Institutions et histoire économique
p. 143-165
Texte intégral
1Lors du congrès mondial d’histoire économique d’Utrecht, en août 2009, le mot « institution » (ou ses dérivés) était présent dans le titre de 10 des 139 sessions et de 34 des centaines de communications – et omniprésent dans les interventions des sessions plénières relatives aux « racines historiques de la pauvreté » et à la révolution industrielle. C’est peut-être peu au vu de la fortune autoproclamée des différents « institutionnalismes » dans les sciences sociales1. C’est en même temps beaucoup, voire trop, dans la mesure où le terme s’avère extrêmement polysémique. On trouve dans ces titres des actions qui l'opposent à des notions variées et lui donnent des statuts très divers en termes de causalité – economic modernisation in adverse institutional environments, the benefits, costs and alternatives of British institutions, states, institutions and development, between networks and institutions, social and institutional change, grassroots institutions, ainsi que des références aux corporations marchandes, aux banques, au droit du travail, aux droits de propriété, tous considérés comme des « institutions ». Chez les économistes, « institution », un terme parfois conçu comme regroupant tous les facteurs « non technologiques », peut renvoyer à une règle du jeu (souvent un élément de droit), à un acteur collectif (un service précis de l’administration, un cartel d’entreprises, voire une entreprise), à un arbitre extérieur ou un moyen de sanction (deux façons d’envisager un tribunal) ou encore à une norme de conduite, voire à une notion plus ou moins vague de « tradition » ou de « culture ». La notion d’institution, dans l’histoire économique actuelle, peut ainsi sembler quelque peu insaisissable. Et pourtant, si l’on compare l’historiographie d'aujourd'hui, y compris en France, à celle d’il y a vingt ou trente ans, il nous semble bien que davantage de chercheurs aient choisi de prendre les institutions au sérieux. Nous proposons donc ici de sortir du flou des définitions d’abord par la négative (à quelles autres notions s’oppose celle d’institutions, et de quelles impasses propose-t-elle de sortir ?), ensuite par des considérations concrètes sur des types d’objets et des manières de les envisager qui ont pris une place nouvelle en histoire économique depuis quelques décennies.
2Comme les titres d’Utrecht le montrent, si l’on s’intéresse aux institutions, c’est souvent en relation ou en opposition avec autre chose : avec des conceptions simples de l’État, considéré comme un bloc et comme une contrainte pour l’activité économique ; ou du marché, vu comme un ordre spontané ; ou encore du « social », au sens où la sociabilité, la « confiance » ou d’autres aspects considérés comme « informels » de la vie des acteurs interféreraient avec leur activité économique. Cette volonté de compléter ou de dépasser un triptyque simplifié État/marché/social conduit à s’intéresser à différents types de normes et aux organisations qui les produisent ou contribuent à leur maintien2. Prendre au sérieux les institutions, c’est aussi ne pas d’emblée considérer les effets de structuration qu’elles produisent comme négatifs, comme des contraintes, mais souligne que c'est souvent l'institution qui construit le marché3. En réaction, les approches « institutionnalistes » en sciences sociales ont souvent une appréhension a priori positive et parfois tautologique d’organisations ou de règles qui sont alors décrites comme indispensables au fonctionnement des marchés ou comme sources de réduction de « coûts de transaction »4. Nous adopterons un regard plus neutre, mettant en particulier l’accent sur la gamme des possibles institutionnels pour mettre de côté la recherche de l’optimalité économique.
3Au-delà d’une définition par la négative, de quels objets parle-t-on quand on parle d’institutions ? Nous évoquerons ici des organisations ou des normes qui peuvent être publiques, privées ou difficiles à placer sur cette échelle, mais qui se caractérisent par une formalisation minimale qui les rend lisibles par les acteurs et permet d’identifier des frontières5. En effet, une grande partie de l’activité des institutions consiste à créer des catégories : tel produit relève ou non d’une AOC, tel marchand est ou non membre d’une corporation… Ces frontières peuvent être disputées ou transgressées, mais leur existence – et les disputes à leur sujet – contribue à structurer l’activité économique. À partir de ce constat, nous centrons ici notre propos avant tout sur des organisations (ayant peu ou prou des statuts, des membres, un budget…), ainsi que sur les normes juridiques (plutôt que sociales) que celles-ci produisent. Nous prenons ainsi en compte la partie des institutions qui est directement observable dans les sources (voire qui produit ces sources) et de l’existence desquelles au moins une partie des acteurs économiques qu’elles influencent sont conscients. Cette restriction nous semble nécessaire à la fois pour mettre en évidence de nouveaux objets ou des méthodes d’étude propres à ce terrain et pour distinguer l’étude des institutions d’une plus large reconnaissance de la place du social et du politique dans l’économique. De toute façon, ce qui a changé dans l’historiographie relève davantage de l’explicitation d’une manière de réfléchir aux institutions que la naissance d’un nouvel objet. Rien n’empêche au fond de regarder une entreprise ou une norme sociale comme une institution ; or c’est sur ces manières de voir que nous centrons notre propos.
4Nos propres parcours de recherche nous incitent à adopter ce point de vue. Nos thèses se concentraient chacune sur une institution, en partant des archives qu’elle avait produites ; ces institutions, définies comme consultatives, présentaient l’originalité de participer à l’élaboration de politiques économiques d’État tout en n’étant pas « dans l’État » de certains points de vue, notamment parce qu’elles étaient dans une certaine mesure le lieu d’expression de groupes organisés de façon privée6. Depuis, nos recherches ont eu un point de départ moins monographique, puisqu’elles sont plutôt parties de questions de politique économique – politiques de la concurrence, de la consommation, agricoles, du travail et de la formation professionnelle, modes de règlement des conflits du commerce et du travail… Elles ne parlent pour autant pas moins d’institutions : au contraire, ce type de questionnement permet de prendre en compte la diversité de celles qui interviennent, leurs interactions et les choix effectués entre modes de régulation possibles7.
5Si nous ne nous en tenons pas ici à nos propres terrains et tentons de proposer un panorama large des renouvellements historiographiques – ainsi que d’indiquer quelques pistes encore trop peu parcourues –, nous avons choisi de ne parler que de l’histoire de la période contemporaine. Cela ne signifie pas, bien au contraire, que les nouvelles approches que nous évoquons ne s’appliquent que là. Pour les périodes les plus anciennes aussi, il est bon de sortir d’une vision purement a-économique de l’administration ou purement informelle du social. Les études sur les corporations médiévales et modernes, d’une part8, et sur la construction de l’État britannique, d’autre part, en particulier autour des questions de fiscalité et de droits de propriété9, ont été au cœur d’importants débats internationaux impliquant économistes et historiens – à tel point que, du côté des économistes, les cas historiques traités par les approches institutionnalistes datent plus souvent de l’avant que de l’après-1800. Il ne nous en semble que plus intéressant de discuter des recherches réalisées sur les deux derniers siècles, généralement considérés comme l’âge d’or du libéralisme débridé (pour le XIXe) et/ou de la bureaucratie. Montrer qu’il y a pourtant, pour ces périodes aussi, une place pour une étude des institutions entendues autrement que comme entraves au marché – y compris de « corps intermédiaires » auxquels on gagnerait souvent à appliquer les approches développées à propos des corporations anciennes10 – n’en est que plus nécessaire.
6Dans ce cadre, nous rappelons à quels changements plus généraux de la discipline historique, mais aussi d’autres sciences sociales répond l’émergence d’un intérêt pour les institutions en histoire économique. Puis nous précisons ce qu’implique selon nous ce nouveau regard en termes de rapport aux sources et aux méthodes, nous dégageons des questionnements prioritaires et évoquons quelques objets dont cette approche a particulièrement renouvelé l’étude.
