Chapitre III. L’opération d’exemplification et ses formes textuelles
p. 75-100
Texte intégral
1L’exemplification ne semble pas être une opération discursive qui intéresse beaucoup les linguistes. Cependant, ce n’est pas une opération inconnue : elle est souvent citée, du moins dans le champ des travaux qui s’intéressent aux phénomènes de mise en discours et de production textuelle, mais jamais étudiée globalement ni en tant que telle.
2Elle apparaît aux marges d’études qui se donnent d’autres objets. Il s’agit par exemple des analyses de C. Fuchs (1982) sur la paraphrase et de E. Gülich et T. Kotschi (1987) sur les actes de reformulation. Ces derniers évoquent l’exemplification à côté de la dénomination, de l’explication définitoire et du résumé pour rendre plausible la notion « d’acte de composition textuelle » et sous-catégoriser l’acte de reformulation.
3C. Fuchs dans le chapitre central de son livre La Paraphrase, décrit les formes que prend en discours le « jugement métalinguistique d’identification » qui constitue l’activité de paraphrase. Après une analyse détaillée des formes de définition, elle évoque rapidement l’exemplification puis passe à des « zones floues » qui, d’après elle, s’écartent de son objet d’étude car le fonctionnement linguistique n’y est plus vraiment autonymique. Ce que C. Fuchs appelle exemplification et dont elle dresse une liste des manifestations textuelles est ainsi placée entre forme exemplaire et formes marginales de la paraphrase. Même si l’analyse qui en est faite alors est comparativement plus développée que ce qu’on trouve chez Gülich et Kotschi qui ne font que l’évoquer, il se trouve que l’exemplification occupe une place de « faire-valoir » ou plus exactement, si je puis dire, de « faire nombre », elle sert à justifier l’importance d’un phénomène voisin mais n’est pas considéré vraiment comme objet d’étude1.
4L’exemplification semble occuper en tant qu’objet d’analyse dans le champ des études linguistiques et discursives la place même qu’elle occupe dans le discours : rôle secondaire, roue de secours, adjuvant si besoin, un petit bouche-trou pour faire nombre. Un rôle, pour tout dire, d’illustration.
5Ce chapitre va donc tenter d’apporter quelques éclairages sur cette opération. D’abord en essayant de définir l’exemplification comme opération discursive complexe aux frontières de l’étayage argumentatif, de la reprise paraphrastique et de la catégorisation lexicale. Puis seront rapidement observées les formes textuelles que peut prendre l’opération d’exemplification. En tant que mise en relation de deux séquences d’énoncés (et non plus de deux segments courts), la séquence exemplifiante peut convoquer des formes d’organisation textuelle connues par ailleurs comme plus ou moins prototypiques. On sait qu’un des problèmes que les élèves rencontrent avec cette opération discursive est de contrôler l’hétérogénéité textuelle que provoque l’insertion d’un exemple long dans un texte. On explorera ainsi, à propos de la liste énumérative, les différences entre exemplification et description, puis, on évoquera les démarcations métadiscursives qui contiennent une anecdote narrative dans les limites de sa fonction d’exemple, et surtout, on présentera quelques cas d’exemples argumentatifs. Ces derniers (extraits d’articles de presse) sont particulièrement intéressants en ce qu’ils montrent dans des textes d’experts, comment un exemple peut avoir fonction d’argument (ou de contre-argument). Quand on abordera cette question dans les textes d’élèves, il faudra se souvenir qu’argumenter à l’aide d’exemples n’est pas une faiblesse d’apprenti.
A. L’opération d’exemplification
6Il s’agit ici de construire quelques règles définitoires de l’opération d’exemplification. On observera d’abord l’approche logico-argumentative de J.B. Grize, puis l’approche paraphrastique de C. Fuchs, enfin, on examinera le rôle instructionnel des marqueurs d’exemplification. L’objectif est de montrer que l’opération d’exemplification est complexe, qu’elle est composée d’aspects relativement différents, qui peuvent expliquer que, selon les cas, une séquence exemplifiante sera plus marquée par sa fonction argumentative ou par sa fonction de reprise paraphrastique ou par l’activité de construction sémantico-référentielle qu’elle présuppose.
1. L’approche logico-argumentative : J.B. Grize
7Dans le cadre de la « logique naturelle », perspective différente des analyses linguistiques évoquées ci-dessus, l’exemple apparaît comme une « configuration » (Grize 1981a, 36) au même titre que l’analogie ou la contradiction. Ces configurations ne font pas partie à proprement parler des opérations élémentaires de logique naturelle, mais elles contribuent à l’éclairage des objets de discours, à la modification de leur valeur. L’exemple participe donc à la construction d’une schématisation.
8Grize reprend l’approche aristotélicienne qui fait de l’exemple un type d’argument. Il s’interroge dans un texte assez ancien (1981b) sur la portée démonstrative des exemples en distinguant discours théorique et discours quotidiens. Dans le premier, dit-il, les exemples, pour être probants, « doivent posséder toutes les propriétés caractéristiques du phénomène » exemplifié2. Au contraire, dans les discours quotidiens, l’exemple est probant s’il joue localement le rôle de preuve pour l’interlocuteur. Il propose ainsi de considérer que « le treillis des seize opérations binaires de la logique des opérations constitue un exemple paradigmatique de la structure d’algèbre de Boole », et d’opposer ce type d’exemple à celui-ci, issu d’un discours ordinaire (publicité radiophonique) :
1. - Croyez-vous que Darty tienne parole ?
- oui, parce que mon cousin qui...
9Il ajoute que dans ce cas il ne « s’agit nullement d’induction mais de croyance », aucun lien logique ne présidant à la relation exemple/exemplifié.
10Dans ce court texte de Grize, il faut relever l’insistance du motif de la preuve. Si un exemple a une quelconque raison d’être dans un discours, c’est bien d’apporter une preuve, d’étayer par une raison, d’être un argument à l’appui de l’énoncé dont il dépend. Grize (1996) reprend incidemment la même analyse qu’il emprunte à la théorie de l’étayage proposée par Apothéloz et Miéville (1989). La relation entre les deux énoncés A et F, F étant un exemple, est une relation argumentative « A en effet F » :
2. Il me semble que le travail est moins intéressant sur le traitement de texte que quand on le fait à la machine à écrire [A], moi par exemple j’aime beaucoup tricoter, mais s’il fallait m’acheter une machine à tricoter, ça ne me plairait pas. [F]
exemple d’Apothéloz et Miéville, 1989
11On retrouve là une tradition rhétorique fort ancienne, dont il est plaisant de penser qu’elle n’est pas obsolète.
12Si donc l’opération d’illustration peut être caractérisée, on peut poser qu’un premier trait serait celui-ci :
13Règle 1 : E2 sera une exemplification de El, si E2 est produit/reçu comme un argument en faveur de E1
14Dans l’exemple 1, cette relation d’argument est exprimée par le connecteur argumentatif « parce que » qui introduit un argument (E2) appuyant le fait énoncé en El (cf. Roulet et al. 1985, 130-132). C’est d’ailleurs la seule relation qui soit explicitement exprimée. Rien ne marque ici qu’il s’agit d’un exemple. A l’inverse dans l’exemple 2, le connecteur argumentatif en effet est implicite, le marqueur d’exemplification par exemple est explicité.
15Si la relation argumentative peut être facilement identifiée en l’absence de connecteur, d’où vient dans l’exemple 1 que l’on interprète E2 comme un exemple ? Il semble qu’on puisse l’attribuer à la présence dans E2 d’un constituant spécifique « mon cousin », plus spécifique que les constituants de El. Darty est certes un nom propre, mais qui désigne ici un générique (l’entreprise, la société commerciale, l’ensemble des magasins Darty, un magasin Darty quel qu’il soit, etc..) et non un individu.
