Description et enseignement des langues, passage obligé, risque d’impasse ?
p. 263-273
Texte intégral
« Il n’est pas naturel d’avoir la description à la bouche ».
1Cette citation de Paul Valéry nous semble une introduction pertinente à notre propos dans la mesure où on la fait suivre de la question suivante : « qu’en est-il en milieu institutionnel ? ».
2C’est sur la problématique de l’enseignement et plus précisément de l’enseignement de l’anglais que nous allons centrer notre intervention et cela pour plusieurs raisons. Aussi favorable que l’on soit à la diversification des langues, force est de constater que l’anglais, majoritairement enseigné dans les établissements scolaires français, présente une caractéristique qui mérite qu’on s’y attarde : celle d’être apprise par tous ceux qui ne l’ont pas choisie et d’être à ce titre éminemment représentative de l’enseignement de masse.
3Cette situation n’est pas sans conséquence sur la didactique de la discipline. Rappelons que l’enseignement des langues intègre deux finalités distinctes : l’une d’ordre pratique, l’autre d’ordre formateur. Cette dernière finalité mérite d’être explicitée. En effet, elle est multiple, on peut l’entendre comme le développement cognitif des facultés mentales des élèves. Elle peut inclure la formation du citoyen, qui passe par la mise en place d’un sens critique. On peut enfin la concevoir comme une somme de contenus culturels concernant les pays dont les élèves apprennent la langue que l’on s’efforce d’enseigner.
4On peut considérer que tout se passe comme si chacune de ces finalités constituait un pôle d’attraction vers lequel la didactique des langues n’a cessé depuis qu'elle existe de se déplacer, tout en intégrant plus ou moins certains acquis des choix méthodologiques antérieurs.
5A l’heure actuelle, prévalent les approches de type notionnel-fonctionnel qui placent au centre le concept de compétence de communication, même si ce dernier ne rencontre plus une adhésion aussi unanime. Dans ce cadre une langue est considérée comme un ensemble d’expressions, un catalogue de savoir-faire communicatifs qui permet d’être opérationnel.
6Il existe une autre démarche, plus minoritaire celle-là, mais bien réelle cependant, dite de conceptualisation, qui considère la langue comme un système de représentation ayant une cohérence propre et voit toute activité langagière, outre l’activité communicative, comme une activité d’ordre symbolique prenant en compte locuteur et colocuteur.
7Cette méthodologie intègre une phase réflexive tant du point de vue du fonctionnement de la langue que de celui de l’acquisition de compétences culturelles.
8Si l’on considère l’objet qui nous occupe, à savoir la description, nous pouvons nous placer indifféremment dans l’optique des deux méthodologies. En effet, dans les deux cas, la description a sa place.
9Pour de simples raisons de rentabilité commerciale, il n’existe pas de manuels pour toutes les langues. C’est en anglais qu’il en existe le plus grand nombre, et que ce support règne en maître. Un manuel de langue s’inscrit toujours, mais pas toujours explicitement, dans un cadre théorique, prône un ensemble de principes d’ordre didactique, met à disposition de l’enseignant un choix de documents textuels, iconographiques ou oraux, accompagnés de démarches d’exploitation plus ou moins suggérées, d’exercices et d’activités divers.
10Il arrive cependant, notamment en second cycle, que l’enseignant préfère choisir son propre matériau et trouve dans l’actualité des articles lui convenant ou propres à retenir l’attention de ses élèves. S’il est facile de trouver des textes écrits de quelque nature que ce soit, il est cependant beaucoup plus difficile d’avoir à disposition des enregistrements de qualité et d’une diversité suffisante. Il est en effet toujours possible d’enregistrer au magnétoscope des émissions radiophoniques ou télévisées, mais l’éventail en demeure parfois restreint, compte tenu du dispositif fort complet de tâches qui accompagne l’unité centrale d’étude. L’utilisation des manuels d’anglais est à juste titre une pratique fort répandue, dans l’enseignement de l’anglais en milieu institutionnel. Le manuel, outil privilégié, reflète donc assez bien les activités qui règnent en classe de langue anglaise.
