Chapitre premier. Naissance de la corporation des instituteurs
p. 17-59
Texte intégral
1Avant de nous situer dans la différence entre la ville et la campagne et entre l’élite et la masse, il faut approcher en général la réalité de l’existence professionnelle des instituteurs dans les conditions qu’elle a pu connaître – ou construire – durant toute la première moitié du XIXe siècle.
2Précisons d’abord, pour saisir des progressions générales à partir de la monarchie de Juillet, et pour donner une image statistique un peu nuancée de l’institution scolaire et des instituteurs laïques, que leur nombre total, hommes et femmes, est de 59 735 en 1837, alors qu’il est de 108 799 en 18631. En 1837 toujours, il y a 52 779 écoles et 2 690 000 élèves, toutes catégories confondues, public et privé, laïques et congréganistes, garçons et filles. En 1846, il y a 58 556 écoles et 3 437 000 élèves ; en 1863 il y a 68 761 écoles et 4 336 000 élèves2. Ceci montre des rythmes de croissance soutenus – que nous connaissons bien. L’essentiel de l’effort en faveur de l’instruction populaire est en train d’être accompli.
1. La position sociale
3Celui qui exerce un métier, qui a endossé une profession ou un « état », obtient donc une position – il en « jouit », diton-, position qu’il peut en général juger bonne ou mauvaise, agréable ou pénible. Or les instituteurs d’avant la République sont réputés misérables, et peut-être même d’une misère qui n'éveille pas la pitié mais soulève le cœur : une misère crasseuse. Un schéma misérabiliste traverse tout le siècle et s’installe y compris dans la littérature entre 1880 et 1914 (c’est l’époque du fameux roman d’Antonin Lavergne, Jean Coste, qui est un personnage d’instituteur plus que jamais dépeint sous un jour catastrophique3) Si l’on observe l’état matériel des écoles, on trouve en effet des locaux douteux, vétustes, éventuellement récupérés. Dans telle ville on utilise par exemple un ancien hôtel-dieu ou un vieux couvent, et tout type d’endroit assez vaste pour accueillir jusqu’à deux cents élèves ; dans tel bourg ou tel village, on se contente aussi bien d’une ancienne écurie que d’une vieille bâtisse mal commode, exposée aux remugles environnants. D’après le récit d’Eugène Chevallier, l’état d’une école rurale sous la monarchie de Juillet peut se juger au fait qu’une nuit de 1835, son plafond s’effondre et le fatras du grenier descend d’un seul coup dans la chambre ; une autre nuit c’est la charpente que le vent emporte et jette dans la cour4. Si l’on examine ensuite les conditions pécuniaires du maître, on constate qu’il subvient à peine à ses besoins et à ceux de sa famille, surtout dans les régions où les gens se préoccupent peu de l’instruction et où, par conséquent, le petit nombre d’élèves ne garantit pas un revenu décent, d’autant que les parents rechignent à payer la rétribution et gardent leurs enfants chez eux au moindre prétexte. Et ces enfants, soit dit en passant, ne se font pas prier : comme ceux des faubourgs ouvriers et des quartiers d’artisans pauvres ne songent qu’à rejoindre les sociabilités libres et joyeuses de la rue, ceux de la campagne désertent la classe chaque fois qu’il faut mener les bêtes à la pâture, chercher du bois mort en forêt, récolter des myrtilles et des faines, ou rentrer avec les adultes le blé, l’orge et le seigle.
Les ressources économiques
4Certes, il est connu que le sort réservé aux maîtres d’école dans la première moitié du XIXe siècle, voire au-delà, est assez décourageant pour susciter de fort désirs d’échapper à ce métier, ce qui alerte les autorités gouvernementales à partir de la monarchie de Juillet. Mais qu’en est-il, en réalité, de la condition des instituteurs, et notamment de leur niveau de ressources économiques, c’est-à-dire de la quantité et de la diversité des revenus dont ils disposent ? A comparer les différentes situations des fonctionnaires de l’enseignement primaire pour évaluer les écarts entre les franges les plus démunies et les franges les plus aisées, notamment celles des grandes villes (redisons qu’à cette époque il y a de grandes disparités en France, notamment au Nord et au Sud de la fameuse ligne Saint-Malo-Genève), on constate d’abord l’existence de niveaux privilégiés. Au total, les revenus des 37 874 instituteurs publics de 1861, congréganistes inclus, s’étagent comme suit5 :
moins de 600 fr. | 2120 |
de 600 à 700 fr. | 6208 |
de 700 à 800 fr. | 11103 |
de 800 à 900 fr. | 6173 |
de 900 à 1000 fr. | 2079 |
de 1000 à 1100 fr. | 1497 |
de 1100 à 1200 fr. | 1011 |
de 1200 à 1300 fr. | 885 |
de 1300 à 1400 fr. | 555 |
plus de 1400 fr. | 2634 |
5Ces chiffres délimitent un éventail de revenus qui n’a pas été beaucoup modifié dans les 10 ou 20 ans qui précèdent, comme le montre une étude de Gilbert Nicolas sur le instituteurs d’Ille-et-Vilaine pour la période 1852-1859 ; sauf que dans ce cas, ce sont près de 45 % des instituteurs qui sont à 600 francs6. Le niveau des mieux lotis est celui atteint par L. Charpentier et ses collègues dans la décennie 1830. Eux perçoivent alors, en l’absence de rétribution des élèves car les écoles sont gratuites à Reims, un traitement fixe de 1800 francs annuels, somme plus que confortable qui les rapproche des professeurs de collège ou d’autres fonctionnaires aisés comme les chefs de service de la ville ; et Charpentier bénéficiera en plus d’un logement gratuit. Un inspecteur primaire de cette époque est au même niveau, sans les frais de tournée car, d’après l’arrêté du 4 août 1835, on gagne, de la première à la troisième classe de ce corps, 1500, 1800 et 2000 francs7. Un Inspecteur général de l’instruction publique, c’est-à-dire un fonctionnaire posté au sommet de cette hiérarchie, perçoit quant à lui, en 1852, 8000 francs par an, donc 4 fois plus8.
6Cette catégorie aisée, quelque minoritaire qu’elle soit, provoque parfois le phénomène inverse de celui évoqué plus haut : ce sont d’autres métiers que l’on quitte pour devenir instituteur. Parmi les collègues de Charpentier, Bourdonné a été expéditionnaire au greffe de Paris, et Rosset, qui remplace Bourdonné en 1841, a été professeur au collège de Gisors. Autre exemple, signalé en 1843 par un rapport sur les écoles du1er arrondissement de Paris, en particulier sur une école privée de la rue Saint-Nicolas-d’Antin où l’instruction est « fort développée » et obtient même des « résultats remarquables » : l’instituteur qui y exerce était auparavant dessinateur-géomètre chez un architecte renommé, et c’est en se formant au cours de Francoeur (qui est à l’origine des enseignements du dessin linéaire dans le cadre mutuel), qu’il a pu changer son fusil d’épaule9.
7Pour revenir maintenant à la masse de la corporation en 1860, c’est plus de la moitié des instituteurs qui a entre 700 et 900 francs. Traduites en pouvoir d’achat, les sommes immédiatement inférieures de 600 ou 700 francs annuels, qui sont très basses dans l’échelle des fonctionnaires et très basses dans l’échelle sociale en général, placeraient effectivement cette fraction au seuil de la pauvreté. Mais ceci n’accrédite pas davantage le stéréotype de la misère. Certes, d’après ces tableaux, ce sont les ouvriers dont les instituteurs se rapprochent le plus, et même qu’ils dépassent parfois... vers le bas. En 1862 en effet, le salaire agricole d’un journalier non nourri est de 1,89 franc par jour (indice 142). Entre 1861 et 1865, le salaire industriel quotidien est de 2,40 francs pour un homme et de 0,95 franc pour une femme10. A Paris, en 1847-1848, les 205 000 ouvriers gagnent, en gros, entre 3 et 4 francs par jour11. Or, les 800 francs de la majorité des instituteurs peuvent ne pas être la seule composante de leur niveau de vie. Les maîtres du département de la Marne étudié par Gilles Rouet (département qui appartient, il est vrai, à la France bien alphabétisée et désireuse d’instruction pour les enfants), ont parfois des indemnités de logement, ce qui est le cas à Reims ; certains tirent un revenu non négligeable d’activités annexes (le secrétariat de mairie est souvent apprécié et recherché, mais les tâches liées aux fonctions cléricales sont parfois plus contraintes et rebutantes) ; enfin il leur arrive aussi de posséder et d’exploiter des terres12.
8Une fois ces nuances établies, il reste que le plus grand nombre des maîtres, souvent installés dans les villages et travaillant dans des conditions difficiles, avec de faibles ressources tout en ayant moins de gratifications professionnelles à cause d’une population éventuellement peu motivée, adoptent pour ces raisons une posture revendicative et, dans leurs récits, exposent sans trop de scrupules les détails d’une gêne lourde et continuelle. D’après le livre d’Eugène Bonnemère, le budget annuel d’un ménage dont l’époux est instituteur dans les Vosges juste après le second Empire, budget qu’il présente comme étant celui d’à peu près 25 000 instituteurs qui, selon lui, touchent 700 francs, se décompose de la façon suivante13 :
pain, 700 gr par personne et par jour, soit 511 kg à 40 cts | 204,40 fr. |
viande, 1,5 kg par semaine, à 1,60 fr. | 124,80 fr. |
beurre, 12 kg par an, à 2 fr. | 24,00 fr. |
fromage, harengs, morue, pour les jours maigres, 80 jours à 40 cts... | 32,00 fr. |
lait, 10 cts par jour. | 36,00 fr. |
pommes de terre et légumes secs | 25,00 fr. |
vin, 1/2 litre par jour, à 40 fr. l’hl | 72,00 fr. |
vêtements, chaussures, 50 fr. par an et par personne | 100,00 fr. |
chauffage | 40,00 fr. |
cote personnelle, portes et fenêtres | 15,00 fr. |
pour la société de secours mutuels | 10,00 fr. |
abonnement à un journal | 6,00 fr. |
cotisation pour l’œuvre de la propagation de la foi | 2,60 fr. |
menues dépenses, petits voyages, etc | 50,00 fr. |
TOTAL | 813,80 fr. |
9Si on sait, ajoute Bonnemère, que le traitement de 700 francs peut être complété par des ressources éventuelles de 15 francs, mais dans certains cas est diminué de retenues jusqu’à 35 francs, on trouve alors pour finir un déficit de 813,80 – 680 = 133,80 francs.
Le niveau culturel
10Avec les ressources économiques – et à côté d’elles-, les ressources culturelles déterminent la place des instituteurs dans la division sociale du travail, c’est-à-dire leur appartenance à des catégories et à des classes. Les acquisitions scolaires en effet, comme il est suggéré par le terme courant de « bagage », sont des ressources au sens où elles confèrent des capacités d’accès à des postes plus ou moins valorisés. Dans le cas des enseignants (terme qui ne s’impose qu’au XXe siècle, dans les années 1960, comme le rappelle Monique Hirschhorn14) nous parlons évidemment du rapport entre niveau de diplôme et niveau de revenus, donc du rapport entre qualification et position, la première étant pour une grande part acquise au terme d’une formation dans une institution spécialisée, du moins s’il s’agit d’un système démocratique et méritocratique. Or ce rapport peut se modifier ou se décaler selon les époques car la « rentabilité » d’un diplôme dépend d’un marché et d’un contexte économique et social, si bien que l’accumulation culturelle (scolaire) n’engendre pas ipso facto une accumulation économique correspondante. A cela une conséquence importante : si l’attente des agents est déçue, si leurs bénéfices sont en dessous de ce que leur cursus les autorise à espérer par comparaison avec un état antérieur de leur corporation ou avec la situation de corporations voisines, ils se sentent alors fondés à avancer des revendications – et à le faire de façon très insistante s’il le faut : c’est le cas des instituteurs. Ainsi, la tension qui caractérise leur position sociale vient non seulement d’un jugement sur leur position en général, mais aussi d’un jugement sur le rapport entre leur niveau de ressources matérielles (insuffisant) et leur niveau de capacité culturelle (plus satisfaisant) ; et là réside au cours du XIXe siècle la dynamique propre à une catégorie professionnelle dont le sort est assez rapidement et assez nettement amélioré.