16La relation spécifique/générique caractérise aussi l’exemple du discours théorique. Si un exemple « possède toutes les propriétés caractéristiques du phénomène » qu’il exemplifie, il doit présenter des éléments plus spécifiques. En voici un (plus facile à commenter pour moi que celui de la logique d’algèbre de Boole) :
3. les connecteurs argumentatifs peuvent [...] engendrer un changement de statut hiérarchique rétroactivement : un connecteur comme donc précédé d’une pause marquée provoquera la conversion d’un acte antécédent présenté comme autonome en un acte subordonné d’argument et un connecteur comme car précédé également d’une forte pause provoquera, à l’inverse, la conversion d’un acte antécédent donné comme autonome en un acte principal à fonction de conclusion.
Rossari, 1990
17Le changement de statut hiérarchique posé comme règle dans E1 prend deux formes particulières dans les énoncés qui suivent (« acte subordonné d’argument » ou « acte principal à fonction de conclusion »). De même, donc et car constituent deux éléments spécifiques de la classe des connecteurs argumentatifs, etc.. On remarquera par ailleurs le grand parallélisme syntaxique et sémantique entre E1 et E2 :
séquence exemplifiée | séquence exemplifiante |
les connecteurs argumentatifs | a/le connecteur donc |
peuvent engendrer | provoquera |
un changement | la conversion |
de statut hiérarchique | d’un acte [...] autonome |
rétroactivement | (acte) [antécédent présenté comme autonome] |
18Chaque « ligne » du tableau ci-dessus peut être analysée en termes de « propriétés caractéristiques » du phénomène observé : la colonne de gauche désigne la classe d’objets auxquels s’applique la propriété caractéristique (les connecteurs argumentatifs), la colonne de droite constitue une liste (incomplète) des éléments qui entrent dans le champ de cette propriété (les deux connecteurs donc et car) et démontre l’appartenance des objets spécifiques considérés au champ de la propriété par l’application de la propriété générale à chaque cas particulier.
19Si l’on considère que les relations hyperonymiques sont constituées d’emboîtements hiérarchisés (un hyperonyme dominant un hyponyme pouvant être à son tour dominé par un élément superordonné) on peut donc vraisemblablement formuler une deuxième définition de l’opération d’exemplification :
20Règle 2 : E2 sera une exemplification de El, si E2 présente un ou plusieurs constituants plus spécifiques que les constituants de l’énoncé El correspondant.
2. L’approche paraphrastique : C. Fuchs
21A la différence de l’approche argumentative de Grize, C. Fuchs élabore une théorisation de l’exemplification en termes de relation paraphrastique.
22Définissant la paraphrase comme un jugement métalinguistique qui « consiste à identifier les sémantismes respectifs des deux séquences comparées » (Fuchs 1982, 89), elle s’attache aux formes linguistiques de cette relation d’identification qui sont essentiellement, pour elle, au nombre de trois : les propositions équationnelles3, l’exemplification et la citation.
23De l’exemplification, elle dit : « la séquence Y qui reformule la séquence X se présente comme une sorte de cas particulier, d’exemple illustratif de X. » (107) et elle montre à partir d’un corpus de sermons enregistrés le jour de la Toussaint en 1968-1969, qu’à partir d’un prédicat (« heureux les... /ceux qui..) les énoncés-exemples « construisent une classe d’animés vérifiant ces prédicats, l’identification procédant par une succession d’opérations d’« extraction »4 de membres représentatifs de cette classe » :
« les... /ceux qui..., c’est par exemple/entre autres yl, y2... yn »
24C’est de nouveau la relation catégorielle classe/individu, associée ici à la notion d’extraction, qui est convoquée pour identifier la relation exemplifiante.
25Mais D. Coltier (1988) montre, dans une des rares études linguistiques et didactiques sur l’exemplification, que l’exemplification est un type de paraphrase un peu particulier : « Tout énoncé présenté comme un énoncé-exemple donne à lire que le fragment paraphrasé est le nom générique d’un ensemble, d’une classe », à la différence de la « paraphrase canonique (qui) spécifie la signification qu’il convient d’attribuer au segment X dans le discours » (p. 26). L’exemplification comme opération cognitive et discursive se situerait à la frontière de la paraphrase et de la catégorisation.
26C. Fuchs relève diverses formes d’exemplification : formes équatives où « c’est » joue le rôle de « marqueur » si l’on peut dire5, formes « zéro », sans marquage donc (sinon l’énumération, ce qui est une forme syntaxique de l’exemplification, cf. ci-dessous)6, formes « actualisantes »7, formes de comparaison8 et de citation.
27Je signale, dans ce relevé des formes de l’exemplification, une caractéristique déjà signalée à propos de l’exemple 1 : le caractère non obligatoire du marquage par un morphème spécialisé pour établir la relation d’exemplification. Si un marqueur d’exemplification n’est pas exprimé, il semble que la reprise exemplifiante peut être prise en charge au niveau lexical (passage d’un générique à un spécifique) ou syntaxique (énumération). L’absence de connecteur caractérise également les reformulations paraphrastiques. Lorsque l’équivalence sémantique E1/E2 est assez forte, il n’est pas besoin de la marquer (Rossari 1990). La relation d’étayage argumentatif, spécifique à l’exemplification (mais étrangère aux reformulations paraphrastiques), explique aussi que les liens sémantiques entre E et e9 soient établis indépendamment d’un connecteur.
28Pour terminer cette présentation, deux ajouts. D’abord l’idée que l’exemple peut ne consister qu’en « un seul individu », que la succession des opérations d’extraction peut être potentielle, et qu’elle n’est que théoriquement indéfinie :
« La succession des extractions se présente comme théoriquement indéfinie - même si l’énumération s’arrête très vite, voire même ne porte que sur un seul individu - c’est-à-dire comme un « parcours » (Culioli) de la totalité de la classe, d’où identification. »
Fuchs, 1982, 108
29C’est donc le sémantisme d’extraction qui importe et non la déclinaison de tous les éléments de la classe appelés par le générique. La liste, fondamentalement inachevée10, peut être réduite à un élément unique. Ainsi l’exemplification peut-elle prendre aussi bien les figures de la condensation11
4. Pour le moment, les psychologues en sont tout juste à découvrir le fonctionnement de la mémoire en simulant des activités ordinaires, la lecture, par exemple.
« Le labyrinthe de la mémoire », Science et avenir, Oct. 1990
30que celles de l’amplification
5. « Nous avons plus particulièrement travaillé sur la mémoire de travail, qui a une fonction de traitement et de stockage temporaire », précise Marie-France Ehrlich. Quand on lit, il faut retenir ce qui a été lu dans les phrases précédentes. Donc faire intervenir la mémoire de travail. On s’est aperçu que cette mémoire.... (ibid.)
31Enfin, la dernière chose que souligne Fuchs, et qui me semble très importante, car elle permet d’élargir la relation d’exemplification à d’autres phénomènes que l’extraction, est que « l’identification (du sémantisme de X au sémantisme de Y) est une dynamique effectuée par un sujet en situation et non une relation d’identité donnée a priori » (ibid., 116). La relation paraphrastique est le résultat d’un jugement dont l’effet est de « poser une relation de substituabilité hic et nunc entre X et Y » et non l’expression d’une identité en soi. Ce jugement d’identification permet de construire des paraphrases qui ne sont pas exclusivement sous la domination des structures sémantico-référentielles de l’organisation du lexique, ce que supposent les opérations d’extraction et de parcours évoquées plus haut. En ce qui concerne l’exemplification, cette distinction est importante car elle permet de prendre en compte des énoncés complexes qui sont présentés explicitement comme des exemples sans qu’ils s’appuient sur des phénomènes d’extraction. La relation paraphrastique (mais non définitionnelle) l’emporte peut-être alors sur la relation exemplifiante, énumérative et paradigmatique.
