Chapitre VIII. Finalités professionnelles : pédagogies de la classe rurale
p. 189-228
Texte intégral
1Une opinion révélatrice des finalités professionnelles des instituteurs est celle qu’ils formulent dans certains mémoires pour déplorer que les autorités scolaires des villages et des bourgs restent indifférentes aux enjeux de l’instruction primaire : elles ne sont « pas suffisamment occupées de pédagogie », affirme par exemple Pierre Thieulin, de Condé-sur-Noireau (Calvados)1. Nous avons déjà aperçu avec Léopold Charpentier une tendance à révoquer les personnalités étrangères aux intérêts propres de l’enseignement ; et elle est d’autant plus significative en 1861 que les instituteurs expriment de nombreuses récriminations au sujet des conditions quotidiennes de leur travail. Sans doute faut-il y voir un indice de « professionnalisation », au sens où la corporation développe une rhétorique qui intègre, dans une conscience de soi globale, les valeurs, les normes et la rationalité de l’offre scolaire définies, de façon très volontariste, dans le contexte de modernisation issu de la monarchie de Juillet.
1. La culture pédagogique des instituteurs
2On a vu qu’au début du second Empire, toute une culture, à travers un ensemble d’œuvres, de savoirs théoriques, de savoirs techniques et de valeurs, a été mise à la portée des instituteurs pendant ou après leur passage dans les écoles normales. Pour mesurer le degré de diffusion de cette culture, il est possible de se référer au département de la Gironde où, en 1858, le conseil académique soumit à quelques dizaines de maîtres, choisis dans l’élite de chaque arrondissement, cinq questions de pédagogie : 1) Quelles sont les principales méthodes d’enseignement ? Indiquer le caractère de chacune d’elles. 2) Quelle méthode convient le mieux aux écoles rurales ? Expliquez pourquoi. 3) Quel caractère l’enseignement primaire doit-il avoir dans les campagnes ? Doit-il être exclusivement pratique ? Dans quelle mesure doit-il être théorique ? 4) Nécessité pour l’instituteur d’exciter l’attention et l’intérêt des enfants. Moyens à employer pour y réussir ; 5) L’étude de la langue française. Moyens à employer pour habituer les enfants à une certaine correction de langage. Utilité de la grammaire. Quand et comment convient-il de la faire étudier ? Pourquoi ?2.
3Pour nous convaincre de la capacité des instituteurs à restituer les raisonnements officiels, lisons le mémoire remis par Rozié, de Belin (paraphé le 30 mars 1858), très comparable en fait à ceux de ses collègues, en quantité et en qualité :
4Première question. Pour Rozié, la méthode simultanée consiste à réunir des élèves de même force en groupes ou classes qui, chacune, reçoivent les leçons comme un seul élève. Avantage, on suscite l’émulation entre les enfants et on multiplie leurs rapports avec le maître ; inconvénient, on est obligé de faire des leçons courtes. La méthode mutuelle, poursuit cet instituteur, constitue également des groupes avec des élèves de même force, mais, cette fois, ce sont ceux de la division supérieure qui donnent les leçons dans les divisions inférieures. Avantage, on peut augmenter le nombre de groupes sans que les enfants soient jamais livrés à eux-mêmes ; inconvénient, on réduit leurs rapports avec le maître. La méthode mixte enfin est celle qui tente de combiner les avantages des deux précédentes en créant des divisions de même type, trois ou quatre, dont les unes ne sont confiées aux moniteurs qu’au moment où les autres sont dirigées par le maître. Quant à la méthode individuelle, elle n’est mentionnée ici que pour rappeler qu’« elle est proscrite de toutes nos écoles ». Certains des collègues de Rozié signalent plus positivement que cette méthode convient au chef de famille qui peut approprier l’éducation au caractère de ses enfants.
5Ce sont bien les définitions connues depuis les manuels d’A. Rendu, de Lamotte et Lorain, ou d’autres, datant des années 1830, mais à une nuance près, celle de la méthode dite « mixte » (dans le Tableau de Lorain, ce terme désignait un compromis entre la méthode simultanée et la méthode individuelle). Indépendamment de cette nuance, nous reconnaissons les définitions consignées dans le cahier de l’élève-maître Jouquan à Rennes, avant 1850 (cf. chapitre 1).
6Deuxième question. Pour Rozié comme pour la plupart de ses collègues, la méthode mixte est celle qui convient le mieux aux écoles rurales. Il est vrai que les praticiens et les théoriciens de cette période évoquent souvent la possibilité de recourir à certains enfants nommés « moniteurs » pu « aides », ce qui rappelle effectivement la méthode d’enseignement mutuel.
7Troisième question. Pour lui, l’enseignement primaire, se conçoit avant tout dans une orientation religieuse (la formule est quasi-obligatoire à cette époque, on le sait) ; ensuite il doit être « essentiellement pratique », enfin il a pour fonction de « développer l’intelligence », de « former le jugement », et il lui faut donc s’adresser « bien moins à la mémoire des choses lues ou apprises par cœur dans un livre qu’à l’esprit et à l’intelligence des enfants ». La présence de cet argument psychologique, tiré, comme les autres, des meilleurs manuels en circulation, montre que le vent pédagogique nouveau, issu de Rousseau et Pestalozzi, et qui s’épanouira sous la Troisième République dans la leçon de choses, a déjà fortement soufflé sur cette frange des instituteurs d’élite.
8Quatrième question. La remarque précédente vaut encore pour la réponse sur l’attention et l’intérêt (on se souvient du rôle primordial accordé, depuis Pestalozzi également, à l’attention, une « faculté supérieure », comme disait Maine de Biran). Rozié insiste sur la nécessité d’observer les objets environnants et leurs propriétés, afin que les enfants acquièrent « des idées simples et nettes de ce qui frappe leurs sens ». Le mémoire d’un autre instituteur, Simon Champetié, conclut la même démonstration par le récit de sa leçon sur le mètre : il prend un bâton de cette longueur exacte, qu’il fait couper en dix parties égales par un élève de la première division, puis il fait tracer à la craie par d’autres élèves, sur les dix segments obtenus, dix nouvelles parties égales, après quoi seulement il explique les notions de décimètre et de centimètre. Le même instituteur raconte aussi que, pour enseigner l’agriculture, il fait fabriquer par ses élèves des charrues en bois dont les parties métalliques sont marquées par un coloriage.
9Cinquième question. La grammaire est envisagée dans le même esprit. Ce doit être, dit Rozié, une étude intelligente et qui ne peut « se borner à donner à ses élèves des définitions et des règles de langage auxquelles ils ne comprennent rien, ou qui les ennuient ». Nous ne nous attendions certes pas à trouver ces conceptions inductives avant les trente dernières années du siècle, mais il est vrai qu’elles ont commencé à circuler au début du second Empire3.
10Au total, s’il s’agissait d’évaluer la quantité et la qualité des connaissances pédagogiques des instituteurs, les responsables académiques de la Gironde avaient tout lieu d’être satisfaits, car les réponses obtenues sont tout à fait conformes à la lettre comme à l’esprit des conceptions diffusées par les autorités – ce qui ne préjuge ni des pratiques dans les écoles, ni des idées personnelles des maîtres. Il est clair que, dans chacun des domaines considérés, comme dans celui de la grammaire évoqué à l’instant, l’assimilation des thématiques officielles est assez grande dans les milieux que étudions.
Les méthodes
11Les maîtres de 1861 ont souvent une prétention de modernité pour tout ce qui a trait aux questions générales de pédagogie et de didactique. C’est ainsi que Jean-Baptiste Lussignol, de Monétier-Allemont (Hautes-Alpes) dit préférer les « procédés modernes » que sont les « leçons attrayantes »4 ; ou que Jean Requier, de Saffré (Loire-Inférieure), souhaite en finir avec ces « interminables analyses logiques et grammaticales » si fatigantes pour les élèves, et entend de ce fait privilégier des exercices oraux qui s’avèrent économes de temps et facteurs de progrès rapides5.
12Parmi les sujets plus précisément abordés, il y a d’abord les méthodes spéciales et avant tout celles pour apprendre à lire. Ceci donne lieu aux inévitables controverses sur l’épellation, ancienne et nouvelle. Jean-Marie Bruguières, de Montagut (Tarn-et-Garonne), pense que l’épellation doit être enseignée « sans précipitation », afin que les enfants accèdent avec facilité à la lecture courante6. Claude Braillon, de Saint-Aubin en Charolais (Saône-et-Loire), suggère qu’on ne se hâte pas trop d’adopter la nouvelle épellation (rappelons qu’elle est déjà vieille de plusieurs décennies, voire davantage si l’on sait qu’en son principe elle vient des grammairiens de Port-Royal, au XVIIe siècle), parce qu’elle se heurte à l’incompréhension des parents qui, du coup, hésitent à envoyer leurs enfants à l’école bien qu’eux-mêmes sachent lire7. Sur ce sujet, Louis Vernier, d’Ennery (Seine-et-Oise), présente comme le fruit « de longues études » une réflexion d’une acuité inattendue. D’après lui, le débat entre l’ancienne épellation (nommer les lettres comme on les nommait jadis, dit-il), et la nouvelle épellation (attribuer à chaque lettre le son qu’elle représente à l’intérieur de la syllabe), est un faux débat, car sur trois points les méthodes se confondent. Premièrement, si l’on considère les consonnes labiales et dentales, la ressemblance du son avec l’articulation produite par les organes de la voix se vérifie dans les deux méthodes : que l’on donne au signe B le nom « bé » ou « be », le son suivant « ba » est dans les deux cas le résultat de ce nom. Deuxièmement, si l’on considère les consonnes gutturales et les voyelles nasales, les deux méthodes n’évitent pas la dissemblance du nom des lettres avec le son qui en résulte. Troisièmement, il y a dans les deux approches beaucoup de cas où il est impossible de prévoir à partir du nom des lettres le son qu’elles produisent, et c’est donc au maître de le faire entendre. En fin de compte admet Vernier, c’est « uniquement à la mémoire de l’enfant, à la patience du Maître » et non pas au nom des lettres « qu’il faut demander d’apprendre à lire aux enfants ». De toute manière, ajoute-t-il, aucune méthode n’empêchera que certains enfants apprennent avec facilité tandis que d’autres apprennent lentement et avec peine8.
