Le logement social en Russie : aujourd’hui et demain ?
p. 173-188
Texte intégral
1La distinction entre le logement privé et le logement social était quasi inexistante pendant l’époque soviétique, car tout le logement était considéré comme propriété d’État et donc publique. Les maisons dans les agglomérations rurales et les petites villes pouvaient constituer une propriété privée, ainsi que les logements appartenant aux coopératives de logement, dans le sens où ils pouvaient être légués ou vendus. Les autres logements, ceux de l’État, ne pouvaient qu’être échangés entre les particuliers. Acheter un appartement dans une copropriété était un moyen plus rapide pour avoir un logement par comparaison avec un appartement d’État.
2On peut se demander si le logement d’État pouvait être considéré comme un logement social et dans quels cas ? Je crois qu’on peut le dire dans la mesure où certaines catégories de la population, telles que des familles nombreuses, avaient le droit prioritaire au logement. Cela voulait dire que les délais d’obtention d’un logement devenaient plus courts pour ces familles. En fait, l’aspect financier ne jouait pas un grand rôle, car les prix de location étaient largement inférieurs aux revenus. D’autre part, s’il existait un problème de revenus, il n’était pas directement lié au logement.
3Cette logique me semble assez cohérente car les écarts entre les salaires n’étaient pas aussi importants qu’aujourd’hui et le chômage n’existait pas (en tout cas officiellement). De ce fait, tous les citoyens qui en éprouvaient le besoin pouvaient s’inscrire sur la liste d’attente pour obtenir un logement. Il existait deux files d’attente : l’une destinée aux catégories « privilégiées » de la population (lgotniki) ou bien « hors file » (vneotcheredniki) et une autre destinée aux citoyens ordinaires (otcheredniki). Parmi ces lgotniki on peut citer les anciens combattants, les familles nombreuses, les handicapés, les orphelins. La catégorie des vneotcheredniki regroupait les gens qui avaient du mérite devant la Patrie et la population appelée les couches « socialement vulnérables ».
4Depuis la chute de l’URSS, ces catégories de listes d’attente de la population sont restées. Le nombre de bénéficiaires a diminué d’une année sur l’autre. Les prix immobiliers ont augmenté beaucoup plus vite que les revenus de la majeure partie de la population. L’urgence de la question s’est traduite dans la mise en œuvre du programme fédéral « Logement », et du sous-programme visant à augmenter l’accessibilité de la population au logement, considérée actuellement comme projet de « priorité nationale ». Ce programme s’adresse à tous les citoyens de la Fédération de Russie. Il prévoit le volume des travaux et les budgets alloués pour la période de 2006 à 2010, ainsi que les montants des aides pour les jeunes ménages prêts à contracter des emprunts hypothécaires et pour d’autres catégories de la population que j’évoquerai plus bas. Malheureusement, il est impossible de trouver des statistiques relatives à la mise en application des aides fédérales dans les régions bénéficiaires. Mais avant de parler des mesures décidées par l’État, j’aimerais attirer l’attention sur la notion même de logement social.
5On peut se demander si on peut appeler « logement social » le logement acheté à des prix réduits aux municipalités par la population inscrite sur les listes d’attente ou s’il s’agit d’un logement qui est uniquement loué à des prix abordables. La différence est très subtile, mais bien distincte juridiquement. Il convient alors de ne pas confondre le logement loué par le biais d’un bail social (sotsialnogo najma) et le logement social (sotsialnoe) donné en jouissance, vendu ou attribué à titre gratuit aux catégories de la population inscrites sur les listes d’attente. Tant que ce logement social ne devient pas la propriété de celui qui le loue (et a priori cette acquisition en propriété ne sera plus possible après 2012), on peut le considérer comme tel.
6À terme, une attribution de logement social va se concrétiser par la signature d’un bail, comme dans les pays occidentaux. Le terme de logement social prendra toute sa signification au sens des Occidentaux après 2005, lorsque les seuils des revenus en dessous desquels les citoyens peuvent prétendre au logement social seront instaurés. Cependant, les inscrits sur la liste d’attente d’un logement avant 2005 ne perdent pas leurs droits même si leurs revenus n’ont pas été pris en compte au moment de leur inscription sur les listes. De ce fait, on peut affirmer que le logement social est un logement attribué aux inscrits sur les listes d’attente, soit en bail social, soit en accession à la propriété avec des aides.
