Introduction. Spectateur empirique et conception du spectateur
p. 15-38
Texte intégral
« Dans un sens immédiat et symbolique aussi bien que corporel et spirituel, nous sommes à chaque instant ceux qui séparent ce qui est relié et ceux qui relient ce qui est séparé1. »
Georg Simmel
1Dans Naissance du cinéma, Léon Moussinac expose les résultats d’une expérience menée par les docteurs Toulouse et Mourgue sur « les réactions respiratoires au cours des projections cinématographiques » (1920, Strasbourg, congrès de l’Association Française pour l’Avancement des Sciences). Il s’agissait de mesurer les réponses physiologiques d’un public donné à la vision de films documentaires, dramatiques et comiques. Deux conclusions générales découlent des résultats obtenus :
« 1er : La projection d’un film provoque une réaction globale du psychisme et, en outre, des réactions qui ont des formes plus ou moins spécifiques en rapport avec la nature du film ;
2e : À l’intensité près, les résultats de l’expérimentation faite sur plusieurs sujets différents ont été les mêmes2. »
2Pour Moussinac, ces conclusions mettent en valeur la capacité d’influence du cinéma sur le psychisme des spectateurs. Ayant plus d’impact que tout autre moyen d’expression artistique, le cinéma provoque une réaction similaire chez tous les individus qui assistent à la même projection filmique. La puissance de cette efficience s’explique, selon le critique de L’Humanité, par l’intensité du sentiment de réalité produit par le film : « Le sentiment de réalité explique donc, psychologiquement, le succès immédiat du cinéma auprès de la foule ». Il ajoute que la réception filmique est un phénomène comparable à celui de l’hypnose :
« À ce propos, les docteurs Toulouse et R. Mourgue établissent que, étant scientifiquement démontré que la perception du mouvement fait naître l’ébauche du mouvement correspondant, il se produirait à l’écran “un phénomène du même genre que la suggestion hypnotique pratiquée après avoir mis le sujet dans une attitude donnée”3. »
3Moussinac considère toutefois que cette expérience, satisfaisante pour les films documentaires et éducatifs, demande à être précisée pour les films artistiques. Car pour ces derniers, l’émotion filmique n’est pas seulement due à l’action dramatique, mais aussi aux valeurs esthétiques du film (composition, expression, rythme intérieur et extérieur) que l’expérience en question ne peut pas contrôler.
4Près d’un demi-siècle plus tard, en 1968, deux scientifiques italiens dans la mouvance de l’Institut de Filmologie, Leonardo Ancona et Renzo Carli, étudient l’influence de la projection collective d’un film par rapport à sa vision solitaire, au moyen de la psychologie expérimentale. Ils en déduisent que la participation spectatorielle y est plus intense : « Le “groupe” comme situation cinématographique semble agir en permettant une réverbération de la motivation personnelle, dont l’intensité subit une augmentation4 ». Mais cette constatation n’implique pas que cela entraîne la passivité des spectateurs. Au contraire, « le spectateur se maintient dans une attitude active face au spectacle cinématographique, car l’action du stimulus passe à travers sa réélaboration personnelle, qui est rendue possible par la présence des autres spectateurs5 ». Utilisant les notions de « dépendance - indépendance du champ » de Witkin (1962), ils expliquent qu’en fait, plus le spectateur est dépendant de ce qui l’entoure, plus il réagit personnellement, en cherchant à se singulariser. L’intensité de la réaction au film ne provoque donc pas la dissipation de l’individualité, au contraire.
5Ces deux expériences sont dans le fond assez proches, puisqu’à chaque fois, elles prennent en compte l’effet de la présentation collective des films sur les spectateurs. Les résultats factuels ne sont d’ailleurs pas si éloignés. Ils indiquent qu’il y a une certaine concordance dans la réaction des spectateurs aux films – la similarité des résultats pour Toulouse et Mourgue, la réverbération de la motivation personnelle, pour Ancona et Carli. Mais en même temps, il demeure des différences dans la réception personnelle de chaque spectateur – dans le cas de l’expérience de Toulouse et Mourgue, l’intensité plus ou moins grande de la réaction physiologique, chez Ancona et Carli, l’activité du spectateur, sa réélaboration personnelle du film. Intuitivement, nous sentons tous que c’est le cas. Les films nous relient et nous séparent. Parfois, ils parviennent à nous faire ressentir simultanément les mêmes émotions, en une sorte de communion ; d ‘ autres fois, nous considérons avec étonnement, voire avec amusement ou dédain, les réactions de peur, les rires ou les larmes de nos voisins, que nous ne partageons pas. Pourtant, les conclusions des deux couples de scientifiques sont radicalement opposées. En effet, les chercheurs italiens déduisent de leurs expériences que la participation spectatorielle, même en groupe, demeure active et personnelle, tandis qu’un demi-siècle plus tôt, les savants français, et Moussinac à leur suite, en déduisaient qu’un effet d’hypnose se produit au cours de la réception filmique, expliquant pourquoi les réactions des spectateurs tendent à se ressembler. Dans un cas, on insiste sur l’activité du spectateur, qui témoigne de l’affirmation de son individualité ; dans l’autre, c’est l’effet du cinéma sur la foule qui est mis au premier plan, à partir du processus supposé hypnotique de la projection.
