Où va l’histoire économique en France aujourd’hui ? Tendances, enjeux, propositions
p. 19-58
Texte intégral
1L’histoire économique ne bénéficie plus aujourd’hui du prestige qui était le sien dans les années 1960, du temps de Braudel et de Labrousse, quand elle était au cœur d’un projet d’histoire totale. Les bilans historiographiques qui se sont succédé depuis près d’un demi-siècle ont fait, les uns après les autres, le constat de son affaiblissement, d’abord au profit de l’histoire sociale, puis, plus nettement, de l’histoire culturelle. Place réduite dans les revues historiques1, nombre dramatiquement bas de thèses soutenues chaque année2, faible présence dans les parcours de licence et les manuels d’enseignement3, perte de nombreux emplois de professeur d’université, la gestion des recrutements se faisant au détriment d’une spécialité perçue comme démodée, place réduite de l’histoire économique dans le nouveau programme des classes de terminale des lycées, en sciences économiques et sociales4 comme pour le baccalauréat général5 – ce sont là autant de symptômes d’un recul qui, sans être absolument général6, touche de nombreux pays7 et jusqu’aux bastions traditionnels de la discipline, le Royaume-Uni8 et les États-Unis. Cependant, il serait prématuré de dresser un constat de décès. En effet, bien loin de n’être qu’un refuge pour une poignée de nostalgiques d’un âge d’or depuis longtemps révolu, l’histoire économique ne cesse, depuis la fin des années 1980, de renouveler objets et approches, si bien que le bilan des recherches est impressionnant ; de plus, elle continue d’attirer les jeunes chercheurs. Aussi, très contrastée, sa situation actuelle fait penser au verre qui, selon l’humeur de l’observateur, est à moitié plein ou à moitié vide.
2La question se pose de savoir tout à la fois comment nous en sommes arrivés là et à quelles conditions l’histoire économique peut être redynamisée. Ce qui appelle toute une série d’interrogations sur l’évolution de l’historiographie française et, du même coup, la remise en cause d’idées toutes faites qui sont constitutives d’une véritable doxa. Qu’en a-t-il été réellement de la domination passée de l’histoire économique ? Que recouvre exactement le paradigme labroussien ? Quand situer le tournant à partir duquel l’histoire économique s’affaiblit ? Quelles sont les étapes du déclin ? Sur quelles bases l’histoire économique s’est-elle reconstruite à partir de la fin des années 1980 ? Quelles alliances disciplinaires a-t-elle nouées ? Quels sont les domaines aujourd’hui les mieux explorés ? Que faire pour donner un nouvel élan à l’histoire économique ? Bien sûr, le lecteur ne doit pas s’attendre à trouver dans les pages qui suivent une réponse exhaustive et détaillée à toutes ces questions, mais seulement des éléments de réflexion qui assurément n’ont rien de définitif mais sont susceptibles de nourrir la discussion.
Le tournant des années 1970 vu par les contemporains
3Dressant en 1965 pour le Comité français des sciences historiques le bilan des tendances et réalisations de l’historiographie française entre 1945 et 1965, Jean Glénisson constatait, avec une tranquille assurance, l’hégémonie de l’histoire économique qui, associée à l’histoire sociale, écrasait la production historique française, tout en signalant d’ailleurs que la seconde, moins assurée de ses méthodes, retardait sur la première9. Cependant, dans le rapport sur la situation de l’histoire économique contemporaine qu’il fit en 1980 pour le même Comité, Jean Bouvier soulignait que, depuis la retraite de Labrousse (1967), le paysage historiographique avait été complètement chamboulé. Désormais concurrencée par d’autres types d’histoire, l’histoire économique avait perdu de sa force d’attraction sur les chercheurs qui venaient à elle moins nombreux qu’auparavant, d’où les « inquiétudes » et les « craintes » qu’il exprimait sur son avenir10. Dans un rapport parallèle, Philippe Vigier notait que l’histoire sociale qui avait connu un « très large renouvellement » et un « fort net élargissement », avait « tendance à prendre ses distances par rapport à l’histoire économique »11. Pierre Toubert et Henri Dubois notaient pour leur part la même évolution pour la période médiévale12.
4Revenant en 1973 sur les rapports entre histoire économique et histoire sociale, Pierre Léon remarquait que, depuis le début des années soixante, la seconde s’était émancipée et avait envahi tout le champ de l’histoire. Cette évolution devait d’ailleurs beaucoup à Ernest Labrousse13 et à ses disciples qui avaient mis l’analyse des structures des sociétés et des groupes qui les composent sur l’agenda des historiens14, avant que, élargissant ses perspectives en se tournant vers « l’immatériel », l’histoire sociale ne s’intéresse à ce que Pierre Chaunu appelait « le sériel du troisième niveau »15, l’histoire des mentalités prenant alors le relais de l’histoire économique-et-sociale16. De surcroît, Pierre Léon observait que, de son côté, l’histoire économique renonçait à l’étude de la conjoncture – qui était au cœur du modèle labroussien de « socio-économie » – pour se tourner vers l’histoire de la croissance qui avait été au centre des travaux du premier Congrès international des historiens économistes à Stockholm en 1960. Quoique convaincu qu’une rupture complète entre histoire économique et histoire sociale serait absurde, il jugeait néanmoins que leur séparation ne pouvait que s’approfondir car elle allait dans le sens d’une nécessaire spécialisation de la recherche17.
5En définitive, d'après le témoignage des historiens contemporains, c’est à la charnière des années 1960 et 1970 que l’histoire économique a perdu sa position dominante au profit d’une histoire sociale de plus en plus tournée vers l’histoire des mentalités18.
L’histoire économique : une histoire dominante ?
6Pourtant, la statistique des livres, des thèses et des articles, malgré d’inévitables décalages entre ces trois types de productions, ne confirme pas l’idée, aujourd’hui si largement répandue qu’elle fait partie de la doxa disciplinaire, d’une domination sans partage de d’histoire économique jusqu’au tournant des années 1970.
7La répartition des livres d’histoire publiés pendant les années 1940-196519 montre que, avec 15,5 % des titres, l’histoire économique et l’histoire sociale ne formaient qu’une part somme toute modeste de la production scientifique20. La liste des thèses d’État (et des thèses complémentaires) publiée en 1980 par le Comité français des sciences historiques fait apparaître une situation un peu plus favorable puisque, prises ensemble, ces deux spécialités représentaient le quart (26,8 %) de toutes les thèses soutenues (88 sur 328) entre 1965 et 198021. Toutefois, l’histoire économique comptait seulement pour 6,7 % du total, et encore après y avoir ajouté la poignée de thèses consacrées à l’impérialisme économique mais rangées sous la rubrique « histoire des relations internationales ». Si on réunit les thèses d’histoire économique « pure » et celles relevant de l’histoire économique-et-sociale, on arrive péniblement à 12,8 %22.
8L’analyse de la liste des thèses d’histoire contemporaine en préparation faite par Jean-Baptiste Duroselle en 1967 pour la Revue d’histoire moderne et contemporaine (RHMC) donne des résultats assez proches : selon lui, l’histoire de la société, « l’originalité et la gloire de l’école historique française », occupait une position dominante (mais il ne fournit pas de chiffres), alors que « la liste des thèses (était) étonnamment pauvre en sujets d’histoire économique pure » (39 sur 410 consacrées à la France, soit 9,5 %), avec un môle principal formé par les études sur une branche ou une région industrielle (33 %). La faiblesse de la recherche en histoire économique « pure » (c’est-à-dire où l’économique n’est pas associé au social) était, à ses yeux, « une grave déficience »23.
9De la comparaison des sommaires des trois grandes revues généralistes françaises24, il ressort que, entre 1957 et 1969, du temps de Braudel, seules les Annales faisaient une très large place à l’histoire économique avec 39 % des articles publiés25, contre 22,2 % dans la Revue historique et 15,2 % dans la RHMC, toutes deux très largement dominées par l’histoire politique (respectivement 49,2 % et 50,6 %, pour seulement 4,1 % dans les Annales)26.
10Quelques grandes thèses, les collections de la VIe Section et les Annales – où elle avait, il est vrai, des positions très fortes – ont servi de vitrine à l’histoire économique mais, quantitativement, celle-ci n’a jamais été dominante, loin s’en faut, dans la production historiographique française. Cependant, parce qu’elle a attiré à elle quelques-uns des historiens les plus brillants de l’époque et qu’elle était un foyer d’innovations, l’histoire économique a vraisemblablement exercé une influence plus large, mais impossible à mesurer, que la statistique des thèses et des publications ne le donne à penser, sans pour autant que l’ensemble de la discipline tournât autour d’elle. Néanmoins, jusqu’aux années soixante-dix, l’histoire économique française était « suprêmement confiante et agressive » et dénonçait bruyamment toutes les autres formes d’histoire comme « obsolètes et anachroniques », alors que, à l’inverse, les historiens anglo-saxons étaient plutôt sensibles aux « faiblesses » et au « retard » de l’école française27.
11En fait, c’est moins l’histoire économique qui a dominé, que ce que Pierre Rougerie, analysant une série de thèses d’histoire contemporaine (André Armengaud sur l’Est-Aquitain, Pierre Barral sur l’Isère, Paul Bois sur la Sarthe, Georges Dupeux sur le Loir-et-Cher, Philippe Vigier sur la région alpine), appelait « une conception matérialiste de l’histoire », ou encore le « matérialisme économique », c’est-à-dire une démarche qui conduisait « de bas en haut, du fond à la surface, de l’économique au social et au politique, et peut-être au-delà, au mental »28. Ce schéma explicatif se retrouvait dans nombre de thèses de cette époque qui décrivaient l’organisation des sociétés comme la superposition de trois niveaux : l’économique, le social et le mental. La détermination par l’économique s’y combinait avec la thématique du retard : « sur l’économique retarde le social, et sur le social, le mental »29. Ce déterminisme, étranger aux Annales d’avant-guerre30, devait beaucoup à un marxisme vulgaire largement répandu chez les historiens de l’époque31. Cependant, ni la remise en cause du « paradigme labroussien », d’ailleurs longtemps plus rampante que déclarée, ni la crise du marxisme n’ont entraîné l’effacement immédiat de ce schéma explicatif qu’on retrouve dans nombre de thèses de la décennie quatre-vingt (et même au-delà) restées fidèles au genre de la monographie régionale32.
Une génération labroussienne ?
12Il est également trop simple, sinon simpliste, de considérer que l’histoire économique des années 1950-1970 était uniformément dominée par ce qu’il est convenu d’appeler le « paradigme labroussien ». Sans doute, cette interprétation a-t-elle pour elle les déclarations d’un Pierre Chaunu qui, après avoir affirmé qu’aucune œuvre, pas même La Méditerranée de Fernand Braudel, « un monument » pourtant, n’a exercé « une action aussi profonde, aussi continue, aussi massive » que l’œuvre de Labrousse (en fait, ses deux grands livres, L’esquisse et La crise, pris ensemble), proclamait avec enthousiasme en 1974 : « Aujourd’hui, toute l’école historique française est labroussienne »33. Ce qui, au moment même où une partie des historiens français commençait à prendre ses distances avec le labroussisme, ne manquait pas de sel ! En réalité, et à condition de ne pas perdre de vue que la majorité des historiens français pratiquait d’autres types d’histoire que l’histoire économique et-sociale, la remarque de Chaunu valait moins pour le présent que pour le passé et davantage pour la période moderne que pour les autres.
13Certes, de la chaire d’histoire économique et sociale de la Sorbonne où il avait succédé à Marc Bloch, Labrousse a impulsé de très nombreuses recherches et « imposé à toute une génération d’historiens ses choix théoriques et méthodologiques »34, notamment la lecture sociale de l’économie, l’approche sérielle, l’étude de la conjoncture, et l’explication de la crise. De Pierre Goubert à Michelle Perrot en passant par Maurice Agulhon, ses élèves ont tous dit la nouveauté et la force d’attraction de son enseignement dans une Sorbonne qui, au lendemain de la guerre, était à peine touchée par la révolution des Annales. Mais que faisait-on, au juste, dans les années 1950, 1960 et 1970, sous le label d’histoire économique quand on se réclamait de Labrousse ? De l’histoire économique « pure » ou « principalement économique », selon la formule de Duroselle, ou de l’histoire économique-et-sociale ? Labrousse, pour sa part, parlait de « socio-économie », c’est-à-dire d’une « histoire sociale des faits économiques »35. Pour dire les choses autrement, c’était moins le fait économique en soi qui l’intéressait que sa signification sociale et, ainsi que l’a très justement souligné Jean Bouvier, ce sont ses « préoccupations socio-politiques qui lui ont servi d’hypothèses et lui ont fourni les grands thèmes de ses recherches »36. Maurice Agulhon a dit la même chose en des termes très voisins : selon lui, Labrousse était un historien social « parce que socialiste »37. Dans la célèbre « Introduction générale » à La crise de l’économie française à la fin de l’Ancien Régime et au début de la révolution (1944), Labrousse définissait les sources, les méthodes et les objectifs d’une histoire sociale de l’économie où « l’approche économique n’est qu’un moyen pour saisir efficacement le social »38. En gros, Labrousse fondait l’histoire de la société sur celle de l’économie et liait les variations des prix des céréales (la conjoncture) aux mouvements longs des revenus dont la typologie (rente, profit, salaire) coïncidait avec celle des principaux groupes sociaux, avec pour objectif d’expliquer l’événement (dans La Crise, la crise révolutionnaire qui débouche sur la chute de l’Ancien Régime). En 1965, réfléchissant sur la situation de l’histoire économique, Bouvier faisait d’ailleurs du « souci du social » le « trait commun » de l’école française (et même européenne) d’histoire économique : « Elle vise, ambitieusement il est vrai, à rendre compte de la totalité, en intégrant l’étude économique dans l’histoire sociale, et en faisant de celle-ci un élément explicatif fondamental de l’évolution historique »39. Pas étonnant, dès lors, qu’Yves Lequin ait attribué à Labrousse la seconde naissance de l’histoire sociale, la fondation des Annales marquant pour lui la première40, ou que François Caron ait pu parler de « centralité du social » pour décrire l’histoire telle qu’on la faisait dans les années soixante sous l’influence de Labrousse41.
14En fait, des nuances importantes distinguaient l’historiographie des différentes périodes. Même en plein âge d’or labroussien, les recherches sur l’Antiquité ont été assez peu touchées par la « vague économiste », les historiens continuant à s’intéresser essentiellement à l’histoire des institutions et des religions42. De leur côté, les historiens médiévistes, très centrés sur l’étude de l’économie et de la vie des campagnes, mobilisaient d’autres références et avouaient d’autres maîtres que Labrousse : pour Georges Duby, c’était Bloch et Perrin, et Lombard et Perrin encore pour Jacques Le Goff43. S’expliquant en 1974 sur son itinéraire, Georges Duby précisait qu’il « était parti dans le sillage de Marc Bloch d’une étude des rapports sociaux fondée sur l’étude des structures économiques », avec pour objectif de déterminer les « relations entre les modes de production et la disposition des rapports sociaux »44. C’était d’ailleurs là toute l’ambition de la grande synthèse sur L’Économie rurale et la vie des campagnes qu’il a publiée en 196245. Au total, et la liste des thèses des années 1950 et 1960 l’atteste clairement, l’influence de l’histoire économique à la Labrousse n’a véritablement été prépondérante qu’en histoire moderne où l’histoire des campagnes constituait la pointe la plus avancée de cette histoire socio-économique. Si l’influence de Labrousse fut également très forte en histoire contemporaine, en revanche, les préoccupations y étaient plus variées puisqu’on y rencontrait aussi bien des travaux sur la typologie des crises évidemment très marqués par les idées du maître que des histoires d’entreprises dans le sillage de Bertrand Gille et Claude Fohlen et des monographies industrielles régionales sur le modèle de celle de Pierre Léon sur le Dauphiné.