7Cette étape importante dans la mise en œuvre des réformes dans le secteur du logement, qui respecte la logique du rapprochement des normes russes et occidentales, a contribué à la diminution du nombre d’inscrits sur les listes d’attente d’un logement. Ainsi il existe depuis 2005 trois conditions principales à respecter pour pouvoir s’inscrire sur la liste d’attente d’un logement :
disposer de moins de 18 m² par personne pour un ménage de trois personnes ou plus ;
disposer de revenus en-dessous du salaire minimum ;
avoir un patrimoine qui ne dépasse pas le montant de 120000 roubles (ou environ 3000 €).
8Les deux derniers points ont été introduits en 2005. Ces critères vont sûrement diminuer le nombre d’inscrits sur les listes d’attente car le plafond des revenus au-dessous duquel on peut prétendre au logement social est trop bas. Beaucoup de Russes dont les revenus sont supérieurs au plafond, touchent des salaires qui, en réalité, ne permettent pas d’épargner suffisamment pour pouvoir acheter un logement, ni louer sur le marché. De plus, le salaire minimum russe reste largement inférieur au salaire minimum français et varie considérablement d’une région à l’autre, alors que les prix des logements ne cessent d’augmenter. Le salaire minimum (MROT) est fixé depuis 2009 à 4330 roubles (107 € environ) pour 2010, et il est actuellement en-dessous du minimum vital (équivalent approximatif du seuil de pauvreté) moyen pour le pays : 5518 roubles (ou 137 € environ)1.
9Cependant, chaque entité de la Fédération de Russie fixe ses propres chiffres pour le minimum vital et le salaire minimum. La ville de Moscou a un minimum vital de 8267 roubles au premier trimestre 2010, alors que le salaire minimum a été haussé à 9500 roubles au premier trimestre et à 10100 roubles au deuxième trimestre. À titre de comparaison, le salaire minimum de la région de Moscou est de 6700 roubles et celui de Saint-Pétersbourg est de 6600 roubles. Parmi les régions qui ont fixé des salaires minimum avoisinant 8000 roubles (ou 200 € environ) on compte : la région de Mourmansk (7903 roubles), la région de Sakhaline (8968 roubles), la région autonome des Khanti-Mansi (9150 roubles) et la région autonome Nenets (9536 roubles). En tout, 56 des 83 sujets de la Fédération de Russie ont établi le salaire minimum de 4330 roubles.
10Quant au salaire moyen, on arrive à quasiment la même proportion : on touche un salaire mensuel compris entre 10000 et 16900 roubles dans 57 sujets de la Fédération, dont 24 ont un salaire moyen entre 10000 et 12900 roubles. Ces chiffres sont toujours en dessous du salaire moyen pour le pays qui est de 19485 roubles. Seuls 7 sujets de la Fédération atteignent un niveau de salaire moyen compris entre 19000 et 20000 roubles. En ce qui concerne les 24 sujets les plus pauvres, beaucoup d’entre eux se trouvent dans la partie caucasienne et la région centrale du pays. Ces données statistiques illustrent la faiblesse des revenus dans la plupart des sujets de la Fédération. Dans cette situation on peut se demander comment il est possible d’accéder au logement sans aide de l’État.
11Selon l’Institut socio-politique indépendant, on comptait 30 % de ménages à revenu modeste (qui touchaient un salaire en dessous du minimum vital) vers la fin des années 1990 en moyenne. Certes, en 2006, ce chiffre a baissé en moyenne jusqu’à 15,3 % du total de la population. Pourtant, les écarts de revenus entre les régions sont très importants. 7 % de la population dans la région de Tioumen se situe en dessous du salaire minimum alors que celui-ci est élevé. Par contre, en Ingouchie, alors même que le salaire minimum est très bas, 57 % de la population disposent d’un salaire encore inférieur.2 Quelles sont les perspectives d’accession au logement pour ces populations ? Dans le meilleur des cas, elles risquent de se trouver sur les listes d’attente d’un logement social pendant plus de 20 ans. C’est la période nécessaire pour obtenir gratuitement un logement.
12Les données agrégées masquent en partie la pauvreté persistante de la population. Même si les revenus ont globalement retrouvé, en 2007, leur niveau de l’époque soviétique, seuls les 20 % des plus riches ont dépassé les indices de 1991 alors que les trois derniers déciles (30 %) des petits revenus, ont actuellement des revenus inférieurs à ceux de 1991.
