Histoire du Moyen Âge et histoire économique1
p. 83-98
Texte intégral
1Le constat fait pour les autres périodes académiques de l’histoire concerne naturellement aussi l’histoire du Moyen Âge. Alors que, durant les années 1950-1980, les préoccupations économiques ont occupé une place centrale dans le champ, celles-ci déclinent brutalement dès la fin des années 1980. Il n’y a aucune singularité ni aucune bizarrerie de la spécialité. On mesure en tout cas le chemin parcouru à reculons, si l’on veut bien se souvenir de ce que Marc Bloch enseignait, à la Sorbonne, l’histoire économique. Celle-ci, d’autre part, s’imposait comme une clef évidente de compréhension de la société médiévale : il suffit de parcourir, pour s’en persuader, l’Apologie pour l’histoire du même Bloch où les références à la vie économique structurent le propos comme une évidence à laquelle on ne saurait échapper2. Il suffit également de se rappeler comment Bloch dialoguait avec Simiand afin de construire un objet commun ou encore avec quelle autorité il intervenait dans les controverses nées autour des travaux du Comité international d’histoire des prix3. Or, les médiévistes revendiquant une identification ou une affiliation à l'histoire économique et à elle seule se comptent aujourd’hui sur le doigt d’une seule main. Ceux traitant de sujets se rapportant peu ou prou à la vie économique sont une minorité, certes significative, mais une minorité tout de même. Leur production révèle des préoccupations diverses et montre un champ éclaté et certainement pas dominant. On tentera ici de décrire la situation, d’indiquer les lignes d’évolution individuelles et collectives et de montrer les voies nouvelles qu’a pris l’étude des phénomènes économiques en histoire du Moyen Âge depuis une dizaine d’années.
I. Quelques données chiffrées
2En 1998, Alain Guerreau à qui on avait proposé pour un volume collectif le même sujet que celui qui est abordé dans ces pages, profitait de la sortie alors relativement récente du manuel produit sous la direction de Philippe Contamine pour proposer quelques statistiques sur la production internationale en histoire économique4. Utilisant la bibliographie mobilisée par les auteurs et qu’il considérait comme à jour, il en avait extrait les titres (essentiellement des livres) sans se soucier de la langue de l’auteur :
Jusqu’à 1950 | 1951-1960 | 1961-1970 | 1971-1980 | 1981-1990 | 1991-1993 |
28 | 53 | 66 | 107 | 152 | 23 |
3La statistique est inachevée, parce qu’interrompue au moment de la parution de l’ouvrage. La bibliographie n’a pas été poursuivie au-delà dans les différentes rééditions de l’ouvrage. Ces résultats montrent que, dans le champ international, il était difficile en 1993 de parler d’une véritable dépression et que la production se maintenait à un rythme soutenu. La vraie question est cependant comparative et, dans le cadre des préoccupations de cet ouvrage, nationale. Il est difficile, voire impossible, de mesurer l’importance relative de l’histoire économique du Moyen Âge à l’intérieur de l’ensemble de la production de la médiévistique.
4Alain Guerreau soulevait un autre problème, qui est celui de la catégorisation : les limites du champ sont floues et la façon de l’aborder est suffisamment complexe pour que l’on doive s’interroger sur ce dont on parle en traitant du sujet « histoire économique » pour le Moyen Âge. Il est effectif qu’une certaine confusion semble régner comme le montre la difficulté qu’il y a à savoir ce que font exactement les médiévistes français.
5L’annuaire de leur société professionnelle fournit des éléments de réponse qui demanderaient naturellement à être approfondis. Son édition de 2008 comporte 654 entrées. Chaque fiche indique, outre le titre de la thèse, les thèmes de recherches qui sont ceux de chacun des membres. Le dépouillement permet d’élaborer le tableau suivant :
Catégories | Effectif de la spécialité | % effectif/spécialité | % effectif/profession (654) |
Commerce | 15 | 13,2 | 2,3 |
Culture matérielle, archéologie, peuplement | 12 | 10,5 | 1,8 |
Économie | 7 | 6,1 | 1,1 |
Économie et société | 15 | 13,2 | 2,3 |
Ville, constructions, techniques | 15 | 13,2 | 2,3 |
Monnaie, finance, crédit, risque | 18 | 15,8 | 2,8 |
Pensée économique | 2 | 1,8 | 0,3 |
Patrimoine | 4 | 3,5 | 0,6 |
Démographie | 2 | 1,8 | 0,3 |
114 | 100,0 | 17,4 |
6Ces catégories sont établies d’après ce que les intéressés disent de leurs propres programmes de recherche. On n’a inclus dans les champs « histoire économique » et « histoire économique et sociale » que les personnes mentionnant elles-mêmes ces catégories et l’on a évité les doublons en refusant les « affiliations multiples », bien que les intéressés revendiquent leur appartenance à plusieurs sous-spécialités, ce qui pose parfois un vrai problème par exemple lorsque l’on a affaire à des spécialistes de la fiscalité qu’il faut savoir où classer : sera-ce dans l’histoire de l’État ou dans l’histoire économique ? Une connaissance élémentaire des travaux permet cependant de résoudre rapidement la plupart des problèmes5. La rubrique « Pensée économique » doit être remarquée. Elle est nouvelle pour les médiévistes. Elle est issue de l’histoire de la spiritualité dont elle s’est récemment scindée : les sources utilisées, textes patristiques ou règles monastiques, voire parfois hagiographies, ont aussi un contenu intéressant l’histoire économique. Les métaphores complexes qu’ils utilisent renvoient souvent à l’échange marchand et à l’économie commerciale – et cette simple remarque a permis récemment de réaliser de très profondes analyses sur la nature même de la pensée des ecclésiastiques, imprégnée du langage de la marchandise et de l’échange6.
7Une fois passés ces préliminaires, deux constatations s’imposent :
Les historiens économistes sont une minorité au sein des médiévistes. Toutes catégories confondues (enseignants-chercheurs, chercheurs, personnel précaire et doctorants), seuls 17 % de la population affichent clairement des préoccupations relevant de l’histoire économique.