6Il ne s’agit pas ici de trancher en faveur de l’une ou l’autre de ces hypothèses. Nous ne proposons pas une étude de plus sur le spectateur. Au contraire, nous voudrions montrer que la variation dans l’interprétation des résultats de ces expériences s’explique parce que le spectateur n’existe pas. Non pas parce que nous sommes tous différents, et qu’il n’existerait donc pas un spectateur modèle. Ni même parce que les habitudes prises aujourd’hui par rapport aux images mouvantes, l’évolution de ces images elles-mêmes et de leurs conditions de visibilité ont changé nos « horizons d’attente » par rapport à ces images6. Mais parce que le spectateur est d’abord une notion théorique, et que ce que nous pouvons donc appeler la conception du spectateur, c’est-à-dire la base épistémologique à partir de laquelle la réception filmique peut être pensée, a évolué au cours de l’histoire de la théorie du cinéma. C’est parce que la conception du spectateur des années vingt était différente de celle des années soixante – qui est encore, d’une certaine manière, la nôtre, ou du moins dont nous sommes encore proches – que les résultats factuels pourtant semblables de ces expériences ont été interprétés de manière quasiment antagoniste7. Le spectateur n’existe pas parce qu’il y a eu plusieurs spectateurs théoriques dans l’histoire de la théorie du cinéma. C’est dire aussi que ce dont les textes théoriques parlent, dans le passé comme aujourd’hui, ce n’est peut-être pas tout à fait du spectateur empirique en lui-même, même s’il est question de lui. Ou du moins, c’est d’abord, et surtout, d’un spectateur théorique correspondant à un cadre idéologique particulier, permettant de penser l’expérience réelle du spectateur empirique selon une certaine base conceptuelle, un certain « programme de vérité ».
Programmes de vérité « individualiste » et « holiste »
7Cet ouvrage se propose d’exhumer la conception du spectateur sur laquelle reposait une partie significative – celle qui a inventé et défendu l’idée de cinéma comme art – des théories françaises de la période dite muette8. Cela implique d’abord de reconnaître l’existence d’un tel socle épistémologique. La notion de « programme de vérité », élaborée par l’historien Paul Veyne, est à cet égard utile pour rappeler qu’une vérité n’est jamais que ce qui est conceptualisable et acceptable au sein d’un certain programme, d’un certain cadre idéologique9. Ce qui caractérise celui-ci, c’est que certaines propositions peuvent y être inventées pour être soumises à discussion en vue de devenir des vérités ou d’être rejetées comme fausses, tandis que d’autres, qui seront éventuellement plus tard reconnues comme des vérités au sein d’un autre programme, ne peuvent tout simplement pas venir à l’existence. Ainsi, si nous considérons aujourd’hui comme une vérité le fait que, quand bien même nous partageons avec nos voisins des émotions similaires et le plaisir de les ressentir ensemble, nous voyons tout de même les films chacun à notre manière, il nous faut admettre que cette idée n’avait aucune valeur théorique à l’époque. Est-ce à dire que les théoriciens de l’époque muette, comme Moussinac, croyaient vraiment que les réactions des spectateurs devant un film étaient en tout point identiques ? Poser cette question, dirait Paul Veyne, a aussi peu de sens que de se demander si les Grecs croyaient à leurs mythes. C’est de notre point de vue que se pose la question de leur croyance. Car de leur point de vue, du sein de leur programme de vérité, la question faisant débat était autre. Les réserves de Moussinac sur l’application de l’expérience scientifique aux films artistiques indiquent qu’elle prenait plutôt cette forme-ci : étant posé que la projection cinématographique donne lieu à un phénomène ressemblant à une hypnose collective – cette « vérité » étant admise – à quel point son effet sur les spectateurs est-il réellement uniforme, et dès lors parfaitement contrôlable ? Question qui revêt un enjeu pratique : comment construire un film pour qu’il en soit effectivement ainsi ? Comme l’explique Moussinac, « il s’agit de savoir si le film réagit – à comprendre au sens chimique, donc comme un événement obéissant à une loi naturelle infiniment reproductible en droit et mesurable en fait – selon l’intention du cinégraphiste aux endroits voulus et avec la fréquence recherchée »10. Il était possible de juger que les films ne parviennent pas à obtenir cette influence intentionnelle uniformément. Critiques et cinéastes l’expérimentaient d’ailleurs chacun à leur manière : les premiers en témoignant de l’ennui ou de la déception causée par certains films, les seconds en essuyant des échecs auprès du public ou de ces mêmes critiques. Mais il n’était pas encore envisageable, du moins pour ceux d’entre eux qui se penchaient sur le cinéma en théoriciens, de réfléchir à la relation particulière et personnelle que chacun entretient avec les films plutôt qu’à celle que les films instaurent avec l’ensemble du public, c’est-à-dire avec la foule.
8La notion de « programme de vérité » permet de relativiser nos vérités, de reconnaître leur caractère historique. Toutefois, elle est insuffisante pour cerner ce qui différencie, fondamentalement, les deux conceptions du spectateur que nous cherchons à déterminer. Pour cela, nous pouvons faire appel à un autre auteur, un anthropologue cette fois, Louis Dumont. Dans ses Essais sur l’individualisme, celui-ci oppose deux idéologies qu’il baptise des termes de holisme et d’individualisme11. La première « valorise la totalité sociale et néglige ou subordonne l’individu humain12 ». Elle forme le socle des sociétés traditionnelles, basées sur la famille et la hiérarchie religieuse, dont l’Inde lui avait déjà donné un exemple dans une étude antérieure13. La seconde, qui correspond et est spécifique à l’idéologie moderne occidentale – ce qui est un pléonasme, en ce sens que l’invention de la modernité caractérise justement l’Occident par rapport aux autres cultures –, propose exactement l’inverse. Elle valorise donc l’individu aux dépens de la totalité, chacun étant en principe libre et égal aux autres. N’est-ce-pas là, d’une certaine manière, ce qui distingue la perspective de Moussinac et des docteurs Toulouse et Mourgue de celle que défendent Ancona et Renzi ? Dans le premier cas, c’est la réaction de la foule qui est valorisée, dans le second, au sein du public, l’attitude de chaque individu.