11C’est pourquoi nous avons décidé d’examiner leur contenu pour cette langue sous l’angle de la description. Nous avons également consulté les textes officiels, instructions, programmes et documents d’accompagnement concernant l’anglais.
12Avant d’aborder la description, il nous faut rappeler les quatre compétences de base que doivent acquérir les élèves d’anglais :
compréhension écrite
compréhension orale
expression écrite
expression orale.
13Pour atteindre ces objectifs proprement linguistiques, documents et pratiques ont chacun leur rôle à jouer.
14On trouve des dialogues ou récits fabriqués à des fins pédagogiques ou authentiques, enregistrés ou non, littéraires ou non, ainsi que des documents iconographiques. Ces derniers peuvent illustrer les textes ou être destinés à être exploités pour eux-mêmes. Il peut s’agir de publicités, de reproductions de tableaux, de photographies de personnages ou de paysages, de reproductions de realia, de bandes dessinées, de caricatures. Tous ces documents sont consultables dans le manuel et/ou dans le cahier d’activités.
15Les manuels n’ont pas tous la même architecture. Cependant il existe une sorte de socle commun :
des enregistrements avec ou sans transcription du texte,
une batterie de tâches diverses, destinées plus à l’apprentissage qu’au contrôle, mais dont il est parfois difficile d’établir la dominante :
fiches destinées à tester la compréhension du texte lu ou enregistré ou du document iconographique étudié,
questionnaires à choix multiple,
établissement de listes,
exercices de reformulation,
exercices lacunaires.
une batterie d’exercices davantage destinée au réemploi et au contrôle des acquisitions récentes lexicales, grammaticales, plus rarement culturelles.
16Les manuels sont en outre fréquemment, pour ne pas dire toujours, accompagnés d’un cahier d’activités à effectuer pendant la classe ou en dehors de celle-ci. Ces tâches peuvent se référer aux documents du manuel ou à d’autres documents insérés dans ce cahier. La gamme d’exercices proposés donne lieu à des activités intellectuelles de la part des élèves dans lesquelles la description a une place non négligeable.
17Nous allons examiner ce qui se passe au premier cycle en classe de sixième et de quatrième, au second cycle en classe de seconde et de terminale, les exercices présentés témoignant tous de l’implication, du rôle et de la place de la description dans la didactique de l’anglais, à des degrés divers.
1. La description dans le premier cycle
1.1. Classe de sixième
18Comme nous allons pouvoir le constater, la description est au cœur des exercices présentés.
1. Dans le cadre de la compréhension écrite, on propose à l’élève un nombre de vignettes représentant des personnages accomplissant diverses actions. On lui fournit simultanément une liste de descriptions d’actions dont le nombre dépasse celui des vignettes.
19Il s’agit pour élève d’associer correctement phrases fournies et vignettes. C’est la vue de l’élève qui est sollicitée pour parvenir à la compréhension écrite.
2. En ce qui concerne la compréhension orale, l’élève entend dix descriptions d’actions. En même temps, il a sous les yeux dix vignettes numérotées. Ces vignettes représentent dans un ordre différent les descriptions d’actions entendues précédemment. Au fur et à mesure de l’audition, l’élève doit fournir le numéro des vignettes correspondantes. La vue est encore sollicitée mais cette fois à des fins de compréhension orale.
3. Pour ce qui est de l’expression orale, les élèves confrontés à dix vignettes représentant des personnages en action doivent décrire ce que ces personnages font sur le vif. On obtient des productions orales affirmatives.
4. Afin d’obtenir des productions orales négatives, on propose à l’élève des bases verbales qui ne correspondent pas aux actions que les personnages des vignettes effectuent. L’élève doit donc dire ce qui n’est pas exécuté par les personnages des vignettes. On assiste là à un détournement de l’usage de la description.
5. Pour faire produire aux élèves des énoncés interrogatifs, on leur soumet par exemple, l’image d’une pièce meublée, et des assertions tantôt affirmatives tantôt négatives qui sont autant de réponses aux futures questions qu’ils doivent poser, ce qui va en contraindre la forme.
