Activités argumentatives et conceptualisation des règles morales et juridiques
Un exemple en éducation civique - classe de 6e
p. 131-151
Texte intégral
1Depuis quelques années, une nouvelle problématique se développe sur les objectifs, les méthodes d’enseignement et les savoirs de référence de l’éducation civique. Il s’agit d’un ensemble de questionnements posés par les travaux de recherche effectués dans le cadre de la didactique des disciplines1 et dont les traces se trouvent aussi au niveau institutionnel (renouvellement des programmes de l’école élémentaire jusqu’au collège).
2On assiste, plus précisément, à un déplacement des objectifs de l’éducation civique. De la description des institutions et de leur fonctionnement, on passe à la formation d’un jugement personnel, à l’apprentissage d’une méthode de pensée et de comportement. Il s’agit moins de transmettre des connaissances ayant une valeur incontestable que de former des attitudes face à une société pluriculturelle et en constante évolution. Dans cette perspective, le modèle de citoyen de demain n’est pas celui d’un individu qui se conforme complètement aux règles sociales déjà existantes, mais celui d’un individu autonome qui accepte les règles sociales établies avec un esprit critique, qui soit capable de proposer des solutions à des problèmes nouveaux et de contribuer à l’évolution de la vie en commun. On peut donc dire que la formation au civisme tend à faire place à une formation à la citoyenneté. La première s’appuie sur la légalité comme valeur de référence tandis que la deuxième pose le problème de la légitimité du pouvoir légal, ce qui la confronte à des questions d’ordre moral et politique.
3Cette problématique situe l’argumentation au centre de l'enseignement de l’éducation civique. Le programme officiel de 6e indique qu’une des trois finalités principales de cette discipline est « l’éducation au jugement, notamment par l’exercice de l’esprit critique et par la pratique de l’argumentation ». Nous nous sommes interrogées sur la façon de concevoir les fonctions de l'argumentation qui pourraient contribuer à la formation du futur citoyen. S'agit-il d’un moyen linguistique d’explicitation, de prise de conscience, de conceptualisation des valeurs socio-morales ? S’agit-il d’un outil cognitif de formation à l’écoute de l’autre, la décentration, la coordination de points de vue multiples ? Ou constitue-t-elle une pratique nécessaire au consensus socio-politique qui organise le fonctionnement de tout groupe social ?
4Pour fonder épistémologiquement ces questionnements, il faudrait déterminer le rôle de l'argumentation dans le cadre de la théorie du droit et recourir pour cela, à des travaux philosophiques qui posent la question de la relation entre droit naturel et droit positif.
5Selon le positivisme juridique, le droit est un ensemble de normes logiquement agencées. Il puise sa légitimité dans sa rationalité propre et forme un système de règles objectif et autonome, que le juge doit seulement appliquer par une démarche déductive aux situations particulières, sans faire intervenir d’interprétation ni de jugement de valeur. Comme le montre par exemple Perelman, « les conceptions modernes du droit et du raisonnement judiciaire, telles qu'elles se sont développées après la deuxième guerre mondiale, constituent une réaction contre le positivisme juridique »2.
6Dworkin, en particulier, pose deux questions concernant le droit positif : la question de sa justification (ce qui fonde les règles et légitime leur respect), et la question de son effectuation (l'usage qui peut être fait des règles dans des situations concrètes complexes et controversées). Par rapport à la première question, il considère que les normes du droit ne sont pas à respecter pour elles-mêmes, mais dans la mesure où elles renvoient à des principes éthiques, d’où la différenciation entre règles et principes : « en mobilisant les notions de justice ou d’équité, ces principes cernent en effet ce qui fait à proprement parler l’essence du droit et le distingue irrémédiablement de toute autre modalité de contrainte. En amont de la règle, son enracinement dans un concept de justice dont la loi morale donne la forme et qui seule rend supportable l’obéissance. En aval de la règle, la visée d'un ordre équitable construit sous couvert d’une conception commune de ce que devrait être une société juste »3.
7Mais comment la justice est-elle effectuée dans des cas pratiques ? Quel usage le juge fait-il des règles dans l’exercice du jugement en situation, pour que la décision réglant les conflits soit équitable, c’est à dire à la fois conforme au principe de justice et adaptée aux cas concrets ? Dworkin considère que la réponse peut être recherchée dans le cadre d’une théorie générale de l’argumentation indiquant les principes qui doivent guider l’interprétation de la loi. Le principe fondamental est selon lui la conservation de l’unité du droit : identifier dans chaque situation précise les droits et devoirs légaux de sorte qu’ils puissent s’intégrer dans une conception cohérente de la justice et de l’équité, conception qui soit l’œuvre d’un seul auteur, la communauté personnifiée.
8On voit apparaître dans ces conceptions trois idées essentielles :
- le droit légal puise sa légitimité dans des principes moraux, ce qui signifie que « notre système institutionnel repose sur une théorie morale particulière : les hommes ont des droits moraux contre l’état. »4.
- le droit est un discours qui trouve son sens à travers une pratique d’interprétation argumentée.
- le danger d’une interprétation subjective du droit est limité par son insertion dans une continuité historique collective et un consensus de la « communauté personnifiée ».
9Ces idées se retrouvent dans la réflexion de Habermas, qui apporte deux éléments nouveaux par rapport à celle de Dworkin :
10Posant la question de la source des critères moraux qui légitiment l’ordre légal, il considère que ces critères ne sont pas de nature ontologique, ni déterminés à priori, ce qui l’oppose d’ailleurs à la théorie de Kohlberg selon laquelle les stades du développement moral, de validité universelle, seraient inévitablement atteints au bout de toute éducation morale judicieuse. Pour Habermas, les normes morales sont des constructions cognitives rationnelles, qui se produisent dans et par la communication argumentative de la collectivité. Le caractère universel de ces normes réside dans le fait qu’elles prennent en compte le point de vue de tous les concernés et sont librement consenties par ceux-ci.
