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Les nouveaux comportements de consommation en Russie

p. 151-171


Texte intégral

Un modèle de consommation en pleine mutation depuis 25 ans

1La structure sociale de la société russe a subi des changements avec la perestroïka et plus tard, la dissolution de l’ex-URSS. Les bouleversements macroéconomiques ont influencé le niveau de vie de la population de plusieurs manières. La récession économique a eu pour conséquence une chute du niveau d’activité et du niveau de rémunération. Cette crise a abouti à une réduction des transferts et des programmes sociaux de l’État dans les domaines de l’instruction et de la santé publique. La libéralisation des prix à la consommation, quant à elle, a amputé le pouvoir d’achat. Le modèle de consommation qui existait en Russie au milieu des années 1990 était radicalement différent du modèle occidental de consommation de masse. La Russie était caractérisée par une absence de la consommation moyenne. Trois modes de consommation se sont constitués dans la société russe : la pauvreté, la survie et l’aisance.

2L’évolution de la situation socioéconomique en Russie dans les années 1990 a eu pour conséquence l’apparition d’un groupe assez large de population ayant un accès réduit aux sources de revenu. Cela a conduit à l’appauvrissement de certaines couches de la population1.

3Durant les années 1997-2001, les prix ont augmenté. De ce fait, le salaire réel moyen de 2001 ne représentait plus que 40 % de celui de 1991, et 57.8 % en 2004. La retraite réelle moyenne ne constituait plus que 52 % de celle de 1991. La baisse des revenus a accentué les inégalités2.

4En Russie, deux types d’inégalités coexistent : d’une part entre diverses classes d’âge et d’autre part à l’intérieur de chaque classe, entre les personnes de la même génération. Deux cas attirent notre attention. Tout d’abord les jeunes de moins de 30 ans. Certains jeunes, en début de carrière, trouvent difficilement un emploi. Pour d’autres, en revanche, la situation est toute différente – ils ont un bon salaire, travaillent dans des banques, des structures commerciales ou d’autres secteurs porteurs et donc, profitent des opportunités liées aux réformes économiques. Il y a ensuite le cas des personnes âgées. C’est une des catégories de la population parmi les moins avantagées, l’inégalité les frappe de plein fouet (par rapport aux autres catégories d’âge). Mais à l’intérieur de cette couche de la population, les retraites sont faiblement différenciées, elles sont de toute façon peu élevées.

5En cette période d’appauvrissement général, il est naturel de s’interroger sur le sort de l’ancienne nomenklatura soviétique. Nombre d’anciens privilégiés ont profité de la situation politique pour se procurer des avantages tirés de la nouvelle économie. Le développement des coopératives à partir de 1987 avait déjà permis à certains privilégiés d’accumuler des richesses assez importantes. Les privatisations et l’explosion des initiatives privées, particulièrement dans le commerce et les services, ont amené à la multiplication des trafics et à la constitution de fortunes illégales importantes.

6L’analyse des inégalités et de la structure sociale de la Russie nous donne l’image d’une société éclatée. En effet, dans cette société à deux vitesses on voit se développer la diversité des situations. Les stratégies de survie et d’adaptation de la population se mettent en place pendant la transition vers l’économie de marché.

7Ces bouleversements ont également entraîné l’émergence d’une nouvelle classe moyenne qui a su profiter de la nouvelle conjoncture économique3. La classe moyenne est à la base de la stabilité de toute société capitaliste. Plus cette classe est nombreuse, mieux le pays est protégé contre d’éventuels troubles politiques et sociaux.

8Elle assure une forme de cohésion sociale et décloisonne la société en garantissant la possibilité de mobilité entre groupes sociaux. La classe moyenne représente également un moteur de la croissance et se manifeste comme acteur majeur de la production de richesses et aussi en tant que consommateurs et épargnants. Du point de vue politique, les représentants de la classe moyenne forment un maillon démocratique, offrant un appui social à l’émergence de compromis et d’opinions modérées.

9Seulement, dans le contexte russe, cette population est encore émergente, l’auto-évaluation des russes « moyens » n’en est qu’à ses balbutiements. Ils ne se sentent pas en mesure d’influencer l’avenir politique du pays et évaluent leur période de stabilité personnelle entre 2 et 6 mois4. Les Russes ont du mal à identifier les critères d’appartenance à cette classe et à comprendre s’ils appartiennent ou non à cette catégorie. Une caractéristique est certaine : cette population a contribué au boom de la consommation qui faisait accroitre le PIB russe à des rythmes vertigineux. Elle devient visible à partir de 2000 et représente à peu près 20 % de la population5. Ces représentants de la classe moyenne sont des personnes qui ont réussi à atteindre une certaine position dans la société, grâce à des efforts personnels et à l’acquisition d’une expérience professionnelle.

10Dans ce contexte particulier, la classe moyenne devient un moyen de structurer le marché et de le stabiliser. Néanmoins, la crise de 2008 risquait de détruire cette classe encore fragile. Manifestement, c’est cette couche de la population qui s’est retrouvée fortement exposée aux conséquences de la récente crise financière.

11Depuis 25 ans, l’évolution des comportements des consommateurs russes a créé une nouvelle dynamique de l’offre et de la demande. Le consommateur est à ce titre typique. Diverses variables permettent d’affirmer qu’il existe un type de consommation russe. Au moment où ce modèle de consommation se construit et s’affirme, la crise de 2008 freine cette maturation. Cette crise aura-t-elle un impact conjoncturel sur ce modèle qui poursuivra néanmoins son développement après la crise, ou transformera-t-elle un modèle irrémédiablement différent de celui d’avant la crise ?