15Au demeurant, même ses élèves ont fait tout autre chose que du « pur » Labrousse. Les grandes thèses de cette période – de Vilar à Le Roy Ladurie en passant par Goubert – avaient comme un air de famille : ces monographies régionales « (combinaient) les structures braudéliennes, la conjoncture labroussienne et la nouvelle démographie historique »46. De plus, elles visaient à faire une histoire « globale » (ou « totale ») dans le cadre d’un espace géographique relativement restreint (ville, pays, département, province), la généralisation étant censée naître de l’accumulation de monographies47. Par ailleurs, l’intérêt pour le milieu géographique, les structures, la longue durée que l’on trouve dans tant de travaux de ces années-là, à commencer par Les Paysans du Languedoc, serait incompréhensible si on ne retenait que la seule influence de Labrousse. En fait, nombre de thèses portaient, quoique selon des dosages variables, la marque conjointe de Braudel et de Labrousse. Enfin, le climat intellectuel de l’époque et la logique de leurs recherches ont conduit les disciples de Labrousse, sans pour autant répudier son enseignement, à prendre en compte des facteurs extra-économiques pour expliquer tout à la fois le fonctionnement du système en place et sa dynamique de changement : la démographie chez Pierre Goubert, les survivances idéologiques chez Paul Bois, la politisation de la culture paysanne chez Maurice Agulhon, et, dans une veine néo-malthusienne, le rapport entre surcharge humaine et subsistances chez Emmanuel Le Roy Ladurie48. Le témoignage de Maurice Agulhon confirme cette analyse : souhaitant initialement « examiner la société totale et la totalité de ses manifestations, et voir comment s’articulait le fonctionnement des trois étages, l’économique, le social et le mental », les élèves de Labrousse ont, selon lui, « utilisé (leur) département pour expérimenter et tester (leur) différence », si bien que, à l’arrivée, « nombre d’entre (eux) ont été moins économistes et sociologues qu’ils l’étaient au départ », l’extension et la diversification du champ de la recherche aboutissant finalement à « la dispersion de la famille »49.
16Même si elle a pu s’ossifier50, l’approche labroussienne a nourri une impressionnante moisson de recherches51. Cependant, son influence n’eut qu’un temps. D’une part, parce que l’histoire sociale a progressivement conquis son autonomie par rapport à l’histoire économique tout en se rapprochant de plus en plus de l’histoire des mentalités à laquelle elle a fourni son armature (le découpage sociologique des objets culturels) et sa méthode (l'étude statistique), avant que la notion de mentalités ne finisse par désigner ce qui n'est pas réductible aux déterminations économiques et sociales52 ; d’autre part, parce que l’histoire économique s’est elle-même transformée. Trois directions principales, en effet, se sont dessinées alors nettement. En premier lieu, après avoir vu dans la courbe des prix des céréales « la clé de la conjoncture économique », certains historiens en sont venus à douter du pouvoir explicatif de l’histoire des prix pour s’intéresser aux quantités produites, les prix n’étant plus, dans cette perspective, qu’un indicateur parmi d’autres du mouvement de la production53. C’est, en particulier, ce qui fait l’importance de la grande enquête sur les dîmes, projet auquel Labrousse ne fut d’ailleurs pas étranger, qui s’efforçant de reconstituer le mouvement de la production agricole, ou du moins de ce qui en représente l’essentiel, les céréales panifiables, a dépassé les courbes des prix et des échanges pour proposer un véritable indice de la production54. En second lieu, influencés par Simon Kuznets et confrontés au projet d’histoire quantitative de l’économie française de l’équipe de l’ISEA (Jan Marczewski, Jean-Claude Toutain et Tihomir Markovitch)55, certains historiens qui maîtrisaient mieux la théorie économique et le langage mathématique se sont éloignés de l’histoire sociale pour évoluer, dès les années soixante, vers ce que Pierre Léon appelait une « histoire économique nouvelle » qu’illustrent les travaux sur la croissance de Maurice Lévy-Leboyer56 et François Crouzet57 où l’attention se portait désormais davantage sur le temps long car il s’agissait de répondre aux interrogations, pour partie venues d’Amérique, sur la croissance de l’économie française au XIXe siècle. Enfin, dans le sillage de Bertrand Gille, Pierre Léon et Claude Fohlen, on a assisté à la multiplication des recherches sur l’histoire de branches ou de secteurs58, voire d’entreprises59, cette tendance s’amplifiant fortement au cours des années suivantes.
17Au total, l’héritage de cette période est beaucoup plus complexe que ne le donne à penser l’interprétation généralement admise. Pour tout dire, l’histoire économique était non seulement moins dominante mais aussi moins labroussienne que ne le veut la doxa. Certes, le schéma labroussien des trois niveaux était très généralement accepté, mais il n’en résultait pas pour autant une manière uniforme de faire de l’histoire. Au contraire. D’une part, les monographies régionales, la gloire de l’école française, associaient selon des combinaisons très diverses les apports de Labrousse, de Braudel et de la démographie historique. D’autre part, le modèle labroussien était contesté de l’intérieur par des disciples qui l’ont enrichi et complexifié, ce qui annonçait les remises en cause des années suivantes. Et, enfin, à côté de l’approche labroussienne, il existait d’autres façons de faire de l’histoire économique.
Le refus de la cliométrie
18La principale faiblesse de l’histoire économique française de cette période est le faible impact de la cliométrie. Certes, ce type de recherches n’a eu dans aucun pays européen une influence aussi large qu’aux États-Unis60, mais nulle part ailleurs qu’en France celle-ci ne fut non plus aussi faible. Selon Jean Bouvier, et c’est un joli euphémisme, elle y « trouva bien plus de sceptiques que de ralliés »61. Néanmoins, il y eut des historiens français pour suivre avec attention les progrès de cette « nouvelle histoire économique » née aux États-Unis dans les années 1950. C’est ainsi que, en 1969, tout en relevant les limites de cette école, Maurice Lévy-Leboyer soulignait avec force qu’elle avait permis un « profond rajeunissement » de l’histoire économique en dépassant le stade de la simple description et en élargissant le domaine de la statistique62. En 1977, un recueil de textes importants traduits de l’américain était publié avec une copieuse introduction de Jean Heffer63. Sans nier l’intérêt de la cliométrie, François Crouzet proposait pour sa part une évaluation beaucoup plus critique de ses résultats. En 1983, au terme d’un examen approfondi des travaux anglo-saxons sur la révolution industrielle, il faisait ressortir que ce type d’histoire « n’est pas aussi productif et utile que ses partisans l’affirment » et, tout en soulignant l’utilité du point de vue du cliométricien pour « expliciter les problèmes, guider la collecte des données et interpréter les corporata ainsi constitués », il affirmait que, plus encore que la quantification traditionnelle, la cliométrie doit soumettre ses données à une évaluation critique rigoureuse, et la nécessité impérieuse pour l’histoire de sauvegarder son indépendance face aux menaces d’annexion par l’économie64.
19Plutôt que de s’efforcer de dépasser les limites des travaux anglo-saxons, les historiens français ont très majoritairement tourné le dos à ce type d’histoire qui recourt aux méthodes statistiques pour exprimer quantitativement les phénomènes économiques et déterminer (notamment à l’aide de modèles de régression linéaire) les relations existant entre plusieurs variables explicatives. Ils lui reprochaient l’absence de critique sérieuse des sources utilisées, la fragilité de la documentation pour les périodes pré-statistiques, l’application de modèles économiques (le plus souvent issus de l’économie néoclassique) à la matière historique et la pratique de l’analyse contrefactuelle65. Cependant, s’ils jugeaient trop technique et abstrait ce type d’histoire, c’est aussi parce que, formés dans les facultés des lettres, leur formation économique et mathématique était très insuffisante et qu’ils avaient peu (voire pas du tout) de contacts avec les économistes qui, de leur côté, ne s’intéressaient guère aux travaux des historiens. Dés lors, il n’y a pas lieu de s’étonner que la liste des travaux français s’inscrivant dans le sillage de ces recherches soit terriblement courte puisqu’on ne peut guère citer que le livre de Maurice Lévy-Leboyer et François Bourguignon sur la croissance française au XIXe siècle66 et la thèse de Jean Heffer sur le port de New York dans la seconde moitié du XIXe siècle67, l’un et l’autre étant d’ailleurs fort peu discutés68. Du reste, les grandes revues historiques françaises n’ont guère fait de place à ce type d’histoire puisque, entre 1950 et 1979, la Revue d’histoire économique et sociale n’a publié aucun article à « orientation mathématique et économétrique », quand les Annales n’en ont accueilli qu’un seul69 !
Une mort annoncée
20La publication dans les années 1970 de trois vastes synthèses, l’Histoire économique et sociale du monde70 dirigée par Pierre Léon, l’Histoire de la France rurale71 sous la direction de Duby et l’Histoire économique et sociale de la France72 sous celle de Braudel et Labrousse, a représenté une sorte d’apogée pour l’histoire économique. De nombreux indices témoignent que l’on a assisté alors à un changement d’époque. La Revue d’histoire économique et sociale a cessé de paraître en 1976, et Histoire, Économie et Société qui lui a succédé en 1982 s’en distinguait tant par la composition de l’équipe de rédaction que par l’orientation. Au demeurant, Pierre Chaunu ne déclarait-il pas dans la présentation de la nouvelle revue : « Nous n’entendons pas refaire la Revue d’histoire économique et sociale […] » ? Le reflux de l’histoire économique est particulièrement net aux Annales où la part des articles qui lui étaient consacrés est tombée de 39 % en 1957-1969 à 25,7 % en 1969-1976, quand l’histoire culturelle, de son côté, voyait la sienne monter de 22,4 % à 32,8 %73. C’est aussi à la charnière des années 1960 et 1970 que les grandes collections de la VIe section ont cessé de paraître : « Ports, routes et trafics » et « Affaires et gens d’affaires » en 1969, et « Monnaie, prix, conjoncture » en 1973. Enfin, quelques-uns des élèves de Labrousse (Alain Corbin, Maurice Agulhon, Michelle Perrot, Michel Vovelle) ont pris leurs distances avec un modèle dont ils percevaient de plus en plus les limites, tandis qu’une nouvelle génération de chercheurs était séduite par l’histoire des mentalités et l’anthropologie historique. Même si certains historiens de l’économie n’ont pas hésité à s’approprier ces thématiques nouvelles74, cela ne pouvait suffire à enrayer le reflux de l’histoire économique tant les curiosités des historiens s’étaient élargies à de nouveaux objets. La conversion anthropologique à laquelle on a assisté pendant ces années-là a eu un prix : le quasi-abandon de l’économique, le social rabattu sur le culturel, la promotion d’un temps presque immobile et l’éclatement du champ historique sous l’effet de la multiplication des objets. Pour tout dire, le triomphe de la « nouvelle histoire » semblait annoncer le recul irrémédiable, sinon la mort de l’histoire économique75. Jean Boutier n’écrivait-il pas, en 1990, « l’histoire économique est actuellement portée disparue »76 ? Cependant, cette mort annoncée n’a pas eu lieu.
Le tournant historiographique de la fin du siècle
21Après le tournant historiographique des années 1970 qui a vu l’histoire des mentalités détrôner l’histoire économique, un second tournant, à la charnière des années 1980 et 1990, en a prolongé et radicalisé les conséquences puisque c’est tout le cadre intellectuel dans lequel s’inscrivaient les historiens des années 1960 et 1970 qui a été bouleversé par la contestation des modèles d’explication dominants.
22Le déclin des grands systèmes explicatifs – marxisme, structuralisme, fonctionnalisme – qui a touché l’histoire, tout comme les autres sciences sociales, a ouvert la voie au retour de problématiques qui avaient été disqualifiées ou délaissées par les Annales. C’est ainsi que l’on a assisté au retour de l’histoire politique, de l’événement, du récit, de la biographie, et du sujet77. Toutefois, le mot « retour » est trompeur car, en fait, il s’agit moins de la réhabilitation de conceptions historiographiques dépassées que de leur redéfinition dans un contexte politique et idéologique absolument nouveau78 – banqueroute du système communiste, affaiblissement du mouvement ouvrier, crise de l’État-providence, critique du totalitarisme comme sous-produit des Lumières et de la Révolution de 89, effondrement du marxisme, négation de la lutte des classes, crise des « grands récits » (l’émancipation ouvrière, le progrès technique, la modernisation), et diffusion d’un néo-libéralisme conquérant – qui a favorisé une véritable mutation épistémologique. En effet, les échanges avec les autres sciences sociales ont contribué à modifier la manière de penser les objets historiques. Le programme dominant, que Pierre Rosanvallon a incarné de manière particulièrement radicale, préconisait l’abandon des « entités collectives » au profit des « trajectoires individuelles » et des « grandes machineries statistiques » au bénéfice d'« un nouvel usage de la monographie » afin d’« appréhender de façon sensible […] le grain du social »79. De leur côté, des sociologues rejetaient la conception essentialiste des catégories sociales alors dominante pour faire triompher l’idée que les classifications socioprofessionnelles sont dépendantes d’un mode de représentation de la société80, cette remise en cause étant d’ailleurs stimulée par tout un courant des sciences sociales, bien représenté par Michel Foucault81, pour qui l’opération de classement est, au sens fort, politique. Le développement des gender studies a également conduit à un changement de perspective en amenant à questionner les processus de construction des identités, individuelles et collectives, et le rôle qu’y tient le langage82. Globalement, chez les historiens, ces évolutions se sont traduites par le succès de nouvelles approches centrées sur les acteurs, l’échelle micro et les représentations.
23Les critiques dirigées contre le modèle historiographique lié aux Annales ont incité la rédaction de la revue à réagir en lançant le « tournant critique »83 qui a débouché sur la mise en place d’un nouveau cadre interprétatif qui, de manière très éclectique, empruntait tout à la fois à la microstoria, l’Alltagsgeschichte, l’herméneutique, l’anthropologie culturelle, la sociologie pragmatique et l’économie des conventions. Pour dire les choses rapidement, la direction des Annales a proposé aux historiens un nouveau « paradigme pragmatique » qui, contre les modèles globalement déterministes jusqu’alors dominants, insistait sur la dynamique des rapports sociaux, les compétences et les capacités créatrices des acteurs et l’action en train de se faire84, ce qui s’est accompagné de la promotion de nouveaux concepts (stratégie, négociation, conventions, compétences, expérience, etc.). Cependant, dans une discipline qui se défend d’être théoricienne, la convergence d’une large partie de la communauté vers ce programme a moins tenu à l’impact du nouveau programme des Annales, l’influence de la revue étant très amoindrie, et à une réflexion théorique explicite qu’à la prégnance des théories de l’acteur et de l’agency (capacité d’agir) qui sont aujourd’hui omniprésentes dans les sciences sociales et font écho au discours de l’individu construisant sa vie en toute autonomie qui constitue le fond de l’air idéologique de l’époque.
24Parallèlement, à partir des années quatre-vingt, la critique de la métaphore architecturale des trois instances et du déterminisme s’est accompagnée de l’affirmation progressive de l’histoire culturelle85. Même si elle ne représente pas un ensemble homogène et se développe selon une logique attrape-tout, l’hégémonie de l’histoire culturelle ne fait pas de doute : elle écrase l’historiographie par la masse de ses productions, elle attire à elle en grand nombre les étudiants et les lecteurs, les bilans historiographiques lui font une place prépondérante86 et ses représentants revendiquent pour elle « une position de centralité »87.
