La diffusion de la violence dans le Caucase du Nord : quelques éléments d’analyse
p. 101-111
Texte intégral
« Ceux qui se battent aujourd’hui en Tchétchénie et dans d’autres Républiques du Caucase du Nord ne parlent plus de lutte pour l’indépendance de l’Itchkérie. Oumarov a transformé la guerre en une confrontation à caractère religieux, où d’un côté l’on trouve des modjakhed, c’est-à-dire des combattants pour la foi, et de l’autre, des kafirs (mécréants), qui sont les occupants des Républiques musulmanes du Caucase, représentés sur place par des nationaux-traîtres1 ».
1Ces paroles d’un habitant de Tchétchénie transmises par le site Kavkaz Uzel fin 2009 reflètent le changement graduel de la nature du conflit au Caucase du Nord et des enjeux de mobilisation de ceux qui en sont parties prenantes. L’attentat de l’aéroport de Domodedovo à Moscou le 24 janvier 2011 est venu rappeler aux citoyens de Russie qu’une violence quasi quotidienne était toujours à l’œuvre au Caucase du Nord, et ce plus de dix ans après la reprise de la guerre de Tchétchénie en 1999, lancée sous le signe de la lutte anti-terroriste. En effet, les explosions meurtrières qui touchent de plein fouet Moscou sont la face visible et sporadique d’une violence plus continue dans la région nord-caucasienne et qui, chaque semaine, démontre la faillite de ce qui fut officiellement appelé lutte antiterroriste à l’automne 1999. Le pouvoir fédéral semble bien en mal d’enrayer cette violence qui persiste. Dans le contexte de « l’après-11 décembre » 2010, où plusieurs milliers de manifestants ont crié à Moscou des slogans caucasophobes, l’hypothèse d’un détachement progressif du Caucase du Nord, région qui de facto est de moins en moins intégrée dans l’espace politique, juridique et administratif russe, ne semble plus tabou. Certains analystes et experts russes laissent eux-mêmes parfois filtrer cette idée, dans des tribunes ou textes aux titres révélateurs. « Is Russia losing the Caucasus ? »2, « 2020, dernière chance pour le Caucase du Nord ?3 » ou encore « Pourquoi perdons-nous le Caucase ? »4. Parallèlement, des analystes nord-caucasiens se posent également la question5. Quant au pouvoir fédéral, il ne cache plus son inquiétude. Ainsi le président Medvedev a-t-il, dans son adresse au Parlement de l’automne 2009, indiqué que la situation au Caucase du Nord était un des défis les plus préoccupants pour l’État russe, et en novembre 2010, il constatait que le nombre de crimes commis dans le Caucase du Nord n’avait pas diminué6.
2La création en janvier 2010 du SKFO (district nord-caucasien constitué des Républiques fédérées de Kabardino-Balkarie, Karatchaiévo-Tcherkessie, Ossétie du Nord, Ingouchie, Tchétchénie, Daghestan et du territoire de Stavropol), issu d’une partition de l’ancien IouFO (district du Sud de la Russie), témoigne de la volonté d’élaborer une politique particulière pour ces territoires là, précisément. Économiste et manager, le représentant plénipotentiaire (polpred) du SKFO, Alexandre Khloponine, ancien gouverneur de la région de Krasnoïarsk, met le curseur sur les questions économiques comme moyen de résoudre la crise, réduisant les raisons du terrorisme au chômage et à l’exclusion qui en découle. Or, si cette région donne du fil à retordre aux autorités fédérales et apparaît de plus en plus comme une région à part, ce n’est pas uniquement pour les raisons économiques invoquées par les discours officiels qui mettent l’accent sur la corruption et le « clanisme économique ». Les ressorts de la violence et de sa diffusion relèvent de plusieurs faisceaux de causalité que nous tentons d’analyser ici.
Peut-on parler de diffusion de la violence ?