11En premier lieu, les acquisitions des instituteurs sont liées bien sûr à l’enseignement des écoles normales, sans lesquelles le niveau culturel avait été parfois très bas, en dessous d’un minimum d’orthographe, de grammaire ou de calcul, au point qu’en 1837 encore, Paul Lorain, l’organisateur de la grande enquête commanditée par Guizot, épinglera les maîtres que les commissions d’examen installées après la création des nouveaux brevets de capacité jugeaient indignes de leur fonction (il est vrai que ces maîtres exerçaient la plupart du temps dans des campagnes reculées).
12En fait, la première école normale a été créée à Strasbourg par le préfet Lezay-Marnésia en 1810, suite aux décrets impériaux de 1808 fondateurs de l’Université. Puis des « formations » se sont organisées d’une façon parfois rudimentaire mais techniquement efficace, comme furent les « cours normaux » qui devaient entraîner les moniteurs de l’enseignement mutuel. Et c’est la fameuse loi Guizot du 28 juin 1833, préparée, entre autres, par le rapport de Victor Cousin « sur l’état de l’instruction publique dans quelques pays de l’Allemagne », qui enjoint à chaque département d’entretenir une école normale de garçons : il en existe moins de 50 à ce moment, et il y en aura 76 en 1840, avec 2 684 élèves ; la même année, un tiers des postes d’instituteurs communaux sont déjà tenus par d’anciens normaliens.
13Certes, dans ces établissements, la culture est nettement séparée et infériorisée par rapport à celle dispensée à la jeunesse bourgeoise des collèges ou des lycées, car il n’y est pas question d’études classiques, littéraires. Il n’en reste pas moins que les écoles normales furent des lieux d’acculturation très forts, capables de concurrencer et même de dépasser les séminaires des congrégations. En effet, un règlement du 14 décembre 1832 fixait pour les écoles normales ou les « cours normaux » existants un plan d’études étalé sur deux années et comportant l’instruction morale et religieuse, la lecture, l’arithmétique, le système légal des poids et mesures, la grammaire, le dessin linéaire, l’arpentage et la géométrie pratique, avec en outre des notions de sciences physiques, de sciences naturelles, de géographie et d’histoire de France, un peu de musique, de gymnastique, des cours facultatifs sur la rédaction des actes d’état civil et des procès-verbaux, sur l’agriculture et notamment la taille et la greffe des arbres. Après la loi Falloux du 15 mars 1850, période de réaction conservatrice comme on dit, ces programmes seront toutefois rétrécis, car le règlement du 24 mars 1851 retirera des matières obligatoires la géométrie, les sciences naturelles, la grammaire, la musique, l’histoire, la géographie, et l’arpentage. Mais ces matières réapparaîtront avec un décret de Duruy le 2 juillet 1866, à côté d’ajouts significatifs, notamment des notions relatives à l’industrie et à l’hygiène.
14Notons que dans les écoles normales, une autre donnée significative de la culture des instituteurs, c’est l’enseignement « pédagogique » (laissons une fois encore les guillemets, puisque le terme commence seulement d’être utilisé dans le sens moderne). Cet enseignement repose, d’après le règlement du 14 décembre 1832 (article 3), d’une part sur l’observation et l’entraînement aux méthodes en usage dans les classes primaires annexes15, et d’autre part sur la compréhension théorique des principes de l’éducation. En plus de cela, à partir de 1834, les instituteurs en exercice peuvent suivre des « cours spéciaux » destinés à les perfectionner dans la maîtrise des programmes scolaires et aussi dans le maniement des méthodes évoquées à l’instant16.
15En second lieu, pour saisir à la fois le niveau culturel et le prestige que ce niveau apporte en retour, on doit considérer les certifications correspondantes que sont les brevets. L’idée d’un brevet de capacité, avant même sa traduction dans les faits, appartient elle aussi aux textes fondateurs de l’Université impériale. Le décret du 17 mars 1808, article 109, stipulait que les frères des écoles chrétiennes seraient « brevetés et encouragés par le Grand Maître de l’Université »17. En réalité, les maîtres d’école continuèrent d’être recrutés pendant quelques années encore à la mode de l’Ancien Régime : les notabilités, maire et curé en tête, vérifiaient leurs connaissances de base en lecture, écriture et calcul, ainsi que les qualités indispensables au service religieux, comme le chant. Il y eut même parfois de véritables jurys, tels qu’ils avaient été institués sous la Convention. Après cela, l’ordonnance royale du 29 février 1816, dans son article 10, imposa d’une part un certificat de bonnes mœurs délivré par le maire et le curé de la commune d’où provenait le candidat, et d’autre part un brevet dont l’obtention dépendait désormais d’un examen régulier contrôlé par les autorités universitaires. A ce moment, on fixa trois degrés d’aptitude. Le troisième degré, le plus bas, exigeait que le candidat sache lire, écrire et « chiffrer » ; le second degré exigeait que le candidat possède l’orthographe, la calligraphie et le calcul, et qu’il se montre capable d’enseigner suivant la méthode simultanée des frères ; enfin au niveau supérieur, le premier degré faisait en plus référence à la grammaire, l’arithmétique, la géographie, l’arpentage et à d’autres connaissances dites utiles à l’enseignement primaire. Ces dispositions furent précisées le 14 juin 1816 par une instruction qui fixait dans chaque cas un programme d’examen complet. Chose singulière, ce programme comportait un volet de connaissances disciplinaires et, lui aussi, un volet de connaissances pédagogiques. Pour le second degré par exemple, il était prévu d’un côté une dictée et des exercices sur les quatre premières règles de l’arithmétique, tandis que d’un autre côté le futur maître devait être « interrogé sur sa méthode d’enseigner à lire, à écrire et à calculer »18.
16Evidemment, ces principes à leur tour mirent quelques années à passer dans les mœurs. Dès le 3 juillet 1818, la Commission d’instruction publique rappelait aux comités cantonaux l’importance de cette mesure qui devait s’appliquer, insistait-elle, aussi bien aux congréganistes qu’aux laïcs (en fait, à partir de 1819, le brevet fut remis non pas individuellement au frère mais collectivement au Supérieur de la congrégation, ce qui impliqua que le frère ne pouvait faire carrière de manière autonome, et c’est en 1828 que les congréganistes furent dispensés du brevet, ou du moins en furent pourvus sur simple présentation d’une lettre d’obédience de leur Supérieur..., mais la querelle sur cette question ne cessera pas avant la Troisième République19) Le récit d’Arsène Meunier sur la période de la Restauration rapporte un fait très remarquable. En 1818, jeune instituteur – il n’a pas encore 18 ans-, il a pris, en accord avec le maire et le curé d’un bourg percheron, Berd’huis, dans le canton de Nocé, la direction d’une école qui peut accueillir plus de 60 élèves. Or, alors que les choses se passent bien, il reçoit brusquement du curé de Nocé, qui est aussi président du comité cantonal (l’instance de surveillance prévue par l’ordonnance de 1816), une lettre qui l’avertit en ces termes : « Monsieur, informé que vous vous êtes immiscé dans l’enseignement primaire sans brevet, ni autorisation, je vous ordonne de fermer sur le champ l’école clandestine que vous avez ouverte à Berd’huis... »20. Surpris, Meunier se met immédiatement dans le cas de subir l’examen, à Mortagne, auprès du principal du collège ; et l’intéressant, c’est que cela se passe quand même à la bonne franquette : il arrive avec une lettre de recommandation de l’ancien maire de Berd’huis adressée à un secrétaire de la sous-préfecture, ensuite il est introduit auprès du principal du collège. Ce dernier, « un tout jeune-homme », l’interroge alors « avec beaucoup de bienveillance » et se déclare « très satisfait » de ses réponses, si bien que Meunier est proposé pour le brevet du second degré... (en fait le recteur de l’académie trouvera la forme de l’examen un peu trop floue et Meunier sera contraint de se présenter un peu plus tard devant un autre jury, plus conforme à la légalité).
17Toujours est-il que, dans la période de la Restauration, l’obligation du brevet s’impose bon gré mal gré à tous les aspirants instituteurs. D’après une statistique de 1829 qui classe les écoles en fonction des brevets des titulaires, sur 29 101 de ces maîtres, 396 soit 1,3 % sont pourvus du brevet du premier degré, 8088 soit 27,7 % sont pourvus du brevet du second degré, et 20 617 soit 71 % sont pourvus du brevet du troisième degré21. Le niveau général est, si l’on peut dire, minimal, c’est-à-dire très faible. Mais ceci ne durera pas, on l’a déjà suggéré...
18C’est donc en 1833, avec la loi Guizot, qu’en ce domaine comme en d’autres nous entrons dans l’ère moderne. Puisque cette loi distingue deux degrés de l’enseignement primaire, le primaire élémentaire et le primaire supérieur, il est prévu dans chaque cas un brevet correspondant. Cette certification doit en outre être obtenue au terme d’un examen public devant une « commission d’instruction primaire » comportant au moins trois membres de l’instruction publique. La liste des connaissances requises est sensiblement renforcée, et le niveau inférieur fixé par l’ordonnance de 1816 est nettement dépassé. Le degré élémentaire du nouveau brevet se base en effet sur l’instruction morale et religieuse, la lecture du français et du latin, l’écriture bâtarde, ronde et cursive, le calcul (les quatre opérations appliquées aux nombres entiers et aux fractions), mais aussi la grammaire et l’orthographe, les « premières notions » de l’histoire et de la géographie, ainsi que le système légal des poids et mesures. Quant au brevet supérieur, il ajoute à cela des notions d’arithmétique comme les proportions et les règles de trois, des notions de géométrie, d’arpentage, de sciences physiques et naturelles, etc. Toutefois, la corporation ne progressera pas aussi vite qu’on pouvait l’espérer, car le brevet supérieur se révélera hors de portée de la plupart des instituteurs. De ce fait le ministre Salvandy demandera et obtiendra en 1838 qu’on n’admette à la préparation de ce diplôme que les élèves-maîtres ayant montré suffisamment de dispositions au cours de leur première année d’études22.
19Ajoutons que, comme en 1816, l’examen du brevet porte aussi sur des connaissances ou des compétences pédagogiques. Au niveau élémentaire on cite les procédés d’enseignement de la lecture et de l’écriture, et au niveau supérieur les méthodes d’enseignement mutuel et simultané. Depuis un arrêté du Conseil royal du 14 décembre 1832, les élèves des écoles normales se voient également imposer un « examen de sortie » où leur aptitude à enseigner peut être appréciée, et qui comporte pour ce faire une « leçon d’épreuve » présentée devant la commission d’instruction primaire (celle qui interroge pour le brevet), leçon qui se solde par un certificat mentionnant la méthode la mieux maîtrisée par l’élève. Dans le même sens, un arrêté du 11 octobre 1836 introduira une composition sur un sujet donné, ainsi qu’une leçon orale – ce qui renforcera encore l’aspect « professionnel » de la chose23.
20Un instituteur d’Ille-et-Vilaine a raconté les épreuves qu’il a passées pour le brevet élémentaire en 1848, et il confirme bien cette mise en place. D’abord, à l’écrit, il a dû faire une page d’écriture grosse, moyenne et fixe, en anglaise, ronde et bâtarde, puis il a eu droit à la dictée, il a traité la question pédagogique, il a résolu le problème d’arithmétique, et il a dessiné à vue une chaise placée sur un bureau d’estrade. A l’oral, il a subi pas moins de vingt-et-une interrogations ; et, pour terminer, il a fait devant la commission et le public la leçon destinée aux enfants24.
21Dans la pratique, certains usages ne disparurent pas tout de suite. J.-B. Sandre (dont le récit est recueilli par M. Ozouf), révèle par exemple qu’en 1845, à Gap, il s’est présenté devant le principal du collège avec une lettre de recommandation de son oncle, lettre dont il pense après coup qu’elle a joué un rôle décisif dans son succès, car il a été peu brillant, hormis dans l’épreuve de composition française.