I. Pourquoi les institutions ?
1. Des évolutions propres à l’histoire…
7Avec, notamment, l’histoire des entreprises, l’étude des institutions est une des approches de l’histoire économique qui s’est développée depuis quelques décennies aux dépens, d’une part, d’une histoire macroéconomique quantitative et, d’autre part, d’une histoire économique et sociale à visée globale, mais saisie dans le cadre d’un secteur et/ou d’une région. Comme les entreprises, les institutions sont des productrices de fonds d’archives, souvent bien conservés et inventoriés. Or la tentation de la monographie fermement centrée sur un fonds bien délimité et de taille raisonnable (et, dans le pire des cas, limitée à lui) a certainement été encouragée par le format des thèses « nouveau régime ». En outre, la vogue de la prosopographie et notamment de l’« histoire des élites »11, qui ne semble pas se démentir depuis les années 1970 et qui a également donné naissance à nombre d’études de chefs d’entreprise, incite à aborder les institutions du point de vue des biographies collectives : il est ainsi plus facile de circonscrire un corpus bien identifié de membres sur la base de listes plus ou moins officielles que de décider comment on va définir « les patrons » ou « les inventeurs ».
8Ces raisons très pratiques de choix de terrains d’étude sont liées à d’autres qui relèvent plus de l’évolution des débats historiographiques. Ainsi, l’intérêt pour les institutions en tant que productrices de sources est intimement lié à la prise de conscience du caractère construit des catégories statistiques, notamment dans le cadre des critiques de l’histoire quantitative première manière, et plus généralement des catégories – socioprofessionnelles, juridiques… – utilisées pour décrire les fonctionnements économiques et agir sur eux12. Des recherches centrées au départ sur le travail et le chômage, l’agriculture ou les migrations ont ainsi bifurqué, provisoirement ou définitivement, vers l’étude des organismes qui avaient produit des chiffres ou d’autres types de descriptions de ces phénomènes à l’époque étudiée, menant parfois à une véritable histoire des savoirs et/ou des politiques économiques13.
9Si les institutions produisent ainsi des catégories qui mettent en ordre le réel, elles sont également impliquées – c’est même une des définitions que l’on peut donner d’elles – dans la production de règles qu’un certain nombre d’acteurs économiques sont censés respecter, et/ou dans la mise en application de ces règles. Lorsque l’on pense que de telles règles ne sont en général pas nécessaires, que les marchés, par exemple, s’autorégulent, ou au contraire qu’elles sont quasiment immuables et suivies tout naturellement par les acteurs, comme dans les schémas culturalistes les plus simples14, il n’est guère utile de se pencher sur les institutions. Au contraire, les débats autour de la micro-histoire, en particulier15, se situant eux-mêmes bien souvent dans une discussion des travaux de Michel Foucault, ont mis l’accent depuis les années 1980 sur la nécessité de dépasser ces deux visions, de travailler par exemple sur les exceptions qui mettent en évidence, par leur existence même, à la fois la règle et les marges de manœuvre autour d’elle. Les institutions se construisent et se délitent, il existe des moments de choix entre plusieurs possibles, des occasions de critique et de réforme ; les acteurs économiques peuvent jouer sur des règles concurrentes ou des écarts à la règle, interpréter, tricher ou transgresser, sans pour autant, au moins un temps, faire disparaître le poids propre aux institutions16. Une partie des débats historiographiques plus généraux sur la notion d’agency et le déterminisme a pu ainsi mener à une prise en compte diachronique et nuancée des institutions qui ne se limite pas à leurs attributions « sur le papier » mais essaie de reconstituer des pratiques, que ce soient celles de membres d’organisations ou d’autres acteurs confrontés à des règles.
10Même si l’histoire des institutions ne se limite pas aux plus officielles d’entre elles, ces évolutions ont notamment fait voir sous un nouveau jour l’histoire de l’État et celle du droit, longtemps considérées comme antagonistes de l’histoire économique et sociale. Une histoire sociale de l’administration s’est développée contre la présentation de « l’État » comme un bloc impersonnel17 ; les débats des modernistes sur la construction de « l’État moderne » ou sur l’anachronisme de la notion de « politique économique »18 ont permis de souligner que le statut de fonctionnaire, la notion de service public ou l’existence d’un ministère de l’Économie, par exemple, étaient loin d’aller de soi, et les interrogations sur l’histoire de tels instruments ont maintenant cours également en histoire contemporaine19. Plus récemment, cette attention portée aux pratiques administratives concrètes a été complétée par des interrogations sur le droit, c’est-à-dire à la fois sur la construction conflictuelle de catégories juridiques comme celles de brevet, d’appellation d’origine contrôlée ou de concurrence déloyale, et sur la mobilisation de la justice (ou d’autres formes de règlement des conflits) par les acteurs économiques20. Si les bureaux ministériels, les administrations locales, voire les institutions consultatives et les tribunaux commencent ainsi à être mieux explorés, on peut s’interroger sur le paradoxal désintérêt pour les aspects parlementaires de l’histoire des normes économiques, des débats à la tribune au travail des commissions21 – peut-être lié à la volonté de souligner que la loi ne se prépare pas seulement là où elle se vote.
11Enfin, ont été étudiées pour de tout autres raisons certaines institutions jouant un rôle marquant pour les questions économiques. De nouvelles formes de demandes sociales et de désirs de commémoration ont en effet eu des conséquences sur le travail des historiens. Si le phénomène a surtout concerné, en histoire économique, l’histoire des entreprises, de nombreux ministères ont aussi créé des comités d’histoire, à la suite de celui de la Sécurité sociale. Ces comités, en regroupant hauts fonctionnaires et historiens, ont organisé la constitution d’archives orales, l’élaboration de guides de sources et le soutien à des recherches historiques. Ils ont parfois permis que des anniversaires ne se résument pas à des « grands-messes » médiatiques, mais aident aussi à faire progresser la connaissance sur des objets trop peu étudiés22.
12Le découpage administratif des ministères pourrait faire penser que de tels apports n’ont concerné que l’histoire de l’État. Or, ce sont les ministères liés au travail, à la protection sociale, à l’économie et aux finances qui ont été en pointe dans l’ouverture aux historiens, en ne s’intéressant pas qu’à une histoire strictement interne. Avec d’importants moyens financiers, le Comité pour l’histoire économique et financière de la France a permis de nombreuses publications qui ont éclairé bon nombre des institutions économiques françaises, même si ces études généralement monographiques ont parfois peu mis en question leur lien à des fonds d’archives exclusifs. Dans le même temps, le Comité, maintenant associé à l’Institut de la gestion publique et du développement économique, aide à l’émergence de travaux novateurs, comme ceux nés de la confrontation entre historiens, politistes et juristes sur les questions du système financier et du droit budgétaire et comptable23.
13De grands établissements financiers ont aussi encouragé les initiatives des historiens, qui ont ainsi pu proposer des approches de longue durée souvent en prise avec des questions d’actualité : du rôle des banques centrales24 à l’action d’un établissement comme la Caisse des dépôts et consignations sous l’Occupation25. Au-delà d’une histoire des entreprises applicable à l’identique dans d’autres secteurs, l’histoire bancaire a ainsi été renouvelée par une approche institutionnelle. Ces effets positifs de différents types de demande sociale dans l'historiographie des institutions ne se limitent pas au ministère des Finances et aux banques. D’autres institutions traitant de questions économiques ont fait l'objet de récents inventaires d'archives26 – parfois d'ailleurs à l’initiative d’archivistes, sans demande institutionnelle27. Même à l’échelle locale ou régionale, les institutions consultatives peuvent s’intéresser à leur histoire, inventorier leurs archives de façon exemplaire ou mobiliser les spécialistes de sciences sociales28.
2. … ou partagées avec d’autres sciences sociales
14Si certaines de ces évolutions sont propres à l’histoire, beaucoup, comme l’attention portée au caractère construit des catégories, aux jeux autour des règles ou aux usages du droit, sont largement partagées avec d’autres sciences sociales. De très nombreuses variétés d’« institutionnalismes », décrites comme telles par leurs promoteurs et donc plus clairement reconnues et définies qu’en histoire, s’y sont développées depuis les années 1980. Il ne s’agit pas ici de passer en revue chacun de ces courants, mais d’indiquer quelques pistes bibliographiques tout en réfléchissant à ce qu’ils ont apporté, ou pourraient apporter, aux historiens de l’économie.