9Cela ne signifie pas, pour revenir à ces deux idéologies, que lorsque l’une s’impose, l’autre disparaisse totalement. Sensible à la montée de l’individualisme à la fin du dix-neuvième siècle, qui semble prendre le pas nettement sur le communautarisme, Emile Durkheim considérait que « c’est un phénomène qui ne commence nulle part, mais qui se développe, sans s’arrêter, tout au long de l’histoire14 », qui a donc toujours eu sa place dans les sociétés humaines, même de manière réduite. Mais dans le même temps, il défend l’idée que son triomphe dans la civilisation occidentale n’empêche pas l’existence d’une nouvelle forme de solidarité sociale fondée sur la division du travail. C’est qu’il y aurait toujours en l’homme deux consciences, plus ou moins développées selon le type de société où il vit :
« L’une ne contient que des états qui sont personnels à chacun de nous et qui nous caractérisent, tandis que les états que comprend l’autre sont communs à toute la société. La première ne représente que notre personnalité individuelle et la constitue ; la seconde représente le type collectif et, par conséquent, la société sans laquelle il n’existerait pas15. »
10Comme l’a aussi montré Norbert Elias, le processus d’individuation est fonction de nos relations aux autres, de notre appartenance à la société16. Ce n’est qu’en son sein que notre individualité peut se construire, c’est même des relations sociales qu’elle procède, dans le même mouvement que celles-ci nous rassemblent : « La société n’est pas seulement le facteur de caractérisation et d’uniformisation, elle est aussi le facteur d’individualisation17 ». Le « je » et le « nous » sont inextricablement liés et ne peuvent être pensés séparément, même si selon le type d’organisation sociale, une relation déséquilibrée peut s’instaurer entre eux. Ce n’est donc pas parce que l’on se trouve dans une société individualiste, comme la nôtre, que la totalité sociale disparaît et ne peut plus être un horizon qui puisse même être éventuellement recherché. C’est, par exemple, l’expérience vécue par celui qui se révolte pour défendre ses droits, selon un processus décrit par Albert Camus : « L’affirmation impliquée dans tout acte de révolte s’étend à quelque chose qui déborde l’individu dans la mesure où elle le tire de sa solitude supposée et le fournit d’une raison d’agir18 ». Ce quelque chose qui le déborde, c’est la conscience de la solidarité des hommes face à l’absurdité du monde : « Dans l’expérience absurde, la souffrance est individuelle. À partir du mouvement de révolte, elle a conscience d’être collective, elle est l’aventure de tous19 ». D’où cette formule célèbre, où l’individu, toutefois, reste premier : « Je me révolte, donc nous sommes20 ». Le holisme est donc un phénomène qui accompagne l’individualisme, y compris, comme le précise Louis Dumont, sous la forme du totalitarisme politique :
« Le totalitarisme exprime de manière dramatique quelque chose que l’on retrouve toujours de nouveau dans le monde contemporain, à savoir que l’individualisme est d’une part tout-puissant et de l’autre perpétuellement et irrémédiablement hanté par son contraire21. »
11Interpréter le privilège accordé à la notion de foule aux dépens de l’individu-spectateur dans la théorie française du cinéma des années vingt comme la preuve que la société de cette époque était holiste serait, toutefois, un contresens historique. En effet, ce qui caractérise l’Occident, c’est d’avoir évolué idéologiquement et structurellement, d’une manière jusqu’à présent irrémédiable, vers une forme d’organisation individualiste. Retraçant cette évolution, Louis Dumont en repère les fondations dès le premier christianisme22. Mais c’est surtout à partir de Saint-Augustin, puis de Calvin, d’Occam et de Machiavel, que petit à petit la religion a été subordonnée au pouvoir politique jusqu’à céder la place directive, lors du dix-huitième siècle, à l’organisation économique du monde, qui s’appuie sur les acquisitions de la science moderne et perdure encore aujourd’hui23. C’est aux hommes désormais d’assumer le fait qu’ils sont responsables de la gestion de la planète, ne pouvant plus se défausser sur une quelconque injustice divine pour expliquer leurs malheurs, ou un quelconque péché originel pour excuser leurs erreurs. Cette organisation doit-elle être fondée sur le sens de la communauté ou sur l’équilibre des intérêts particuliers au sein d’une société favorisant les initiatives individuelles ? Ces deux conceptions – sur lesquelles reposent les modèles politico-économiques du socialisme et du libéralisme – se sont affrontées tout au long du dix-neuvième siècle. On en retrouve la trace dans une étude de Ferdinand Tönnies, datant de 1887, montrant en quoi la communauté diffère de la société. La communauté se base sur les rapports familiaux, la possession de la terre et du sol, elle est l’expression d’une volonté organique et met le Moi en rapport avec le Tout, en une forme d’organisation religieuse ; la société se fonde sur le contrat social qui met la Personne en rapport avec les autres, elle est une organisation économique au sein de laquelle des volontés individuelles réfléchies cherchent à obtenir des biens, à capitaliser l’argent à leur unique profit24. « En un sens général, on pourra parler d’une communauté englobant l’humanité entière, telle que veut l’être l’Eglise. Mais la société humaine est comprise comme une pure juxtaposition d’individus indépendants les uns des autres25 » explique Tönnies, pour qui la seconde forme d’organisation sociale tend à remplacer la première. À son époque, l’organisation sociétale s’incarnerait dans l’essor inéluctable des grandes villes modernes26, tandis que la résistance des classes opprimées, à travers le socialisme, serait une forme de lutte ayant pour but la restauration du droit communautaire27.