6. Dans d’autres exercices, l’expression écrite est visée, mais la description devient objet de production à part entière. Les élèves doivent décrire et pas seulement utiliser la description.
20On a recours à la rédaction de petites annonces vantant avec précision les articles à vendre (maison par exemple), ou encore à la fourniture de descriptifs d’objets se ressemblant. Après lecture et compréhension des différents descriptifs, les élèves sont amenés à dresser un tableau comparatif, à choisir l’objet qui leur convient le mieux et à justifier leur choix.
21Comme on le voit, ce panorama des exercices de la classe de sixième se termine par une tâche intéressante parce qu'elle montre une tentative de production orale ou écrite, qui s’efforce de se détacher de la description proprement dite pour s’apparenter au commentaire.
22Ces activités n’ont pas toutes leur place, en classe. Un nombre d’entre elles sont destinées au travail fait à la maison.
23A ce propos je voudrais citer les paroles d’une enseignante sur le terrain à qui on demandait son avis à propos de la description et qui répondit, « En sixième on n’a guère le temps de s’occuper de description, on passe tout son temps à faire de la communication ». Cette réplique tendrait à faire penser que les moyens permettant d’installer la communication sont minorés au profit du seul résultat.
1.2. Classe de quatrième
24Au cours de la troisième année d’apprentissage d’anglais, la description est présente, mais elle n’est plus seule.
25Dans certains livres, il n’est pas rare de voir apparaître dans la marge des conseils en français, sortes de rappel de méthodologie à l’usage des élèves tels que : « Ne pas se contenter de décrire, interpréter ! ». En fait, on est là au cœur du problème que pose la description. En enseignement des langues, la description est entendue comme une opération qui offre peu de distance entre l’objet à décrire et l’activité intellectuelle exercée par l’élève à son propos. En effet, lors des descriptions demandées, tout se passe comme si la présence du support concret sous les yeux du descripteur était nécessaire. Le degré de distance entre cette présence et l’activité demandée augmente à mesure que l’interlangue – on entend par interlangue l’ensemble des moyens linguistiques dont dispose un apprenant en langue étrangère à un moment donné de son apprentissage – se rapproche de la langue du natif. C’est un peu comme si à un premier niveau le déclencheur concret de parole avait un rôle de facilitateur d’expression.
26On arrive ici à un effet quasi pervers du primat de la communication prôné par les textes officiels. En effet, quand le bagage linguistique est réduit, que les élèves appartiennent à un milieu socio-culturel plutôt défavorisé, on va s’efforcer de les confronter à des documents dont la compréhension ne nécessite pas de connaissances culturelles spécifiques et qui offrent matière à production de parole. Dans la vie, en situation extra-linguistique, on ne procède en fait que rarement à ce que l’on pourrait appeler des descriptions de premier niveau. En ce sens, description et communication entretiennent des relations ambiguës. En situation simulée de communication, on voit bien comment la description peut s’insérer et servir d’amorce. Elles devient à la fois moyen et terrain. En fait, elle permet à l’élève de ne pas rester muet. Tout le problème est de faire en sorte que ce dernier ne s’en tienne pas au seul tremplin qu'elle représente. La balle est dans son camp si les moyens linguistiques sont à sa portée. La tentation est donc grande pour lui de s’installer confortablement dans la phase descriptive de premier niveau. En classe de sixième, ceci ne constitue pas à proprement parler un problème. Plus tard dans le cursus, on voit graduellement se mettre en place puis se développer des stratégies de dépassement du premier niveau comme le prouve le type d’exercices proposés.
1. Il est par exemple demandé à l’élève de faire sa propre description, de ne pas s’attacher à sa seule apparence physique, mais de caractériser sa personnalité, d’énoncer ses qualités et ses défauts, de signer son portrait et le passer à son voisin. Ce dernier est sommé d’ajouter quelque chose, c’est une appréciation qui est requise.