Les organisations de classe
13On a constaté que, dès la première partie du second Empire, les autorités ministérielles et académiques sont en mesure d’influer plus ou moins fortement sur la mise en œuvre des classes et avant tout sur la forme générale de leur organisation, dans le but d’en finir avec le mode individuel. Quelques villes ou départements ouvrent peu à peu la voie aux autres. En 1854, à l’occasion d’une « retraite » pédagogique, l’Inspecteur d’Académie du Loiret, Villemereux, accompagné de trois inspecteurs primaires, expose des principes dont l’application a été expérimentée un an plus tôt dans la Marne et adoptée ensuite à l’école annexe de l’Ecole normale d’Orléans. Il s’agit de répartir les élèves dans trois divisions, en se conformant à un emploi du temps ad hoc9. Or les trois divisions, c’est le schéma de la méthode simultanée c’est-à-dire le credo pédagogique des frères des écoles chrétiennes, quasiment officialisé par Guizot et Lorain dans les Statuts sur les Ecoles primaires élémentaires communales du 25 avril 1834, dont l’article 3 prescrivait en effet : « toute école élémentaire sera partagée en trois divisions principales, à raison de l’âge des enfants et des objets d’enseignement dont ils sont occupés »10. Même si une circulaire du 8 août faisait droit ensuite à toutes les adaptations et les variations locales, la préférence ministérielle était bien affirmée à ce moment-là (et le sera à nouveau avec le règlement du 17 août 1851), si bien que le Manuel Général et le journal L’Instituteur avaient publié des emplois du temps modèles les années suivantes, 1836 et 1837. En 1855 par conséquent, Villemereux fait un pas de plus dans cette direction. Il rend les trois divisions obligatoires et publie un manuel rédigé par les inspecteurs qui le secondent, Pinet, Brouard et Mettas11. C’est en fait la première des initiatives visant à fixer définitivement et uniformément le nombre et la forme des « divisions » pédagogiques, avant le Plan d’étude de Rapet, de 1859, et avant l’organisation parisienne de Gréard, en 1868, qui s’appuient sur les mêmes schémas et adoptent la notion fameuse de « cours » : cours élémentaire, cours moyen et cours supérieur12. L’idée de Villemereux fera tache d’huile les années suivantes dans plusieurs départements (le Maine-et-Loire, le Loir-et-Cher, la Charente, le Gers, l’Indre, l’Isère, les Landes, le Lot, la Meurthe, les Hautes-Pyrénées, la Haute-Saône, la Sarthe, le Tarn-et-Garonne, la Haute-Vienne, les Vosges, l’Aude, la Haute-Garonne, les Basses-Pyrénées13).
14La « distribution du travail et du temps » restituée dans le livre de Pinet est conçue par Villemereux de façon à rendre praticable la simultanéité de l’enseignement dans la situation complexe – mais ordinaire – où le maître doit gérer à lui seul les trois divisions d’élèves. Par exemple elle prévoit que, le matin – après l’entrée, l’inspection de propreté, la désignation des aides, la prière et l’appel–, la lecture pourra avoir lieu de huit heures à neuf heures pour tous les enfants et sans aucun temps mort, à condition que des exercices différents soient effectués dans chacun des « cours » : dans le premier cours on commencera par corriger un devoir donné la veille puis on fera une nouvelle lecture ; dans le deuxième cours les élèves écouteront la correction puis suivront la lecture du premier cours ; dans le troisième cours enfin les élèves feront aussi une lecture, mais d’une autre nature et sous la direction de leurs aides. Pinet indique que cette séquence se fait dans les « cercles », ce qui rappelle évidemment, là encore, les petits groupes de la méthode mutuelle.
15Les organisations préconisées depuis Villemereux ou d’autres apparaissent dans les mémoires de 1861 et font toujours l’objet de jugements approbateurs, notamment dans le Loiret et l’Aude – département où est cité à plusieurs reprises un modèle de Journal de classe (il s’agit d’une prévision quotidienne des leçons dans chaque division et dans chaque matière), établi par un professeur de l’Ecole normale de Carcassonne, M. Feuille, et rendu obligatoire par l’Académie en application du plan de Villemereux14.
16Toutefois les instituteurs de notre échantillon se prononcent plutôt en faveur du mode mixte et font de nombreuses allusions à l’existence de moniteurs. « Mixte » en effet désigne une sorte d’alliance entre la méthode simultanée des frères et la méthode mutuelle. En réalité, les dénominations ont varié : dans le Tableau de Lorain, on l’a dit plus haut, ce terme désignait un compromis entre la méthode simultanée et la méthode individuelle15, alors que dans le Manuel de l’enseignement primaire d’Ambroise Rendu – ouvrage très important, réédité et complété par le fils, Eugène, et constamment utilisé dans les époques ultérieures-, ou même dans le Manuel de Maeder, il s’agissait d’une alliance de l’enseignement simultané avec l’enseignement mutuel, et il était question par exemple du mode « simultané pur » et du mode « simultané mutuel »16. En tout cas, ceci montre que les moniteurs restèrent longtemps une particularité de la classe rurale. Claude Simonon, de Couches (Saône-et-Loire), donne ainsi, pour moyen d’obtenir « à tout prix » le travail et le silence, le fait de « choisir de bons moniteurs » (et aussi de présenter des objets frappants, de traiter des sujets courts, de varier les exercices, et d’habituer les enfants « à se rendre un compte exact de ce qu’ils voient » comme de ce qu’ils lisent17) Darroze, d’Arjuzanx (Landes), consacre un long exposé à l’enseignement de la morale sur la base de lectures faites par un élève à sa division18. De même Joseph Grenier, de La Verpilière (Isère), a établi quatre divisions, et il fait suivre chaque jour le travail des trois premières sections par trois élèves, de telle sorte que tous les enfants sont successivement surveillants et maîtres19.
17Les instituteurs qui préfèrent la méthode simultanée emploient d’autres mots que celui de « moniteur », mais ils parlent en gros de la même chose. Isidore Laurent, de Chevannes (Loiret), préconise d’instituer des « surveillants » chaque jour de la semaine. Le surveillant explique-t-il, qui sentira bien l’honneur qu’on lui fait ainsi en récompense d’une bonne conduite, « sera placé autant que possible sur une petite table à côté du maître », et il ouvrira l’œil sur toute la classe. Il pourra autoriser la sortie des élèves qui l’auront demandé en levant la main droite, et il s’assurera que les « premiers de table [...] maintiennent le silence dans leurs divisions respectives »20. Il est donc chargé dans ce cas de maintenir une discipline que le maître exerce en son seul nom.
18Qu’il s’agisse de méthode mixte ou de méthode simultanée, de moniteurs ou de surveillants, le problème est le même : préserver coûte que coûte la régularité des activités, sans interruptions et sans confusions. Si le maître s’adresse à une seule division ou ne peut s’adresser à toutes les divisions en même temps, il se fait relayer par un enfant plus âgé et plus instruit afin que nul ne soit jamais distrait de sa tâche. La persistance des moniteurs confirme que l’objectif « organisationnel » majeur est bien celui d’une utilisation exhaustive du temps de chacun par l’occupation simultanée de tous – chose très difficile à réaliser si les élèves sont très différents en âge, en niveau d’acquisition, en durée de présence, etc. Mais c’est un fait que les auteurs officiels de l’époque insistent pour qu’on abandonne le terme de moniteur au profit du terme d’« aide ». Pinet, dans l’exposé du tableau des répartitions inspiré de Villemereux, désigne une telle fonction en lecture et en calcul pour la division inférieure21. Rapet surtout, dont on sait l’irritation provoquée par la survivance rémoise de la méthode mutuelle, n’évoque le recours à ces aides, pour les écoles dirigées par un seul maître, qu’en soulignant la différence avec les moniteurs, donc en insistant pour que le maître conserve la fonction d’instruction proprement dite22.
19Voici l’organisation de Joseph Quéret, de Ville-sous-Corbie (Somme), qui semble caratéristique de cette méthode mixte avec les trois divisions de la méthode des frères, plus l’intervention très mesurée des « aides »23 :
– 8 heures 30, entrée, inspection de propreté, prière et appel ;
– jusqu’à 8 heures 40, instruction religieuse :
3e et 2e cours, récitation puis explication du catéchisme et de l’évangile pour la leçon du lendemain ;
1er cours, récitation puis étude des prières et du petit catéchisme sous la direction de l’aide ;
– jusqu’à 9 heures 30, lecture :
3e cours, étude puis lecture ;
2e cours, lecture, puis les élèves suivent la lecture et écoutent les explications faites au 3e cours ;
3e cours, lecture, puis étude et récitation de petits morceaux de prose ou de vers au moyen de l’aide ;
– 10 minutes de repos ;
– jusqu’à 10 heures 40, écriture :
3e et 2e cours, écriture ;
1er cours, écriture sous la direction de l’aide et avec inspection du maître ;
– jusqu’à 11 heures, arithmétique :
1er cours, étude, les élèves font le devoir donné la veille, puis leçon ;
2e cours, leçon, puis étude, les élèves font le devoir donné pour le lendemain ;
3e cours, calcul mental, puis lecture ;
– jusqu’à 11 heures 30, exercices divers, puis prière et sortie ;
– 1 heure, entrée, inspection de propreté, prière et appel ;
– jusqu’à 2 heures, langue française :
3e cours, les élèves font un devoir donné la veille, puis leçon ;
2e cours, leçon, puis les élèves font le devoir qui vient de leur être donné, ou prennent part à une dictée commune aux deux cours ;
1er cours, lecture, puis calcul mental, puis exercice d’intelligence et de langage par l’aide ou par le maître pendant une dictée faite aux 2e et 3e cours ;
– jusqu’à 2 heures trente, écriture et lecture :
1er cours, lecture ;
2e cours, écriture, mise au net ou rédaction de devoirs ;
3e cours, exercices d’écriture et de dessin sur l’ardoise ;
– 10 minutes de repos ;
– jusqu’à 3 heures 30, lecture et écriture :
3e et 2e cours, étude, les élèves font un devoir ou étudient les leçons pour le lendemain, puis écriture et mise au net ou rédaction des devoirs au 3e cours, et lecture au 2e cours ;
1er cours, exercices d’intelligence et de langage par le maître, puis lecture et alternativement écriture ;
– jusqu’à 4 heures, exercices divers, exercices communs aux trois cours, avec parfois exercices spéciaux pour le 1er cours sous la direction de l’aide ;
– 4 heures, prière et sortie.
20Dans cet emploi du temps s’inscrivent en outre quelques variantes : l’instruction religieuse à lieu le samedi soir à l’heure des exercices divers ; le dessin linéaire peut remplacer l’écriture le mardi et le samedi matin pour les deuxième et troisième cours ; la géographie et l’histoire (histoire sainte et histoire de France est-il précisé), peuvent remplacer la lecture le lundi, le mercredi et le vendredi soirs ; le chant a lieu le mardi soir pour les trois cours, à l’heure des exercices divers ; l’agriculture peut remplacer l’arithmétique le mercredi matin. Et « il est bien entendu que les entrées et les sorties se font toujours en chantant ».
21Le rôle joué par les aides, moniteurs, et autres premiers de table, se voit aussi bien chez un autre instituteur, Olivier Le Guillou, du Faouët (Morbihan). Voici quelques éléments de son organisation des cours, dans le même cadre des trois divisions24 :
– 8 heures, entrée, prière, lecture générale, et le maître commence « toujours en toutes les matières par les moniteurs, afin de les expédier à leurs groupes jusqu’à 9 heures moins le quart » ;
– 9 heures moins le quart, étude des leçons de mémoire ;
– 9 heures, récitation par le maître des leçons des deux premières tables, « qu’il expédie ensuite aux autres divisions, le tout sous l’œil du maître » (il précise plus loin que les moniteurs sont regroupés effectivement à ces deux tables-là), puis arithmétique, histoire sainte expliquée par le maître, ensuite une dictée faite par un élève, etc. ;
– 10 heures, correction verbale du calcul, au tableau, chaque élève tour à tour ; exemple, le lundi et le mercredi, la 1re division est au maître, la 2e et la 3e aux moniteurs ; mais le mardi et le vendredi, c’est la 2e qui reçoit la leçon magistrale, alors que la 1re et la 3e sont aux mains des moniteurs ;
– 11 heures, prière et sortie ;
1 heure, entrée, prière, lecture faite par le maître « aux faibles » pendant une demie heure, pendant que les moniteurs sont aux tableaux (il doit s’agir des tableaux didactiques de lecture), ensuite de quoi lecture et récitation des moniteurs (les deux premières tables donc), etc.