3La suppression du régime d’opération anti-terroriste (KTO) le 16 avril 2009 en Tchétchénie a été associée par certains à la fin d’une guerre... qui pourtant n’avait jamais été nommée comme telle par le pouvoir russe. Or, même si on laisse de côté la question conceptuelle et les débats de définition sur les différences entre guerre et opération anti-terroriste7, on ne peut que constater que les violences non seulement n’ont pas cessé en Tchétchénie même8, mais qu’elles se développent largement dans d’autres territoires du Caucase du Nord, en particulier au Daghestan et en Kabardino-Balkarie, comme le montrent les statistiques9. Quant au régime anti-terroriste, il a été réintroduit à de nombreuses reprises et en différents endroits de la région, que ce soit au Daghestan, en Ingouchie, en Kabardino-Balkarie, ou en Tchétchénie également10. Les formes que prennent les actes de violences sont les suivantes : d’un côté, des combattants clandestins procèdent à des attaques contre les représentants des forces de l’ordre et des autorités locales, ce qui se solde par de nombreux assassinats, de policiers en particulier, mais aussi de responsables politiques parfois de haut niveau ; de l’autre côté, les forces de l’ordre mènent des opérations spéciales contre ces combattants et contre une partie de la population soupçonnée d’être liée à ce maquis, dans le cadre du KTO (régime anti-terroriste), un certain nombre d’opérations spéciales se soldant par des arrestations, des détentions avec passages à tabac et usage de tortures, des disparitions forcées ou des exécutions ou liquidations de combattants. Un des enjeux de cette réflexion concerne donc les modalités de circulation de la violence. Y a t-il des liens entre le conflit tchétchène et le développement des violences dans d’autres Républiques du Caucase du Nord ?
Faillite du projet national indépendantiste tchétchène et naissance de l’« émirat » nord-caucasien
4La mutation des enjeux de mobilisation de ceux qui rejoignent le maquis s’inscrit dans un contexte marqué par la faillite du projet de libération nationale tchétchène tel que proclamé par ses promoteurs à la fin des années 1980 et au début des années 1990 qui, si l’on s’en tient à la rhétorique utilisée, visait à forger un État tchétchène indépendant, laïque et démocratique. Ce projet a connu ses aléas et s’est heurté à un certain nombre d’obstacles, les deux périodes d’« indépendance » tchétchène hors guerre (période Doudaev de 1991-1994 ; entre-deux-guerres de 1996-1999 sous la présidence Maskhadov) ayant en grande partie conduit au discrédit de ses promoteurs11. L’assassinat de Maskhadov en mars 2005 vient d’une certaine façon marquer la fin de ce projet politique, relayé par une rhétorique islamiste, si l’on en juge par la narration qui émane du maquis. Dès le mois de mai 2005, Abdoul-Khalim Sadoulaev, désigné comme successeur de Maskhadov, décrète la création d’un « Front caucasien ». Il y nomme des émirs responsables de districts. Akhmad Avtorkhanov est nommé responsable du Front Est, Amir Abdoul Rachid commandant du secteur de Goudermes, Amir Khalid commandant du secteur de Kourtchaloï, Amir Islam de celui d’Argoun, Amir Akhmad du secteur ingouche, Amir Saïfoulla du secteur kabardino-balkar, Amir Alan Digorski, comme son nom l’indique, du secteur ossète (les Digors sont les Ossètes musulmans). On reconnaît là certains noms de figures connues. Ainsi le nom d’Amir Saïfoulla désigne-t-il Anzor Astemirov (né en 1976, tué le 24 mars 201012) et l’on reconnaît l’Ingouche Evloev en la personne d’Amir Akhmad. La terminologie utilisée montre qu’aux schémas traditionnels de stratégie militaire inspirés du modèle de l’Armée étatique – schémas dont se réclamait le premier président indépendantiste tchétchène D. Doudaev, lui-même ancien général de l’Armée soviétique13 – se substitue une autre approche : les groupes de combattants ne sont pas subordonnés à un chef militaire laïque placé en haut d’une pyramide hiérarchisée, et ne se battent pas pour l’établissement d’un État-nation, mais inscrivent leur lutte dans le cadre religieux. Il s’agit pour eux de débouter les occupants (okkupanty, terme qui revient très souvent dans la phraséologie utilisée sur les sites de combattants islamistes14), kafirs (mécréants) corrompus à la solde de Moscou. La dimension anti-coloniale n’est pas absente de leur discours, mais elle prend une coloration confessionnelle. En octobre 2007, le successeur d’Abdoul-Khalim Sadoulaev, Dokou Oumarov, confirme cette orientation. Décrétant la suppression de la République de Tchétchénie-Itchkérie, il proclame la création d’un « Émirat caucasien ». C’en est donc officiellement fini de l’« Itchkérie », en dépit de quelques réactions au sein de la diaspora tchétchène doudaevienne ou maskhadovienne réfugiée en Europe, mais dont l’audience et la popularité ne sont plus circonscrites qu’à quelques cercles réduits. Akhmed Zakaev en particulier, qui après avoir été ministre de Maskhadov était devenu ministre des affaires étrangères de D. Oumarov et devient premier ministre en exil d’une Itchkérie moribonde, dénonce cette bifurcation qui ne fait, au fond, qu’entériner les tendances à l’œuvre sur place. Elle montre au grand jour les rapports de force existant entre la fraction « laïque » des indépendantistes, réduite à la portion congrue, et la fraction islamiste, même si un schisme a eu lieu à l’automne 2010 parmi les combattants tchétchènes, plusieurs chefs de guerre ayant exprimé leur défiance vis-à-vis d’Oumarov.