11Le principe de l’éthique de la discussion qu’il propose se réfère plutôt à une procédure qui consiste à respecter certaines règles qui rendent la discussion valide. L’éthique de la discussion est donc formelle en ce sens qu’elle ne livre pas des orientations relatives au contenu, mais une manière de procéder, ce que Habermas appelle la discussion pratique5.
12On peut donc retenir de ces théories que l'argumentation peut être introduite dans la formation à la citoyenneté de deux façons possibles :
- comme un instrument politique de négociation qui intervient aussi bien dans la fondation des règles (législatives et/ou morales) qui régissent la vie collective que dans leur application effective dans des situations de conflits ou de délits.
- comme un objet d’apprentissage social qui a ses propres règles de fonctionnement, ces règles étant à la fois d’ordre pragmatique et moral.
13C’est la première dimension de l’argumentation qui nous a initialement intéressées dans le cadre de cette recherche6. Notre hypothèse était que l’argumentation peut être utilisée comme un outil de prise de distance par rapport à la règle et que l’efficacité de cet instrument réside dans des facteurs qui sont à la fois cognitifs et moraux. Parmi ces facteurs, un rôle central est occupé par la décentration, c’est-à-dire la capacité de prendre en compte les points de vue des autres, dans la compréhension du pourquoi des règles comme dans l’analyse des situations où on recourt à ces règles pour trancher. Cette capacité est liée à d’autres opérations cognitives : la mise en relation de plusieurs types de critères pour construire un jugement non absolu et équilibré, en fonction de facteurs multiples ; le développement d’alternatives et d’hypothèses avec anticipation des conséquences. Sur le plan discursif, cela amène à être attentif aux opérations logico-discursives de modalisation, de formulation et de différenciation de critères, d’intégration de perspectives multiples.
Le règlement intérieur
14Le règlement intérieur est le premier texte institutionnel de régulation de la vie collective du collège auquel se trouvent confrontés les élèves. À cet égard, il figure dans le programme d’éducation civique de 6e comme premier objet d’étude, à partir duquel doit s’amorcer une réflexion sur les notions de communauté, de règle, de citoyenneté, de devoirs et de droits. Cet objet propédeutique a donc dans les nouveaux programmes des enjeux forts. Un travail sur le règlement intérieur a donc constitué notre premier objet de recherche avec deux questions principales :
- jusqu’où et à quelles conditions un travail sur le règlement peut-il être l’occasion d’une prise de conscience et d’un début de construction de quelques notions-clefs de l’éducation civique ?
- comment construire et évaluer des situations d’apprentissage qui suscitent des conduites d’argumentation favorisant la conceptualisation relative au règlement dans sa double dimension de fondation (justification des règles par l’élucidation des principes qui les fondent) et d’effectuation (justification des jugements émis en situation de controverse par un recours circonstancié et pertinent aux règles)
15Cette approche nécessitait une explicitation des objectifs notionnels et discursifs que l’on peut poursuivre en menant un travail sur cet objet, et donc une formalisation des invariants opératoires qui caractérisent sa conceptualisation, ainsi que des pratiques de discours auxquelles il correspond7. En effet, ce travail peut se concevoir dans différentes perspectives disciplinaires, selon qu’on privilégie soit sa dimension conceptuelle de texte juridique dont il faut analyser les principes de fondement et les conditions d’application, soit sa dimension pragmatique d’incitation à participer et de régulation de la vie scolaire, soit sa dimension de discours injonctif pouvant être formulé de plusieurs façons et donnant lieu à des activités de reformulation et d’argumentation. Cette dimension de travail sur le discours est actuellement au centre des nouveaux programmes en français ; cette perspective renvoie aussi à une conception de l’argumentation comme travail en commun d’élaboration et de transformation de schématisations et des points de vue plutôt que comme habileté persuasive visant à défendre des thèses préétablies. C’est pourquoi ce travail a reposé sur une collaboration entre des enseignants d’histoire-géographie et de français dans une perspective pluridisciplinaire8.
16Nous avons construit trois types de situations d’argumentation en fonction d’une double perspective sur le langage et les verbalisations :
- le langage et les verbalisations comme indicateurs de représentations des élèves sur la règle, des critères qu’ils sont capables de mobiliser, voire d’un niveau de développement conceptuel et moral si l’on adopte une perspective à la Kohlberg.
- le langage et les verbalisations comme médiateurs et éléments moteurs contribuant à une émergence, une élaboration ou une évolution de représentations à travers la coopération et les confrontations mises en jeu dans les échanges verbaux.
17Ces situations, basées sur trois articles du règlement intérieur relevant de domaines différents, visaient à faire prendre progressivement du recul par rapport à la règle, pour adopter à l’égard du règlement institutionnel une attitude plus autonome et responsable.
18– La première situation portait sur la compréhension des fonctions des règles. Certains articles du règlement étant donnés, on demandait de réfléchir sur les raisons de leur existence. Il s’agissait d’approcher, à travers leurs justifications, les images que des élèves de 6e peuvent avoir de la règle, et sur le plan didactique, de les faire réfléchir sur ce qui la fonde, sur sa définition même : pour quoi et pour qui, au nom de quelles valeurs les règles existent-elles ?9
19Cette séance voulait faire apparaître que les règles du règlement ont un statut objectif, général, externe, mais que dans leur élaboration elles sont le produit d’un consensus, voire d’un arbitrage, qui régule en principe les intérêts de différents acteurs. Ces intérêts peuvent entrer en conflit, soit entre protagonistes (élèves et personnel de service dans l’exemple de la fête de St Nicolas, par exemple), soit entre intérêts du même acteur. La fonction juridique est justement de réguler ces conflits, mais il ne faut pas évacuer que le droit est lui-même sous-tendu par des rapports de force.