25L’histoire économique, ou plutôt économique-et-sociale, n’a pas moins été ébranlée que le reste de l’historiographie française par la remise en cause des vieilles certitudes, d’autant, bien sûr, que la critique du « paradigme labroussien » la touchait de plein fouet. La substitution des acteurs aux structures a revalorisé la part réfléchie de l’action et les capacités inventives des individus au détriment des déterminations économiques et des contraintes sociales ; à la macro-histoire sociale à laquelle on reprochait son substantialisme (autrement dit, la réification des catégories) et son déterminisme, on a opposé une micro-histoire centrée sur les individus eux-mêmes, leur expérience saisie au ras-du-sol, leur capacité à donner du sens à leur action, leurs propriétés relationnelles et les réseaux qui les relient88 ; la redécouverte du changement a disqualifié l’analyse de la logique de fonctionnement des systèmes et la longue durée ; la valorisation du récit, du qualitatif et du « microscopique » a justifié la désaffection pour les méthodes quantitatives, les grosses bases de données, les grandes enquêtes collectives aux rendements jugés décroissants, et la prédilection pour les objets d’étude de taille réduite ; enfin, l’abandon du projet d’histoire globale a favorisé la multiplication d’objets déconnectés les uns des autres. Au total, c’est tout le paysage qui s’en est trouvé transformé. L’absence d’un modèle d’interprétation cohérent et largement accepté a ouvert une période d’incertitude qui a été favorable aux expérimentations.
26Simultanément, c’est tout l’environnement institutionnel de l’histoire économique qui a été bouleversé. Et d’abord son cadre universitaire. La retraite de Labrousse en 1967, l’éclatement de la Sorbonne après 1968, l’accroissement des effectifs de chercheurs et le foisonnement d’équipes de recherche en province expliquent que, pour reprendre les termes même de Bouvier, on soit passé en quelques années d’une situation de monopole où Ernest Labrousse, grand semeur d’idées et de projets, était « le seul vrai initiateur », à « une situation de type oligopolistique » caractérisée par une plus grande dispersion des sujets de recherche89. D’autres contraintes institutionnelles, qui ne sont évidemment pas spécifiques à l’histoire économique, ont, à plus long terme, encouragé la réduction de la taille des objets d’étude : le remplacement de la thèse d’État par la thèse dite de « nouveau régime », la pression du ministère de la Recherche relayée par les écoles doctorales en faveur de la diminution de la durée de la thèse, la course à l’article justifiée par les nouvelles procédures d’évaluation des chercheurs, et une passion immodérée pour les colloques en dehors de tout programme de recherche un peu ample et durable. La concurrence accrue entre chercheurs qui a résulté de ces évolutions s’est exprimée par la recherche de la nouveauté à tout prix, voire une stratégie de niche, qui est un puissant facteur de spécialisation et de morcellement du champ.
27Parallèlement, à partir des années 1980, de nombreux comités et associations ont vu le jour. Réunissant chercheurs, praticiens et historiens amateurs, ils se sont donnés pour mission de promouvoir la recherche en organisant des colloques et séminaires, en publiant des guides des sources et des ouvrages, en collectant des témoignages, et en distribuant des bourses et des prix90. Parmi les comités d’histoire des ministères (Sécurité sociale, 1973 ; Industrie, 1989 ; Poste, 1995 ; Travail, 1996), c’est incontestablement le Comité pour l’histoire économique et financière de la France (CHEFF), fondé en 1986 par le ministère des Finances, qui joue le rôle le plus important, d’autant qu’il ne limite pas son action à la seule période contemporaine. Il faut également tenir compte du rôle des missions historiques de la Banque de France et de la Caisse des Dépôts et Consignations qui ont été très actives dans le soutien aux recherches sur les établissements financiers. Du côté des associations, il faut citer le CILAC (Comité d’information et de liaison pour l’archéologie, l’étude et la mise en valeur du patrimoine industriel, 1978), l’Association pour l’histoire de l’Électricité (1982), l’Académie François Bourdon au Creusot (1985), l’Institut pour l’histoire de l’Aluminium (1986), l’Association pour l’histoire des chemins de fer (1987), et l’Association d’histoire des sociétés rurales (AHSR, 1993) qui édite depuis 1994 une revue, Histoire et sociétés rurales dont le succès ne se dément pas. Signalons aussi, de création plus récente, la Société française d’histoire urbaine (1998), l’Association française de cliométrie (2001), et le Réseau universitaire des chercheurs en histoire environnementale (RUCHE, 2008), qui comptent également des historiens économistes dans leurs rangs. Certes, tous ces comités et associations ont stimulé le développement de l’histoire économique mais, inévitablement, ils ont aussi contribué à renforcer la spécialisation et la fragmentation de la recherche.
28En se tournant vers le micro, les acteurs, le temps court, les représentations et les institutions, les historiens ont également fait évoluer leurs ressources théoriques en empruntant modèles et concepts aux sciences sociales. Sur fond de rejet des postulats fondamentaux de la tradition néo-classique – le marché pur et parfait et l’acteur rationnel et calculateur –, trois courants ont été de grands pourvoyeurs d’idées neuves.
29D’abord, l’économie néo-institutionnelle qui se focalise sur les cadres sociaux et culturels, les systèmes de normes et de règles, et les organisations et institutions qui façonnent les activités économiques91. En distinguant règles et arrangements institutionnels et en analysant les formes que prennent ces derniers, elle a permis de mieux comprendre comment se définissent les limites de l’entreprise, comment fonctionnent les formes de coordination de l’activité économique et comment prennent corps les formes organisationnelles hybrides entre le marché et la hiérarchie. L’intérêt pour les institutions a également conduit à une meilleure prise en compte de la diversité des types de règles, de la vie interne et de la dynamique des organisations, et des processus d’apprentissage collectif et de décision92. Il est aussi à l’origine des recherches sur l’articulation du droit (droit des contrats, droits de propriété, activité des tribunaux) et de l’économie en insistant sur l’étendue des choix que les dispositifs juridiques offrent aux acteurs93.
30De son côté, l’économie des conventions fait l’hypothèse que sans le secours de conventions, autrement dit de règles de comportements qui ont leur source dans les interactions sociales mais se présentent aux individus sous une forme objectivée, la coordination sur le marché serait impossible, et souligne fortement la diversité des formes de coordination, historiquement situées, mises en œuvre dans la production comme dans l’échange94. L’approche conventionnaliste a soutenu des recherches sur les dynamiques historiques dont dépendent l’émergence, le fonctionnement et la désagrégation des systèmes de conventions, qu’il s’agisse de la catégorisation du produit, des normes de qualité, de la codification des relations de travail ou de la définition des mondes de production.
31Enfin, la nouvelle sociologie économique se propose quant à elle de montrer le rôle fondamental des liens sociaux dans l’action économique et d’étudier le marché comme une structure sociale concrète95. Reprenant en l’adaptant un concept que Karl Polanyi réservait aux sociétés précapitalistes, Mark Granovetter insiste sur l’encastrement (« embeddedness ») de l’action économique au sein des réseaux de relations sociales, ce qui confère une place centrale à la notion de confiance. Les historiens ont trouvé dans cette sociologie-là des ressources pour étudier le fonctionnement des marchés, les réseaux d’hommes d’affaires, ou les formes d’organisation intermédiaires de type districts industriels.
32En fait, dans la pratique de la recherche, ces trois approches, qui ne sont pas sans parenté, ont souvent été combinées selon des dosages variés, mais aussi avec des éléments de l’héritage de la période précédente, d’autres traditions théoriques (l’économie de l’information, les sciences de l’organisation, ou la théorie de la régulation, par exemple) et des apports des historiographies étrangères. Le bricolage, pas toujours bien contrôlé, a donc été la règle.
Des renouvellements thématiques
33Au cours des dernières décennies, l’histoire économique a connu, mais inégalement selon les périodes, débats, révisions et renouvellements, si bien qu’il n’est pas exagéré de dire que ce l’on fait aujourd’hui sous ce nom ne ressemble plus beaucoup à ce qui se faisait dans les années soixante96.
34Après une longue éclipse, et même si elle demeure un peu marginale, on a assisté au renouveau de l’histoire économique de l’Antiquité sous l’influence de l’accroissement de la documentation et de la discussion du concept d’« économie antique » forgé par Moses I. Finley. Les recherches portent essentiellement sur les transformations de l’économie agraire, le rôle de la monnaie, le développement des échanges, la main-d’œuvre et le travail. La contribution la plus importante concerne sans doute la question des échanges et de la circulation des produits : les travaux impulsés par le laboratoire Ausonius (Bordeaux) et réalisés dans le cadre du GDRI « Les marchés dans le monde antique » visent à décrire les espaces, les institutions et les pratiques relatifs aux marchés afin de saisir plus précisément le rôle du marché comme élément structurant des échanges dans les systèmes économiques de l’Antiquité.
35L’histoire économique du Moyen Âge n’est certes pas à la mode, mais des travaux originaux ont apporté du neuf sur l’histoire du salariat, des techniques, des entreprises et des territoires de production (mines, métallurgie, textile), des transferts patrimoniaux, du marché, du crédit, et de la pensée économique.
36Pour la période moderne, les principaux apports concernent l’étude des rouages du système financier et des politiques économiques de la monarchie française, la remise en cause de la conception traditionnelle de la « révolution industrielle » à partir de l’application du concept de proto-industrialisation à l’étude du travail artisanal et manufacturier, l’analyse du rapport des sociétés au marché et à la consommation, et la compréhension du fonctionnement des réseaux marchands et de crédit. L’histoire économique des campagnes connaît une sorte de renouveau qui voit la révision des idées longtemps tenues pour acquises sur la fragilité de la petite exploitation, l’autarcie économique des campagnes et la stabilité du monde rural. Le GDRE « Sociétés rurales européennes » a amplifié cette évolution.
37En histoire contemporaine, la recherche a continué de s’intéresser à l’histoire des régions et des branches, des grandes entreprises, et des relations économiques de la France avec l’étranger, mais la barrière de 1914 à laquelle s’arrêtait jusqu’alors la plupart des recherches a été franchie allégrement et les thématiques de recherche se sont beaucoup diversifiées avec le développement de travaux sur l’histoire des techniques qui a renoncé à l’approche internaliste traditionnelle, sur le rôle économique de l’État vu à travers l’évolution des finances publiques et des politiques économiques, sur les banques et les marchés financiers, sur l’histoire des campagnes qui s’est orientée vers les questions de l’exploitation, des solidarités familiales, de la mobilité des hommes et de la pluriactivité, sur les relations avec le monde économique ultramarin à travers l’étude des activités, des réseaux et des stratégies des entreprises qui y sont impliquées, qu’elles soient métropolitaines ou coloniales, sur les institutions intermédiaires qui encadrent et régulent le jeu des acteurs économiques, ou enfin sur les entrepreneurs et les dynasties d’affaires. Cependant, c’est l’histoire des entreprises qui, par le nombre des travaux, occupe incontestablement la première place ; toutefois, au cours des deux ou trois dernières décennies, on a constaté une nette évolution des questionnements puisqu’on est passé de recherches centrées sur la grande entreprise des secteurs les plus capitalistiques à la (re) découverte des entreprises des industries de biens de consommation, des PME, du capitalisme familial et des réseaux d’entreprises du type districts industriels. D’autre part, grâce à un GDR qui leur a été consacré, l’histoire des entreprises sous l’Occupation est aujourd’hui mieux connue. Des thématiques nouvelles ont également émergé au cours des dernières années : les produits et le fonctionnement du marché, la consommation et la distribution, l’impact du genre sur la structure et la gestion de la main-d’œuvre, l’équipement intellectuel des acteurs de l’économie, et les pollutions industrielles.
Que faire ? Neuf propositions pour redynamiser l’histoire économique
38Marginalisation relative au sein de l’historiographie française, fragmentation de la recherche et perte de l’ambition généralisatrice, faiblesse du sentiment d’appartenance à une communauté transcendant les clivages de périodes et de thématiques, enfermement académique d’une spécialité trop coupée de la société, relatif isolement international, faiblesse de l’AFHE par rapport à ses homologues européennes97 – ce sont là autant d’éléments qui concourent à la situation difficile qui, malgré sa vitalité et son inventivité, est celle de l’histoire économique en France aujourd’hui. Elle ne peut en sortir qu’à la condition d’opérer une série de transformations profondes.
Retrouver le sens du global et de la généralisation
39La réaction anti-structuraliste et anti-fonctionnaliste qui s’est opérée à partir des années 1980 sous le drapeau de l’acteur et de la micro-histoire a conduit à mettre à l’index les objets complexes – les grands réseaux, les institutions, la société – et la généralisation. Ce qui s’est traduit de trois façons différentes. D’une part, les études d’objets de taille réduite et sans connexions se sont multipliées presque à l’infini, quand encore la rhétorique du jeu d’échelles n’a pas servi de justification et d’habillage à la bonne vieille monographie locale dont l’objectif est de vérifier des hypothèses générales à partir de l’étude d’un cas singulier. D’autre part, le privilège quasi ontologique accordé à l’échelle micro98 a conduit à l’abandon de l’étude de la plupart des questions qui ne peuvent être posées sérieusement qu’à l’échelle macro. C’est ainsi que, pour se limiter à la période contemporaine, alors que nos collègues anglo-saxons multiplient les travaux sur les évolutions récentes du capitalisme, nous n’avons pas grand-chose sur la globalisation, le système bancaire, l’affaiblissement de l’État-providence, l’entreprise du XXIe siècle, les structures du marché du travail, ou les transformations des rapports entre l’État et l’économie. Enfin, la rareté des ouvrages de synthèse (et non des manuels), la plupart étant d’ailleurs l’œuvre d’historiens d’une génération déjà active dans les années soixante à l’instar d’un François Crouzet99, peut également s’interpréter comme le résultat de la perte de toute ambition généralisatrice.
40Interrogé en 1999 sur le bilan de la microstoria, Giovanni Levi, un des fondateurs de cette école, expliquait que, en substituant les acteurs individuels aux entités collectives, l’approche micro-historique a eu un effet positif en contribuant à compliquer les schémas d’explication trop simples et trop rigides alors dominants mais que, trente ans après les débuts de la micro-histoire, l’urgence n’était plus là : il s’agissait désormais de reconstruire une « interprétation globale de l’histoire »100. De son côté, tout en affirmant que l’anti-labroussisme a eu au début un effet « salutaire », Christophe Charle soulignait lui aussi, la même année, que le pendule avait été poussé trop loin avec pour conséquence « la réduction des objets d’étude » et « la perte du souci généralisateur », si bien que l’histoire sociale se trouvait désormais confrontée à « l’impasse de l’histoire en miettes »101. Quelque dix ans plus tard, ces analyses convergentes qui concernent certes l’histoire sociale, mais peuvent également être étendues à l’histoire économique, restent terriblement actuelles. C’est qu’il ne suffit pas d’affirmer qu’il « n’existe pas d’hiatus, moins encore d’opposition entre histoire locale et histoire globale » et que « l’expérience la plus élémentaire » n’est qu’une « modulation particulière de l’histoire globale »102, pour résoudre le problème de l’articulation des deux échelles d’analyse, macro et micro. En fait, tout se passe comme si la question de l’articulation des échelles d’analyse (pas seulement macro et micro mais aussi les niveaux intermédiaires) avait été purement et simplement suspendue et sa solution renvoyée à plus tard.