2. Les portraits donnent lieu à une série d’activités orales ou écrites qui constituent un point de départ vers un autre type d’exercices. Il est demandé de choisir un personnage historique, de procéder à sa description, puis de raconter sa vie. On est passé là dans un autre type de situation. La mémoire sert ici à combler l’écart entre ce qui constitue l’objet du discours et ce qu’il faut en dire. Le rapport est moins immédiat entre les deux.
3. La description peut être accompagnée d’une démarche réflexive. On va par exemple proposer trois descriptions ainsi que la photographie ou une sorte de fiche signalétique de trois auteurs présumés. Il s’agira pour l’élève d’attribuer chacune des descriptions à un auteur, faisant entrer en jeu le point de vue de l’énonciateur présumé. Il arrive qu’on trouve des consignes accompagnant la photographie d’un personnage enjoignant à l’élève de ne pas se limiter à une simple description :
« Pensez à poser des questions, à faire des suppositions sur des activités passées ou futures, à donner votre opinion ».
4. On va demander de reconnaître une description dans un texte qui ne comprend pas que des éléments strictement descriptifs et de délimiter ces derniers avec précision.
5. A partir de la description fournie d’une pièce en désordre, les élèves sont priés de retrouver les actions à l’origine de ce désordre constatable.
6. A partir de l’observation minutieuse d’un tableau, très réaliste ou d’une photographie, les élèves doivent, à l’aide de mots fournis dans le désordre, remplir les blancs d’un texte descriptif ou à tout le moins présenté comme tel. Mais à la fin l’élève doit souligner les éléments qui expriment une interprétation et non plus seulement une simple description.
27Que peut-on conclure de cette gamme d’exercices proposés ?
28Présence de moins en moins nécessaire d’un objet concret à mesure que les capacités des apprenants progressent et volonté délibérée de l’enseignant d’obtenir des productions orales de la part des élèves, tels sont les paramètres dont on sent l’influence dans les exercices proposés en classe de quatrième.
29La description de premier niveau y est toujours présente, mais on sent une sorte de frémissement destiné à faire sortir les élèves de leur confort, à les faire aller au-delà, soit en les forçant à s’engager un peu plus personnellement, soit en leur demandant de produire autre chose, qui s’apparente davantage au commentaire.
30On songe à ce qu’Alexandre Tessiot cité par Philippe Hamon1 disait de la description :
« De toutes les formes de la composition scolaire, la plus importante peut-être est la description ».
31Il en soulignait le côté formateur :
« La description doit, plus que tout autre genre, habituer l’enfant à observer, c’est-à-dire à considérer les objet sous toutes leur faces, et à peindre les sensations qu’il nous font éprouver ».
32Il ajoutait :
« Notre but n’est pas de former des poètes, mais des esprits disciplinés et maîtres d’eux-mêmes, de leur mouvement et de leur direction ».
33Gustave Lanson, toujours cité par Philippe Hamon, faisait intervenir la discrimination :
« Une description n’est pas un inventaire, où les objets de rebut sont notés avec le même soin que les plus précieux. Elle comporte un choix de tout ce qui est capable de faire connaître la chose décrite : l’insignifiant en doit être éliminé ».
34Il n’est pas inintéressant de penser que, selon les critères de ces maîtres du siècle passé, l’anglais au premier cycle fait partie intégrante des disciplines scolaires.
35Nous allons maintenant étudier ce que deviennent ces tendances au second cycle.
2. La description dans le second cycle
2.1. Classe de seconde
36A ce niveau la description est considérée comme maîtrisée. Elle est par conséquent envisagée d’une tout autre manière. Elle devient procédure applicable à l’aide d’un appareillage technique qu’il sied au lycéen de s’approprier. Le point de départ est souvent un document iconographique et c’est peut-être dans ce cas que la méthodologie est la plus évidente. Toutes les expressions qui permettent de découper l’image en plans, de procéder à son analyse sont fournies, et ce, indépendamment d’un contenu. La composition, le repérage d’indices, les pratiques d’identification, de comparaison, l’observation des axes de composition de l’image, son orientation, tout ceci est traduit en expressions anglaises opérationnelles, classées selon leurs fonctions. Elles fournissent un cadre qu’on peut trouver réducteur, voire bloquant, mais mémorisé, ce dernier est alors opérationnel et vise à ne pas laisser l’utilisateur dépourvu. Nous sommes bien dans le champ de la méthodologie.