13En résumant, on peut dire, que compte tenu des bas revenus de la population chez la plupart des sujets de la Fédération de Russie, la construction du logement social devrait s’accélérer. Ce sont les entités de la Fédération qui sont censées exercer leur propre politique en matière de construction de logements sociaux. Or, beaucoup d’entre elles ont du mal à trouver les financements nécessaires pour cela. Les entités peuvent obtenir une aide fédérale pour leurs projets d’aménagement de terrains, la reconstruction des logements existants et la construction de nouveaux logements. Par exemple, le programme du relogement des habitants des immeubles vétustes pour 2009 prévoit l’aide du centre fédéral à hauteur de 142 milliards de roubles. Cette aide n’est attribuée qu’en complément des projets locaux qui s’élèvent à 195,5 milliards de roubles.3
14Les régions bénéficiaires des aides sont sélectionnées par l’État. Toutefois, si la région n’est pas capable de financer sa part, l’aide fédérale ne parviendra pas aux ménages à qui elle est destinée, mais devra revenir au centre fédéral. De même, si le ménage n’est pas capable d’apporter les fonds nécessaires, il ne pourra pas bénéficier de l’aide non plus. Malheureusement, les statistiques sur les montants des aides sollicitées et délivrées réellement par les autorités régionales sont difficiles à trouver. On peut supposer que beaucoup de subventions accordées sont retournées au centre fédéral, car beaucoup de ménages ont été dans l’incapacité de payer leur part. Les règles de sélection, de ce fait, ont été durcies : selon l’article 15 du nouveau programme « Logement », si les subventions demandées n’ont pas été utilisées par un sujet bénéficiaire, il ne pourra plus participer à la sélection pour pouvoir obtenir des subventions pour l’année suivante.
15Le nouveau programme « Logement » 2011-2015 prévoit la construction de logements pour les catégories de la population mentionnées dans les lois fédérales, la catégorie « à part » appelée (otdelnaja kategorija) et les jeunes ménages. Le financement de la construction des logements destinés aux jeunes ménages est répartie de la façon suivante entre les autorités fédérales, locales et les jeunes ménages eux-mêmes : 291,15 milliards de roubles provenant du budget fédéral, 109,96 milliards de roubles en provenance des budgets locaux, 219,58 milliards de roubles d’investissements privés, dont 219,19 milliards de roubles seront payés par des jeunes ménages. Quant à la catégorie de la population « à part », elle comprend 26040 ménages : 12320 fonctionnaires d’État, 1960 ménages de jeunes chercheurs, 400 employés du Ministère des Situations d’extrême urgence, 9050 citoyens à reloger de la zone de BAM (Autoroute Baïkal-Amour) ainsi que 5650 habitants de Norilsk et Doudinka4.
16Grâce à cet investissement prévu dans le programme fédéral « Logement », l’État compte augmenter l’offre de 59,8 millions de m2 en 2009 à 90 millions de m2 en 2015, faisant passer la part du logement « economclass », autrement dit, à des prix abordables, à 60 %. Le nombre des ménages bénéficiaires de l’aide fédérale est de 290970 ménages en totalité. 86900 ménages font partie des catégories mentionnées dans la loi fédérale, 26040 ménages « à part » et 172000 jeunes ménages. Ce programme fédéral prévoit également le relogement des habitants des immeubles vétustes. Par exemple, le relogement de 480000 ménages est prévu pour 2011 et 2012.
17Il est difficile de ne pas considérer ce logement financé par l’État comme un logement social, car il s’agit de l’aide accordée aux habitants économiquement faibles ou pour l’acquisition d’un logement. Les critères basés sur le seuil des revenus pour définir le terme du logement social ne paraissent pas suffisants. Nous proposons donc d’appeler logement social tout logement dont l’acquisition a été financée entièrement ou partiellement par les autorités publiques, ainsi que le logement loué à des prix réduits par rapport à ceux du marché. Dans cette logique, le programme fédéral aide à financer la construction du logement.
18Nous allons voir maintenant le cas concret du financement de la construction du logement social à Moscou, mais avant cela, il faut préciser quelles sont les conditions nécessaires pour s’inscrire sur les listes d’attente du logement, ainsi que celles permettant de bénéficier de l’aide accordée aux jeunes ménages par la municipalité de la ville de Moscou.
La situation des inscrits sur la liste d’attente d’un logement à Moscou
19Il suffit de remplir l’une des conditions ci-dessous pour s’inscrire sur la liste d’attente d’un logement à Moscou :
le revenu pour chaque membre de la famille ne doit pas dépasser le salaire minimum ;
ne pas déjà être propriétaire d’un logement, ni locataire ;
être propriétaire, mais disposer de moins de 10m² par personne, ou 15m² dans un appartement communautaire ;
vivre dans un immeuble considéré comme « vétuste » ;
avoir a à sa charge un malade dans un état jugé « grave » ;
avoir vécu à Moscou 10 ans au moins.