À l’intérieur de cette minorité moins de 20 % définissent clairement leur identité professionnelle en utilisant les catégories « Économie » ou, à défaut, « Économie et Société ». En conséquence, l’impression ressortant de la lecture du tableau est celle d’une fragmentation du champ arrivée à un point tel que les médiévistes se définissent d’abord par rapport à leur discipline (histoire du Moyen Âge) et par la mention de sa spécialisation la plus poussée, sans référence à la catégorie plus générale qui nous intéresse ici : on s’avoue spécialiste des patrimoines, du crédit, de la monnaie, en général en annexe d’un champ plus vaste autrement défini : histoire de France, histoire de l’Italie. On se contente rarement du prédicat « histoire économique », voire « histoire économique et sociale ». Autrement dit, si la catégorie « histoire économique » est presque absente, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas une pratique économiste des médiévistes. Il y a là une question qui est à la fois épistémologique et institutionnelle7.
II. Questions d’historiographie ou de succession dans des postes ?
8Tout se passe comme si les professeurs d’histoire du Moyen Âge spécialisés dans l’étude de la vie économique des années médianes du XXe siècle n’avaient pas eu d’élèves ou comme si leurs éventuels élèves avaient été écartés des postes occupés par leurs directeurs. Des personnalités importantes par leurs œuvres comme par les positions académiques qu’elles ont occupées, que ce soit dans les universités, au CNU, ou au sein des commissions du CNRS, semblent ainsi n’avoir pas été remplacées dans leur spécialité.
9On pense en particulier à ce qui s’est passé à Paris IV-Sorbonne avec Henri Dubois8, à Aix-en-Provence avec Charles de la Roncière9 et Noël Coulet10, ou encore à Bordeaux, où Charles Higounet n’a pas eu non plus de successeur. La situation est parfois compliquée : ainsi, à Lille III, l’enseignement, maintenu jusqu’au milieu des années 1990 grâce à Guy Fourquin11, Gérard Sivéry12 et Alain Derville13, est confié d’abord à Élisabeth Crouzet-Pavan14 qui ne s’intéresse que marginalement à la vie économique après sa soutenance de thèse et à Stéphane Lebecq, spécialiste du haut Moyen Âge et dont les préoccupations ne sont pas exclusivement économiques15. Après le départ à la retraite de ce dernier, son poste est attribué à une spécialiste d’hagiographie carolingienne. On a donc assisté à un déplacement du champ du bas Moyen Âge vers le haut Moyen Âge, concomitant à sa rétraction, puis à sa pure et simple disparition, au moment même, d’ailleurs, où les postes d’histoire moderne et contemporaine confiés depuis au moins un demi-siècle à des historiens économistes passaient à des spécialistes d’autres disciplines. En revanche, Guy Bois, à Paris VII a eu un successeur, Mathieu Arnoux, travaillant sur des lignes scientifiques proches des siennes16. La situation à Paris 1 est différente, les médiévistes ayant décidé collégialement de maintenir cette spécialité sous l’intitulé « histoire économique et sociale ».
10Il est effectif que, parmi ces auteurs dont les thèses d’État ont marqué les années 1950-1970, peu ont eu une filiation intellectuelle. Leurs élèves, lorsqu’ils en ont eu, ont souvent fait autre chose que ce que faisait leur directeur de recherches. Leurs emplois sont fréquemment attribués à des femmes et des hommes s’intéressant à d’autres sujets, même à l’intérieur de la spécialité chronologique qu’ils s’étaient choisis. Ce phénomène de substitution a peut-être été plus lent en histoire du Moyen Âge qu’ailleurs. La tendance n’en est pas moins la même. En tout cas, lors de la relève générationnelle qui s’est opérée, en histoire du Moyen Âge, dans les années 1990, les remplacements ne se sont pas effectués terme à terme, la substitution d’emploi à des chaires ayant eu ici un effet mécanique commun à toutes les spécialisations, quelles qu’elles soient et quelle que soit la période : il n’est pas possible de sauvegarder certaines d’entre elles dès lors que telle ou telle orientation semble devoir être intellectuellement plus importante ou socialement plus porteuse que l’histoire économique : la souplesse donnée par les réformes de 1968, qui permet d’opérer les renouvellements thématiques, fonctionne manifestement au détriment des disciplines passant pour affaiblies, dont l’histoire économique qui n’est sanctuarisée que dans quelques établissements privilégiés.
11Les raisons des choix faits par les commissions de recrutement sont toujours complexes et ne peuvent que difficilement faire l’objet de généralisations : la gestion des recrutements ne fait au fond que refléter l’évolution de l’historiographie. Deux questions se posent ici : celle de la façon dont l’histoire économique a été pratiquée et dont elle a été de ce fait perçue et celle des parcours personnels.
12La question des parcours personnels mis en relation avec l’évolution des institutions est la moins malaisée à aborder et l’on gagnera du temps en suivant l’itinéraire le plus emblématique que l’on puisse imaginer, celui de Georges Duby : il a épousé, toujours avec une longueur d’avance, les évolutions de la science historique du XXe siècle. Et parler de son évolution intellectuelle revient d’une certaine manière à décrire le parcours des générations d’historiens qui l’ont accompagnée ou suivie.
III. Commentaire d’un emblème : Georges Duby et l’évolution de l’histoire économique médiévale en France
13La carrière professorale de Duby a été extrêmement longue (du début des années 1950 à la fin des années 1980) et Duby se place de façon remarquablement précoce, dès le début des années 1960, au cœur du paysage historiographique. Il fait figure de leader incontesté des médiévistes, tant par l’ampleur de son œuvre que par la solidité de ses positions institutionnelles ou para-institutionnelles, Duby ayant davantage été un homme d’influence qu’un homme d’appareil.
