaxique simultanément :
8. Des chanteurs tel que Rita Mitsouko dont le style n’est pas commun, est tout à fait remarquable elle a choisi, ce mode de vie, et elle le respecte ! Mais ceci est très bien !
(Aline)
149L’insertion de l’exemple produit une rethématisation qui se vérifie à des phénomènes d’accord verbal ou de reprise anaphorique (des chanteurs comme.... est tout à fait remarquable, elle…). Dans 8, on ne peut comprendre la reprise anaphorique par elle que si l’on convoque des savoirs extratextuels sur le groupe nommé Rita Mitsouko : c’est une femme, une chanteuse, qui en est l’égérie. On serait ici en présence d’une anaphore par syllepse du genre et du nombre.
150L’essentiel de ces difficultés syntaxiques se trouve donc dans des phénomènes d’enchaînements et de reprise : c’est la cohésion du discours qui est menacée par l’insertion de ce qui est senti comme important alors que la hiérarchisation syntaxique lui accorde un statut secondaire ; c’est l’enchaînement du discours qui crée les nouveaux cadres d’interprétation en laissant dans l’oubli ce qui avait d’abord été posé, ou qui laisse s’installer des superpositions de sens pas vraiment incompatibles, pas vraiment claires non plus, ; c’est la confusion encore entre forme et sens ou l’installation de relations anaphoriques plutôt aléatoires.
151Dans le cadre de cet écrit, je n’ai bien sûr pas cherché à être exhaustive. J’ai choisi de traiter des erreurs qui, sans être des apax, me paraissaient plus directement lié à l’insertion d’exemples. On verra dans le chapitre 7 le parti que l’on peut tirer de quelques-unes de ces observations, notamment à propos du connecteur comme.
Conclusion : statut des exemples dans les dissertations
152Le bilan de cette première investigation se fera en plusieurs points. Je reviendrai d’abord rapidement sur le problème de la note, abordé en introduction, pour observer la « rentabilité » scolaire de l’insertion d’exemples dans une dissertation. Puis je reprendrai les observations faites autour de trois grandes questions : quelles sont les difficultés argumentatives que les élèves rencontrent quand ils ont à produire un texte selon le schéma polémique et quel rôle les exemples jouent-ils dans ces difficultés ? quels sont les problèmes textuels et discursifs qu’ils rencontrent dans ce contexte ? et pour finir, quels sont les problèmes linguistiques de mise en mots qui apparaissent dominants ?
153En ce qui concerne la note, il apparaît très nettement que le correcteur que j’étais ne notait pas au nombre d’exemples, mais bien plus en fonction de la longueur du texte produit. Les bonnes notes vont aux textes longs (ce qui ne signifie pas que les textes courts soient tous mal notés). Le nombre d’exemples, dans ce cas précis en tout cas, n’était pas l’indicateur d’une possible réussite textuelle. Cependant, il faut bien voir que si un texte long séduit le correcteur, l’exemple, pour qui sait le maîtriser, est certainement d’un bon rapport : il permet d’allonger tout en explicitant ce que l’on veut dire.
154Ce constat permet de comprendre la prescription scolaire de « mettre des exemples » ; mais cette exigence est peut-être dangereuse s’il ne suffit pas d’insérer des exemples pour avoir une bonne note. Cette question alimentera une part du chapitre VIII : suffit-il de prescrire (et même de clarifier un fonctionnement langagier) pour améliorer les productions des élèves ?
155Sur le plan discursif, les choix opérés par ces élèves pour ouvrir leur texte ou pour déplacer le débat donnent une bonne image des canons du genre dissertatif : l’ouverture est très majoritairement centrée sur l’examen d’une position qui reprend positivement la question du sujet. A-t-on ici un écho de la prédominance des « exemples positifs » sur les « exemples négatifs » que je présentais à propos des apprentissages discriminatifs dans le chapitre II ?
156Quant à la délicate question du dépassement du débat polémique, on a vu que les solutions inventoriées par les élèves sont largement différenciées.