20Par ailleurs, le règlement n’est pas seulement une somme d’interdits assortis de punitions, même si le caractère coercitif est inhérent au droit ; il est nécessaire de le dissocier de la fonction répressive, à laquelle l’associent d’emblée les élèves. En marquant la norme, il permet de signaler des problèmes, qui peuvent donner lieu à une recherche de solutions. Il a aussi une fonction de protection des libertés de chacun : la loi garantit les droits de la personne et règle les conflits en sanctionnant les manquements aux droits. Cette notion de droits est centrale dans le socle de notions à construire en éducation civique. Comprendre que le règlement est garant des droits de chacun suppose de comprendre que droits et obligations de la personne sont liés, et que les devoirs édictés dans les règlements correspondent à des droits des différents acteurs, de l’élève en particulier, à condition que les règles définissent réellement les devoirs des différents acteurs. Les élèves, même en 6e, revendiquent fortement cette réciprocité.
21– Les deux autres situations portaient sur l’effectuation des règles, c’est à dire l’examen des problèmes posés par leur application et la recherche de solutions10.
22La seconde était axée sur la prise de conscience que l’application de la règle n’est pas intangible mais dépend d'un ensemble de conditions, et proposait différents cas à débattre visant à faire apparaître :
- soit que la règle est difficile à appliquer parce qu’elle s'oppose à d’autres valeurs liées aux droits fondamentaux de la personne (par exemple le poids excessif des cartables limite les possibilités de respecter la règle selon laquelle les élèves doivent avoir tout le matériel demandé à chaque cours), à moins qu’enseignants et institution prennent en charge les aménagements pour que la règle puisse être appliquée. Une règle puise sa légitimité dans le fait qu’elle a une fonction de protection de droits plus généralisés ; dès que cette fonction ne peut pas s’appliquer, sa validité se trouve contestée.
- soit que l’exercice de la fonction judiciaire ne se limite pas à une application mécanique et répressive des règles ; différents cas de manquements étaient présentés avec consigne d’expliquer le problème que posait chacun d’eux et de les hiérarchiser en fonction de l’importance du délit commis. Cette évaluation supposait certains éclaircissements notionnels :
- la différenciation entre motifs et conséquences du délit, ce qui renvoie à la distinction classique entre responsabilité objective et responsabilité subjective effectuée par Piaget.
- la mise en relation de règles et de devoirs de types différents. La règle a une valeur locale, c’est-à-dire qu’elle est liée à un certain rôle de l’individu. Mais comme le même individu assume des rôles différents, il peut se trouver dans un conflit d’obligations. Ce qui apparaît ici, c’est la notion d’appartenance multiple d’un individu et sa responsabilité puisqu’il doit faire des choix et hiérarchiser ses obligations. On trouve d’ailleurs la différenciation entre règles et principes en ce sens que les principes d’un individu sont le produit d’une réorganisation personnelle des règles qu’il a reçues de son environnement.
23La troisième situation amenait les élèves à concevoir la règle dans sa fonction opérationnelle, c’est-à-dire comme un moyen de résolution de problèmes. La consigne était de trouver des solutions aux problèmes d’application des articles du règlement soulevés dans la deuxième situation.
Analyse d’un cas
24Toutes les données recueillies n’étant pas encore exploitées, nous présentons quelques réflexions à partir d’un extrait de discussion entre quatre élèves concernant l’évaluation - hiérarchisation de différents cas de manquement à l’article du règlement sur les absences (deuxième situation)11. Du point de vue discursif, deux indices d’analyse sont utilisés :
- l’usage des modalités verbales selon le rapport à la règle exprimé ;
- les moyens d’explicitation, au cours de la discussion, des critères d’évaluation de chaque cas utilisés par les élèves (adjectifs qualificatifs, nominalisations...).
25Dès le début de la discussion, le problème du manquement à la règle se pose de deux façons différentes :
26– Comme un problème formaliste posé par l’obligation de l’élève d’obéir à une règle imposée par l’institution.
27Dans ce cas-là la modalité déontique est utilisée pour affirmer la fonction répressive des articles du règlement : « il faut faire un mot par ses parents. » « il faut prévenir à l'avance, et puis il faut » et la modalité « pouvoir » est utilisée pour désigner la portée et les limites des droits institutionnels, les marges de liberté d’action prévues par le règlement pour permettre une flexibilité dans l’application : « il peut très bien lui donner un billet d'absence » marque un droit ; mais « au bout de 2, 3 fois, il peut être renvoyé », réplique à valeur d’objection, marque l’anticipation d’une limite de ce droit
28– Comme un problème qui met en cause la responsabilité personnelle de l’acteur, celle-ci désignant, dans la discussion, deux attitudes distinctes.
29D’une part, la modalité déontique renvoie non plus à une règle institutionnelle extérieure, mais à une règle générale intériorisée qui fonde une nécessité : ainsi l’affirmation d’un principe de cohérence entre un engagement social et la contrainte qu’il implique. La reconnaissance de cette obligation, reconnue comme « normale », marque une intériorisation de la règle sur le plan logique (l’accès au statut de collégien comporte certaines obligations) et moral (la jouissance d’un droit est corrolaire de certains devoirs) : « normalement si on s’inscrit au collège et on veut avoir une éducation/normale/oui il faut être là ». Cette obligation morale correspond à la volonté individuelle de bénéficier d’un droit (« si on veut avoir une éducation ») ; le manquement à cette obligation lèse donc l’individu dans la jouissance de ce droit et le « ne peut pas » signifie alors « il n’aura pas la possibilité de », comme on le voit dans l’enchaînement suivant, qui articule deux réfutations de niveau différent :
« – il faut prévenir à l'avance
– au bout de deux trois fois il peut être renvoyé
– ben il ne pourra pas suivre une scolarité normale »
30D’autre part, la responsabilité de l’individu apparaît aussi comme obligation morale, devoir intériorisé qui est exprimé par la modalité devoir et qui entre en conflit avec la règle scolaire : « le problème c’est qu’il doit aller voir son père. », et dans ce cas, la modalité « pouvoir » est utilisée pour montrer l'impossibilité pragmatique de l’acteur de suivre la règle institutionnelle suite au conflit d’obligations dont il se trouve affronté : « j’ai mis qu'un élève ne peut pas toujours respecter le règlement. ».