14G. Duby, aussitôt après sa thèse soutenue en 1952, s’est lancé dans deux directions parallèles. Il a produit, sinon simultanément du moins à très peu d’années d’écart, une histoire de l’art médiéval qui est aussi une histoire de la spiritualité et des représentations17 ainsi qu’une histoire économique centrée sur la vie des campagnes. Le Moyen Âge qu’il donne chez Skira préfigure ou prépare le passage à l’histoire des représentations qui marque la dernière partie de l’œuvre dans les années 1980-1990. Son travail majeur de l’époque, qui remonte à 1962, est L’économie rurale et la vie des campagnes. Ce livre marque durablement les esprits et donne une vigoureuse impulsion aux travaux liés au monde rural. Duby lance toutefois des appels à la mobilisation de l’ensemble des savoirs disponibles et en particulier de l’archéologie afin de progresser dans notre connaissance des économies médiévales. Ces appels sont en partie suivis d’effet : il s’ensuit une diversification de la palette des sources mobilisables par l’historien, ainsi, peut-être qu’un certain éclatement, les nouvelles spécialités s’érigeant en disciplines à part entière à l’intérieur d’une discipline historique reconstruite ou recomposée18.
15Duby, d’autre part, s’efforçait de mobiliser les chiffres. Sensible, l’un des premiers, aux grandes entreprises d’histoire médiévale quantitative anglo-saxonnes, il s’efforce dans les années 1960 de les faire connaître en France19. Faisant lui-même appel au quantitatif et exploitant la statistique de façon cependant rudimentaire, il obtient parfois des résultats aléatoires et contestables. On pense en particulier à ce qu’il dit sur les rendements en grain de l’époque carolingienne, qu’il relie à un état des techniques selon lui particulièrement bas. Il faut attendre la fin des années 1990 et l’insertion de disciplines connexes en liaison avec l’archéologie pour que, sur le point particulier des rendements et, surtout, des pratiques agraires et des associations de grains différents dans les emblavures, on puisse sortir des impasses relevées par Duby20. Il en va au demeurant de même pour ce qui concerne l’histoire de l’outillage et celle des techniques, en particulier de la métallurgie21. Toutefois, le rapport de Duby aux chiffres, très élémentaire, est là encore caractéristique non pas d’une époque ou d’une génération mais d’une formation : on pourrait encore écrire à son propos comme à celui de beaucoup de médiévistes ce que Bloch disait de lui-même et des lacunes de sa formation en matière de mathématique et de statistique22.
16Or, tout un discours se construit autour des rendements de famine rencontrés dans la documentation carolingienne qui oriente, pratiquement jusqu’à la fin des années 1980, les manuels et les ouvrages de grande vulgarisation dans le sens d’un pessimisme exagéré dont on n’est finalement sorti, pour le haut Moyen Âge, que durant les années 198023. Cela, à terme, a un effet de frein, contribuant partiellement à la disqualification de l’analyse économique pour les hautes périodes, comme si l’incertitude des données condamnait les résultats éventuellement obtenus : des pans entiers de l’histoire, ceux qui, précisément, ont besoin des nombres pour exister risquent d’être ainsi relégués parmi les démarches inutiles et vouées à l’échec.
17Dans les années 1960, cependant, ce n’est pas cet effet qui est produit, mais, au contraire, celui d’une impulsion très féconde. Si Georges Duby ne s’intéresse pas directement à certains champs (histoire urbaine, histoire des techniques et de l’artisanat), il oriente de nombreuses recherches. Celles qui sont lancées dans les années 1960-1970, à partir d’Aix surtout, permettent l’émergence d’une génération de chercheurs dont l’activité est déterminée par les problématiques et les leçons de Georges Duby. Ce sont Charles de La Roncière, Georges Gomet et Noël Coulet qui émergent d’une nébuleuse de chercheurs qui n’étaient d’ailleurs pas tous français : une partie de l’héritage intellectuel de Duby, notamment concernant l’histoire économique de la Provence, se joue au Canada entre Michel Hébert et John Drendel, tous deux professeurs à Montréal. À Paris, les champs les plus originaux défrichés par Duby, en particulier l’histoire du peuplement et celle des techniques, se trouvent travaillés à Paris I, autour de Pierre Toubert, Paul Benoît et Robert Fossier ou à la VIe section de l’École pratique des hautes études, devenue, à la fin des années 1970, École des hautes études en sciences sociales. Des personnalités comme Jean-Marie Pesez pour l’archéologie ou Philippe Braunstein pour une histoire économique reposant sur celle des techniques se situent d’une certaine façon dans son sillage. On a à ce moment, dans les années 1960-1970, à l’intérieur du champ d’études dominé et défini par Duby, un développement foisonnant et particulièrement vivant. Cette période ne dure pas.
18Le dernier grand livre de Duby intéressant le champ de l’histoire économique, Guerriers et Paysans, date de 197324. Il n’est pas inintéressant de savoir qu’il s’agit d’une commande passée par un éditeur américain et que le livre parut presque simultanément en français et en anglais, à New York et à Londres. Or, ce livre est à plus d’un titre essentiel parce qu’il marque l’intrusion de l’anthropologie économique à l’intérieur de l’histoire médiévale. Les outils et les concepts mobilisés, peut-être en pensant aux goûts et aux sensibilités du public cultivé de langue anglaise, amorcent un changement assez radical de perspective, du moins pour l’école historique française. Délaissant la géographie qui avait été aux fondements de sa pensée sur le monde féodal25 et mettant de côté aussi les recherches chiffrées, il introduit massivement les problématiques dérivées de l’anthropologie. Il est fascinant de voir que ce livre, s’intéressant au don, à l’échange et à la réciprocité, mais aussi aux procédures de production et à tout ce qui fonde la domination, sort à peu près en même temps que Stone Age Economics de Marshall Sahlins dont l’influence sur les historiens de l’économie médiévale est évidemment importante26. Les deux livres présentent une forme de convergence dont les conséquences ne sont perceptibles que bien longtemps après, dans les années 1990, lorsque quelques médiévistes apprivoisent et adoptent Marshall Sahlins, en même temps d’ailleurs qu’ils découvrent Chayanov, longtemps après les modernistes.