12On peut parler d’une réaction holiste, ou communautariste28, accompagnant tout au long du dix-neuvième siècle la mise en place de la société moderne individualiste. Ses formes sont nombreuses : politiques (socialisme, communisme), artistiques (romantisme, wagnérisme), religieuses (occultisme, spiritisme), scientifiques (sociologie, magnétisme et sciences psychiques). Réaction, car il s’agissait d’aller contre le mouvement de fond qui emporte la civilisation occidentale vers la modernité, c’est-à-dire l’organisation sociétale, individualiste et économique d’un monde désormais sans Dieu. Réaction aussi, au sens où c’est ainsi qu’aujourd’hui, on peut considérer ces mouvements qui se sont progressivement éteints les uns après les autres, pour laisser place à la société à dominante individualiste que nous connaissons. Mais au moment où elle est apparue, cette « réaction » se voulait progrès, tendue vers un avenir à créer, que certains espéraient même radieux. Elle fut entreprise, de différentes manières, pour offrir aux hommes, dans un futur plus ou moins proche, une forme nouvelle de communautarisme, donc aussi une nouvelle religiosité, tout en assumant le fait fondamental de l’effondrement du Catholicisme et de l’Ancien Régime. Elle a été une réponse, qui possède encore certains avatars contemporains, à la question qui s’est posée lorsque l’événement de la mort de Dieu a frappé le monde occidental. Comment vivre ensemble, désormais, dans l’immanence du monde ? Comment organiser, entre les individus et les peuples, la vie sur la Terre ?
Historicité de la notion de spectateur
13En quoi ce retour sur l’opposition entre holisme et individualisme, ou entre communauté et société, concerne-t-il un ouvrage de théorie du cinéma ? C’est que nous ne proposons pas du cinéma, de son histoire et des théories qui l’ont accompagné, une vision qui l’isole du contexte dans lequel il s’inscrit. Au contraire, nous essaierons de montrer comment il se situe dans ce contexte aux multiples dimensions, notamment en fonction de cette problématique, si importante à l’époque, des rapports entre individu et communauté. Peut-être peut-on rapprocher cette recherche, sur le plan de la méthode adoptée, de la notion de « paradigme indiciaire » dégagée par Carlo Ginzburg ? Nous sommes bien en quête d’indices divers, appartenant à des domaines apparemment hétérogènes – sciences humaines, histoire de l’art, musicologie, politique, hypnologie, occultisme, etc. – qui peuvent être rapprochés des textes théoriques consacrés au cinéma lors de la période muette pour expliquer certaines de leurs formulations, et surtout pour tenter de reconstituer dans sa totalité, à la manière du chasseur de Ginzburg, l’organisme qui a laissé ces traces29.
14C’est ainsi que nous tenterons de reconstituer, par contraste avec notre propre conception, l’image du spectateur de films proposée à l’époque. La comparaison avec le passé, ou avec un ailleurs culturel, a parfois cette utilité qu’elle permet de relativiser la situation présente. Le détour par l’Inde a par exemple permis à Louis Dumont d’adopter un point de vue extérieur sur la société occidentale, d’où celle-ci, en retour, lui est apparue sous un nouveau jour30. Il en est de même en ce qui concerne le problème qui nous préoccupe. La plupart des textes cherchant à retracer la manière dont la question du spectateur a été abordée par la théorie du cinéma en situent l’origine après la seconde guerre mondiale, avec les expériences de l’Institut de Filmologie, voire plus tard encore, à partir de la sémiologie et du virage vers la psychanalyse opéré par Christian Metz31. De ce point de vue, la période muette, comme les années trente, n’aurait proposé que des tentatives éparses, œuvres de précurseurs isolés ou de groupes dont les recherches n’auraient pas eu de suite. C’est ainsi qu’apparaissent parfois les travaux d’Hugo Münsterberg, et plus généralement des psychologues qui furent liés à la Gestalttheory, comme Rudolf Arnheim. Pour Laurent Jullier par exemple, l’ouvrage de Münsterberg, The Photoplay, qui date de 1916, apparaît comme « un étonnant OVNI théorique, annonciateur de l’approche cognitiviste au cinéma32 ». De même, le livre de William Marton Seabury The Public and the motion picture industry et les Payne Fund Studies font figure d’ancêtres, ou de première approche, de l’étude sociologique des publics. Toutefois, selon Christian-Marc Bosséno, « malgré son titre prometteur, The Public and the motion picture industry de William Marton Seabury (1926), un des premiers traités complets consacrés au public, fait pratiquement l’impasse sur le spectateur ». Si bien d’ailleurs qu’« il faut attendre le développement des sondages et enquêtes d’opinion, dans les années quarante, pour qu’une approche qualitative, et non plus strictement quantitative, du public voit le jour33 ». Parmi les cinématographies nationales de la période muette, seul le cinéma soviétique semblerait, en fait, avoir pris en compte de manière systématique la question du spectateur, autour du problème de l’efficience des images, à partir des recherches de la réflexologie pavlovienne. C’est pourquoi Jacques Aumont, après avoir étudié en détail cette question dans la théorie eisensteinienne34, met en valeur les recherches de Koulechov, Poudovkine, Eisenstein et Vertov autour du « façonnage » du spectateur, indiquant tout de même que la volonté d’influencer le spectateur apparaît aussi chez Griffith, dans le cinéma français de la « première avant-garde » et dans le cinéma expressionniste allemand, mais de manière plus vague35.