15Rares sont les économistes, tout d’abord, à s’en tenir aujourd’hui à une vision totalement a-institutionnelle du monde, où les marchés s’autoréguleraient en vertu d’une rationalité parfaite. Alors qu’une première génération d’« institutionnalistes », dans la première moitié du XXe siècle, s’intéressait au droit et aux institutions dans le cadre d’une description des fonctionnements concrets de l’économie qui prenait en compte ses fondements « extra-économiques »29, les nouveaux institutionnalismes réintègrent les institutions à l’intérieur même du raisonnement économique. Ils partent souvent d’une réflexion théorique sur les insuffisances des marchés (information imparfaite ou asymétrique, que ce soit sur les qualités des produits ou le comportement des acteurs) ou sur les coûts de transaction (par exemple ceux liés à l’établissement de contrats détaillés) pour expliquer qu’il existe un besoin d’institutions – dans ce cas souvent décrit comme une sorte de pis-aller. Cette approche conduit fréquemment à adopter un point de vue normatif, en particulier dans le courant law and economics : on cherche alors à mesurer l’efficacité de différentes organisations ou règles juridiques possibles, soit sur la base de modèles déductifs comme ceux de la théorie des jeux, soit à partir de l’observation de données à la fois institutionnelles et économiques, actuelles ou passées, traitées par l’économétrie30. En outre, le constat de la diversité des institutions présentes dans la réalité, et en particulier de la survie de certaines, pourtant considérées comme inefficaces ou en tout cas non optimales par ces approches, a conduit à des interrogations sur les mécanismes du changement institutionnel, souvent formulées en termes de path dependence : l’accent est alors mis sur ce qui peut faire qu’une institution, même inefficace, se maintient.
16Certains aspects de ces travaux heurtent frontalement les pratiques historiennes, du fait de leur caractère très normatif ou de leur ignorance de la diversité des acteurs, des conflits politiques ou des rapports de forces. C’est par exemple le cas du courant law and growth, très influent dans les institutions internationales, qui tente de démontrer l’infériorité fondamentale des systèmes dérivés d’une supposée « tradition juridique » française. Mais la volonté de démontrer les insuffisances de cette approche a justement stimulé des travaux d’histoire économique qui soulignent l’importance des circulations internationales de modèles institutionnels, l’inexistence de « traditions » linéaires ou encore les divergences entre la lettre des lois et les pratiques autorisées par les tribunaux31.
17D’autres courants entretiennent, ou pourraient entretenir, un dialogue plus fécond avec les historiens. Ainsi, certains concepts de l’économie des conventions32 et de l’économie de la régulation, écoles hétérodoxes particulièrement présentes en France, ont été utilisés par des historiens de l’économie. La notion de convention de qualité permet notamment de souligner le caractère construit et, plus précisément, négocié de la qualité des biens33. La description de la diversité des « modèles productifs » par l’école de la régulation a plutôt intéressé une histoire des entreprises sensible aux questions de « gouvernance » ; l’extension de ces interrogations comparatives aux arrangements institutionnels à l’échelle d’une société entière, qui pourrait être pertinente pour l’histoire des institutions économiques, ne semble pas pour l’heure avoir eu le même écho34. Enfin, certains économistes a priori plus orthodoxes utilisent la théorie des jeux, partant donc d’une approche des transactions entre individus, mais en l’adossant à des études de cas historiques détaillées, à une vision évolutionniste des institutions et en prenant en compte le fait qu’il y a rarement un seul équilibre possible. Cela permet d’explorer efficacement la variété des arrangements institutionnels, notamment les formes complexes d’« ordre privé »35. Ces approches, encore peu connues et surtout mobilisées par les historiens français, ont le mérite d’insister sur les mécanismes qui font, ou non, qu’une règle est appliquée par les acteurs et sur la diversité des formes de régulation possibles, qui ne se réduisent pas au pur marché d’une part et à la législation centralisée et implacable de l’autre.
18Si l’histoire du droit, en France, continue à ne guère se préoccuper d’aspects économiques ou, lorsqu’elle le fait, à en rester à une étude du contenu des lois, de la doctrine ou de la jurisprudence des cours les plus élevées, les renouvellements de la sociologie du droit – telle que pratiquée par le courant law and society, qui regroupe juristes et sociologues – proposent des approches et des objets propres à enrichir l’agenda de l’histoire des institutions. Certes, les appels à une sociologie du droit dans l’activité économique restent encore assez largement programmatiques36 ; plus précisément, leurs premiers résultats marquants touchent surtout au monde du travail, avec par exemple des études des effets concrets des réglementations contre la discrimination ou en matière de sécurité aux États-Unis, de réduction du temps de travail ou du recours aux prud’hommes en France. Toutefois, rien n’empêche d’appliquer à d’autres aspects de l’économie les interrogations générales que propose ce courant sur le « droit en action » plutôt que « dans les livres », sur la coproduction du droit par les organisations privées, ou encore sur la conscience que les acteurs ont du droit et sur sa présence dans la vie quotidienne, bien au-delà des ministères, des parlements ou des tribunaux – sous forme de formulaires, d’affiches ou d’étiquettes par exemple37.
19Adopter cette vision plus large et sociologique du droit ne dispense pas en revanche de porter attention aux techniques spécifiques à cette discipline, qui s’avèrent nécessaires pour comprendre les usages possibles de sources comme les recueils de jurisprudence, les thèses de droit du passé ou les archives des tribunaux38. De premiers travaux issus de rencontres interdisciplinaires montrent ce que cette prise en compte des procédures et de la façon dont les acteurs peuvent les utiliser – par exemple en choisissant de mener un procès au civil ou au pénal, d’utiliser la faillite ou la liquidation judiciaire… – peut apporter à l’histoire économique39. Sans se transformer en juristes, les historiens de l’économie peuvent devenir plus attentifs à l’environnement juridique qui était celui des acteurs du passé (jusqu’aux ouvriers, agriculteurs, petits commerçants…) et à l’appréhension qu’ils pouvaient en avoir, par exemple sur la base de manuels de vulgarisation ou de la presse, des sources encore très peu exploitées sur ces questions.
20La science politique a aussi connu une vague néo-institutionnaliste au cours des vingt dernières années40. Les propositions y ont surtout concerné l’approche des politiques publiques, le fonctionnement des institutions dans le processus d’action publique. Il s’agit de souligner que les choix politiques sont influencés directement par la structure des institutions politiques qui définissent les « règles du jeu ». Les politistes distinguent habituellement trois branches du néo-institutionnalisme, aux hypothèses de travail assez différentes : l’approche sociologique, héritée de la sociologie des organisations, l’approche en termes de choix rationnel, parente des analyses économiques, et une approche plus historique. Cette dernière vise à prendre en compte les institutions comme l’une des variables explicatives de l’évolution des sociétés politiques, souvent en utilisant la notion de path dependence. Ainsi les institutions saisies par la science politique ne se résument plus aux simples descriptions proposées par certains juristes. Au contraire, les formes institutionnelles elles-mêmes sont des objets d’étude dans les processus de réforme administrative tout au long du XXe siècle41.
21Résumées par les « trois i », pour « idées, institutions, intérêts »42, ces approches des politistes font des institutions un des observatoires privilégiés des mobilisations collectives et de l’action de l’État. Cette grille d’analyse permet de combiner plusieurs hypothèses théoriques à propos des processus étudiés.
22Un bon exemple de ce type d’approche, s'agissant de l’histoire économique, concerne la régulation du marché du vin en France. Ces travaux de sociologues ou de politistes sur la Bourgogne43 ou le Bordelais44 placent au cœur de l’observation de la construction des marchés économiques différentes institutions. Alors que, longtemps, les seuls travaux de sciences sociales sur les expériences viticoles françaises étaient dus à des géographes – la géographie économique apportant d’ailleurs parfois sa richesse d’analyse, dépassant une description plate des terroirs –, l’apport des autres sciences sociales fait percevoir le rôle d’acteurs collectifs et d’institutions longtemps peu étudiés. Les syndicats et leur confrontation à l’État par le biais des organisations professionnelles chargées du suivi des appellations d’origine contrôlée doivent ainsi être pris en compte pour comprendre l’évolution du monde viticole français au XXe siècle. On retrouve, à travers ce marché très spécifique du vin, des configurations qui évoquent ce que le sociologue Lucien Karpik nomme « l’économie des singularités »45.