L’évolution des comportements des consommateurs : une nouvelle dynamique de l’offre et de la demande

12Outre les bouleversements d’ordre social, la transformation des structures commerciales, le développement de la grande distribution et la création du marché fonctionnel amènent à l’occidentalisation des habitudes d’achat. Les individus ont désormais davantage de possibilités de s’exprimer à travers la consommation6. Dans ce nouvel environnement la publicité, les outils marketing, l’adaptation de l’offre à la demande, les nouveaux services bancaires, l’apparition du crédit à la consommation sont d’une très grande importance.

13Avec le développement de nouveaux formats commerciaux, de nouveaux concepts se mettent en place à l’intérieur des magasins et contribuent à l’occidentalisation des habitudes de consommation en Russie. À ce sujet, il est très intéressant d’aborder le concept de « fun shopping » qui existe en Russie depuis 2000. Ce concept importé par les développeurs et distributeurs occidentaux, associe l’activité d’achat à celle de loisirs. Les formats développés prévoient non seulement le traditionnel hypermarché avec sa galerie marchande, mais également des structures de loisirs tels que cinémas, bowlings, aires de jeux pour les enfants, et des points de restauration. Les opérateurs veulent ainsi créer une ambiance favorisant les « flâneries » familiales. Le centre commercial est considéré comme un endroit où l’on peut faire des achats, se distraire et éventuellement rencontrer des amis.

14Le centre commercial MEGA est un exemple très représentatif du concept de « fun shopping ». C’est le premier centre commercial de ce type en Russie, il a ouvert ses portes au public en décembre 2002. Il est situé dans la banlieue sud de Moscou, sur le même site que le deuxième magasin ouvert par l’enseigne suédoise Ikea et le deuxième magasin Auchan. La galerie MEGA relie les deux magasins et l’on peut se déplacer de l’un à l’autre sans jamais sortir à l’extérieur. Les consommateurs moscovites en ont rapidement fait un lieu de promenade, notamment le week-end. En dehors des boutiques, les clients apprécient le centre de loisirs composé d’une patinoire, d’un café, de restaurants, et d’un espace de jeu pour les enfants. Le deuxième centre commercial MEGA II a ouvert ses portes en décembre 2004, soit deux ans après le premier. Il avoisine les 230 000 m2 et propose également un centre de loisirs et des salles de cinéma.

15La dynamique de ce marché est un mystère même pour les Russes qui ont vu la rapidité avec laquelle les déboires économiques de la fin du siècle précédent ont été remplacés par l’abondance des années 2000.

16Aujourd’hui, les habitudes des consommateurs russes sont particulières, elles répondent à des critères spécifiques, à un profil russe déterminé par des variables diverses. Nous allons aborder trois variables caractérisant la consommation : géographique, démographique et socioculturelle.

1.1. Les variables géographiques

17Les variables géographiques sont intéressantes pour plusieurs raisons. Elles permettent de déterminer une partie des besoins des consommateurs en raison de certaines particularités propres à chaque région. Les particularités de la consommation en Russie sont déterminées par les facteurs géographiques suivants : un territoire immense, un climat rude sur une grande partie du pays, une instabilité des processus climatiques. Ces facteurs sont de plusieurs ordres : un marché intérieur immense et éclaté, des frais de transport élevés, une densité de population assez faible, une grande diversité des styles de consommation, des dépenses d’énergie assez élevées, une nécessité d’avoir des parcelles de terrain pour l’autoproduction alimentaire. Pour la majorité des familles rurales, le lopin est également une source complémentaire de revenus. Les propriétaires développent une production animale ou végétale, dont la vente est possible. Les paysans les plus dynamiques agrandissent leur lopin de terre en louant ou en rachetant des parcelles de voisins pour se spécialiser dans des productions rentables. Dans ce cas les lopins deviennent de véritables fermes privées mais leurs propriétaires préservent le statut de lopin pour bénéficier de la singularité de la loi qui les régit et qui les dispense de tout impôt sur les bénéfices contrairement aux « fermes privées » officielles7.

18Il existe également une forte demande de la population urbaine pour acquérir une résidence secondaire avec une parcelle de terrain à l’extérieur des villes. Pour la plupart, il ne s’agit que d’un verger-potager qui peut être accompagné de quelques volailles destinées à l’auto consommation familiale. La production n’est pas vendue mais dans la période de crise après 1990 ces lopins ont permis à une grande partie de la population de survivre faute de revenu régulier.

19Comme nous le montre le tableau ci-dessous, la Russie est caractérisée tout d’abord par un fort taux d’urbanisation.

Fig. 1. L’urbanisation de la population russe (2000-2015) en million de personnes

Type de population

2000

2005

2010

2015

Population urbaine

112.808

112.378

111.729

111.206

Population rurale

32.751

29.335

26.721

24.041

Total

145.559

141.713

138.450

135.248

Source : National Statistical offices/UN/Euromonitor International

20L’urbanisation de la population russe a atteint 77.5 % en 2000 et d’après les prévisions, augmentera jusqu’à 82.2 % vers 20158.

21Les principales migrations s’effectuent vers la capitale et les grandes villes. Le marché de Moscou représente 25 % de l’ensemble du marché de la consommation russe. La capitale est suivie par Saint-Pétersbourg, puis par les régions de Krasnodar, de Sverdlovsk, de Rostov, d’Irkoutsk, de Krasnojarsk, de Nijnij Novgorod9.

22Les restrictions pour déménager à l’intérieur du pays ne sont plus appliquées depuis très longtemps, mais les forces de police et d’administration essaient de limiter la migration des villes de province et des républiques de l’ex-URSS vers les deux grands pôles économiques : Moscou et Saint-Pétersbourg. Actuellement Moscou est surpeuplée et compte de nombreux immigrants illégaux. La plupart de ces immigrants viennent des républiques d’Asie Centrale et travaillent sur les marchés illégaux.