157Outre les difficultés générales révélées par l’emploi d’exemples à la place d’énoncés généralisants, ou par le choix d’exemples qui trahissent une réinterprétation des termes du sujet, les disjonctions argumentatives provoquées par les exemples (ou concomitantes à leur insertion), sont révélatrices de problèmes fréquents autour de la polyphonie énonciative, du dialogisme et des réfutations en chaîne. Il semble que le contre-exemple (ou exemple anti-orienté) joue un rôle important dans ces difficultés. On a observé comment un mouvement concessif qui demande de gérer globalement la relation entre deux énoncés, pour présenter en premier, non ce que l’on veut poser, mais ce que l’on concède, comment ce mouvement donc peut perturber l’écriture d’apprentis-scripteurs. On a vu aussi qu’un contre-exemple peut être perçu par le scripteur comme un risque de contradiction qu’il faut donc annuler dans le temps même où on le pose.
158Le rôle des exemples au niveau textuel apparaît surtout dans la tentation de l’énumération. Rares sont les textes qui jouent avec un exemple en introduction pour accrocher le lecteur (encore moins en conclusion, mais l’exemple aurait alors une autre fonction). Rares sont les moments aussi où l’exemple est l’objet d’une réflexion, le support permettant de construire une position ou une argumentation (ce que j’ai appelé le rôle heuristique de l’exemple).
159Sur le plan linguistique, on a pu observer, dans les passages d’exemplification, de nombreux problèmes autour des anaphores, des ruptures thématiques et des télescopages syntaxiques. Rien qui soit cependant scandaleux par rapport à la norme linguistique, rien qui ne soit explicable, rien qui empêche la compréhension du lecteur. Je dirais plutôt que ces difficultés sont l’indice d’une non-familiarité avec l’écrit, ou d’un rapport à la langue un peu flou. La non-familiarité se voit surtout dans les fluctuations syntaxiques au cours de l’écriture ; comme si le scripteur perdait la mémoire de son début de phrase. Ces « écrits de l’urgence » que sont les devoirs faits en classe, en temps contraint, sans aide pour répondre aux questions possibles sur l’acceptabilité de telle ou telle formule, constituent une mine de renseignements sur la langue en train de s’écrire, sur les interférences entre planification et mise en mots.
160Les problèmes anaphoriques sont nombreux et de différentes sortes ; cependant mon intuition initiale sur les difficultés que peut poser comme exemplifiant se vérifie complètement. Ces élèves montrent la complexité de la formule un N1 comme le N2 ; ainsi c’est tantôt un N1, tantôt le N2, tantôt encore comme, qui produit la difficulté linguistique.
161Pour terminer cette conclusion, que j’ai voulu un peu longue, je voudrais signaler que l’exemple apparaît dans ces analyses (et surtout peut-être dans celles qui le mettent en relation avec des compétences rédactionnelles) comme un lieu de clivage entre les rédacteurs en difficulté et ceux qui maîtrisent la production écrite. Sur cette question des exemples, on voit ainsi se creuser les écarts entre élèves : ou les exemples sont le lieu du problème (argumentatif et/ou linguistique) ou ils sont la manifestation d’une réussite textuelle et discursive39. L’exigence institutionnelle d’exemplification rejoindrait-elle, à l’insu de l’institution scolaire elle-même, le grand mouvement de sélection dont elle est porteuse ? En tout cas, cela justifierait, si besoin en était, de construire des savoirs explicites sur cette question.
Notes de bas de page
1 Il peut même arriver qu’une troisième lecture modifie encore la configuration. Voir Delcambre (1992, 132-133).
2 Les indications qui suivent ne concernent que les 27 élèves présents lors du devoir sur table qui constitue mon corpus d’analyse.
3 Voir sa présentation dans Delcambre (1990).
4 Mais cette organisation des apprentissages dissertatifs n’est pas à considérer comme unique. La construction du modèle de texte et de discours qu’est la dissertation peut se faire très directement (à condition de prendre en compte les représentations que les élèves se font des rapports entre ce nouvel objet textuel et des situations langagières plus familières comme le sondage d’opinion, le débat télévisé, l’interview, le tract, etc. Voir Darras et al., 1994, 37-62) sans passer par une phase de clarification qui aurait une valeur propédeutique sur le texte argumentatif. Sur cette alternative, voir aussi Delcambre (1996).