20Le fait de correspondre aux critères mentionnés ci-dessus ne signifie aucunement que les candidats retenus recevront un logement assez vite. L’attente d’un logement peut atteindre 20 ans. Le nombre des otcheredniki était de 640000 personnes au début de 20025. Ceux d’entre eux qui ne voulaient pas attendre aussi longtemps, pouvaient demander aux municipalités de l’aide. Selon les propos de Valentina Logounova, vice-présidente du Département du logement social du Gouvernement de la ville de Moscou, Natalia Koreneva, directrice de l’Agence chargée des emprunts et des aides à la population, le montant de l’aide (soubsidija) varie entre 5 % et 90 % du prix du logement, au prorata du nombre d’années d’attente. Les personnes qui ont attendu plus de 15 ans peuvent prétendre à une aide d’un montant de 90 % du prix du logement. Pour ceux qui ont attendu plus de 20 ans, l’aide couvre 100 % du prix.
21Les bénéficiaires des aides ont la possibilité de choisir leur logement selon leurs besoins dans la ville où ils ont déposé leur demande d’aide, ou dans une autre ville de la Fédération de Russie. Ainsi, au début des années 2000, 70 % des candidats à l’acquisition d’un logement ayant déposé leur demande à Moscou ont effectivement acquis leur appartement dans cette ville. 30 % ont préféré s’installer dans la région de Moscou. Certes, le candidat à l’aide peut choisir dans le parc des logements anciens ou neufs, ou même parmi les appartements au stade de la construction (à condition que 70 % de travaux soient achevés), mais ce choix est néanmoins restreint, en partie parce que les montants des aides sont calculés sur la base des prix officiels du mètre carré. Ces prix, qui varient tous les ans en fonction de la conjoncture d’une région à l’autre, sont toujours moins élevés que ceux pratiqués sur le marché libre. Cela signifie que le montant de l’aide est finalement inférieur à la valeur du logement choisi sur ce marché.
22Un autre fait qui limite le choix d’un logement est sa superficie. Un logement construit récemment a, en règle générale, une surface standardisée. Actuellement, il est difficile de trouver un studio neuf à moins de 30 m2. Selon les normes fixées dans le Programme fédéral « Logement », la norme sociale est de 18 m2 par personne pour un ménage de 3 personnes et plus. En revanche, il faudra compter 33 m2 pour une personne vivant seule, et s’il s’agit d’un couple, 42 m2. Cela veut dire que le prix d’un logement construit récemment est déjà important, ne serait-ce qu’en raison de sa superficie, même s’il se trouve à la périphérie de la ville, où l’on construit des logements à des prix abordables.
23Même si la municipalité de la ville de Moscou, en tant que sujet de la Fédération de Russie, impose sa propre norme, qui est de 16 m2 par personne, cela ne peut pas avoir un impact important sur le choix d’un logement. En fait, le stock de logements anciens de surface limitée est très restreint, et ces logements situés dans le centre-ville se vendent en général très cher. Quant aux logements de petit gabarit situés à la périphérie de la ville, ils sont souvent vétustes et devront être prochainement démolis. Or, l’une des conditions à respecter requise par la municipalité de la ville de Moscou est d’éviter que les immeubles vétustes ou sujets à la démolition continuent d’être habités.
24Il reste un autre segment du logement à des prix abordables, celui qui est au stade de la construction. Ces logements sont moins chers que ceux dont la construction est entièrement achevée. Il est permis d’obtenir des aides pour l’acquisition d’un tel logement. La condition d’un achèvement majeur des travaux imposée par la municipalité est compréhensible, en raison des risques de suspension des travaux (faillites, défauts de construction etc.).
25Si un bénéficiaire de l’aide trouve toutefois un logement dont le prix est inférieur au montant de l’aide accordée, il peut acheter un logement plus vaste dans la limite de l’aide accordée, mais il ne peut toucher le montant de la différence. Les conditions posées par la municipalité pour l’obtention d’un logement ne se limitent pas aux prix des logements, ni à leur surface. Elles concernent aussi les délais de choix des candidats. Les recherches d’un logement ne doivent pas durer plus de trois mois. Au bout de ce délai, le candidat doit accepter le logement qui lui est proposé par les municipalités.
26On peut se poser la question de savoir combien d’inscrits sur les listes d’attente d’un logement ont pu obtenir des aides, et de quel montant. Malheureusement, les statistiques ne figurent nulle part, ce qui laisse supposer que peu de ménages ont finalement accepté cette opportunité. Les chiffres disponibles indiquent la dynamique de la construction des logements sociaux, mais non celle de l’accession à ces logements. Elles ne font pas apparaître les stratégies des candidats, ni leurs capacités financières. On peut supposer qu’une grande part des bénéficiaires potentiels de l’aide ne l’ont pas utilisée en raison du coût trop élevé qui serait resté à leur charge. Beaucoup de ménages préfèrent attendre 20 ans pour que le montant de l’aide couvre la totalité du prix du logement dont ils ont besoin.