23On constate actuellement en Russie un autre phénomène : 8 % des 155 000 villages russes ne sont pas habités du tout. Malgré les déclarations des sources officielles qui affirment que les maisons sont habitées, elles restent vides. La part des villages avec une population égale à 10 habitants représente 22 % de la totalité des villages russes10. Cela concerne plutôt la partie nord du pays où ce phénomène des maisons fantômes est plus fréquent.

24Toutes les villes et les campagnes n’ont pas le même accès aux différentes enseignes de distribution, ni aux différentes offres de produits. Manifestement, les opérations marketing, publicitaires, et les enseignes commerciales sont beaucoup plus développées dans les villes que dans les campagnes. Par contre, l’auto-approvisionnement est beaucoup plus fréquent dans les campagnes que dans les villes. Les ruraux, pour la plupart d’entre eux, cultivent eux-mêmes leurs fruits et légumes.

25Aujourd’hui, de forts écarts de revenus et de niveau de vie persistent entre la population urbaine et la population rurale. En termes de comparaison, le salaire moyen est de 740 € à Moscou tandis que celui de la région est de 350 €11. Le niveau des ressources disponibles à la campagne demeure inférieur au niveau moyen dans le pays. La structure de leur composition est également différente : les ressources des ménages urbains sont constituées principalement de revenus monétaires, dans une proportion de 91-92 %, alors que cette part n’est que de 72-79 % pour les ménages ruraux12.

1.2. Les variables démographiques

Les impacts du volume et de l’âge de la population

26La population de la Russie s’élevait à 145,6 millions en 2000 tandis qu’elle ne représente plus que 141,9 millions en 2010. La population russe a donc baissé tout au long des années 1990 et 2000 avant de se stabiliser au début des années 2010. Le tableau ci-dessous nous permet d’estimer la situation actuelle ainsi que de confirmer les problèmes démographiques de la société russe.

Fig. 2. La situation démographique de la Russie entre 2002 et 2010 en millions de personnes

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Source : www.gks.ru, le site officiel de statistiques de la Fédération de Russie

27Malgré une légère amélioration depuis quelques années, le taux de natalité reste assez faible (12,6 pour 1000 habitants en 2010)13 pour compenser un taux de mortalité élevé (14,2 pour 1000 habitants en 2010)14.

28L’espérance de vie est assez courte (62,8 pour les hommes et 74,9 ans pour les femmes en 2009)15. Cela nous permet de constater que les consommateurs potentiels sur le marché russe sont les adultes en âge de travailler. Selon les critères d’âge on peut donc affirmer que le marché d’adultes actifs est le plus prometteur.

29Le marché des seniors est un phénomène occidental qui ne peut pas exister dans les conditions économiques actuelles de la Russie. En effet, l’âge de la retraite est précoce en Russie : 55 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes. Malgré une certaine amélioration, le niveau de rémunération des retraites reste faible. En 2011 la retraite mensuelle moyenne est de 210 €, (en 2009 de 116 €, en 2005 de 70 € et en 2004 de 49 €) tandis que le seuil de pauvreté s’élève à 137 € en 2011 (128 € en 2009, 65 € en 2005 et 61 € en 2004)16.

Les variables selon le sexe

30Actuellement, les comportements masculins et féminins ne sont pas aussi différents que par le passé en raison d’une participation de plus en plus importante des femmes dans la vie active. Les évolutions importantes dans le paysage de la consommation comme l’ouverture tardive des grandes surfaces, le service de livraison et l’offre des produits – plats cuisinés, lave-vaisselle, etc. – sont dues au fait que les femmes sont de plus en plus nombreuses à travailler et consacrent moins de temps aux tâches ménagères. Malgré ce fait, le sexe du consommateur reste une variable de segmentation dans plusieurs domaines.

31En 2000, la population masculine s’élevait à 68.2 millions d’individus, ce qui représentait 46.9 % de la totalité de la population. D’après les prévisions, ce chiffre atteindra 45.9 % en 201517. Les raisons principales de la mortalité précoce des hommes sont les suicides, les empoisonnements, les accidents de la route, l’alcool et le tabagisme. Il faut cependant savoir que les revenus des hommes sont plus importants que ceux des femmes.

32La population des femmes en 2000 s’élevait à 77.4 millions de femmes, ce qui représentait 53,1 % de la population russe. Ce chiffre représentera 54,1 % de la population totale en 201518. L’espérance de vie des femmes est de 74.9 ans.

33Traditionnellement, la consommation féminine s’exprime dans les achats de produits cosmétiques, de vêtements et d’alimentation. Avec le changement des mentalités et des conditions économiques en Russie, les femmes actives avec des revenus assez élevés prennent souvent les décisions d’achats de biens durables. Après le passage à l’économie de marché, dans la tranche d’âge 40-49, on rencontre un certain nombre de femmes qui gèrent leurs propres sociétés et peuvent se permettre l’achat de voitures et de biens immobiliers.

34Une particularité propre à la consommation féminine en Russie est la fréquence d’achat de produits liés à l’apparence physique. Même avec des revenus modestes, un grand poste de dépenses est consacré aux produits de beauté, cosmétiques et vêtements. Voici quelques témoignages qui nous confirment cette particularité de la consommation féminine. Nicolas Mégrelis, directeur général de la chaîne Dlia Duša i Duši, spécialiste des produits du bien-être corporel témoigne : « Les femmes sont des gravures de mode ! Une femme qui gagne 300 dollars peut en dépenser 40 pour la nourriture et se priver de tout pour acheter un rouge à lèvres à 22 dollars ou pour s’offrir un pantalon de marque… Les habits, les soins du corps et du visage sont une priorité pour elles. Et ce, à n’importe quel prix ! »19. Un autre témoignage de Valeria, étudiante moscovite nous confirme : « Je consacre en moyenne 177 euros par mois en vêtements et maquillage, et je me prive pour trouver cette somme »20. À travers cette tendance, on peut constater l’envie d’individualiser son image, de se distinguer de la masse. Par ailleurs, il se peut que ce soit une sorte de mécanisme compensatoire qui se met en route après des années de pénurie et d’énormes déficits pour les produits de beauté et vêtements de bonne qualité. L’offre actuelle est, en effet, très vaste et adaptée pour tous les segments du marché.