22Après cela, la loi de 1850, qui supprime de fait les écoles primaires supérieures, modifie très sensiblement la donne. D’abord, logiquement, le brevet supérieur disparaît. Ensuite le nouveau brevet peut être remplacé par un simple certificat de stage mentionnant que les personnes visées ont enseigné les matières obligatoires pendant trois ans dans une école habilitée à les recevoir (articles 25 et 47 de la loi de 1850 : cette mesure, destinée à favoriser les congrégations, cherche aussi à freiner le développement des écoles normales, puisque dans la catégorie des écoles autorisées rentrent celles qui accueillent les élèves-maîtres dans les départements dépourvus d’écoles normales). Enfin le brevet subit des restrictions notables ; d’une part il ne renferme plus aucune épreuve à caractère professionnel comme la composition et la leçon évoquées plus haut25, d’autre part il perd des contenus disciplinaires en arithmétique et en langue française, il perd même des disciplines comme l’histoire et la géographie. Néanmoins ces dernières, restant facultatives dans l’enseignement primaire, sont toujours dispensées aux futurs instituteurs, et elles peuvent donner lieu à des questions spéciales lors de l’examen, de sorte qu’elles seront mentionnées sur le diplôme obtenu. Du coup apparaissent de nouvelles distinctions : le brevet est dit « complet » lorsqu’il porte sur toutes les matières facultatives ; il est « facultatif » s’il porte sur quelques-unes de ces options ; et on appelle « obligatoire » celui qui ne signale que le minimum exigé. Cette situation durera jusqu’à ce qu’en 1866 et 1867 le ministre Duruy fasse de nouveaux ajouts à la liste des matières enseignées dans les écoles normales et les écoles primaires.
23Pour donner une indication du nombre de reçus annuels à ces différents examens, on peut citer les chiffres suivants : en 1848, il y eut chez les hommes 1778 reçus au brevet élémentaire, contre 163 au brevet supérieur ; et chez les femmes, pour lesquelles les exigences sont un peu différentes : 1331 et 180. D’après l’enquête de G. Nicolas sur la génération inaugurale des normaliens rennais, on voit que, dès les débuts de l’école normale, la seconde année est très nettement axée sur une préparation la plus rigoureuse possible à l’examen du brevet. Non seulement, suite à la décision de Salvandy, les élèves sont sélectionnés à la fin de la première année pour le passage en seconde année (et les admis sont par exemple 21 sur26 en 1835, et 65 sur 74 en 1848) ; mais en plus ils sont soumis à des interrogations d’entraînement deux mois avant la date des épreuves officielles (les meilleurs servent de répétiteurs pour leurs camarades), et ils assistent à des conférences spéciales du directeur. Les reçus sont, en 1835, sur 30 présentés, 21 au brevet élémentaire et 3 au brevet supérieur ; et en 1849, sur 60 présentés, 50 au brevet élémentaire et 1 au brevet supérieur. Au total, dans cet établissement, entre 1831 et 1852, 838 élèves ont obtenu un brevet, soit 75,63 %, ce qui représente 81,9 % des boursiers, qui sont sélectionnés à l’entrée, contre seulement 44,32 % des pensionnaires libres27.
24Au niveau national, entre 1851 et 1856, le nombre des diplômés a chuté de 2283 à 1711 pour le brevet obligatoire masculin (notamment sous l’effet d’un décret de 1853 qui impose un stage de trois ans avant la titularisation, assorti d’un traitement réduit à 400 francs27). En 1860, il y a chez les hommes 2067 reçus au brevet obligatoire, et 244 au brevet complet ; et chez les femmes, 1991 et 159. En 1861, sur l’ensemble de la population d’instituteurs et d’institutrices, privés ou publics, laïques ou congréganistes, qui se monte environ à 100 000 personnes, on compte 39 666 titulaires d’un brevet, soit la quasi totalité des instituteurs publics et laïques.
25Un troisième indice de l’augmentation des ressources culturelles des instituteurs, ce sont les concours plus ou moins honorifiques que certains passent dans les villes ou les cantons et qu’ils rappellent évidemment en cas de candidature à des postes. Le récit de Charpentier en donne quelques exemples. Lui-même se présente et est présenté par l’avocat Arnould comme ayant obtenu des prix pour divers mémoires : en 1837, un prix de la Société élémentaire pour un mémoire sur l’enseignement mutuel, en 1838, un prix de la même provenance pour son mémoire sur l’enseignement des jeunes filles, en 1866, un prix de la société Académique de Saint-Quentin pour un mémoire sur la méthode mutuelle. De même, à propos de son collègue Homo, l’ouvrage d’Arnould indique plusieurs mentions honorables obtenues en 1833 et 1844 « dans le concours du canton et de l’arrondissement », ainsi qu’un prix du canton de Bourgogne en 1840. Nous ne disposons pas à l’heure actuelle d’indications fiables et à grande échelle sur ces sortes d’épreuves comparatives qui étaient lancées par des académies locales ou, surtout, par les comités scolaires, et qui ont probablement commencé dès la Restauration28. Dans le département de la Marne, deux comités les organisent dès 1832 et 1833, ceux de Vitry-le-François et de Sainte-Menehould. Ce dernier annonce dans son règlement qu’il veut juger de la capacité des instituteurs, mais aussi « exciter leur émulation et ménager aux plus méritants de justes et honorables distinctions ». Il prévoit que la compétition se déroulera tous les ans en juin ou juillet, et en deux temps : d’abord on réunira les instituteurs par cantons successivement, puis, ceux qui auront mérité des prix devront concourir à nouveau, entr’eux. Le programme comporte quatre épreuves : en lecture il s’agit de questions sur « les procédés pour apprendre à lire » ; en écriture il faut remettre au comité des exemples écrits d’avance (en cinq genres qui sont : bâtarde, coulée, cursive, ronde et anglaise), et transcrire un devoir de français ; en calcul il faut traiter divers problèmes sur les quatre opérations et les fractions, et répondre à des questions sur le calcul décimal et son application aux poids et mesures ; enfin, en orthographe et grammaire, il est prévu une dictée et l’analyse de la première phrase29. Comme la participation est quasi-obligatoire, le nombre de concurrents est très élevé la première année : ils sont 60, soit, d’après l’étude de G. Rouet, les trois quarts des personnes concernées ; et les absents se justifient par une excuse valable30. Ce concours sera maintenu jusqu’en 1836 ; et il cessera par manque de subvention.
26En tout cas, pour apprécier la position de la majorité des instituteurs, il est essentiel de saisir le décalage entre le niveau plutôt modeste et plutôt stagnant de leurs ressources économiques (avec toutes les nuances qu’on a apportées plus haut), et le niveau plus intéressant et plus évolutif de leurs acquisitions culturelles. C’est dire qu’ils ne sont pas inscrits sur le même mode dans ces deux univers hiérarchiques, et que leur responsabilité culturelle est sans commune mesure avec leur infériorité économique. Autre raison de faire droit à l’incisive formule de Marx, qui les définissait comme les « prolétaires de la classe des gens instruits » : en position inférieure économiquement dans une classe supérieure culturellement31.
2. La fonction sociale
27De par sa fonction, l’instituteur est agent d’une offre d’école, il est même celui qui la porte spécifiquement quand il exerce son métier. L’offre, comme ensemble de moyens d’accès à des contenus de culture (qui se constituent eux-mêmes par des mécanismes que je n’étudie pas ici et qu’on qualifie parfois d’« arbitraire culturel »), désigne la relation avec le public, voire la clientèle, comme une relation distincte de celle que construit, dans le sens inverse, la demande. Celle-ci, phénomène privilégié par des historiens comme François Furet et Jacques Ozouf, ouvre l’espace social de la scolarisation ; mais c’est l’offre qui crée la dynamique institutionnelle de l’enseignement, c’est-à-dire avant tout la création des places d’élèves. En ce sens, l’offre n’est pas seulement réponse à une demande ; elle peut aussi bien la précéder, la décevoir, la modifier, etc.32. Or, agissant comme agent d’une telle offre, donc accomplissant cette fonction, soit en son nom personnel, soit au nom d’un groupe, l’instituteur entre dans un espace de concurrence ; et c’est l’ensemble des rapports avec la population « ciblée » qui permet à tel ou tel concurrent de prendre l’ascendant sur les autres. Pour nous, le problème principal à résoudre est donc celui de savoir qui influence le choix des familles, et précisément de savoir comment ce choix intègre les contraintes et les incitations de l’Etat et de l’Eglise.
28De toutes façons, comme il est archi-connu, l’offre d’école est au XIXe siècle spécifiée d’une part en laïque ou congréganiste, d’autre part en publique ou privée, ce qui dessine le cadre de rapports où sont pris les maîtres, donc le marché de la scolarisation et de l’enseignement où ils tentent de faire connaître et reconnaître leur savoir-faire professionnel.
29La concurrence entre deux instances, l’une relevant de l’Etat et de son système institutionnel (écoles normales, inspecteurs, etc.), et l’autre relevant de l’Eglise et de son système de cléricature (congrégations, séminaires), donc entre instituteurs laïques et instituteurs congréganistes (qui sont surtout les frères des écoles chrétiennes, du moins si l’on est dans le secteur des garçons), est la plus marquante, et l’on aura l’occasion d’en suivre les principales conséquences avec le récit de Charpentier (cf. chapitre 2). Cette concurrence est aiguisée par le fait que les uns et les autres sont susceptibles d’enseigner dans les écoles publiques, ou communales, qui se caractérisent, à partir de la loi Guizot, par le soutien financier des municipalités (celles qui comptent au moins 500 habitants), qui doivent en effet fournir à l’instituteur un traitement fixe d’un montant minimum de 200 francs.
30La concurrence entre instituteurs publics et privés est parfois tout aussi vive à cette époque ; elle peut d’ailleurs se recouper avec la concurrence entre laïques et congréganistes, mais il ne faut pas les confondre. En quoi consiste l’offre d’enseignement privée à ce niveau, et comment se distingue-t-elle de l’offre publique ? Pour répondre à cette question, il faut comprendre qu’entre le public et le privé existe non pas une coupure véritable mais plutôt une série de degrés, même si le régime légal en vigueur depuis l’Empire, celui de l’Université, ne permet pas d’ouvrir une école particulière dans n’importe quelles conditions (c’est surtout une limitation qui concerne l’enseignement secondaire, ce qui mène dans les années 1840 à la grande campagne des catholiques contre le monopole exercé par l’Etat et l’Université). Pour ce qui tient aux enseignements élémentaires, il y a, avant la loi Guizot, plusieurs variantes d’instituteur privé, dont le récit d’A. Meunier, que nous avons déjà entrevu, donne une très bonne illustration car, à suivre l’itinéraire de l’instituteur depuis ses débuts, on le voit passer par les différents « emplois » possibles et les situations sociales qui y sont associées, rurales et urbaines, des moins valorisées aux plus valorisées.
31En 1817, à 15 ans et demi, Meunier est « instituteur ambulant », selon ce terme officiel qui désigne une sorte de préceptorat rural, en milieu de paysannerie aisée en l’occurrence, et qui ne suppose aucune certification précise, aucun brevet, sauf sa bonne réputation (parfois, les autorités tentèrent de pourvoir ces instituteurs d’un livret portant surtout mention de leur moralité33) Meunier a été engagé par un cultivateur d’un village près de Nogent-le-Rotrou pour instruire ses 8 enfants pendant la mauvaise saison (plus tard, il ira dans une autre famille de 10 enfants), et il doit travailler deux heures le matin et deux heures le soir, en échange de 40 sous par mois, plus la nourriture et un lit dans l’étable. Son temps libre lui permet de donner d’autres leçons dans les fermes voisines. Il précise que cette condition est fréquente dans le campagnes du Perche : elle serait même celle de la moitié des instituteurs de cette époque, qui ne s’estiment pas logés à mauvaise enseigne puisqu’ils obtiennent une rétribution égale à celle des instituteurs des villages, soit 10 sous par mois pour les élèves qui apprennent à lire, et 12 pour ceux qui apprennent en plus à calculer.
32Deuxième variante : en 1818, Meunier devient « véritable instituteur », au sens où il dirige l’école d’un village qui compte 900 habitants, Berd’huis. Autorisé et soutenu par le maire et le curé, élevé de ce fait au rang d’instituteur communal, il pénètre dans le domaine public pourrait-on dire, quoique la location des lieux soit à sa charge. Il accueille alors de 60 à 80 élèves qui lui versent 10, 12 et 15 sous de rétribution. A côté de cela il conserve une fonction d’enseignement plus privée, car il donne encore des leçons dans deux fermes, où on lui offre les repas quotidiens. C’est à Berd’huis, on l’a vu plus haut, qu’il est dénoncé par le curé de Nocé comme non titulaire du brevet, après quoi le comité cantonal ordonne au maire de fermer l’école. Meunier cependant, fort apprécié dans le village et désireux de continuer ses leçons, récupère ses élèves au domicile de certains des habitants. Il se pose alors ce problème bien révélateur du caractère volontaire de l’offre scolaire dans un contexte qui sépare mal public et privé : « me procurer une autre école »34.