15Nous ne sommes pas forcément en désaccord avec cette manière de raconter l’histoire du spectateur dans la théorie du cinéma, pour autant que soit rendu conscient le fait qu’il s’agit de l’histoire du spectateur comme individu, soit du spectateur tel qu’il nous apparaît aujourd’hui. C’est le spectateur comme individu que la psychologie, la psychanalyse, la phénoménologie ou la sémiologie prennent en compte et étudient depuis les années 1950-1960. Certes, parmi les sciences humaines, certaines – sociologie, gender et cultural studies, ethnologie, anthropologie – étudient le rôle des groupes sociaux et de l’appartenance à des communautés raciales, sexuelles ou culturelles sur la réception filmique. Elles envisagent alors le spectateur en fonction des contextes de réception dans lesquels il s’inscrit, ou considèrent des ensembles de spectateurs correspondant aux découpages significatifs des populations qu’elles étudient. Néanmoins, il s’agit là surtout de perspectives qui permettent de préciser ce qui rattache chaque individu, d’une manière relative, à ces ensembles qui le construisent aussi. L’individu reste premier, c’est par rapport à lui que sont effectuées ces recherches, pour comprendre ce qui détermine ses choix, ses réactions ou ses habitudes par rapport au spectacle cinématographique. En aucun cas, il ne se dissout d’ailleurs complètement au sein de ces regroupements, ce que ces disciplines sont prêtes à reconnaître du fait qu’il est dans la nature du savoir qu’elles proposent de ne présenter qu’un aspect parcellaire de l’être humain. Tout sociologue sait qu’une théoricienne féministe, ou qu’un ethnologue, aurait aussi son mot à dire sur le même individu-spectateur, et vice-versa. Celui-ci ne peut se réduire, dans les sociétés occidentales qui valorisent la sphère privée et la revendication de la personnalité, à la combinaison de faisceaux que l’on peut projeter sur lui.
16C’est aussi pourquoi nous pensons aujourd’hui que l’individu-spectateur, dans sa singularité, échappe toujours un peu aux influences diverses qui le conditionnent. Certes, il n’est pas question de nier que certains films font montre d’une volonté plus ou moins ostensible d’action efficace et uniforme sur le psychisme des spectateurs, qui garantirait leur succès. Telle paraît être, exemplairement, la logique des block-busters hollywoodiens, qui s’adressent aux publics du monde entier36. Il est même toujours possible de discerner la propagande sournoise qui se cache derrière le divertissement souriant. Mais il est caractéristique de notre époque d’une part que ce phénomène soit jugé systématiquement de manière péjorative, comme un danger pour l’individu, et d’autre part que l’on insiste aussi sur le fait que cette logique est régulièrement mise à mal par les individus eux-mêmes, qui n’en sont pas entièrement dupes. Evoquant la consommation de masse, Michel de Certeau rappelle que l’on a tort de croire à une aliénation totale de la liberté de choix individuelle : « On suppose qu’“assimile” signifie nécessairement “devenir semblable à” ce qu’on absorbe, et non le “rendre semblable” à ce qu’on est, le faire sien, se l’approprier ou réapproprier37 ». De même, pour Jacques Rancière, un spectateur reste toujours un individu disposant d’un certain libre-arbitre face aux images, qui garantit sa singularité. D’où le fait qu’« il nous faut mettre en question ces identifications de l’usage des images avec l’idolâtrie, l’ignorance ou la passivité si nous voulons porter un regard nouveau sur ce que les images sont, ce qu’elles font et les effets qu’elles produisent38 ». Enfin, pour Gilles Lipovetsky et Jean Serroy, dans notre monde d’hyperconsommation, qui est aussi celui de l’hyperindividualisme, la multiplication des écrans qui procèdent tous, dans leur logique spectaculaire, du modèle-cinéma, a favorisé l’individualisme aux dépens du moutonnement grégaire :
« L’époque des mass médias fondés sur la communication pyramidale à sens unique, qui a nourri la théorie du spectacle, fait de plus en plus place à un sujet interactif, à une communication individualisée, autoproduite et hors échange marchand. L’écran global s’impose comme un instrument adapté aux besoins particuliers de chacun : après le mode de communication du un vers tous, celui du tous vers tous ; après les médias de masse, l’avènement du self-média39. »
17Il n’est pas question, en tout cas, de considérer la dissipation de l’individualité comme un but à atteindre. Toute la difficulté, pour nous qui nageons dans cette affirmation sans cesse renouvelée de notre individualité, consiste donc à comprendre que, d’une manière qu’il faudra préciser, c’était l’intégration de chacun dans une foule unanime qui faisait justement tout l’intérêt du cinéma pour les théoriciens des années vingt.
18Ce que l’on appelle histoire du spectateur dans la théorie du cinéma, qui prend la forme précédemment décrite, n’est donc en fait, selon notre hypothèse, que l’histoire de la notion de spectateur comme individu. C’est une histoire envisagée à partir de la perspective qui est la nôtre, qui ne correspond qu’à notre conception du spectateur. Elle est sans doute, de ce point de vue, parfaitement valable. Mais elle a tendance à laisser penser qu’il n’y a que cette manière de considérer le spectateur. Il n’est pas très grave que les expériences de Toulouse et Mourgue aient été oubliées, en tant que telles. Mais ce qu’il importe de comprendre, c’est que l’interprétation proposée par eux et par Moussinac des résultats obtenus suggère qu’ils se réfèrent à une autre conception du spectateur, que nous ne partageons plus puisque nous pensons aujourd’hui le spectateur d’abord comme un individu40. C’est cette autre conception du spectateur, qui sous-tend tout le rapport proposé par la théorie du cinéma de cette époque à la question de la réception filmique, que nous voulons explorer ici. Ou, si l’on tient absolument à ce que le spectateur ne puisse être que le spectateur comme individu, c’est le fait que la question de la réception filmique n’était pas ignorée lors de la période muette, contrairement à ce que l’on affirme parfois, mais qu’elle était pensée autrement. Elle était même d’une importance centrale, qu’elle n’a sans doute jamais retrouvée depuis, mais elle reposait – du moins pour la théorie française – sur la notion de foule. Il nous faut donc revenir sur le préjugé selon lequel la question de la réception filmique n’aurait donné lieu, de la part des théoriciens de la période muette, qu’à des anticipations balbutiantes, notamment parce qu’ils ne possédaient pas les méthodes dont nous disposons aujourd’hui, grâce à l’application des sciences humaines au cinéma, pour apprécier cette réception filmique. C’est plutôt que l’utilisation de ces méthodes disciplinaires n’a été rendue possible que parce qu’elles correspondent à cette autre conception du spectateur qui est la nôtre, qui a certes évoluée dans ses détails depuis qu’elle est apparue, après la seconde guerre mondiale, mais qui demeure centrée sur l’idée que le spectateur est d’abord un individu. Aussi, aux questionnements abondants depuis le congrès de Brighton (1978) sur le spectateur de la période muette – quelle était sa place implicite dans les films des premiers temps, puis dans le cinéma narratif classique ? Comment était composé sociologiquement le public ? –, nous proposons un autre type d’interrogation : quelle fut la conception du spectateur sur laquelle reposait la théorie de la réception filmique de l’époque muette en France ?