– 2 heures, sortie des petits s’il fait beau, dans la cour, « sous les yeux du maître », pour les autres, grammaire, dictée, etc. ;
– 3 heures, après 10 minutes de repos, écriture générale, puis lecture, prière, calcul, historiette aux petits ;
– 3 heures 3/4, leçon commune sur l’agriculture, l’histoire sainte, l’histoire de France, sur le système légal des poids et mesures, etc. ;
– 4 heures, prière du soir par un élève, sortie en rang, sauf pour les punis qui feront un devoir.
2. Les savoirs élémentaires
22La liste des matières d’enseignement réparties dans les emplois du temps est fixée par les programmes officiels. Quelques options sont toutefois envisageables. La loi de 1833 avait rendu obligatoires pour l’enseignement primaire élémentaire (par différence avec le primaire supérieur), l’instruction morale et religieuse, la lecture, l’écriture, les éléments de la langue française et du calcul, le système légal des poids et mesures. On pouvait également, « selon les besoins et les ressources des localités », donner à l’instruction d’autres développements (titre 1er, article 1er), mais sur lesquels on ne disait rien. C’est la loi de 1850, à laquelle se réfèrent les mémoires, qui précisa la nature et l’étendue de ces ajouts éventuels en l’espèce de l’arithmétique appliquée aux opérations pratiques, des éléments d’histoire et de géographie, des notions de sciences physiques et d’histoire naturelle « applicables aux usages de la vie », des instructions élémentaires sur l’agriculture, l’industrie, l’hygiène, l’arpentage, le nivellement, le dessin linéaire, le chant et la gymnastique (titre II, article 23)25. Souvenons-nous que la plupart de ces connaissances sont enseignées facultativement dans les écoles normales, alors qu’elles l’étaient obligatoirement après le règlement de 1832.
23Il est difficile d’évaluer précisément quelles matières ont été introduites et par quel taux d’instituteurs. Mais il est sûr que l’histoire et la géographie (cette dernière est à peine évoquée dans l’organisation de Villemereux) sont vite devenues intellectuellement indispensables dans l’esprit des maîtres sensibles à la modernité, quoiqu’elles ne seront nettement programmées dans l’enseignement primaire que sous la Troisième République. Dans la classe de J. Quéret elles coexistent avec l’histoire sainte, conformément à la recommandation officielle, et seulement en l’absence de la lecture des lundi, mercredi et vendredi soirs. La répartition annuelle que cet instituteur joint à son emploi du temps montre qu’il donne ces enseignements dans les deuxième et troisième cours. En histoire, dans le troisième cours, il aborde les notions préliminaires de la chronologie, les principales époques et les « principaux faits » de l’histoire de France. En géographie, dans le deuxième cours, il traite de géographie locale (école, commune, canton), des grandes divisions de la terre et de l’Océan, de la division de l’Europe en contrées, de la géographie de la France, et il donne une première connaissance des cartes ; ensuite, dans le troisième cours, il termine la géographie de la France, puis il arrive à la géographie de l’Europe, et enfin aux notions des quatre autres parties du monde26. Joseph Quéret enseigne donc neuf matières au total, qui sont l’instruction religieuse, la lecture, l’écriture, la langue française, l’arithmétique, le dessin linéaire, la géographie, l’histoire (dont l’histoire sainte dans le deuxième cours), et le chant (dont le plain-chant dans les premier et deuxième cours). Le programme de Césaire Beaudry est à peu près identique, à quelques nuances près. Mais l’histoire disparaît ; en calcul il exerce les élèves sur des « questions journalières » ; et surtout, en lecture, il introduit des ouvrages agricoles relatifs à l’histoire des découvertes et des améliorations (lecture à haute voix qu’il complète par des explications sur la taille et la greffe des arbres et la culture de certaines plantes)27.
L’enseignement agricole
24L’enseignement agricole est en effet l’objet de nombreux exposés dans les mémoires, pour qu’on l’instaure s’il n’existe pas, qu’on le soutienne s’il existe, qu’on l’encourage de toutes les façons possibles, qu’on le facilite en publiant des traités spécialisés, etc.28. Cette insistance a une raison fondamentale : l’agriculture est le meilleur moyen d’adapter l’instruction primaire au contexte rural et aux caractéristiques des populations paysannes. Quelques instituteurs donnent ainsi le détail des travaux qu’ils voudraient effectuer dans un jardin ou un champ mis à la disposition de leur école. François Toussaint, de Marcilly-en-Villette (Loiret), s’il disposait à proximité de sa classe, ne seraient-ce que de deux hectares, consacrerait un hectare aux céréales, 60 ares aux plantes fourragères, 20 ares à la vigne, 10 ares aux plantes potagères, le reste aux arbres fruitiers et aux plantes médicinales. Ces cultures serviraient à instruire les enfants, mais aussi à conseiller leurs parents en arboriculture, botanique et chimie agricole, en échange du labour que les pères effectueraient à tour de rôle. En plus de cela, des expériences pourraient répondre aux travaux du comice agricole29.
25Outre le fait que, dans la forme, l’enseignement de l’agriculture est pratique par définition (et à la campagne, « tout doit se borner à la pratique », affirme Hippolyte Dubois30) trois avantages lui sont attribués par les instituteurs :
26Premièrement, il a un but utilitaire évident-suivant l’idée de l’utilité qui s’est cristallisée sous la Restauration dans le cadre de l’enseignement mutuel. Selon le même Hippolyte Dubois, c’est surtout en vue du futur métier qu’il faut donner aux enfants une bonne connaissance de l’agriculture et de l’horticulture (celle-ci ajoute à celle-là, comme on l’a déjà constaté chez Césaire Beaudry, quelques notions du choix des graines, de la plantation, de la taille et de la greffe des arbres, et un peu de botanique au sujet des processus de la germination et de la fécondation). René Rémond, d’Orléans, pense également que le maître, sans négliger l’industrie et le commerce, doit développer les aptitudes des enfants aux carrières agricoles, lesquelles sont des moyens de prospérité pour l’Etat comme pour les paysans, et en plus, pour ces derniers, « une condition essentielle d’estime, d’influence et de bonheur »31. Laumet, de Labastide-du-Temple (Tarn-et-Garonne) va encore plus loin dans ce sens, puisqu’il envisage, pour « donner satisfaction aux nécessités rurales », d’enfermer l’instruction toute entière dans les limites de l’enseignement agricole32. Il n’est pas sûr toutefois que cette vision ait toujours eu l’approbation du public concerné. A en croire Eugène Garnier, de Moulis (Gironde), certains instituteurs ont dû renoncer à cet enseignement après qu’on leur ait reproché de vouloir faire de leurs élèves de simples paysans33.
27Deuxièmement, en même temps qu’il rend service aux individus, l’enseignement agricole est utile à l’Etat, puisqu’il combat la désertion des campagnes. Finalité sociale et morale cette fois, qui engage à former autant les ouvriers intelligents de la campagne que des hommes attachés à leur fonction, enracinés dans leur terroir, capables d’« aimer et chérir leur position »34. Eugène Garnier en déduit aussi qu’à la campagne, l’instruction primaire doit avoir l’agriculture pour base et la religion pour sommet35 !
28Troisièmement, comme il apparaît à travers le souhait de François Toussaint de faire des sortes de démonstrations à l’intention des parents, l’enseignement agricole a encore un enjeu d’insertion et de reconnaissance des instituteurs eux-mêmes dans la société rurale. Il offre une occasion de se présenter en homme savant et de bon conseil. Désir de s’imposer en imposant les valeurs du progrès et de la science. Cette ambition était déjà en 1832 celle du héros de Matter. Pierre Héliès, de Sainte-Sabine (Dordogne), en fournit un témoignage a contrario, puisqu’il nous fait part de ses déceptions à la suite des résistances que lui ont opposé les paysans, alors qu’il ne cherchait qu’à les affranchir de leur pauvreté36 :
« S’ils ne veulent pas entrer dans la voie du progrès qu’on leur prêche, c’est presque toujours la première mise de fonds qui les retient, ou l’incertitude du succès ; cependant, quelques kilogrammes de graines fourragères par exemple ne nécessiteraient pas un gros déboursé ; n’importe, c’est ce déboursé qui est le plus sérieux obstacle.
Je parle d’après ma propre expérience, car on ne voit de carottes fourragères, de betteraves, de trèfle de Hollande et de luzerne dans la commune que j’habite que depuis que j’ai dû en donner des graines ou la cultiver pour mon propre compte. » [Suit un long plaidoyer pour la luzerne, une plante qui amende le sol explique-t-il, qui fournit une grande quantité de fourrage et donc augmente le bétail au profit de l’agriculture et de la consommation, et qui exige en plus l’utilisation de la charrue de fer à cause de l’incapacité de l’araire de bois à arracher les racines si profondes de cette papilionacée].
29A cette époque, la réalité de l’enseignement agricole dans l’école primaire française tient dans un chiffre : 5 572 écoles où cette pratique a cours, avec des départements en pointe : 577 écoles dans la Meurthe, 303 dans l’Yonne, 286 dans la Haute-Saône, 250 dans la Meuse, 233 dans le Nord, etc. C’est le bilan dressé dans le rapport de Charles Jourdain à Duruy, en 1867, mais appuyé sur la statistique de 186337.
30L’intérêt des instituteurs ruraux pour cette matière a d’ailleurs été stimulé par divers organismes. Un directeur d’école primaire supérieure de Rodez, Jean-Pierre Palous, a rédigé en 1848 un rapport sur un cours qu’il dispensait en dehors de sa classe, et il dit avoir bénéficié d’un important soutien de la société locale d’agriculture, qui allouait une somme de 300 francs annuels pour récompenser les meilleurs élèves38. En 1861, un instituteur du Loir-et-Cher, Girard, de Mondoubleau, signale que les comices agricoles ont pris l’habitude de décerner des médailles aux instituteurs qui font preuve de zèle en ce domaine. Il y avait aussi diverses incitations des administrations centrales ou départementales. Une correspondance entre les ministères de l’agriculture et de l’instruction publique cherchait par exemple, en 1854, à dégager un crédit pour encourager l’enseignement de l’horticulture dans les écoles primaires39.
31Le projet d’insérer l’agriculture dans la partie facultative des programmes date en fait de Louis-Philippe. D’après le règlement de 1832, les écoles normales pouvaient enseigner la greffe et la taille des arbres si elles jugeaient cela possible. Le directeur de celle de Versailles, Lebrun, fut sans doute l’un des premiers à prendre des mesures significatives40. D’après un rapport de 1832, le cours du professeur, nommé Philipprat, s’attachait « à faire connaître la taille des arbres, la greffe des différentes espèces de marcotte, tout ce qui a rapport à la culture du jardin potager ». Il exposait aussi des notions de botanique et traitait des différents assolements, de la nature des terres, des instruments du labourage, du jardinage, etc. Tous les quinze jours, il emmenait ses élèves en promenade dans les champs afin de donner sa leçon « avec les faits de la nature sous les yeux »41. D’autres écoles normales agissaient dans le même sens et se communiquaient leurs expériences. Ainsi voit-on le préfet du Loiret écrire une lettre au président du comice agricole de l’arrondissement d’Amiens, le 8 octobre 1836, pour lui signaler l’existence à l’Ecole normale d’Orléans d’« une classe spécialement affectée à l’enseignement des connaissances élémentaires agricoles », où il est question d’horticulture, d’arboriculture et d’agriculture42. En réponse aux demandes de certains préfets, une circulaire ministérielle du 18 août 1838 ordonna le recensement des établissements susceptibles de s’annexer une exploitation rurale et d’embaucher des personnes suffisamment compétentes en la matière. L’enquête achevée, une autre circulaire, du 2 août 1839, suggéra qu’on ouvre des cours chaque fois que ces conditions seraient remplies43. Puis, comme la loi de 1850 introduisait l’agriculture dans la partie facultative de l’instruction primaire, le règlement du 31 juillet 1851 prescrivit pour les élèves-maîtres un programme assez complet, avec une partie de « culture en général » (étude des terres, des productions végétales du département de l’école normale, des assolements, des animaux domestiques – y compris pour prévenir les mauvais traitements-, des instruments aratoires, etc.) ; et une partie d’horticulture (défonçage, labour, binage, notions sur la plantation, espèces potagères, plantes médicinales, greffe et taille des arbres fruitiers : ces dernières études semblent les plus importantes dans les mémoires de 186144) Ce programme sera reformulé et étalé sur les trois années d’études par le décret du 2 juillet 1866.