33Après cela, troisième variante, Meunier donne des « leçons au cachet », ce qui l’apparente à l’état de « professeur libre », assez proche aussi du « maître écrivain » très ancien et traditionnel d’avant la Révolution. Il s’agit de cours d’adultes.
34Enfin, en 1820, à 18 ans, après avoir passé le brevet, il ouvre sa propre école primaire à Nogent-le-Rotrou, établissement strictement privé par conséquent, qui deviendra pension en 1823, lui même devenant « maître de pension ».
35A suivre les commentaires de Meunier, on voit que chacune de ses entreprises, activement constitutive d’une offre d’enseignement, s’inscrit en effet dans une situation de concurrence plus ou moins forte avec d’autres personnes ou d’autres instances, situation qui qualifie d’ailleurs les réussites et les échecs de sa progression, les joies et les dangers de ce qu’il appelle sa « carrière ». Dans le premier état, celui d’instituteur ambulant, il est en rapport avec « deux pauvres instituteurs ». Ensuite, à Berd’huis, il constate que son succès le fait jalouser des maîtres des communes voisines qui, du reste, viennent le voir pour bénéficier un peu de sa jeune science. Quand il s’établit comme professeur libre, l’un de ses amis le conseille en évaluant le caractère plus ou moins « redoutable » des autres professeurs en exercice : un seul, attaché au collège de Nogent-le-Rotrou et à une pension latine, semble à même de prendre l’ascendant sur lui ; quant aux autres, le premier est bossu et le second manchot, c’est tout dire ! De façon plus nette encore, lorsqu’il est en passe d’accéder à la fonction de directeur de pension, Meunier fait un bilan de la concurrence pour mesurer ses chances de réussite sur ce terrain nouveau35. Le collège de Nogent-le-Rotrou, avec ses 80 élèves pensionnaires, est évidemment son grand souci, et lui-même ne laisse pas indifférent le principal dudit collège, Bouchard, qui tente de le faire échouer au brevet du premier degré pour qu’il ne porte pas tort à son institution. A côté de celle-ci existe encore une école secondaire d’une soixantaine d’élèves qui commencent des études classiques où cherchent à s’y préparer. Cette école est dirigée par un certain Rocton, qui n’est pas muni du brevet mais trouve protection auprès du clergé. Meunier cite aussi une école gratuite des frères des écoles chrétiennes fréquentée par 200 élèves « de la classe indigente » et dirigée par le Frère Philippe, école publique donc subventionnée par la municipalité, ce qui lui confère un avantage décisif. Restent trois écoles « non subventionnées » ayant une cinquantaine d’élèves chacune, tenues par les nommés Bodin, Breton et Liberge, dont le premier donne un enseignement du premier degré (c’est le niveau de son brevet), et les deux autres du troisième degré. Conclusion de Meunier au moment de se lancer à la conquête des familles : à part le collège, les autres institutions ont des points faibles, par où il est « possible à une concurrence sérieuse de s’ouvrir un passage »...36. Le récit révèle toutefois que cela n’ira pas sans mal : il devra subir rumeurs et quolibets lorsqu’il publiera « son écriteau » au dessus de sa porte (« Ecole primaire du deuxième degré tenue par M. Meunier, où l’on enseigne la lecture, l’écriture, le calcul et l’orthographe ») ; ce seront aussi, dans d’autres circonstances, des attaques physiques de ses élèves et de lui-même par ceux des autres écoles. Mais l’issue sera heureuse car, selon ses dires, les enfants afflueront de toutes parts, venant de l’école secondaire et bien plus des écoles non subventionnées, qui vont de ce fait rapidement péricliter. Finalement, prenant son essor, il se retrouvera « seul » en face des frères, avec lesquels il lui faudra soutenir une « concurrence acharnée »37, expression derrière laquelle pointe l’anticléricalisme dont Meunier s’est fait une spécialité.
36En examinant ainsi la concurrence des agents qui fournissent une offre scolaire, on constate que la fonction et la dénomination de l’instituteur ne sont pas tout à fait adaptées à la division que nous connaissons aujourd’hui entre des institutions de type « primaire » et de type « secondaire » ; ou du moins, parce que la séparation revêt une forme différente de celle qui aura cours ensuite, elle laisse les instituteurs circuler librement dans les différents secteurs. C’est ce qui permet à Meunier de passer en peu d’années d’une fonction modeste d’instituteur ambulant à des fonctions nettement plus valorisées et valorisantes de maître communal ou de maître de pension, ce dernier suscitant d’ailleurs une réaction défensive du principal du collège de Nogent-le-Rotrou. Dans le récit de Charpentier il y a des cas proches comme celui de son collègue Rosset, nommé directeur d’école mutuelle après avoir enseigné au collège de Gisors. Reste que cette circulation est possible uniquement dans certains établissements, ou aux degrés inférieurs de l’enseignement secondaire que représentent en particulier les pensions privées qui délivrent des contenus de culture assez modestes, ou les petites classes des collèges qui dispensent un enseignement « élémentaire ». La séparation est évidemment plus étanche dans les autres cas, car le collège reste bien sûr le lieu des études classiques et de la latinité.
37Autre constat, lié au précédent : la population susceptible de se scolariser ne se reconnaît pas toujours dans un ordre d’enseignement, ce qui signifie que les institutions ne sont pas autant spécialisées sur le plan social qu’à la fin du siècle. Rappelons que, sous l’Ancien Régime, les catégories d’enfants sont relativement mélangées dans les établissements : il y a des enfants assez aisés chez les frères, théoriquement voués à enseigner les pauvres, et inversement il y a quelques élèves pauvres dans les collèges. Philippe Ariès a bien montré que c’est au XIXe siècle, lorsque les petits collèges ruraux vont disparaître, que les élèves de condition modeste seront contraints de s’orienter systématiquement dans les écoles primaires, intégrées par la loi Guizot à un enseignement municipal d’Etat qui cherche d’ailleurs à accueillir cette population, qu’elle le souhaite ou non38.
38Ces constats démontrent que la catégorie institutionnelle et professionnelle de « l’enseignement primaire », qu’on dit aussi souvent, à l’époque, « enseignement populaire », se construit dans un mouvement de « primarisation » de la fonction d’instituteur, qui est l’autre face du développement des moyens matériels et culturels octroyés à ce métier (traitements municipaux, formation dans les écoles normales, etc.). Il est particulièrement intéressant de ce point de vue que Meunier, racontant son éviction de l’école de Berd’huis et plus généralement la situation créée par l’ordonnance de 1816 qui instaure le brevet, au lieu d’en reconnaître le caractère bénéfique pour l’enseignement primaire, évoque au contraire « les mille entraves dont la profession d’instituteur était entourée »39. Ce processus, qui n’est certainement pas contradictoire avec la création d’un « primaire supérieur » et du brevet correspondant – qui seront quasiment supprimés avec la loi Falloux-, est en tout cas une base institutionnelle et culturelle de l’identité des instituteurs. C’est pourquoi ceux-ci, à la fin du siècle, dans les discours de l’intelligentsia, seront souvent appelés, avec une sorte de respect un peu condescendant, les « primaires ». C’est dans le même sens que L. Charpentier, évoquant les engagements de 1848, nommera sa corporation – ou son appartenance : la « pédagogie inférieure ».
39La séparation de plus en plus forte, de plus en plus étanche, des ordres d’enseignement, aura alors cette conséquence pour les maîtres qu’elle les forcera à tenir leur carrière dans les limites posées par l’institution elle-même, et à entrer ainsi dans une compétition difficile, à laquelle nous allons assister dans le récit de Charpentier, pour l’accès aux postes valorisés des écoles primaires supérieures, des écoles normales ou de l’inspection – celle-ci étant plutôt l’objectif des professeurs de collège. Cette rivalité s’intensifiera évidemment dans le cas des postes offerts par les écoles primaires les plus « rentables » (en quantité d’élèves payants), car instituteurs laïques et instituteurs congréganistes sont également susceptibles d’occuper le secteur public, on l’a dit, et par conséquent de s’approprier les avantages que l’Etat et les municipalités y distribuent – situation caractéristique de la période de 1861.
40Cette particularité, jointe à l’étroitesse des revenus, explique pourquoi les sorties hors de la profession sont assez nombreuses pour être parfois alarmantes aux époques que nous observons. L’image d’une carrière stable ne s’applique éventuellement qu’à la fin du siècle, et mériterait d’ailleurs un examen statistique rigoureux40. Dans le département de l’Ille-et-Vilaine étudié par G. Nicolas, sur 74 boursiers entrés à l’école normale entre 1832 et 1838, ils ne sont plus que 40 à exercer dans ce département en 1839. 23 % ont donc abandonné leur métier ! Autre chiffre : en 1852, sur 334 recrutés durant 20 ans, 135 seulement sont encore en activité. Que sont devenus les autres ? Un état de situation dressé par un inspecteur du Morbihan pour 1844-1845 indique que, dans 16 cas de départ connus sur 28 (et mis à part ceux qui exercent toujours mais dans un autre département), 3 ont ouvert une école privée, 3 sont passés maîtres d’étude dans un collège, quelques-uns sont devenus inspecteurs, et une dizaine s’emploie à autre chose : les douanes, les services de la préfecture, la vérification des poids et mesure.
41L’administration ne pouvait que combattre ces tendances ruineuses si l’on considère les sommes dépensées en pure perte dans les écoles normales. La première des mesures envisagées consista donc à imposer le remboursement du prix de la pension. Un arrêté du 13 décembre 1836 obligea les parents ou le tuteur du boursier à restituer le montant perçu si l’élève se mettait « par son fait » dans l’impossibilité de remplir l’engagement décennal au service de l’Instruction publique41. Comme le remarque Yvette Delsaut, l’expression « par son fait » indique bien l’état d’esprit des normaliens. Ceux-ci en effet pouvaient ne pas accepter de se rendre dans le village où on les envoyait après leur réussite au brevet, préférant s’établir à leur compte en attendant que se libère un poste intéressant ; mais en plus, certains n’hésitaient pas à échouer volontairement aux interrogations du jury. Les autorités décidèrent alors, si la Commission d’examen et la Commission de surveillance constataient une véritable fraude (une fraude à l’envers, pourrait-on dire), que la dispense du service militaire, qui était la contrepartie avantageuse de l’engagement décennal, ne serait pas accordée tant que l’élève-maître n’aurait pas obtenu le titre d’instituteur communal42. C’est aussi, dans une certaine mesure, pour lutter contre les velléités des impétrants d’échapper à leurs obligations qu’on les contraindra de se présenter aux inspecteurs immédiatement après leur succès à l’examen, pour obtenir d’être envoyés dans telle ou telle commune.
3. Le statut institutionnel
42L’exercice du métier s’appréhende aussi par les propriétés hiérarchiques du personnel qui l’assume, c’est-à-dire par son statut, lequel se traduit en pouvoirs et responsabilités, en droits et devoirs plus ou moins étendus, désirables, contraignants, etc., dans le système des sociabilités à l’intérieur ou à l'extérieur du milieu professionnel. Et comme ces attributions sont diversement réparties, les individus ont tendance à développer des plans et des projets pour en obtenir davantage, ou du moins pour obtenir les plus rentables, ce qui imprime à leur carrière une trajectoire ascendante. Ainsi s’accomplissent des expériences qui, une fois de plus, ne vont pas sans rivalités et conflits de toutes sortes.
43Autour de 1850, soit les instituteurs sortent des écoles normales et ils sont affectés à un poste (et joue alors leur plus ou moins bon rang aux examens, ainsi que d’autres appréciations sur leur conduite) ; soit ils viennent d’ailleurs et ils doivent se soumettre à diverses autorisations des autorités locales, municipales et cantonales. Dans tous les cas, ils sont plongés dès leurs débuts dans des rapports de subordination parfois très complexes, surtout, on le verra, après le coup d’Etat de Louis-Napoléon et sous le second Empire. En général, à la place qui leur revient, ils sont soumis à deux types de pouvoirs qui n’agissent pas de la même manière, qui ne leur posent pas les mêmes problèmes, et qui ne sont donc pas perçus par eux de façon analogue.