27Cependant, les inscrits sur les listes d’attente ne sont pas la seule catégorie de ménages qui peuvent accéder à l’aide pour l’acquisition d’un logement. Comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, il existe trois catégories : celle mentionnée dans les lois fédérales, la catégorie « à part » et celle des jeunes ménages qui peuvent prétendre à une aide dans le cadre du programme fédéral « Logement ».
L’aide aux jeunes ménages accordée par la municipalité de la ville de Moscou
28La municipalité de la ville de Moscou s’est activement impliquée dans le programme fédéral « Logement » qui prévoit de financer partiellement l’aide accordée aux jeunes ménages. D’après les chiffres cités plus haut (voir la page 4), et selon nos calculs, l’aide fédérale se monte à 46,9 % dans l’ensemble de l’investissement prévu. La part des jeunes ménages est de 35,4 % et celle des pouvoirs locaux, de 17,7 %. On voit ici qu’une municipalité a un intérêt non négligeable à recourir à l’aide fédérale, car presque la moitié des dépenses prévues dans le cadre des projets de construction des logements est financée par l’État. Les jeunes ménages, quant à eux, peuvent, par exemple, couvrir grâce à l’aide fédérale la somme nécessaire pour l’apport en vue de contracter un emprunt hypothécaire. Le montant de ce dernier approche souvent 30 % du prix d’un logement choisi sur le marché. A priori, tout ménage qui remplit un certain nombre de critères peut bénéficier de cette aide. Il existe également d’autres formes d’aides, comme « l’hypothèque sociale », le bail social et un certain mécanisme d’épargne-logement qui permet d’accéder à l’hypothèque. On peut être étonné que les questions portant sur la propriété soient indissociables des questions touchant la location sociale des logements. Il n’est pas possible de dissocier ces questions, dans la mesure où elles sont liées dans les programmes publics eux-mêmes (voir le chapitre suivant).
29Peuvent ainsi prétendre aux aides fédérales et municipales, parmi les jeunes ménages mariés au moins depuis 1 an :
Les jeunes ménages inscrits sur les listes d’attente d’un logement avant le 1er mars 2005. Ils ont la possibilité de recourir à « l’hypothèque sociale », qui suppose d’acheter leur logement à la ville, au prix de construction d’un appartement, et à taux zéro.
Les jeunes employés fonctionnaires municipaux dont les ménages disposent de moins de 10m² par personne. Ils signent un bail social pour la durée de leur contrat de travail pour un logement municipal, sans toutefois pouvoir le racheter ultérieurement.
Les ménages d’étudiants, de chercheurs et de scientifiques, à la demande des établissements d’enseignement supérieur de la ville et de la région de Moscou. Ils peuvent louer un logement municipal et s’engagent à épargner (durant 5 années) la somme nécessaire pour accéder à l’hypothèque.
30Ces critères ont été récemment complétés par la décision de la municipalité de la ville de Moscou d’autoriser l’absence de l’enregistrement de résidence moscovite (la fameuse « propiska ») pour l’un des époux. Cet enregistrement était jusqu’alors obligatoire pour les deux époux. En fait, la municipalité de la ville de Moscou a gardé l’enregistrement de la résidence pour limiter l’expansion de la ville et mieux contrôler les flux migratoires. On peut penser que cet assouplissement des règles a été pris dans le but de stimuler la demande solvable et d’augmenter le nombre de participants au programme municipal « Logement accessible aux jeunes ménages », probablement parce que peu de ménages ont pu réellement profiter de ces aides. Or, si la demande augmente, il faut également augmenter l’offre.
31Ainsi, la municipalité de la ville Moscou prévoit la construction de 23 immeubles à usage locatif avant 2015. Cela va augmenter l’offre de logement et donnera la possibilité à des jeunes ménages de louer, à des prix abordables, les appartements dans les immeubles municipaux. Le loyer dans ces appartements sera constitué principalement par des charges, et le bail sera prolongé pour la durée demandée par le locataire. L’augmentation de l’offre de logement ne peut pas être envisagée en dehors des questions de financement auxquelles nous allons maintenant nous intéresser.