41Face aux limites d’une approche qui fait de l’échelle micro et de l’expérience située des acteurs le fondement exclusif de l’analyse historique, il importe de penser la société comme un tout et de retrouver le sens de l’intelligibilité des dynamiques économiques globales. Du reste, ce n’est pas une nécessité seulement pour l’histoire économique, mais une exigence qui traverse aujourd’hui l’ensemble des sciences historiques où s’affirment à la fois « l’appétit pour la généralité » et « la problématique d’un retour au macro »103. Cependant, l’ambition totalisatrice n’appelle pas la réhabilitation de l’approche macroscopique des structures et du projet d’histoire globale qui triomphaient dans les années soixante mais dont les limites ont justifié l’abandon ; il ne s’agit pas davantage de renoncer aux avancées qu’a permis le tournant pragmatique des années quatre-vingt en prenant les acteurs au sérieux. En fait, il n’y a pas d’autre voie, et elle suppose de l’imagination, que de dépasser l’opposition traditionnelle (pour ne pas dire scolaire) entre acteurs et structures, individu et société, micro et macro. L’emprunter exige cependant une sorte de retour critique sur tout ce que nous avons fait depuis deux ou trois décennies au nom de l’acteur et du micro, et en particulier l’examen des fondements théoriques de cette orientation qui doit tant à un individualisme centré sur la notion d’agency et oublieux des contraintes du monde social104.
Le rapprochement avec l’économie : une nécessité
42L’avenir de l’histoire économique dépend – pour partie au moins – du rapprochement et des échanges avec la science économique. Pour faire simple, disons que ce rapprochement obéit à une triple nécessité. En premier lieu, appeler la théorie économique à la rescousse peut permettre à l’historien d’affiner son questionnaire, de mieux identifier les données pertinentes, de formuler des hypothèses explicites, et de recourir (lorsque c’est nécessaire) aux tests économétriques pour vérifier l’existence de relations entre les variables. Cependant, pour indispensable qu’il soit, ce rapprochement ne doit pas déboucher sur l’annexion de l’histoire par l’économie, la première se contentant alors de recevoir ses sujets d’étude et ses méthodes de la seconde. Bien au contraire, et sauf à connaître la même évolution que l’histoire économique de la période contemporaine aux États-Unis ou en Italie105, elle doit maintenir son identité et s’attacher à conserver sa position entre « les deux cultures », l’histoire et l’économie106.
43En second lieu, le rapprochement avec l’économie et la maîtrise des méthodes statistiques pourraient permettre de traiter des questions macro-économiques qui sont aujourd’hui à l’agenda de la recherche internationale mais que les historiens français ont depuis longtemps désertées : en effet, d’après une enquête de Jörg Baten et Julia Muschaliik, les historiens du monde entier souhaitent voir en tête du programme du congrès mondial d’histoire économique de Stellenbosch (Afrique du Sud) en août 2012 deux grandes thématiques : « Développement économique, croissance et productivité globale » et « Macroéconomie et fluctuations »107.
44Enfin, le rapprochement entre les deux disciplines pourrait leur permettre de participer à des programmes de recherche communs. Certes, la collaboration ne va pas de soi et pour des raisons qui ont été maintes fois énoncées : d’abord en raison du découpage des facultés (aujourd’hui des UFR) qui fait que, à l’inverse de beaucoup de pays étrangers, les historiens de l’économie sont dans celles de lettres quand les économistes enseignent dans celles de droit, d’économie et de gestion ; mais aussi du fait d’incompréhensions réciproques entre les deux disciplines qui ne tiennent pas seulement à la formation des chercheurs mais aussi au « style » de leurs travaux : les historiens n’utilisent guère la théorie de manière explicite et moins encore les tests économétriques, quand les économistes privilégient la théorie et la formalisation. Les résultats très mitigés du programme de coopération entre économistes et historiens lancé par la Revue économique à sa fondation en 1950 le prouvent amplement108. Néanmoins, les chercheurs qui ont une double formation et une double culture pourraient servir de pont entre les deux communautés scientifiques parce qu’ils sont plus à même que d’autres de comprendre à la fois les avantages de la théorisation, de la formalisation et de la quantification, et la nécessité de tenir compte de tous les facteurs (y compris les moins mesurables) dans une situation historique donnée. Au demeurant, en accueillant des économistes-historiens dans son comité directeur, l’Association française d’histoire économique (AFHE) a marqué fortement son intérêt pour ce type de coopération.
Complexifier le questionnaire
45Le rapprochement avec l’économie est absolument indispensable mais l’histoire économique ne saurait cependant vivre dans ce que Gérard Chastagnaret a plaisamment appelé « la seule monogamie avec la science économique »109. Dés lors, en effet, que l’on remet en cause le modèle labroussien des trois niveaux pour admettre qu’il y a du politique, du culturel et du social dans l’économique, il nous faut complexifier notre grille d’analyse en nous appropriant les apports de l’histoire politique, culturelle et sociale ainsi que ceux de l’anthropologie, du droit ou de la sociologie. Les historiens ont pris l’habitude de problématiser la question des liens de l’économie avec les autres sphères de l’expérience humaine en parlant d’« encastrement ». Toutefois, il en va un peu de l’encastrement comme de l’échelle micro : bien peu d’historiens110 situent réellement leur réflexion dans la ligne du questionnement de Polanyi sur l’encastrement et le désencastrement de l’économie, d’autant que, pas plus qu’hier111, les discussions, pourtant vives, que suscite la polysémie du concept d’« encastrement » chez les anthropologues et les sociologues ne rencontrent beaucoup d’intérêt. Aussi, dans la plupart des cas, la référence à l’encastrement sert surtout de mise en garde contre les prétentions de l’économie (le marché autonome et autorégulateur)112 et d’invitation à ne pas oublier que les facteurs sociaux, culturels, politiques et institutionnels sont importants dans la structuration de l’activité économique. Sous cet angle, deux points doivent être tout particulièrement soulignés.
46En premier lieu, les liens avec l’histoire sociale – héritage des années cinquante et soixante113 et originalité de l’histoire économique française – doivent être maintenus et renforcés mais sur une base renouvelée. L’attention aux choix et aux comportements des individus a permis de nouvelles approches – l’analyse des réseaux sociaux114, ou la combinaison de la distribution horizontale des individus avec des données longitudinales sur leur trajectoire115 – qui ont contribué à porter au jour des aspects de la réalité auxquels les manières de voir traditionnelles rendaient aveugle. Cependant, ces approches n’épuisent pas la question de la structuration du monde social et, parce qu’elles sont centrées sur les liens interpersonnels, elles occultent ou sous-estiment les inégalités et les conflits que seule une analyse en termes de catégories sociales permet de dégager. D’où le plaidoyer de Gérard Béaur en faveur des catégories : c’est un instrument d’analyse « nécessaire » mais que l’historien doit « repenser » et utiliser en gardant à l’esprit le caractère « construit, et donc en partie arbitraire » des groupes que les catégories lui servent à constituer pour répondre aux besoins de sa recherche116. Du reste, le creusement des inégalités sociales aidant, la réhabilitation des catégories s’effectue sur un fond de retour des classes sociales aussi bien dans le débat public que dans les sciences sociales117. Toutefois, il ne saurait être question d’en revenir purement et simplement à la conception antérieure du social exclusivement polarisée sur les inégalités économiques car, pour rendre intelligible le monde social dans toute sa complexité, il faut tenir compte de la multiplicité des collectifs auxquels un individu appartient et des autres variables structurantes – genre, génération, nation, « race », ethnicité – dont les sciences sociales ont peu à peu reconnu l’importance et les articuler avec les divisions de groupe ou de classe. Ce que, au demeurant, les études sur le fonctionnement du marché du travail118 ou les trajectoires des petits entrepreneurs étrangers119 ont déjà commencé de faire.
47En second lieu, l’histoire économique doit tirer les conséquences du tournant culturel. Prendre les acteurs au sérieux – autrement dit, les traiter comme tels et non comme des objets – exige en effet que l’historien soit attentif aux opérations par lesquelles ils interprètent le contexte et donnent un sens à leurs actes120. Leurs choix et leurs comportements se fondent sur des représentations, des valeurs, des schèmes de pensée dont il convient de comprendre les modalités de construction, de circulation et d’appropriation. L’action est engagée, pensée, jugée à travers des représentations et des catégories qui s’expriment aussi bien dans les discours explicites que dans les archives des actes de la pratique, et l’historien doit être capable d’entendre la voix des acteurs afin de la faire entendre à son tour. C’est une vieille exigence de « l’histoire par en bas » à laquelle l’histoire économique n’a pas été insensible – Serge Chassagne n’a-t-il pas su capter les mots d’Oberkampf et Gérard Gayot ceux des tondeurs de drap ? – mais il importe d’en faire une pratique plus systématique afin d’écrire une histoire économique qui échappe à l’abstraction.
Quantification et formation aux méthodes statistiques
48Les méthodes quantitatives qui ont connu leur heure de gloire dans les années 1960 et 1970 ont du mal à se remettre de l’échec de l’histoire sérielle dont les tenants s’appuyaient sur des bases théoriques d’une grande faiblesse (le monétarisme, par exemple, pour l’histoire des prix), croyaient naïvement que les chiffres parlent d’eux-mêmes et utilisaient des procédures assez frustres121. La place de l’histoire économique dans Histoire et Mesure – en gros, le quart des articles – montre que l’intérêt de l’utilisation des outils statistiques a été compris par une partie (encore assez réduite toutefois) de la communauté scientifique. Par ailleurs, alors que la cliométrie occupe une place importante dans la recherche internationale122, en France, elle demeure un courant très minoritaire : l’Association française de cliométrie, fondée en 2001 par Claude Diebolt, ne compte qu’une poignée d’historiens dans ses rangs, et la pratique de la cliométrie est surtout le fait d’un petit nombre d’économistes-historiens qui s’intéressent essentiellement aux questions financières et monétaires (Pierre-Cyrille Hautcoeur, Marc Flandreau, et leurs élèves, etc.)123. Quant à l’histoire anthropométrique, qui a permis de renouveler l’analyse des conséquences sociales de l’industrialisation, son développement ne dépasse pas un tout petit cercle124.
49Les illusions et les échecs du passé ne condamnent pas l’usage des méthodes statistiques qui peuvent rendre de grands services125. À ne pas le comprendre, l’histoire économique s’exposerait à un double risque : d’une part, ne pas pouvoir aborder sérieusement les questions dont le traitement exige un effort de quantification, et d’autre part, être marginalisée sur le plan international face aux écoles nationales (Pays-Bas, Royaume-Uni, Espagne, États-Unis surtout) qui font de la quantification la marque de la scientificité126.
50Cependant, la partie est bien loin d’être gagnée. D’abord parce que nous vivons sur une tradition d’histoire sérielle qui a été abandonnée sans même avoir été soumise à une critique sérieuse127. N’est-il pas significatif, du reste, que la seule critique argumentée de la quantification à la française soit venue du sociologue américain Charles Tilly, l’auteur de Strikes in France128, qui a montré que les historiens français mobilisaient des techniques très rudimentaires et faisaient du chiffre une utilisation plus descriptive qu’analytique129 ? D’autre part parce que l’usage raisonné de la statistique exige une formation technique spécifique que, dans leur écrasante majorité, les historiens français n’ont pas reçue.
51Le progrès de la quantification dépend donc à terme de la transformation de la formation de nos étudiants, qui reste essentiellement littéraire, afin qu’ils maîtrisent les méthodes statistiques. Le défi est de taille puisqu’il s’agit de s’adresser à des étudiants pour la plupart sans réelle formation mathématique préalable qui, confrontés au chiffre, oscillent entre fascination et rejet. Néanmoins, la rénovation des parcours de licence pourrait permettre de combiner l’acquisition des bases de la discipline historique avec des éléments de formation en économie et sociologie économique et une initiation poussée aux techniques statistiques, ces enseignements devant bien sûr être poursuivis en master.
L’horizon de l’histoire globale
52L’histoire économique, comme d’ailleurs toute l’historiographie française, combine repli des recherches sur des sujets franco-français et ignorance relative des historiographies étrangères130. Trop peu de travaux concernent des pays étrangers131 et l’approche comparative, malgré l’hommage rituel à Marc Bloch, est très rarement pratiquée. Le vent du large qui soufflait si fort du temps de Braudel et Chaunu n’est plus aujourd’hui qu’une toute petite brise. L’attitude des historiens français face à l’émergence de la global history132 traduit bien cette situation. En se donnant pour objectif de dépasser les frontières étatiques pour dresser le tableau des similitudes, des connexions et des divergences entre sociétés européennes et non-européennes, l’histoire globale fait naître de nouveaux questionnements sur des objets anciens : la diversité des voies de l’industrialisation, les ressorts de l’occidentalisation du monde, et les phases successives de la mondialisation. Pourtant, les historiens français sont, jusqu’à présent, restés étrangement absents sur ce terrain où, depuis une quinzaine d’années, les historiens anglo-saxons sont au contraire très actifs.
53De même, alors que le livre de Kenneth Pomeranz, The Great Divergence133, paru en 2000, a suscité une vive controverse internationale sur les causes du succès de la révolution industrielle en Angleterre et l’inversion des rapports entre l’Europe occidentale et la Chine, c’est le silence qui l’a d’abord emporté parmi les historiens français. Sans doute la traduction tardive (2010) de ce gros livre pas toujours facile n’y est-elle pas pour rien, mais ce n’en est vraisemblablement pas l’unique raison : le repli sur l’hexagone, l’ignorance des recherches sur la Chine et le Japon, le désintérêt pour la comparaison et l’abandon quasi général des méthodes statistiques y ont aussi certainement leur part. Finalement, il a fallu la parution en 2009 d’un recueil d’articles de Pomeranz, La Force de l’Empire134, précédé d’une substantielle introduction de Philippe Minard qui résume les thèses de l’historien américain en les situant dans leur contexte historiographique afin d’en définir précisément l’apport, pour que les historiens français découvrent une recherche importante et commencent à s’intéresser au débat. La tournée de conférences de Pomeranz en France et sa participation au colloque de Lyon du RTP d’histoire économique135, en octobre 2010, ont contribué à stimuler cet intérêt naissant, mais les historiens français n’ont pas encore dépassé le stade du commentaire des travaux venus d’ailleurs pour s’engager eux-mêmes dans la recherche. L’histoire connectée qui s’attache à l’étude des situations de contact (voyages, circulations, regards croisés, emprunts, hybridations et résistances) en s’opposant à la fois à l’histoire comparée et à l’histoire globale, semble avoir davantage de succès même si elle est encore peu pratiquée136.
54Il y a là un immense chantier qui exige que l’on réfléchisse collectivement aux problèmes posés – en termes de terrains, de sources, d’échelles et de méthodes – par cette histoire transnationale qui refuse résolument tout européocentrisme. L’enjeu est de taille puisqu’il ne s’agit de rien moins que de déprovincialiser l’histoire économique française en travaillant sur de grandes questions (l’histoire de la révolution industrielle dans une perspective globale n’est évidemment pas la seule) qui touchent de près à l’avenir de la discipline et sont au centre du débat international.
55L’adhésion au programme de recherche de l’histoire globale ne disqualifie pas pour autant l’approche comparatiste car, pour certaines questions, l’analyse gagne beaucoup au dépassement des frontières nationales. En effet, les comparaisons internationales conduisent souvent à réduire le poids des spécificités nationales et, en conséquence, enlèvent beaucoup de leur portée à des analyses qui apparaissaient pourtant très convaincantes dans le seul cadre national. N’est-ce pas ce que montrent avec éclat les recherches sur les sociétés rurales européennes137, l’américanisation des entreprises européennes après 1945138 ou encore les performances des entreprises européennes au XXe siècle139 ?