5Dans l’émirat tel que proposé et structuré par ce dernier, les différents secteurs du maquis sont appelés vilayet, selon le nom arabe de subdivision territoriale qui était utilisé également dans l’Empire ottoman, mais c’est surtout le terme jamaat15 (terme provenant de l’arabe, signifiant « communauté », et à distinguer d’autres acceptions qu’il peut avoir par ailleurs16) qui s’impose pour désigner les groupes de combattants. Dans le discours que donnent à voir les chefs de jamaats sur leurs sites Internet (www.kavkazcenter.com, www.jamaatshariat.com/ru, par exemple), le jihad est présenté comme un combat nécessaire, à mener par l’attaque de représentants des forces de l’ordre du pouvoir local. L’existence de groupes de jeunes combattants vivant clandestinement dans la forêt et perpétrant ces actions est donc le mode principal d’expression de cette opposition armée dans les Républiques du Caucase du Nord en particulier au Daghestan, en Tchétchénie et en Ingouchie, et, plus récemment, en Kabardino-Balkarie, mais aussi en Karatchaiévo-Tcherkessie depuis le printemps 201117. Y a-t-il un lien entre le conflit « vertical » opposant Grozny à Moscou, incarnation d’un conflit colonial, et la diffusion horizontale et transversale de la violence à travers les différentes Républiques ?
Le développement des liens horizontaux, un facteur déterminant
6Au-delà de la faillite – au moins à court terme – du projet indépendantiste tchétchène, et de l’ampleur de la répression russe qui a pu dissuader toute forme de séparatisme national, l’hypothèse selon laquelle des liens « horizontaux » auraient résisté au temps et au contrôle du pouvoir n’est pas à négliger : les contacts noués par Bassaev avec des combattants nord-caucasiens (dans le cadre du bataillon Abkhazia en particulier, formé de volontaires de la Confédération des peuples du Caucase venus se battre aux côtés des séparatistes abkhazes à l’époque de la guerre d’Abkhazie en 1992-1993) auraient en effet perduré ou pu être réactivés, relativement aisément, au fil des deux conflits tchétchènes. La biographie des chefs des jamaats dans les différents territoires nord-caucasiens en atteste : par exemple, Makacharipov, chef du jamaat islamique « Djenet » fut, selon différentes sources, l’interprète de Bassaev et/ou de Khattab, avant d’être assassiné en 2005. Les autres chefs de jamaats comme Akhmed Evloev en Ingouchie (de son vrai nom Ali Taziev, surnommé « Magas » et dirigeant du jamaat du même nom) ou Mouslim Ataev en Kabardino-Balkarie (chef du jamaat Iarmouk) ont également eu des liens avec Bassaev, qui parvenait à circuler à travers la région18. Par exemple, Mouslim Ataev s’est formé militairement au contact de ce dernier et est probablement passé par les camps d’entraînement de Khattab. Ataev et Bekanov (son successeur à la tête du jamaat Iarmouk) se trouvaient dans le détachement du chef de guerre tchétchène Guelaev dans le Pankissi en 2002. Akhmed Evloev (alias Ali Taziev, donc) a quant à lui organisé, entre autres avec Bassaev et D. Oumarov, le raid sur l’Ingouchie de juin 2004, qui avait vu plusieurs dizaines de combattants prendre d’assaut des postes de police et structures du pouvoir local. Avant 2004, il avait participé à des opérations de diversion en Tchétchénie, en particulier en mai 2003 lors de l’attaque d’une colonne de blindés russes dans le district de Nojaï-Iourt.
