Présentation
p. 7-11
Texte intégral
1Cet ouvrage est le fruit de trois ans de recherche de l’équipe THEODILE (Théories-Didactique de la Lecture-Ecriture) associant, à plusieurs reprises, des chercheurs extérieurs de disciplines très diverses au travers de journées d’étude, notamment sur la description dans les pratiques de recherche et dans les disciplines autres que le français.
2Il ne s’agit à l’évidence que d’une étape dans notre travail. Il nous a néanmoins semblé que ce livre était susceptible d’ouvrir de nouvelles pistes pour cerner la description dans notre champ théorique, celui de la didactique du français, voire dans d’autres. En effet, les écrits les plus répandus sur ce sujet se caractérisent souvent par un centrage dominant sur les produits (et non les activités de production et de réception) et sur les textes littéraires (au détriment de la diversité sociale des descriptions), dans une perspective typologisante peu apte à rendre de la fonctionnalité du descriptif, de ses modes de présence textuels, des difficultés rencontrées par les apprenants ainsi que de l’articulation de la description avec les pratiques de lecture et d’écriture.
3Les recherches menées - dont cet ouvrage rend compte en partie (voir aussi Pratiques, no 99, la description, septembre 1998) – tentent en conséquence de répondre à ces questions moins travaillées jusqu’à présent.
4L’objectif de la première partie est, dans le cadre ainsi tracé, de construire d’autres modes de formalisation de la description.
5Elle s’ouvre sur une contribution que nous considérons comme essentielle et « pionnière », celle de Denis Apothéloz, qu’il a bien voulu nous autoriser à republier dans une version remaniée. Le lecteur y notera l’importance du concept de parcours pour rendre compte de l’organisation de la description. Il y retrouvera aussi des notions importantes (aspectualisation, thématisation, affectation, assimilation..) abondamment reprises depuis, sans toujours signaler leur origine et parfois détournées de leur sens initial.
6Yves Reuter propose ensuite la formalisation - provisoire - de la description, en tant que composante textuelle, qu’il a construite sur la base des recherches mentionnées précédemment. Outre le travail sur la notion de parcours, il porte l’accent sur la diversité des modes de présence du descriptif, sur son effet central (donner au lecteur l’impression qu’il voit l’objet décrit), sur les tensions qui le structurent et sur la multiplicité de ses fonctions.
7Dominique-Guy Brassart, dans une perspective psycholinguistique, évalue l’intérêt de la notion de schéma textuel prototypique dans le cas du descriptif. Après avoir montré ses limites dans le cadre typologique de Jean-Michel Adam dont certains cognitivistes se sont inspirés, il avance la thèse selon laquelle le traitement des textes émergerait plutôt progressivement grâce au repérage de certains signaux linguistiques dont l’opposition nom plein vs anaphore dont il étudie le fonctionnement à partir d’un corpus de textes descriptifs épistémiques.
8C’est sur la fonction heuristique qu’insiste Élisabeth Nonnon en montrant comment, dans de nombreux cas (échanges quotidiens, pratiques théoriques...), la description élabore progressivement une représentation et fait émerger un ordre non préétabli. La perspective adoptée est donc celle du locuteur qui, au travers du travail énonciatif concrétisé par différents types de parcours et de multiples opérations, construit l’objet, le met en forme et le rend communicable. On comprend ainsi comment l’« expansion descriptive » devient créatrice de sens.
9Maria Pagoni-Andréani, quand à elle, analyse un corpus de dicours d’adolescents autour des valeurs morales. Elle montre la proximité du descriptif avec l’interprétatif et l’explicatif ainsi que la manière dont la description sert de support à la conceptualisation. Elle met encore en lumière le rôle intéressant de la description conçue comme outil de formation.
10Isabelle Laborde-Milaa, à partir de la description de métier dans la presse généraliste et du topos de la « journée-type », permet de comprendre certaines des variations formelles de la description selon les référents, les genres et les supports. Elle construit ses relations avec l’argumentation, tout en étudiant certains procédés linguistiques privilégiés et leurs fonctions : l’attribution, l’énumération, les reformulations...