Regard rétrospectif et réflexivité critique
56Notre vision de l’histoire de l’histoire économique est encombrée d’idées reçues et d’interprétations sommaires. Bien plus, elle est de part en part idéologique, incapable de s’affranchir des mythes qui la figent. Que pensez, en effet, d’une histoire qui, ignorant le rôle de la Revue d’histoire économique et sociale lancée en 1913 et l’importance des recherches réalisées avant la Première Guerre mondiale (Boissonnade, Mantoux, Sée, Levasseur, Hauser, Marion et quelques autres)140, date les (vrais) débuts de l’histoire économique de la création des Annales en 1929 ; qui déroule le fil d’une tradition unique et continue, comme s’il n’y avait pas eu plusieurs façons de faire de l’histoire économique, ni ruptures et bifurcations ; qui, renouant avec la célébration des grands hommes, sacralise les figures de proue ; qui est aveugle à la circulation internationale des idées et des concepts, comme si notre pays était l’unique foyer d’innovation, alors que toute une série de concepts (proto-industrie, révolution de la consommation, révolution industrieuse, grande entreprise moderne, district industriel, etc.) et de thématiques (le retard économique de la France, ou à l’inverse la diversité des voies d’industrialisation) ont été importés ; qui ignore les conditions sociales et institutionnelles de la production des idées et réduit l’histoire de la discipline au commentaire des « grands textes » ? Cette histoire-là, dont nous nous accommodons pourtant, mérite à peine le nom d’histoire. Surtout, elle ne nous permet pas de construire un rapport critique, lucide, au passé de notre discipline, alors même que, pour une science sociale, faire sa propre histoire est « un moyen privilégié de la réflexivité critique » et donc de libération du « rapport routinier à l’héritage converti, pour l’essentiel, en doxa disciplinaire »141.
57Avancer vers plus de lucidité collective impose donc qu’on cesse de prendre pour argent comptant les discours que la discipline a tenus (et continue de tenir) sur elle-même, lesquels sont pris dans les enjeux de pouvoir au sein du champ et relèvent bien davantage de la mythologie que du récit historique142 ; qu’on ne se limite pas à l’histoire des idées pour l’articuler à l’étude des pratiques de recherche, du fonctionnement des institutions académiques, des réseaux intellectuels et des formes de sociabilité universitaire, laquelle ne peut se faire sérieusement qu’en mobilisant les archives et en recueillant le témoignage des acteurs143 ; qu’on n’isole pas l’histoire des autres sciences sociales ; et, enfin, qu’on ne s’enferme pas dans une histoire strictement nationale, pour ne pas dire nombriliste de la discipline, pour s’intéresser aux échanges internationaux d’idées144, à la manière dont les historiens français ont reçu et se sont appropriés les concepts importés en fonction du contexte intellectuel national, et à l’influence que les travaux réalisés à l’étranger ont eue sur la (re)définition des programmes de recherche145. Cette histoire-là n’est pas facile à faire et exige du temps, mais c’est une nécessité pour la santé intellectuelle de l’histoire économique.
Créer une revue pluraliste ouverte au débat
58En 1967, Jean-Baptiste Durosselle déplorait que l’histoire économique n’eût pas en France de revue sur le modèle de l’Economic History Review et estimait que c’était une sérieuse faiblesse. Depuis, la situation ne s’est pas améliorée, bien au contraire : non seulement ce manque n’a toujours pas été comblé, mais les revues spécialisées se sont multipliées depuis les années 1980, ce qui traduit et renforce à la fois le morcellement croissant de la recherche, tandis que la part de l’histoire économique s’est réduite sensiblement dans les grandes revues généralistes, et d’abord dans les Annales. Comment, dans ces conditions, rassembler la communauté des historiens économistes, faire vivre le débat scientifique, et donner de la visibilité aux recherches qui se font, sinon en lançant une revue ? Elle permettrait tout d’abord de surmonter la dispersion géographique et institutionnelle des chercheurs, le cloisonnement entre les grandes périodes, et la spécialisation de plus en plus pointue des recherches. Elle permettrait aussi de diffuser les travaux les plus novateurs, de jeter un pont entre les générations, d’organiser le dialogue avec les disciplines voisines, et de rendre visibles nos recherches sur le plan international.
59Dans la situation actuelle de l’histoire économique, la revue dont nous avons besoin ne saurait être la revue d’une école ou d’un courant ; au contraire, elle doit être foncièrement pluraliste et ne pas chercher à imposer une approche ou un système. Certes, c’est toute l’historiographie française, et pas seulement l’histoire économique, qui souffre de l’absence de véritable discussion scientifique146, (comptes rendus aseptisés d’où toute discussion de fond est exclue, colloques transformés en rituels mondains, soutenances de thèse iréniques…), mais, naturellement, celle-ci se fait plus durement sentir dans un secteur qui vit sa recomposition actuelle avec un sentiment de marginalisation et d’incertitude. Aussi avons-nous besoin d’une revue qui ferait toute leur place à de vraies recensions critiques, à des mises au point, à des débats, car c’est là la condition d’une discussion méthodique des résultats de la recherche et, plus encore, des hypothèses, des concepts et des approches. La création d’une telle revue est même, au vrai, la condition indispensable à la redynamisation de l’histoire économique parce qu’elle favoriserait tout à la fois le rassemblement de la communauté et l’émergence de thématiques et de forces nouvelles.
Publier en anglais : une nécessité à l’heure de la globalisation
60La situation de la recherche française au plan international est préoccupante, et cela, évidemment, ne vaut pas seulement pour l’histoire économique mais pour l’ensemble de l’historiographie de notre pays147. Certes, les historiens économistes français sont bien représentés dans les congrès internationaux, ceux en particulier de l’Association internationale d’histoire économique (IEHA) : à Helsinki (2006) et Utrecht (2009), la France se situait à la quatrième place par le nombre de participants derrière les États-Unis, le Royaume-Uni/Irlande et l’Espagne/Portugal, mais nettement devant l’Allemagne, l’Italie et le Japon. En revanche, si l’on en juge par le nombre d’articles publiés dans les grandes revues de langue anglaise comme par la participation des chercheurs français au débat international, le rayonnement de l’histoire économique française est très limité. Cette situation ne tient pas, pour l’essentiel, aux choix (d’ailleurs réversibles) des thématiques de recherche – notamment le refus de la cliométrie et de la quantification et une orientation trop gallo-centrique – mais à des facteurs linguistiques qui jouent un rôle bien plus décisif. Aujourd’hui, l’anglais est la langue dominante, et l’essentiel des discussions scientifiques s’effectue dans cette langue, même en Europe où l’usage du français a beaucoup reculé parmi les chercheurs au profit de l’anglais qui est devenu une sorte de lingua franca, alors même que, dans leur masse, la plupart des historiens français, du moins ceux nés pendant les années cinquante et soixante, n’ont guère une pratique courante de l’anglais.
61Ce qui entraîne pour la recherche française des conséquences qu’il serait suicidaire de se dissimuler. Prenons l’exemple de l’histoire des entreprises où la recherche est pourtant particulièrement dynamique dans notre pays. L’analyse des sommaires de la Business History Review (BHR) pour les années 2007, 2008 et 2009 est instructive. Onze livres français ont fait l’objet d’un compte rendu, soit 3,4 % de tous les ouvrages recensés148, mais ce sont rarement les plus significatifs et l’insertion dans des réseaux semble jouer un rôle important dans les choix de la revue. Mais il y a plus : au cours de ces mêmes trois années, sur les 64 articles que la revue a publiés, aucun ne concernait la France, quand 21 traitaient pourtant de pays européens (soit 32,8 %). Cela traduit moins cependant l’affaiblissement de l’intérêt pour l’histoire de la France, au demeurant bien réel outre-Atlantique149, que le fait que les articles consacrés à d’autres pays que les États-Unis publiés dans la BHR ont toujours pour auteurs des historiens issus du pays étudié écrivant en anglais. Ce qui nous ramène aux compétences linguistiques des historiens français. L’Oxford Handbook of Business History dirigé par Geoffrey Jones et Jonathan Zeitlin150, donne une image à peine plus favorable que la BHR : les travaux français n’y sont largement cités que dans quatre articles (dont les deux dus à des Français) sur les 25 qu’il réunit, quand dans tous les autres, ils ne le sont qu’à dose homéopathique (d’ailleurs souvent en traduction), voire, le plus souvent, pas du tout. Enfin, Franco Amatori et Andrea Colli, tous deux professeurs à l’université Bocconi et habitués à publier en anglais, viennent de faire paraître chez Routledge une histoire des entreprises dans le monde depuis la révolution industrielle151 où toute la bibliographie est en anglais, comme si seuls comptaient les travaux publiés dans cette langue, les résultats des recherches nationales étant repris de seconde main à partir d’ouvrages de synthèse publiés par des éditeurs anglo-saxons.
62Cette situation – qui ne concerne pas que la France – est évidemment navrante mais il faut avoir le courage d’en tirer les conséquences. Si les historiens économistes français veulent réellement compter sur le plan international, ils doivent impérativement publier en anglais. Cela ne signifie pas, bien sûr, qu’il leur faut renoncer à l’usage du français car la recherche forme une part de la culture nationale et on l’appauvrirait à s’exprimer exclusivement en anglais et à perdre le contact avec le public cultivé ; de surcroît, il est indispensable de préserver la diversité des approches historiographiques nationales. Mais, sauf à être complètement absents des débats internationaux et définitivement marginalisés, il est absolument nécessaire de proposer des articles aux grandes revues anglo-saxonnes qui dominent la spécialité. En l’absence d’un office central de traduction que, faute de moyens, le CNRS a renoncé à mettre en place, cette situation exige des équipes de recherche une politique de traduction (et donc des moyens) car rares sont les chercheurs qui maîtrisent suffisamment l’anglais pour pouvoir écrire directement dans cette langue de manière précise et nuancée.
63Il reste que l’ouverture internationale croissante de la recherche, absolument indispensable en ces temps de mondialisation culturelle, ne peut manquer de se traduire par l’approfondissement du clivage qui existe d’ores et déjà au sein de notre communauté entre ceux qui font l’effort de parler et de publier en anglais, de s’insérer dans les réseaux internationaux, d’enseigner et de participer à des colloques à l’étranger, et tous les autres. En 1996, dans Sur la « crise » de l’histoire, Gérard Noiriel signalait déjà le phénomène152 ; quinze ans plus tard, et alors que la politique d’évaluation de l’AERES fait de l’investissement international un indicateur de qualité scientifique, les choses ne se sont pas arrangées. Soyons conscients du péril et ne l’aggravons pas en assimilant maîtrise linguistique, nomadisme et inventivité scientifique. Cependant, on peut espérer que, avec la génération montante où les compétences linguistiques sont beaucoup mieux partagées, le fossé se réduira progressivement. Du reste, afin d’aider les jeunes chercheurs français à franchir la barrière linguistique et, du même coup, à se libérer d’une orientation de la recherche trop exclusivement tournée vers la France, il est indispensable de favoriser les séjours à l’étranger des doctorants et post-doctorants.
Sortir du ghetto académique pour participer au débat public
64Collectivement, les historiens économiques n’ont, aujourd’hui, qu’une très faible capacité à irriguer le débat public. C’est la conséquence à la fois des transformations du champ historique qui font la part belle à d’autres types d’histoire, des choix historiographiques opérés au fil du temps, lesquels expliquent que nous n’ayons pas grand-chose à dire sur les questions macroéconomiques, d’une spécialisation croissante qui fait perdre le sens de la globalité des choses du monde, et de la difficulté à parler des enjeux contemporains qui nous laissent trop souvent sans voix. Il n’y a là, pourtant, aucune fatalité : les spécialistes d’histoire culturelle ou politique savent mieux que nous éclairer les enjeux de notre temps, pour ne rien dire des économistes qui interviennent régulièrement sur les grandes questions que pose l’actualité économique, de la dette souveraine aux inégalités croissantes de revenus en passant par la réforme du système fiscal ou la monnaie unique153.
65Certes, le rôle des historiens économistes n’est pas de critiquer les politiques gouvernementales ou de proposer des mesures concrètes, mais, et c’est bien différent, de rendre visibles les fils qui relient le présent au passé afin d’éclairer les problèmes d’aujourd’hui par l’analyse des débats d’hier et de fournir ainsi « des avertissements plutôt que des réponses »154. C’est que bien des questions que l’actualité propulse sur le devant de la scène ont une longue histoire : la mondialisation, le rôle de la finance, la désindustrialisation, la pauvreté ou la dette, ont déjà fait dans le passé, dans des conditions évidemment différentes, l’objet de débats. Prenons l’exemple de la dette publique. Gérard Béaur en a brillamment retracé l’histoire dans Le Monde en août 2011155, en montrant qu’elle est riche de défauts de paiement, de réformes manquées et de rétablissements spectaculaires, et qu’on peut en tirer quelques enseignements tant sur les causes qui, de manière récurrente, l’ont nourrie que sur les remèdes que les États ont utilisés dans le passé et qui, aujourd’hui, continuent de s’offrir à eux. De manière générale, parce qu’elle met en évidence les jeux de la répétition et du changement, l’approche par la longue durée est riche d’enseignements et constitue pour les historiens une porte d’entrée dans le débat sur les questions d’actualité. Cela devrait permettre d’éviter que nos contemporains ne soient « les consommateurs serviles des reconstructions historiques les plus naïves »156, telles celles que politiques et journalistes nous servent quotidiennement sur l’inflation ou le protectionnisme.
66Toutefois, le rappel des précédents propres à alimenter la réflexion sur le présent ne suffit pas ; il faut encore prendre à bras-le-corps les questions d’aujourd’hui. Or, les historiens économistes français n’ont guère étudié les transformations qui se sont opérées dans les structures et les dynamiques du capitalisme depuis une trentaine d’années. Nous n’avons rien en effet d’équivalent aux travaux de Paul Di Maggio sur la firme du XXIe siècle157, de Geoffrey Jones sur les multinationales et le capitalisme global158, ou de William Lazonick sur la financiarisation de la gestion des entreprises159, si bien que, sur toutes ces questions, nous n’avons pas grand-chose à dire. Cela devrait nous inciter à nous intéresser davantage aux enjeux du présent.
67Il ne s’agit pas, on l’aura compris, de se transformer en bateleurs d’estrade et d’avoir son fauteuil réservé à l’année sur les plateaux de télévision mais, tout simplement, de sortir du ghetto académique pour mettre l’histoire économique au service d’une meilleure compréhension du présent. Soit, pour reprendre les mots de Marc Bloch dans L’Étrange défaite160, ne pas être seulement de « bons ouvriers » mais aussi de « bons citoyens » en articulant recherche scientifique et présence dans la cité.
Notes de bas de page
1 Depuis le « tournant critique », les Annales ne jouent plus le rôle central qu’elles ont eu dans le passé pour l’histoire économique ; en effet, au cours des années 2007-2010, celle-ci n’y a pas représenté plus de 6 % des articles publiés. Sa présence est également très faible dans XXe siècle. Revue d’histoire et dans Le Mouvement social, où elle a pourtant été importante dans le passé. En revanche, et c’est une bonne surprise, même si elle y occupe une place modeste, elle progresse dans la Revue historique. Seules deux revues généralistes, Histoire, économie et société (HES) et la Revue d’histoire moderne et contemporaine (RHMC), lui font une place significative, autour de 29 % en 2007, même si elle s’est un peu amenuisée dans la première au cours de la dernière décennie. En revanche, les revues spécialisées lui font une place significative : Histoire et sociétés rurales lui consacre en gros la moitié de ses livraisons, et Histoire et Mesure a accueilli au cours des dernières années environ un quart d’articles d’histoire économique, que leurs auteurs soient des historiens ou des économistes-historiens. Enfin, Entreprises et Histoire, créée en 1992, lui est évidemment entièrement consacrée mais s’intéresse exclusivement à l’histoire des entreprises et privilégie la période contemporaine.