19Après Guerriers et Paysans, Duby n’intervient plus directement en histoire économique, tout en suivant attentivement la production et, notamment, en siégeant aux jurys de très nombreuses thèses, appelé dès lors que le sujet concernait de près ou de loin le champ concerné. Lui-même bascule alors, avec une grande partie de ses élèves, vers l’histoire des représentations avec les Trois Ordres27 et ce qui s’ensuit. C’est de ce moment, c’est-à-dire de la fin des années 1970 ou du début des années 1980, que datent les grandes réorientations de sa carrière ainsi que celles des recherches du groupe l’entourant. Dans Les Trois Ordres, si l’histoire économique apparaît, c’est comme un argument au service d’une démonstration portant sur le changement social, non comme un objet en soi intéressant. En cela, Duby opère une surenchère sur les thèses de Pierre Bonnassie, remarquablement bien agencées, pensées et présentées dans son maître livre sur la Catalogne28 : le propos est désormais de savoir comment se répartit le surplus né de la croissance, patente depuis le XIe siècle et par quelles procédures idéologiques est justifiée sa confiscation par la noblesse et le clergé. On entre là dans un autre champ qui est celui de l’histoire culturelle à laquelle Duby voue une grande partie de son énergie et de son talent dans la dernière partie de sa carrière : Le chevalier, la femme et le prêtre, Guillaume le Maréchal ou Dames du XIIe siècle n’entretiennent plus du tout de rapports avec l’histoire économique29.
IV. Épuisement des problématiques ou recomposition du champ ?
20Si l’itinéraire de Georges Duby est à ce point exemplaire c’est qu’il reflète presque à la perfection les inflexions de la profession et l’évolution des horizons des étudiants et des chercheurs au fur et à mesure du passage du temps : des œuvres aussi marquantes que celles de Guy Bois, de Henri Dubois, de Charles de La Roncière sont, de ce fait, peu à peu reléguées au second plan30, non pas certes du fait d’un individu et d’une œuvre géniale, mais pour des raisons beaucoup plus profondes qui ressortissent d’un phénomène plus général, que Gérard Noiriel a qualifié de crise de l’histoire, dans une présentation qui ne visait pas spécifiquement telle ou telle spécialité ou discipline, mais l’ensemble du champ31.
21En ce qui concerne la vie rurale, les méthodes d’investigation ont considérablement évolué. Dès les années 1990, le cadre classique de l’analyse change et la monographie d’histoire régionale, considérée comme stérilisante et ne remplissant finalement pas les espoirs que la génération de Marc Bloch et de ses successeurs immédiats avait mis en elle, est abandonnée. La multiplication des exemples régionaux, au lieu de favoriser la comparaison a, au contraire, apparemment, favorisé l’apparition de cas singuliers, difficilement ramenés à l’unité d’une problématique commune. Cette impression a été résumée par un article critique de Thomas Bisson, dans lequel il se demandait si le programme portant sur « les hommes et la terre » n’était pas achevé parce que ses objectifs essentiels avaient été atteints32. Il était donc peu utile de continuer dans cette voie, finalement stérilisante pour l’histoire économique comme pour l’histoire sociale. Cette opinion n’est pas démentie par la manipulation des bibliographies des synthèses récentes : si le thème semble encore bien vivant, le contenu que l’on y met est extrêmement différent de ce que l’on aurait pu y placer dans les années 1970-198033 : les questionnements convergent vers ceux des autres sciences sociales et en particulier vers ceux de l’anthropologie économique. Pour continuer à faire de l’histoire, les médiévistes ont cannibalisé les autres sciences sociales afin d’enrichir leurs propres problématiques34.
22Pour ce qui est de la vie urbaine et les questions liées à la production et au travail urbains, les choses sont complexes. Ce champ n’a jamais, en France, occupé la place qu’il a pu occuper en Belgique ou en Italie. La très active Société d’histoire urbaine, qui fait une place importante à l’histoire du Moyen Âge, par exemple, ne s’intéresse pas prioritairement aux questions économiques et ses membres semblent avant tout préoccupés d’histoire culturelle, bien que, assez souvent les préoccupations économiques soient présentes. D’autre part, on ne voit pas se développer, en France, autour des pôles de production et d’échanges, et notamment autour des villes du Nord, de véritable recherche systématique mettant à profit l’héritage considérable de Henri Pirenne et de Georges Espinas, pourtant considérablement daté35. Les tendances récentes, ou relativement récentes, en matière d’analyse de l’espace urbain gagnent cependant en capacité de conviction lorsqu’elles intègrent dans un même mouvement analyses politiques, culturelles et économiques. La « fabrique de la ville » est un sujet qui n’est certes pas neuf mais qui, dans les perspectives actuelles, apporte des éléments importants à condition d’intégrer tous les aspects documentés de la vie36.
23En revanche, l’industrialisation fait l’objet de travaux importants. Ils sont souvent centrés sur l’histoire rurale, dans la mesure où la localisation de certaines activités est, par force, près des sources d’énergie ou des matières premières37. Cela entraîne à créer de nouveaux questionnements et à mobiliser de nouveaux concepts, tel celui de district technique pour désigner un espace particulier, non polarisé autour des villes mais organisé par le recours à des méthodes de production particulières dont l’emploi contribue à structurer l’espace.
24La pensée économique est un cas particulier : ce champ-là semblait bloqué par l’idée qu’il n’existe pas, avant la scolastique, de véritable pensée de l’économie par l’Église38 et que, en tout cas, aucune pratique ne naît en relation avec des théories de l’économie. Les travaux de Giacomo Todeschini et de ses élèves montrent au contraire la profondeur de la réflexion préscolastique et, en particulier, insistent sur l’importance des Pères de l’Église en cette matière ainsi que sur celle des pratiques monastiques39. Les règles, en particulier, font naître puis encadrent des comportements individuels et collectifs dont la rationalité commence à peine d’être scrutée et dont les effets concrets sur la production et surtout sur l’échange sont évidemment capitaux40.