3. Ordre et discipline
32Concrètement, une organisation simultanée s’appuie sur deux axes. D’une part elle regroupe les élèves dans des divisions homogènes (les « cours ») ; d’autre part elle répartit les leçons et les exercices dans la journée et la semaine (l’emploi du temps). Les techniques du « plan d’étude » et du journal de classe ont précisément pour intérêt de composer visiblement et facilement les éléments de ces deux niveaux. Mais la régularité du travail scolaire n’est pas rendue possible seulement par un tel « dispositif », selon la terminologie adoptée par Foucault45 ; elle dépend aussi des injonctions que le maître adresse à chaque élève pour diriger sa conduite et lui commander ce qu’il doit faire à tel moment ou en tel lieu. En ce sens courant, celui qu’utilisent les instituteurs du second Empire, la discipline tient peu ou prou à l’action du maître et à ses efforts pour se faire obéir : c’est une police. Et comme dit Léopold Souillart, d’Aix-Noulette (Pas-de-Calais), « La plus rude besogne du maître est la police dans sa classe »46. Un autre mémoire nous confirme d’ailleurs que « L’enfant, comme le lièvre, tourne tous ses efforts du côté de la liberté »47. Quoiqu’en marge de ce propos l’inspecteur primaire ait noté : « Ridicule », on peut en déduire que la première préoccupation du maître, c’est d’inspirer la confiance à ses élèves tout en leur montrant qu’il sait avoir... de la poigne.
33A l’origine, la conception et la mise en œuvre du système disciplinaire propre à la méthode simultanée était une spécialité des frères. Ceux-ci avaient une solide réputation d’efficacité en ce domaine. Réputation méritée, même si certains témoignages, rares, se font un plaisir de prendre en défaut les continuateurs de saint Jean-Baptiste de La Salle. Arsène Meunier rapporte qu’à l’école chrétienne qu’il a fréquenté au tout début du siècle, à partir de ses huit ans, un instituteur laissait s’installer chaque après-midi un tapage indescriptible, tout simplement parce qu’il s’endormait (les élèves l’appelaient de ce fait « le frère roupilleur »48) On trouve également vers la fin du récit de Charpentier un exemple de rébellion d’élèves qui déjouent la vigilance des congréganistes. Un beau jour, l’ordre de la grande classe devenant difficile à maintenir, le frère infligea aux élèves fautifs des punitions à faire chez eux, et les renvoya sur le champ. Or ils revinrent peu après, prétextant qu’en l’absence de leurs parents ils avaient trouvé porte close. Alors le frère leur donna le matériel nécessaire pour qu’ils fassent les punitions dans la rue, qui était peu fréquentée, en s’installant sur les bornes. Mais les rebelles, joyeux sans doute, et pas près de s’en laisser conter, se donnèrent le mot pour perturber la classe qui continuait sans eux, et, tour à tour, ils vinrent frapper à la porte, demander, le premier de l’encre, le second une meilleure plume, le troisième un livre, etc., parvenant donc à entraîner dans leur sarabande les élèves restés à l’intérieur. A bout de moyens, respectant scrupuleusement le règlement de la congrégation souligne Charpentier (ce qui signifie sans doute qu’ils s’interdisent de frapper les enfants), les frères alertèrent la mairie. Le comité local fut ensuite convoqué, il se rendit peu après dans la classe, accompagné du commissaire et de plusieurs agents, pour prononcer des exclusions assorties d’interdictions d’accès aux écoles communales49.
34La discipline comme action d’imposition demande en réalité la mise en œuvre d’un système à deux faces : 1) des règles de conduite ; 2) des sanctions assorties au respect ou à la transgression de ces règles.
Règles de conduite
35D’après Léopold Souillart ou Joseph Quéret, « une des plus grandes préoccupations de tous les instants » dans la classe doit être d’obtenir le silence, grâce à quoi « la discipline n’est plus qu'un jeu »50. Etre silencieux est en effet pour l’élève la meilleure manière de respecter l’ordre, actuellement ou virtuellement : en attendant et en suivant toujours « avec exactitude » les décrets du maître. Le silence était depuis toujours le souci des frères des écoles chrétiennes, en application d’une règle technique héritée d’une règle spirituelle (elle-même issue du cadre monastique51) C’était même parfois leur seul problème, si l’on en croit le témoignage – très ironique sur ce point – de J. Le Henaff. A l’école mutuelle, cette règle avait théoriquement autant d’importance, même si, dans la pratique, elle n’était guère facile à établir. Au début de son Manuel pour l’inspection des écoles mutuelles, l’abbé Gaultier demandait qu’on indique, d’une part si le silence était observé, et d’autre part si le maître, « à son tour », s’abstenait « de crier à chaque instant et de parcourir l’école de haut en bas »52.
36Dans tous les cas, un bon moyen d’inciter les élèves à se taire consiste pour le maître à se dispenser, autant que possible, de parler – ou qui plus est de crier (car il faut en même temps, dit Césaire Beaudry, épargner sa poitrine). C’est pourquoi les instituteurs substituent souvent à leur propre voix différentes sortes de codes. Codes visuels comme les signaux sur les planchettes de l’école mutuelle ; codes sonores comme les coups de sonnette ou les claquements produits par les frères avec leur « signal », cet objet singulier qui permet de frapper sur son support un petit levier en bec d’oiseau53. Les participants au concours de Rouland semblent tirer parti de toutes ces ressources, à l’instar de Celhay, de Saint-Laurent-du-Bois (Gironde), utilisateur des instruments visuels, des instruments sonores et de tout autre moyen propre à stimuler les élèves et à « fixer leur attention »54. Le héros de Matter montre quant à lui une véritable obsession en ce domaine, car non seulement il utilise ces moyens, mais en plus il s’efforce de corriger ses propres intonations criardes, il apprend à ses moniteurs à modérer leur voix, il fait incruster les ardoises dans les bancs, et enfin il adopte, à la place de la grosse cloche traditionnelle, la timbale la plus douce qu’il ait pu trouver55. Mais on se doute que cette règle du silence, à cause de sa très grande difficulté d’application, a été constamment répétée au XIXe siècle. Dans les mémoires du concours, elle est souvent posée comme un but essentiel de la première éducation. Philémon Leleu, de Blangerval (Pas-de-Calais), attribue d’ailleurs aux salles d’asile l’avantage de confronter les élèves les plus jeunes à cette exigence, et de permettre d’éviter ensuite le bruit « continu » qu’on entend ordinairement dans les classes56.
37La difficulté de maintenir l’ordre indispensable est une raison essentielle d’employer les « aides » décrits plus haut, ces élèves à qui les maîtres confient une parcelle de leur autorité. Dans ses Etudes pédagogiques, un inspecteur primaire de Douai, M. Bourgeois, ouvre son chapitre sur les moyens disciplinaires par la définition des rôles du « surveillant général » et des « premiers de table ». Là aussi, comme pour les instituteurs de la Gironde en 1858, il s’agit de références transmises par les cours de pédagogie des écoles normales. Le surveillant général (selon une formulation qui rappelle le moniteur général de la méthode mutuelle, à condition de ne pas oublier qu’il s’agit de la discipline, non de l’enseignement), est un élève qui peut noter les bons et les mauvais points, accorder les permissions de sortie, annoncer par la cloche les changements d’exercice, remettre les livres, cahiers et modèles d’écriture aux premiers de table. A ces derniers revient alors la tâche d’écrire en silence les noms de ceux qui troublent l’ordre pendant les exercices57. Isidore Laurent, de Chevannes (Loiret), très disert sur les problèmes de discipline, préconise également « la coopération des élèves les plus raisonnables ». D’une part il installe sur une petite table, à côté de sa propre chaire, un élève chargé de surveiller ses condisciples ; d’autre part il désigne des premiers de table (avec « un peu de solennité », puisqu’il s’agit de récompenser leur mérite en les inscrivant en même temps au tableau d’honneur), qui doivent maintenir le silence dans chaque division en prenant « des notes sur les élèves qui causent et qui se conduisent mal ». Mis à ce poste à tour de rôle, précise cet instituteur, les élèves ne s’habitueront jamais à dominer les autres58.
Punitions et récompenses
38On sait qu’à l’école mutuelle la répartition des rôles permettait aux enfants d’accéder à des fonctions de commandement, voire de délibération, quand se déployait le faste juvénile du tribunal d’école. Ceci modifiait le système de pénalité. Puisque l’élève passait du côté de celui qui prononce la règle au lieu d’avoir seulement à la subir, il devait être moins tenté d’y résister, et on aurait donc moins besoin de le punir. Surtout, il ne recevrait jamais de coups.
39La Conduite des écoles chrétiennes (comme le ratio studiorum des jésuites), ne prévoyait elle-même de « corrections afflictives » que si tous les autres moyens de « retenir les enfants dans le devoir » avaient été essayés. En outre, Jean-Baptiste de La Salle exigeait qu’on frappe seulement les mains des enfants (sauf de ceux qui auraient pu y avoir « du mal ») et l’une après l’autre, avec un laps de temps suffisant, en utilisant la célèbre férule, un morceau de cuir « long d’environ quatorze pouces et large de huit lignes »59. La plupart des mémoires de 1861 se prononcent à leur tour contre les châtiments corporels, en adoptant d’ailleurs un ton assez vigoureux sur ce sujet, comme si tout débat était désormais superfétatoire. « Rien n’est pire que les verges » déclare par exemple Isidore Laurent. On peut donc penser qu’il s’agit pour une majorité d’entre les instituteurs d’une évidence, qu’ils reproduisent pour signaler l’indiscutable modernité de leurs conceptions éducatives.