11Les quatre contributions suivantes ont en commun de souligner l’omniprésence de la description dans les pratiques de recherche conjuguée, de manière paradoxale, au manque de réflexion construite à son sujet.
12En ce qui concerne la linguistique, Jean-Pierre Jaffré insiste notamment sur ses formes différentes selon que l’objet à décrire est plus ou moins concret et tangible, sur sa tendance à être au service d’autres finalités (expliquer, comprendre...), mais aussi sur ses places et ses fonctions variables selon les cadres épistémologiques convoqués : point de départ et/ou instance de vérification des modèles construits/utilisés.
13Jean-Paul Bronckart, examinant le fonctionnement traditionnel de la description en psychologie, montre comment elle est en général considérée comme un préalable à la « véritable » recherche et conçue comme l’observation d’un réel préexistant et préorganisé, qu’il s’agirait d’enregistrer. Dans cette optique, les dimensions langagières de la production des connaissances sont absolument méconnues. Il explique comment, en revanche, ces dimensions sont mieux pensées dans le cadre de l’interactionisme socio-discursif qu’il défend.
14Traitant de la recherche en sociologie, Bernard Lahire confirme l’importance du référent (visible ou non) quant aux fonctionnements du descriptif. Il dénonce lui aussi les pièges de l’illusion réaliste et de la tentation de l’exhaustivité, en réfléchissant sur les relations de la description avec la modélisation théorique et sur le caractère primordial de l’explicitation et de l’exigence critique quant aux modalités descriptives mises en œuvre. Il souligne encore le caractère incontournable de la description comme moyen de connaissance.
15Dans le domaine de la médecine, où existe une tradition très ancienne, Muriel Rainfray met au jour l’évolution de la description qui, d’abord littéraire et interprétative, se veut de plus en plus scientifique et objective, sous l’influence de la biologie et des technologies. Le poids des normes institutionnelles – via les « conférences de consensus » et les revues internationales – entraîne des formes de plus en plus codifiées (ordre, sélection des propriétés, dénomination...) visant à éliminer toute modalité interprétative.
16La troisième partie de l’ouvrage est consacrée à la description en formation au travers des mémoires. Michèle Guigue réfléchit d’abord à la place de la description dans la recherche en désignant notamment une tension entre la « soumission aux données « (et l’illusion de transparence qui lui est liée) et la « soumission aux théories » (qui entraîne le risque d’ignorer ce qui n’est pas prévu). Elle analyse les difficultés que rencontrent les étudiants dans leur mémoire avant de proposer diverses pistes de remédiation insistant notamment sur les démarches mêmes de construction des connaissances.
17Isabelle Delcambre, de son côté, se consacre aux mémoires professionnels à l’IUFM en comparant des mémoires en Lettres et dans d’autres disciplines. Elle étudie très précisément la description des élèves de la classe avec lesquels le professeur stagiaire travaille. Outre l’analyse de divers problèmes et des propositions de remédiation, elle montre comment ces descriptions (plus ou moins quantitatives ou qualitatives, plus ou moins sociologiques ou ethnologiques) sont révélatrices des représentations du métier d’enseignant et de la relation pédagogique.
18La quatrième et dernière partie a pour objet la place et les formes de la description dans les disciplines scolaires autres que le français (qui a déjà été fréquemment étudié). On y remarquera, une fois de plus, que tous s’accordent quant à l’omniprésence de la description mais aussi quant à son absence de thématisation.
19Dans le cas de l’histoire et géographie, François Audigier montre l’importance de la relation à l’iconique et la fonction de substitution d’un réel absent dans la classe. Il étudie aussi un paradoxe sans doute essentiel dans l’enseignement-apprentissage quelle que soit la discipline : l’élève est censé observer et décrire pour construire des savoirs mais, en l’absence du but (de la connaissance des savoirs à acquérir), il lui est fort difficile de percevoir ce qu’il doit observer et décrire...
20Anne Vérin confirme l’importance de la description dans l’enseignement des sciences mais aussi son manque de valorisation. Elle analyse, au travers de pratiques d’écriture à quatre niveaux différents (du C.P. à la terminale), les rapports complexes qui se nouent entre description et explication, dégageant des formes complexes dans l’évolution de la maîtrise cognitive et scripturale des sciences.