37En fait, en classe de seconde, on trouve une gamme plus étendue de tâches intégrant la description. (Nous donnons ici les consignes en français, il va de soi quelles sont fournies en anglais.)
Il y a toujours le premier niveau : décrivez la photo suivante en détail (qui, quoi, où, quand), que dire des personnages (âge, taille, vêtements, attitude).
On trouve également assez souvent un second niveau. Après les détails concrets, par exemple de décor et d’apparence physique, ce sont les sentiments, les réactions probables qui sont alors objet de supputation. Un guidage mettant en jeu des facultés de déduction est parfois présent. Il s’agit de deviner d’après des indices les goûts et le caractère d’un personnage.
Dans d’autres cas, appel est fait à l’imagination de façon parfois très explicite : à partir d’une série d’actions effectuées par un personnage, c’est son apparence physique que l’on demande d’imaginer sans support concret.
38D’après un comportement, il arrive qu’on demande des renseignements sur l’éducation du personnage.
39L’exemple que nous allons traiter de manière détaillée maintenant résume assez bien la façon dont est entendue la description au début du second cycle. On peut considérer l’enchaînement des diverses tâches comme exemplaire.
40Trois gravures et un texte servent de support. La première gravure représente un intérieur misérable peuplé de paysans exsangues. La deuxième montre la troupe, arme au bras, les expulsant. On voit dans la troisième une file de pauvres gens, un baluchon sur le dos. Le texte traite de la famine en Irlande.
41La première étape a pour objet de faire formuler ce que les gravures représentent. On s’attache aux éléments visuels sans entrer dans les détails.
42Lors de la seconde étape, les élèves doivent donner un titre à chaque scène et produire un texte résumant l’idée générale qui relie les documents.
43Il est ensuite, dans un troisième temps, demandé de les dater historiquement.
44En quatrième lieu une sorte de protocole est fourni pour chacune des images. Les opérations demandées sont organisées comme suit : Il y a tout d’abord un retour à la description mais d’une manière plus fine, par le biais d’observation d’indices présents dans le document.
45On quitte ensuite l’activité purement descriptive. Les élèves sont sollicités pour émettre des hypothèses, on est encore dans un domaine lié aux indices.
46Puis viennent des demandes d’interprétation psychologique, à propos des personnages, et d’interprétation historique, à propos du pays qu’ils vont quitter.
47La dernière étape montre là toute la mesure de la distance prise par rapport au niveau descriptif strict. En effet, on sollicite l’apprenant pour lui faire émettre des hypothèses dans un champ nouveau : les fonctions que l’auteur des gravures assignait à son œuvre, la portée que pouvait avoir ce type d’images sur les différents publics de l’époque.
48Cette distanciation d’ordre historique effectuée, il y a un retour à la subjectivité, une réimplication du sujet auprès de qui on s’enquiert de l’impact que les documents ont sur lui.
49On constate que la nature et le statut de la description sont directement corrélés au niveau de maîtrise linguistique des élèves et que toute une collection de modalités de description peuvent être à l’œuvre.
2.2. Classe de terminale
50Envisageons maintenant ce qui se passe au terme du second cycle.
51Nous allons nous attacher à l’analyse d’un document publicitaire comportant texte et image, support d’une variété de tâches.
52Il y a une demande de caractérisation du document, on est là au niveau définitoire d’assignation d’un statut.
On passe ensuite au premier niveau descriptif : nombre de personnages, apparence physique.
On a ensuite affaire à une lecture d’indices et à une demande d’interprétation psychologique du personnage. Ce même type d’interprétation est demandée pour un personnage absent du document mais étroitement lié à celui qui figure sur la publicité.
Un troisième type de discours, sociologique celui-là, est requis à partir du texte publicitaire. Il concerne de nouveau l’héroïne.
La question suivante ne traite plus du personnage en tant que tel mais en tant que symbole d’un phénomène de société.