31Cette double position du problème entraîne, dans la suite de la discussion, la nécessité d’explicitation des critères de jugement que les locuteurs utilisent pour hiérarchiser les cas de manquement à la règle. Pour y arriver, deux moyens sont utilisés :
32– Premièrement, ils essayent de décrire par des jugements de valeur les actes commis dans chaque cas pour arriver à désigner par un nom explicite et généralisé le critère d’évaluation qu’ils utilisent.
33C’est surtout le cas de Y qui arrive progressivement à dire que le critère de son évaluation est la qualité du motif de l’acte commis (interventions 20 à 55). Il commence en disant que Yannick « va s’amuser et ne suit pas sa scolarité » en entendant, implicitement, que s’amuser est un motif négatif parce qu’il implique une attitude légère et individualiste par rapport à l’obligation institutionnelle de suivre sa scolarité. L'intervient pour soutenir cette opinion mais en utilisant un autre critère d’évaluation que celui de Y : les conséquences de l’acte sur l’acteur lui-même indépendamment de ses devoirs formels (« déjà, il abîme ses poumons, il a le risque du cancer... Oui, détruire sa santé »).
34Dans la suite de l’interaction Y essaye de préciser encore son jugement en désignant par un nom chargé moralement les actes commis dans les deux cas et faisant ainsi, implicitement, une hiérarchisation de valeurs (16, 29 « la différence est que le premier garçon, c’est familial, c’est important dans la vie familiale... L'autre joue au flipper... c’est un amusement, c'est un loisir... Oui, pour lui ce n’est qu'un loisir tandis que pour l'autre c'est un problème familial. »). Cette hiérarchisation explicite entraîne d’ailleurs une brève mise en cause de la valeur attribuée aux loisirs. Ainsi, La tendance à souligner l’importance des loisirs « en soi » (30 « les loisirs c’est important quand même ») mais après l’intervention de Y (31 « l’école est plus important que de jouer au flipper ») il arrive à reconnaître la supériorité de la valeur du collège (34 « le garçon qui fume quand même, il ne doit pas avoir la notion du collège parce que, c’est vrai, au lieu de fumer il devrait aller en cours. »).
35Dans la suite de la discussion, les critères d’évaluation de Y se trouvent aussi contestés par Seb qui pour la première fois fait appel à des critères d’ordre matériel, quantitatifs : le nombre de jours manqués (46-50 « moi, en classant, j’ai mis en premier que Laetitia arrive en retard... mais tous les jours... Yannick a manqué plusieurs jours, c’est pas tous les jours. »). Ce désaccord conduit Y à donner un nom au critère d’évaluation qu'il utilise et à désigner son jugement de valeur d’une façon explicite (53-55 « c'est pour une bonne cause.. les autres c’est une cause familiale »).
36– Le deuxième moyen d’explicitation des critères de jugement que les locuteurs utilisent est l'analyse de la notion d’obligation. Suite à l’échange qui vient de se présenter, les locuteurs se rendent compte qu’ils s’appuient sur des critères différents pour hiérarchiser les cas de manquement à la règle d’absence qui leur sont présentés : Y juge les actes en fonction de leur motif tandis que Seb les juge selon leurs conséquences matérielles (nombre de jours manqués). Suite à ce désaccord, L intervient pour argumenter en faveur de la position de Y mais en introduisant un critère d’évaluation : le sens de l’obligation (57 « fumer ou jouer au flipper, on peut s'en passer »), ce qui emmène la réaction immédiate de Seb (59 « conduire son petit frère aussi, on peut s'en passer »). L’obligation non institutionnelle peut être fondée sur une responsabilité intériorisée (« si elle vient au cours qui est-ce qui va le conduire »). Ces deux positions, toutes les deux exprimées par la modalité « pouvoir » révèlent les représentations différentes des deux élèves du sens de l’obligation.
37Cette différence devient explicite dans la suite de la discussion. Selon L, l’obligation envers son petit frère est très importante parce qu’elle implique une responsabilité face à l’avenir (60 « oui mais c’est son petit frère c’est l’avenir eh.. il construit l’avenir »). Ce qui est intéressant ici. c’est que la valeur suprême posée par L passe à un niveau plus généralisé (si l’on adopte des critères à la Kohlberg) que celle posée par Y. Celui-ci avait proposé comme valeur de référence la famille (« cause familiale ») tandis que celui-là exprime un intérêt pour l’évolution de la société dans son ensemble. Cherchant à justifier pourquoi Laetitia n’est pas obligée de conduire son petit frère à l’école, Seb arrive à dire que, pour lui. l’univers d’obligations d’un élève se trouve délimité par son statut de collégien (66-68 « mais non, elle n’est pas obligée, elle peut très bien rester chez elle ou demander à quelqu’un... Mais elle est une collégienne, elle n’est pas une... »). Il met ainsi en évidence que l’obligation est liée pour lui surtout à la position institutionnelle de l’acteur, et en même temps que le statut d’écolier donne des droits (assister au cours) qu’il juge prééminents par rapport aux devoirs familiaux non institutionnels : la règle est peut-être ici une protection.
En guise de conclusion
38L’extrait de la discussion analysée étant court, il ne nous permet pas d’aller très loin dans nos interprétations. Nous pouvons pourtant remarquer que la situation d’argumentation proposée semble être un outil pertinent pour aider les interlocuteurs à :
- prendre conscience de leurs propres valeurs de références et critères de jugement ;
- soumettre ceux-ci à la réflexion du groupe, les défendre, les comparer à ceux des autres, analyser leurs incohérences et leurs enjeux ;
- apprendre à interagir, se compléter, s’opposer pour se mettre d’accord sur une position
- donner forme à leurs réflexions, les exprimer verbalement de façon claire, compréhensible et schématique, donc facile à communiquer.