23D’autres « institutionnalismes » se sont, pour finir, développés en sociologie économique, souvent en dialogue à la fois avec ceux des politistes et des économistes46. Ils mettent en particulier l’accent sur le fait que le marché lui-même a besoin, pour fonctionner, d’institutions, pas seulement comme fondements un peu lointains (comme la monnaie ou les droits de propriété, pris en compte par les économistes institutionnalistes), mais comme moyens tout à fait concrets d’obtenir l’ajustement entre offre et demande par un prix ; marques et labels ont été tout particulièrement étudiés de ce point de vue47. Les études sociologiques ou ethnographiques de marchés et de transactions contemporains48 ont ici largement dialogué avec les travaux d’historiens, notamment sur les institutions de mesure ou de certification qui rendent l’échange possible49.
II. Sources et méthodes
24Dans ce contexte interdisciplinaire, les historiens peuvent avoir un apport propre en mettant l'accent sur les temporalités, les relations entre discours et pratiques, et tout simplement les archives. L’approche des institutions que nous présentons ici, centrée sur des études d’organisations plus que de normes (mais étudier ces dernières renvoie souvent à différentes organisations), n’est pas propre à l’histoire économique, mais elle y a été pratiquée dans un nombre croissant de travaux depuis une quinzaine d’années.
1. Les échelles temporelles et spatiales de l’institution
25Si l’histoire renouvelée des institutions met l’accent sur les pratiques dans le sens où elle ne se limite pas à une approche par les textes de droit, elle n’exclut pas pour autant, au contraire, tout intérêt pour les discours de l’institution, ni pour les discours à son propos. Il s’agit en particulier de s’interroger sur la légitimation et la construction de l'identité des institutions, de façon diachronique et en accordant toute l’attention nécessaire aux moments de création et de controverses. Le terme, toujours quelque peu piégé, d’« identité » d’une institution renvoie pour nous à quelque chose qui doit être rendu observable dans les sources : on peut ainsi l’envisager sur la base de l’étude de l’implication de ses membres (importante ou non, exclusive ou non), ou encore du vocabulaire qu’ils utilisent. Par exemple, pour comprendre dans quelle mesure une institution est l’« héritière » d’une autre, on peut à la fois se demander si ceux qui l’ont créée l’ont pensée explicitement comme telle, si des pratiques matérielles, des bureaux, des formulaires identiques y sont utilisés, si des membres ont circulé de l’une à l’autre ou ont été formés dans les mêmes lieux, si les mêmes acteurs ou autres institutions y font appel, si les discours produits par l’institution comme collectif se réfèrent explicitement à un modèle antérieur ou encore emploient les mêmes mots50…
26Plus généralement, étudier la création d’une institution oblige à s’interroger sur des temporalités différentes : celle des élaborations doctrinales (souvent contradictoires), puis celle des expériences inspiratrices et des problématisations plus précises, celle de la décision de création elle-même et enfin celle d’une création continue, qui se prolonge sous forme d’installation dans la durée (d’institutionnalisation) et qui peut fortement transformer une institution. Analyser de tels moments impose de redécouvrir les autres solutions qui étaient considérées comme possibles pour le même problème et de repérer la diversité des lieux de débats autour d’un tel projet51.
27Bien évidemment, pister la présence, et le cas échéant l’image, d’une institution dans des sources qu’elle n’a pas produites, voire qui a priori ne sont pas spécialement censées parler d’elle, est tout aussi crucial. Trop de monographies en restent à une étude interne, pour des raisons de choix d’archives, qui peuvent amener à surestimer l’« influence » ou la « centralité », quelle que soit la manière de les définir, de l’institution étudiée. Pour comprendre comment des acteurs extérieurs se la représentent – ce qu’ils pensent de ses membres, des intérêts qu’elle défend, de son influence, etc. –, il faut à la fois varier les points d’entrée du point de vue des archives, en partant par exemple de questions transversales et de fonds totalement extérieurs, et être attentif, dans les archives mêmes de l’institution, aux traces de circulations et d’interactions qui peuvent permettre de comprendre par exemple à quel stade elle se situe dans des processus de décision et qui choisit ou non de s’adresser à elle. Ainsi, Marie-Emmanuelle Chessel, étudiant une association de consommateurs impliquée dans la campagne pour une loi sur le travail du dimanche, peut à la fois discuter de la centralité de cette campagne pour l’association, mais aussi, en adoptant d’autres entrées archivistiques, du poids – tout relatif – de cette organisation particulière dans un mouvement d’opinion, puis dans les mécanismes d’élaboration et d’application de la loi52.
28Outre cette recherche d’éléments factuels donnant un sens à des concepts parfois vagues comme ceux d’« identité » ou d’« influence », prendre en compte la façon dont une institution se façonne et se légitime implique aussi de se confronter à de grandes questions de la culture politique française, notamment celle de la définition d’un intérêt général et de la représentation des intérêts particuliers, y compris dans sa reformulation invoquant la « société civile »53. Pour les aborder sans en rester aux discours, il faut se demander d’où viennent les membres de l’institution, s’ils se considèrent comme les représentants d’intérêts précis – par ailleurs organisés ou non de façon formelle –, s’ils agissent comme tels, mais aussi s’ils font des efforts volontaires pour produire quelque chose qui relèverait d’un intérêt général – et par quelles procédures précises d’organisation des discussions, d’intervention d’experts « neutres », de vote… – ; enfin, si ce résultat est reconnu comme tel par d’autres acteurs. On rejoint là une question classique posée par la prosopographie : connaître les membres d’une institution et les intérêts particuliers qu’ils sont susceptibles de promouvoir, du fait de leur parcours antérieur ou de leurs cumuls de positions, suffit-il à comprendre les discours produits, suivant une démarche démystificatrice qui ne ferait finalement de l’institution qu’un voile pour cette somme d’intérêts ? Sans exclure que telle puisse être la conclusion dans certains cas, prendre l’institution au sérieux implique de s’interroger sur les modes d’organisation collective, les raisons de s’engager, les discours qui peuvent ou non être explicitement tenus, ou encore les phénomènes de constitution de traditions internes, qui peuvent faire que l’institution soit, in fine, plus que la somme de ses membres54.
29Prendre au sérieux la question de la création et de l’identité des institutions n’implique pas pour autant de faire de celles-ci des blocs. En particulier, dès que l’on se confronte à une organisation particulière, se pose la question de l’échelle d’analyse, notamment lorsqu’on a affaire à quelque chose qui n’existe pas uniquement au niveau national, que ce soit une structure hiérarchisée sur une base au moins partiellement géographique (comme l’administration des Finances ou le MEDEF) ou une collection d’institutions locales relevant d’un même modèle, sans qu’une instance nationale les coiffe (comme les chambres de commerce). La question du degré d’autonomie des administrations ou organisations locales, voire de leur rôle dans l’élaboration de normes elles aussi locales, a été reposée à nouveaux frais par nombre de recherches récentes, notamment autour du syndicalisme patronal ou des conseils de prud’hommes55 ; elle se pose de façon très particulière à Paris, sans que l’on puisse postuler systématiquement une échelle d’action plus nationale qu’ailleurs. En outre, la répartition inégale sur le territoire des activités économiques peut très bien impliquer que des institutions a priori définies comme locales aient une influence bien plus large sur les règles propres à un secteur dominant localement : ainsi de la chambre de commerce de Lyon pour les mesures de qualité des textiles ou des institutions publiques ou groupes de pression du Bordelais ou de Bourgogne en matière de vins…
2. Discours et pratiques : entrer dans les sources
30Si les historiens ont quelque chose à apporter ou à ajouter aux institutionnalismes des autres sciences sociales, c’est sans doute à la fois en termes d’études diachroniques, en particulier en portant attention aux moments de création institutionnelle, aux phénomènes de légitimation et d’installation dans la durée, et en matière de réflexion sur le traitement des sources. Lorsqu’il existe un fonds constitué comme celui d’une institution consultative – mais on pourrait dire à peu près la même chose des fonds d’organisations collectives, syndicats, corporations, voire partis politiques, et même, avec quelques variantes, de ceux des services administratifs ou d’une partie des fonds des tribunaux –, comprenant statuts, procédures de choix des membres, délibérations de commissions, sollicitations extérieures, documents de travail et rapports, il nous semble que certaines questions devraient se poser d’elles-mêmes. Il faut ainsi porter attention à la genèse des sources (celle de chaque écrit particulier, mais aussi de l’agencement que constitue un fonds) : travailler sur des sources institutionnelles impose de réfléchir sur les techniques propres de l’institution et sur les pratiques des acteurs56. Ainsi, si des étapes comme la recherche des textes supposés créer l’institution puis encadrer son fonctionnement ou la reconstitution de listes de membres, et si possible d’informations prosopographiques, restent en général nécessaires, d’autres points d’entrée sont indispensables pour saisir les pratiques de l’institution, et ainsi échapper à l’illusion juridique (celle du droit dans les textes), à l’illusion externaliste (celle de l’institution comme somme de ses membres) et à la pure monographie.