25Bref, plus qu’à un épuisement des problématiques anciennes, c’est à leur renouveau et à leur enrichissement par des formulations inspirées de l’histoire des techniques, de l’anthropologie économique, de l’économie, aussi, que nous assistons actuellement. Il est cependant évident que, malgré tout, on retombe dans une question de rapports de forces à l’intérieur des universités et de goût des uns et des autres, ainsi que d’effets de mode, dans l’orientation de l’activité intellectuelle : la description de pratiques historiennes intéressantes, certes, n’explique pas pourquoi le public est si rare ni pourquoi l’histoire économique apparaît effectivement comme en régression dans le panorama médiévistique français.
26Il a souvent été constaté que les concepts utilisés par la science économique n’étaient pas pertinents pour les hommes ayant vécu, grossièrement entre le Ve et le XVIe siècles et que, pour comprendre ce qu’ils faisaient, et ce qui se passait effectivement dans les sociétés européennes, il fallait abandonner, au moins par provision, les catégories de l’analyse économique. L’emploi par Guy Fourquin, dans un manuel d’enseignement supérieur, des catégories de secteur primaire, secondaire et tertiaire n’apparaît même pas comme une commodité : ces mots obscurcissent l’analyse des comportements et des attitudes et font penser à une reddition sans condition de l’auteur qui raisonne au fond comme si ces catégories étaient valables sub specie aeternitatis, alors que leur mobilisation requérait au moins un regard critique41. Il y a là un premier ordre d’analyse : au fond, la compréhension des sociétés du passé ne passe pas par la connaissance de leur mode de production, que nous ne pouvons pas le connaître en lui-même, parce qu’il est enchâssé dans autre chose, fondamentalement dans du social, et que c’est cet autre chose qu’il est intéressant d’étudier.
27On retrouve là des débats extrêmement anciens mais toujours actuels et qui se développent sur deux niveaux. Le premier est celui des relations qu’entretiennent l’économie politique et l’histoire42. Il y a une belle aporie dont les historiens semblent actuellement mal se sortir : si la science économique se pense hors de l’histoire sur le modèle des sciences de la nature, alors, l’introduire dans la science historique, qui est précisément, selon le beau mot de Bloch, « la science des hommes dans le temps » est totalement dépourvu d’intérêt voire de signification43. Symétriquement, l’objet que constituent les sociétés du Moyen Âge est décidément trop différent des économies et des sociétés nées de la révolution industrielle pour que l’on puisse adopter la position qui était celle des historiens faisant appel, comme Fourquin, sans scrupules ni réticences, aux catégories de l’économie.
28Tout se passe comme si, pour les médiévistes, comme au demeurant pour les antiquisants et pour certains modernistes, il existait deux mondes hostiles, celui, froid, du marché et celui, chaleureux et parfois violent, des relations interpersonnelles44. Il est plus gratifiant d’étudier les secondes, parce que c’est là que se trouve la chair humaine : l’ogre-historien de Marc Bloch et Lucien Febvre ne veut pas se nourrir de chiffres mais de mots et c’est là qu’il trouve la substance et la moelle de son propos. D’autre part, puisque, si l’on suit Polanyi, l’économie de marché ne naît qu’au XVIIIe siècle, alors il est vain et surtout anachronique de vouloir utiliser des concepts et des méthodes, ceux de la science économique, qui n’apparaissent qu’avec le marché et, d’une certaine façon, naissent de lui. Cela se traduit, en ce qui concerne notre période, par la mise à l’écart des nombres et de la mesure, du moins dans le champ précis de l’histoire économique ce qui, au fond, arrange bien les médiévistes qui, souvent, comptent peu ou mal, ou à mauvais escient45…
29La théorie des mondes hostiles a d’autres effets sur le comportement des médiévistes. Si l’on s’abstient de compter, c’est aussi parce que cela n’en vaut pas la peine, les phénomènes observés ne se prêtant pas à la quantification. L’exemple de cet objet scientifique étrange qu’est le marché de la terre au Moyen Âge montre pourtant que l’on peut se sortir de l’impasse. Depuis le milieu des années 1980 et la tenue à Rome d’un colloque important organisé par les médiévistes et les modernistes et au cours duquel Chris Wickham définit ce qui devait devenir la vulgate des historiens pour de nombreuses années46, on tenait pour acquis que, dans la formation des prix du foncier, les éléments personnels l’emportent sur toute autre considération et notamment sur toute forme de marché.
30Or, la réflexion sur ce point a montré que ce point de vue pouvait être nuancé, à condition de mobiliser un appareil statistique suffisant, c’est-à-dire de construire des séries, ce qui n’est pas toujours impossible et de les traiter avec les outils adéquats. La question de la formation des prix dans une société a priori dépourvue de marché a en effet été abordée, voici quelques années, grâce à un travail collectif dans lequel une économètre, une sociologue et un historien médiéviste ont uni leurs efforts. On a pu ainsi analyser et mesurer l’évolution des prix du foncier sur le long terme et leur donner un sens tout en respectant la spécificité de chaque transaction47. Le travail était organisé de manière à intégrer à la fois les valeurs monétaires, les relations interpersonnelles et le temps. Le but était de parvenir à conduire simultanément l’analyse d’une documentation se déployant sur un siècle et demi (fin IXe-mi XIe) grâce à des méthodes économétriques et une description de type micro-historique centrée sur un demi-siècle, la période 830-889. Le travail a produit des résultats. Il a démontré que les séries chiffrées produites à partir d’une documentation du IXe siècle pouvaient être considérées comme robustes et que l’on pouvait leur donner une signification qui n’excluait ni le côté proprement économique (la formation des prix obéit à une logique de marché) ni la dimension sociale (les prix expriment aussi des relations interpersonnelles).
31En dehors des résultats empiriques, l’intérêt du travail réside en ce qu’il a été le fruit d’une véritable collaboration au sein d’une équipe pluridisciplinaire qui a construit son propre objet, élaboré les grilles d’analyse et présenté les résultats. La collaboration entre trois disciplines a ici fonctionné sur un programme certes limité dans le temps et dans l’espace mais qui a permis de proposer empiriquement une voie de sortie à la confrontation de mondes universitaires a priori hostiles parce que n’entretenant pas le même rapport au temps, l’histoire, la sociologie et l’économie. Le dialogue a été complexe mais, au bout du compte, efficace et productif.