7À sa fondation à l’automne 2007, l’émirat est dirigé par triumvirat constitué de D. Oumarov, d’Akhmed Evloev et d’Anzor Astemirov. Le groupe de combattants d’Evloev (Magas) serait le plus nombreux ; Oumarov et Evloev furent tous deux largement impliqués dans les raids d’Ingouchie de juin 2004 et de Kabardino-Balkarie d’octobre 2005, raids qui ont marqué une scansion dans la diffusion de la violence au Caucase du Nord.
Les raids militaires dans les territoires voisins (Nazran en 2004, Naltchik en 2005), vecteurs d’une extension du conflit
8L’accès aux protagonistes de ces attaques étant impossible, on ne peut travailler que sur des sources secondaires. Cependant, la trajectoire des personnalités impliquées dans les raids armés donne un certain nombre d’informations qui éclairent les connexions « transversales ». Dans les cas ingouche et daghestanais, la contiguïté de ces territoires avec la Tchétchénie facilite la circulation de la violence et de ses acteurs. La nuit du 21 au 22 juin 2004, une attaque est en effet menée par des combattants tchétchènes et ingouches simultanément contre quinze bâtiments gouvernementaux, policiers et militaires d’Ingouchie (à Nazran, mais aussi à Karaboulak et Sleptsovskaïa). Cette attaque fait 98 morts et 104 blessés, parmi lesquels des membres du Ministère de l’intérieur, du FSB, et des garde-frontières. L’Ingouche Evloev, qui dirige alors le jamaat « Taliban », très actif dans ce raid, est à la tête d’une trentaine de combattants portant des uniformes dotés de l’inscription « OMON », acronyme des forces spéciales du Ministère de l’intérieur ; il se tient à un croisement dans Nazran et tire sur des représentants du pouvoir local. Selon certaines versions, il aurait lui-même tué le ministre de l’intérieur ingouche Aboukar Kostoev ainsi que deux membres de la Prokuratura. Evloev aurait également été l’organisateur de l’attentat perpétré en 2006 contre Djabraïl Kostoev, chef de la police de Nazran. À Beslan en Ossétie du Nord, lors de la prise d’otages massive dans l’école No 1 à la rentrée de septembre 2004, plusieurs sources font également état de la participation d’Ingouches.
9En Kabardino-Balkarie, un raid du même style que celui de juin 2004 a lieu en octobre 2005 à Naltchik, après une première attaque de moindre visibilité mais néanmoins violente en décembre 2004 contre le département de la lutte anti-drogues. Le 13 octobre 2005, plusieurs postes stratégiques de Naltchik sont pris d’assaut par des combattants, simultanément. Le jamaat Taliban d’Ingouchie a également participé à la préparation de cette opération, à l’issue de laquelle 92 combattants, 35 membres des forces de l’ordre et 14 civils ont été tués. Deux mille hommes sont interpellés à l’issue de cette opération, 71 d’entre eux accusés d’avoir participé à l’attaque. 58 personnes se trouvent sur le banc des accusés dans le cadre d’un procès qui dure encore au début 201219.
Connexions entre jamaats et renouvellement générationnel
10Le 20 novembre 2007, quelques semaines après la proclamation de l’émirat par D. Oumarov, A. Astemirov annonce que durant l’été 2005, lors d’une réunion du Madjlis militaire à Naltchik, les amirs Abou Idriss Abdoulla Bassaev (sic), Hanif Iles Gortchkhanov et Abou Mouhammad Moussa Moukojev ont entériné le rattachement des jamaats d’Ingouchie et de Kabardino-Balkarie au Front caucasien alors mis en place par Sadoulaev20. Les chefs de jamaats ont ensuite renouvelé leur allégeance à Dokou Oumarov à l’émirat proclamé. Pour autant, cela ne signifie pas nécessairement que les enjeux et agendas politiques convergent de façon systématique. Par exemple, dans une interview donnée à F. Tlisova et reproduite sur Kavkazweb, M. Moukojev expliquait en janvier 2006 qu’il n’était pas dans les priorités du jamaat de Kabardino-Balkarie de rejoindre la guerre. Il reconnaissait néanmoins que des émissaires de Bassaev étaient venus les voir et les avaient incités à rejoindre le combat des Tchétchènes, mais déclarait : « Ce n’est pas notre guerre. Nous sommes maîtres chez nous, nous sommes des patriotes21 », montrant par là que les enjeux de mobilisation peuvent différer au sein du maquis, et que la question nationale n’est pas totalement éradiquée par la dimension transnationale. Des liens entre les jamaats de Kabardino-Balkarie et de Karatchaiévo-Tcherkessie sont, par ailleurs, proclamés. Ainsi Anzor Astemirov disait-il quelques années plus tôt, en 2001, que la direction du jamaat de Kabardino-Balkarie avait participé à toute une série d’actions clandestines organisées par les frères Bekkaev, à la tête du jamaat de Karatchaiévo-Tcherkessie. En outre, selon Astemirov, des combattants de Kabardino-Balkarie auraient rejoint le front tchétchène au début de la deuxième guerre, et auraient été acceptés, mais en petit nombre, par les commandants tchétchènes.