40L’usage des châtiments corporels à l’école, ce qu’on appelle parfois la « pédoplégie », remonte aux règlements monastiques de l’antiquité tardive et du moyen âge, eux-mêmes inspirés par les préceptes bibliques et les commentaires de certains pères de l’Eglise, parmi lesquels saint Chrysostome et saint Augustin60. Il est connu que la vie des enfants confiés aux ordres religieux et promis à l’état monastique ne manqua pas d’une rigueur qu’on pourrait qualifier de cinglante à cause du fouet et du bâton. Les institutions scolaires des XVI et XVIIe siècles ont tellement pratiqué ces sortes de punitions que celles-ci ont fini par adhérer à la figure même du maître, devenu un furiosus praeceptor. C’est pourquoi, dans les petites écoles que décrivent certains récits, on ne voit que des larmes et on n’entend que des sanglots : le magister inspire la terreur61. Frapper les élèves est en effet le fer de lance, si l’on peut dire, de la méthode individuelle, un moyen d’enseigner pour le maître et un moyen d’apprendre pour l’élève (apprendre au sens de retenir) ; et c’est donc à la férule que revient le pouvoir d’inculquer les vertus chrétiennes. De cette tradition « orbilianiste », le symbole pourrait bien être un instituteur qui exerçait au XVIIIe siècle en Souabe : ayant tenu un compte méticuleux de ses faits et gestes en 51 ans et 7 mois de carrière, il aboutissait à un total de 911 257 coups de bâton, dont 800 000 environ à cause du latin, et 124 000 coups de verge, dont 76 000 environ à cause des versets de la Bible ou des cantiques, plus quelques milliers de soufflets sur la bouche ou de calottes sur les oreilles, pour des raisons tout aussi pédagogiques62.
41Parmi les voix qui se sont élevées dès cette époque contre de tels procédés, la plus célèbre fut probablement celle de Coménius. Dans La Grande Didactique, il rejette absolument la trique et le fouet63. Mais c’est au milieu du XVIIIe siècle et sous l’influence du mouvement philosophique que la correction commence d’être sérieusement discréditée. Les règlements scolaires cherchent alors à la cantonner aux cas jugés les plus scandaleux donc les plus dangereux. Après Jean-Baptiste de La Salle, Agathon, dans son analyse des Douze vertus d’un bon maître, se prononce pour qu’on remplace les corrections par les sanctions les plus douces. Ensuite les châtiments corporels sont officiellement interdits sous la Révolution, par un règlement du comité d’instruction publique du 24 germinal an III (article 5), qui décide que « toute punition corporelle est bannie des écoles primaires »64. Bien des textes légaux répètent cette interdiction par la suite : le statut des écoles du 25 avril 1834 (article 29), le règlement du 17 août 1851 puis, entre autres, le règlement du 22 mars 1855 (article 7) pour les salles d’asile. Ce dernier insiste : « Les enfants ne doivent jamais être frappés. Ils seront toujours repris avec douceur ». Pour les punir, on peut juste les faire se lever et tenir debout pendant une dizaine de minutes, les faire sortir du gradin, leur interdire de participer aux activités communes, leur faire tourner le dos aux autres enfants65.
42Il est sûr toutefois que le reflux de la violence magistrale a été très lent. A Reims, les frères des écoles chrétiennes qui sont les émules de Charpentier semblent avoir été parfaitement scrupuleux. Mais d’autres ne furent pas de sitôt dignes de leur saint fondateur. Ceux dont le jeune Toinou suit la classe au début de notre siècle, à Ambert, ont encore des manières de brutes épaisses. Ils n’hésitent pas à se saisir d’un élève récalcitrant – surtout si c’est un paysan –, à lui arracher des cheveux sur la nuque ou les tempes et même à le jeter par terre pour lui attaquer les côtes à coups de pieds66. Les régents et les magisters des villages gardèrent longtemps la même réputation de rudesse et de sévérité. Se souvenant de l’école de son enfance, au tournant des XVIII et XIXe siècles, le personnage de Matter évoque très significativement la distribution quasi-rituelle des coups. Chaque jour dit-il, les élèves étaient « successivement écoutés, grondés et battus »67.
43Quelques textes du premier XIXe siècle permettent de reconstituer un catalogue des instruments utilisés par cette pédagogie contondante. Dans une première catégorie il y a les choses flexibles. La baguette qui, selon C.D. Férard, laisse « de regrettables traces », est en usage vers 1835 à Saint-Aubin d’Arquenay (Calvados). Souvenons-nous qu’elle est aussi à l’honneur dans le roman d’Erckmann-Chatrian68. La férule, tout aussi classique mais un peu moins souple puisqu’elle est faite des redoutables lanières de cuir tressées, est encore en 1861 l’un des attributs indispensables de l’école rurale telle que la décrit Derome69. Dans une seconde catégorie entrent les choses rigides. Matter parle de « l’odieux bâton blanc », qui est à peu près le seul matériel légué par le vieux magister. Mais en fait, les gaules ont souvent la préférence à cause de leur longueur : elles permettent d’atteindre les élèves sans quitter sa place. C’est l’accessoire privilégié du maître imaginé par la comtesse de Ségur dans La fortune de Gaspard70. Dans les écoles rurales de l’Est décrites en 1850 par Noël Vauclin (qui est un disciple de Matter), se dressent toujours dans un coin ces grandes gaules menaçantes, dont lui-même avoue avec un peu de gêne s’être servi à l’occasion. Officiellement dit-il, elles « servent pour la leçon de lecture au tableau, et pour les exercices à la carte. Dans la pratique, elles ont un autre emploi, qu’on devinera aisément »71.
44Tous ces textes considèrent les châtiments corporels comme les survivances d’une époque révolue, archaïque. Matter en parle à propos du prédécesseur de son héros, un « vieux maître d’école » au plus mauvais sens du terme, détestable, crasseux et grossier, bavard et vaniteux, qui, dans le village, avait « élevé, c’est-à-dire battu tout le monde ». Fâcheuse habitude, ajoute Matter en note, qui est peut-être la cause de la déconsidération qui pèse encore sur les instituteurs dans certaines localités72. A l’inverse, le jeune maître accomplit un double acte symbolique pour sa prise de fonction dans l’école délabrée : il laisse les fenêtres ouvertes, puis il casse et jette le bâton.
45Il y a dans les mémoires de 1861 le même schéma d’opposition entre l’ancien et le moderne, qui vaut donc autant pour la discipline que pour les méthodes et les procédés d’enseignement. Cette conscience d’une évolution amélioratrice caractérise la fraction progressiste des instituteurs. Par exemple Jean Merle, de Saint-Macaire (Gironde), sépare nettement la férule d’hier et les « méthodes perfectionnées » d’aujourd’hui, qui ne vont pas sans « la persuasion et la douceur »73. Pierre Héliès exprime plus radicalement la conviction d’agir en avant-garde sur le terrain disciplinaire. Comme les parents, admet-il, ne se rendent pas tout à fait compte de cela, l’écolier lui-même est surpris à son premier jour de classe lorsqu’il constate « qu’on lui avait exagéré les inconvénients de l’école », et qu’il n’y a ici « ni bâton ni férule », bref, que « son nouveau maître n’est pas aussi noir » qu’il aurait pu croire74.
46Dans le corpus de 1861 cependant, les partisans de la punition corporelle lancent des contre-attaques énergiques, quoiqu’avec des précautions de langage puisqu’ils dérogent aux instructions officielles. Jean-François Vasseur, de Maurepas (Somme), fait mine d’approuver l’interdiction réglementaire des coups – que certains instituteurs ruraux, dit-il sans malice, infligeaient autrefois ! Mais c’est pour émettre ensuite un jugement positif sur ces manières de châtier. Que faire, se justifie-t-il, lorsqu’un enfant grossier nargue son maître en disant tout bas à ses camarades : « Il n’a pas le droit de me frapper. S’il le faisait, je le dirais à mon père » ? Que faire contre ces enfants rebelles à toute autorité ? Que faire avec ces parents oublieux du précepte de l’écriture d’après lequel la verge ne doit pas être épargnée à sa progéniture ? Une seule chose, qu’on imagine. « Je ne fait point ce récit, conclut Vasseur, pour autoriser l’abus des punitions corporelles, mais seulement pour prouver que le manque de correction est une plaie désolante de notre époque »75. On voit que le schéma d’opposition se retourne : le bien était d’hier et le mal est d’aujourd’hui. Philippe Dupont, du Pré d’Auge (Calavados), qui fait un long plaidoyer en faveur des coups (dix pages de son mémoire traitent de la discipline), se lamente aussi bien contre les temps actuels, avouant en effet76 :
« Je n’ai jamais lu les philosophes, mais j’en ai entendu parler. Plus je vais, plus je vois qu’ils ont fait en éducation comme en politique une triste révolution. Il est à regretter qu’on se soit laissé dominer par leurs idées. On a fait en cela une erreur profonde dont nous subissons les conséquences. Jusques à quand les subirons-nous ? »
47Partisans et adversaires des châtiments corporels protestent malgré tout d’une seule voix contre les parents qui viennent à la porte des classes se plaindre des sanctions décidées par le maître, quelles qu’elles soient. Ces parents portent leurs enfants aux nues, les entourent de préventions exagérées, et ils accusent toujours les instituteurs de commettre des injustices. Favorable aux châtiments corporels, Philippe Dupont se récrie contre « des mères de famille indignes de porter un tel nom, […] ces femmes dont la sottise égale l’insolence, qui nous arrivent en pleine classe, sans que nous sachions d’où, ni comment, ni pourquoi », pour défendre leurs enfants soi-disant innocents77. Défavorable aux châtiments corporels, Pierre Héliès regrette sur le même ton l’attitude des parents qui prennent le parti inverse du sien et vont jusqu’à tenir devant l’enfant « des propos qu’ils ne devraient pas lui avouer en face »78. On n’imaginait guère trouver dans les familles, probablement les familles aisées, un tel souci de limiter la marge de manœuvre de l’instituteur. Léopold Charpentier, en 1849, avait eu maille à partir avec des parents et au delà avec ses propres chefs, pour un soufflet donné avec le cahier de l’élève, et il avait finalement reçu un avertissement79.
48La manière douce était déjà prônée par Jean-Baptiste de La Salle et les frères des écoles chrétiennes. Dans l’inventaire des vertus magistrales commentées par le Frère Agathon, la douceur vient en huitième position, et elle est définie à la fois comme bonté, sensibilité et tendresse, ce qui n’interdit pas qu’elle s’allie à la fermeté pour créer l’indispensable autorité. Après l’enquête de Guizot, déjà fort attentive à ces problèmes, le statut du 25 avril 1834 s’inscrivait dans le contexte de prohibition des châtiments corporels, et approuvait la série suivante de sanctions : mauvais points, réprimandes, restitution des billets de satisfaction, privation de récréation avec une tâche à effectuer, mise à genoux pendant une partie de la classe, port d’un écriteau annonçant la nature de la faute commise, et enfin renvoi provisoire. Ensuite le règlement du 17 août 1851, souvent cité dans les mémoires, ne retint que les mauvais points, la réprimande, la privation totale ou partielle de récréation, l’exclusion provisoire et le renvoi définitif.
49Comprenons surtout que si la douceur investit la relation d’autorité, elle en change autant le fond que la forme parce qu’elle en fait une relation d’amour. Elle ajoute une psychologie à la technologie. M. Bourgeois, dans son guide pour les instituteurs, démontre ainsi que « le principal ressort de la discipline et le plus efficace est assurément l’affection pour les enfants »80. Charles Leconte, de Bully-Grenay (Pas-de-Calais), affirme également que tous les efforts pour instaurer la discipline ne doivent certainement pas s’aider de la férule, et qu’il est bien plus important de se faire aimer81. Tel est d’ailleurs le principe de ce qu’Isidore Laurent appelle la « science de gouverner une école ». Le maître ne pouvant se contenter d’exercer ses droits à une soumission absolue, il doit utiliser d’autres moyens, « spéciaux », qui lui permettront de maintenir son ascendant pendant des années sur une population enfantine qui se renouvelle sans cesse ; et ces moyens consistent à convaincre les enfants qu’on est leur ami, qu’on veut leur « avancement », qu’on est davantage préoccupé de leur bien que de ses propres plaisirs, « en un mot » qu’on les aime82.