31S’agissant des archives internes – listes de membres, procès-verbaux de réunions, rapports, jugements, circulaires… –, un savoir-faire encore peu formalisé est en train de s’élaborer, de recherche en recherche, pour les lire en comprenant à la fois les pratiques qu’elles peuvent refléter et les enjeux de leur mise en forme écrite et de leur conservation. Ainsi, les formes d’anonymisation, ou non, des intervenants dans les procès-verbaux se comprennent mieux lorsqu’on peut procéder à des comparaisons entre institutions (contemporaines ou non) ; les prendre en compte, comme d’autres codes ou éléments formels propres à ces sources, est crucial pour approcher tant l’image que l’institution veut donner d’elle-même que les pratiques d’élaboration d’un consensus. Plus généralement, les techniques d’écriture, de composition de formulaire, de reprographie… font partie des « investissements de forme » dont l’analyse permet de comprendre à la fois ce que les membres veulent faire et les moyens qu’ils emploient pour réaliser cette tâche57. Dans le même ordre d’idées, il faut s'intéresser aux moyens matériels de l’institution – budget, personnel, locaux –, moins pour mesurer une « importance » qui peut prendre d’autres figures que pour comprendre des éléments de permanence ou de précarité ou encore des liens de dépendance vis-à-vis d’autres organisations.
32Cette attention portée notamment aux objets, ceux que l’on manipule en archives ou ceux dont parlent les archives, s’inspire des renouvellements de l’histoire des sciences58. Elle ne doit pas pour autant faire oublier les textes, dont on peut faire une lecture qui ne s’en tienne pas à une histoire paresseuse des idées ou du droit. Pour ce faire, il est notamment important de cerner les formes du travail collectif de l’institution : plus ou moins hiérarchisé (qui tient la plume ? qui apporte des éléments factuels pour les rapports ? qui participe réellement aux discussions ?), plus ou moins divisé en commissions ou sections par exemple59. L’enjeu, qui peut sembler trivial, de l’affectation d’un ensemble de membres ou d’employés dans différents groupes, exclusifs ou non les uns des autres, parfois réduits, ou non, à une seule personne et plus ou moins pérennes, renvoie en réalité tant à des rapports de force propres à une situation précise qu’à de grandes questions politiques comme le rapport à l’expertise ou à l’intérêt général60. Parallèlement à cette attention aux procédures de production de discours et de décisions collectives, il est essentiel de prendre en compte le vocabulaire exact utilisé dans les sources, le langage apporté par chacun des acteurs et/ou celui produit collectivement par l’institution. Cela peut passer par des méthodes diverses, de la Begriffsgeschichte – l’histoire conceptuelle inspirée par l’historien allemand Reinhart Koselleck – à la lexicométrie, mais cela s’impose dans la mesure où le fait de nommer un problème politique ou de décider de la qualification juridique d’une situation est crucial pour la prise de décision.
33Un terrain privilégié de l’étude fine des vocabulaires et des conflits sur les façons de nommer et de classer est le travail sur les controverses. Lorsqu’elles portent sur la création d’une nouvelle institution, supposée en remplacer ou en compléter une autre ou d’autres, suivant une idée importée de l’étranger ou d’un autre secteur, par exemple61, elles constituent évidemment un terrain privilégié d’étude. En effet, elles permettent de travailler sur la notion, notamment popularisée par la micro-histoire, d’espace des possibles (qui considère que si certains chemins institutionnels sont très improbables à partir d’une situation donnée, l’avenir n’est pas pour autant totalement déterminé), tout en entrant en résonance avec les interrogations d’autres disciplines sur la variété des institutions empiriquement observées. Les périodes de reconstruction institutionnelle après une guerre ou une révolution, par exemple, représentent de ce point de vue un terrain d’observation privilégié ; il faut alors s’astreindre à suivre le destin des propositions longuement discutées mais abandonnées, des « échecs institutionnels », au moins autant que la généalogie des organisations effectivement mises en place. Cela en dit souvent plus sur ce qui était ou n’était pas possible, tant du point de vue du discours politique dominant – ainsi du tabou sur la représentation des intérêts particuliers dans la France d’après 1791 – que des pratiques les plus concrètes, les deux aspects étant d’ailleurs souvent liés – ainsi de la nécessité, si l’on supprimait les tribunaux de commerce, de payer un grand nombre de nouveaux juges fonctionnaires62.
34Les controverses permettent aussi de mettre en évidence des formes variées de liens entre institutions (héritage ou opposition de modèles, consultation de l’une sur l’avenir de l’autre, mise en place de fronts communs, voire de comités de coordination…), qui n’épuisent pas, toutefois, la gamme des interactions et circulations possibles, des cumuls de fonctions ou trajectoires de membres à la demande mutuelle d’avis ou à l’échange d’informations, prévus par les textes ou mis en place spontanément. Étudier ainsi les institutions en se centrant sur les relations entre elles, comme un système, permet notamment d’éviter les illusions de centralité fondées sur l’immersion dans une seule source63. De simples listes comparées de membres et mentions mutuelles dans les correspondances ou les procès-verbaux donnent déjà des éléments très importants pour situer ainsi une institution dans ses rapports avec d’autres.
III. De nouveaux objets transversaux
35Nombre d’objets de l’histoire économique auraient pu illustrer le développement des approches à l’échelle des institutions. En voici, pour conclure, quelques exemples plus ou moins détaillés, qui illustrent l’importance des circulations interdisciplinaires et du travail collectif pour de telles recherches.
36Le premier concerne l’histoire de la protection sociale. Depuis longtemps déjà, l’histoire de l’État-providence n’est pas étudiée comme un bloc : historiens, sociologues et politistes se montrent particulièrement attentifs aux institutions qui ont préparé les réformes sociales ou permis leur application. Au cœur de la « nébuleuse réformatrice » repérée autour de 190064 se trouvent bon nombre d’institutions, dont la plus célèbre reste sans doute le Musée social65. Mais étudier les développements ultérieurs nécessite aussi de se pencher précisément sur des institutions. On ne peut suivre l’histoire complexe des assurances sociales dans la France des années 1920 et 1930 sans étudier le fonctionnement des différentes caisses66. On ne peut comprendre, au-delà des proclamations rhétoriques, le fonctionnement de la politique de la famille du régime du maréchal Pétain sans en suivre l’ensemble des rouages à des échelles où cette politique est mise en place via des administrations et des organisations67. De même, cette histoire ne peut rester franco-française, mais doit tenir compte du rôle des institutions internationales, comme, au XXe siècle, la place éminente tenue par le Bureau international du travail68.
37Un deuxième exemple, qui concerne un domaine seulement émergent de recherche, concerne la concurrence. L’approche interdisciplinaire, aujourd’hui assez rebattue, des « districts industriels »69, vise au départ à élucider ce qui est décrit comme un paradoxe : le constat de formes de coopération entre entreprises semblant « objectivement » en situation de concurrence particulièrement vive. Le caractère paresseux des réponses apportées à cette question en termes de simple proximité spatiale ou de particularités culturelles locales a conduit récemment à mettre plutôt l’accent sur le fonctionnement concret des normes et des institutions, souvent locales, permettant cette coopetition, notamment les organisations locales de branches, mais aussi les cartels ou ententes regroupant plutôt de grandes entreprises70. Si une approche institutionnelle peut ainsi permettre de sortir de descriptions idylliques d’une coopération naturelle, réciproquement, la concurrence peut aussi être vue comme une construction institutionnelle : puisqu’elle n’est jamais un simple état de nature, les politiques de la concurrence comme les structures mises en place pour les contourner méritent leur étude – moins avancée en France, toutefois, que celle des lois antitrust aux États-Unis.