39Il faudrait quand même ajouter par rapport à ce dernier point qu’au cours de la discussion présentée, on ne remarque pas de déplacements importants dans les représentations des élèves. C’est au moins vrai pour Y et Seb qui semblent rester stables dans leurs opinions du début à la fin de la discussion. L, en revanche, qui semble partagé au début entre une approche institutionnelle du problème et une approche en termes de responsabilité, opte clairement à la fin pour la deuxième position.
40Par ailleurs, certaines tensions ressenties dans la pratique au cours même du travail renvoient en fait à des problèmes théoriques plus généraux et nous amènent à prendre conscience de certaines questions.
41On ne développera pas les tensions liées aux conditions institutionnelles qui déterminent l’enseignement de l’éducation civique (horaire restreint, responsabilité partagée de façon encore peu claire entre enseignants de différentes disciplines) ; elles posent néanmoins le problème de la durée nécessaire à toute pratique de la discussion, à une véritable construction notionnelle des principes et à la maturation d’une pratique participative réfléchie. La mobilité des positions adoptées par les enfants, de leurs avancées lors des discussions laisse entier le problème de la systématisation et de l’institutionnalisation des acquis, non volontaires et conscients, et non réellement stabilisés, qui ont émergé dans l’interaction.
42Se rattache sans doute à cette question la tension ressentie par les enseignants entre les deux ordres d’objectifs qui sous-tendent l’approche de l’éducation civique en 6e : objectifs pragmatiques d’action d’une part (sensibilisation des élèves à la vie du collège comme collectivité, incitation à la participation, recherche de solutions locales à des problèmes concrets) et d’autre part, objectifs proprement notionnels de construction des concepts sous-tendant l’action civique (qui ont amené au risque du formalisme le choix d'un travail fondé sur l’analyse de cas simulés pour mieux neutraliser les affects et cerner les objectifs). Cette tension entre ces deux ordres d’objectifs est peut-être due à une absence de formation théorique qui permettrait aux enseignants de les intégrer dans une pratique cohérente. Si dans une perspective psychologique et didactique les deux objectifs paraissent évidemment en interaction (on construit les concepts à travers l’action et son analyse), leur mise en relation n’est évidente ni pour les élèves, ni pour les enseignants qui construisent les situations pédagogiques en s’interrogeant sur la part à donner d’une part à l’imprégnation des valeurs et à la réflexion en action dans les situations quotidiennes de vie scolaire, et de l’autre, à la systématisation formalisée des savoirs acquis et à la théorisation des notions.
43Ces tensions renvoient aussi à des problèmes théoriques et didactiques concernant le statut même des notions à enseigner, apparus progressivement au cours de la recherche. Comme on l'a dit, le règlement intérieur apparaît dans le programme comme le premier objet à étudier et à justifier, à des fins à la fois d’acculturation pratique et d’apprentissage notionnel. Selon Robert12, il est un des « objets symboliques que le collège cherche à construire pour permettre la formation des attitudes citoyennes » et qu’il utilise à cette fin sur un mode métaphorique (comme modèle réduit de la cité politique, avec les élections des délégués, par exemple), ou sur un mode rhétorique (comme tentative de légitimer les règles par la discussion et l’adhésion des parties). Dans ce cadre, il est présenté comme un contrat émanant de la communauté scolaire et liant différents partenaires par un ensemble de droits et de devoirs négociés à travers la discussion.
44Cette image théorique et volontariste donnée du règlement en fonction de ces objectifs d’apprentissage entre souvent en contradiction avec la réalité du fonctionnement des règlements, qui conduit les élèves à les concevoir comme une somme d’interdictions destinée à eux et à personne d’autre. Ce décalage rend ambigus plusieurs axes de ce travail : ainsi, la relation à établir entre devoirs à respecter par les élèves et droits que ce respect leur garantit apparaît souvent volontariste et peu réaliste, autant que l’idée d’engagement réciproque des différents protagonistes dans chaque article du règlement. De même, jusqu’où faire croire aux élèves qu’ils peuvent par la discussion amender des articles du règlement et en créer de nouveaux ? Si elle n’est pas exercice formel, la discussion sur les règles renvoie au problème des rapports de forces et aux contraintes institutionnelles qui déterminent les positions de pouvoir des acteurs, et doit donc s’ouvrir à une réflexion de type politique.
45Ces distorsions interrogent à la fois la réalité scolaire, la place qui y est réellement donnée à l’argumentation et à la négociation, et d’autre part les figures mêmes de la citoyenneté, du droit, de la loi mobilisées dans l’enseignement de l’éducation civique, donc les fonctions que l’on attribue à la discussion dans l’exercice de la vie sociale. L’idée même de contrat appliquée au règlement scolaire, la croyance selon laquelle les règles y seraient l’émanation librement consentie et négociée de la volonté des membres de la communauté est sans doute à interroger sur le plan théorique, de même que l’analogie implicitement établie entre la règle du collège et la loi dans la société.