50Sous le règne de l’amour et de la douceur, le ressort de la punition devient donc moral : ce sera la honte. On est dans l’ère du bonnet d’âne83. Puisqu’il faut faire subir une souffrance proportionnelle à la faute commise, et utile autant que possible à l’amendement du coupable, on imposera des marques d’infamie, l’inscription au « tableau de honte » dont parle Pierre-françois Lefèvre, ou l’envoi à la pierre dite « de confusion » ou « d’ignominie » sur laquelle il faut se tenir à genoux chez les frères (sous le second Empire, l’évêque Dupanloup serait lui-même l’inventeur du « peloton de punition », qui consistait à faire défiler pendant la récréation les élèves punis)84. Il y a, dans le mémoire d’Isidore Laurent, une liste où tous les cas sont prévus et qui a certainement pour origine un règlement mis au point sous la monarchie de Juillet par les comités de surveillance : l’inattentif ou l’étourdi est descendu d’une place, l’insubordonné est placé en queue de division, l’entêté ou le rétif est contraint d’adopter une posture particulière, travailler debout ou se tourner vers le mur ; les paresseux, les menteurs et les malpropres doivent porter sur la poitrine un écriteau signalant très lisiblement leur vilenie et, ainsi affublés, ils doivent rester les yeux baissés, debout devant l’estrade, face à leurs camarades ; en outre le nom des mauvais élèves est gravé sur une planchette noire placée à la porte d’entrée jusqu’à ce qu’ils se soient rachetés par une bonne conduite85. Il est probable que les deux techniques proches de l’écriteau à porter et du panneau pour inscrire les noms des coupables aient été les plus employées (on vient de voir que la première est prévue dans le texte de 1834, donc elle a pu se répandre). Dans un style un peu plus raffiné de « discipline paternelle », Arsène Fortou, de La Ferté Saint-Aubin (Loiret) imagine une combinaison des deux variantes : dans les cas de fautes graves, on pourrait faire asseoir le coupable plus ou moins longtemps sur « un vilain siège de bois appelé bûche » et l’enfant, en se relevant, verrait son nom écrit en gros caractères sur le siège (l’idée est-elle de le faire asseoir sur son nom ?) ; de plus il ne serait autorisé à le faire disparaître « en le grattant avec son couteau, que plusieurs jours après »86.
51La substitution de la punition morale à la punition corporelle, de la douce blessure symbolique à la dure souffrance physique, traduit peut-être l’irruption d’une certaine affectivité entre le maître et ses élèves, c’est-à-dire de la sentimentalité inhérente à la vision moderne de l’éducation (voir Philipe Ariès). Mais elle marque surtout l’impact du groupe (le « groupe-classe », dirions-nous aujourd’hui) sur la vie scolaire. Car les punitions douces cherchent à provoquer la honte, donc le remords, la culpabilité, l’intériorisation du reproche, en érigeant en instance accusatrice non pas le maître à lui tout seul mais la communauté de la « classe », cette petite société réunie dans les conditions évoquées plus haut. Ce qu’exigent en effet la punition morale, l’écriteau honteux, la place infamante, la posture ignominieuse, etc., c’est que la collectivité entière assume la tâche de réprouver (la honte est engendrée par l’identification à l’accusateur qu’est cette collectivité ; tandis que le fait de réprouver en se moquant inhibe toute tendance des autres élèves à s’identifier au coupable). En d’autres termes, dès que le groupe libère sa puissance de jugement, avec des doigts pointés, des railleries et des sarcasmes, il exprime une adhésion émotionnelle aux valeurs engagées dans la condamnation du fautif, qui ne demande plus qu’à retrouver sa place parmi les autres et à être libéré du poids de l’opprobre. Le maître et ses élèves, qui vont regarder et rire ensemble, sans doute, plus ou moins bruyamment, ne sont donc jamais autant solidaires et unis par leur morale qu’à ce moment-là.
52Comme les punitions, les récompenses mobilisent l’affectivité du groupe, mais cette fois comme groupe concurrentiel. D’où le thème de l’émulation, important dans les mémoires, et toujours corrélé avec celui de la méthode (mixte ou simultanée). Les instituteurs de 1861 exposent une argumentation consensuelle sur la nécessité de cette motivation. A l’époque, l’idée commence d’ailleurs à se traduire par la mise en place des compositions, ce système de hiérarchisation du mérite qui caractérise encore la vie des institutions scolaires. Dans le département de la Somme par exemple, la question est souvent abordée, et l’un des textes acquiesce aux « compositions hebdomadaires qui se font jour dans les écoles »87.
53Quant au résultat, c’est une forme de reconnaissance qui est attendue : l’honneur fait pièce à la honte, et le tableau d’honneur remplace le tableau de honte. Les bons points habituels ne sont pas suffisants ; il faut diverses mentions et citations devant le groupe. Isidore Laurent organise des compositions qui se soldent le lundi matin par des attributions de places (l’élève conserve donc sa place durant une semaine). Il procède aussi à un examen mensuel et décerne une « marque de premier » à celui qui arrive en tête de sa division. Si un élève se signale par un travail et une conduite remarquables, il se verra remettre une « lettre de satisfaction » communicable aux parents, ou bien il sera inscrit au tableau d’honneur ; mais un nom peut en être effacé en cas de faute grave. Enfin, une bonne action sera relatée par le maître à toute la classe le samedi soir, surtout pour rappeler qu’en cela consiste « l’accomplissement rigoureux des devoirs du chrétien »88. Césaire Beaudry a adopté un dispositif comparable : des éloges du maître, des bonnes notes pour les leçons bien sues et les devoirs bien faits (ce n’est donc pas une évaluation comme nous l’entendons aujourd’hui : le travail y est moins jugé en lui-même que l’application de l’élève) ; des croix pour les premiers aux compositions ; le tableau d’honneur pour une application soutenue et une conduite irréprochable ; un message sur le « livret » ou « cahier de correspondance » destiné aux parents ; enfin des prix, dont il ne précise pas la nature89. Dans la même perspective, de nombreux instituteurs demandent qu’on leur alloue de quoi se procurer divers types de récompenses – essentiellement des livres – qu’ils aimeraient distribuer à l’occasion de fêtes solennelles.
4. Etudier le caractère des enfants
54Dans l’idéal comme dans la réalité pédagogique, l’épreuve du contrôle disciplinaire – la « police » – accompagne forcément l’exercice de l’autorité, qui est, au fond, une capacité d’influence morale. Or celle-ci, d’après les instituteurs du second Empire, repose sur l’étude du caractère des enfants. « Le premier besoin du maître est d’étudier le caractère de ses élèves » : tel est en ce domaine le précepte majeur des mémoires que nous lisons. Ce précepte faisait clairement partie du bagage théorique des futurs maîtres, notamment du volet psychologique et moral des cours de pédagogie. Il figure en bonne place dans le Cours normal de Gérando, au douzième entretien, ou dans le Manuel législatif et administratif de l’instruction primaire, lorsqu’on recommande d’agir aussi bien sur le cœur des enfants que sur leur esprit. Frégier, qui a assisté au cours de pédagogie de l’Ecole normale de Versailles avant 1840, a justement apprécié qu’on y raisonnât autant sur les méthodes pour transmettre les connaissances que sur les caractères des enfants, sur leurs qualités et leurs défauts, et sur les « moyens à employer pour fortifier les uns, pour corriger les autres »90. Notons que, pour Jean-Baptiste Sandre, un grave inconvénient des mutations d’office, c’est qu’elles contraignent l’instituteur à refaire avec ses nouveaux élèves cette longue et difficile étude de leurs particularités morales.
55Au XIXe siècle, la théorie des caractères s’est diffusée dans le cadre d’une psychologie spéciale destinée à soutenir l’action éducative de l’école primaire. La théorie du développement des facultés, qui appartient au même domaine, a eu moins de succès et n’est mentionnée en 1861 que de façon secondaire, sans doute parce qu’elle relève du plan intellectuel et de l’apprentissage des connaissances, et non du plan moral et de l’apprentissage des conduites. Les formes de théorisation du caractère sont donc très nombreuses et détaillées à cette époque. Il est assez révélateur que le professeur de philosophie amiénois A. Debs, dans son projet de fonder une science de l’éducation sur une idée de ce qu’il appelle « l’activité volontaire », passe par une définition des facultés pour aboutir à une définition du caractère. Celui-ci démontre-t-il, c’est simplement la volonté unie aux autres facultés, c’est-à-dire notre liberté exercée dans la dépendance de la nature, ce qui entraîne un exercice « tantôt impossible, tantôt difficile, tantôt aisé ». De là vient que les individus sont actifs ou inertes, puissants ou faibles, versatiles ou persévérants, etc. Dans cette perspective, l’étude des caractères n’est donc pas l’étude de la volonté elle-même, mais « la recherche des circonstances intellectuelles, sensibles, corporelles même, qui empêchent ou qui favorisent l’exercice de notre liberté »91.
56La caractérologie fut une discipline hautement raffinée et elle resta jusque dans la première moitié du XXe siècle une spécialité française très courue. Elle prolonge en outre des typologies anciennes, antiques même, surtout celles d’Hippocrate et Galien, qui reconnaissaient quatre humeurs primitives – le sang, la bile, la lymphe et l’atrabile (ou bile noire) –, et concluaient à l’existence de quatre types de caractères : 1) sanguin (vif, versatile, etc.) ; 2) bilieux ou colérique ; 3) lymphatique ou flegmatique (lent, irrésolu, etc.) ; 4) mélancolique. Au XIXe siècle, de nombreuses variations ont enrichi ces définitions. Cabanis, dans les Rapports du physique et du moral chez l’homme (1796 et 1802), ajoute le tempérament nerveux (souplesse et agilité). Fourcault, dans l’article « Caractère » du Dictionnaire de la conversation, réduit la série à trois éléments : le nerveux, le sanguin, le cellulaire ; et il pose que ces trois caractères de base peuvent se combiner pour en former sept autres : l’adipeux, le scléreux (ou osseux), le musculaire, le gastrolimique (ou famélique), le gastropathique (ou mélancolique), et enfin l’érotique92.
Problème pédagogique
57En premier lieu, une théorie du caractère permet aux instituteurs de se poser en 1861 le même problème que les frères sous l’Ancien Régime, celui de l’adaptation des actes magistraux aux particularités des enfants ; et tout enfant est particulier au sens où il se distingue des autres. Un texte du Supérieur du Grand séminaire de Lyon, Perrodin, souligne que le caractère, cette « inclination naturelle ou acquise qui nous porte au bien ou au mal », « distingue essentiellement chaque individu de ses semblables »93. Que les différences soient en nombre infini provoque du reste cette sorte de vertige émerveillé que révèle une formule de Louis Saunier, de Folles (Haute Vienne) : « La diversité des caractères est prodigieuse... »94. Barrau enseignait également que les enfants ont des traits généraux et communs à tous, mais qu’« il est une infinité de traits particuliers qui les différencient », et qu’« il n’est peut-être pas plus difficile de trouver deux feuilles d’arbre entièrement semblables que deux caractères d’enfants parfaitement jumeaux »95.