2 Entre 1998 et 2006, d’après les chiffres fournis par Serge Chassagne, qui présidait alors la 22e section du CNU, l’histoire économique a représenté chaque année seulement de 8 à 14 demandes de qualification aux emplois de maître de conférences (demandes de requalification exclues) en histoire moderne et contemporaine, soit moins de 4 % du total, bien loin derrière l’histoire culturelle, l’histoire politique, et même l’histoire de l’art (exposé devant le conseil scientifique du RTP, 26 juin 2007).
3 Un seul exemple mais significatif : l’Histoire de France, dirigée par Joël Cornette chez Belin, dont les 4 volumes consacrés à la période contemporaine, publiés en 2009 et 2010, ne comportent que 167 pages sur 2591, soit 6,4 %, traitant d’histoire économique et sociale.
4 Communiqué de l’Association française d’économie politique (AFEP) du 5 avril 2011.
5 Selon Cédric Perrin, « De l’histoire économique dans la réforme des lycées », <http://aggiornamento.hypothèses.org/582>, 24 octobre 2011, qui étudie l’impact du programme d’histoire de 2011, le nombre d’heures consacrées à l’histoire économique va passer d’une trentaine à une quinzaine.
6 L’Espagne constitue une exception notable : l’histoire économique est très présente dans les facultés d’économie ainsi que dans celles de gestion, alors que le renouvellement des générations s’est opéré à son détriment dans les facultés d’histoire où elle n’occupe plus qu’une place restreinte dans l’enseignement. La bonne santé de l’Association espagnole des historiens économistes (AEHE) qui compte entre 400 et 500 membres et l’existence de huit revues spécialisées sont autant de manifestations du dynamisme de la discipline (exposé d’Albert Carreras, Universitat Pompeu Fabra, devant le conseil scientifique du RTP, 26 juin 2007).
7 Hudson P., « Economic history », in Berger S., Feldner H., Passmore K. (eds), Writing history, Theory and practice, Londres, Arnold, 2003, p. 233-234.
8 Au Royaume-Uni, les départements d’histoire économique ont été fermés, à l’exception de ceux de la London School of Economics et de l’université de Glasgow, l’histoire économique étant désormais rattachée aux départements d’histoire, cette relocalisation s’accompagnant d’une réduction de l’offre puisque, en 2007, seules 17 universités proposaient un enseignement d’histoire économique contre 22 en 2003 (exposé de Francesca Carnevali, université de Birmingham, devant le conseil scientifique du RTP, 30 octobre 2007).
9 Glénisson J., « L’historiographie française contemporaine : tendances et réalisations », in Comité français des sciences historiques, La recherche historique en France de 1940 à 1965, Paris, Éditions du CNRS, 1965, p. XXV-XXX.
10 Bouvier J., « Histoire économique », in Comité français des sciences historiques, La recherche historique en France depuis 1965, Paris, Éditions du CNRS, 1980, p. 45-48.
11 Vigier Ph., « Histoire sociale », in Comité français des sciences historiques, La recherche historique en France depuis 1965, op. cit. (n. 10), p. 48. Sur l’évolution de l’histoire sociale dans la longue durée, cf. Crossick G., « Qu’est-ce que l’histoire sociale ? », in Michaud Y. (éd.), L’université de tous les savoirs. 3. Qu’est-ce que la société ?, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000, p. 301-309 ; Welskopf T., « L’histoire sociale du XIXe siècle : tendances et perspectives », Le mouvement social, no 200, juillet-septembre 2002, p. 152-162 ; et Jones G. S., « Une autre histoire sociale ? », Annales SHS, no 2, mars-avril 1998, p. 383-394.
12 Toubert P. et Dubois H., in Comité français des sciences historiques, La recherche historique en France depuis 1965, op. cit., (n. 10), p. 12.
13 Labrousse E., « Voies nouvelles vers une histoire de la bourgeoisie occidentale aux XVIIIe et XIXe siècles », Relazioni, vol. IV, Storia moderna, X Congresso internazionale di scienze storiche, Florence, Sansoni, 1955, p. 365-396.
14 C’est ce programme de recherche qui a fait l’objet des travaux et des discussions des colloques de Saint-Cloud de 1965 et 1967 : L’histoire sociale. Sources et méthodes, Paris, PUF, 1967, et Ordres et classes, Paris/La Haye, Mouton, 1973.
15 Chaunu P., « Les dépassements de l’histoire quantitative. Rétrospective et perspective », Mélanges de la Casa Velàzquez, t. 8, 1972, p. 647-685.
16 Vovelle M., « Rapport sur les disciplines historiques », in Godelier M., Les sciences de l’homme et de la société en France. Rapport au ministre de la Recherche et de l’Industrie, Paris, La Documentation française, 1982, p. 257.
17 Léon P., « Histoire économique et Histoire sociale en France. Problèmes et perspectives », in Mélanges en l’honneur de Fernand Braudel, Toulouse, Privat, 1973, t. 2, p. 303-315.
18 Cf. Bautier R.-H., « L’histoire sociale et économique de la France médiévale de l’an Mil à la fin du XVe siècle », in Balard M. (éd.), L’histoire médiévale. Bilan et perspectives, Paris, Seuil, 1991, p. 49, dont le diagnostic rétrospectif peut être étendu à toutes les périodes.
19 L’analyse concerne seulement les périodes moderne et contemporaine car, pour l’Antiquité et le Moyen Âge, il règne une certaine incertitude en ce qui concerne la classification des titres, si bien qu’il est difficile de savoir quel type d’histoire faisaient précisément les historiens de ces périodes.
20 Selon la bibliographie publiée dans La recherche historique en France de 1940 à 1965, l’histoire générale (en fait, pour l’essentiel, politique, institutionnelle et des relations entre États) représentait 34,8 % des titres, l’histoire religieuse : 15,1 %, l’histoire de la culture : 30,9 %, et l’histoire du droit : 3,7 %.
21 La recherche historique en France depuis 1965, op. cit. (n. 10), p. 124-142.
22 Pour la seule période contemporaine (176 thèses soutenues), la répartition était la suivante : histoire politique : 10,8 %, histoire militaire : 4 %, histoire religieuse : 17,6 %, histoire des relations internationales : 10,2 %, histoire de la culture et histoire de l’art : 38,6 %, histoire sociale : 13,6 %, et histoire économique : 5,1 %. Je ne retiens que par commodité ces catégorisations car, d’une part, elles n’ont été adoptées que pour la seule histoire de France et non pour les autres pays recensés, et de l’autre, elles ont quelque chose d’arbitraire : la thèse de William Serman sur les officiers français est classée sous la rubrique « histoire militaire » alors qu’elle relève tout autant, sinon davantage, de l’histoire sociale, quand celle de Jacques Thobie sur les intérêts français dans l’Empire ottoman est reléguée dans la rubrique « histoire des relations internationales » alors qu’elle pourrait tout aussi légitimement être rangée dans la rubrique « histoire économique ».
23 Duroselle J.-B., « Les thèses d’histoire contemporaine. Aires cultivées et zones en friche », Revue d’histoire moderne et contemporaine, janvier-mars 1967, p. 71-77.
24 Dosse F., L’histoire en miettes. Des « Annales » à la « nouvelle histoire », Paris, La Découverte, 1987, p. 45-47.
25 La part de l’histoire économique est cependant en repli par rapport aux années 1929-1945 où elle s’élevait à 57,8 % mais il est vrai que, pour Bloch et Febvre, il s’agissait d’abord de rattraper un énorme retard.
26 Notons néanmoins que la Revue historique a fait une place croissante à l’histoire économique : de 17,7 % des articles publiés entre 1946 et 1956, sa part est passée à 22,2 % dans les années 1957-1969 pour finalement atteindre 25,7 % pour les années 1969-1976.
27 Crouzet F., Lescent-Gilles I., « French economic history in the past 20 years », NEHA Bulletin voor de economische geschiedents, no 12, 1998, p. 75-101.
28 Rougerie P., « Faut-il départementaliser l’histoire de France ? », Annales ESC, no 1, 1966, p. 181-182.
29 Labrousse E., Préface à Dupeux G., Aspects de l’histoire sociale et politique du Loir-et-Cher, 1848-1914, Paris, Imprimerie nationale, 1962, p. XI. C’est en ces termes qu’il y décrivait la démarche de Dupeux : « Une histoire sociale bien assise sur des bases économiques. Une histoire politique tout éclairée d’histoire sociale. Economie – groupes sociaux – idéologies (…) », op. cit., p. I.
30 Revel J., « Histoire et sciences sociales : les paradigmes des Annales », Annales AESC, no 6, 1979, p. 1366.
31 Hobsbawm E., Marx et l’histoire. Textes inédits, Paris, Éditions Demopolis, 2008, p. 42-47. On trouve l’expression de cette vulgate jusque dans les réflexions théoriques d’un Pierre Vilar, pourtant réputé bon connaisseur de Marx, qui se livre à une critique incroyablement scolaire d’Althusser, et énonce des principes, selon lui essentiels au marxisme, qui laissent songeur. Cf. son article « Histoire marxiste, histoire en construction », in Le Goff J., Nora P. (éds), Faire de l’histoire, t. 1, Nouveaux problèmes, Paris, Gallimard, 1974, p. 231-284.
32 Deux exemples parmi beaucoup d’autres : Vigreux M., Paysans et notables du Morvan au XIXe siècle, Château-Chinon, Académie du Morvan, 1998 (thèse soutenue en 1985) ; et Lévêque P., Une société provinciale : la Bourgogne sous la Monarchie de Juillet, Paris, Éditions de l’EHESS, 1983.
33 Chaunu P., « Conjoncture, structures, systèmes de civilisations », in Braudel F. (éd.), Conjoncture économique, structures sociales. Hommage à Ernest Labrousse, Paris/La Haye, Mouton, 1974, p. 21.
34 Burguière A., L’École des Annales. Une histoire intellectuelle, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 133.
35 Charle C, « Entretiens avec Ernest Labrousse », Actes de la recherche en sciences sociales, no 32-33, avril-juin 1980, p. 115. La citation est bien sûr de Labrousse.
36 Bouvier J., « L’histoire économique : une discipline dans les marges », in L’histoire en France, Paris, La Découverte, 1990, p. 71.
37 Agulhon M., « Ernest Labrousse, historien social (XIXe siècle) », Annales historiques de la Révolution française, no 276, 1989, p. 129.
38 Borghetti M. N., L’œuvre d’Ernest Labrousse. Genèse d’un modèle d’histoire économique, Paris, Éditions de l’EHESS, 2005, p. 52.
39 Bouvier J., « L’appareil conceptuel dans l’histoire économique contemporaine », Revue économique, vol. 16, no 1, janvier 1965, p. 5.
40 Lequin Y., « Histoire sociale », in Burguière A. (éd.), Dictionnaire des sciences historiques, Paris, PUF, 1986, p. 636.
41 Caron F., « Introduction générale. De Saint-Cloud à Ulm », in Charle C. (éd.), Histoire sociale, histoire globale ?, Actes du colloque des 27-28 janvier 1989, Paris, Éditions de la MSH, 1993, p. 17.
42 Glénisson J., op. cit. (n. 9), p. XXVI.
43 Duby G., L’histoire continue, Paris, Éditions Odile Jacob, 1991 ; Le Goff J., Une vie pour l’histoire, Paris, La Découverte, 1996.
44 Duby G., « Le Moyen Âge », in Aujourd’hui l’histoire, Paris, Éditions sociales, coll. Enquête de la Nouvelle Critique, 1974, p. 202.
45 Duby G., L’Économie rurale et la vie des campagnes (France, Angleterre, Empire, IXe -XVe siècles), Paris, Aubier, 1962, 2 vol.
46 Burke P., Una revoluzione storiagraphica, La scuola delle « Annales » 1929-1989, Rome/Bari, Editori Laterza, 1999, p. 62. (1ère édition anglaise, 1990). Seules les thèses sur le négoce de Richard Gascon (Grand commerce et vie urbaine au XVIe siècle. Lyon et ses marchands, Paris/La Haye, Mouton, 1971), Charles Carrière (Négociants marseillais au XVIIIe siècle. Contribution à l’étude des économies maritimes, Institut historique de Provence, 1973) et Paul Butel (Négociants bordelais au XVIIIe siècle. Bordeaux et les Iles, Paris, Aubier, 1974) ont échappé à ce « modèle » en privilégiant l’histoire économique.
47 Notons cependant qu’une minorité de thèses, sans renoncer pour autant à l’ambition de la totalité, ont choisi l’échelle nationale parce qu’elles visaient à faire l’histoire d’un groupe social, à l’instar de celles de André-Jean Tudesq, Les Grands Notables en France (1840-1849), parue en 1964 aux PUF, et de Michelle Perrot, Les Ouvriers en grève, France (1871-1890), publiée en 1974 chez Mouton.
48 Burguière A., op. cit. (n. 34), p. 133-177.
49 Agulhon M., op. cit. (n. 37), p. 130-131.
50 Grenier J.-Y., Lepetit B., « L’expérience historique. À propos de C.-E. Labrousse », Annales ESC, no 6, novembre-décembre 1989, p. 1337-1360. Pour une présentation canonique de la pensée et de l’œuvre de Labrousse, cf. Perrot M., Daumard A., Caron F., Présence d’Ernest Labrousse, Talence, Association des historiens contemporanéistes, 1989, et en particulier Caron F., « Ernest Labrousse et l’Histoire économique », qui a fait l’objet d’une publication séparée dans Histoire, économie et sociétés, 1990, no 3, p. 423-440.
51 Pour la seule France du XIXe siècle, on peut dénombrer 35 thèses d’inspiration labroussienne, lato sensu, dont la moitié parues après 1975. Cf. la liste dans Aprile S., Histoire de France. La révolution inachevée, 1815-1870, Paris, Belin, 2010, p. 539-540.
52 Sur les rapports entre histoire sociale et histoire des mentalités, voir Hulak F., « En avons-nous fini avec l’histoire des mentalités ? », Philonsorbonne, no 2, 2007-08, p. 89-169.
53 Aymard M., « Prix », in Le Goff J., Chartier R. et Revel J. (éds), La nouvelle histoire, Paris, Retz, 1978, p. 474-475. Notons que cette tendance faisait écho à une préoccupation exprimée dès 1957 par René Baehrel qui mettait en garde contre « la fausse sécurité des prix » et demandait aux historiens d’étudier d’abord « l’économie réelle », in « Économie et histoire. À propos des prix », Mélanges Lucien Febvre, Milan, Istituto editoriale cisalpino, 1957, t. I, p. 309.
54 Le Roy Ladurie E., Les fluctuations du produit de la dîme : conjoncture décimale et domaniale de la fin du Moyen Âge au XVIIIe siècle, Paris/La Haye, Mouton, 1972 ; Goy J., Le Roy Ladurie E., Prestations paysannes, dîmes, rente foncière et mouvement de la production agricole à l’époque préindustrielle, Paris/La Haye, Mouton, 1982. Cette enquête était le résultat d’une coopération entre l’Association française des historiens économistes (AFHE), l’EHESS et le CNRS.