35Ces deux témoignages nous permettent d’expliquer une très grande présence des opérateurs russes et étrangers spécialisés dans les produits de beauté et vêtements sur tout le territoire de la Russie. L’importance du paraître nous démontre donc que certains marchés sont plus développés qu’en Occident. D’après les statistiques du secteur de biens de consommation de la mission économique française à Moscou, les femmes dépensent 15 % de leurs revenus en produits de beauté. Elles peuvent consommer certains articles en plus grande quantité que les Françaises. Pour un bâton de rouge à lèvres vendu en France, six le sont en Russie21.

1.3. Les variables socioculturelles

36On ne peut pas exclure l’impact socioculturel sur le comportement des consommateurs russes. L’héritage socioculturel se répercute sur les valeurs en sachant que l’individu peut changer leur hiérarchisation en fonction des changements socioéconomiques et de la perception de son environnement. Ce qui est le cas en Russie actuellement.

37Il existe deux catégories de valeurs : les valeurs sociales et les valeurs individuelles. Rappelons la définition des valeurs sociales proposée par Mucchielli : « Une valeur sociale est une sorte de principe général (loi ou règle) qui peut être considéré comme générant (sous-tendant) la conduite reconnue comme idéale et estimable par un groupe... Ce principe est mis en place par de nombreux processus de groupe liés en particulier à l’histoire du groupe »22.

38À la différence des valeurs sociales, les valeurs individuelles sont des caractéristiques propres à un individu et non pas à un groupe. « Une valeur personnelle est une conviction stable chez l’individu qu’un mode de conduite particulier ou un objectif poursuivi dans l’existence est préférable à titre personnel... »23 (Rokeach). Dans le cas de la Russie, le schéma est quelque peu complexe, en ce sens que l’on distingue des valeurs sociales et individuelles « anciennes » et « nouvelles ». Les « nouvelles » valeurs individualistes ont fait leur apparition en mettant en arrière-plan les valeurs « collectivistes ». Ainsi certaines « anciennes » et « nouvelles » valeurs cohabitent ensemble mais pas dans le même ordre d’importance.

Les valeurs anciennes

39Certaines « anciennes » valeurs sont inchangées. Par exemple, la famille reste parmi les valeurs suprêmes. Parmi les « anciennes valeurs » nous trouvons les exigences égalitaires ou celles relatives au savoir, à la culture, largement répandues autrefois par l’intelligentsia.

40D’autres « anciennes » valeurs, liées à l’idéologie soviétique et à l’image de l’État – Parti tout puissant, ont subi elles aussi des changements radicaux.

41Le culte de l’État a des racines très anciennes. L’État est vu comme une institution centrale de la société russe qui a impulsé toute les vagues de modernisation du pays. Cette exaltation traditionnelle de l’État a donné naissance à un courant idéologique spécifique connu sous le nom de « derjavnitchestvo », ce qui se traduit approximativement comme « puissancisme »24. Ce courant met en avant la nécessité pour tous de se rassembler autour d’un État puissant. Il y a une spécificité de la culture politique de la Russie impériale à l’URSS qui s’exprime dans l’image idéale de l’État fort. L’existence de cette spécificité s’est formée sous l’influence de la tradition orthodoxe russe, par sa morale du sacrifice individuel et la vision du rôle messianique du pays. Dans les années 1920-1930 le modèle volontariste a mobilisé les soviétiques autour d’une idée nationale grandiose définie par le Parti. Le citoyen soviétique, marqué par l’idéologie, se présente comme un être héroïque, toujours prêt à tout endurer et à se sacrifier pour atteindre de grands objectifs collectifs. Et ceci sur tous les plans, qu’il s’agisse des sacrifices pendant les pénuries en attendant l’abondance, de l’industrialisation forcée, de la conquête de l’espace ou de la construction d’une voie ferrée Baïkal – Amour à travers les montagnes de Sibérie orientale. Les Soviétiques s’identifiaient à la grande puissance appelée à jouer un rôle messianique – faire triompher le socialisme sur terre25.

42Une fois l’influence de l’idéologie terminée, ces représentations changent. La morale du sacrifice disparaît. L’homme soviétique s’est transformé en Russe parfois même « petit bourgeois », en consommateur, dont les besoins évoluent rapidement et qui ne veut plus attendre d’avoir accès aux biens et aux services. D’après le dernier sondage mené par l’institut de sociologie de Levada en mars 2008, presque deux tiers des Russes avouent ne pas être prêts à sacrifier leur bien-être personnel pour le pays. Le Russe est présenté comme un personnage qui accorde une priorité absolue au bien-être de sa famille et qui préserve sa vie privée.

Les nouvelles valeurs

43Les « nouvelles » valeurs prennent leurs sources dans l’apparition du marché économique au sens général et aussi dans la montée de l’individualisme. À titre d’exemple, nous pouvons citer la volonté d’une réussite personnelle et l’envie désormais d’avoir un travail rémunérateur. La coupure entre les valeurs anciennes et les nouvelles valeurs est souvent générationnelle et liée au parcours personnel.

44Dans le cadre du même sondage, mentionné précédemment, la question portant sur la priorité des valeurs a donné des résultats, qui reflètent clairement un changement de mentalité. En effet, 49 % des sondés donnent la priorité à l’aisance et à l’argent, 38 % à l’égalité et la justice sociale. Pour 31 % le respect et l’amour de l’entourage sont les valeurs les plus importantes et seulement 13 % ont estimé la protection et le service à l’État comme la plus grande valeur, 15 % n’ont pas répondu.