D’étranges formules…
19La différence, l’écart ou, pour mieux dire, le fossé qui sépare notre conception du spectateur comme individu et celle du spectateur comme « homme de la foule », qui caractérise la théorie du cinéma de la période muette en France – du moins une partie significative de cette entreprise de théorisation et de cette période –, se révèle dans le caractère d’étrangeté – à nos yeux – de certaines formules qui revenaient régulièrement à l’époque pour qualifier le cinéma : « art des foules », « espéranto visuel », « langage universel », « art unanimiste », « art spirite »… Grandiloquentes, utopiques, elles nous semblent aujourd’hui presque puériles, par leur optimisme et leur naïveté. Deleuze remarquait que les enthousiasmes de Gance, d’Elie Faure, de Vertov ou d’Eisenstein font sourire, ajoutant : « À quel point les grandes déclarations, d’Eisenstein, de Gance, sonnent étranges aujourd’hui : on les garde comme des déclarations de musée, tous les espoirs mis dans le cinéma, art des masses et nouvelle pensée41 ». Elles ont d’ailleurs été longtemps abandonnées à leur sort, mentionnées comme des curiosités d’un autre temps qu’il n’est pas nécessaire d’interroger, ou qu’il est même préférable d’esquiver pour ne pas accabler ceux qui les défendaient42. Ces formules, certes, ne sont pas totalement tombées dans l’oubli. Dès l’ouverture de son ouvrage didactique sur la période muette, Michel Marie, par exemple, rappelle la tendance universaliste du cinéma de cette époque, qui explique son caractère panthéiste43. Youssef Ishaghpour parle de « conception lyricomystique44 », donnant en exemple Elie Faure. Mais ils ne s’y attardent guère, préférant s’intéresser à la manière dont le cinéma s’est constitué comme un objet digne de réflexion autour de sa problématique autonomisation comme art et de sa participation à la modernité. De même, dans les ouvrages focalisés sur le cinéma français, elles sont la plupart du temps reléguées au second plan, évoquées au passage en fonction d’autres problèmes, ou tout simplement ignorées. Nulle part, la question de la foule ou la notion d’espéranto visuel n’apparaissent dans l’ouvrage de Nourredine Ghali sur les théories françaises des années 192045. Certes, dans les travaux consacrés aux rapports entre cinéma et avant-gardes picturales, par Standish D. Lawder ou Patrick de Haas, la notion de Gesamtkunstwerk wagnérienne, le symbolisme ou encore le thème de la synesthésie sont évoqués comme les sources de certaines œuvres de Kandinsky, Schoënberg, Eggeling, Richter ou Ruttmann46. François Albera cite le texte d’Apollinaire « L’esprit nouveau et les poètes » où celui-ci s’extasie sur la capacité du cinéma à faire communier les spectateurs, ainsi que le double mouvement de fascination et de répulsion pour la foule qui anime les réflexions de Delluc ou de Léger47. Dans French film theory and criticism, Richard Abel note, quant à lui, que le thème universaliste revient chez les critiques et théoriciens situés politiquement à gauche, citant en exemple, avant même la première guerre mondiale, Yhcam pour qui le cinéma serait un équivalent de l’espéranto48, ou l’ingénieur de Pathé François Dussaud qui y voit un facteur de paix universelle. Mais son jugement est sans appel :
« Ici, le désir d’inverser le processus de l’aliénation de l’art au sein de la société capitaliste et de le réintégrer dans une vraie communauté sociale trouve, en quelque sorte, son fondement dans une forme de naïveté et de nostalgie. En effet, il ignore amplement, comme les premiers ciné-clubs français le feront par la suite, les forces socio-économiques contrôlant la production et la distribution des films49. »
20On doit tout de même à une nouvelle génération d’historiens une évocation conséquente de ces formules, qui ne règle pas leur compte immédiatement par des jugements dépréciatifs. Laurent Véray, Christophe Gauthier et surtout Laurent Guido, dans son ouvrage L’Âge du rythme50, ont ainsi entrepris de reconsidérer cette période, notamment à la lumière de l’influence du symbolisme ou de la théorie wagnérienne de l’œuvre d’art totale. Cela leur a permis de relever l’importance du thème de la foule, de l’unanimisme ou du cinéma comme langage universel, chez des cinéastes comme Gance, Dulac, L’Herbier, et plus largement dans l’ensemble des textes théoriques produits à cette époque. Ces analyses peuvent être interprétées de deux manières : comme des illustrations d’une tendance historiciste moderne, débarrassée des jugements de valeur des historiens du passé, comme Sadoul, répondant à la perspective foucaldienne d’une archéologie du savoir. Mais aussi comme le symptôme d’un renouveau de l’intérêt pour le spiritualisme, après des décennies de déconsidération due à la prégnance de la pensée matérialiste (marxiste, structuraliste et/ou psychanalytique), qui n’est pas sans offrir quelques renseignements sur notre monde. Jean Rousset écrivait à propos du dix-septième siècle, lorsqu’il eut des doutes sur la validité du concept de baroque : « C’est nous-mêmes que nous contemplons dans ce dix-septième siècle que nous créons à notre image, ce sont nos déchirements et nos enthousiasmes, nos goûts et nos expériences51 ». Peut-être en est-il de même en ce qui concerne cette relecture des textes théoriques de l’époque muette ? En cela, elle serait symptomatique de la prise de conscience actuelle du fait que notre conception individualiste de l’être humain, qui se dressait depuis la seconde guerre mondiale comme un garde-fou contre les méfaits de l’endoctrinement des masses, risque elle-même à son tour de représenter un danger pour la civilisation.