55 Dans leur majorité, les historiens de l’économie étaient hostiles à ce projet auquel ils reprochaient l’inadaptation des sources utilisées, une analyse des documents insuffisamment respectueuse des règles de la méthode historique, l’utilisation anachronique des concepts et des cadres de la comptabilité nationale et le découpage mécanique de la croissance économique en tranches de dix ans. La critique la plus argumentée du travail de Toutain sur « Le produit de l’agriculture française de 1700 à 1958 » (Cahiers de l’ISMEA, juillet 1961, AF 1 et 2), très représentatif des recherches de cette école, est l’oeuvre d’Emmanuel Le Roy Ladurie dans « Les comptes fantastiques de Gregory King », Annales ESC, 1968, no 5, p. 1086-1102. À l’histoire quantitative de l’équipe de l’ISMEA, les historiens français opposaient l’histoire sérielle. Cf. Chaunu P., « Histoire quantitative ou histoire sérielle », Cahiers Vilfredo Pareto, 1964, no 3, p. 165-176 ; Vilar P., « Pour une meilleure compréhension entre économistes et historiens : ‘histoire quantitative’ ou économie rétrospective », Revue historique, avril 1965, p. 293-312, repris dans : Une histoire en construction, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1982, p. 295-313 ; Le Roy Ladurie E., « Les comptes fantastiques de Grégory King », op. cit. Prenant ses distances avec les controverses des années 1960, Jean-Charles Asselain propose une évaluation très favorable des résultats de ce programme de recherche dans « Le projet français d’histoire économique quantitative : ambitions et résultats », Économies et Sociétés, avril 2007, no 36.
56 Lévy-Leboyer M., « La croissance économique française au XIXe siècle. Résultats préliminaires », Annales ESC, no 4, juillet-août 1968, p. 788-807.
57 Crouzet F., « Essai de construction d’un indice annuel de la production industrielle française au XIXe siècle », Annales ESC, no 1, janvier-février 1970, p. 56-99.
58 Fohlen C., L’industrie textile au temps du Second Empire, Paris, Plon, 1956 ; Lévy-Leboyer M., Les banques européennes et l’industrialisation internationale dans la première moitié du XIXe siècle, Paris, PUF, 1964 ; Vial J., L’industrialisation de la sidérurgie française, 1814-1864, Paris/La Haye, Mouton, 1967 ; Gillet M., Les charbonnages du Nord de la France au XIXe siècle, Paris/La Haye, Mouton, 1973 ; Fierain J., Les raffineries de sucre des ports de France (XIXe -début du XXe siècles), Atelier de reproduction des thèses, Lille III, 1976.
59 Fohlen C., Une affaire de famille au XIXe siècle : Méquillet-Noblot, Paris, Cahiers de la FNSP, 1955 ; Gille B., Histoire de la maison Rothschild, Genève, Droz, t. 1, 1965 et t. 2, 1967 ; Guillaume P., La Compagnie des Mines de la Loire (1846-1854). Essai sur l’apparition de la grande industrie capitaliste en France, Paris, PUF, 1966 ; Bouvier J., Le Crédit lyonnais de 1863 à 1882. Les années de formation d’une banque de dépôts, Paris, SEVPEN, 1961 ; Chassagne S., La Manufacture de Tournemine-lès-Angers (1752-1820), étude d’une entreprise et d’une industrie au XVIIIe siècle, Paris, C. Klincksieck, 1971 ; Fridenson P., Histoire des usines Renault. Naissance de la grande entreprise, 1898-1939, Paris, Seuil, 1972 ; Caron F., Histoire de l’exploitation d’un grand réseau : la Compagnie des chemins de fer du Nord, 1847-1937, Paris/La Haye, Mouton, 1973.
60 Tipton F. B., Histoire économique, Paris, Éditions Mentha, 1992, p. 52-59, et Matias P., Living with the Neighbours. The Role of Economic History. An Inaugural Lecture, Oxford, Oxford University Press, 1971.
61 Bouvier J., « L’histoire économique : une discipline dans les marges », in L’histoire en France, Paris, La Découverte, 1990, p. 72.
62 Lévy-Leboyer M., « La ‘New Economic’ History », Annales ESC, no 5, 1969, p. 1035-1069.
63 Andreano R., La Nouvelle histoire économique, Paris, Gallimard, 1977.
64 Crouzet F., « Cliométrie et Révolution industrielle », Histoire, économie et société, 1983, vol. 2, no 4, p. 607-624.
65 Vilar P., « Pour une meilleure compréhension… », op. cit. (n. 55) ; Chaunu P., « Histoire sérielle, bilan et perspectives », Revue roumaine d’histoire, 1970, no 3, p. 459-489 ; Furet F., « L’histoire quantitative et la construction des faits historiques », Annales ESC, XXVI, 1971, no 1, p. 63-75, repris dans L’Atelier de l’histoire, Paris, Flammarion, coll. Champs, p. 53-72 ; Bouvier J., « L’appareil conceptuel… », op. cit. (n. 39).
66 Lévy-Leboyer M. et Bourguignon F., L’économie française au XIXe siècle. Analyse macro-économique, Paris, Economica, 1985.
67 Heffer J., Le port de New York et le commerce extérieur américain (1860-1900), Paris, Publications de la Sorbonne, 1986.
68 Une exception : les excellents comptes rendus que Patrick Verley leur a consacrés dans les Annales.
69 Bairoch P., Etemad B., « La littérature périodique d’histoire économique contemporaine », Annales, ESC, mars-avril 1987, no 2, p. 369-401.
70 Léon P. (éd.), Histoire économique et sociale du monde, 4 vol., Paris, Colin, 1970-1978.
71 Duby G. (éd.), Histoire de la France rurale, 4 vol., Paris, Le Seuil, 1975-1976.
72 Braudel F., Labrousse E. (éds), Histoire économique et sociale de la France, 5 vol., Paris, PUF, 1970-1982.
73 Dosse F., op. cit. (n. 24), p. 47.
74 C’est le cas, par exemple, de Serge Chassagne qui, dans Le coton et ses patrons. France, 1760-1840, Paris, EHESS, 1991 (thèse soutenue en 1986), propose une socio-anthropologie du monde du coton en étudiant les origines, la formation, la culture et les comportements tant des ouvriers que des patrons.
75 En 1988, Jacques le Goff publie sous le titre La Nouvelle histoire (Paris, Editions Complexe, 1988) une sélection de « dix articles essentiels » parus dix ans plus tôt dans l’encyclopédie de La Nouvelle histoire qu’il avait dirigée avec Roger Chartier et Jacques Revel (Paris, CPEL, 1978). Aucun de ces essais ne concerne l’histoire économique, celle-ci étant déjà reléguée dans l’édition originale dans les notices consacrées aux « termes » (conjoncture, crise, croissance, économétrie, histoire économique, histoire quantitative, prix, etc.) qui ont disparu de la seconde édition, plus restreinte et plus militante.
76 Boutier J., « Histoire moderne : la fin d’une utopie ? », in L’histoire en France, Paris, La Découverte, 1990, p. 63. Même diagnostic de Michel Balard en 1992 pour la seule histoire médiévale : « l’histoire économique, la grande délaissée des deux dernières décennies », in Balard M. (éd.), Bibliographie de l’histoire médiévale en France (1965-1990), Paris, Publications de la Sorbonne, 1992, p. I.
77 Le Goff J., « Les ‘retours’ dans l’historiographie française actuelle », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, no 22, 1999 ; Delacroix C., « La falaise et le rivage. Histoire du ‘ tournant critique’ », EspacesTemps, no 59-60-61, 1995, p. 86-111 ; Delacroix C., Dosse F., Garcia P., Les courants historiques en France, 19e-20e siècle, Paris, A. Colin, 1999, p. 241-253.
78 Boltanski L., Chiapello E., Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999 ; Anderson P., La Pensée tiède. Un regard critique sur la culture française, Paris, Seuil, 2005 ; Cusset F., La décennie : le grand cauchemar des années 1980, Paris, La Découverte, 2006 ; Eribon D., D’une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française, Paris, Éditions Léo Scheer, 2007 ; Denord F., Néolibéralisme version française. Histoire d’une idéologie politique, Paris, Demopolis, 2007 ; Pinto L., Le collectif et l’individuel, Paris, Éditions Raisons d’agir, 2009.
79 Rosanvallon P., La nouvelle question sociale, Paris, Seuil, 1995, p. 209.
80 Desrosières A., « Les nomenclatures des professions et emplois », in Affichard J. (éd.), Pour une histoire de la statistique, Paris, INSEE/Economica, vol. 2, 1987, p. 35-56.
81 Foucault M., Les Mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, et L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969.
82 Scott J. W., Gender and the Politics of History, New York, Columbia Press, 1988.
83 « Histoire et sciences sociales. Un tournant critique ? », Annales ESC, 1988, no 2, p. 291-293, et « Tentons l’expérience », Annales ESC, 1989, no 6, p. 1317-1323.
84 Lepetit B. (éd.), Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995, et « La société comme un tout : sur trois formes d’analyse de la totalité sociale », Cahiers du Centre de recherches historiques, no 22, 1999. Voir aussi le no 15, 2008, de la revue Tracés consacré aux pragmatismes, notamment les articles de Thierry Dutour, « La fécondité d’un tournant critique. Malentendus anciens et tendances récentes dans les usages croisés de l’histoire et de la sociologie en France », p. 67-84, et Cerutti S., « Histoire pragmatique, ou de la rencontre entre histoire sociale et histoire culturelle », p. 147-168.
85 Poirrier P., Les enjeux de l’histoire culturelle, Paris, Éditions du Seuil, coll. Points, 2004 ; Mariot N., Olivera P., « Histoire culturelle en France », in Delacroix C., Dosse F., Garcia P. Offenstadt N. (éds), Historiographies, concepts et débats, t. 1, Paris, Gallimard, coll. Folio Histoire, 2010, p. 184-194.
86 Un exemple : bien que ce type de comptage ait toujours quelque chose d’arbitraire, dans les deux volumes de Historiographies, dirigés par Christain Delacroix et alii, op. cit. (n. 85), le quart des notices est consacré à l’histoire culturelle, quant seulement 6 % concernent l’histoire économique.
87 Sirinelli J.-F., « Quelle identité pour l’histoire culturelle ? », in Cohen E., Goetschel P., Martin L., Ory P. (éds), Dix ans d’histoire culturelle, Villeurbanne, Presses de l’ENSSIB, 2011, p. 22.
88 Charle C. (éd.), Histoire sociale, histoire globale ?, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1993. Il s’agit des actes d’un colloque qui s’est réuni en janvier 1989.
89 Bouvier J., « Histoire économique », op. cit. (n. 10), p. 45-48.
90 Sur les publications des comités d’histoire, voir dans ce volume la communication d’Alain Chatriot et Claire Lemercier.
91 Andreano R., La Nouvelle histoire économique, op. cit. (n. 63), p. 171-233 ; North D. C., Thomas R. P., The Rise of the Western World. A New Economic History, New York, Cambridege University Press, 1973.
92 Fridenson P., « Un nouvel objet : les organisations », Annales ESC, no 6, novembre-décembre 1989, p. 1461-1477.
93 Kirat T., Économie du droit, Paris, La Découverte, 1999 ; Stanziani A., Dictionnaire historique de l’économie-droit, XVIIIe-XXe siècles, Paris, LGDJ, 2007.
94 « L’Économie des conventions », Revue économique, vol. 40, no 2, 1989 ; Orléan A., Analyse économique des conventions, Paris, PUF, 1993 ; Favereau O., « Organisation et marché », Revue française d’économie, vol. 4, no 1, 1989, p. 65-96 ; Salais R., Storper M., Les Mondes de production. Enquête sur l’identité économique de la France, Paris, EHESS, 1993.
95 Smelser N., Swedberg R. (eds), The Handbook of Economic Sociology, Princeton, Princeton University Press, 1994 ; Trigilia C., Sociologie économique, Paris, Colin, 2002 ; Granovetter M., Sociologie économique, Paris, Seuil, 2008 ; Mangematin V., Thuderoz C. (éds), Des mondes de confiance. Un concept à l’épreuve de la réalité sociale, Paris, CNRS Éditions, 2003.
96 On trouvera des éléments de bilan de l’historiographie française dans les rapports successifs du Comité français des sciences historiques. Cf. notamment Plessis A., « L’histoire économique », in Bédarida F., L’histoire et le métier d’historien en France 1945-1995, Paris, Éditions de la MSH, 1995, p. 271-280. Voir aussi pour la période récente, Barjot D. (éd.), « Où va l’histoire économique », Historiens et géographes, no 378, mai 2002 et no 380, octobre 2002, en particulier les articles de Jean Andreau et Raymond Descat pour l’Antiquité, Mathieu Arnoux pour le Moyen Âge, Philippe Minard pour l’époque moderne, Dominique Barjot et Patrick Fridenson pour la période contemporaine, et Gérard Béaur pour l’histoire rurale ; Barciela C., Chastagnaret G. et Escudero A. (éds), La historia economica en Francia y España, Publicaciones de la Universidad de Alicante et Casa de Velasquez, 2006 ; Barjot D. (éd.), « Où va l’histoire des entreprises ? », Revue économique, vol. 58, no 1, janvier 2007 ; Daumas J.-C., « Redynamiser l’histoire économique en France », Entreprises et Histoire, no 52, septembre 2008, p. 7-17 ; Arnoux M., « Production, consommation, échange », in Sirinelli J.- F., Cauchy P., Gauvard C. (éds), Les historiens français à l’œuvre, 1995-2010, Paris, PUF, p. 301-317. Devant l’impossibilité de dresser pour la période 1985-2010 une liste exhaustive des travaux – trop nombreux – auxquels renvoient les pages qui suivent, j’ai pris le parti de ne citer personne et de renvoyer pour le détail des références bibliographiques aux articles qui suivent, et notamment à celui de Mathieu Arnoux.
97 Les signes de faiblesse ne manquent pas : médiocrité des effectifs (environ 200 membres), absence de bulletin et de revue, et espacement de ses congrès (trois ans et bientôt quatre) dont les travaux ont une faible visibilité.
98 Je cite Revel J. : « Le pari de l’analyse micro-sociale – et son choix expérimental, si l’on veut – c’est que l’expérience la plus élémentaire, celle du groupe restreint, voire de l’individu, est la plus éclairante parce qu’elle est la plus complexe et parce qu’elle s’inscrit dans le plus grand nombre de contextes différents », « Micro-analyse et construction du social », in du même (éd.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Hautes Études/Gallimard/Le Seuil, 1996, p. 30.
99 Crouzet F., Histoire de l’économie européenne 1000-2000, Paris, Albin Michel, 2000, et La guerre économique franco-anglaise au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2008.
100 Levi G., « Crisis y resignificación de la microstoria », Protohistoria, no 3, 1999, p. 197. Cf. aussi dans le même sens l’interview à la revue mexicaine Contrahistorias, no 1, 2003, p. 95-100.
101 Charle C., « Histoire sociale et sociologie : un itinéraire », Bulletin de la SHMC, no 3-4, 1999, supplément au no 46 de la RHMC, p. 15.
102 Revel J., op. cit. (n. 98), p. 26.
103 Fabiani J.-L., « La généralisation dans les sciences historiques. Obstacle épistémologique ou ambition légitime ? », Annales HSS, no 1, janvier-février 2007, p. 13 et 28.