38Enfin, l’entrée institutionnelle, sans être première, peut contribuer à renouveler des questions transversales. L’histoire de la pollution industrielle dans la France du XIXe siècle s’éclaire ainsi d’un jour neuf si on y intègre la diversité des acteurs, y compris institutionnels : l’importance des conseils d’hygiène et le rôle des préfets sont notamment à reconsidérer71. Pour travailler sur l’organisation scientifique du travail dans l’Europe de l’entre-deux-guerres, le Bureau international du travail constitue un observatoire privilégié72. Pour saisir la place des inventeurs et de l’innovation dans la France de la Belle époque, loin de la vision romantique du génie solitaire, c’est bien à des institutions que l’historien doit se confronter – des académies aux tribunaux, en passant par les associations d’inventeurs ou les commissions parlementaires73. Comprendre le marché noir et son envers le contrôle économique durant la Seconde Guerre mondiale passe ainsi par la restitution de l'action de diverses isntitutions74. S’interroger sur la productivité dans la France des années cinquante est possible à partir d’une entrée biographique, mais celle-ci est aussi une invitation à suivre l’ensemble des institutions pratiquées par cet acteur, ce qui permet de retrouver la plupart des autres figures de la modernisation de la France, dans un système d’institutions construit par leurs carrières complexes75. Enquêter sur les choix en matière d’Europe économique au début du marché commun peut paraître relever de la diplomatie et des décisions politiques au sommet du pouvoir ; or, c’est aussi suivre des acteurs collectifs mobilisés via des institutions diverses76. Enfin, reconstituer un fait divers de la France des années cinquante en partant d’une histoire d’empoisonnement permet de restituer tout un monde social et économique et passe par l’étude précise d’une institution comme l’ONIC, l’Office national interprofessionnel des céréales, qui joue un rôle clef dans la régulation du marché du blé et de la farine pendant plus de cinquante ans77.
39Ainsi, que l’on soit amené à l’institution par la recherche archives, de points d’observation un peu stables, par la volonté de situer un acteur ou un événement ou de suivre une prise de décision, des approches qui ont un air de famille s’imposent à propos d’objets très variés. Non seulement, il ne faut pas oublier les institutions et le fait qu’elles influencent différents phénomènes économiques, mais leur étude doit s’étendre à leurs pratiques, des plus matérielles à la création de catégories statistiques ou juridiques, et aux différents groupes d’acteurs qui les font vivre ou qui tentent de les utiliser.
Notes de bas de page
1 Ainsi, une International Society for New Institutional Economics, définie comme « an interdisciplinary enterprise combining economics, law, organization theory, political science, sociology and anthropology to understand the institutions of social, political and commercial life » (<http://www.isnie.org/about.html>) a été fondée en 1996, notamment autour de Ronald Coase, Douglass North et Oliver Williamson.
2 Hirsch J.-P., Les deux rêves du commerce : entreprise et institution dans la région lilloise 1780-1860, Paris, Éditions de l’EHESS, 1991, a de ce point de vue fait figure de pionnier pour l’histoire économique française, bien au-delà de la période qu’il étudiait.
3 Margairaz D., Minard Ph. (éds), « Le marché dans son histoire », Revue de synthèse, vol. 127, no 2, 2006, p. 241-252.
4 Pour une description critique de cette approche, voir Ogilvie S., « ‘Whatever is, is right’ ? Economic institutions in pre-industrial Europe », The Economic History Review, Volume 60, Issue 4, 2007, p. 649-684.
5 Sur le rôle de production de normes tenu par des organisations privées, cf. notamment Edelman L. B., Suchman M. G., « When the ‘Haves’ Hold Court : Specifications on the Organizational Internalization of Law », Law & Society Review, Volume 33, Issue 4, 1999, p. 941-991. Sur la notion de formalisation, trop souvent maniée de façon approximative, cf. Stinchcombe A., When Formality Works. Authority and Abstraction in Law and Organizations, Chicago, University of Chicago Press, 2001,
6 Chatriot A., La démocratie sociale à la française. L’expérience du Conseil national économique, 1924-1940, Paris, La Découverte, 2002. Lemercier C., Un si discret pouvoir. Aux origines de la Chambre de commerce de Paris 1803-1853, Paris, La Découverte, 2003.
7 Lemercier C., Un modèle français de jugement des pairs. Les tribunaux de commerce, 1780-1880, Mémoire inédit pour l’habilitation à diriger des recherches, université de Paris 8, 2012 ; le mémoire d’Alain Chatriot portera sur les institutions du marché du blé en France dans la première moitié du XXe siècle.
8 Lucassen J., De Moor T., Luiten van Zanden J., « The Return of the Guilds : Towards a Global History of the Guilds in Pre-industrial Times », International Review of Social History, Volume 53, Issue S16, December 2008, p. 5-18 ; sur la France, Kaplan S. L., La fin des corporations, Paris, Fayard, 2001 ; Kaplan S. L., Minard P. (éds), La France, malade du corporatisme ? XVIIIe-XXe siècles, Paris, Belin, 2004.
9 North D. C., Thomas R. P., The Rise of the Western World : A New Economic History, New York, Cambridge University Press, 1973.
10 Chatriot A., Lemercier C., « Les corps intermédiaires », in Duclert V., Prochasson C. (éds), Dictionnaire critique de la République, Paris, Flammarion, 2002, p. 691-698 ; Druelle-Korn C. (éd.), Les corps intermédiaires économiques. Entre l’État et le marché, Limoges, PULIM, 2011.
11 Charle C., Nagle J., Perrichet M., Richard M., Woronoff D., Prosopographie des élites françaises (XVIe-XXe siècles). Guide de recherche, Paris, CNRS-IHMC, 1980.
12 L’attention nouvelle à cette construction institutionnelle des catégories dépasse bien sûr le domaine de l’histoire économique. D’un point de vue général, voir Douglas M., Comment pensent les institutions, Paris, La Découverte, 1999 [1986]. En France et en histoire économique et sociale, la parution de Desrosières A., Thévenot L., Les catégories socioprofessionnelles, Paris, La Découverte, 1988, a représenté une étape importante pour cette prise de conscience.
13 Comme témoignage de certaines de ces trajectoires, voir par exemple Luciani J. (éd.), Histoire de l’Office du Travail (1890-1914), Paris, Syros, 1992 ; Stanziani A., L’économie en révolution. Le cas russe, 1870-1930, Paris, Albin Michel, 1998 ; Rosental P.-A., L’intelligence démographique. Sciences et politiques des populations en France (1930-1960), Paris, Odile Jacob, 2003 ; Touchelay B. et Verheyde P. (éds), La genèse de la décision. Chiffres publics, chiffres privés dans la France du XXe siècle, Pompignac près de Bordeaux, Bière, 2009.
14 Ce que Mark Granovetter a finement décrit comme les visions « sous-socialisée » et « sur-socialisée » de l’économie. Granovetter M., « Economic Action and Social Structure : The Problem of Embeddedness », American Journal of Sociology, no 91, November 1985, p. 481-510.
15 Revel J., « L’institution et le social », in Lepetit B. (éd.), Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995, p. 63-84 ; Cerutti S., « Normes et pratiques, ou de la légitimité de leur opposition », ibid., p. 127-149.
16 Voir notamment Delalande N., Les batailles de l’impôt. Consentement et rétsistances de 1789 à nos jours, Paris, Seuil, 2001. La notion de jeu sur des « dénivellations réglementaires » a été bien exposée par Philippe Minard. Voir par exemple Minard P., « Les formes de régulation du travail en France et en Angleterre au XVIIIe siècle : une enquête en cours », Cahiers de Framespa, no 2, 2006, <://framespa.revues.org/59>. Voir aussi Béaur G., Bonin H., Lemercier C. (éds), Fraude, contrefaçon et contrebande, de l’Antiquité à nos jours, Genève, Droz, 2006.