45La « perte » des anciennes valeurs et la recherche précipitée des nouvelles caractérisent la situation socioculturelle de la Russie actuelle. Ce fait actualise le problème de la stabilité des systèmes de valeurs de la société, stabilité qui assurerait une pérennité de la société. L’idéologie de la perestroïka entretenait l’illusion que la modernisation, donc l’orientation vers l’Occident, s’intégrerait rapidement et changerait le système des valeurs « collectivistes » et du partage encore plus vite que les changements économiques, et sans tenir compte des particularités culturelles et traditionnelles russes. Aujourd’hui les sociologues constatent qu’après avoir découvert le mode de vie de l’Occident, les Russes persistent à défendre une « voie particulière », affirmant que « nous ne sommes pas comme eux, nous sommes différents », soulignant toutefois la disparition de l’ancien sentiment d’être en conflit avec les Occidentaux.

46Néanmoins, cette structure des valeurs en cours de changement se répercute sur les comportements d’achat des Russes. Des produits en connexion avec des valeurs sociales, telles que le sens d’appartenance ou la sécurité représentent une forte demande en Russie. Ce sont par exemple l’équipement de la maison et l’ameublement. On constate également que des produits permettant l’épanouissement personnel commencent à se développer en Russie avec plus d’ampleur qu’il y a 30 ans. De tels produits peuvent concerner par exemple les services culturels, l’habillement ou l’équipement électronique.

47Comprendre le comportement du consommateur russe à l’égard d’un produit particulier nécessite de différencier un produit en terme de signification sociale. Pour un Russe l’implication psychologique qui intervient dans le choix et l’achat d’un produit sera peut-être moins déterminée par le prix, que par la signification sociale de ce produit.

48Cela se manifeste dans une situation de forte implication, notamment lorsque les produits sont utilisés en guise de symboles sociaux – pour refléter le statut social, maintenir les relations sociales, exprimer la gratitude, être la contrepartie d’une faveur, signaler l’approbation ou la désapprobation. Le choix d’un produit est souvent basé sur sa capacité à exprimer précisément le sens social que l’acheteur entend véhiculer. Ainsi, le prestige, la marque, l’emballage deviennent les critères dominants d’achat.

Des nouvelles opportunités pour les distributeurs

49Au même titre que le consommateur répond à des critères variés et spécifiques, la diversité des formats commerciaux et le développement de la grande distribution permettent de constater qu’actuellement sur le marché russe il existe une offre adaptée à tous les revenus.

50La création d’un marché fonctionnel en Russie a entraîné l’évolution du comportement des consommateurs. Ces derniers présentent des similarités avec les comportements des consommateurs occidentaux. On note un refus manifeste du style « soviétique ».

51Toutes les marques connues par un consommateur occidental sont connues par les Russes. La question du choix se pose et évolue. Au début de la création du marché fonctionnel, le choix se faisait assez facilement : les consommateurs faisaient la différence entre la qualité russe et étrangère. La qualité étrangère était vue comme étant supérieure à la qualité russe. Ensuite, les consommateurs faisaient la différence entre la qualité européenne, turque ou chinoise. La qualité européenne constituait le premier choix, la turque ou la chinoise le deuxième. Aujourd’hui les consommateurs sont plus avertis, ils font la différence entre plusieurs marques et font leur choix en fonction de leur propre expérience.

52De même, de nouvelles stratégies de sélection des biens durables se mettent en place, comme l’épargne26, le recours au crédit à la consommation ou encore, des stratégies de sélection appropriées.27 Tout cela constitue une grande différence avec le style de vie soviétique28.

53Le logement devient, en effet, un poste de dépense très important. Des meubles au linge de maison, en passant par les biens électroménagers, les consommateurs n’hésitent plus à investir dans l’équipement de leurs maisons. La société de consommation russe devient une aubaine pour les marques et les distributeurs qui proposent de larges gammes.

54La présence des opérateurs étrangers influence également le changement des comportements des consommateurs et contribue à l’évolution du marché russe. Ils apportent leur savoir-faire aux managers russes. Les aspects comportementaux des consommateurs sont étudiés à l’intérieur des segments, mais aussi des strates sociales. Les études sur la fidélité aux marques et les facteurs qui influencent le choix et les attitudes des consommateurs sont mis en place. Les diverses variations des attentes des consommateurs russes ont permis la mise en place de véritables outils marketing permettant de mesurer et d’analyser les changements et l’évolution des comportements.

55C’est dans ce contexte de changement que la classe moyenne, dotée d’un budget de consommation assez important, attire de plus en plus d’investisseurs étrangers sur le marché russe. C’est ainsi qu’entre 2002-2008, le boom de la consommation de la classe moyenne est devenu le nouveau point de mire de nombre des multinationales américaines, européennes et asiatiques.

56Les entreprises sont attirées par la vitalité des consommateurs russes non seulement à Moscou, mais aussi, dans une proportion croissante, ailleurs en Russie, notamment dans les grandes villes. Le revenu en dollars par habitant a augmenté de près de 29 % par an sur la même période, soit une cadence encore plus rapide qu’en Chine29. Ce boom économique permet de nouvelles opportunités pour les distributeurs.

57La conjoncture des éléments favorables à la consommation est bonne, mais c’est surtout un état d’esprit qui explique cette frénésie d’achat des consommateurs russes. Ils sont « prédisposés » à profiter de la vie et à se faire plaisir. On remarque la tendance à bénéficier de l’instant présent, probablement marquée par une espérance de vie assez courte et par les crises économiques. Beaucoup de Russes craignent de tout perdre du jour au lendemain.