V. En guise de conclusion
32On renverra pour conclure aux pages que Gérard Noiriel consacrait à la notion de crise en histoire : selon les points de vue utilisés, institutionnels ou scientifiques, elle existe plus ou moins et avec plus ou moins de force. Il est indéniable, cependant, que la discipline rencontre en histoire du Moyen Âge d’authentiques difficultés. Celles-ci ne sont pas pires que celles que connaissent les autres périodes de l’histoire. Il n’est pas impossible que, en ce qui concerne les médiévistes, un usage immodéré et trompeur de l’anthropologie, limitée très longtemps aux questions de pouvoir et de représentations, dans le sillage de la lecture que l’on pouvait faire dans les années 1970-1980 de Claude Lévi-Strauss, ait conduit à la fréquentation de pistes déroutantes, voire erronées. Les chemins pris ont, en tout cas, détourné de l’étude des aspects les plus concrets et les plus matériels de l’histoire des sociétés humaines. Le travail théorique et empirique nécessaire pour remédier à cette situation a été entrepris en histoire du Moyen Âge et a déjà porté de premiers fruits. Des directions et des méthodes nouvelles, comme celles faisant appel à l’analyse des techniques d’écriture, à l’inscription des ethnographes, permettent d’envisager des approches renouvelées : avant toute chose, il importe de savoir ce que comptaient et ce que décrivaient les auteurs des documents mobilisés par les historiens économistes, et comment ils le faisaient48. Par exemple, avant de mettre en fiches ou en bases de données les éléments numériques permettant aux moines du XIIIe siècle anglais de rendre compte de leurs domaines et de calculer sa profitabilité, il est essentiel de comprendre comment ils percevaient leur espace économique, comment aussi ils concevaient la gestion de leurs domaines et comment, par l’écriture, ils parvenaient à penser et à se représenter la production et l’échange. L’analyse formelle des sources est susceptible de nous apprendre beaucoup de choses sur les mentalités économiques ou plutôt sur le rapport des hommes à la richesse et, donc, de nous informer sur la rationalité de leurs conduites.
33Il reste encore pour cela à approfondir les concepts que nous pouvons mobiliser, à réintroduire du quantitatif dans notre réflexion… et à trouver les ouvriers nécessaires au développement d’une discipline renouvelée.
Notes de bas de page
1 On trouvera une version plus développée de cet essai sous le titre « Histoire du Moyen Âge et histoire économique (Xe-XVe siècles) en France », in Ammannati F. (éd.), Dove va la storia economica ? Metodi e prospettive secc. XIII-XVIII, Florence, Firenze University Press, 2011, p. 39-60. Ce volume contient les actes de la 42e semaine d’études, 18-22 avril 2010, de l’Institut international d’histoire économique F. Datini (Prato).
2 Bloch M., Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris, Armand Colin, 1964 [1941]. Voir par exemple les p. 57-63 consacrées à la critique des statistiques.
3 Bloch M., « L’histoire des prix : quelques remarques critiques », Annales d’Histoire Sociale, no 11, 1939, p. 141-151 [Mélanges Historiques, t. 2, Paris, SEVPEN, 1963, p. 878-889] ; « Le salaire et les fluctuations économiques à longue période », Revue Historique, no 173, 1934, p. 1-31 [Mélanges Historiques, t. 2, Paris, SEVPEN, 1963, p. 890-913].
4 Guerreau A., « L’étude de l’économie médiévale. Genèse et problèmes actuels », Le Moyen Âge aujourd’hui. Cahiers du Léopard d’Or, no 7, 1998, p. 31-82 ; le manuel est celui de Contamine P., Bompaire M., Lebecq S. et Sarrazin J.-L., L’économie médiévale, Paris, Armand Colin, 1993.
5 La Société des médiévistes (dont le nom exact est « Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public », soit SHMESP) met en ligne la bibliographie de ses membres : <http://shmesp.ish-lyon.cnrs.fr/>.
6 Todeschini G., Richesse franciscaine. De la pauvreté volontaire à la société de marché, Paris, Verdier, 2008. On espère la parution prochaine de la thèse fondamentale de V. Toneatto : Toneatto V., Marchands et banquiers du Seigneur. Lexiques chrétiens de la richesse et de l’administration monastiques de la fin du IVe au début du IXe siècle, Thèse de doctorat, université de Paris 10, 2009. Des élèves de Jacques Chiffoleau s’inscrivent désormais dans ce champ : voir Lenoble C., « Dons, rentes, pensions et propriétés chez les Frères mineurs : un contrat de conversion avignonnais (1368) », in Feller L. (éd.), Calculs et rationalités dans la seigneurie médiévale : les conversions de redevances entre XIe et XVe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 2009, p. 167-218.
7 A. Guerreau faisait une réflexion du même ordre lorsque, citant la recension bibliographique produite par la Société des médiévistes en 1992, il notait qu’elle alignait 21 chapitres, que tous comportaient des travaux d’histoire économique mais que jamais l’économie en tant que telle n’y apparaissait. Guerreau A., « L’étude de l’économie médiévale… », op. cit. (n. 3), p. 74. Cf. Balard M. (éd.), Bibliographie de l’histoire médiévale en France (1965-1990), Paris, Publications de la Sorbonne, 1992.
8 Dubois H., Les Foires de Chalon et le commerce dans la vallée de la Saône à la fin du Moyen Âge : vers 1280-vers 1430, Paris, Publications de la Sorbonne, 1976.
9 La Roncière C. de, Prix et salaires à Florence au XIVe siècle, 1289-1380, Rome, École française de Rome, 1982.
10 Coulet N., Aix-en-Provence : espace et relations d’une capitale : milieu XIVe siècle-milieu XVe siècle, Aix-en-Provence, université de Provence, 1988.