11Devenus la cible des forces de l’ordre, les chefs des jamaats sont éliminés les uns après les autres. La poursuite des opérations de harcèlement et la persistance du maquis malgré ces liquidations montre une force de renouvellement réelle. On voit à la fin des années 2000 et au début des années 2010 que c’est une génération née dans les années 1970-1980 qui nourrit les contingents de volontaires, à la différence des chefs de guerre d’Itchkérie, qui pour une bonne partie d’entre eux étaient nés dans les années 1960, voire, pour certains d’entre eux, 1950. Les dates de naissances des noms des chefs de jamaats et la fréquence du renouvellement des figures suite à l’élimination de certains d’entre eux donnent un aperçu des tendances à l’œuvre.
- Mouslim Ataev (1973-2005), jamaat Iarmouk
- Roustam Bekanov (1978-2005), jamaat Iarmouk
- Adameï Jappuev (1975-2009), jamaat Iarmouk
- Saïd Bouriatski, (1982-2010)
- Anzor Astemirov (1976-2010), jamaat Iarmouk, surnom Seïfoulah
- Asker Djappuev (1971-2011), jamaat Iarmouk, a succédé à Astemirov après l’assassinat de ce dernier
- Tamerlan Dychekov, membre d’un groupe de combattants clandestins de la région de Baksan en Kabardino-Balkarie, (tué en août 2011)
- Rassoul Makacharipov (1971-2005), jamaat Chariat du Daghestan
- Iassine Rassoulov (1975-2006), jamaat Chariat au Daghestan
- Magomedali Vagabov (1975-2010), groupe de Goubden au Daghestan
- Israpil Validjanov (1968-2011), jamaat Chariat au Daghestan
Singularité des situations dans chaque République
12Néanmoins, malgré des contacts transversaux et la revendication de réseaux organisés et coordonnés, les logiques propres à chaque République restent importantes et il serait hasardeux de ne voir dans la diffusion de la violence qu’un phénomène de « contagion » ou de régionalisation du conflit. En effet, chaque « guerre des rues » qui se déroule dans les Républiques du Caucase du Nord a ses ressorts spécifiques et ses scansions temporelles intrinsèques. Ainsi le 13 octobre 2005 a-t-il clairement marqué un tournant dans la vie politique de Kabardino-Balkarie, le cycle de violences s’étant intensifié après cette date, avec une chasse aux musulmans de plus en plus vigoureuse de la part des forces de l’ordre et des logiques de vengeance succédant aux arrestations, le tout dans un cycle sans fin. Plusieurs années après cet événement marquant, les violences se poursuivent. Le mufti de la République Anas Pchikhatchev est assassiné le 15 décembre 2010 à Naltchik ; il était connu pour ses prises de position tant contre l’extrémisme radical que contre les agissements illégaux des forces de l’ordre et la persécution illégale des musulmans22. Deux semaines après, un ethnographe kabarde, Aslan Tsipinov, promoteur de la culture kabarde et également engagé contre l’extrémisme religieux, est à son tour assassiné. La démarche engagée par le président de Kabardino-Balkarie Arsen Kanokov en faveur d’un dialogue avec la jeunesse et avec les parents de jeunes combattants, la mise en œuvre en janvier 2012 d’une commission d’adaptation censée faire revenir des jeunes du maquis à la vie civile n’enraye pas le cycle de violences, et de nombreuses sources parlent de guerre civile ou de guerre larvée. Au Daghestan, la « guerre des rues » se poursuit et s’intensifie23, la violence touchant également des journalistes, comme le rappellent les cas de Iakhia Magomedov, rédacteur en chef de la version en langue avare du bimensuel As-Salam, assassiné le 8 mai 2011, et K. Kamalov, du journal d’opposition Tchernovik, assassiné en décembre 2011.