58De plus, les salaires moyens étant relativement bas, ils ne permettent pas toujours d’épargner et encore moins d’acheter des biens immobiliers. À cela s’ajoute un manque de confiance dans le système bancaire national les incitant à consommer.

59Ce qui rend cette vague de la consommation russe d’autant plus remarquable, c’est que le revenu mensuel moyen par personne, quoiqu’en expansion rapide, n’était encore que de 300 dollars en 2004. 39 % des Russes ont demandé des crédits à la consommation ou des prêts bancaires au cours des années 2004-200630. Le revenu disponible des Russes s’élevait à 70 % de leur revenu total alors que cette proportion n’était que de 40 % en moyenne en Europe occidentale. Les analystes des marchés de biens de consommation de la banque d’investissements moscovite Renaissance Capital expliquaient la situation de la façon suivante : « Nous avons un impôt sur le revenu fixé au taux unique de 13 %, des logements et des services publics subventionnés par l’État. Le reste part en dépenses de consommation »31.

3. La crise de 2008 : une remise en cause de la dynamique de consommation

60Selon les experts toutes ces conditions incitaient les Russes à consommer. Mais les nouveaux changements économiques remettent en cause temporairement ou durablement ce modèle qui semblait entrer dans sa phase de maturation.

61Avec l’arrivé d’une nouvelle crise en 2008 la situation change à nouveau. Les Russes avaient à peine confiance en l’économie de marché, qu’ils devaient faire face à une nouvelle donne du contexte financier mondial assez critique. Après la tumultueuse première décennie postcommuniste, le pays voyait se former une classe moyenne avec un pouvoir d’achat stable et non négligeable. C’est précisément cette classe moyenne qui s’est trouvée affectée par la crise.

62Les autorités russes ont reconnu pour la première fois, en février 2009 que leur pays était entré en récession. Cette récession a mis fin à huit années de croissance ininterrompue, tirée par les revenus du pétrole et par la consommation. Des centaines d’usines se sont mises à tourner au ralenti, faute de commandes. Le taux de chômage s’est élevé à 7,7 %. Le secteur le plus touché était celui de la construction. De nombreux grands projets ont été abandonnés.

63Gazprom a mis en attente son projet de tour géante (300m de hauteur) à Saint-Pétersbourg. À Moscou, la construction du centre d’affaires Moskva City s’est ralentie également. Comme à la fin des années 1990, les arriérés de paiement, le troc, les dettes entre les entreprises ont refait leur apparition.

64Comment s’est reflétée cette nouvelle situation sur le comportement des consommateurs ?

65L’agence d’analyse et de consulting « Market » a affirmé que les comportements des consommateurs russes ont beaucoup changé depuis le début de la crise. Les volumes de ventes se sont réduits de 10 à 50 % en comparaison avec la même période en 200832.

66Il est important de souligner qu’en décembre-janvier 2009, les dépenses des consommateurs ont dépassé leurs gains pour la première fois depuis 1991. Cela veut dire que la population commençait à dépenser son épargne. Les Russes ont commencé à économiser en premier lieu sur les achats de produits alimentaires. Le marché des produits alimentaires a diminué de 3-5 % en 200933.

67La crise de la consommation a deux raisons principales. La première est objective, elle est liée à la baisse des revenus réels par ménage à cause du chômage, de la réduction de salaire, et du taux d’endettement très élevé. La seconde est d’ordre psychologique, en ce sens qu’une grosse partie de la société russe vivait depuis 10 ans une sorte de boulimie de consommation alimentée par des pétrodollars. Elle a subi un certain choc d’autant plus que 30 % des Russes avaient des crédits en cours au début de la crise.

68La crise a touché fortement les catégories sociales les plus sensibles et défavorisées, notamment les familles nombreuses pauvres, les retraités et les ouvriers agricoles, la population rurale plus que la population urbaine. La crise a modifié le mode de consommation des ménages avec un certain pouvoir d’achat. Les individus ont cessé de dépenser comme il y a quelques années encore. Ils ont changé d’avis sur la superficie des logements et le nombre de voitures dont ils ont besoin. Les consommateurs qui peuvent se permettre de gros achats sont moins nombreux.

69Le facteur prix est devenu plus important qu’avant. De plus, les programmes de fidélisation des clients ont été moins efficaces que la remise directe sur les produits. Les achats spontanés ont été de moins en moins fréquents, l’acheteur est devenu plus raisonnable, moins disposé à prendre des risques et moins curieux également. À partir du printemps 2009, les ventes de produits par internet ont progressé car les prix proposés sont plus attractifs. Ce fait a poussé certaines chaînes à mettre en place ce service.

70Dans les conditions de crise, les Russes ont fait confiance aux marques déjà connues et testées. La crise a également diminué l’intérêt des consommateurs pour des produits importés comme c’était exactement le cas pendant la crise de 1998. En effet, en février 2009, les douanes moscovites ont enregistré une baisse significative des produits importés34.

4. Quel impact sur la structure de l’offre et de la demande : un impact conjoncturel ou structurel ?

71Il y a trois étapes dans une crise. Dans un premier temps, les consommateurs ne changent pas leurs habitudes, ils vont dans les magasins habituels, achètent des marques, leurs préférées. Cette période a duré entre octobre et décembre 2008. À Moscou cette période a duré plus longtemps que dans d’autres villes. Ensuite sans changer leurs habitudes, les Russes ont commencé à économiser sur les volumes des produits achetés. Au début de l’été 2009 les préférences ont changé, les marques moins chères ont été choisies plus souvent, les plats cuisinés ont été remplacés par la nourriture faite maison. Au lieu de partir en vacances à la mer, certains consommateurs ont passé leurs congés dans les résidences secondaires.