46On revient ainsi à la réflexion sur la fondation des règles, qui soulève la question de la subjectivisation des normes : a-t-on à reconstruire des règles déjà instituées ? Si le règlement, les contraintes du monde scolaire sont fondées sur une légitimité hétéronome reposant sur des responsabilités administratives, que cherche-t-on quand on travaille à les inscrire, par la justification et la négociation, dans la sphère du jugement autonome ? Comment penser le rapport entre règles juridiques externes, inscrites dans une histoire institutionnelle et sociale qui préexiste à l’individu, et règles morales intériorisées par chacun ? Le risque est de travailler davantage sur le versant subjectif de l’intériorisation des règles établies, à travers la justification et la reconnaissance théorique des différents points de vue, que sur le versant citoyen et politique de la capacité à peser sur le changement, par l’analyse des situations et l’exercice d’un pouvoir de la parole dans des conditions réelles, en tenant compte d’un corps de contraintes et de règles hétérogènes sur lesquelles les élèves ont de fait peu de prise. Comment éviter le formalisme et un usage normatif de l’argumentation, comme façon déguisée de faire intérioriser les règles ? Ce qui amène à se demander quel sens donner à la citoyenneté au collège, et comment penser les liens entre une définition civique stricte de la citoyenneté, et une définition culturelle large, comme ensemble de dispositions à participer à la vie collective. Sur un autre plan, la question est celle de la clarification des modèles selon lesquels sont pensés à l’école les rapports entre droit et éthique. Affirmer leur lien intrinsèque ne signifie pas identifier socialisation et moralisation, éducation civique et éducation morale. Cela ne veut pas dire nier ou travestir, par la moralisation des normes ou l’établissement d’un lien forcé entre règles et principes, la tension entre hétéronomie des règles objectives du droit (auxquelles l’intégration à une vie collective suppose de s’acculturer) et autonomie des règles morales subjectives, qui supposent une adhésion individuelle librement choisie. Ne pas occulter cette tension est nécessaire pour instaurer un espace médiateur du raisonnement, de la formalisation des problèmes et des solutions, la recherche d’accords partiels à l’aide de catégories et de valeurs communes, qui est spécifiquement l’espace de liberté politique défini par le droit et l’argumentation.
47Plutôt que de tenter de faire retrouver par l’argumentation une logique démocratique de fondation au règlement pris dans son ensemble comme figure exemplaire du contrat législatif, à justifier et à légitimer globalement au nom de principes d’égal statut, peut-être faudrait-il surtout développer chez les élèves la capacité de différencier, de situer, de hiérarchiser les normes en fonction de critères et d’exigences de niveau différent, en explicitant le cadre de contraintes à l’intérieur duquel clarifier ce qui est constant et ce qui est variable, ce qui est négociable et ce qui ne l’est pas13. On retrouve ici les fonctions cognitives de la logique naturelle mise en œuvre dans les discussions, en particulier l'importance des opérations de dissociation, d’articulation et de mise en perspective des objets de discours soulignée par Crize.
48Il faudrait surtout permettre une mise en œuvre effective du droit dans sa dimension d’effectuation, comme objet d’interprétation et comme moyen d'analyse et d’arbitrage, à l’intérieur de contraintes, dans les problèmes et les situations controversées de la vie scolaire. C’est par rapport à ces situations d’arbitrage et de régulation qu’on peut donner un sens politique, dialectique à la notion de consensus, espérer expliciter et affiner à travers la discussion l’analyse des principes éthiques (ainsi la notion de justice que les élèves évoquent spontanément de façon massive, quoique confuse, dans leurs entretiens). Cela renvoie aux conditions d’écoute et d'exercice de la parole dans une collectivité comme le collège, pour que la pratique de l’analyse et de la discussion puisse être perçue comme un pouvoir effectif, même dans les cadres limités par l’institution. C’est aussi dans cette effectuation que peut s’opérer une véritable élaboration des concepts juridiques : parlant des formes de conceptualisation et des rapports entre le général et le particulier propres au raisonnement juridique, Perelman montre qu’il s’agit moins de construire abstraitement la signification de concepts généraux qu’on appliquerait ensuite par déduction aux situations particulières, que de donner contenu aux concepts du droit par leur ancrage dans des situations variées dont on juge par interprétation qu’elles relèvent de ce concept et qu'elles lui donnent tel sens14. On rejoint l’importance de la particularisation dans la conceptualisation, et le rôle des situations qui donnent sens au concept selon Vergnaud. Reste que pour qu’ait lieu cette interférence constructive dont parle Vygotski entre les différents modes de conceptualisation, cette effectuation doit donner lieu à une véritable théorisation avec les élèves, et la distance reste grande entre la complexité et le prosaïsme à la fois des litiges souvent minuscules où se pratique le droit, et la généralité des concepts et des principes qu’on vise à construire.
Caractéristiques du règlement pouvant faire l'objet d'un travail de réflexion avec les élèves | Point de vue d'action : | Point de vue cognitif : | Point de vue discursif : |
FONCTION DE COMMUNICATION | - Le règlement est discuté en plusieurs lieux, voté par différents partenaires | - Dégager invariants et variantes | - Un règlement est un discours. écrit par quelqu’un, pour des interlocuteurs : |
FONCTION DE REGULATION DE LA VIE COLLECTIVE | - Admettre (en partie) et négocier (pour une autre partie) les règles qui permettent aux différents protagonistes composant la communauté du collège de sauvegarder leurs intérêts en respectant celui des autres | - L’appartenance à une communauté | - Repérer les différents destinataires que signifie tel ou tel article pour les personnes impliquées |
FONCTION DE PROTECTION | - un droit engage à des obligations, les règles édictées correspondent à des garanties permettant de jouir de droits | - Modalités discursives et argumentation : | |
FONCTION D'EDUCATION A LA RESPONSABILITE | - Étude de cas de délits dans la vie du collège correspondant à des conditions et des motifs différents selon quels critères juger les manquements à la règle ? | - Mise en rapport de la règle avec les conditions particulières et les motifs des acteurs : comment pondérer la prise en compte des motifs et celle des conséquences ? | - Analyse et explication des raisons dans des situations complexes articulant des motifs, des conditions, des conséquences, recherche des causes, des effets |
Annexe
Annexe 2. Document donné aux élèves. 1re phase
1er groupe
Dans le RI dans la partie sur les absences et les rentrées il est écrit : « toute absence doit être justifiée par un mot des parents » Dans la vie au collège droits et devoirs, il est écrit : « je m’engage à respecter les horaires des cours et à ne pas traîner dans les couloirs »
Pourquoi, selon toi, cette règle existe-t-elle (pense au point de vue des élèves, des professeurs, des parents et de l’administration)
2e groupe
Dans le règlement intérieur, dans la partie sur l’assiduité au cours, il est écrit : « les conditions de la réussite supposent que les élèves assistent à tous les cours en disposant du matériel nécessaire ».