5 Le comptage du nombre de mots peut permettre d’évaluer par un calcul de pourcentage la fréquence de certaines formes (comme les organisateurs textuels) selon diverses variables (type de texte observé et développement en fonction de l’âge par exemple) comme le fait Schneuwly (1984). Dans D.G. Brassart (1987), l’étude du nombre moyen de mots, croisé avec le nombre moyen de propositions (explicites et implicites) permet d’observer un allongement en longueur et une densification en termes de contenus d’information du CE2 à la 5° pour presque tous les groupes étudiés.
6 Le problème évoqué ici se retrouve presque à l’identique dans d’autres productions textuelles : quand il s’agit de produire des textes descriptifs par exemple ou des dialogues, les élèves, dans leur souhait de fidélité au « réel » supposé et de restitution intégrale, sont amenés à produire des textes inflationnistes, peu pertinents et de faible textualité. Voir par exemple D. Bessonnat & D. Coltier (1989).
7 Notion qui mérite, comme toutes les évidences, d’être interrogée. Voir Darras, Vanseveren (1990).
8 Dubois (1967, 113).
9 Je désigne par leurs prénoms quelques élèves, pour rendre plus lisibles ces quelques commentaires très généraux.
10 Par ailleurs, il s’agit de deux garçons, qui n’étaient pas parmi les meilleurs élèves de la classe. Ceci expliquerait-il cela ?
11 Cf. ci-après pp. 148152.
12 A l’instar de Sylviane, il produit un texte « répétitif » qui présente dans un passage le glissement thématique se distinguer → être distingué. Ce cumul de problèmes révèle un élève en difficulté.
13 En soi, ce choix d’écriture ne pose pas de problème, on peut tout à fait imaginer de poser d’abord son opinion personnelle et de consacrer le reste du texte à la justifier ou à montrer en quoi des opinions inverses sont inacceptables ou moins pertinentes. F. Mikolajczak-Thirion (1990, p. 13 sq) nomme essai ce genre de texte d’opinion caractérisé par une forte présence du locuteur-énonciateur principal dans un discours de type éthique, qui développe, sans le mettre à l’épreuve des faits et d’une analyse « rigoureuse », le problème posé par le sujet en amplifiant le point de vue de la citation.
14 De nouveau, ce sont trois garçons dont l’écriture joue (plus ou moins habilement) avec les règles construites dans l’apprentissage.
15 Voir Y. Chevallard (1986) qui montre comment la note est plus l’objet d’une transaction entre le maître et les élèves que le résultat d’une mesure.
16 Cf. B. Delforce, 1986.
17 Roulet (1987, 121-123) dit de en tout cas, connecteur reformulatif proche de de toute manière, de toute façon, qu’« il subordonne rétroactivement un mouvement discursif impliquant une incertitude et présente l’intervention principale qu’il introduit comme indépendante de celle-ci ; en d’autres termes, il annule rétroactivement une perspective énonciative évoquant une interrogation », ce qui est le cas du schéma polémique dont le premier temps est gouverné par une interrogation totale du genre « il faut se demander si.. ou si.. ».
18 Les allusions fréquentes au phénomène rock que l’on observera dans les copies proviennent non d’une préparation collective mais de la culture de la classe, notamment de la présence d’un élève « curiste » (fan du groupe rock The Cure) qui se réclamait de l’anarchisme.
19 J’emprunte la dénomination de ce niveau à J.-M. Adam qui en donne la définition suivante : « construction d’une représentation dans un espace sémantique donné » (1989, 66).
20 C’est d’ailleurs pourquoi l’annotation « hors sujet » que risquent de recevoir de tels textes ou fragments de textes est si invalidante : le « hors sujet » est la lecture que renvoie aux élèves le lecteur compétent qui repère de tels glissements de sens non contrôlés. C’est invalidant parce que non contrôlé. Il suffirait que la dérive thématique soit signalée pour que le risque de hors sujet disparaisse. Il suffirait ( !) que les élèves soient capables de tels contrôles métatextuels...
21 Futur de répétition ou d’anticipation, disent Wagner et Pinchon (1962, 356) grâce auquel « on exprime une chose qui a l’habitude de se produire et dont on suppose selon toute vraisemblance qu’elle se produira encore ».