21Quoi qu’il en soit, ces étranges formules, si souvent répétées, ne peuvent être ignorées si l’on veut comprendre de quelle manière le cinéma a été théorisé à cette époque. Elles renvoient les unes aux autres, formant une armature idéologique ancrée dans la réaction holistique, post-romantique, spiritualiste, au sein de laquelle le cinéma a été entraîné. Un point de méthode est toutefois nécessaire ici afin d’expliquer la façon dont nous souhaitons procéder pour estimer le rapport entre le cinéma naissant et cette réaction holistique. Les historiens nous ont accoutumés à l’idée selon laquelle le cinéma a emprunté aux expériences scientifiques, aux spectacles et aux arts existants avant lui de nombreux aspects pratiques et concepts théoriques. Peu à peu, les racines qui ont nourri cette invention de la fin du dix-neuvième siècle ont été découvertes, déterrées, dépoussiérées : la photographie, les expériences scientifiques sur le mouvement, le roman gothique ou fantastique, la peinture impressionniste, l’opéra, le vaudeville, les spectacles de lanternes magiques, les panoramas, la pantomime, la danse, etc. On a reconnu que le dix-neuvième siècle, à travers le cinéma, s’est en quelque sorte prolongé dans le siècle suivant. Le cinéma est « l’affaire du dix-neuvième siècle, mais qui s’est résolue au vingtième », affirme Godard dans Histoire(s) du cinéma52.
22Toutefois, cette perspective rétroactive présente le danger de masquer quelque peu le fait qu’au sein de ce contexte culturel, le cinéma était quelque chose de nouveau. On reconnaîtra là une des formes de la critique bergsonienne de l’illusion engendrée par le mouvement rétrograde du vrai. Celle-ci porte, d’une part, sur le fait que nous projetons dans le passé nos préoccupations présentes, ce qui implique non seulement que nous y sélectionnions certains faits, mais même que nous construisions ces faits, qui n’existaient pas en tant que tels à l’époque53. Une telle illusion est, d’une certaine manière, consubstantielle à la recherche historique. C’est ce qui permet aussi à cette recherche d’évoluer, en soumettant l’histoire à des questions différentes, selon les perspectives nouvelles engendrées par chaque époque. D’autre part et surtout, Bergson constate qu’eu égard à deux styles passés, il est toujours possible de trouver le second préfiguré dans le premier. Il prend l’exemple du romantisme qui, parce qu’il a existé, semble s’originer dans le classicisme pour nous qui savons que l’un a succédé à l’autre. « Rétroactivement il a créé sa propre préfiguration dans le passé, et une explication de lui-même par ses antécédents54 ». Mais à l’époque classique, nul n’aurait pu prédire la venue du romantisme, car il était essentiellement nouveau et donc tout simplement inconcevable.
23Aussi, si nous voulons restituer au cinéma son caractère de nouveauté, attesté notamment par les textes de l’époque où l’on se demande ce que deviendra cette invention, il convient d’aborder ces textes d’une manière sensiblement différente de celle qui consiste à s’en tenir à l’identification des éventuelles influences au passé. Certes, les écrits théoriques d’alors, et les étranges formules que l’on y trouve, renvoient à ce passé. Mais ce qu’il importe de saisir, c’est en quoi le cinéma a semblé permettre de prolonger la réaction holistique vers l’avenir, en la faisant éventuellement évoluer en fonction de ses ressources propres. Au lieu, donc, de se demander ce qui a influencé le cinéma naissant, il convient plutôt d’inverser le sens de la question et de se demander, de manière à être plus fidèle à la façon dont les problèmes se sont posés pour les théoriciens de l’époque : quel rôle le cinéma a-t-il joué par rapport à ce qui existait ? Que pouvait-il apporter relativement aux problèmes posés ? Qu’offrait-il de nouveau ?