11 Fourquin G., Les Campagnes de la région parisienne à la fin du Moyen Âge, Paris, Presses universitaires de France, 1964.
12 Sivéry G., Structures agraires et vie rurale dans le Hainaut à la fin du Moyen Âge, Lille, Atelier national de reproduction des thèses, université de Lille III, 1973.
13 Derville A., Saint-Omer des origines au début du XIVe siècle, Lille, Presses universitaires de Lille, 1995 (texte remanié d’une thèse d’État soutenue en 1971).
14 Crouzet-Pavan E., « Sopra le acque salse ». Espaces, pouvoir et société à Venise à la fin du Moyen Âge, Rome, École française de Rome, 1992.
15 Lebecq S., Marchands et navigateurs frisons du haut Moyen Âge, Lille, Presses universitaires de Lille, 1983. S. Lebecq est l’un des coauteurs du manuel d’histoire économique médiévale paru en 1993 sous la direction de P. Contamine, op. cit. (n. 4).
16 Bois G., Crise du féodalisme, Paris, Éditions de l’EHESS, 1976.
17 Duby G., Le Moyen Âge. 1. Adolescence de la chrétienté médiévale (980-1140), Genève, Skira, 1966 ; 2. L’Europe des cathédrales (1140-1280), Genève, Skira, 1966 ; 3. Fondements d’un nouvel humanisme (1280-1440), Genève, Skira, 1967.
18 À partir de là, plusieurs directions ont été prises, qui vont des travaux de P. Braunstein à ceux de P. Mane et qui permettent le regroupement sous une seule rubrique d’une multitude de méthodologies. P. Braunstein, Travail et entreprise au Moyen Âge, Bruxelles, De Boeck, 2003 ; P. Mane, Le travail à la campagne au Moyen Âge. Étude iconographique, Paris, Picard, 2006. Voir le premier chapitre du manuel sorti récemment et qui pose clairement l’archéologie en science autonome, non pas au service de l’histoire, mais proposant une pratique de l’histoire différente de l’histoire des textes : Burnouf J., Arribet-Deroin D., Desachy B. et Jaubert-Nissen A., Manuel d’archéologie médiévale et moderne, Paris, Armand Colin, 2009, p. 32-36.
19 Lecteur assidu et ami de M. Postan, Duby est le premier à avoir, en France, pressenti l’importance de l’entreprise de l’école dite de Toronto. Voir Raftis J. A., The Estates of Ramsey abbey, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1957, et la critique : Razi Z., « The Toronto school’s reconstitution of medieval peasant society : a critical view », Past and Present, no 85, 1979, p. 141-157. Duby lui-même s’essaya à ce type d’histoire en analysant la grande enquête provençale des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem de 1338 : Duby G., « La seigneurie et l’économie paysanne. Alpes du Sud, 1338 », Études Rurales, no 2, 1961, p. 5-36 [Hommes et structures du Moyen Âge, Paris, Mouton, 1973, p. 167-201].
20 Sur la question des grains et des rendements, voir Devroey J.-P. et Van Mol J.-J. (éds), L’épeautre (Triticum Spelta). Histoire et ethnologie, Treignes, Éditions Dire, 1989.
21 En ce qui concerne la métallurgie, les changements de perspective viennent, là aussi, de l’archéologie. Ils interviennent même assez vite : Cuisenier J. et Guadagnin R. (éds), Un village au temps de Charlemagne. Moines et paysans de l’abbaye de Saint-Denis du VIIe siècle à l’an mil, Paris, Réunion des musées nationaux, 1988.
22 Bloch M., « L’histoire des prix… », art. cit. (n. 3), p. 889.
23 La vision pessimiste de G. Duby se trouve dans : Duby G., L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval (France, Angleterre, Empire, IXe-XVe siècles), Paris, Aubier, 1962, p. 71-87 ; l’article de Guy Fourquin dans la grande Histoire de la France rurale est sur ces lignes : Fourquin G., « Le premier Moyen Âge », in Duby G. et Wallon A. (éds), Histoire de la France rurale, t. 1, Paris, Seuil, 1975, p. 291-37. Noter que R. Fossier est, sur ce point, d’accord avec Duby et va même plus loin que lui dans le sens d’une vision noire du haut Moyen Âge : Fossier R., « Les tendances de l’économie : stagnation ou croissance ? », in Fondazione Centro italiano di studi sull’alto medioevo, Nascita dell’Europa ed Europa carolingia : un equazione da verificare, Spolète, Presso la sede del Centro, 1981, p. 261-274. Il faut attendre les années 1990 pour qu’une vision optimiste soit présente dans le public érudit : cf. Toubert P., « La part du grand domaine dans le décollage économique de l’Occident (VIIIe-Xe siècles) », in La croissance agricole du haut Moyen Âge. Chronologie, Modalités, Géographie, Actes des 10e Journées internationales d’histoire médiévale et moderne, Flaran, 9-11septembre 1988, Auch, Comité départemental du tourisme du Gers, 1988, p. 53-86 ; Bonnassie P., « Le rapport de l’homme à la terre, ou les deux sens du mot ‘culture’ », in Duhamel-Amado C. et Lobrichon G. (éds), Georges Duby. L’écriture de l’histoire, Bruxelles, De Boeck, 1996, p. 87-102, présente une défense extrêmement fine et nuancée des positions de Duby sur la croissance.
24 Duby G., Guerriers et paysans. VIIIe-XIIe siècle. Premier essor de l’économie européenne, Paris, Gallimard, 1973 ; The early growth of the European economy ; warriors and peasants from the seventh to the twelfth century, Ithaca, N. Y., Cornell University Press, 1974.
25 Boucheron P., « Représenter l’espace féodal : un défi à relever », Espaces-temps, no 68-69-70, 1998, p. 59-66.
26 Sahlins M., Âge de pierre, âge d’abondance. L’économie des sociétés primitives, Paris, Gallimard, 1976 [Stone Age Economics, London, 1974, trad. fr. de Tina Jolas].