Les supérieurs
44Le premier type de pouvoir, c’est celui de l’inspecteur primaire. Ce corps fut créé à la suite de la loi de 183343. Un arrêté du 25 février 1835 et une circulaire du 20 octobre 1835 prévoyaient que les inspecteurs seraient recrutés parmi les professeurs de collège, les instituteurs et les membres des comités d’arrondissement ayant au moins cinq ans d’exercice ; qu’ils devraient réunir au moins une fois par mois le comité d’arrondissement ; qu’ils pourraient au besoin provoquer une réunion de conseil municipal ; qu’ils auraient à surveiller le placement des élèves à la sortie de l’école normale ; et surtout qu’ils iraient visiter les instituteurs dans les campagnes. Rappelons qu’on installa d’abord un seul inspecteur par département, puis qu’une ordonnance de Salvandy du 13 novembre 1837 créa des sous-inspecteurs, et qu’enfin la loi de 1850 institua un inspecteur par arrondissement (sauf quand deux arrondissements étaient réunis). Dans la pratique, l’inspection s’imposa rapidement comme une puissance d’incitation professionnelle très importante. L'article 9 du règlement du 27 février 1835 et l’instruction du 13 août 1835 prévoyaient en effet que chaque année l’inspecteur, qui était alors départemental, communique au recteur et au préfet ses observations sur l’enseignement primaire dans son département, au moyen d’un rapport prenant la forme d’un tableau (l’habitude de consigner une série de remarques était déjà quasiment prise par les inspecteurs spéciaux de l’enquête Guizot-Lorain). Puis, en 1850, le rapport devint trimestriel, et un arrêté du 3 janvier 1851 demanda une trace le jour même de la visite d’une école. C’était alors un « bulletin de passage », dont on peut penser qu’il donna naissance au bulletin d’inspection exigé par Rouland en 186244.
45Seconde série d’autorités, plus problématiques en fait : les autorités dites « locales », qui sont les comités de surveillance. D’après G. Rouet, ces instances, d’autant plus intéressantes que l’historiographie les avait négligées, ont joué un grand rôle dans la fixation des normes de l’école primaire, car elles délibéraient sur les mesures et les incitations gouvernementales, elles appréciaient la conduite des instituteurs, dont elles autorisaient et contrôlaient de toute façon la carrière, et, au niveau « pédagogique », elles élaboraient des règlements qui définissaient à la fois des obligations et un cadre de travail dans les écoles. Pratiquement, l’ordonnance du 29 février 1816 avait créé des comités cantonaux et des surveillants spéciaux, puis la loi Guizot conçut et sépara deux niveaux un peu différents. D’une part le comité local de surveillance, ou comité « inférieur » (loi du 28 juin 1833, article 17), était installé auprès de chaque école, dans chaque village. Il avait le maire pour président et il comprenait le curé ou un autre ministre d’un culte reconnu ainsi que des notables désignés au niveau supérieur. Maire et curé étaient chargés des diverses tâches d’inspection et d’organisation scolaires des écoles publiques et privées, pour tout ce qui concernait la salubrité, la discipline, la gratuité des enfants pauvres, etc. D’autre part le comité d’arrondissement, ou comité « supérieur » (loi du 28 juin 1833, article 18), avait le sous-préfet pour président et il comprenait le maire du chef-lieu, un juge de paix, un curé, un ministre de chacun des autres cultes reconnus, plus des membres de l’Université – dont un instituteur désigné par le ministre via le recteur (dans le récit de Léopold Charpentier, on verra ce rôle tenu par l’un des ses collègues, Bourdonné), des conseillers généraux et des notables45. Les attributions de ce comité étaient plus « politiques » (ou stratégiques), car il devait en général surveiller et encourager l’instruction primaire. Pour ce faire, il pouvait aussi bien déléguer plusieurs de ses membres dans les écoles que convoquer des instituteurs répréhensibles afin de les interroger et, s’il le jugeait utile, de les sanctionner.
46Nous pouvons d’ailleurs nous faire une idée de la façon dont un tel comité supérieur traitait les affaires disciplinaires grâce au récit d’E. Chevallier, qui siégea chaque mois vers 1840, au titre de l’instituteur requis (il avait trois heures de trajet précise-t-il). Un jour, le comité eut à examiner le cas d’un de ses collègues qui avait écrit une lettre ironique au maire de sa commune, un noble, qu’il soupçonnait d’être à l’origine d’insinuations déplaisantes. Le sous-préfet, président du comité, lut d’abord la lettre, apprécia la qualité de la tournure d’esprit, admit que le propos était sans méchanceté, mais il conclut qu’en l’absence de l’auteur, qui avait pourtant été prévenu, il fallait décider la révocation. C’est alors qu’E. Chevallier prit la parole et démontra l’impossibilité pour l’accusé d’être présent à cause d’une convocation trop tardive. Le jugement fut ensuite différé jusqu’à la séance suivante, ce qui laissa le temps à l’inspecteur de se porter garant pour le maître ; et la peine fut réduite à un mois de suspension, qui tombait d’ailleurs pendant les vacances46.
Les collègues
47La question principale, souvent formulée elle aussi avec des stéréotypes, c’est celle de savoir si le statut des instituteurs se résume à la soumission qui, censée répondre à leur position d’infériorité, économique et culturelle, les livrerait pieds et poings liés à l’éventuelle mauvaise humeur des dites autorités locales. En fait, dans les récits que nous allons parcourir, nous entendrons bien des plaintes au sujet des maires, curés, comités et autres « délégués » après eux, les uns et les autres dénoncés comme malveillants ou incompétents. Mais la possibilité de telles critiques, le fait qu’elles soient franchement proférées avec le sentiment d’être dans son bon droit, suppose que le statut des maîtres ait en réalité progressé, parallèlement à leurs ressources culturelles. C’est ce qu’on peut constater si l’on examine la capacité d'échange et d’élaboration collective des savoir-faire professionnels dans le cadre des sociabilités et des relations corporatives, qui sont souvent plus égalitaires, quoiqu’elles ne soient pas non plus tout à fait étrangères aux relations hiérarchiques, comme le montrent notamment les conférences pédagogiques.
48Meunier parle d’une « association amicale » organisée dès 1831-1832 par ses soins au moment où il a opté pour l’enseignement mutuel47. Situation typique, étant donné que la complexité de la technique exige des transmissions d’informations et de compétences. Mais Meunier a un objectif plus large vis à vis de ses collègues, puisqu’il entreprend de « les aider à aplanir les difficultés » de leur travail quotidien. Selon ses dires, il parvient à réunir jusqu’à trente à quarante personnes. Lors de la séance, l’un des participants traite une question qu’il a préalablement étudiée, ensuite s’instaure une discussion qui est finalement consignée dans un procès-verbal.
49La première des aides « professionnelles » officiellement apportées aux instituteurs en exercice, ce furent, mis à part les cours de perfectionnement cités plus haut, les conférences pédagogiques répandues sous l’impulsion ministérielle. Une historiographie quasi officielle a trouvé leur origine dans un cours d’une durée d’un mois environ, conçu en 1818 par le principal du collège de Toul afin d’initier tous les instituteurs de son arrondissement à la méthode mutuelle48. Certes, les cours normaux de la Société élémentaire ne sont pas très différents des conférences ultérieures, mais celles-ci commencèrent véritablement autour de 1835, dans le sillage de la loi Guizot et la création des inspecteurs départementaux. En effet, l’une des attributions de ces derniers étant de propager la connaissance des organisations de classe et notamment de la « méthode d’enseignement » (mutuelle, simultanée, individuelle ou mixte, précise la circulaire du 13 août 1835), certains s’efforcèrent de donner des avis et des conseils aux maîtres dont ils allaient visiter les écoles. Par exemple, en 1836, la notice nécrologique d’un inspecteur de l’Académie de Caen, l’abbé Rousseau, montre celui-ci attaché à répandre inlassablement jusque dans les petites localités ce mode simultané qui n’était guère pratiqué que par des écoles chrétiennes, nous dit-on, « avant que les instituteurs eussent le secours des Ecoles normales et des lumières qui leur arrivent maintenant de toutes parts »49. Un texte du 10 février 1837 légalisa ensuite les conférences en les mettant sous la surveillance du comité d’arrondissement. Il était admis que les instituteurs d’un ou plusieurs cantons pourraient y participer, et qu’ils y trouveraient exclusivement des informations « sur les diverses matières de leur enseignement, sur les procédés et méthodes qu’ils emploient, sur les principes qui doivent diriger l’éducation des enfants et la conduite des maîtres » (article 1). Il fallait en outre ne pas oublier « que l’instruction morale et religieuse est un des principaux objets que la loi a recommandé aux instituteurs » (article 2)50.
50L’essentiel, sur le plan qui nous intéresse, c’est que, concrètement, les conférences pédagogiques apparaissent et se multiplient sous deux formes. La première relève plutôt de l’initiative spontanée des instituteurs, qui se rassemblent chez les uns ou chez les autres, le plus souvent au chef-lieu de canton. On aperçoit quelques-unes de ces assemblées dans le récit d’Arsène Meunier comme dans celui de Léopold Charpentier. On en connaît aussi dans les Vosges et la Meurthe, où les participants, le jeudi, deux fois par mois en été et toutes les trois semaines en hiver, discutaient des problèmes de l’enseignement primaire en général et de leur métier en particulier51. La seconde forme de conférence, quoique plus officielle et hiérarchique, est quand même significative de l’investissement volontaire des pratiques et de la réflexion pédagogiques par les instituteurs. C’est celle du type 1837, dont on a décrit le cadre administratif, et qui a commencé soit avec les « cours de perfectionnement » dispensés dans les écoles normales (dans l’arrondissement de Vitry-le-François, dans la Marne, une « école de perfectionnement » est organisée par le comité d’instruction primaire dès 183 352) soit avec des regroupements obligatoires comme ceux prévus par le recteur de Nancy à la même époque les jeudis des mois de mai, juin et juillet. De telles modalités ne durèrent pas. Pour une raison de fond : elles n’apportaient guère plus qu’une mise à jour des connaissances sans que les questions plus générales de pédagogie et d’éducation fussent abordées ; et pour des raisons de forme : elles avaient lieu un jour de repos et obligeaient à débourser le prix du voyage. En leur lieu et place apparurent en 1855, dans quelques départements, dont le Loiret, le Maine-et-Loire et le Jura, des sortes de retraites pédagogiques d’une semaine. Ces réunions prenaient un fort caractère religieux – avec une messe basse pour débuter et une prière pour finir-, mais on y observait aussi des exercices modèles et on y écoutait des exposés des inspecteurs, du directeur de l’Ecole normale ou même, parfois, de l’inspecteur d’Académie, toutes choses qui avaient manqué en 1837. Cette variante entrera dans les mœurs sous la Troisième République – à la différence près que les messes et les prières seront remplacées par des chants patriotiques.
51Pour juger de l’intérêt que les instituteurs ont trouvé à ces pratiques, et pour juger, surtout, du rôle des sociabilités corporatives et des sentiments de responsabilité professionnelle qui y sont associés, dans la construction du statut, il suffit de rappeler quelques commentaires des acteurs que nous étudions, même sur les conférences des années 1837-1840, qui n’ont pas toujours été à la hauteur des espoirs mis en elles. E. Chevallier parle de réunions qui avaient lieu chaque mois vers 1840 dans la Vienne et dont il était l’organisateur et le vice-président. Elles avaient, explique-t-il, « une réelle importance ; elles étaient exactement suivies et entretenaient entre les instituteurs émulation, union et solidarité »53. Quant à Charpentier, s’il donne une version moins enthousiaste de séances où les instituteurs faisaient les frais d’une mauvaise parade servant la réclame de quelques fonctionnaires en mal de promotion, s’il considère avec un peu de dédain ces « réunions nombreuses, toujours un peu bruyantes », où l’on travaillait peu, et où une petite partie des présents ne venait que dans la perspective d’autres distractions, que la ville pouvait leur offrir à cette occasion, sans doute peu fréquente54, c’est surtout pour les opposer aux rencontres très confraternelles avec ses collègues les deux autres directeurs d’écoles mutuelles, qui étaient rendues nécessaires, on l’a déjà souligné, par le maniement d’une organisation lourde, exigeante, soumise en permanence à des rectifications de toute nature, et nécessitant par conséquent des échanges et des confrontations régulières.