32En voici un exemple
6. Mais comment expliquer sans épingler ? Comment éviter, par exemple, de donner à la transcription de l’entretien, avec son préambule analytique, les allures d’un protocole de cas clinique précédé d’un diagnostic classificatoire ?
P. Bourdieu, La misère du monde (1993, 8)
33La relation lexicale générique/spécifique semble absente de la relation E1/E2, or c’est apparemment une relation d’exemplification qui est choisie par le scripteur (voir le marqueur par exemple). Cette relation ici est nettement du côté de la paraphrase, entendue ici dans un sens beaucoup plus large que la paraphrase linguistique-sémantique qui s’appuie sur les structures du lexique.
34Charolles, Coltier (1986) travaillant sur les marqueurs de reformulation paraphrastique (c’est-à-dire, autrement dit) proposent de considérer deux grandes catégories de reformulation paraphrastique, en s’appuyant sur une distinction issue de Martin (1976) entre paraphrase situationnelle-pragmatique et paraphrase linguistique-sémantique12. Ils disent en conclusion de leur étude qu’« il y a reformulation lorsqu’un locuteur présente une expression comme explicitant la signification d’une autre ».
35L’exemple 6, même s’il met en relation des énoncés complexes (les analyses de Charolles, Coltier ne considèrent que des paraphrases intraphrastiques), peut être analysé comme une relation paraphrastique pragmatique.
36De ces observations, on peut tirer un troisième trait caractéristique de la séquence exemplifiante :
37Règle 3 : E2 sera une exemplification de E1, si E2 opère une reprise de El, visant à construire un jugement d’exemplification, qui peut prendre la forme linguistique d’une reprise syntaxique ou lexicale (cf. règle 2). En l’absence de formes de reprise, l’emploi d’un marqueur spécialisé est nécessaire.
38L’exemplification apparaît donc comme une opération de reformulation discursive. Cela signifie que l’exemple n’existe pas seul mais uniquement dans la relation avec un énoncé qui permet de l’interpréter, que l’exemple n’est identifié comme exemple que dans la relation qu’il entretient avec un autre énoncé du co-texte, relation qui le désigne comme énoncé reformulant. Hors de ce co-texte, le même énoncé perd son statut d’exemple. J’ai jusqu’à présent analysé cette opération dans une perspective assez large ; l’angle d’attaque que je vais prendre maintenant s’attachera plus précisément aux instructions portées par les marqueurs.
3. Le phénomène de rétro-interprétation
39Les marqueurs de reformulation ont été beaucoup travaillés, d’abord par E. Roulet qui revient en 1987 sur les connecteurs réévaluatifs présentés dans son étude de 1985.
40Les connecteurs reformulatifs (non paraphrastiques)13 sont des connecteurs qui opèrent un changement de perspective énonciative émanant d’une rétro-interprétation qui modifie l’interprétation du statut interactif du premier énoncé :
« Nous posons qu’un connecteur reformulatif subordonne rétroactivement un mouvement discursif antérieur, ou un implicite à une nouvelle intervention principale, en indiquant un changement de perspective énonciative. Il intègre les deux constituants qu’il articule dans une intervention de rang supérieur. Le changement de perspective énonciative opéré varie selon le connecteur reformulatif utilisé ».
Roulet 1987, 117
41Le connecteur reformulatif a deux propriétés :
l’effet rétroactif : ses instructions concernent l’énoncé antécédent p (phénomène de portée)
l’instruction interprétative : p doit être réinterprété comme énoncé subordonné à q, ce qui équivaut à un changement de statut hiérarchique de p.
42Par exemple, avec en somme, le locuteur indique qu’il tire une synthèse de p, synthèse qu’il énonce en q (Rossari, 1990).
43D’après cette classification, il apparaît donc une scission des connecteurs interactifs (tels que Roulet et al. (1985) les avait déterminés) : les argumentatifs d’un côté, les reformulatifs de l’autre, les deux classes étant essentiellement différenciées par la présence/absence du phénomène de rétro-interprétation.
44En effet, les connecteurs argumentatifs « véhiculent des instructions concernant l’énoncé q : ils permettent d’assigner un statut à q par rapport à p ; q pouvant être, suivant le choix du connecteur, soit un argument pour p, soit un contre-argument pour p, soit encore la conclusion de p. De ce fait, les connecteurs argumentatifs n’ont pas d’effet rétroactif » (Rossari 1990, 346)14.
45Ce qui distingue encore les deux catégories de connecteurs, c’est l’instruction de reprise ou de reformulation : les connecteurs argumentatifs présentent E2 comme un enchaînement sur El et non comme une reprise de E1 ; les connecteurs reformulatifs présentent E2, énoncé subséquent, comme reprenant El, énoncé antécédent, (sous une forme ou une autre).
46Qu’en est-il de ces analyses si on les rapporte à la séquence exemplifiante ?
47Sans revenir sur les phénomènes de reprise et de présence/absence de connecteur analysés plus haut, on peut voir que l’ordre des constituants et la subordination hiérarchique du constituant exemple au constituant exemplifié sont des questions qui concernent l’exemplification.
48Dans l’exemplification, à première vue, il ne semble pas qu’il y ait de mouvement de rétro-interprétation. e2 est présenté, notamment par le marqueur par exemple comme secondaire, hiérarchiquement subordonné. De même, en l’absence de marqueur explicite, l’emploi fréquent des parenthèses marquent la subordination hiérarchique15 :
E 1 (e 2)
49Mais cette relation, à la différence des énoncés reformulatifs qui suivent toujours les énoncés qu’ils paraphrasent ou réinterprètent, peut aussi bien inverser l’ordre des constituants dans les cas où l’exemple précède l’énoncé qui le régit
e 1 ; E 2
50sans que la relation hiérarchique soit pour autant effacée. Quel est le rôle des marqueurs dans l’institution de ces relations hiérarchiques ? S’il y a ou non rétro-interprétation, de quelle nature est-elle ?
4. Le rôle instructionnel des marqueurs d’exemplification
51On peut essayer d’observer plus finement le rôle que jouent les marqueurs d’exemplification par exemple et ainsi dans le processus d’interprétation selon l’ordre des constituants dans le discours.
52Quand l’énoncé-interprétant précède l’exemple
53le marqueur annonce le statut discursif de ce qui va suivre. S’il y a rétro-interprétation, c’est au niveau sémantico-référentiel, quand on construit la relation sémantique entre e et E, et non pas au niveau d’une réinterprétation du statut hiérarchique des deux énoncés.
54Si l’exemple précède l’énoncé-interprétant, il faut d’abord constater que par exemple devient impossible : ni devant E, puisque le connecteur annonce explicitement un exemple, ni devant e puisqu’il marque une relation de subordination, et qu’on ne peut guère subordonner un énoncé premier dans le discours (sinon rétroactivement) :
55On ne peut trouver comme marqueur dans ce cas, devant E, qu’un marqueur anaphorique comme ainsi16 (valeur particulière de ainsi, à différencier de la valeur exemplifiante ou consécutive, cf. Coltier 1988).
56En voici un exemple :
7. Quand on pense à littérature, on pense à Proust, donc à une madeleine, donc à la place de la Madeleine, donc aux temples grecs, donc à la Méditerranée, donc aux vacances, et donc aux bouquins qu’on veut lire sur la plage. Le cerveau est ainsi fait : il fonctionne par analogies, associations d’idées.
Libération 23/01/1991
57Le rôle d’exemple de la première phrase ne fait guère de doute ; si l’on inverse les deux constituants on retrouve le marqueur par exemple
7’. Le cerveau est ainsi fait : il fonctionne par analogies, associations d’idées. Par exemple, quand on pense à littérature, on pense à Proust, donc à une madeleine, donc à la place de la Madeleine, donc etc.
58ainsi devenant alors cataphorique.