27 Duby G., Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, 1978.
28 Bonnassie P., La Catalogne du milieu du Xe à la fin du XIe siècle. Croissance et mutations d’une société, Toulouse, Association des publications de l’université de Toulouse-Le Mirail, 1975-1976.
29 Duby G., Le chevalier, la femme et le prêtre. Le mariage dans la France féodale, Paris, Hachette, 1981 ; Guillaume le Maréchal ou le meilleur chevalier du monde, Paris, Fayard, 1984 ; Dames du XIIe siècle. I. Héloïse, Aliénor, Iseut et quelques autres ; II. Le Souvenir des aïeules ; III. Ève et les prêtres, Paris, Gallimard, 1995-1996.
30 Il est d’une certaine manière caractéristique que la seconde partie de la thèse de C. de La Roncière n’ait jamais été éditée en France mais soit finalement parue en italien, bien longtemps après sa discussion : La Roncière C.-M. (de), Firenze e le sue campagne nel Trecento. Mercanti, produzione, traffici, Florence, Olschki, 2005.
31 Noiriel G., Sur la crise de l’histoire, Paris, Belin, 1996.
32 Bisson T., « La terre et les hommes : a programme fulfilled ? », French History, no 14, 2000, p. 322-345.
33 Verdon L., La terre et les hommes au Moyen Âge, Paris, Ellipses, 2006.
34 Feller L., Gramain A. et Weber F. (éds), La fortune de Karol. Marché de la terre et liens personnels dans les Abruzzes au haut Moyen Âge, Rome, École française de Rome, 2005 ; Bourin M. et Martinez Sopena P. (éds), Pour une anthropologie du prélèvement seigneurial dans les campagnes (XIe-XIVe siècles). Réalités et représentations paysannes, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004 ; Bourin M. et Martinez Sopena P. (éds), Pour une anthropologie du prélèvement seigneurial (XIe-XIVe siècles). Les mots, les temps, les lieux, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007.
35 Par exemple, Espinas G., Les origines du capitalisme. I. Sire Jehan Boinebroke, patricien et drapier douaisien ( ?-1286 environ), Lille, E. Raoust, 1933, est toujours une référence faisant autorité, sans que l’analyse de l’exécution testamentaire de Boinebroke ait été véritablement reprise.
36 Boucheron P., Le pouvoir de bâtir. Urbanisme et politique édilitaire à Milan (XIVe-XVe siècles), Rome, École française de Rome, 1998 ; Noizet H., La fabrique de la ville. Espaces et sociétés à Tours (IXe-XIIIe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 2007 ; Galinié H., Ville, espace urbain et archéologie : essai, Tours, Maison des sciences de la Ville, de l’Urbanisme et des Paysages, 2000.
37 Arnoux M., Mineurs, férons et maîtres de forge. Étude sur la production de fer dans la Normandie du Moyen Âge (XIe-XVe siècles), Paris, Éditions du CTHS, 1994. En attendant la publication de la thèse d’habilitation de C. Verna : Verna C., L’industrie au village (Arles-sur-Tech, XIVe- XVe siècles). Essai de micro-histoire, université Paris 1, 2008 ; voir Verna C., Le temps des moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (XIIIe-XVIe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 2001 ; Arnoux M. et Bottin J., « Les formes de l’intégration sociale. Autour de Rouen et Paris : modalités d’intégration d’un espace drapier », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, no 48/2-3, 2001, p. 162-191.
38 Voir par exemple Ibanès J., La doctrine de l’Église et les réalités économiques au XIIIe siècle : l’intérêt, les prix et la monnaie, Paris, Presses universitaires de France, 1967.
39 Todeschini G., Il prezzo della salvezza. Lessici medievali del pensiero economico, Rome, La Nuova Italia Scientifica, 1994 ; Richesse franciscaine. De la pauvreté volontaire à la société de marché, Paris, Verdier, 2008 ; Toneatto V., Cernic P. et Paulitti S., Economia monastica : dalla disciplina del desiderio all’amministrazione razionale, Spoleto, Fondazione Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 2004.
40 Voir, sur ce type de questionnements : Devroey J.-P., Puissants et misérables. Système social et monde paysan dans l’Europe des Francs (VIe-IXe siècles), Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2006, p. 585-611.
41 Fourquin G., Histoire économique de l’Occident médiéval, Paris, 1969, p. 193-281. Cette partie se clôt sur une interrogation qui ne fait pas grand sens : « L’expansion médiévale fut-elle capitaliste ? ». Une interrogation de cette nature empêche d’interpréter convenablement les observations faites par l’auteur, par exemple sur le prêt à intérêt ou encore sur le rôle des métiers.
42 Arnaud A., Barrillon M. et Benredouane M., « Esquisse d’un tableau historique de la neutralisation de l’histoire dans l’économie politique libérale : les enjeux epistémologiques de vieilles controverses », Revue économique, vol. 42, no 2, 1991, p. 411-436.
43 Bloch M., Apologie pour l’histoire…, op. cit. (n. 1), p. 4.
44 Polanyi K., La grande transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1983 (trad. française de The Great Transformation, New York, Farrar & Rinehart, 1944) ; Zelizer V., « Transactions intimes », Genèses, no 42, 2001, p. 121-144.
45 C’est à juste titre que A. Guerreau éructe à ce propos et lance, depuis le début des années 1980, des appels à l’enseignement des statistiques aux médiévistes : Guerreau A., L’avenir d’un passé incertain. Quelle histoire du Moyen Âge au XXIe siècle, Paris, Seuil, 2001, p. 163-190.
46 Wickham C., « Vendite di terra e mercato della terra in Toscana nel secolo XI », Quaderni Storici, no 65, 22/2, 1987, p. 355-377.
47 Feller L., Gramain A., Weber F., La fortune de Karol…, op. cit. (n. 33).
48 Coquery N., Menant F. et Weber F. (éds), Écrire, compter, mesurer. Vers une histoire des rationalités pratiques, Paris, Éditions de l’ENS, 2006.
Auteur
Professeur d’histoire médiévale
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, LAMOP, Institut universitaire de France
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