4. Des finalités institutionnelles
52Puisque la fonction d’instituteur s’ordonne à de multiples rapports et à de multiples enjeux (enjeux sociaux d’intégration des populations, enjeux culturels de transmission des savoirs, etc.), elle exige une forte mobilisation de ceux qui l’assument ou du moins qui désirent l’assumer en tenant compte des instances et des personnes – les supérieurs, les collègues, le public – qui entrent également dans ces rapports. Ceci explique l’importance des discours sur les fins et les moyens du métier, signe d’une responsabilité des maîtres qui, au delà des jours de classe et de la réalité un peu contrainte du service, tentent de se réapproprier voire de modifier les normes et les valeurs qui pourraient fixer un idéal acceptable pour leur profession.
53Sur le fond, dans la période que nous considérons, les finalités du métier d’instituteur se formulent dans deux directions particulières, fortement présentes (parmi d’autres) : d’une part une direction pratique, qui est prise en charge par le discours « pédagogique » ; d’autre part une direction éducative, plus lointaine, qui s’inscrit dans une perspective d’innovation sociale.
Finalités pédagogiques
54En premier lieu, les décennies 1820-1850 se caractérisent en effet par l’émergence de finalités pédagogiques, qui articulent la vie et le travail des élèves à des modèles généraux d’action destinés à rationaliser les tâches et à résoudre ainsi les problèmes qu’elles rencontrent : problèmes économiques des moyens disponibles, problèmes didactiques des curricula à définir, problèmes moraux des comportements à réglementer, etc. Cette rationalisation a elle-même plusieurs aspects.
55D’abord, venant de l’Ancien Régime, y compris des précepteurs, c’est la recherche de procédés efficaces, ce qu’on appelle couramment des « méthodes ». Les méthodes sont des formes d’exposition des connaissances, avant tout les connaissances élémentaires (le lire-écrire-calculer), formes dont la progressivité est susceptible de garantir un apprentissage facile et rapide. Argument mercantile au surplus, pour qui en propose l’application, comme on le voit dans le récit de Meunier à propos d’un avocat installé à Agen et nommé Laffore. Celui-ci est une espèce de charlatan qui prétend avoir trouvé une méthode de lecture infaillible, qui a donc déposé un brevet d’invention et fondé une association commerciale vers 1828. Certains instituteurs conçoivent une exploitation des plus juteuses, car cette méthode promet pour les élèves un travail réduit à quelques jours voire à quelques heures. Mais en réalité, il ne s’agit pas d’autre chose que d’un abécédaire conçu, avec quelques astuces de présentation, comme une succession de tableaux. Une colonne est réservée aux signes simples ou composés des articulations graphiques, une autre colonne aux signes simples ou composés des éléments phoniques ; et il est prescrit, pour suivre la production des sons articulés, de prendre les premiers éléments comme des marteaux servant à frapper les seconds qui sont des enclumes, ou encore de considérer les uns et les autres comme des hommes à marier avec des femmes, etc.
56Ensuite, la pédagogie s’intéresse à ces organisations des classes et des écoles que sont les « modes d’enseignement » (mais les deux termes de « mode » et de « méthode » vont assez rapidement se confondre). Le mode individuel, qui est unanimement condamné, fait travailler chaque élève successivement auprès du maître, en laissant les autres plus ou moins inoccupés dans l’attente de leur tour ; par contre le mode simultané, celui des frères issus de Jean-Baptiste de La Salle, constitue des groupes de même niveau dans le but de faire travailler tous les élèves en même temps, ce qui est l’origine de ce que notre modernité appelle une « classe » ; le mode mutuel enfin, qui a la faveur des élites libérales sous la Restauration et au début de la monarchie de Juillet, envoie des moniteurs, choisis et formés parmi les élèves les plus avancés, conduire les exercices des élèves moins avancés, réunis dans des groupes qui ne dépassent pas huit ou neuf individus. Du point de vue gouvernemental, dès l’ordonnance de 1816 et les ordonnances de 1828, cette question des modes d’enseignement se pose avec beaucoup d’acuité, tant il paraît décisif d’éradiquer le mode individuel. Ceci, à partir de la monarchie de Juillet, résume d’ailleurs la principale mission des inspecteurs primaires nouvellement créés (Guizot choisira d’encourager l’enseignement simultané des frères, discrètement mais fermement, bien qu’il eût auparavant soutenu l’enseignement mutuel55) Il y a là une question pédagogique articulée à une grande question politique et sociale, celle de l’extension et de la généralisation massive de l’instruction primaire. A Reims, en 1831, Charpentier est appelé justement parce que des conseillers municipaux de tendance libérale voire républicaine prennent à nouveau fait et cause pour l’enseignement « populaire », et cherchent donc un instituteur expert dans une technologie, la « méthode » mutuelle, capable de scolariser de très grands nombres d’enfants à peu de frais. Meunier fait la même expérience à la même époque, mais il parle en assez mauvais termes des principaux animateurs de la Société pour l’instruction élémentaire – qui entame son déclin à ce moment-là.
57Dans ce contexte, la pédagogie, qui prend son sens moderne, se développe à la fois comme une théorie appliquée et comme une pratique réfléchie : n’offrant plus seulement une collection de procédés imitables, elle s’impose comme un savoir rationnel transmissible, expérimentable, et à ce titre porteur de ses propres finalités, de ses propres enjeux axiologiques, qu’il s’agisse d’utiliser des supports matériels, de fixer une progression intellectuelle, de choisir un régime de discipline, etc. Trouvant place dans les examens du brevet, elle « professionnalise » ainsi le métier et la formation des instituteurs, dont elle définit une part de plus en plus grande des compétences officiellement attendues et reconnues. Cette évolution est sensible si l’on regarde les textes administratifs. Pour les élèves-maîtres, le règlement du 14 décembre 1832, déjà cité, prévoit d’une part un enseignement pratique basé sur l’observation et l’entraînement aux méthodes en usage dans les classes primaires annexes56, et d’autre part un enseignement théorique, dont le programme, publié en 1839, probablement en complément de ce même règlement, par le Manuel législatif et administratif de l’instruction primaire, est présenté comme le « cours de pédagogie » des écoles normales. Une première partie, consacrée aux « méthodes d’enseignement », distingue six points57 : 1) les principes généraux de l’enseignement (public ou privé, primaire, secondaire ou supérieur) ; 2) les principes généraux des méthodes et la fameuse distinction entre méthodes et procédés ; 3) les méthodes de l’enseignement individuel, mutuel, simultané, ou mixte ; 4) les qualités de l’instituteur (saine constitution, bonne instruction, etc.) ; 5) les méthodes particulières aux « branches » d’enseignement ; 6) la discipline. Puis une seconde partie s’intéresse aux « principes d’éducation » : il s’agit cette fois d’un aspect assez peu pratique ou du moins, s’il est question de la pratique, c’est dans ses attendus éducatifs, c’est-à-dire en fin de compte moraux et psychologiques. Dans cet esprit, Gérando a prononcé en 1831 à l’Ecole normale de Paris une série de conférences, publiées en 1832 sous le titre de Cours normal58. Cette partie abord en effet : 1) la distinction entre éducation et enseignement ; 2) l’objet de l’éducation, qui est « l’homme tout entier », donc le corps et l’âme ; 3) l’éducation physique, qui repose sur la conception du corps comme organe de l’âme ; 4) l’éducation intellectuelle ; 5) l’éducation morale ; 6) la part que l’instituteur doit prendre dans ces différents types d’éducation.
5845 livres ont d’ailleurs été autorisés pour les écoles normales jusqu’en 1851 dans une rubrique spéciale dite « pédagogie » (à côté des rubriques lecture, grammaire, instruction morale et religieuse, etc.)59. Certains sont les guides déjà classiques pour les instituteurs, celui de Nyon (Manuel pratique, ou précis de la méthode d’enseignement mutuel pour les nouvelles écoles élémentaires, 1816), celui de Maeder (Manuel de l’instituteur primaire, ou Principes généraux de pédagogie, 1833), ceux de Lamotte et Lorain (Manuel complet de l’enseignement simultané, 1836), celui de Marie Carpentier concernant les salles d’asile (1846) ; d’autres sont des recueils de conseils pour forger la personnalité morale de l’instituteur, comme le Cours normal de Gérando, ou la Direction morale pour les instituteurs, de Barrau (1842) ; d’autres encore sont empruntés à la littérature et à la philosophie, comme ceux de Locke (Pensées sur l’éducation) ou de Fénelon (De l’éducation des filles). Figurent en outre les grands rapports à destination gouvernementale, dont le Rapport sur l’état de l’instruction publique en Prusse (1833), de Victor Cousin, et puis des ouvrages de provenance administrative parmi lesquels le Manuel Général (qui paraît depuis 1832), journal officiel publié par Hachette, ou même des manuels pour les candidats aux différents brevets de capacité60.
59Ce programme a-t-il été réellement mis en œuvre ? Contrairement à l’idée qu’on s’en fait parfois aujourd’hui, certains témoignages permettent de penser que oui, ne serait-ce que pour la raison négative qu’ils se tenaient en lieu et place des exercices d’application, souvent impossibles à cause du manque de classes annexes. Camille Désiré Férard, entré à l’Ecole normale de Caen en octobre 1843, dit avoir reçu quelques notions de pédagogie. Un programme semi-officiel explique-t-il, basé sur le Cours de pédagogie d’Eugène Rendu (le fils d’Ambroise Rendu, qui a joué un rôle important dans la période précédente), fut suivi par le professeur, M. Couétil, qui s’élevait du concret à l’abstrait alors que l’inverse était prévu. Il fut d’abord question, en seconde année, du matériel, du local, des registres à tenir, puis des récompenses et des punitions à employer, des manières de diviser les élèves et de mettre à leur portée les différentes branches d’enseignement, et enfin, l’année suivante, troisième et dernière, de l’idée générale de l’éducation, de la notion des facultés de l’enfant et de la manière de les diriger. Cette même année, la formation pratique de Férard se résuma en une initiation à la méthode mutuelle dans une école de la ville. Frégier, qui a visité en 1838 l’Ecole normale de Versailles, qui est alors l’Ecole normale de l’Académie de Paris, mentionne les deux volets auxquels on vient de faire allusion : une explication pédagogique des méthodes et une explication psychologique du caractère des enfants61. Mais un témoignage encore plus démonstratif est exposé dans la précieuse étude de G. Nicolas et c’est celui de l’élève-maître Jouquan, du moins de ses cahiers de pensionnaire de l’Ecole normale de Rennes entre 1846 et 1847. Le cours utilisait lui aussi le manuel d’E. Rendu ou d’autres références du même type, et on voit clairement, à l’ampleur et à la précision des notes de Jouquan, combien cet enseignement était objet de soins particuliers de la part des professeurs et du directeur. Pas moins de 75 pages du cahier sont consacrées à la méthode simultanée, et 50 le sont à la méthode mutuelle. Suivent toutes sortes de considérations, fidèles au programme énoncé plus haut, et dont on trouvera encore des formulations dans certains mémoires de l’enquête de Rouland (car il peut très bien s’agir d’instituteurs formés dans les mêmes années) – sur des sujets comme la discipline, les récompenses, les punitions, etc.62.