59Le schéma interprétatif dans l’exemple 7 devient donc
60Le mouvement de mise en relation est ici assez semblable à ce que C. Schnedecker (1992a), à la suite de Rossari, présente pour bref, c’est-à-dire que le marqueur assigne rétrospectivement au fragment de texte antérieur le statut d’exemple en le subordonnant à l’énoncé postérieur : on pouvait penser que c’était (thématiquement par exemple) un énoncé directeur ouvrant un thème « littérature » alors qu’il s’agit de parler de fonctionnement cognitif. Il prépare pour ainsi dire l’accueil sur le plan cognitif d’un concept ou d’une notion abstraite ou le passage à une généralisation (ce qui est le cas dans l’extrait ci-dessus), ou sur le plan fonctionnel, il marque que El est un énoncé subordonné à l’énoncé subséquent E2.
61Dans les deux cas, le mouvement de va et vient entre e et E est identique : il y a construction d’une relation sémantique entre deux énoncés. Mais ce qui change c’est l’identification d’un segment de texte comme constituant directeur. Dans a, la subordination est annoncée par le marqueur, programmée, « proactive », donc facilement effaçable pour qui n’aurait pas de difficulté avec le constituant directeur. Dans b, la subordination est rétroactive, elle n’est réalisable qu’a posteriori, le lecteur est ici sous la dépendance de l’ordre du texte et soumis à la disposition discursive qu’on lui propose. C’est peut-être à rapprocher de l’opposition aristotélicienne entre exemple - illustration et exemple - support d’induction et du sentiment que l’on a souvent que le second est davantage constructeur de connaissances que le premier.
62Tout cela est à mettre en relation avec le fait que l’exemplification n’est pas qu’un phénomène linguistique mais aussi un phénomène cognitif ; ce qui peut expliquer aussi que la relation d’exemple existe même en l’absence de marqueur. Pour terminer cette section, on peut ajouter une dernière règle :
634. e sera une exemplification de E, si, quelque soit sa place, un marqueur (lorsque marqueur il y a) lui assigne un rôle d’énoncé subordonné.
Conclusion : les opérations d’exemplification
64L’opération d’exemplification se situe à la jonction de deux autres opérations de composition textuelle, l’étayage argumentatif et la reformulation paraphrastique. Selon donc les contextes d’emploi, telle ou telle caractéristique sera plus accentuée, ce qui permet de décrire l’opération en termes de continuum ou en termes de niveaux différents de signification.
65La base de l’opération d’exemplification peut être sémantico-référentielle : la séquence exemplifiante présentera alors une (ou plusieurs) opérations d’extraction d’éléments représentatifs (à des titres divers) de la classe ou du générique présenté par l’énoncé à exemplifier. Ces opérations d’extraction se feront en référence aux structures du lexique et/ou aux structures de connaissance. C’est en cela que l’exemplification est aussi une opération cognitive. Les opérations pourront utiliser des outils de connexion spécialisés dans l’opération d’extraction (comme, cf. plus loin). C’est essentiellement cette forme d’exemplification qui est analysée dans Coltier (1988) et Briend (1988).
66La base de l’exemplification peut être préférentiellement argumentative : cela n’exclut pas le passage générique/spécifique, l’exemple doit bien être marqué par un trait qui le différencie de la paraphrase. Mais ce passage mettra peut-être en jeu plutôt des énoncés généraux et des énoncés particuliers, la construction de classes n’étant pas l’opération prioritaire de cette forme d’exemplification. Ou alors, il s’agirait de classes ad hoc, non forcément partagées au niveau d’un savoir encyclopédique, davantage marquées par les valeurs, les topoï. Elle sera, est-il besoin de le préciser, très souvent présente dans les écrits dissertatifs analysés plus loin.
67Enfin, l’exemplification peut recouvrir une opération de paraphrase, ce qui est donné comme exemple étant alors une autre formulation possible pour une notion que l’on tente de cerner ou de faire comprendre. Ce n’est plus le contenu sémantico-référentiel ou la conduite argumentative qui sont ici visés, mais la forme même de l’expression dans une recherche d’approximation qui fait du soi-disant exemple une formulation parmi d’autres et de l’exemplification une forme d’hésitation discursive.
B. Formes d’organisations textuelles de l’opération d’exemplification
68Parmi toutes les formes possibles de textualisation, deux grandes formes textuelles me semblent caractériser la verbalisation de l’opération d’exemplification : l’énumération et le cas. Cette opposition n’est pas sans rappeler le couple exemple/paradigme tel qu’il a été utilisé au chapitre II. Des critères syntaxiques permettront peut-être de différencier ces deux formes : l’énumération est essentiellement intraphrastique, elle porte sur des constituants, le plus souvent inférieurs au niveau de la phrase, insérés en incise. Le cas se présente comme une micro-séquence textuelle, autonomisable, occupant l’espace d’au moins une phrase complète. D’autres formes peuvent vraisemblablement se rencontrer, mais j’étudierai particulièrement ces deux organisations afin d’observer leur fonctionnement propre et éventuellement leurs différences. L’exemplification apparaît alors comme une fonction discursive dévolue à des formes textuelles comme la description, la narration, l’argumentation, connues par ailleurs pour avoir d’autres fonctions discursives. Il s’agira d’identifier les traits caractéristiques qui font de ces organisations textuelles typiques une séquence exemplifiante.
1. La liste exemplifiante
69L’énumération ou la liste est une des figures constitutives de l’exemplification, un des supports des relations génériques/spécifiques ou classe/individu (cf. la règle 2). Mais elle caractérise aussi la description. Comment différencier les deux fonctionnements textuels ?
a. Frontières description/exemplification
70La liste est identifiée comme le degré zéro de la description, elle constitue un « cas limite du type descriptif » (Adam, Petitjean, 1989, 157) mais non un cas impossible.
71Si la description, selon M. -J. Borel, obéit à une logique synecdochique (« une logique des parties et des tous »17), il peut bien sembler que l’exemplification aussi : la synecdoque comporte dans les définitions rhétoriques des relations à l’espèce ou au genre18. Comme la description, l’exemplification se présente sous forme de liste, d’accumulation.
72Est-ce l’organisation textuelle qui peut permettre de distinguer ces deux formes de listes ou d’autres éléments signifiants ?
73Je proposerai d’observer deux textes que j’emprunte à A. Petitjean (1987). Son analyse porte sur la fonction mathésique de la description et il constate qu’un certain nombre de glissements peuvent s’opérer lorsque le « savoir » a du mal à s’incorporer au roman, glissements typologiques, du descriptif à l’explicatif ou à l’argumentatif, mais aussi glissements d’un autre genre « lorsque les prédicats spécifiques que [les descriptions] énoncent peuvent être interprétés comme des prédicats de classe » (ibid., 66) :
8. Cet oiseau appartenait à la plus belle des huit espèces que l’on compte en Papouasie et dans les îles voisines. C’était le paradisier « grand émeraude », l’un des plus rares. Il mesurait trois décimètres de longueur. Sa tête était relativement petite, ses yeux placés près de l’ouverture du bec, et petits aussi. Mais il offrait une admirable réunion de nuances, étant jaune de bec, brun de pieds et d’ongles, noisette aux ailes empourprées à leurs extrémités, jaune pâle à la gorge, brun marron au ventre et à la poitrine. Deux filets cornés et duveteux s’élevaient au-dessus de sa queue, que prolongeaient de longues plumes très légères, d’une finesse admirable, et ils complétaient l’ensemble de ce merveilleux oiseau que les indigènes ont poétiquement appelé « l’oiseau du soleil ». Je souhaitais vivement de pouvoir ramener à Paris ce superbe spécimen des paradisiers afin d’en faire don au Jardin des Plantes, qui n’en possède pas un seul vivant.