Le financement du logement social
32Malgré des aides provenant du centre fédéral qui sont censées contribuer activement à la construction des logements à des prix abordables, les autorités locales doivent de leur côté participer financièrement à la mise en œuvre des projets de construction des logements sociaux. Actuellement, on peut dire que la construction d’un logement social se poursuit seulement dans une dizaine de grandes villes de la Fédération, dont la ville de Moscou, parce qu’elles sont capables d’assumer leur part d’investissements, alors que les autres villes ont du mal à trouver les fonds nécessaires. La ville de Moscou est plutôt bien placée pour avoir le choix des promoteurs et « dicter les règles du jeu », en quelque sorte.
33La municipalité de la ville de Moscou cherche à obtenir auprès des promoteurs, gratuitement, ou à des prix intéressants, une part des logements construits par des promoteurs pour la vente classique. Cette part des logements sera proposée pour des inscrits sur les listes d’attente d’un logement social dans la proportion de 4 appartements pour la ville et 10 appartements pour la vente sur le marché libre. Le rapport entre les deux est de 1 à 2,5. On peut supposer que le promoteur devra vendre ces 10 appartements pour couvrir le coût de la construction des 4 appartements municipaux. Si l’on calcule en pourcentage, le promoteur cède à la ville environ 28 % du logement construit. Ces chiffres peuvent varier d’une ville à l’autre. Ce pourcentage est de l’ordre de 20 % à Sotchi par exemple.
34Cette proportion représente une sorte de compromis entre les volumes et les prix des logements sociaux et commerciaux. En fait, si l’on construit davantage des logements municipaux, c’est le logement commercial qui serait moins bien vendu. Si en effet on augmente les prix du logement commercial pour financer le logement municipal, c’est son accessibilité qui diminue. Autrement dit, si l’on augmente l’accessibilité du logement social, c’est celle du logement destiné pour la vente qui baisse, et vice versa6.
35Dans cette logique, on comprend bien pourquoi le nombre de logements que doivent obtenir les inscrits sur les listes d’attente d’un logement social, a été revu à la baisse après la crise de 2008. D’après nos estimations, cette baisse par rapport à la période d’avant la crise est de 15 %. Nous avons procédé à la comparaison de la surface des logements sociaux programmés pour la construction annuelle avant et après la crise. La différence est bien visible : 400 000 m2 par an avant 2008 et 338 333 m2 après la crise (si on juge d’après les données citées dans la presse : « On prévoit la construction de 2.030.000 m2 entre 2009 et 2015 dans la ville de Moscou »7).
36Nous ne savons malheureusement pas si cette baisse concerne la totalité des inscrits qui vont bénéficier des logements ou seulement une partie d’entre eux, à savoir les inscrits avant 2005. En fait, les chiffres cités ne concernent que les inscrits avant le 1er mars 2005 (à savoir 36900 ménages à l’état de 2008). S’il est question de la totalité des inscrits, la diminution du nombre de bénéficiaires des logements sociaux est effective pour les années à venir, en tout cas jusqu’en 2015. Nous estimons de ce fait, que le même sort sera subi par une autre catégorie de la population, encore plus nombreuse, celle des personnes vivant actuellement dans des immeubles vétustes et qui doivent être relogées.
37Le financement des immeubles pour le relogement des habitants s’effectue également grâce aux ventes de logements réalisés sur le marché immobilier dans la proportion de 1 sur 2,37. Bien que l’information soit intéressante et que le nombre de ménages à reloger soit important (plus 12000 par an), nous ne pouvons l’intégrer dans notre étude. Etant donné que la population ne profite pas directement de l’aide accordée par le centre fédéral à la municipalité de Moscou, il nous semble que ce type de logement ne peut pas être considéré comme logement social. En revanche, ce qui peut nous intéresser, ce sont effectivement les projets de construction des immeubles à des prix abordables où seront « insérés » des bénéficiaires d’un logement social locatif.
38Cette « insertion » traduit par ailleurs une notion de mixité sociale et elle est soumise à des règles bien définies en amont. Il est en effet important de respecter le prorata fixé entre les bénéficiaires du logement social locatif et le reste des habitants des logements à des prix abordables. Il faut néanmoins préciser qu’il ne s’agit pas de financer des parcs HLM, mais le logement « normal », destiné à l’ensemble de la population, sans considération de revenus a priori. Ce genre d’immeubles, qui est appelé autrement « economclass », peut ainsi accepter de 6 à 10 % de bénéficiaires des logements sociaux.8 Ce pourcentage fixé à la réunion du Conseil d’État du 19 janvier 2006, rejoint la dynamique de la construction des logements sociaux, qui est de 5 % actuellement.