72Tout d’abord, les consommateurs russes ont été nombreux à ne pas prévoir d’achat immobilier ou de voitures en 2009. Les ventes de voitures ont baissé de 36 %. Malgré cela, beaucoup de Russes ne souhaitent pas acheter des voitures de marque russe. 55 % de ceux qui planifiaient l’achat d’une voiture ont opté pour un modèle étranger neuf ou d’occasion. Cette tendance est peut-être due au fait que la voiture est un bien par lequel le consommateur russe donne une certaine image de lui-même et de sa réussite alors qu’en Europe de l’Ouest elle est davantage utilitaire et les consommateurs sont plus sensibles à la variable prix.

73La crise de la consommation amènera à une certaine restructuration de différents segments du marché. La catégorie luxe n’est pas lourdement touchée. Ce segment n’a perdu que 8 à 10 % et il devrait à nouveau augmenter rapidement comme dans les autres pays du BRIC.

74La catégorie la plus touchée a été celle du haut de gamme moyenne. Ce segment s’est réduit de 25 à 30 %. La raison est facilement identifiable car le volume de la classe moyenne va se réduire. Les Russes s’identifiant à la classe moyenne ont des revenus d’environ 750 € par mois et par personne. Cette catégorie de population est passée de 23 à 16-18 % à la fin de 200935.

75Le segment de la restauration a perdu 40 % de chiffre d’affaires en 2009. Lors du déjeuner les tops managers se sont déplacés des restaurants chers vers les brasseries et les cafés moins sophistiqués. Le segment le plus touché a été celui de la restauration chère, par contre les fast food et les chaînes ont prospéré. McDonald’s a augmenté son chiffre d’affaires de 10 % sur l’ensemble du pays.

76La situation a été bénéfique pour la catégorie des produits bas de gamme. Les marchés d’habillement sont devenus à nouveau populaires. Les chaînes de discounters se sont développées. En même temps la crise a accéléré les transformations du marché de distribution en Russie. Le volume des points de vente éclatés a diminué et s’est organisé en structures.

77Pour retrouver la situation d’avant la crise, les prix de l’immobilier doivent baisser de 60-65 %, ceux de l’électroménager de 30 % et ceux des voitures de 20-25 %. La structure de ces marchés ne permettra pas une telle baisse et les producteurs, pour survivre, vont devoir passer à une stratégie de différenciation36.

78Néanmoins, les Russes n’acceptent pas d’économiser sur leur éducation et l’éducation de leurs enfants. Ils en ont réalisé l’importance dans des années 2000 comme jamais auparavant. Certes, à l’époque soviétique l’importance d’une bonne éducation était reconnue, mais aujourd’hui envoyer son enfant dans une université cotée est une question de fierté et un symbole d’appartenance à une certaine classe sociale.

De nouvelles stratégies pour continuer à consommer

792009 a été une année charnière, la crise n’a pas encore produit tous ses effets sur l’économie. Pourtant, si le pouvoir d’achat diminue, le « vouloir d’achat » subsiste. Les ménages ont mis en place de nouvelles stratégies de consommation. Ils opèrent de nouveaux arbitrages et développent de nouveaux comportements de consommation.

80En 2010 les consommateurs ont été plus rassurés mais l’habitude de faire des économies persistait. 52 % des Russes décrivaient leur situation comme stable, mais seulement un tiers considéraient que les 12 mois à venir étaient propices aux nouveaux achats. 80 % des sondés continuaient à faire des économies sur les biens de consommation courante37.

81L’année 2011 est caractérisée par une faible croissance de la demande intérieure tirée par la reprise de la consommation. Cependant, selon Rosstat, le revenu réel disponible des ménages russes a baissé de 7 % en mai par rapport à mai 2010. Le revenu moyen par habitant a augmenté de 3,2 % pour s’établir à 452 EUR mais l’accéleration de l’inflation à + 6,109 % a influé sur le pouvoir d’achat38. Selon les sources officielles russes, ce recul est aussi en partie dû à une hausse des contributions sociales qui poussent de nombreuses entreprises à payer une partie des salaires de leurs employés sans les déclarer.

82Les conséquences de la crise et la récession du marché développent l’habitude d’éviter les dépenses superflues. Les produits simples et fonctionnels sont la priorité des consommateurs. D’après plusieurs analyses le pragmatisme et les restrictions caractériseront le comportement des consommateurs russes pendant une année encore39.

Conclusion

83Les modèles de consommation des Russes est en pleine évolution depuis 25 ans. Les raisons économiques et politiques ont créé des habitudes particulières pour les consommateurs russes.

84Le processus de consommation avait un sens idéologique en ex-URSS. Les citoyens soviétiques n’avaient pas le choix de leur style de consommation avec des revenus plus au moins égaux pour l’ensemble de la population. Il fallait consommer comme le parti l’indiquait et l’imposait. L’accès à la consommation privilégiée était permis par la proximité et la loyauté au pouvoir. Avec la perestroïka la culture de la consommation s’oriente brusquement vers de nouvelles valeurs qui apparaissent dans la société avec les changements politiques et économiques. Au milieu des années 1990 nous remarquons des pratiques de consommation démonstratives, qui sont basées sur le paraître et la consommation ostentatoire. Une société où encore récemment la solidarité des classes était un but idéologique se transforme brusquement en société de consommation qui verse souvent dans l’excès.