J. Verne, Vingt mille lieux sous les mers
74A. Petitjean souligne que l’espèce (oiseau paradisier) est désignée à l’ouverture de l’extrait, qu’il reçoit une dénomination (grand émeraude) et que le SN qui le désigne à l’issue de la description prend une valeur générique (« ce merveilleux oiseau que les indigènes ont.. »). Cependant, il est difficile de trouver dans cet extrait un sémantisme d’exemplification. C’est bien d’une description qu’il s’agit, description d’un « spécimen » typique, mais description. L’interprétation (seconde) en termes de prédicats de classe ne produit pas une séquence exemplifiante.
75Soit ce deuxième extrait, toujours de J. Verne, toujours issu du même article :
9. Un léger berceau de plantes marines, classées dans cette exubérante famille des algues, dont on connaît plus de deux milles espèces, se croisait à la surface des eaux. Je voyais flotter de longs rubans de fucus, les uns globuleux, les autres tubulés, des laurencies, des cladostèphes, au feuillage si délié, des rhodymènes palmés, semblables à des éventails de cactus.
J. Verne
76L’énumération de l’énoncé 2 exemplifie un segment de l’énoncé 1 : « cette exubérante famille des algues ». Certes, l’énumération n’est pas exempte de descriptions très localisées (globuleux/tubulés) mais il ne s’agit pas de la description d’un spécimen.
77Je propose de considérer qu’une des oppositions entre les deux formes textuelles porte sur le type d’objet considéré : la description considère un objet spécifique, unique (même si en fin de compte le lecteur peut le considérer comme représentatif d’une classe), alors que l’exemplification traite d’un objet général (ou générique), d’une « famille » comme le dit explicitement le deuxième texte de J. Verne présenté ci-dessus. Un sémantisme pluriel est à l’origine d’une séquence exemplifiante, un sémantisme singulier à l’origine d’une description.
78Ainsi, décrire un spécimen n’est pas donner un exemple ; ce n’est pas parce qu’un spécimen peut être considéré par le lecteur comme exemplaire et représentatif d’une classe que le texte qui en traite (voire qui donne à penser par des marques de généricité qu’une interprétation en termes génériques est possible) réalise une exemplification. Des éléments structurels sont en jeu mais aussi sémantico-référentiels : dans la description, on part d’un objet pour aller vers sa décomposition/recomposition en différentes parties ; dans l’exemplification, on part d’un ensemble pour aller vers l’accumulation de ses différents éléments. Dans la description, les parties sont différentes du tout ; même si les descriptions réalistes visent à décrire les parties comme homologues du tout, il n’en reste pas moins qu’une tête, un bec, des plumes, une queue, etc. ne sont pas le même type d’objet qu’un oiseau. Dans une séquence exemplifiante, les éléments manifestent ou ont en partage au moins une propriété caractéristique de la « famille » dont l’exemple pose qu’ils font partie : des laurencies, des cladostèphes, des rhodymènes sont des algues qui flottent à la surface de l’eau19.
79Cette incursion aux frontières de l’exemplification permet de confirmer et de renforcer l’importance des phénomènes d’inclusion de classe pour caractériser l’exemplification.
b. La liste exemplifiante et la question de l’ouverture sémantique
80L’accord n’est pas unanime concernant le nombre d’éléments nécessaires et suffisants pour constituer une liste. Adam par exemple hésite entre deux (Adam. Revaz, 1989, 68) et trois termes (Adam 1990, 151). L’étude de l’exemplification aboutit à ce paradoxe qu’une liste peut être virtuellement convoquée à partir d’un seul élément. Comment une énumération peut-elle être réalisée dans une liste à un terme ?
81Toute liste exemplifiante, de quelque longueur qu’elle soit, institue un sémantisme d’ouverture. Rappelons que l’induction rhétorique, à la différence de l’induction logique, n’implique pas l’énumération exhaustive des individus composant la classe.
82La question de la liste est longuement traitée dans D. Coltier (1988) qui envisage les procédés d’exemplification essentiellement sous cette forme. Elle montre que l’insertion d’un marqueur comme entre autres dans une liste produit un sémantisme d’inachèvement qui transforme la liste en exemple.
83Si le but de la démonstration est de mettre en évidence la valeur du marqueur, il ne faudrait pas en conclure que ce sémantisme d’ouverture n’est institué que par le marqueur ; on a vu précédemment que l’opération d’exemplification n’est pas obligatoirement marquée par un connecteur.
84On posera donc que le caractère fragmentaire de la liste est caractéristique de cette catégorie d’exemples, mais qu’il est tantôt explicite (grâce à des marqueurs de « clôture/ouverture » comme entre autres), tantôt implicite.
85La liste peut être marquée à l’ouverture par les morphèmes comme, comme par exemple, tel que ou par exemple, entre autres, notamment, en particulier. Ces derniers ont cette particularité d’ouvrir ou de clore une liste qui peut être réduite à un seul élément.
10. Paul a lu L’Argent, entre autres.
exemple emprunté à Coltier 1988
86A ces marqueurs qui portent une instruction d’ouverture sémantique, il faut ajouter etc. et trois points de suspension qui associent ouverture sémantique et clôture formelle20.
87Mais lorsque la liste n’est pas marquée explicitement, d’autres traces font alors office de marquage d’ouverture sémantique. Je choisis de ne parler ici que des marqueurs de relais internes à l’énumération, et notamment du morphème ou.
88J.M. Adam (1990, 151) place dans la catégorie des marqueurs d’intégration linéaire21 la sous-catégorie des organisateurs additifs dans lesquels se trouvent et, ou, aussi, ainsi que, etc. sans faire de différence notoire entre et et ou. Or il me semble que lorsqu’il s’agit d’identifier des listes exemplifiantes, en l’absence d’un autre marquage, l’emploi de l’un ou de l’autre n’est pas équivalent.
89Examinons l’exemple 11 :
11. Prolongeant les méthodes directes d’étude de la mémoire (rappel et reconnaissance), de nouvelles méthodologies sont apparues dans ce domaine : méthodes indirectes et simulations.
« La mémoire, forme de la cognition », Le Courrier du CNRS, oct. 1992
90L’exemple associe un déterminant défini pluriel (« les méthodes directes ») en position de E à une énumération à deux termes au singulier coordonnées par et : les deux termes représentent assez clairement des éléments constitutifs de la classe désignée par le syntagme nominal de E. C’est un et associatif, cumulatif ou encore « et de combinaison » selon Comullier (1985). Il souligne l’identité de position hiérarchique des deux termes dans la phrase, tous les deux spécifiques du générique présent en E.
91S’il fallait préciser par un marqueur le lien entre E et e, à savoir s’imposerait contre par exemple22.
92Cependant, la relation change si l’on compare 11 et 12 :
12. Le débat théorique porte ici sur les mécanismes cognitifs susceptibles d’expliquer de telles dissociations (activation, traitement piloté par les données ou les concepts) et sur le caractère unitaire de la mémoire humaine.
Le Courrier du CNRS, oct. 1992
93Dans ce cas, la présence de ou ne bloque plus l’insertion de par exemple, ou fonctionne comme un opérateur d’ouverture sémantique.
94Il ne s’agit pas ici d’un ou « exclusif » mais d’un ou « d’équivalence » que l’on peut gloser par ou encore et qui se trouve d’ailleurs souvent sous cette forme dans des listes explicitement présentées comme des exemples :
13. En effet, l’eau bouillante et la glace fondante ne furent pas adoptées d’emblée ; on retrouve toute une kyrielle de repères, comme les réactions de divers mélanges de glace et de sel, le point de fusion du beurre, ou encore, pour Alence, la référence à sa cave qui, creusée en profondeur, se révélait avoir une température constante.
A. Giordan, G. de Vecchi, Les origines du savoir, (1987)
Delachaux & Niestlé
95Ce ou encore a une dimension séquentielle ici (signaler le dernier terme de la liste) et une dimension énonciative d’« indifférence entre deux éventualités » (Petit Robert) qu’I. Tamba (1987, 25-26) présente ainsi en l’opposant à et : « OU signale que l’opération de coordination intervient au niveau des possibles, des validables, des imaginables [...] ET, pour sa part, signale que la coordination des termes s’effectue au niveau du validé ou du valide et détermine par là une valeur relationnelle de coexistence, de simultanéité, de cumul ».