Il est ensuite demandé un point de vue distancié sur un fait de société abordé cette fois sous une perspective historique.
Il y a ensuite réimplication du sujet et demande de formulation d’opinion personnelle.
C’est enfin une nouvelle description, mais cette fois mise en scène dans le cadre publicitaire de la société dans laquelle les élèves sont insérés, qui est requise.
53Ce parcours de la description en langue étrangère effectué tout au long de l’enseignement secondaire de l’anglais met en lumière un certain nombre de caractéristiques. Elle peut être exigée comme travail final ou comme étape, liée ou non à un support dont la nature peut varier. Ce n’est en effet pas la même chose du point de vue des compétences requises de la part de l’élève de produire une description à partir d’un texte, d’un document iconographique ou d’un enregistrement. La présence de ce genre et sa polyvalence ne sont en fait pas surprenantes. Les instructions officielles des langues suivantes : allemand, anglais, arabe, espagnol, italien, portugais, russe, mentionnent toutes la description dans le cadre d’actes de communication possibles. Il serait intéressant de voir les constantes et variations qu’entraînent le changement de langue.
54Si, après Philippe Hamon, on considère le discours – oral ou écrit – produit en classe d’anglais comme une « hiérarchie flottante et complexe de structures différentes, narratives, descriptives, argumentatives, rythmiques »2, on peut dire que le statut de la description oscille de dominant à dominé sous l’influence conjuguée des enseignants et des élèves disposés en un couple de forces inégales selon les niveaux et les classes.
55Plus le niveau de la classe est élevé, plus le statut de la description est ambigu, minoré, considéré comme nécessaire mais transitoire, devant être dépassé. Les enseignants craignent que la description de premier niveau – celle dénoncée par Gustave Lanson – qui ne discrimine ni ne hiérarchise ses objets, ne devienne hégémonique auprès des élèves. Les enseignants redoutent en effet que la prégnance d’un exercice effectué au début de l’apprentissage et le confort qu’il procure n’incitent les élèves à s’y cantonner. Nous sommes là face à un conflit que l’on pourrait qualifier de didactique. Deux points de vue diffèrent : celui des apprenants et celui des enseignants. Ces derniers ont à mettre en place des structures argumentatives auprès de leurs élèves. En ce sens, le statut d’objet d’étude qui peut avoir été assigné à la description dans le premier cycle à cause de son pouvoir déclencheur de parole en situation de classe n’est que passager pour les enseignants. C’est celui d’outil temporaire qui lui demeure associé en dernier lieu.
56La situation n’est pas la même pour les élèves. On peut l’expliquer d’un point de vue psycho-linguistique en termes de prise de risques minimale. Comme Philippe Hamon le rappelle, la description implique classement, minutie, exhaustivité et se réduit souvent à une simple juxtaposition de termes. Enumérer, cataloguer, recenser, faire des inventaires ne déstabilisent pas les élèves qui, pour ce faire, utilisent des structures simples. Décrire oblige à hiérarchiser, cette opération ne va pas de soi pour les apprenants. En outre procéder à la dénomination aussi bien qu’à la désignation a pour l’élève un côté rassurant qui a le mérite du point de vue de l’enseignant d’ajouter à l’obtention d’un certain degré de maîtrise lexicale, celui de l’emploi des déterminants et autres déictiques, souvent malaisé à acquérir en langue étrangère en classe de langues. On le voit, on n’est guère prés de sortir de l’ambiguïté dés lors qu’il s’agit de description dans le cadre de cette dernière.
Notes de bas de page
1 Alexandre Vessiot, De l’enseignement à l'école et dans les classes de grammaire des lycées et des colliges, Paris, Lecène et Oudin, 1886, chap. XIII et XIV, et Gustave Lanson, Conseils sur l’art d’écrire, 1890, Paris, Hachette, 4e éd., 1898, p. 51 et suiv., cités par Philippe Hamon, La Description littéraire, Paris, Éditions Macula, 1991.
2 ibid.
Auteur
INRP Paris
Université Denis Diderot - Paris VII
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