85Dans la Russie actuelle le modèle de consommation est influencé par différents facteurs : une forte différenciation des revenus des diverses couches de la société, une différence de revenus entre urbains et ruraux et une structure de la consommation différente entre la capitale et la province, et enfin par des variables géographiques et climatiques. Les changements économiques et politiques ont influencé les changements de valeurs mais aussi le style des comportements

86La consommation devient une représentation sociale à part entière en Russie. Elle est perçue comme un élément de la vie quotidienne qui peut structurer la société : intégrer, désintégrer ou même isoler les individus. La société russe est différenciée par la consommation. Le modèle d’une consommation moyenne apparaît. Il se rapproche de la consommation de masse occidentale mais dans les conditions spécifiques de la Russie actuelle, il est encore fragile et exposé aux aléas financiers et économiques. Par ailleurs, les Russes se démarquent de leurs voisins européens sur d’autres points, tels que leur propension à emprunter et à « désépargner », et leur volonté d’accepter d’augmenter leur temps de travail. En effet, 86 % des Russes sont prêts à augmenter leur temps de travail pour accroître leurs revenus contre 65 % en Europe Occidentale40.

87Il existe donc un réel appétit de consommation que les Russes sont prêts à assouvir en recherchant de nouveaux apports financiers quand leurs voisins préfèrent encore limiter leurs dépenses sur des postes jugés secondaires. Tout de même, les conséquences de cette course à la consommation devraient rapprocher les Russes des réalités et rendre la société de consommation plus rationnelle.

Notes de bas de page

1 Voir Alexei Berelowitch et Michel Wieviorka, Les Russes d’en bas, enquête sur la Russie postcommuniste, Paris, Éditions du Seuil, 2004.

2 Irina Kortchagina et Lilia Ovtcharova, « Conditions de vie et pauvreté en Russie » Economie et statistiques, 2005, no 383-384-385, p. 224.

3 Georgy Diligenskiy, Lûdi srednego klassa, [Les gens de la classe moyenne], Moscou, Obŝestvennoe mnenie, 2002.

4 Le Centre analytique de Youri Levada (Levada-Centre) : http://levada.ru/, sondage sur la classe moyenne septembre 2009.

5 Tatiana Maleva, Srednie klassy v Rossii. Ėkonomičeskie i social’nye strategii [Les classes moyennes en Russie. Stratégies économiques et sociales], Moscou, Gendal’f, 2003, p. 28.

6 Les consommateurs russes ne sont plus contraints de se précipiter d’un magasin à l’autre pour rechercher un produit. Plus typique est la situation dans laquelle le consommateur se pose la question de savoir où et comment il pourrait gagner davantage d’argent pour satisfaire ses besoins. Ces mêmes consommateurs essaient de s’adapter aux nouvelles conditions socio-économiques en créant de nouveaux modèles de comportement.

7 Jean Radvanyi, La nouvelle Russie, Paris, Armand Colin, 2007, p. 141.

8 Global Market Information database for BNF, Consumer Lifestyles in Russia, 2008.

9 Le site officiel de statistiques de la Fédération de Russie : www.gsk.ru

10 Global Market Information database for BNF, Consumer Lifestyles in Russia, 2008.

11 Le site officiel de statistiques de la Fédération de Russie : www.gks.ru

12 Claude Cabanne, Elena Tchistiakova, La Russie : perspectives économiques et sociales, Paris, Armand Colin, 2005, p. 172.

13 Site de statistiques : http://www.demoscope.ru/weekly/app/app4087 tableau du taux de natalité en Russie, consulté le 13 décembre 2010.

14 Site de statistiques : http://www.demoscope.ru/weekly/app/app4087 tableau du taux de natalité en Russie, consulté le 13 décembre 2010.

15 Le site officiel de statistiques de la Fédération de Russie : www.gks.ru.

16 Ibid.

17 Global Market Information for BNF, Consumer Lifestyles in Russia, 2008.

18 Global Market Information for BNF, Consumer Lifestyles in Russia, 2008.

19 « Les femmes font exploser les ventes », Le MOCI, no 1669, 23 septembre, 2004. p. 56.

20 « Les Russes. Des classes moyennes à séduire », LSA, no 1855, 8 avril, 2008, p. 8.

21 « Les Russes. Des classes moyennes… », op. cit., p. 8.

22 Alex Mucchielli, Les motivations, Paris, Presses universitaires de France, Que Sais-je ?, 1992, p. 65.

23 Milton Rokeach, The nature of human values, Free Press, New York, 1973, p. 5.

24 Voir Denis Eckert, Vladimir Kolossov, La Russie, Dominos Flammarion, Paris, 1999, p. 71.

25 D. Eckert, V. Kolossov, op. cit.

26 Les consommateurs planifient l’achat des biens coûteux et épargnent à cette fin.

27 Dans ce but, ils s’informent sur les différentes caractéristiques de ces biens en lisant les magazines spécialisés et en utilisant internet. Cela veut dire que la sélection des biens durables devient plus élaborée.

28 Parallèlement à cela, de nouvelles infrastructures commerciales, et outils marketing se mettent en place et influencent les comportements et les habitudes des consommateurs russes.

29 « Consommation – Fièvre acheteuse », [En ligne]. 2006, p. 1. Disponible sur le site d’une agence d’export, de conseil et d’accompagnement pour les entreprises françaises sur les marchés de la Russie et de la CEI : http://www.blogrussia.com.

30 Ibid.

31 Ibid, p. 3.

32 Tatiana Matuchina, « Krizis v umah i v košel’kah potrebitelej », [« La crise dans les esprits et les portefeuilles des consommateurs »], [En ligne]. 2008. Disponible sur : URL <http://market-agency.ru/index>.

33 Ibid.

34 Ibid.

35 “Russians Through Crisis” [En ligne]. novembre 2008-mars 2009. Disponible sur : URL <www.nielsen.com>.

36 T. Matuchina, « Krizis v umah. op. cit., p. 2.

37 Ibid. p. 3.

38 « Russie : le pouvoir d’achat en baisse », [En ligne]. Disponible sur : URL <http://www.lefigaro.fr/écomonie>.

39 Article clos le 20 decembre 2011.

40 « L’observatoire Cetelem 2011/Consommation en Europe », p. 69 [En ligne]. Disponible sur : URL <http://observatoirecetelem.com>.

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