96Pour revenir au classement de J. -M. Adam (1990) dont il était fait état plus haut, il ne semble pas indifférent que l’exemple qu’il donne d’une énumération exemplifiante (p. 156) soit structuré par des ou et non par des et : il la décrit comme chapeautée par un sous-thème-titre « chaque détail » fonctionnant comme
« déclencheur synecdochique, le connecteur illustratif ainsi ouvre la séquence énumérative structurée par deux ou, l’énoncé final « on pourrait continuer ainsi et écrire un livre gros comme ça » fonctionnant comme « clôture provisoire de la liste, dépendante des limites matérielles de l’opération descriptive ».
97Cet exemple et son commentaire confortent les hypothèses que je faisais plus haut sur les limites ténues qui séparent énumération descriptive et énumération illustrative.
98En conclusion, il faut redire que l’absence de marquage linguistique est possible et fréquent ; souvent l’énumération constitue en elle-même la fonction d’exemplification (voir la règle de reprise), la délimitation de la liste se faisant simplement par la ponctuation (emploi de marqueurs potentiels23 comme les parenthèses, notamment, qui marquent la dénivellation discursive24).
2. Le cas où l’anecdote
99A la différence des exemples-listes, ce qui caractérise les exemples ci-dessous, c’est le fait qu’ils sont rarement énumératifs, mais plutôt organisés en sous-séquences relativement autonomisables parce qu’elles forment un tout sémantique, textuellement cohérent et pouvant être interprétés indépendamment de la structure textuelle d’accueil. Ce sont par ailleurs des séquences qui occupent l’espace d’une ou plusieurs phrases25, alors que précédemment on a eu majoritairement affaire à des énumérations de constituants (groupes verbaux ou nominaux).
100Ce qui frappe dans cette catégorie d’exemples, c’est l’abondance des moyens verbaux de marquage de l’exemplification (organisateurs textuels et énoncés métadiscursifs) et une forte minoration, par rapport aux exemples-listes, des marques de ponctuation comme signal de l’exemplification.
101Il ne faut d’ailleurs pas s’étonner de cette prédominance des moyens verbaux en ouverture et en clôture de ces sous-séquences : les exemples-phrase sont souvent longs et s’ils produisent comme les exemples-listes un décrochage hiérarchique dans la linéarité de l’argumentation ou de l’exposition, il faut bien régenter les risques de dérive thématique (de hors-sujet, dirait-on dans l’institution scolaire) que cela peut produire.
102On peut trouver des marqueurs spécifiques à l’exemplification, par exemple, ainsi, ou des énoncés métadiscursifs (locutions nominales : à titre d’illustration, dans le détail, locutions verbales : Prenons l’exemple de, énoncés : Le x en constitue un exemple particulièrement significatif).
103Ce marquage explicite est d’autant plus nécessaire que la relation entre e et E est complexe : il ne s’agit pas comme avec les exemples-listes d’exemplifier une notion ou un concept, d’opérer une extraction de quelques éléments d’une classe, mais d’amplifier un énoncé complet qui a souvent un statut argumentatif. Je présenterai deux cas d’insertion exemplifiante qui soit produisent une rupture typologique dans le déroulement du texte-source soit jouent un rôle argumentatif dans un enchaînement de type p mais q.
a. Insertion d’une anecdote narrative
104L’exemple consiste en l’insertion d’une séquence quasi autonome, différente sur le plan typologique et/ou thématique. L’usage d’un marqueur signale l’insertion, assure l’interprétation de ce qui va suivre comme séquence insérée, hiérarchiquement dépendante d’un interprétant, qu’il n’est pas toujours facile d’ailleurs d’identifier.
14. Pour arriver à produire une intelligence supérieure à la nôtre, nous devons commencer par créer des outils. Or, paradoxalement, le seul outil qui puisse nous aider dans cette recherche, c’est l’intelligence artificielle elle-même. Ce paradoxe, connu sous le nom du problème de l’amorçage, constitue évidemment la première difficulté que nous devons résoudre. Prenons l’exemple de gens qui échouent sur une île déserte, comme dans L’île mystérieuse de Jules Verne. Ces hommes décident de se lancer dans la fabrication d’un four. Seulement, pour faire un four, il faut des briques, et pour faire des briques, il faut un four. Pour sortir de ce cercle, ils se mettent à fabriquer des briques à la main et les mettent au milieu de fagots. Autant vous dire que les briques ne sont pas parfaites ! Mais avec ça, ils peuvent faire le premier four. Avec le premier four, ils fabriquent des moules à briques, des briques mieux cuites etc. En informatique, dans une certaine mesure, nous en sommes déjà à ce stade : les ordinateurs actuels n’existeraient pas sans l’ordinateur !
Libération, 27 Fév. 1991, « La conscience artificielle »
105L’exemple repose sur une analogie (on pourrait même dire que c’est une analogie présentée sous forme d’exemple) qu’il est nécessaire de démarquer du reste du texte autant à l’ouverture qu’à la clôture. En effet, cet exemple-analogie installe un autre univers de référence (la référence au roman de Jules Verne installe un univers de fiction) et opère un changement textuel : il s’agit d’une anecdote de type narratif, où les enchaînements sont de nature temporelle-causale26. Dans cette anecdote exemplaire, il n’y a que les enchaînements qui intéressent l’auteur de l’article, au point de produire un texte dont l’aspect « boule de neige »27 assure justement le caractère exemplifiant : c’est sur cette relation que repose l’analogie avec la construction d’ordinateurs experts. De ce fait, le début typologiquement narratif (un univers fictionnel : des naufragés sur une île déserte, des personnages, un but : fabrication d’un four) se trouve relayé par une séquence qui est plus proche de la description d’actions que du texte narratif. L’insertion narrative n’est pas elle-même canonique sur le plan typologique. Ces glissements sont bien évidemment dus à la nécessaire focalisation dans l’exemple lui-même sur ce en quoi il est pertinent pour l’interprétant, à savoir ici la création d’outils et le paradoxe de l’amorçage.
106Mais les démarcations propres au texte de la séquence exemplifiante ne suffisent pas à rendre l’exemple intelligible, il faut également que le sens en soit explicité : c’est le rôle de la dernière phrase de cet extrait où l’on assure l’intelligibilité de l’anecdote. Ainsi la séquence-exemple est marquée par des expressions spécifiques et le texte-matrice qui l’accueille redouble ce marquage par des énoncés d’ouverture et de clôture. Ces emboîtements successifs ressemblent à peu près à ceci :
Ce paradoxe, connu sous le nom du problème de l’amorçage....
Prenons l’exemple de gens....
[…]
etc.
En informatique, dans une certaine mesure, nous en sommes déjà à ce stade : les ordinateurs actuels n’existeraient pas sans l’ordinateur !
107Ce double encadrement de l’anecdote semble garantir l’unité thématique du texte et contrôler les risques de dérive en formulant explicitement la valeur qu’il convient de donner à l’exemple, la relation qu’il faut construire entre l’exemple et le « thème-titre » initial.
b. Insertion d’un exemple dans une argumentation
108A l’inverse, l’exemple qui est inséré dans une chaîne argumentative, n’est pas formellement identifiable en tant que séquence textuelle autonome. Il n’y a pas alors hétérogénéité textuelle comme dans les exemples précédents. Ce phénomène pourrait à lui seul justifier le premier trait de l’exemplification proposé au début de ce troisième chapitre.