39Si l’on veut doubler ce chiffre, il faut bien augmenter l’offre du logement de type « economclass ». Le gouvernement fédéral a prévu un certain nombre de mesures qui entrent dans le cadre des réformes de 2005. Premièrement, les municipalités devront élaborer les schémas directeurs pour les terrains qui appartenaient à l’État d’ici quelques années. Grâce à cela, l’offre de terrains va augmenter. Deuxièmement, les municipalités seront obligées d’accorder des terrains viabilisés aux promoteurs. Cela permettra de faire diminuer le prix de construction des logements. Troisièmement, l’État a prévu de lancer vingt-deux grands projets de construction massive dans dix-sept sujets de la Fédération d’ici 2025, d’après l’arrêté gouvernemental no 265 du 5 mai 2007. 60 millions m2 de logements sur 19000 hectares seraient ainsi construits vers l’an 2025. Ces mesures vont certainement contribuer à augmenter l’offre de logements sociaux au sein de l’offre de logements à des prix abordables jusqu’à 60 % de la totalité des logements construits dans le pays. Cependant, on peut se poser la question de l’avenir du logement social après la mise en application des réformes de 2005 : sera-t-il plus accessible ?
Quel est l’avenir du logement social ?
40Les réformes initiées en matière de logement en 2005 s’inscrivent bien dans la logique du « rien n’est gratuit » et elles limitent, comme on l’a vu plus haut, le nombre d’inscrits sur les listes d’attente. Les propos suivants expliquent, à notre avis, la politique actuelle des autorités publiques en matière de logement social. D’après Sergueï Tcharkine, « le fait que l’État attribue le logement, bien qu’il soit nécessaire au bon fonctionnement du système, a des conséquences négatives certaines, car il génère des effets négatifs comme la passivité des citoyens dans la solution de leur problème de logement ».9 Certes, le terme de « passivité » est peu clair et il peut être interprété de plusieurs façons, soit comme l’absence d’envie de résoudre les problèmes, soit comme une décision réfléchie de ne pas investir dans le logement, soit enfin comme un refus de le faire par découragement, alors que d’autres y arrivent sans efforts personnels (les « cas sociaux »). Nous n’allons pas approfondir davantage ce point, car nous n’étudions pas le bien-fondé des réformes lancées. Nous essayons juste d’imaginer l’évolution des logements sociaux en Russie d’ici quelques années. Il nous paraît indispensable de partir de 1990 pour pouvoir comparer les données statistiques afin de nous projeter dans l’avenir.
41Comme on peut l’apercevoir sur le tableau ci-dessus, la tendance générale pour la période entre 1990 et 2006 est la baisse significative du nombre de ménages ayant obtenu des logements sociaux : de 20 % des ménages en 1990 à 6 % en 2006. Et en plus de cela, la proportion même des inscrits ayant obtenu leur logement par rapport au nombre total d’inscrits a fortement diminué, de 14 % en 1990 à 4 % en 2006. Ce fait témoigne d’un ralentissement important dans l’attribution gratuite des logements, suivant le principe « rien n’est gratuit ».
42Ce principe prend de l’ampleur surtout à partir de 2005, dès l’introduction des critères restrictifs d’inscription sur les listes d’attente. En deux ans seulement, le pourcentage des inscrits sur ces listes a baissé de 10 % en 2004 à 6 % en 2006. On peut supposer que le chiffre se maintiendra aux environs de 5 % dans les années à venir. Le rythme de construction des logements sociaux suit la même évolution.
43Dans la perspective d’une augmentation de l’offre de logements à des prix abordables, on peut supposer une légère augmentation ou au moins le maintien du nombre d’inscrits sur les listes d’attente. En tout cas, le nombre d’anciens combattants inscrits sur les listes qui ont obtenu un logement a beaucoup augmenté depuis 2005. D’après les données du Ministère du Développement régional, le nombre d’anciens combattants et des membres de leurs familles inscrits sur les listes d’attente avant le 1er mars 2005 était de 22737 personnes à la date du 1er janvier 2010, parmi lesquelles seulement 9420 personnes ont été rayées des listes d’attente, alors qu’à la date du 1er janvier 2011 on compte déjà 175442 personnes, dont 120907 ont été rayées des listes.10 La catégorie « rayée des listes » mélange les personnes décédées, celles qui ont obtenu un logement et celles qui ont disparu du système pour diverses raisons (déménagement, dissolutions familiales). D’après ces chiffres on peut dire qu’en l’espace d’une année seulement le nombre d’anciens combattants inscrits sur les listes d’attente a été multiplié par cinq.