60Il faut préciser que, parallèlement, les instituteurs ont accès à un large éventail de journaux et autres revues périodiques, car une presse pédagogique abondante et faisant preuve d’une grande vitalité a commencé de se développer pendant le règne de Louis-Philippe. La poussée initiale des publications s’est ralentie sous le second Empire, mais, compte tenu des disparitions et des nouveautés, les instituteurs disposent au moins d’une dizaine de titres par an en moyenne entre 1830 et 187963. Ils peuvent consulter des revues du type du Journal d’éducation, qui est devenu après la Restauration le Bulletin de la Société pour l’instruction élémentaire64, où l’on trouve plutôt des réflexions pédagogiques et éducatives générales. Ils peuvent lire aussi des bulletins et des journaux contenant des analyses et des commentaires de toutes sortes sur les moyens et les fins de leur exercice quotidien, y compris des modèles de leçons, à côté d’informations ministérielles, rectorales ou académiques. A cette catégorie appartient le Manuel Général ou Journal de l’instruction primaire, créé par Guizot en 1832 pour aider les instituteurs dans leurs choix de méthode. Ce mensuel a d’ailleurs connu plusieurs transformations : en 1834, il est devenu le Manuel général de l’instruction primaire ; puis, perdant en 1838 l’exclusivité de la publication des documents officiels au profit du Bulletin officiel de l’instruction primaire, il a fusionné avec L’Instituteur, sous le titre nouveau de L’instituteur, Manuel général de l’instruction primaire, et est passé totalement dans le domaine privé ; en 1844, il abandonnait la première partie de son titre, et enfin, en 1850, il devenait la propriété d’Hachette qui le transforma en hebdomadaire, dont la direction revint à Th. Barrau (il redeviendra mensuel en 1858)65. L’administration de l’instruction publique ne se donnera un organe comparable que sous le second Empire, en 1858, et ce sera le Journal général de l’instruction publique. Dès 1854 toutefois, Fortoul tente de faire descendre dans les départements et les communes le Bulletin de l’instruction primaire, de Paul Dupont, qui est censé favoriser l’initiation des instituteurs « à l’intelligence des bonnes méthodes, et surtout des meilleures pratiques de l’enseignement »66. En même temps paraissent des bulletins départementaux à proprement parler, lesquels seront encouragés et multipliés quelques années plus tard par Duruy. Regardons par exemple le Bulletin académique du Nord et du Pas-de-Calais, Journal des instituteurs et institutrices, en son premier numéro de janvier 1853. On y trouve une « partie officielle » avec des circulaires du recteur, des avis de nomination, des jugements du conseil académique, et une « partie non officielle », avec des analyses d’œuvres pédagogiques ou de méthodes spéciales (de lecture notamment) et des billets d’humeur sur les problèmes rencontrés par les maîtres (comme la négligence des familles). En plus de cela existent évidemment des publications privées plus ou moins concurrentes, Le Journal de l’Instituteur (depuis 1833), Le journal de l’instruction élémentaire (depuis 1830), L’écho des écoles (depuis 1837), sans parler des feuilles engagées comme L’écho des instituteurs, animé par Meunier de 1845 jusqu’à 1850, date de son interdiction. Il est difficile de chiffrer avec exactitude le lectorat des publications officielles, mais tout laisse à penser que, sous le second Empire, il s’est rapidement étendu à la majorité des instituteurs publics. Quoique peu de tirages soient connus, il n’est que de rappeler qu’en 1858, quand le ministère de Rouland soutient le Journal des instituteurs, qui fait suite au Bulletin de l’Instruction primaire, il fait envoyer gratuitement les premiers numéros à tous les instituteurs de France, en leur précisant qu’ils seront abonnés d’office s’ils ne manifestent pas explicitement qu’ils le refusent67. Nous avons d’ailleurs constaté que le budget-type donné par E. Bonnemère comporte effectivement l’abonnement annuel à un journal.
Finalités socio-culturelles
61S’il faut traiter de l’adhésion ou mieux de l’appropriation par les instituteurs des finalités socio-culturelles de l’enseignement primaire, c’est à condition de saisir celles-ci, et les valeurs qu’elles actualisent, dans une continuité historique qui ne s’arrête pas au seul moment dit « républicain ». Car ces finalités et ces valeurs émanent d’abord du projet libéral et progressiste d’instruire le peuple, qui a certes son origine dans le XVIIIe siècle et la Révolution, mais qui a aussi pris des formes originales dans les contextes des monarchies ultérieures.
62En réalité, l’instituteur moderne a pour ancêtres directs sous l’Ancien Régime, non seulement ceux que l’on tient volontiers pour tels, à savoir les magisters et les régents de villages – ou d’autres catégories qui vendent un service d’apprentissage élémentaire, mais aussi les congréganistes œuvrant en faveur de l’instruction gratuite des pauvres, à commencer évidemment par les frères des écoles chrétiennes (d’où la concurrence qui dure sous sa forme libre jusqu’à la Troisième République). A partir de la Révolution, qui adopte officiellement le vocable « instituteur » (loi du 12 décembre 1792), l’espace social du métier de l’enseignement primaire est créé dans l’orientation universaliste que traduisent les formules « éducation nationale » et « instruction publique », c’est-à-dire en abolissant toute distinction entre riches et pauvres afin de s’adresser à l’ensemble des citoyens. Combattre la misère et ouvrir des écoles, ce sont alors deux nécessités inséparables suivant l’orientation adoptée sous la Législative et la Convention par quelques-uns des plans scolaires les plus importants, en particulier ceux de Condorcet ou de Le Peletier de Saint-Fargeau (qui divergent pour d’autres raisons).
63Cette ligne de valorisation universaliste a fixé le sens et l’usage de ce qu’on appelle désormais l’« enseignement du peuple », l’« enseignement populaire », l’« éducation populaire », termes diffusés à partir de la Restauration et qui se sont largement répandus aux époques ultérieures, pour gagner à peu près tous les courants politiques et culturels. Après les libéraux de la Société élémentaire qui propagent la méthode mutuelle, il y eut en effet, sous la monarchie de Juillet, les « doctrinaires » comme Guizot, à l’origine lié aux précédents (dans le passage de ses mémoires consacré à la Restauration, Guizot affirme que l’idée d’instruction du peuple s’était alors imposée au point que, même quand les ultras s’emparèrent ensuite du pouvoir, ils durent la reprendre à leur compte, personne ne voulant plus apparaître comme « ennemi de l’instruction populaire »68) Mais il y eut également les catholiques, dont on voit en 1846 le Comité pour la défense de la liberté religieuse, faisant campagne contre le monopole universitaire de l’enseignement secondaire sous l’impulsion des évêques ultramontains et de quelques laïcs fondateurs du « parti catholique » derrière Montalembert, réagir à un projet du ministre Salvandy en déplorant qu’il « aggrave la situation déplorable de l’éducation populaire en France »69.
64On trouvera ce vocabulaire dans le livre de Charpentier, qui vient de la mouvance libérale et de l’enseignement mutuel. Exemples : du sous-préfet Poisson et du notaire et secrétaire du comité local d’instruction, Alloënd-Bessand, qui le soutiennent à son arrivée, il dit qu’ils sont effectivement des « amis de l’instruction populaire » ; et plus tard, lorsqu’on l’accuse d’empiéter sur les prérogatives d’une école primaire supérieure parce qu’il élargirait trop l’enseignement dispensé à ses élèves, il répond que son programme comprend les bases de l’orthographe, les principes de l’arithmétique, les moyens de mesurer les surfaces et les solides, et que nul ne peut s’effrayer de cela sauf à n’être pas « amis de l’enfance et de l’instruction populaire »70.
65En fait, les idées du « populaire », de l’« enseignement populaire », de l’« éducation populaire », etc., constituent le paysage mental le plus dispensateur de valeurs et de légitimité pour le métier d’instituteur, donc aussi le plus unificateur de ses finalités. Mais il faut distinguer deux moments dans la représentation de ces finalités. D’une part le moment individualiste de la culture des facultés intellectuelles : on donne des capacités aux citoyens ; d’autre part le moment « collectif » de l’éducation et de la formation des mœurs : on civilise et on moralise le peuple. Et lorsque l’école apporte ce bénéfice aux individus elle contribue, pense-t-on, au progrès général de la société.
661 – du point de vue (le plus connu) des droits individuels, les finalités du métier d’instituteur dessinent ce principe fondamental de justice qu’est l’égalité des chances ou des espérances d’accès aux places et aux postes grâce à l’instruction. Cette ligne, qu’on peut renvoyer à Condorcet ou à Tocqueville, l’école la suit au quotidien pourrait-on dire, puisque les élèves y sont soumis à une exigence commune qui ne les distingue qu’en fonction de leur travail et de leur intelligence. Gérando, dans la huitième leçon de son Cours normal, sur l’éducation morale, demande que les futurs instituteurs tiennent rigoureusement compte de l’origine (inférieure, pauvre, indigente, etc.) de leurs élèves, et il leur recommande explicitement : « Que les différences d’âge, de condition, de profession, de fortune, soient oubliées sur le seuil de l’école »71. En cela consiste l’idéal méritocratique suivant lequel tout citoyen doit obtenir dans la société un statut proportionnel à ses mérites, qu’il aura donc pu démontrer sans se voir interdit ou exclu à cause de son origine (sa « naissance »). Cet idéal d’égalité formelle ou juridique, qu'il ne faudrait donc pas imputer aux seuls républicains, a connu beaucoup d’avatars au XIXe siècle, et il en existe toutes sortes de formulations et d’applications, par exemple, en 1818, celle de la loi Gouvion Saint-Cyr sur le recrutement militaire, qui promet à tout soldat l’accomplissement d’une carrière conforme à « ses talents et ses services »72.
672 – du point de vue de la société, les finalités du métier d’instituteur engagent non pas un principe de justice mais sa contrepartie : une nécessité de gouvernement. C’est la ligne de l’éducation et de la moralisation collectives, qui suppose une vision du peuple à la fois comme étranger, et comme susceptible néanmoins de participer aux bienfaits de la civilisation, de s’adapter à ses normes historiques. Justement à partir des idéaux philanthropiques du XVIIIe siècle et de la Révolution, la prise en charge des classes inférieures dans un système d’instruction publique ou d’éducation nationale73 ne projette plus, comme dans la perspective chrétienne, le maintien de l’ordre social, mais sa régénération. Elle se veut ainsi facteur de progrès : d’une part le pauvre est accueilli au nom d’un droit dont il peut user en vertu de son humanité, comme membre de l’espèce humaine et appelé en tant que tel à une vie morale, d’autre part cette intégration est susceptible d’améliorer la totalité des rapports, de la sociabilité et des mœurs. C’est en ce sens que l’avocat rémois Arnould, commentant un peu avant 1848 la politique scolaire de la municipalité et le sort fait aux instituteurs, évoque « ceux qui aiment sincèrement la moralisation des classes laborieuses, et qui croient au progrès de l’humanité »74.
68Reste à savoir, ce que nous examinerons plus loin, à quel degré et à quelles époques les instituteurs eux-mêmes se sont emparés de ces catégories mentales, comment ils les ont assimilées, s’ils ont davantage intégré l’une ou l’autre ligne des finalités socio-culturelles pour enseigner aux enfants du peuple plutôt les droits qu’ils sont en mesure de revendiquer, ou plutôt les devoirs que l’Etat leur impose. Nul doute que ces choix rencontrent à leur tour des conflits spécifiques puisqu’aucun n’est assuré d’obtenir automatiquement l’adhésion des familles concernées.
69Soyons sûrs cependant que l’état d’esprit des instituteurs, leurs projets et leurs espérances, leurs finalités et leurs valeurs, ne tiennent pas dans les bornes posées par les gouvernements. Sous la monarchie de Juillet, en 1841, un rapport du ministre Villemain affirmait que les écoles normales seraient de peu d’intérêt « si les prétentions d’un faux savoir y remplaçaient les connaissances saines et positives, si l’esprit religieux et moral, la droiture des principes, la simplicité des habitudes n’y dominaient pas », car alors on pourrait « craindre que la Société ne fût plus troublée que secondée par tant d’instituteurs qui seraient mécontents de leur état et n’en connaîtraient pas les devoirs et le but »75. De même, en 1838, quand l’Académie des Sciences Morales et Politiques met au concours la question de savoir : « Quels perfectionnements pourrait recevoir » l’institution école normale (c’est un concours auquel participe Charpentier, et dont il cite à la fin de son livre un extrait du rapport de Jouffroy le concernant), les deux mémoires primés, notamment celui de Barrau qui est alors le Principal du collège de Chaumont, évoquent à la fois la grandeur de la mission des instituteurs et la nécessité qu’ils ne cherchent pas pour autant à élever trop leur position. Il y a bien dans toutes ces objurgations un « rappel à l’ordre culturel », comme disent aujourd’hui les sociologues, rappel qui vise à restreindre le sens et l’usage de la culture reçue, en disposant à célébrer la connaissance scolaire mais avec humilité et modestie. Toutefois en insistant, comme on l’a beaucoup fait, sur l’inculcation de ce caractère, on risque d’oublier la propre conscience des instituteurs, leur implication, leur affirmation de soi, les sentiments de responsabilité qu’ils traduisent en désir d’initiative, c’est-à-dire au total l’appropriation de leur fonction à travers le développement de systèmes de valeurs et de justifications ad hoc, toutes choses qui sont leur manière non pas seulement de s’adapter à un poste, mais d’adapter ce poste au projet et à l’avenir conçus par eux.
Notes de bas de page
1 Ministère de l’Instruction publique, Exposé général de la situation de l’instruction primaire au 1er janvier 186 7, chap. 3, Etat comparatif de l’instruction primaire en France de 1846 à 1866, Paris, 1867, p. 24 ; et Ministère de l’instruction publique, Statistique de l’enseignement primaire. 1850-1861. « Situation au 1er janvier 1862 », Paris, 1864.