109Je présenterai deux cas d’étayage argumentatif réalisé par des énoncés particuliers ou spécifiques, en distinguant les cas où l’exemple reformule un argument antérieur et les cas où il joue un rôle d’argument ou de contre-argument par rapport à la conclusion argumentative. Dans les premiers cas, l’exemple est essentiellement illustratif ; dans les seconds, l’exemple n’est en rien différent d’un argument, il ne se distingue des arguments antérieurs/postérieurs que par des phénomènes sémantico-référentiels (énoncés généraux vs particuliers, génériques vs spécifiques).
L’exemple opère une reprise de l’argumentation
110L’exemple étaye, amplifie une argumentation, ici de type réfutative (non pas p mais q) :
15. « Il ne faut pas vendre le transport en commun globalement mais se consacrer à une ligne spécifique, explique Joël Lebreton. Par exemple, plutôt que de racheter des bus neufs disséminés sur l’ensemble du réseau, on va mettre tous nos efforts sur une ligne tout en allant chercher la clientèle par du marketing direct, comme la distribution de bons d’essai gratuits. On renouvelle le matériel en améliorant le temps de trajet par l’installation de couloirs réservés ou la priorité aux feux ». L’expérience a démarré à Grenoble...
Le Monde, 10-11 mai 1992, « Des transports plus urbains »
111L’exemple ne fait que reprendre, en ajoutant des détails, la structure de la réfutation initiale : il en reprend les deux termes dans un parallélisme syntaxique strict :
non p | E : Il ne faut pas vendre le transport en commun globalement | e : plutôt que de racherter des bus neufs disséminés sur l’ensemble du réseau |
mais q | E : mais se consacrer à une ligne spécifique | e : on va mettre tous nos efforts sur une ligne tout en allant chercher la clientèle par du marketing direct, comme la distribution de bons d’essai gratuits. On renouvelle le matériel en améliorant le temps de trajet par l’installation de couloirs réservés ou la priorité aux feux. |
112On remarquera à quel point ce texte de presse est répétitif dans ses structures syntaxiques : une fois qu’un moule de phrase est trouvé, cela produit un enchaînement sur le même modèle qui assure la cohésion du passage mais crée aussi une impression d’un apport d’information limité, qui donne à l’exemple un statut d’illustration le plus banal, à moins que ce ne soit les généralisations qui paraissent formelles et un peu convenues !
L’exemple construit une réfutation
113Les exemples dont on va parler ci-dessous peuvent apparaître comme des contre-exemples ou des exemples a contrario. En fait l’analyse révèle des phénomènes complexes d’enchaînement sur des actes illocutoires et pas toujours sur du contenu propositionnel : ce critère fait que l’impression de première lecture doit être révisée, notamment en observant si l’exemple et co-orienté ou anti-orienté par rapport à la conclusion argumentative. Car en toute logique, un contre-exemple devrait fonctionner comme un contre-argument et être anti-orienté par rapport à la conclusion.
114Cela dit, à la différence des cas précédents, l’exemple à fonction argumentative, au lieu d’amplifier comme ci-dessus l’ensemble d’un mouvement argumentatif, n’en reprend que l’un des deux termes.
115Premier cas : exemple anti-orienté par rapport à la conclusion argumentative, à fonction de contre-exemple
116L’exemple porte sur p mais dans l’énoncé où s’exprime la position de l’énonciateur, p est l’objet d’une négation (et d’une modalisation, que je laisse de côté pour cette analyse). La structure argumentative est donc la suivante : vouloir non p, la suite réfutative étant à inférer à la fin de cet extrait (mais vouloir q).
16. Nous ne voulons pas de réseaux à deux vitesses dans une même ville avec d’un côté le tramway ou le métro, de l’autre le bus. A Lille, par exemple, il n’y en a que pour le VAL, et la fréquentation s’en ressent. Dans l’agglomération lilloise, on comptait 89 voyages par habitant et par an, en 1990, contre une moyenne nationale de 98, et une moyenne de 122 pour les agglomérations de plus de 250 000 habitants, poursuit J. Lebreton […] On peut mettre quelques milliards sur un ou deux axes de métro rapide ; s’il n’y a pas de politique globale, la fréquentation ne suit pas.
Le Monde, 10-11 mai 1992, « Des transports plus urbains »
117L’exemple représente la voie que l’on ne veut pas suivre ; il développe le présupposé de la phrase négative, soit l’assertion positive « il existe dans une même ville des réseaux à deux vitesses » (par exemple, à Lille). Il développe p issu de « non pas p (mais q) ». P est un exemple a contrario puisqu’il est refusé dans le premier énoncé. L’exemple explicite la raison pour laquelle on pose non p. On pourrait résumer l’ensemble par une formule de ce genre :
vouloir non p (car) EX : p → r (et vouloir non r)
118L’exemple explicite la conclusion r qu’il faut tirer de p (p : « il y a un réseau à deux vitesses dans une même ville » → r : « la fréquentation s’en ressent »). De vouloir non p, le lecteur doit inférer vouloir non r (« nous ne voulons pas une baisse de fréquentation »). L’exemple qui développe p donc r est anti-orienté par rapport à une conclusion q implicite (« nous voulons une politique globale »).
119Deuxième cas : l’exemple est un argument co-orienté avec q, il explicite par avance la conclusion r qu’il faut tirer de q pour réfuter p.
17. Il existe bien une dimension financière dans le développement des transports collectifs. Mais les élus ne peuvent se retrancher derrière cet argument. Avec une volonté plus affûtée dans la mesure où le maire de Strasbourg a fait des transports en commun son cheval de bataille, Catherine Trautman a pris des mesures pour lesquelles la France est globalement à la traîne. La décongestion des centres-villes est aussi une affaire de volonté politique, qui implique de mettre en place des moyens de substitution permettant de garer les voitures, et de les oublier.
Libération, 25 Fév. 1992, « Un levier politique qui désenclave les villes »
120L’argumentation est à peu près la suivante : « c’est cher mais cet argument n’est pas valable car si on a la volonté (comme à Strasbourg), on peut trouver des solutions » ou en condensant « c’est cher mais c’est faisable, la preuve à Strasbourg... ». Il s’agit d’une concession (certes p, mais q) où l’exemple développe de manière anticipée la conclusion r de q et a donc statut de réfutation par rapport à la conclusion non r de l’énoncé concédé-réfuté p, d’où la valeur de preuve qu’il endosse, puisqu’il est co-orienté avec la conclusion de ce passage argumentatif.
121Schématiquement, cela donne :
certes p (c’est cher) (donc non r : ne faisons rien)
mais on ne peut pas dire [p (donc r)]
(car) EX : q et r (A Strasbourg, on veut faire et on fait des choses) (donc) si q, r (si on veut, on peut faire)
122L’argumentation présente un enchâssement, où la réfutation de p porte sur l’énonciation de p (« se retrancher derrière cet argument ») et l’exemple (« C. Trautman à Strasbourg ») vient appuyer cette réfutation en montrant que la conclusion implicite r de p est une contre vérité, puisque non r est avéré. De là découle la dernière proposition implicative, qui clôt le mouvement argumentatif ouvert par certes p en tirant les conclusions de l’exemple intermédiaire.
123L’exemple joue ici un rôle fondamental dans le déroulement de l’argumentation, il étaye la réfutation de p tout en préparant la conclusion q.
Conclusion
124J’ai tenté de montrer que les exemples-listes présentent cette caractéristique de pouvoir constituer une liste potentielle même avec un seul terme. Ils se distinguent des exemples-cas en ce que l’énumération est sémantiquement présente qu’elle soit convoquée par un marqueur spécifique ou marquée par d’autres phénomènes qui installent ce même sémantisme. J’ai également montré que cette énumération exemplifiante doit être distinguée d’autres types d’énumération, comme l’énumération descriptive.
125Les exemples-cas produisent souvent à la différence des exemples-listes, une rupture typologique. C’est pourquoi ils sont le plus souvent accompagnés de marques de gestion du lecteur très appuyées, redoublées en ouverture et en clôture : c’est vraisemblablement parce que les risques interprétatifs y sont les plus grands, parce que la distance sémantique y est plus grande.