Pourquoi, d'après toi, cette règle existe-t-elle ? Trouve au moins trois raisons (pense au point de vue des élèves, des professeurs, des parents et de l’administration).
3e groupe
Même travail sur l’interdiction d’introduire certains objets au collège, et en particulier des œufs et de la farine lors de la fête de la Saint-Nicolas.
Annexe 3. 2e phase
1er groupe
Des problèmes se posent pour appliquer ces règles :
- Laetitia a manqué régulièrement les cours de 8 h à 9 h. Or on sait qu’elle conduit son petit frère à l’école maternelle avant de venir au collège
- Noémie a manqué 2 jours. Or elle a oublié de donner son certificat médical.
- Yannick a manqué plusieurs cours de 8 à 9 h et de 15 à 16 h. Or on sait qu’il retrouve parfois ses copains avec qui il joue au flipper et fume
- Benjamin a été régulièrement absent le lundi de 8 à 10 h. Or on a appris qu’il va le week-end chez son père qui habite loin du collège et il prend un autobus qui ne lui permet pas d’arriver au collège avant 10h le lundi (il n'y a pas d’autre autobus et son père ne peut pas le conduire)
Quelles sont les difficultés d’application du règlement ?
Quels sont les problèmes qui se posent aux élèves, à la famille, aux professeurs à l’administration ?
Classe ces problèmes du plus important au moins important en expliquant ton choix
2e groupe
Voici un problème posé par l’application de cette règle :
« Raphael, onze ans, se rendait mardi matin au collège Elsa Triolet l’échine courbée sous un cartable pesant exactement 13 kg, soit la moitié de son poids. Ou le poids moyen du sac à dos d’un appelé en manœuvres.. Valentine, sa voisine de dix ans et demi, est rentrée avec un an d’avance au collège George Sand. Le deuxième jour, elle était en larmes. Ses parents se relaient pour la mener et la ramener du collège. » article de Libération, le 12 09 1996.
Quelles sont les difficultés d’application du règlement ? Quels sont les problèmes qui se posent aux élèves, à leur famille, aux professeurs, au personnel de service, à l’administration ?
Classe ces problèmes du plus important au moins important en expliquant ton choix
Annexe 4. Extrait de discussion entre quatre élèves de 6e lors d’un travail de groupe lors de la 2e séance (hiérarchiser l’importance des manquements aux règlement sur les absences)
1 Y | moi à la question quelles sont les difficultés d’application du règlement j’ai mis qu’un élève ne peut pas toujours respecter le règlement comme par exemple cet élève qui doit aller chez son père en bus/c’est quand même important/et ça lui permet pas d’être à l’heure |
2 Enseignant : | c’est où le problème à ton avis |
3 Y | le problème c’est qu’il doit aller voir son père |
4 L | il peut très bien lui donner un billet d’absence |
5 Y | oui mais si ça se répète souvent pendant l’année |
6 Seb | il faut faire faire un mot par ses parents et après il donne au collège pour qu’ils savent qu’il arrivera qu’à dix heures |
7 Enseignant | et pourquoi il y a obligation de présence à l’école |
8 Seb | normalement si on s’inscrit au collège et qu’on veut avoir une éducation |
9 Sam | normale |
10 Seb | oui/il faut être là |
11 Enseignant | et quelle est la conséquence pour ces enfants qui ne peuvent pas être là |
12 Seb | il faut prévenir à l’avance et puis il faut |
13 L | au bout de deux trois fois il peut être renvoyé |
14 Seb | oui |
15 Y | ben il ne pourra pas suivre sa scolarité normalement |
16 L | sinon il ne pourra plus voir son père |
16 Seb | si il pourra le voir |
17 L | non puisque c’est le matin |
18 Sam | il pourra y aller par avion/et puis il y a aussi Yannick |
19 Y | oui qui va s’amuser et qui ne suit pas sa scolarité |
20 L | déjà il abîme sa santé il a le risque du cancer |
21 Sam | c’est pas ça la question |
22 Y | oui c’est important quand même |
23 L | oui détruire sa santé |
24 Enseignant | par rapport à l’autre problème qui a été posé tout à l’heure quelle est la différence |
25 Y | la différence c’est que le premier garçon c’est familial c’est important dans la vie familiale |
26 Sam | l’autre joue au flipper |
27 Y | c’est un amusement un loisir |
28 Sam | enfin fumer c’est pas bien |
29 Y | oui pour lui ça n’est qu’un loisir tandis que l’autre c’est un problème familial |
30 L | les loisirs c’est important aussi quand même |
31 Y | l’école c’est plus important que de jouer au flipper |
32 L | mais il faut quand même avoir des loisirs les sports par exemple/il faut faire du sport |
33 Y | oui si il est nerveux il faut faire du sport |
34 L | le garçon qui fume quand même il doit pas avoir la notion du collège parce que c’est vrai au lieu de fumer il devrait aller en cours |
35 Enseignant | et par rapport aux autres problèmes là |
36 Seb | il y a Laetitia qui manque régulièrement les cours |
37 Y | mais on sait pas pourquoi |
38 Seb | si parce qu’elle conduit son petit frère à l’école alors elle loupe un cours tous les jours |
39 Y | c’est un problème qu’il faut arranger |
40 L | oui trouver quelqu’un par exemple un ami qui pourrait conduire son petit frère |
41 Enseignant | est-ce que vous pouvez ces problèmes là |
42 L | Noemie aussi a manqué deux jours mais on ne sait pas pourquoi |
43 Seb | mais si parce qu’elle a été |