58La connaissance psychologique suppose et demande par conséquent toute une attention aux personnes afin d’ajuster les actes éducatifs et, par là, de surmonter les obstacles que pourraient offrir les individualités les plus divergentes. C’est un principe de vigilance pédagogique qui s’impose d’autant plus que le mode simultané crée un groupe homogène, disons : de même niveau d’acquisition, dans lequel les différences sont aplanies. L’étude du caractère intervient alors sur les différents registres de la vie scolaire. D’une part celui de l’enseignement, pour qu’on ne suive pas les mêmes procédés avec tous les enfants96 ; d’autre part celui de la discipline, pour particulariser les punitions et les récompenses, quelle que soit leur nature. Philippe Dupont, qui approuve les châtiments corporels, assure que le maître, « dont les jours s’écoulent à instruire la jeunesse, doit absolument connaître le caractère de chacun de ses élèves », et il se justifie en exposant une visée très réfléchie de rationalisation des sanctions97 :
« Presque toujours l’œil des parents est voilé par l’amour paternel ; mais l’œil observateur du maître voit toutes choses selon la justice. Devant lui surtout, soit en classe soit en récréation, l’âme des enfants se révèle dans toute sa vérité.
Il est des caractères doux, inoffensifs, amis de l’ordre et du bien, des enfants sages et studieux, placés ici-bas pour embellir la terre : pour ceux-là des moyens de répression doux comme eux. Il est des caractères mixtes chez lesquels le bien est balancé par le mal, qui font le premier sans mérite et le second par occasion, des enfants qui ne seront jamais des hommes, dont l’indifférence sera le principal défaut, dont le travail sera nul au jour du labeur, et qui passeront sur la terre comme s’ils n’y passaient pas : à ceux là les corrections permises par la loi.
Mais il est des caractères intraitables qui font le mal par haine du bien, où percent dans l’homme les instincts de la bête et qu’on ne peut pas dompter : que faire à ceux-là : de quelle manière les redresser ? Comment les rendre meilleurs ? Cela je n’en sais rien, car plus je vais, plus je vois qu’il devient impossible d’en arriver là. »
Problème moral
59En second lieu, l’étude du caractère est donnée par les instituteurs comme le fondement de leur emprise sur l’être moral des enfants, qu’ils se proposent évidemment de former en les orientant vers le bien et en les détournant du mal. Or ce principe a opéré un double déplacement :
Il supporte une vision scientifique de l’éducation morale et de l’exercice de l’autorité qui rend cette éducation possible. Morale et autorité relèvent désormais d’un savoir préalable (dont la fonction est évidemment imaginaire, car il s’agit avant tout de construire une image de soi valorisante pour les maîtres). On peut dire que l’instituteur perçoit son emprise éducative, qu’il évalue ses chances d’atteindre à la plénitude de cette emprise – lorsqu’il punit, récompense, prononce tel ou tel jugement, prend telle ou telle mesure de coercition, etc. –, grâce à la science qui lui dévoile le chiffre secret de l’individualité des élèves. Comme disait O. Gréard : à l’école, seule l’étude psychologique crée l’autorité indispensable98.
Traditionnellement, la problématique du caractère était formulée dans le contexte des pratiques de spiritualité. Mais en 1861 elle fonctionne davantage dans le champ médical, c’est-à-dire comme une sémiologie : il y est moins question d’écouter une parole que de lire des signes, et ceci change quelque chose d’essentiel dans le lien éducatif noué entre l’adulte et l’enfant. Bien sûr, cette conception se rattache aussi à une méthodologie très ancienne comme la physiognomonie, en vogue dès les XVI et XVIIe siècles, et qui examine les apparences corporelles ou les traits du visage dans le but d’élucider les tendances profondes de l’âme99. Dans le cadre spirituel, il y avait aussi une observation de la conduite en différentes situations, dans la classe, à la pension, etc., mais c’était un complément pédagogique de la confession et de la réforme de soi. Or, au XIXe siècle, ces pratiques sont absentes de l’école primaire dirigée par des laïcs. L’étude du caractère ne relève donc plus d’une relation directe, un face à face, une entrevue orale, un interrogatoire, qui n’ont plus d’espace ni de temps rituellement ordonnés, et qui, de toutes manières, ne sont plus dans les attributions du maître. L’observation indirecte et permanente est devenue le mode unique de prélèvement du savoir psychologique, et l’enseignant a désormais un instrument de prédilection qui n’est autre que le carnet. C’est ainsi qu’en 1846, un maître de pension nommé Emile Loubens suggère que les enseignants tiennent des « journaux d’éducation » dans lesquels ils pourraient consigner des appréciations sur le travail et la conduite de chaque élève, d’une façon absolument précise et fine, jusqu’à enregistrer « leurs moindres développements »100. Et son préfacier, H. Michel, se réjouit à l’idée que cette technique pourrait être employée par des milliers de professeurs en charge de la jeunesse entre huit et quinze ans. Que chacun de ces maîtres, prévoit-il, s’occupe pendant quelques années à deviner l’esprit, le cœur, les aptitudes, le goût, les forces morales, les penchants, l’intelligence, bref tous les « élans révélateurs des caractères et des dispositions enfantines », et voilà bientôt « la philosophie française riche de deux ou trois millions d’études de caractères levés sur nature »101.
60Les instituteurs de 1861 ont tout à fait éprouvé cette passion exploratoire et classificatrice, et ils semblent avoir trouvé des situations favorables à l’observation distanciée, presque invisible, qui est de règle dans ce cas. C’est ainsi que Pierre Delahaye, de Tilloy-les-Mofflaines (Pas-de-Calais), voudrait « établir un genre d’exercice qui permît des rapports familiers entre le maître et les élèves, où ceux-ci, moins contraints qu’à l’école, décèleraient leurs tendances et leurs habitudes »102. Dans le même sens, Joseph Quéret tient la récréation pour un moment particulièrement propice puisque, dans cette relative liberté, les enfants « sont davantage eux-mêmes » : leurs mouvements et leur langage sont plus spontanés explique-t-il, et dans leurs rapports avec leurs camarades, dans la nature de leurs liaisons, dans le choix des condisciples qu’ils recherchent, de ceux qu’ils évitent, il y a « une manifestation de leurs dispositions intérieures et de leurs sentiments les plus cachés » qui nous dévoile leur caractère103.
61Il est probable au total que l’appel à la scientificité, dans ce domaine comme en d’autres, soit une manière pour les maîtres de concurrencer la légitimité spirituelle des ecclésiastiques. (L’idée d’étudier le caractère des enfants est d’ailleurs cohérente avec l’idée, très insistante dans les mémoires, que le maître doit donner l’exemple, que c’est là le premier et le plus efficace moyen de l’éducation et de l’influence morale). Cela expliquerait la très grande prédilection pour cette théorie parfaitement inefficace dans la réalité, et aussi pauvre en rationalité élémentaire, c’est-à-dire limitée à quelques ficelles archi-connues dans le sens commun. Il se confirme ainsi que les savoirs psychologiques et pédagogiques ne sont pas seulement acquis et appliqués en regard de l’exercice professionnel de la corporation ; ils sont aussi utilisés et transmis comme des enjeux de son existence professionnelle, pour démontrer sa capacité, son efficacité et la spécialisation, dirions-nous aujourd’hui, qui la rend propriétaire ou même créatrice de son territoire.
Notes de bas de page
1 Arch. Nat. F17 10765.
2 Arch. Dép. Gironde, 3T 1.
3 Voir P. Boutan, La langue des Messieurs, op. cit. Voir aussi A. Chervel, Et il fallut apprendre à écrire à tous les petits Français, Paris, Payot, 1977, notamment pp. 146 et 162, qui situe cette évolution à partir des années 1860-1870 ; M. Gontard, dans Les écoles primaires de la France bourgeoise, op. cit., pp. 183 et suiv., ne voit le début d’une rénovation qu’à la fin du second Empire. Du reste, dans l’enquête dont nous parlons, certains instituteurs se réfèrent encore à la vieille grammaire de Lhomond, qui reste un classique des écoles normales même à l’époque de la grammaire de Noël et Chapsal.
4 Arch. Nat. F17 10779, Hautes-Alpes.
5 Arch. Nat. F17 10793, Loire-Inférieure.
6 Arch. Nat. F17 10798, Tarn-et-Garonne.
7 Arch. Nat. F17 10780, Saône-et-Loire.
8 Arch. Nat. F17 10788, Gironde. Signalons encore dans cette rubrique le mémoire de Corvisier, d’Arcins (Gironde) qui présente sa propre méthode dont il reproduit les 25 tableaux. Arch. Nat. F17 10763.
9 Voir le Manuel Général, 1877, no 36 ; cf P. Giolitto, Histoire de l’enseigne ment primaire au XIXe siècle, Paris, Nathan, 1984, t. 1, p. 36.
10 O. Gréard, La législation..., op. cit., t. 2, p. 123.
11 Pinet, Brouard, Mettas, Manuel de l’instituteur primaire ou résumé des conférences faites aux instituteurs du Loiret sous la présidence de M. Villemereux, Orléans, 1855.
12 Voir J.-J. Rapet, Plan d’études pour les écoles primaires. Emploi du temps et répartition de l’enseignement, 4e éd., Paris, s.d., IIIe partie, chap. 2, p. 52, sur la « nécessité de la répartition des élèves en trois divisions dans les écoles dépourvues d’adjoints et d’adjointes ». Sur ces questions voir aussi P. Giolitto, Histoire de l’enseignement primaire..., op. cit., t. 1, pp. 65 et suiv.
13 A. Pinet, De l’organisation pédagogique des écoles d’après M. Villemereux, Paris, 3e éd., 1863. En 1853, presqu’en même temps que Villemereux, un directeur d’Ecole normale, M. Charbonneau, a publié un programme très proche, sur l’Organisation des écoles ; voir à ce sujet l’article qui lui est consacré dans F. Buisson, Nouveau Dictionnaire..., op. cit.
14 Voir Jean-Pierre Mayreville, de Pennautier (Aude), Arch. Nat. F17 10781. Le Journal de classe deviendra obligatoire en 1866, mais dans le sens un peu différent d’un document rédigé chaque jour par le maître afin d’être présenté à l’inspecteur ; voir P. Giolitto, Histoire de l’enseignement primaire..., op. cit., t. 1, pp. 234 et suiv. Sont également décrits dans les mémoires, parfois avec force détails, les divers registres obligatoires (art. 31 du règlement du 17 août 1851), sans doute pour manifester le soin qu’on met à les tenir. Césaire Beaudry, de La Flèche, débute la partie de son texte consacrée au maître par un paragraphe sur les « registres qui lui sont nécessaires », et il aligne scrupuleusement : registre d’inscription, registre d’appel, et registre de notes et de compositions (dont il propose un nouveau modèle où chaque domaine de la vie scolaire est consigné, donc toutes les matières et dans chacune les leçons sues et les devoirs, avec, en plus, la conduite de l’élève) ; Arch. Nat. F17 10768, Sarthe.
15 P. Lorain, Tableau de l’instruction primaire..., op. cit., chap. 6. Dans la période ouverte par la loi Guizot, en fait, l’intitulé « méthode mixte » sert à désigner toute tentative pour introduire une dose, parfois modeste, de méthode simultanée dans le cadre encore très fréquent de la méthode individuelle (la plus traditionnelle et ancienne). Sur ce point, voir G. Rouet, L’invention..., op. cit., pp. 112 et suiv.