44Cette décision politique d’améliorer les conditions de vie des anciens combattants devra s’accompagner d’autres mesures pour qu’un plus grand nombre d’inscrits sur les listes puissent en bénéficier dans des délais plus courts. L’une de ces mesures, entre autres, est l’instauration d’un contrôle des abus, voire la lutte contre la corruption, dans l’attribution des logements sociaux, dont les exemples sont assez nombreux dans la presse. Il s’avère parfois que des logements sociaux soient attribués à des personnes qui n’en ont pas besoin ou qui sont arrivées d’autres villes. Par exemple, plusieurs appartements sociaux ont été accordés par la mairie de la ville de Sotchi à des Moscovites. Ce contrôle est nécessaire pour que les logements soient attribués à de véritables ayants droit. Cependant, en même temps que l’augmentation de l’offre de logements, l’État prévoit la réduction des aides destinées à leur acquisition dans les années à venir.
45Ainsi, selon les estimations de l’Institut d’Économie urbaine, actuellement 46 % à 51 % des citoyens acquièrent des logements grâce aux subventions, aux aides à la copropriété, ou bien louent leur logement à des prix réduits. Une loi récente dispose que ce chiffre devra baisser jusqu’à 30 % à l’horizon de 2025. Autrement dit, la réduction des aides destinées à l’achat ou à la location de logement sera de 16 % à 21 %. L’objectif est de faire passer la catégorie de ceux qui achètent un logement à l’aide des crédits hypothécaires, ou qui louent un logement sans aucune aide de l’État de 19 % à 60 % en 2025.11 Si 80 % de la population touchent des aides actuellement sous telle ou telle forme, ce chiffre devra baisser de moitié vers 2025. Cette baisse considérable de l’aide peut trouver un sens si les revenus de la population augmentent suffisamment pour la compenser. Sinon, il faut espérer que les chiffres avancés ne seront pas atteints dans les délais envisagés : « … Durant les 15 dernières années aucun programme n’a jamais été accompli pleinement »12.
46En conclusion, le passage du régime soviétique où les dépenses et les revenus de la population, ainsi que les proportions entre différents postes de dépenses dans le budget des ménages, étaient estimées par l’État, au système actuel est douloureux pour la plupart de la population. Loin d’être rentable, l’ancien système présentait quand même un équilibre raisonnable entre les revenus et les dépenses de la population. Les réformes engagées par le gouvernement en matière de logement visent à rééquilibrer le système compte tenu des normes occidentales, y compris celles très élevées qui touchent le logement. L’année 2005 est devenue un point crucial : la prise en compte du seuil de revenus minimum est désormais indispensable pour s’inscrire sur les listes d’attente de logement social. D’autres mesures sont prévues par l’État jusqu’en 2025 dans le même but : faire baisser le montant des aides accordées à la population pour l’acquisition ou la location des logements sociaux.
Notes de bas de page
1 1 €= 42 RUB environ
2 Site de l’Institut socio-politique indépendant : www.soc-pol.ru, consulté le 6 décembre 2010.
3 Site du constructeur de logements sociaux en Russie : www.belhouse.net/ru/socialhousing/, consulté le 11 janvier 2011.
4 Arrêté gouvernemental no 1050 du 17 décembre 2010 relatif au Programme fédéral Logement 2011-2015.
5 Stanislav Pridvijkin, Federal’nye, regional’nye i municypal’nye programmy Rossijskoj Federacii, [Les programmes fédéraux, régionaux et municipaux dans la Fédération de Russie], Ekaterinbourg, 2006, p. 17.
6 Sergueï Khatchatrian, Metody izmereniâ i modelirovaniâ processov rasšireniâ social’noj dostupnosti ulučšeniâ žiliŝnyh uslovij naseleniâ, [Méthodes d’évaluation de l’élargissement de l’accessibilité sociale au logement], Moscou, 2006.
7 Le journal Rossijskaja gazeta, no 4787, 6 novembre 2008.
8 Site de l’Agence nationale analytique : www.nasledie.ru, consulté le 31 janvier 2007.
9 Sergueï Tcharkine, Dinamika otnošenij po social’nomu najmu žilogo pomeŝeniâ, [La dynamique des relations engendrées par le bail social], Volgograd, 2006, p. 130.
10 Site du Ministère du développement des régions : www.minregion.ru/veteran, consulté le 23 janvier 2011.
11 Rapport de l’Institut d’Économie urbaine, La stratégie à long terme de la politique en matière de logement, 2010.
12 Le journal Stroitel’naja gazeta no 33/2007, 23 août 2007.
Auteur
Doctorante en civilisation russe à l’Université de Lille 3
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