44 Sam | malade/c’est important |
45 L | c’est le moins important des quatre |
46 Seb | moi en classant j’ai mis/en premier j’ai mis que Laetitia arrive en retard |
47 L | moi je ne suis pas d'accord |
48 Seb | mais tous les jours |
49 L | non je suis pas d’accord/pour moi le pire c’est celui qui fume et qui joue au flipper |
50 Seb | ah non pas pour moi/Yannick a manqué plusieurs cours c’est pas tous les jours |
51 Y | mais non elle a manqué tous les jours mais c’est |
52 L | c’est normal |
53 Y | c’est pour une bonne cause |
54 L | tandis que lui c’est pour jouer au flipper |
55 Y | les autres c’est pour une cause familiale |
56 Seb | moi je l’ai mis en avant dernier |
57 L | quoi/fumer ou jouer au flipper on peut s’en passer |
58 Y | mais oui voilà/tandis que là |
59 Seb | mais eh/conduire son petit frère aussi on peut s’en passer |
60 L | ah oui mais c’est son petit frère c’est l’avenir eh/il construit l’avenir |
61 Seb | mais elle est pas obligée d’aller le conduire |
62 L | mais si elle est obligée |
63 L | il va y aller tout seul peut-être |
64 Seb | mais attends elle rate régulièrement les cours de 8 à 9 ça me semble plus important |
65 L | mais il ne comprend pas (rires) elle est obligée de conduire son petit frère |
66 Seb | mais non elle est pas obligée elle peut très bien rester chez elle ou demander à quelqu’un |
67 Y | oui mais si elle vient au cours qui est-ce qui va le conduire |
69 Seb | mais elle est une collégienne elle est pas une |
70 L | mais c’est son frère |
71 Seb | en voiture quelqu’un peut le conduire |
72 L | mais elle y va à pied une collégienne elle a du mal a conduire |
73 Seb | sa mère aussi peut la conduire |
74 L | c’est pas sûr aussi si c’est pas marqué que sa mère était là c’est qu’elle doit pas être là |
75 Seb | moi je suis pas d’accord |
76 Y | moi comme premier problème je mettrais Yannick qui fume |
77 L | moi aussi le deuxième aurait été Benjamin qui est absent le week-end le troisième aurait été |
78 Seb | non Benjamin est absent que le week-end alors que elle elle est absente tous les jours |
79 L | ça te dérange si tu me laisses finir |
80 Seb | moi j’ai mis d’abord Laetitia après Benjamin après Yannick qui fume et en quatre Noémie |
81 L | parce que Noémie a manqué deux jours c’est déjà moins important (ton ironique) |
82 Sam | mais toi tu penses qu’au nombre de jours |
83 Y | c’est pas le nombre de jours |
84 L | mais non c’est la cause pourquoi elle a été absente/moi j'aurais mis Yannick après Benjamin après Laetitia après Noémie |
85 Seb | moi je suis pas d’accord |
86 L | mais c’est la majorité on a essayé de te faire comprendre |
87 Y | moi aussi je suis d’accord/mais pourquoi t’as mis celui-là comme le plus important |
88 L | parce que c’est le nombre de jours voilà pourquoi |
89 Seb | mais c’est tous les jours |
90 L | voilà c’est pour ça. |
Notes de bas de page
1 Audigier, Lagelée (1996)
2 Perelman C. (1979) : Logique juridique. Chap. 3 : Le raisonnement judiciaire après 1945. Dalloz, p 68.
3 Bouretz 1991, p. 67.
4 Ibid., p 67.
5 Habermas (1986).
6 Recherche menée dans le cadre de l’INRP « Observation des pratiques en éducation civique dans les collèges ».
7 Voir tableau-référentiel en annexe I.
8 J. Perlein et A.M. Deboulogne collège Dolto Pont à Marcq, C. Feliers et N. Casail collège Matisse Lille.
9 Voir document donné aux élèves en annexe 2.
10 Voir document en annexe 3.
11 Voir extrait en annexe 4, Classe de J Perlein collège Dolto Pont à Marcq.
12 Robert F. (1997) : Rhétorique, métaphore, principes : emplois et figures du droit dans la vie scolaire. Educations à paraître.
13 Audigier et Robert soulignent l’hétérogénéité des normes édictées dans les règlements, qui appartiennent à des sphères très différentes de normativité. Cela renvoie au problème posé dans le droit du travail des « critères de juridicité » qui permettent de dire qu’une règle d'un règlement d’entreprise relève du droit, et non d'un code d’éthique à usage interne, de normes de fonctionnement ou de comportement. Selon Supiot « ces normes ne constituent des règles de droit que si elles lient l’employeur lui-même et présentent un caractère suffisant de généralité pour pouvoir lui être opposées en cas de litige » (1994) : Critique du droit du travail PUF, p. 242.
14 Perelman C. (1989) : « L’appréciation judiciaire, qui aboutit à qualifier les faits d’une certaine façon, précise l’extension d’un concept et contribue, par là, dans la mesure où elle crée un précédent, à définir la compréhension de l’un ou l’autre terme de la loi. La pensée adapte les règles admises à une situation nouvelle grâce à une action qui discrimine, apprécie, juge et décide. Le sens, quand il n’est pas entièrement donné mais résulte de l’application d’une règle, qu’élabore en l’appliquant un individu compétent et responsable, ne renvoie pas à une ontologie mais à une axiologie.. C’est la raison de l’importance que les situations prennent dans l’expérience juridique » Avoir un sens et donner un sens, in Rhétoriques. Ed Université de Bruxelles, p. 38.
Auteurs
IUFM de Lille - Théodile Lille III
Ua CNRS 1031 Paris V
Université Charles De Gaulle - Lille III
Théodile Lille III
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