13Les pouvoirs locaux se montrent impuissants face à cet engrenage, que les promesses faites à l’occasion de visites des officiels fédéraux ne contribuent pas pour autant à stopper. L’attention privilégiée accordée aux relations bilatérales entre Moscou et les élites politiques de chaque République maintient ces dernières dans une situation de loyauté, en échange de laquelle Moscou ferme les yeux sur les niveaux de corruption des pouvoirs locaux et sur l’incapacité de ces derniers à enrayer le cycle de violences.
14La transformation progressive des enjeux de mobilisation et la mutation générationnelle des combattants dessinent donc un tableau évolutif, qui se distingue de plus en plus nettement de ce que fut le conflit russo-tchétchène des années 1990 ou même du début des années 2000. Les annonces promues par l’administration du SKFO sur les investissements dans les projets touristiques et l’horizon des Jeux Olympiques de Sotchi en 2014 suscitent autant de perplexité, dans la mesure où subsiste un problème politique de fond. Les événements ultérieurs donneront-ils raison aux inquiétudes de certains chercheurs voyant à terme un détachement progressif de la région ? À de nombreux niveaux en tout cas, le Caucase du Nord reste un observatoire sensible d’évolutions russes plus globales.
Notes de bas de page
1 Paroles d’un habitant de Tchétchénie, interviewé par Kavkaz Uzel, « Posle otmeny režima KTO v Čečne ot konflikta postradali 453 čeloveka », [« Depuis la suppression du régime d’opération anti-terroriste en Tchétchénie, on compte 453 victimes »], Kavkaz Uzel, 23 décembre 2009.
2 La présentation de la conférence donnée par Alexey Malachenko au centre Carnegie commence ainsi : « Increasingly, the North Caucasus looks and feels more like Russia’s neighbor than a constituent part of the state. Moscow and some areas refer to North Caucasus as Russia’s “internal abroad.” », Martha Brill Olcott, Alexey Malachenko, « Is Russia losing the Caucasus ? ».
3 Alexey Malachenko, « 2020 god – poslednij šans dlâ Severnogo Kavkaza ? », [2020-la dernière chance pour le Caucase du Nord], Pro i contra, Juillet-octobre 2010, p. 96-111.
4 Andreï Epifantsev, “Pocemu my terâem Kavkaz ?”, [Pourquoi nous perdons le Caucase], [En ligne]. Disponible sur : URL <http://www.apn.ru/publications/print22987.htm>.
5 Mairbek Vachagaev, « The Separation of the North Caucasus from Russia : Is it A Growing Possibility ? », Jamestown Foundation, Volume 12, Issue 4, 24 Février 2011.
6 « Dmitri Medvedev : prestuplenij na Severnom Kavkaze ne stanovitsâ menše », [Dimitri Medvedev : le nombre de meurtres dans le Caucase du Nord ne diminue pas], Kavkaz Uzel, 19 novembre 2010.
7 Anne Le Huérou, Amandine Regamey, « La guerre russe en Tchétchénie, discours antiterroriste et légitimation de la violence », Critique internationale, 2008/4, no 41, p. 99-118. Voir aussi Aude Merlin, « Tchétchénie : un « après-guerre » sans paix », dans Ordres et désordres au Caucase, (sous la direction de Aude Merlin, Silvia Serrano), Bruxelles, Éditions universitaires de Bruxelles, 2010.
8 Voir par exemple « Čečnâ bez КТО : 292 ubityh za 320 dnej » [« La Tchétchénie depuis la suppression du régime d’opération anti-terroriste : 292 tués en 302 jours »], [En ligne]. Disponible sur : URL <Kavkaz-uzel, 3 mars 2010, http://www.kavkazuzel.ru/articles/166112/>. Depuis début 2011, le site Kavkaz Uzel se livre même à une comptabilité semaine par semaine, qu’il regroupe ensuite par mois. Voir par exemple « Za nedelǔ s 18 po 24 aprelâ vooružennyj konflikt na Severnom Kavkaze unės 19 žiznej » [« Au cours de la semaine du 18 au 24 avril, le conflit armé au Caucase du Nord a emporté 19 vies »], [En ligne]. http://www.kavkaz-uzel.ru/articles/184584/ ; Les stastistiques annuelles sont également disponibles : « V hode vooruzënnogo konflikta na Severnom Kavkaze v 2011 pogibli i byli raneny 1378 čelovek », « Le conflit au Caucase du Nord en 2011a fait 1378 victimes en 2011, tuées ou blessées », [En ligne]. Kavkaz Uzel, 12 janvier 2012, http://www.kavkaz-uzel.ru/articles/198756/.