21En ce qui concerne les langues, Albane Cain, qui a choisi de se centrer sur l’anglais, au travers des Instructions Officielles et des manuels, de la sixième à la terminale, étudie comment la description varie selon les conceptions de l’enseignement de la langue et les finalités qui lui sont attribuées. On constate en tout cas que, si dans les « petites » classes elle est essentiellement considérée comme un déclencheur et un facilitateur de parole, elle change de forme et de fonction en relation avec la suite de la scolarité : elle s’éloigne ainsi de plus en plus de la description d’objets concrets et doit s’articuler de plus en plus étroitement avec explication et interprétation.
22Sans vouloir imposer au lecteur une grille de réception pour cet ouvrage, il nous semble néanmoins que, par rapport aux études antérieures, les contributions réunies ici permettent de faire émerger quelques points forts qui constituent autant de pistes de recherche à explorer plus avant dans les années à venir.
23Ainsi, l’importance des rapports entre objet décrit et description, sans doute un peu trop stigmatisée en raison de ses liens avec les taxinomies de l'« ancienne » rhétorique a été constamment rappelée et soulignée. Il nous paraît donc indispensable de construire les catégories opératoires nécessaires pour définir les objets décrits en relation avec les fonctionnements descriptifs.
24De la même manière, il nous semble que les relations multiples à l’iconique, selon les genres et les sphères, sont encore insuffisamment étudiées, comme si les approches des textes devaient éliminer tout ce qui n’est pas de l’ordre du linguistique.
25Les variations – génériques, disciplinaires... – du descriptif sont aussi apparues comme essentielles, tant en ce qui concerne les fonctions (expliquer, argumenter, construire des savoirs...), qu’en ce qui touche aux objets décrits, à la sélection des parties et des propriétés, à leur ordre d’exposition, à leur dénomination. Cela n’est pas sans soulever des questions didactiques cruciales, non seulement quant au choix des exemples ou des textes supports, mais aussi quant à l’articulation entre construction des invariants et appréhension des variations.
26Les conceptions actuellement dominantes de l’organisation de la description nous semblent aussi remises en question pour deux raisons au moins : la « faiblesse » en l’occurrence de la notion de (super)structure (il s’agit en réalité d’une liste de composantes possibles) ; l’intérêt d’autres notions plus à même de rendre compte de cette organisation en relation avec les activités de production et de réception, que ce soit celle de signaux linguistiques, ou celles de parcours, d'opérations ou de tensions.
27La notion de tension a d’ailleurs été largement reprise, démontrant, nous semble-t-il, son intérêt. Outre la tension entre « statisme », absence de chronologie « référentielle » et chronologisation textuelle, ont été particulièrement étudiées ici les tensions entre singularisation et typification et entre illusion réaliste et construction cognitive et textuelle (exhaustivité, neutralité, unicité, observation vs sélection, point de vue, pluralité, élaboration). A ces modalités, sont d’ailleurs venues s’en ajouter d’autres, plus spécifiques encore à l’espace didactique : tensions entre formes et fonctions selon les disciplines et les niveaux scolaires, tensions entre la description comme moyen et comme finalité (ignorée des élèves)...
28En ce qui concerne les fonctions, trois questions nous paraissent mériter d’être retenues et approfondies : la multiplicité des fonctions que la description peut étayer (leur catégorisation, leur cadre d’exercice, leur relation à l’organisation...) ; les rapports que la description entretient avec les autres composantes textuelles (Qui est « au service » de qui ? A quels moments ? Dans quels écrits ? A quelles fins ?) ; les relations qui s’avèrent fondamentales entre descriptif et explicatif.
29Il resterait encore – entre autres ! – à explorer, au sein de l’espace didactique, l’articulation entre la description comme objet de formation et la description comme outil de formation.
30Bref, comme on peut s’en rendre compte, le programme est immense. Puisse ce livre avoir au moins contribué à lui donner forme.
Auteur
Professeur en Sciences de l’Éducation à l'Université Charles-de-Gaulle/Lille 3. Il est responsable de l’équipe de recherche Théodile (Théories-Didactique de la Lecture-Écriture).
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