104 Pestre D., « La politique des sciences studies », La Revue des Livres, no 1, septembre-octobre 2011, p. 58-61.
105 Heffer J., « L’histoire économique : une révolution qui a réussi », in Heffer J. et Weil P. (éds), Chantiers d’histoire américaine, Paris, Belin, 1994, p. 153 et 181-182 ; Grohmann A., « Vecchie et nuove sensibilità nella storiografica italiana : le tematiche », in Ammannati F., Dove va la storia economica ? Metodi e prospettive, secc. XIII-XVIII, Actes de la XLIIe Settimana di Studi, Prato, 18-22 avril 2010, Florence, Firenze University Press, 2011, p. 35-36 ; Malamina P., « Storia economica e teoria economica », in Ammanneti F., op. cit., p. 427 ; et, dans ce volume, la communication de Marco Belfanti, « L’histoire économique en Italie ».
106 Cipolla C. M., Tra le due culture. Introduzione alla storia economica, Bologne, Il Mulino, 1988, p. 20-22 ; et Goodrich C., « Economic History : One Field o Two ? », The journal of Economic History, vol. 20, no 4, 1960, p. 531-538.
107 Baten J., Muschallik J., « On the Status and the Future of Economic history in the World », Working paper, université de Tübingen, 2011.
108 Marchal A., « Économistes et historiens », Revue économique, no 1, 1950, p. 5-36 ; une tentative de bilan dans Christain Morisson, « L’économie historique dans la Revue économique. Du programme à la réalisation », Revue économique, no 5, 2000, p. 1059-1077.
109 Chastagnaret G., « De la perspective historique aux enjeux du présent », in Barciela C. et alii, op. cit. (n. 96), p. 411.
110 Une brillante exception : Fontaine L., L’Économie morale. Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe préindustrielle, Paris, Gallimard, 2008, qui, du reste, en réfute les hypothèses.
111 Valensi L., « Anthropologie économique et Histoire : L’œuvre de Karl Polanyi », Annales ESC, no 6, 1974, p. 1311.
112 Cependant, on peut se demander si la référence à Polanyi ne manque pas sa cible, au moins en partie, dans la mesure où de plus en plus d’économistes reconnaissent l’importance du contexte et des institutions. Cf. Dufy C., Weber F., L’ethnographie économique, Paris, La Découverte, 2007, p. 12.
113 Et même plus lointain puisque c’est en 1938 que Marc Bloch a créé à la Sorbonne l’Institut d’histoire économique et sociale que Labrousse a dirigé après la guerre, lequel Institut s’inscrivait dans le droit fil de la revue des Annales d’histoire économique et sociale fondée en 1929.
114 Lemercier C., « Analyse de réseaux et histoire », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 2, 2005, p. 88-112.
115 Rosental P.-A., « La rue mode d’emploi. Les univers sociaux d’une rue industrielle », Enquête, 1996, no 4, p. 123-143.
116 Béaur G., « Les catégories sociales à la campagne : repenser un instrument d’analyse », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 106, no 1, 1999, p. 173-176.
117 Chauvel L., « Le retour des classes sociales ? », Revue de l’OFCE, no 79, octobre 2001, p. 315-359 ; Bouffartigue P. (éd.), Le retour des classes sociales, Paris, La Dispute, 2004 ; Pfefferkorn R., Inégalités et rapports sociaux. Rapports de classe et rapports de sexe, Paris, La Dispute, 2007. Notons une particularité du débat français soulignée par Louis Chauvel : les CSP « permettent de parler de classes sociales sans jamais en prononcer le mot », Ibid, p. 322.
118 Beau A. S., Un siècle d’emplois précaires : patron-ne-s et salarié-e-s, XIXe-XXe siècle, Paris, Payot, 2004 ; Montagnon F., Construire le stable et l’instable. La gestion du personnel d’exécution des transports publics urbains lyonnais, 1894-1948, Thèse, université de Lyon 2, 2009.
119 Bruno A.-S., Zalc C., Petites entreprises et petits entrepreneurs étrangers en France : XIXe-XXe siècles, Paris, Publibook, 2006.
120 « L’outillage mental des acteurs de l’économie », Réalités industrielles/Annales des Mines, février 2009, notamment l’introduction de Daumas J.-C., Gayot G., Minard Ph. et Terrier D., p. 5-6.
121 Guerreau A., L’Avenir d’un passé incertain. Quelle histoire du Moyen Age au XXIe siècle ?, Paris, Éditions du Seuil, 2001, p. 115-129. Toutefois, la désaffection pour le quantitativisme n’a pas seulement des causes internes ; elle tient aussi à la réorientation de la recherche au profit des acteurs, du changement et des représentations. Cf. Béaur G., « Âge critique ou âge de raison ? Les dix ans d’Histoire & Mesure », Histoire et Mesure, 1996, vol. XI, no 1/2, p. 7-17.
122 Thomas M., « Economic History and Mathematical-Statistical Sciences », in Ammannati F., op. cit. (n. 105), p. 429-452, et Daudin G., « Quantitative Methods and Economic History », ibid, p. 453-472.
123 Parmi les réalisations de ce courant, on citera le projet D-FIH (Données financières historiques) porté par Pierre-Cyril Hautcoeur, dont l’objectif est de construire une base de données exhaustive sur les titres cotés en France depuis 1800 qui permettra une comparaison avec les données américaines, les seules disponibles aujourd’hui (CRSP de Chicago), et l’étude de questions peu traitées jusqu’ici comme le rôle des bourses régionales, les interactions entre les marchés, les choix de cotation des investisseurs, etc.
124 Cf. Heyberger L., L’histoire anthropométrique, Bruxelles, Peter Lang, 2011.
125 Grenier J.-Y., « Réflexions libres sur l’usage des méthodes statistiques en histoire », Histoire & Mesure, vol. VI, no 1/2, 1991, p. 177-187, et « L’histoire quantitative est-elle encore nécessaire ? », in Boutier J. et Julia D. (éds), Passés recomposés. Champs et chantiers de l’histoire, Paris, Autrement, 1995, p. 173-183, ainsi que la conclusion de Jean-Charles Asselain dans « Le projet français… », op. cit. (n. 55). Voir aussi Lemercier C. et Zalc C., Méthodes quantitatives pour l’historien, Paris, La Découverte, 2008 ; très didactique, ce petit livre qui fait intelligemment la pédagogie du chiffre et de la mesure, est cependant centré sur l’application des méthodes quantitatives à l’histoire sociale.
126 Hautcoeur P.-C., « Entre micro et macro, quelle place pour le quantitatif en histoire économique ? » Historiens et géographes, no 380, 2002, p. 139-146.
127 Guerreau A., op. cit. (n. 121), p. 130.
128 Tilly C., Strikes in France, 1830-1968, Cambridge, Cambridge University Press, 1974.
129 Tilly C., « Quantification in History as seen from France », in Lorwin V. et Price J. (eds), The Dimensions of the Past : Materials, Problems and opportunities for Quantificative Work in History, New Haven, Yale University Press, 1972, p. 93-125. S’appuyant sur Tilly, Robert Forster enfonce le clou dans « Achievements of the Annales School », The Journal of Economic History, vol. XXXVIII, no 1, mars 1978, p. 70-71.
130 Les rapports du Comité français des sciences historiques ont, l’un après l’autre, souligné cette orientation gallo-centrique qui n’est donc pas nouvelle. Sur les conditions et les conséquences de ce repli sur le périmètre national qui ne concerne d’ailleurs pas seulement l’histoire économique, cf. l’introduction de Caroline Douki et Philippe Minard au numéro de la Revue d’histoire moderne et contemporaine, « Histoire globale, histoires connectées : un changement d’échelle historiographique ? », vol. 54, no 4 bis, 2007, p. 13-17 ; voir aussi Coquery-Vidrovitch C., « Plaidoyer pour l’histoire du monde dans l’université française », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 61, janvier-mars 1999, p. 111-125. Le propos, forcément schématique, mériterait d’être nuancé pour tenir compte de la diversité des domaines d’étude et du rôle de passeurs de certains chercheurs.
131 Globalement, toutes spécialisations et périodes confondues, un quart seulement des historiens français travaille sur d’autres pays quand c’est le cas de la majorité aux États-Unis et de prés de la moitié au Royaume-Uni.
132 RHMC, vol. 54, no 4 bis, décembre 2007, op. cit. (n. 130) ; Beaugeard P., Berger L. et Norel P., « Prologue. Par-delà l’européocentrisme : les mondialisations et le capitalisme au prisme de l’histoire globale », in les mêmes (éds), Histoire globale, mondialisations et capitalisme, Paris, La Découverte, 2009, p. 7-61 ; « Écrire l’histoire du monde », Le Débat, no 154, mars-avril 2009, p. 14-40 ; Pétré-Grenouilleau O., « Les historiens français et les mondialisations », in Sirinelli J.-F. et alii, Les historiens français à l’œuvre…, op. cit. (n. 96), p. 287-300.
133 Pomeranz K., Une grande divergence. La Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale, Paris, Albin Michel, 2009.
134 Pomeranz K., La Force de l’Empire. Révolution industrielle et écologie ou pourquoi l’Angleterre a fait mieux que la Chine, Paris, Ere, 2009. Voir l’introduction de Philippe Minard, « Du charbon et des plantations », p. 7-26. Signalons néanmoins que Julien Vincent a brièvement présenté les thèses de Pomeranz dans « Industrialisation et libéralisme au XIXe siècle : nouvelles approches de l’histoire économique britannique », Revue d’histoire du XIXe siècle, no 37, 2008, p. 87-110.
135 Le lecteur trouvera dans la seconde partie de cet ouvrage la communication de Kenneth Pomeranz au colloque de Lyon ainsi que celle de Peer Vries qui discute la démarche et les conclusions de Une grande divergence.
136 Citons, par exemple, les recherches d’Olivier Raveux sur l’installation de marchands et fabricants d’indiennes arméniens à Marseille à la fin du XVIIe siècle qui éclairent la circulation des techniques et des techniciens entre Asie et Europe et la participation de l’Asie aux prémisses de l’industrialisation européenne. Cf. « L’Orient et l’aurore de l’industrialisation occidentale : une lecture à travers la trajectoire de Dominique Ellia, indienneur constantinopolitain à Marseille (1669-1683) », in Maitte C., Minard Ph., Oliveira M. de (éds), La pluralité des mondes industriels (XVIIe -XXe siècles). Faire de l’histoire avec Gérard Gayot, Rennes, PUR, 2012.
137 GDRE animé par Annie Antoine et Gérard Béaur.
138 Kipping M., Tiratsoo N. (eds), Americanization, Cultural Transfers in the Economic Sphere in the Twentieth-Cenntury, Lille, CRHENO, 2002 ; Barjot D., Lescent-Gilles I. De Ferriere le Vayer M. (éds), L’Américanisation en Europe au XXe siècle : Economie, Culture, Politique, Lille, CRHENO, 2002.
139 Cassis Y., « Les grandes entreprises européennes au 20e siècle », Vingtième siècle, no 52, octobre-décembre 1996, p. 102-113, et « Grand patronat et performances économiques : l’Allemagne, l’Angleterre et la France au XXe siècle », Histoire, économie et société, no 1, 1998, p. 139-156. Voir aussi Cassis Y., Brautaset C., « The Performance of European Business in Twentieth-Century : A Pilot Study », Business and Economic History On-Line, vol. 1, 2003.
140 Halphen L., L’Histoire en France depuis cent ans, Paris, Colin, 1914.
141 Bourdieu P., « La cause de la science. Comment l’histoire sociale des sciences sociales peut servir le progrès de ces sciences », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 106-107, mars 1995, p. 3. Cette question est développée plus largement dans Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d’agir Éditions, 2001.
142 Muchielli L., « Aux origines de la nouvelle histoire », in Muchielli L Mythes et histoire des sciences humaines, Paris, La Découverte, 2004, p. 93-128, et Evans R. J., « Cite ourselves », London Review of Books, vol. 31, no 23, décembre 2009, p. 12-14, où il fait une critique sévère du livre de Burguière sur l’école des Annales.
143 Un exemple : les pré-rapports et les rapports de soutenance des thèses inscrites à la Faculté des Lettres de Paris puis à Paris IV de 1881 à 1992 sont conservés aux Archives nationales, pour partie au CARAN (AN, AJ16 7109) et pour partie au CAC à Fontainebleau (AN, 19930389/1 à 88). C’est évidemment une source essentielle pour étudier aussi bien le fonctionnement des structures universitaires et l’évolution des usages et des sociabilités académiques que les réseaux intellectuels et le renouvellement des problématiques scientifiques. Signalons aussi que l’AFHE a décidé de réunir ses archives et de les confier aux archives de l’EHESS et, à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa fondation, de procéder au recueil du témoignage de ses anciens présidents.
144 Bourdieu P., « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », Cahiers d’histoire des littératures romanes, no 1-2, 1990, p. 1-10.
145 Un bon exemple : l’influence que la remise en cause des schémas traditionnels d’analyse de l’industrialisation dans le monde méditerranéen par des chercheurs espagnols, italiens et grecs a eue sur les travaux menés par les chercheurs réunis à l’université d’Aix sur la révolution industrielle à Marseille. Cf. Chastagnaret G., « L’industrie en Méditerranée : une histoire en construction », Méditerranée, t. 87, no 3-4, 1997, p. 5-12, et Daumalin X., Raveux O., « Marseille (1831-1865). Une révolution industrielle entre Europe du Nord et Méditerranée », Annales HSS, no 1, 2001, p. 153-176.
146 Guerreau A., op. cit. (n. 121), p. 275-292.
147 Les lignes qui suivent étaient déjà écrites quand j’ai pris connaissance du petit livre de Jean-François Sirinelli, L’Histoire est-elle encore française ?, Paris, CNRS Éditions, 2011, dont le propos converge très largement avec le mien.
148 Pour faire bonne mesure, il faudrait ajouter trois ouvrages initialement publiés en français mais qui ont bénéficié d’une traduction en anglais.
149 Breen M. P., « Vu d’Amérique : les historien(ne)s et l’histoire de la France moderne en Amérique du Nord », Histoire, Economie et Société, no 2, juin 2011, p. 3-13, et notamment p. 9-10.
150 Jones G., Zeitlin J. (eds), The Oxford Handbook of Business History, Oxford, Oxford University Press, 2008.
151 Amatori F., Colli A., Business History Complexities and Comparisons, Abingdon/New York, Routledge, 2011.
152 Noiriel G., Sur la « crise » de l’histoire, Paris, Belin, 1996, p. 27-28.
153 De nombreux économistes de PSE-École d’Économie de Paris tiennent des chroniques régulières dans la presse (Challenges, La Croix, La Tribune, Le Monde, Les Échos, Libération) et sont tout aussi régulièrement sollicités par les radios.
154 Finley M. I., Mythe, mémoire, histoire, Paris, Flammarion, 1981, p. 265.
155 Béaur G., « Le long passé de la dette publique », Le Monde, 14-15 août 2011.
156 Jones G. S., La fin de la pauvreté ? Un débat historique, Alfortville, Éditions Ere, 2007, p. 19.
157 Di Maggio P. (ed.), The Twenty-First-Century Firm : Changing Economic Organization in International Perspective, Princeton, Princeton University Press, 2001.
158 Jones G., The Evolution of International Business : An Introduction, Londres, Routledge, 1996, et Multinationals and Global Capitalism : From the Nineteenth to the Twenty-First Century, Oxford, Oxford University Press, 2005.
159 Lazonick W., Sustainable prosperity in the New economy ? Business Organization and High-tech Employment in the United States, Kalamazoo, Upjohn Institute Press, 2009, et « Innovative Business Models and Variety of Capitalism : Financialization of United States Corporation », Business History Review, no 84, hiver 2010, p. 675-702.
160 Bloch M., L’étrange défaite, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1990, p. 205.
Auteur
Professeur d’histoire contemporaine, université de Franche-Comté, Membre honoraire de l’Institut universitaire de France
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