9 Voir « Vojna na Severnom Kavkaze smeŝaetsâ v Dagestan i KBR » [« Au Caucase du Nord, la guerre se déplace au Daghestan et en Kabardino-Balkarie »], [En ligne]. Kavkaz Uzel, 11 mars 2011. Disponible sur : URL <http://www.kavkaz-uzel.ru/articles/182170/>.
10 On trouve les mentions et les durées de l’introduction du régime de KTO par exemple sur le site Kavkaz Uzel. En 2009, 2010, 2011 ce régime a été introduit à de nombreuses reprises en différents points de ces Républiques. En février 2011 par exemple, il a encore été introduit en Kabardino-Balkarie après l’assassinat de trois touristes russes, et a été renouvelé en différents points de la région au printemps 2011.
11 Pour une analyse et un témoignage de l’intérieur, voir Ilyas Akhmadov, Miriam Lanskoy, The Chechen Struggle, Independence Won and Lost, Palgrave Mcmillan, 2010, p. 270.
12 « MVD : ubityj v Nal’čike Astemirov opoznan po otpečatkam pal’cev », [« MVD : Astemirov, tué à Naltchik a été reconnu par ses empreintes digitales »], [En ligne]. Kavkazskii Uzel, 25 mars 2010, Disponible sur URL <http://www.kavkazuzel.ru/articles/166985/>.
13 Voir par exemple Mairbek Vatchagaev, « Les djamaats, nouvelle forme de résistance au Caucase du Nord ? », dans Ordres et désordres au Caucase (sous la direction d’Aude Merlin, Silvia Serrano), Bruxelles, Éditions universitaires de Bruxelles, 2010, p. 97-112.
14 voir par exemple www.kavkazcenter.com.
15 Voir par exemple Mairbek Vatchagaev, « Les djamaats, nouvelle forme de résistance au Caucase du Nord ? », dans Ordres et désordres au Caucase, (Eds.) Aude Merlin, Silvia Serrano, Bruxelles, Éditions universitaires de Bruxelles, 2010, p. 97-112.
16 Le terme jamaat signifie historiquement une communauté villageoise, au Daghestan en particulier ; il peut signifier de façon plus générale une communauté de musulmans sur un territoire donné et qui se reconnaissent un chef commun.
17 Voir « Insurgency-related violence reported across the North Caucasus », May 6, 2011, Jamestown Foundation, Volume 12, Issue 9.
18 Un passage à Baksan en Kabardino-Balkarie en été 2003 est par exemple attesté. Voir « Kabardino-Balkariâ : na puti k katastrofe » [« La Kabardino-Balkarie : vers la catastrophe »], [En ligne]. Rapport de Mémorial, octobre 2008, Disponible sur : URL <http://www.memo.ru/2008/10/09/0910081.htm>.
19 Ce procès est communément appelé le « procès des 58 », voir par exemple http://nalchik-2005.blogspot.com/ et http://www.youtube.com/watch?v=GNww_OQIXMc&feature=player_embedded#at=32. Kavkaz Uzel tient une chronique très précise de l’évolution du procès. <www.kavkaz-uzel.ru>.
20 Id., p. 69.
21 Amir Musa Mukozev : « Moskve vsë ravno, čto budet s Nal’čikom », [« L’avenir de Naltchik importe peu à Moscou »], [En ligne]. 22 janvier 2006. Disponible sur : URL <http://kavkazweb.net/forum/lofiversion/index.php/t31287.html>.
22 « Muftij Kabardino- Balkarii Anas Pšihačev borolsâ s èkzremizmom i s nezakonnym presledovaniem musul’man », [« Le mufti de Kabardino-Balkarie Anas Pchikhatchev se battait contre l’extrémisme et la persécution illégale des musulmans »], [En ligne]. Kavkaz Uzel, 17 décembre 2010. Disponible sur : URL <http://www.kavkazuzel.ru/articles/178528/>.
23 Voir Dagestan : conflict’s causes, www.crisisgroup.org, June 2008.
Auteur
Docteur en sciences politiques, membre du CEVIPOL à l’Université Libre de Bruxelles
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