126Deux exceptions cependant : lorsque l’exemple calque assez fidèlement la structure syntaxique de l’énoncé qu’il exemplifie (comme dans l’exemple 15 ci-dessus, où le seul par exemple suffit). On se retrouve alors presque dans le cas de figure d’une « énumération de phrases ».
127La seconde exception au marquage de l’exemple-cas se trouve dans les contextes où l’exemple joue un rôle argumentatif de premier plan. Le dernier extrait étudié ci-dessus est représentatif de ce phénomène : il n’est guère marqué ni à l’ouverture, ni à la clôture, mais pris dans un développement argumentatif, point n’est besoin d’en rajouter, son statut d’exemple-argument est facile à identifier.
128J’ai ainsi été amenée à étudier la diversité des relations où un exemple peut jouer le rôle d’un argument. L’insertion d’exemples-phrases dans un texte argumentatif vérifie la règle 1 énoncée plus haut : E2 sera une exemplification de El si E2 est un argument en faveur de EL On a vu ci-dessus que la relation « être un argument en faveur de » est loin d’être simple ; les cas que j’ai observés (mais il y en a certainement bien d’autres) font de l’exemple ou un étayage de la conclusion r à réfuter (on pourrait parler alors de contre-exemple) ou un étayage de la conclusion r vers quoi tend l’ensemble du mouvement argumentatif. Quant à la relation E1/E2, elle ne porte pas toujours sur des énoncés explicites : E2 peut porter sur des conclusions argumentatives à inférer des énoncés qui occupent les places p ou q dans l’argumentation.
Notes de bas de page
1 Voir aussi une allusion à l’exemplification comme opération subordonnée à côté de la justification et de la confirmation dans Charolles (1991).
2 Cf. les analyses de Miéville, ci-dessus chap. ii, pp. 64-65.
3 Il s’agit de propositions qui réalisent une opération de désignation (« le mot autodidacte désigne quelqu’un qui s’instruit lui-même ») ou de dénomination (« quelqu’un qui s’instruit lui-même s’appelle un autodidacte »).
4 La notion d’extraction est signalée par C. Fuchs comme empruntée à Culioli.
5 « Bienheureux les pacifiques : c’est cette grand-mère qui... ».
6 « Bienheureux les cœurs purs [...] après Jésus, la très sainte vierge immaculée, Louis de Gonzague,.. ».
7 « Heureux ceux qui pleurent : nous connaissons tous des souffrances dans la vie ».
8 Ceci est un indice des relations de proximité pragmatique entre exemplification et analogie.
9 L’exemplifié est ici symbolisé par E et l’exemple par e ; la majuscule E prétend signifier l’importance hiérarchique supérieure et l’existence autonome de l’énoncé exemplifié, ou énoncé-interprétant, la minuscule e au contraire marque le caractère subordonné, hiérarchiquement second, de l’énoncé exemple.
10 Cf. Coltier (1988,26) « L’exemplification apparaît donc comme une opération discursive qui consiste à établir l’équivalence de deux énoncés dont l’un est présenté comme une liste paradigmatique inachevée des individus composant la classe et qui sont donnés comme autant de faits ou choses vérifiables ».
11 Cf. l’analyse ci-après (p. 91).
12 La paraphrase linguistique (« un tartuffe, c’est-à-dire un imposteur ») repose sur des relations synonymiques, à la différence de la paraphrase pragmatique (« La célèbre braderie de Lille a connu ce week-end son succès habituel, c’est-à-dire immense », exemple emprunté à l’article cité de Charolles, Coltier).
13 Roulet (1987, 115) distingue la reformulation non paraphrastique de la relation paraphrastique décrite par Gülich et Kotschi (1983) « qui lie les deux constituants de même niveau hiérarchique et consiste, comme son nom l’indique, en une simple paraphrase », c’est-à-dire en une paraphrase linguistique.
14 Rossari signale que certains connecteurs argumentatifs peuvent « engendrer un changement de statut hiérarchique rétroactivement », en conversation. Lorsque le connecteur argumentatif est précédé d’une longue pause, l’énoncé 2 peut provoquer une réinterprétation de l’énoncé 1 auquel avait été attribuée une interprétation comme acte autonome. Voir l’extrait issu de cet article que j’ai utilisé comme exemple plus haut.
15 D. Bessonnat (1991, 43) dit des parenthèses que, comme les tirets, elles « constituent une paire contrastive parfaite : les deux signes visent à intercaler un énoncé second en prise sur l’énoncé principal mais décalé » (je souligne).
16 Coltier 1988 distingue trois valeurs pour ainsi : la reprise, l’exemplification et la consécution. Ici, malgré les apparences, il s’agit bien d’un ainsi de reprise et non d’exemplification. A la différence de la valeur d’exemplification, le ainsi de reprise n’est pas supprimable, il admet le clivage par c’est... que, et il exclut l’adjonction d’un et (test proposés par Coltier 1988).
17 Borel (1984) cité par Adum, Petitjean (1989, 114).
18 Dumarsais (Traité des tropes, 1730) définit ainsi les synecdoques : « créature est un mot générique, puisqu’il comprend toutes les espèces de choses créées, les arbres, les animaux, les métaux, etc. Ainsi, lorsqu’il ne s’entend que des hommes, c’est une synecdoque du genre [...] Il y a au contraire la synecdoque de l’espèce : c’est lorsqu’un mot, qui, dans le sens propre, ne signifie qu’une espèce particulière, se prend pour le genre ; c’est ainsi qu’on appelle quelquefois voleur un méchant homme, c’est alors prendre le moins pour marquer le plus ».
19 La limite de ces quelques propositions tient au genre des textes descriptifs examinés : tous textes fictionnels extraits de romans. Ce que je décris ci-dessus est probablement dépendant de traits génériques. Qu’en serait-il de descriptions issues de textes encyclopédiques ou publicitaires ? Seraient-elles ainsi soumises à la question de l’unique objet de référence ?
20 L’étude de Bourcier & Bruxelles (1983) rend tout à fait clair le sémantisme d’ouverture de l’exemplification, à propos de notamment, en l’opposant à ce qu’on pourrait appeler une clôture sémantique (opposition notamment/y compris) et à une clôture formelle (opposition notamment/etc).
21 Ces marqueurs « accompagnent l’énumération sans fournir de précision autre que le fait que le segment discursif qu’ils introduisent est à intégrer de façon linéaire dans la série » (Turco, Coltier 1988).
22 J’ai montré que à savoir, à la différence de par exemple, fonctionne comme un marqueur d’énumération exhaustive (Delcambre 1994a, 140 sq.). Voir un exercice présenté ici même (chap. vii, p. 214) qui vise à faire découvrir cette opposition.
23 La dénomination de marqueur potentiel vient de Roulet et al. (1985, 31). Elle désigne un degré de marquage linguistique plutôt faible, « le marqueur laisse place à une certaine ambiguïté », c’est le cas des deux points qui peuvent aussi bien indiquer la consécution que l’exemplification. Seul le contexte et d’autres marqueurs permettent de choisir la signification.
24 Cf. Fónagy (1980, 110) selon lequel la fonction de la parenthèse est de transformer un « message verbal linéaire en message parallèle tout en appliquant une sourdine au deuxième ».
25 On peut certes trouver des énumérations d’énoncés descriptifs quasiment constitués en séquence textuelle descriptive à structure énumérative et à fonction exemplifiante. Je n’évoquerai pas ce cas de figure intermédiaire.
26 Voir l’effet de résolution de problème narratif causé par le micro-épisode « Pour sortir de ce cercle, il se mettent à fabriquer des briques à la main ».
27 Voir les répétitions « pour faire, il faut », « avec ça, ils font ».
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