2 Ibid. ; et A. Prost, L’enseignement en France, op. cit., p. 108.
3 Voir J. Landais-Hui, Les instituteurs et l’école de la Belle époque à travers la littérature du temps. 1882-1914, Thèse, Université de Paris VII, 1982.
4 E. Chevallier, Souvenirs d’un vieil instituteur..., op. cit., p. 39.
5 Source : Ministère de l'instruction publique, Statistique de l’instruction primaire pour 1861, Paris, 1861. Les instituteurs sont notés à la première ligne avec les institutrices des écoles mixtes et avec des instituteurs « provisoires ».
6 G. Nicolas, L’école normale primaire de Rennes et la première génération de normaliens de Bretagne (1831-1852), Thèse, Université de Paris IV, 1992.
7 O. Gréard, La législation de l’instruction primaire en France depuis 1789jus qu’à nos jours, recueil de lois, arrêtés, ordonnances, règlements, 2e éd., Paris, 1889-1902 (1re éd. 1874), 7 vol., t. 2, p. 190.
8 Décret du 9 mars 1852 ; voir O. Gréard, Ibid., t. 3, p. 495.
9 G. D’Eichtal, Rapport sur les résultats de l'inspection des écoles privées et communales du 1er arrondissement en 1843, Paris, 1844.
10 D’après la célèbre étude de F. Simiand, Le salaire, l’évolution sociale et la monnaie, Paris, 1930 ; voir sur ce point G. Dupeux, Aspects de l’histoire sociale et politique du Loir-et-Cher, 1848-1914, Paris, Mouton et Cie, 1962. Rappelons que le second Empire est une époque de prospérité économique et de hausse du salaire ouvrier, non seulement du salaire nominal mais aussi du salaire réel, car l’augmentation du coût de la vie est assez faible.
11 Chambre de commerce de Paris. 1847-1848, Statistique de l’industrie à Paris, p. 49.
12 Voir G. Rouet, L’invention de l’école, Nancy, 1993, pp. 144-166.
13 E. Bonnemère, Le maître d’école, op. cit., p. 9.
14 M. Hirschhorn, L’ère des enseignants, op. cit., p. 13 et suiv.
15 Voir le Bulletin administratif de l’instruction publique, Paris, 1851, p. 179 ; et O. Gréard, La législation..., op. cit., t. 2, p. 225.
16 Sur ce point, voir le cas de Rennes traité par G. Nicolas, L’école normale primaire de Rennes.., op. cit., pp. 453 et suiv. ; ainsi que M. Gontard, La question des écoles normales primaires de la Révolution de 1789 à nos jours, CRDP de Toulouse, sd., p. 35.
17 Voir sur ces questions M. G. Jost, « Les examens du personnel de l’enseignement primaire », in Ministère de l’Instruction publique et des Beaux Arts, Recueil des monographies pédagogiques publiées à l’occasion de l’exposition universelle de 1889, Paris, 1889, t. III, pp. 243-244.
18 Voir O. Gréard, La législation..., op. cit., t. 1, pp. 252 et suiv.
19 Voir sur cette question A. Prost, L’enseignement en France, op. cit., p. 164.
20 L.-A. Meunier, « Mémoires d’un ancêtre ou les tribulations d'un instituteur percheron », in Cahiers percherons, no 65-66, 1er et 2e trimestre 1981 (texte primitivement publié en 1904 dans L’Ecole Nouvelle, 7e année), p. 22.
21 Statistique citée par M. G. Jost, Les examens..., loc. cit., p. 249. En ce qui concerne les examinateurs, le même auteur signale que, d’après un relevé de l’Académie de Montpellier effectué entre 1816 et 1833, sur 2163 candidats instituteurs, près de la moitié ont comparu devant des principaux de collège, comme A. Meunier, un quart a été examiné par des curés, et les autres par des inspecteurs d’académie, des chefs d’institution, membres de l’Université ou notables divers.
22 Voir sur ce point A. Prost, L’enseignement en France, op. cit., p. 137-138.
23 Voir également M. G. Jost, Les examens..., loc. cit., p. 255.
24 Lettre de Louis, Marie Berger du 18 août 1879, citée par G. Nicolas, L’école normale primaire..., op. cit., p. 447.
25 Cf. Règlement du 15 février 1853 ; voir R Boutan, « La langue des Messieurs », Histoire de l’enseignement du français à l’école primaire, Paris, A. Colin, 1996, p. 143.
26 G. Nicolas, L’école normale primaire de Rennes, op. cit., pp. 443-451.
27 Voir M.G. Jost, loc. cit., p. 261.
28 Voir sur ce point G. Rouet, L’invention de l’école, op. cit., p. 180.
29 Arch. Dep. Marne, 1T 1755.
30 G. Rouet, L’invention de l’école, op. cit., p. 183.
31 Marx, Les luttes de classes en France, Paris, Editions sociales, 1967 (1re éd. française, 1895). N’est-ce pas, aujourd’hui, cette position ambivalente qui fait de l’enseignement primaire un métier de femmes, du moins un métier qui convient aux agents économiques qui ont un certain niveau de diplômes, mais qui peuvent se contenter d’un faible niveau de rémunération à cause des compensations obtenues sur le plan de l'aménagement du temps ?
32 Sur la notion d’offre, voir J.-P. Briand et J.-M. Chapoulie, « L’institution scolaire et la scolarisation : une perspective d’ensemble », in Revue française de sociologie, vol. XXXIV, 1993, pp. 3-41.
33 Voir sur ce point M. G. Jost, loc. cit., p. 250.
34 L. A. Meunier, L’enseignement primaire..., op. cit., p. 28.
35 Id., p. 30-31.
36 Id., p. 34.
37 Id., p. 41.
38 Ph. Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, éditions du Seuil, 1973, 2e éd. (1re éd. Plon, 1960), p. 338.
39 L. A. Meunier, loc. cit., p. 28. Inutile de redire qu’il ne représente que la frange d’élite.
40 Concernant cette question, sur les instituteurs du début du siècle, voir le livre de J. et M. Ozouf, La République des instituteurs, op. cit., pp. 83-84 et 91 et suiv.
41 Cité par M. Gontard, La question..., op. cit., p. 42.
42 M. Gontard, id. Voir aussi Y. Delsaut, La place du maître, Une chronique des écoles normales primaires, Paris, L’Harmattan, 1992, pp. 19-20.
43 L’organisation définitive de ce corps est due à une ordonnance du 18 novembre 1845, qui impose d’avoir effectué deux années comme sous inspecteur pour devenir inspecteur. Voir M. Gontard, Les écoles primaires de la France bourgeoise (1833-1875), C.R.D.R Toulouse, sd., pp. 10-11 ; et F. Buisson, Nouveau dictionnaire, op. cit., art. « Inspection ».
44 Cf Ministère de l’instruction publique et des Beaux Arts. Direction de l’enseignement primaire, L’inspection de l’enseignement primaire, Paris, 1900.
45 Voir dans F. Buisson, Nouveau Dictionnaire..., op. cit., art. « Surveillance des écoles ».
46 E. Chevallier, Souvenirs d’un vieil instituteur..., op. cit., p. 75.
47 L. A. Meunier, loc. cit., p. 59.
48 R. Aubert, « Les conférences pédagogiques », in Mémoires et documents publiés par le Musée pédagogique, 9e série, Paris, 1889.
49 M. Edom, « Notice biographique sur M. l’abbé Rousseau, ancien inspecteur de l’Académie de Caen », in Mémoires de l’Académie de Caen, 1836, p. 611. Les rapports des inspecteurs départementaux pour la période 1836-1840 ont été analysés par C. Nique, dans La petite doctrine pédagogique de la monarchie de Juillet (1830-1840), Thèse, Université de Strasbourg, 1987, pp. 737 et suiv. Sur 207 rapports, 117 contiennent un jugement positif ou négatif sur les méthodes, et 98 se prononcent en faveur de l’enseignement simultané.
50 Voir O. Gréard, La législation..., op. cit., t. 2, pp. 304 et suiv., et p. 302.
51 R. Aubert, « Les conférences... », loc. cit., pp. 6 et 7.
52 Cf G. Rouet, L’invention de l’école, op. cit., pp. 175 et suiv.
53 E. Chevallier, Souvenirs d’un vieil instituteur, op. cit., p. 74.
54 L. Charpentier, L’enseignement primaire et notamment l’enseignement mutuel à Reims de 1831 à 1868, Reims, 1869, p. 93.
55 Voir sur ce point C. Nique, La petite doctrine pédagogique..., op. cit.
56 Les dispositions du règlement du 14 décembre 1832 sont maintenues par celui du 24 mars 1851 (article 4) à peu près dans les mêmes termes, sauf qu’en 1851 on ne fait pas allusion à une période donnée du séjour à l’école normale, alors qu’en 1832 on parle des six derniers mois. Voir le Bulletin administratif de l’instruction publique, Paris, 1851, p. 179 ; et O. Gréard, La législation..., op. cit., t. 2, p. 225.
57 Killian, Manuel législatif et administratif de l’instruction primaire, 1838-1839, Paris, pp. 149-152.
58 J.-M. de Gérando, Cours normal des instituteurs primaires, ou directions relatives à l’éducation physique, morale et intellectuelle dans les écoles primaires, 5e éd., Paris, 1859 (1re éd. 1832).
59 On en trouve la liste, avec la date des autorisations, dans le Bulletin administratif de l’instruction publique, op. cit., pp. 234-249.
60 Lamotte, Meissas, Michelot, Manuel des aspirants aux brevets de capacité pour l’enseignement primaire élémentaire et pour l’enseignement primaire supérieur, avec le programme des questions, Paris, 1837.
61 A. Frégier, Des classes dangereuses de la population des grandes villes et des moyens de les rendre meilleures, Paris, 1840, t. 2, pp. 4-5.
62 G. Nicolas, L’école normale primaire de Rennes..., op. cit., p. 423.
63 D’après une étude de Pierre et Pénélope Caspar, qui ont analysé 305 revues entre 1815 et 1939 : « Presse pédagogique et formation continue des instituteurs (1815-1939) », in Recherche et formation, 1997, n°23. Cf aussi P. Caspar-Karydis et A. Chambon, La presse d’éducation et d’enseignement, XVIIIe siècle-1940. Répertoire analytique, sous la direction de P. Caspar, Paris, CNRS-INRP, 4 vol. 1981-1991.
64 Voir A. Beurrier, La presse pédagogique, Paris, 1889.
65 F. Buisson, Nouveau Dictionnaire..., op. cit., art. « Manuel Général » ; ainsi que P. Boutan, La langue des Messieurs..., op. cit., 1996, pp. 47 et suiv.
66 Circulaire du 14 février 1855, in O. Gréard, La législation..., op. cit., t. 3, p. 625. La publication du bulletin a été décidée par une circulaire du 17 décembre 1853 ; voir O. Gréard, ibid., p. 559.
67 Voir sur ce point P. Boutan, La langue des Messieurs..., op. cit., p. 49.
68 Guizot, Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, Paris, 1860, t. 3, pp. 57-58.
69 Voir sur ce point A. Dehidour, Histoire des rapports de l’Eglise et de l’Etat en France de 1789 à 1870, Paris, 1898.
70 L. Charpentier, L’enseignement mutuel..., op. cit., pp. 10 et 129.
71 Gérando, Cours normal, op. cit., pp. 118-119.
72 Journal d’éducation, 1818, t. 7, p. 122 ; c’est un commentaire du comte de Laborde. On peut d’ailleurs très bien résumer cette conception à ce que Napoléon, d’après les relations de Las Cases à Sainte-Hélène, définissait comme l’universalisme de la Légion d’Honneur, une institution qui serait « le moteur universel de toutes les ambitions diverses, le véhicule de tous les lustres, la récompense et l’aiguillon de tous les efforts généreux », Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène, in J. Tulard, Napoléon à Sainte-Hélène, Paris, R. Laffont, 1981, p. 169.
73 Voir sur ce point F. Jacquet-Francillon, Naissances de l’école du peuple, 1815-1870, Paris, éditions de L’Atelier, 1995, chap. 2 et 3 ; ainsi que « Eduquer : des Lumières à la Révolution », in (le) Télémaque no 1, 1995, pp. 79-88.
74 J.-B. Arnould, Notes et documents sur les établissements primaires de la ville de Reims, Reims, 1848, p. 442.
75 J.G.I.P., 13 nov. 1841, cité par M. Gontard, La question..., op. cit.
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