16 A. Maeder, Manuel de l’instituteur primaire ou principes généraux de pédagogie, Paris, 1833, pp.37-38.
17 Arch. Nat. F17 10780, Saône-et-Loire.
18 Arch. Nat. F17 10764, Landes ; c’est l’instituteur qui avoue sa préférence pour les périodes de vacances.
19 Arch. Nat. F17 10779, Isère.
20 Arch. Nat. F17 10786, Loiret.
21 A. Pinet, De l’organisation pédagogique des écoles, op.cit., tableau pp. 44-45.
22 J.-J. Rapet, Plan d’études..., op.cit., pp. 57-58.
23 Arch. Nat. F17 10778, Somme.
24 Arch. Nat. F17 10793, Morbihan.
25 Voir O. Gréard, La législation..., op.cit., t. 2, p. 11 ; et t. 3, p. 329.
26 Arch. Nat. F17 10778, Somme.
27 Arch. Nat. F17 10768, Sarthe.
28 Michel Duprot, de Chaillac (Haute-Vienne), parle notamment de traités sur les principales opérations de l’agriculture et les « premières notions de la physique telles que les influences de l’atmosphère, des pluies, des gelées et du soleil », Arch. Nat. F17 10791.
29 Arch. Nat. F17 10786, Loiret.
30 Arch. Nat. F17 10786, Loir-et-Cher.
31 Arch. Nat. F17 10786, Loiret.
32 Arch. Nat. F17 10798, Tarn-et-Garonne.
33 Arch. Nat. F17 10763, Gironde.
34 Claude Braillon, de Saint-Aubin en Charolais (Saône-et-Loire), Arch. Nat. F17 10780.
35 Eugène Garnier, de Moulis (Gironde), Arch. Nat. F.17 10763.
36 Arch. Nat. F17 10763, Gironde.
37 Ch. Jourdain, Rapport sur l’organisation et les progrès..., op. cit., pp. 46-47.
38 J.P. Palous, Mémoires d’un instituteur..., op. cit.
39 Arch. Nat. F17 11714.
40 A. Pinet, L’enseignement primaire en présence de l’enquête agricole, Paris, 1873, p. 447.
41 Rapport cité par A. Port, « A propos d’un centenaire. Les premières années de l’Ecole normale de Versailles (1831-1932) », in Revue pédagogique, 1932.
42 Arch. Dép. Somme, II T193.
43 O. Gréard, La législation..., op. cit., t. 2, pp. 396 et 424 ; voir aussi M. Prilheux et M. Schriban, « L’enseignement de l’agriculture dans les écoles normales d’instituteurs et dans les écoles primaires », in Recueil de monographies pédagogiques, Paris, 1889, t. 4.
44 O. Gréard, ibid., t. 3, p. 470, article IX du règlement. Par ailleurs l’enseignement professionnel de l’agriculture, à destination des populations, a commencé d’être mis en place avec la création d’une ferme-école dans chaque département par un décret du 3 octobre 1848.
45 Dans Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1972, notamment le chapitre « Les corps dociles », pp. 137-171.
46 Arch. Nat. F17 10777, Pas-de-Calais.
47 Bousquet, de Monthaut (Aude), Arch. Nat. F17 10781.
48 A. Meunier, Mémoires d’un ancêtre, op. cit., p. 8.
49 Voir Charpentier, qui ne date pas l’incident, L’enseignement primaire..., op. cit.., pp. 246-247.
50 Joseph Quéret, de Ville-sous-Corbie (Somme), Arch. Nat. F17 10778.
51 Agathon, Les douze vertus d’un bon maître, par le vénérable de La Salle, expliquées par le frère Agathon, Supérieur général, Paris, 1785, p. 15, donne cette règle comme fondamentale : faire soi-même et exiger des autres le silence est la seconde des douze vertus.
52 Cité par C. Nique, La petite doctrine pédagogique..., op. cit., p. 501.
53 Voir Jean-Baptiste de La Salle, Conduite des écoles chrétiennes, Paris, éd. de 1828, 2e partie, « Des moyens particuliers pour établir et maintenir l’ordre des classes », chap. 2. Selon Le Henaff, les commandements sont signalés par des coups secs. Au cours de la lecture par exemple, une erreur vaut deux coups.
54 Arch. Nat. F17 10763, Gironde.
55 A.-J. Matter, L’instituteur primaire, op. cit., pp. 102-103.
56 Arch. Nat. F 17 10777, Pas-de-Calais.
57 M. Bourgeois, Etudes pédagogiques à l’usage des instituteurs primaires, Paris, 1859, pp. 12-13.
58 Arch. Nat. F17 10786, Loiret.
59 J.-B. de La Salle, Conduite des écoles chrétiennes, Paris, éd. de 1828 (1re édition 1720), 2e partie, chap. 4.
60 Un article de synthèse sur cette question est celui de F. d’Arvert, « Notes pour servir à l’histoire des châtiments corporels à l’école », in Revue pédagogique, 1885 ; F. d’Arvert est aussi l’auteur de l’article « Punition » dans F. Buisson, Nouveau Dictionnaire..., op. cit.
61 Voir également les descriptions d’A. Lechevallier, « Le maître d’école sous l’Ancien Régime », et « L’école primaire sous l’Ancien Régime », in Revue pédagogique, 1906, et 1907. Et plus récemment, B. Grosperrin, Les petites écoles sous l'ancien régime, Paris, éditions Ouest-France, 1984, pp. 110-113 ; ainsi que M. Capul, Internat et internement sous l’Ancien Régime, Paris, Les publications du C.T.N.E.R.H.I., 1984, t. 3. pp. 339 et suiv.
62 F. d’Arvert, « Notes... », loc. cit., p. 28, cite Von Raumer, Geschichte der Pädagogik, t. 2, p. 241.
63 Voir le texte de Coménius, publié entre 1627 et 1630, dans J. Prévot, L’utopie éducative, Comenius, Paris, Belin, 1981, le chapitre no 26, sur la discipline, p. 121.
64 F. D’Arvert, art. « Punition », loc. cit.
65 O. Gréard, La législation..., op. cit., t. 3, p.638.
66 A. Sylvère, Toinou, Paris, Plon, 1980, p. 124.
67 A.J. Matter, L’instituteur primaire, op. cit., p. 6.
68 Le recours aux baguettes de noisetier est en 1816 le premier des conseils donnés au sous-maître débutant de ce récit. « Si quelqu’un de ces mauvais gueux vous manque de respect, s’il fait des signes, soit avec la main, en clignant de l’œil, ou bien en riant pour exciter le rire des autres, tombez dessus et tapez ! » Erckmann-Chatrian, Histoire d’un sous-maître, op. cit., p.21.
69 Derome, L’Eglise et l’instruction primaire à la campagne, Paris, 1861, p. 5.
70 Comtesse de Ségur, La fortune de Gaspard, Paris, Castermann, 1980 (1re édition 1866), p. 11.
71 N. Vauclin, Les mémoires d’un instituteur français, op. cit., p. 23.
72 A.J. Matter, L’instituteur primaire, op.cit., p. 89.
73 Arch. Nat. F17 10763, Gironde.
74 Arch. Nat. F17 10763, Dordogne.
75 Arch. Nat. F17 10778, Somme.
76 Arch. Nat. F17 10 765, Calvados.
77 Ibid.
78 Arch. Nat. F17 10763, Dordogne.
79 L. Charpentier, L’enseignement primaire..., op. cit., p. 169.
80 M. Bourgeois, Etudes pédagogiques..., op.cit., p. 16. Le programme des cours de pédagogie des écoles normales de 1832 au paragraphe sur la discipline, demande qu’on explique aux futurs maîtres qu’il y a deux grands mobiles du cœur humain : la crainte et l’affection. Voir Killian, Manuel législatif et administratif..., op. cit., p. 150.
81 Arch. Nat. F17 10777, Pas-de-Calais.
82 Arch. Nat. F17 10786, Loiret. Une formule convenue et fréquente se réfère évidemment à l’affection qui caractérise les liens familiaux et au sentiment du père envers ses enfants.
83 Le bonnet d’âne qu’on peut tenir ici pour l’objet fétiche, et qui date du XVIIe siècle, est cependant peu cité. On le trouve par exemple dans le texte de Louis Corvisier, de Cadaujac (Gironde), Arch. Nat. F17 10763.
84 Arch. Nat. F17 10765, Calvados. Et Agathon, Les douze vertus..., op. cit., p. 112. Sur Dupanloup, voir le Dr. Boullet, L’éducation à notre époque, Paris, 1883, p. 229.
85 Arch. Nat. F17 10786, Loiret. Cette liste est effectivement très ressemblante à celle citée par G. Rouet dans L’invention de l’école, op. cit., p. 273, pour Châlons-sur-Marne en 1836.
86 Arch. Nat. F17, 10786, Loiret.
87 Coquerelle, de Toutencourt (Somme) Arch. Nat. F17 10778. Le même système fonctionne aussi dans d’autres endroits. Nicolas Couty, de Rouvroy (Ardennes), explique que des compositions ont lieu dans sa classe chaque samedi et chaque fin de mois. Arch. Nat. F17 10775.
88 Arch. Nat. F17 10786, Loiret.
89 Arch. Nat. F17 10768, Sarthe.
90 H. Frégier, Des classes dangereuses... op. cit., t. 2, pp. 4-5.
91 A. Debs, Tableau de l’activité volontaire pour servir à la science de l’éducation, Amiens, 1844, p. 10 ; c’est la seconde partie de l’ouvrage qui poursuit cette étude du caractère.
92 Voir sur ces distinctions, Frédéric Queyrat, Les caractères et l’éducation morale, Paris, 1896.
93 Perrodin, Caractères chrétiens et religieux, ou règles de conduite pour réformer son caractère et perfectionner l’éducation, Lyon, 1840, p. 8.
94 Arch. Nat. F17 10791, Haute-Vienne.
95 Th. Barrau, Direction morale pour les instituteurs, Paris, 10e édition, Paris 1879, p. 112. Barrau, après avoir remporté en 1840 le prix de l’Académie des sciences morales et politiques sur la question des écoles normales (voir De l’éducation morale de la jeunesse à l’aide des écoles normales, Paris, 1840), est entré au Manuel général en 1845. Juste au moment du concours, il y publie une série d’articles sur les « obstacles que les défauts des enfants opposent à l’éducation » ; M.G.I.P. Juin 1860, décembre 1860, avril 1861.
96 Pierre Thieulin, de Condé-sur-Noireau (Calvados), Arch. Nat. F17 10765. Jean-Baptiste de La Salle concevait déjà une sorte de calcul puisqu’il parlait de « proportionner » les leçons aux capacités des enfants.
97 Arch. Nat. F17 10765, Calvados.
98 Cité par J. Gaillard, art. « Discipline », in F. Buisson, Nouveau Dictionnaire..., op.cit.
99 Voir sur la physiognomonie J.-J. Courtine et C. Haroche, Histoire du visage, Paris, Rivages, 1988. C’est sur la même ligne que se construisent les phrénologies de Gall et Broussais, lorsqu’elles veulent repérer des dispositions mentales par la palpation du crâne.
100 E. Loubens, Conseils aux écoliers, Paris, 1846, p. 13.
101 Ibid., pp. 6-7.
102 Arch. Nat. F17 10777, Pas-de-Calais.
103 Arch. Nat. F17 10788, Somme. Sur la récréation, voir aussi Auguste Lépine, d’Autry (Ardennes), Arch. Nat., F17 10775 ; et Louis Deleval, de Vermandevilliers (Somme), Arch. Nat. F17 10778.
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