17 Baruch M. O., Duclert V. (éds), Serviteurs de l’État, une histoire politique de l’administration française 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000.
18 Minard P., « État et économie en France après la Révolution », Historiens et géographes, no 378, 2002, p. 195-201.
19 Voir les dossiers « Le service public, l’économie, la République 1780-1960 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 52-3, 2005, et « Bientôt privés de services publics », Regards croisés sur l’économie, no 2, septembre 2007.
20 Voir notamment Stanziani A. (éd.), Dictionnaire historique de l’économie-droit, XVIIIe-XXe siècles, Paris, LGDJ, 2007. Les guides des sources et bibliographies élaborés par Jean-Claude Farcy fournissent une aide inestimable aux recherches dans ce domaine : Farcy J.-C., Guide des archives judiciaires et pénitentiaires (1800-1958), Paris, CNRS Éditions, 1992, et Deux siècles d’histoire de la Justice en France. Notices bibliographiques, Paris, CNRS Éditions, 1996, repris et enrichis sur <http://www.criminocorpus.cnrs.fr>.
21 Voir, à propos de débats sur les marchés publics, Lemesle H., « Apprendre le travail parlementaire et construire la séparation des pouvoirs dans les années 1870 », Revue d’histoire du XIXe siècle, no 35, 2007, p. 121-139, et pour une période plus récente : Lascoumes P., « Les compromis parlementaires, combinaisons de surpolitisation et de sous-politisation. L’adoption des lois de réforme du Code pénal (décembre 1992) et de création du PACS (novembre 1999) », Revue française de science politique, no 59, 2009-3, p. 455-478.
22 On pense ici aux mobilisations scientifiques rendues possibles dans le cadre du centenaire du ministère du Travail en 2006 : Chatriot A., Join-Lambert O., Viet V. (éds), Les Politiques du Travail (1906-2006). Acteurs, institutions, réseaux, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, et plus récemment l’édition des actes d’une journée d’études : Chatriot A., Tuffery-Andrieu J.-M., Hordern F. (éds), La codification du travail en France dans la IIIe République. Élaborations doctrinales, techniques juridiques et réalités sociales, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.
23 Bezès P., Descamps F., Kott S., Tallineau L. (éds), L’invention de la gestion des finances publiques. Élaborations et pratiques du droit budgétaire et comptable au XIXe siècle (1815-1914), Paris, CHEFF, 2010.
24 Feiertag O., Margairaz M. (éds), Politiques et pratiques des banques d’émission en Europe, XVIIe-XXe siècles : le bicentenaire de la Banque de France dans la perspective de l’identité monétaire européenne, Paris, Albin Michel, 2003.
25 Aglan A., Margairaz M., Verheyde P. (éds), La Caisse des dépôts et consignations, la Seconde Guerre mondiale et le XXe siècle, Paris, Albin Michel, 2003.
26 Archives nationales, Conseil économique, social et environnemental, Le Conseil économique 1946-1960, 2009, (répertoire numérique détaillé éd. par Alain Chatriot et Christian Oppetit).
27 Lainé B., Le conseil de prud’hommes du département de la Seine : 1844-1940 (1762-1971), Paris, Archives de Paris, 2005 ; Lainé B., Juridiction consulaire 1563-1792, Tribunal de commerce 1792-1997, Paris, Direction des Services d’Archives de Paris, 2009.
28 Cottarel O., Répertoire numérique des séries anciennes (archives collectées de 1803 à 1986), Paris, Chambre de commerce et d’industrie de Paris, 1996 ; Moquay P., Palard J., La société régionale en dialogue : le Conseil économique et social d’Aquitaine 1974-1989 : l’innovation apprivoisée, Bordeaux, Conseil économique et social régional d’Aquitaine, Éditions confluences, 2009.
29 Guery A., « Propriété, droit et institution dans l’institutionnalisme américain », Cahiers d’économie politique, no 40-41, 2001, p. 9-38.
30 Kirat T., Économie du droit, Paris, La Découverte, 1999.
31 Pour une présentation de ces travaux et débats, voir Lemercier C., « Napoléon contre la croissance ? À propos de droit, d’économie et d’histoire », La vie des idées, 21 novembre 2008.
32 Voir notamment Bessy C., Favereau O., « Institutions et économie des conventions », Cahiers d’économie politique, no 44, 2003, p. 119-164.
33 Stanziani A. (éd.), La qualité des produits en France (XVIIIe-XXe siècles), Paris, Belin, 2003 ; Stanziani A., Histoire de la qualité alimentaire XIXe-XXe siècle, Paris, Le Seuil, 2005.
34 Boyer R., Freyssenet M., Les modèles productifs, Paris, La Découverte, 2000, et Boyer R., Hollingsworth J. R. (eds), Contemporary Capitalism : The Embeddedness of Institutions, Cambridge University Press, Cambridge, 1997.
35 Aoki M., Fondements d’une analyse institutionnelle comparée, Paris, Albin Michel, 2006 [2001] ; Greif A., « Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ? », Tracés, no 17, 2009, p. 181-210 [2006].
36 Swedberg R., « The Case of an Economic Sociology of Law », Theory & Society, no 32, 2003, p. 1-37, et surtout Edelman L., Stryker R., « A Sociological Perspective on Law and the Economy », in Smelser N., Swedberg R. (eds), The Handbook of Economic Sociology, Princeton, Princeton University Press, 2005 [1994], p. 527-551.
37 Deux publications collectives récentes signalent un véritable début d’acclimatation de ces approches en France, mais en sociologie économique plus qu’en histoire économique, cf. Pélisse J. (éd.), « Se donner le droit : la force des organisations face à la loi », Droit & Société, no 77, 2011, et surtout Bessy C., Delpeuch T., Pélisse J. (éds), Droit et régulation des activités économiques : perspectives sociologiques et institutionalistes, Paris, LGDJ, 2012. Sur les usages du droit par des groupes d’intérêts, voir notamment Michel H., La cause des propriétaires. État et propriété en France, fin XIXe-XXe siècle, Paris, Belin, 2006.
38 Pour un bel exemple de connaissance fine de la procédure mise au service d’une histoire économique, voir Kessler A. D., A Revolution in Commerce : The Parisian Merchant Court and the Rise of Commercial Society in Eighteenth-Century France, Londres, New Haven, Yale University Press, 2007.
39 Stanziani A. (éd.), Dictionnaire…, op. cit. (n. 20) ; Hautcoeur P.-C. (éd.), « Justice commerciale et histoire économique. Enjeux et mesures », Histoire et Mesure, no XXIII-1, 2008.
40 Pour des synthèses, voir Steinmo S., « Néo-institutionnalismes », in Boussaguet L., Jacquot S., Ravinet P. (éds), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 290-297, et surtout Lagroye J., Offerlé M. (éds), Sociologie de l’institution, Paris, Belin, 2011.
41 Chatriot A., « Les Offices en France sous la troisième République. Une réforme incertaine de l’Administration », Revue française d’administration publique, no 120, 2006, p. 635-650 ; Bezes P., Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, 2009.
42 Surel Y., « Trois I », in Boussaguet L., Jacquot S., Ravinet P. (éds), Dictionnaire…, op. cit. (n. 40), p. 452-459.
43 Laferté G., La Bourgogne et ses vins : image d’origine contrôlée, Paris, Belin, 2006.
44 Smith A., Maillard J. de, Costa O., Vin et politique. Bordeaux, la France, la mondialisation, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007 ; Chauvin P.-M., Le marché des réputations. Une sociologie du monde des vins de Bordeaux, Bordeaux, Féret, 2010.
45 Karpik L., L’économie des singularités, Paris, Gallimard, 2007.
46 Nee V., « The New Institutionalism in Economics and Sociology », in Smelser N., Swedberg R. (eds), The Handbook of Economic Sociology, Princeton, Princeton University Press, 2005 [1994], p. 19-45.