22 Pour une présentation, voir Fayot (1990).
23 Frédéric et Stéphanie ont tous les deux eu une très bonne note.
24 Une réfutation totale serait difficile vu que P est sous la portée d’un verbe déclaratif dont le sujet est le locuteur ; je pense que P mais (je dis que) P n’est pas vrai romprait le contrat de communication.
25 Cf. la présentation que fait J.-M. Adam (1990) des analyses de O. Ducrot.
26 Une autre copie présente un mouvement très proche P mais quand même Q.
27 Sur l’interversion de p mais q voir Ducrot (1980, 16-17).
28 Un autre passage du texte qui pose un problème d’enchaînement sur une négation (enchaînement sur le présupposé de la phrase négative et non sur le posé, cf. Delcambre 1991) deviendra un support d’exercice, présenté au chapitre vii. p. 207.
29 D.G. Brassart (1993) signale une rédaction argumentative d’un étudiant de licence en production d’une note de synthèse qui me semble très proche de ce que j’essaie d’analyser ici. L’étudiant inverse dans sa rédaction l’enchaînement argumentatif d’un texte du dossier qui présentait un argument E2 comme décisif dans un enchaînement El mais E2 donc C. Dans le texte de l’étudiant cela devient E2 mais El donc non C. On peut se demander si cette inversion n’est pas explicable par ce phénomène de disposition linéaire où le scripteur pose d’abord ce qui est perçu comme principal pour ajouter ensuite une restriction, perçue comme secondaire (ce qu’est bien un énoncé concédé) mais en se trouvant pris au piège de l’enchaînement argumentatif.
30 On pourrait paraphraser cette relecture de Delphine par l’énoncé « Posséder un manteau de fourrure, même au prix de privations, peut rendre heureuses certaines personnes mais elles risquent d’être rejetées par leur entourage ».
31 Ceci justifierait tout à fait un apprentissage en production qui consisterait à développer, à isoler les actes discursifs comme assertion, concession, réfutation, donc à travailler sur dialogisme et polyphonie énonciative.
32 Ce chapitre est la reprise partielle, revue et corrigée de Delcambre 1991.
33 Sur cette problématique, voir Schoeni et al. 198S.
34 Cf. Reichler-Béguelin 1988a, 198-202 ; 1988b, 29-30 ; Reichler-Béguelin et al. 1988, 78.
35 Voir cet extrait : « Chacun vit pour lui-même et se faire distinguer des autres parce qu’on porte de belles choses est essentiel. Exemple : une commerçante dans un magasin de vêtements : être soigné ! » (Aline).
36 De plus, la présence du connecteur argumentatif mais renforce la chaîne anaphorique. Voir Reichler-Béguelin (1988b, 31) : « il semble que la présence d’un connecteur argumentatif soit particulièrement apte à assurer le maintien d’un thème fixe ».
37 Reichler-Béguelin (1988b, 26) évoque un cas semblable où l’anaphore rappelle non un contenu propositionnel mais un acte de langage : « Il est interdit de faire la lessive après 22 heures. Veuillez-vous y conformer ».
38 Il s’agit d’une autre Virginie que celle dont le texte a été étudié pp. 145-148.
39 Je n’ai pu dans le cadre de ce livre présenter la réussite d’une élève qui se prend elle-même comme exemple et qui révèle, ce faisant, des capacités remarquables de décentrement et d’auto-analyse. Voir Delcambre 1994, 223 sq.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Questions de temporalité
Les méthodes de recherche en didactiques (2)
Dominique Lahanier-Reuter et Éric Roditi (dir.)
2007
Les apprentissages lexicaux
Lexique et production verbale
Francis Grossmann et Sylvie Plane (dir.)
2008
Didactique du français, le socioculturel en question
Bertrand Daunay, Isabelle Delcambre et Yves Reuter (dir.)
2009
Questionner l'implicite
Les méthodes de recherche en didactiques (3)
Cora Cohen-Azria et Nathalie Sayac (dir.)
2009
Repenser l'enseignement des langues
Comment identifier et exploiter les compétences ?
Jean-Paul Bronckart, Ecaterina Bulea et Michèle Pouliot (dir.)
2005
L’école primaire et les technologies informatisées
Des enseignants face aux TICE
François Villemonteix, Georges-Louis Baron et Jacques Béziat (dir.)
2016