47 François P. (éd.), Vie et mort des institutions marchandes, Paris, Presses de Sciences-Po, 2011.
48 En particulier Garcia-Parpet M.-F., « La construction sociale d’un marché parfait : le marché au cadran de Fontaine-en-Sologne », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, no 65, 1986, p. 2-13. Plus généralement, voir Dufy C., Weber F., L’ethnographie économique, Paris, La Découverte, 2007, et François P., Sociologie des marchés, Paris, Armand Colin, 2008.
49 Margairaz D., « Les bureaux de poids public et l’organisation de l’espace marchand », Revue du Nord, t. 85, no 352, octobre-décembre 2003, p. 845-862.
50 Chessel M.-E., « Hommes et femmes de la Ligue sociale d’acheteurs (1902-1914). Un double ‘héritage Le Playsien’ ? », Les Études sociales, no 149-150, 2009, p. 123-149. Voir aussi Lemercier C., « Un modèle… », op. cit. (n. 7), sur les relations entre tribunaux de commerce, prud’hommes et chambres syndicales.
51 Pour des exemples de telles analyses, voir Chatriot A., Lemercier C., « Une histoire des pratiques consultatives de l’État », in Offerle M., Rousso H. (éds), La fabrique interdisciplinaire. Histoire et science politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 191-203.
52 Chessel M.-E., Le pouvoir de l’acheteuse. Des consommateurs catholiques en République (1900-1935), Mémoire inédit pour l’habilitation à diriger des recherches, EHESS, 2009 (à paraître aux Presses de Sciences Po.). Pour des mises en garde salutaires concernant les notions de « lobbying » et d’« influence », cf. Courty G., Les groupes d’intérêt, Paris, La Découverte, 2006.
53 Rosanvallon P., Le modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2004 ; Lemercier C., « La France contemporaine : une impossible société civile ? », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 52-3, juillet-septembre 2005, p. 166-179 ; Chatriot A., « La société civile redécouverte : quelques perspectives françaises », Discussion Papers, WZB, SP IV, 2009-402 ; Charle C., Vincent J. (éds), La société civile. Savoirs, enjeux et acteurs en France et en Grande-Bretagne, 1780-1914, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.
54 De ce point de vue, les réserves exprimées par Stone L., « Prosopography », Daedalus, Volume 100, Issue 1, 1971, p. 46-79, gardent toute leur actualité. Pour un bon exemple d’étude sociologique de la construction d’une institution qui est plus que la somme des intérêts de ses membres, voir Lazega E. et Monnier L., « Polynormativité et contrôle social du monde des affaires : le cas de l’interventionnisme et de la punitivité des juges du Tribunal de commerce de Paris », Droit & Société, no 71, 2009, p. 103-132.
55 Vernus P. (éd.), Les organisations patronales. Une approche locale (XIXe-XXe siècles), Lyon, Cahiers du Centre Pierre Léon, 2002 ; Fraboulet D., Quand les patrons s’organisent. Stratégies et pratiques de l’Union des industries métallurgiques et minières, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2007. Sur les prud’hommes, on attend toujours la publication des actes de l’important colloque de 2006, « Histoire d’une juridiction d’exception : les prud’hommes, XIXe-XXe siècles », qui faisaient suite aux travaux pionniers d’Alain Cotereau, notamment sur cette question d’organisation locale, Cotterau A., « La désincorporation des métiers et leur transformation en ‘publics intermédiaires’ : Lyon et Elbeuf, 1790-1815 », in Kaplan S., Minard Ph. (éds), La France…, op. cit. (n. 8), p. 97-145.
56 Voir par exemple Moullier I., Le ministère de l’Intérieur sous le Consulat et le Premier Empire (1799-1814) : gouverner la France après le 18 brumaire, Thèse de doctorat, université de Lille III, 2004 (disponible en ligne).
57 Laurens S., « Les agents de l’État face à leur propre pouvoir. Éléments pour une microanalyse des mots griffonnés en marge des décisions officielles », Génèses, no 72, 2008, p. 26-41 ; Gardey D., Écrire, calculer, classer. Comment une révolution de papier a transformé les sociétés contemporaines (1800-1940), Paris, La Découverte, 2008.
58 Pour une transposition explicite à l’étude d’une institution, voir Latour B., La fabrique du droit. Une ethnographie du conseil d’État, Paris, La Découverte, 2002.
59 Voir ainsi, sur le rôle d’une catégorie d’acteurs trop longtemps négligée, Dard O., Richard G. (éds), Les permanents patronaux : éléments pour l’histoire de l’organisation du patronat en France dans la première moitié du XXe siècle, Metz, Centre de recherche histoire et civilisation de l’université Paul Verlaine de Metz, 2005.
60 Pour un développement plus détaillé sur ce point, voir Chatriot A., Lemercier C., « Une histoire… », art. cit. (n. 51).
61 L’histoire économique gagnerait ici à s’inspirer plus souvent de l’histoire croisée, ou des discussions autour de la notion de « transplantations » institutionnelles développées dans d’autres sciences sociales. Voir par exemple Teubner G., « Legal Irritants : Good Faith in British Law or How Unifying Ends up in New Differences », Modern Law Review, Volume 61, 1998, p. 11-32 ou Delpeuch T., « Comprendre la circulation internationale des solutions d’action publique : panorama des policy transfer studies », Critique internationale, vol. 43, no 2, 2009, p. 153-165.
62 Vauchez A., Willemez L., La justice face à ses réformateurs (1980-2006), Paris, PUF, 2007.
63 Lemercier C., « Liens privés et régulation de l’économie : la famille et l’institution (Paris, XIXe siècle) », Revue d’histoire du XIXe siècle, no 33-2, 2006, p. 23-53.
64 Topalov C. (éd.), Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France (1880-1914), Paris, Éditions de l’EHESS, 1999.
65 Horne J., Le Musée social. Aux origines de l’État providence, Paris, Belin, 2004.
66 Dreyfus M., Ruffat M., Viet V., Voldman D., avec la collaboration de Valat B., Se protéger, être protégé. Une histoire des Assurances sociales en France, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006.
67 Capuano C., Vichy et la Famille. Réalités et faux-semblants d’une politique publique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.
68 Rosental P.-A., « Géopolitique et État-providence. Le BIT et la politique mondiale des migrations dans l’entre-deux-guerres », Annales. Histoire, Sciences sociales, vol. 61, no 1, janvier-février 2006, p. 99-134.
69 Daumas J.-C., « Districts industriels : du concept à l’histoire », Revue économique, vol. 58, no 1, janvier 2007, p. 131-152.
70 Chatriot A., « Les ententes : débats juridiques et dispositifs législatifs (1923-1953). La genèse de la politique de la concurrence en France », Histoire Économie et Société, no 1, 2008, p. 7-22 ; Lemercier C., « Looking for ‘industrial confraternity’. Small-scale industries and institutions in 19th-century Paris », Enterprise et Society, vol. 10-2, juin 2009, p. 304-334 ; Carnaveli F., Luxury for the Masses. Jewellery, Creativity and Entrepreneurship in America and Britain, 1870-1914, Cambridge, Harvard University Press, 2012.
71 Massard-Guilbaud G., Histoire de la pollution industrielle, France, 1789-1914, Paris, Éd. de l’EHESS, 2010.
72 Cayet T., Rationaliser le travail, organiser la production. Le Bureau international du travail et la modernisation économique durant l’entre-deux-guerres, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
73 Galvez-Behar G., La République des inventeurs. Propriété et organisation de l’innovation en France (1791-1922), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.
74 Grenard F., La France du marché noir (1940-1949), Paris, Payot, 2008 et Les scandales du ravitaillement. Détournements, corruption, affaires étouffées en France, de l’Occupation à la guerre froide, Paris, Payot, 2012.
75 Boulat R., Jean Fourastié, un expert en productivité. La modernisation de la France (années trente-années cinquante), Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2008.
76 Warlouzet L., Le choix de la CEE par la France. L’Europe économique en débat, de Mendès France à de Gaulle (1955-1969), Paris, CHEF, 2011..
77 Kaplan S. L., Le pain maudit. Retour sur la France des années oubliées 1945-1958, Paris, Fayard, 2008.
Auteurs
Chargé de recherche, CNRS CRH
Chargée de recherche, CNRS Centre de sociologie des organisations
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