Du problème de la foule à la question de l’art
24Nous avons choisi l’une des formules canoniques les plus couramment utilisées dans la théorie française du cinéma de l’époque muette comme titre de cet ouvrage : l’art des foules. Le cinéma est l’art qui appartient aux foules, qui s’adresse à elles, qui les concerne ou qui les représente. Si le terme de spectateur est peu utilisé à l’époque, c’est qu’à la place, c’est celui de foule qui apparaît. L’utilisation récurrente du mot « foule » n’est évidemment pas l’apanage de la théorie du cinéma, même si la formule « art des foules » laisse présager que ce qui caractérise le cinéma, par rapport aux autres arts, est justement son lien avec elles. Mais c’est surtout la psychologie sociale qui s’en est servi, et qui a étudié le phénomène. Elle lui doit d’ailleurs son existence, d’abord sous la forme de la psychologie des foules. Aussi, c’est à une confrontation entre la théorie du cinéma et cette psychologie des foules, dont les naissances sont contemporaines, que nous invitons ici. Au sein des études cinématographiques, elle a, pour le moment, été peu envisagée. Laurent Guido, par exemple, ne mentionne pas la psychologie des foules, alors qu’il a su insister sur l’importance du caractère collectif du spectacle cinématographique dans la théorie française des années 1920. Pierre Sorlin ou Emmanuel Ethis, qui se sont placés dans la perspective d’une sociologie du cinéma, font également l’impasse sur cette question55. Lorsqu’un parallèle est dressé entre ces deux domaines en gestation, on s’arrête souvent, côté psychologie sociale, à la figure de Gustave Le Bon, et à son ouvrage Psychologie des foules, paru d’ailleurs en 189556. Or, nous verrons que pour qui veut comprendre ce qui était en jeu à cette époque, cette référence est non seulement insuffisante, mais surtout pernicieuse, du fait qu’elle masque les autres approches. Il y a donc là une lacune à combler, doublement d’ailleurs car, de façon moins surprenante, les sciences sociales, si elles se sont depuis longtemps préoccupées des médias en général et de leur place essentielle dans la société occidentale depuis le dix-neuvième siècle, ont toutefois largement ignoré l’importance et la spécificité du cinéma par rapport à la question de la foule telle qu’elle s’est posée au début du vingtième siècle. Pour trouver des travaux qui étudient cet aspect, il faut plutôt se tourner vers les écrits anglo-saxons, où la question de la réception médiatique a depuis longtemps trouvé sa place et engagé des recherches universitaires conséquentes et nuancées. À cet égard, mentionnons l’ouvrage de Richard Butsch The Citizen audience, paru en 200857. Comme le nôtre, mais dans le cadre américain, il retrace l’évolution des discours sur la réception filmique (mais également radiophonique et télévisuelle). Il insiste notamment sur l’importance de la notion de foule lors de la période muette, montrant ce qu’elle doit à la psychologie des foules développée en France (Le Bon, Tarde) à travers sa reprise par les sociologues locaux comme Park ou Sidis. Nous proposons, quant à nous, de montrer que l’idée de foule n’avait pas, en France, qu’une acception négative, d’où son importance dans les écrits sur le cinéma de cette époque, et le fait que l’on pensait qu’en tant qu’art des foules, le cinéma pourrait avoir un rôle majeur à jouer par rapport aux problèmes sociaux posés dans les grandes villes.
25L’une des thèses de notre livre consiste en effet à considérer que ce rôle, le cinéma ne pouvait le tenir pleinement qu’en devenant un art. La question de l’artisticité du cinéma nous semble en effet éminemment liée, dans les textes théoriques de la période muette, à celle de la foule58. L’hypothèse que nous tenterons de démontrer consiste à dire que le cinéma a été voulu art notamment pour répondre au problème que pose la foule. Nous ne prétendons pas trouver là la seule raison de cette qualification du cinéma comme art. Néanmoins, en revenant sur les différentes explications qui ont été proposées par rapport à ce problème, qui toutes soulèvent certains points importants, nous montrerons qu’elles négligent tout de même cet aspect fondamental, qui fut pourtant au cœur des textes théoriques de l’époque. Ainsi, là encore, nous proposons une formulation nouvelle au problème historico-théorique de l’artisticité du cinéma. Non plus pourquoi, ou comment, le cinéma est-il devenu un art ? Mais : pourquoi a-t-on voulu que le cinéma devienne un art, sous cette forme ?
26Il est rare qu’un ouvrage revenant sur l’origine du cinéma n’évoque pas la question de son artisticité. On pourrait même dire que le retour à l’origine n’est souvent qu’un biais par lequel reposer cette question qui demeure d’actualité : le cinéma est-il un art ? Serait-ce le mythe de la pureté originelle qui enjoint certains théoriciens à remonter à l’origine du cinéma pour s’assurer qu’il est bien un art, et trouver des directions auxquelles se conformer pour qu’il demeure fidèle à cette vocation en péril ? Tel semble être le cas, dans certains ouvrages récents qui font le constat des menaces nombreuses pesant sur l’idée de cinéma comme art : la médiocrité de la production commerciale, « qui vise à appâter, à flatter, à séduire, à convaincre, à endormir des spectateurs pris dans un rapport de clientélisme59 », l’expansion de ces « concurrents audiovisuels de plus en plus attrayants60 » que sont les jeux vidéos, la « prolifération technologique61 » qui modifie la réception du film par le spectateur, du fait de l’apparition de la télévision, du magnétoscope, du DVD et d’internet, menaçant la magie du spectacle. Le défi posé, dans ces conditions, au cinéma comme art, semble passer par une réappropriation de ses données originelles : sa capacité à montrer la réalité (la voie Lumière, revendiquée par François Laplantine), son caractère magique (la voie Méliès, défendue par Maxime Scheinfeigel), son aptitude à se présenter comme un spectacle total incluant éventuellement le relief (Laurence Alfonsi).
27Mais que le cinéma soit devenu un art est tout de même aussi un fait historique. Certes, nous employons encore parfois l’expression « Septième Art », inventée par Canudo en 191962. Mais nous ne pensons pas que l’on puisse, comme Jean-Yves Chateau le propose, s’en servir comme un acquis qu’il conviendrait simplement de repenser pour que le cinéma demeure l’art qui synthétise les autres63. Il nous semble au contraire que cette formule doit être mise en perspective historiquement pour déterminer ce qu’elle signifiait pour Canudo et ceux qui l’ont reprise par la suite, et que soit rappelée la manière dont le cinéma a alors été voulu art notamment à travers elle. En adoptant cette position, nous espérons pouvoir expliquer la mélancolie qui habite les ouvrages évoqués plus haut – même s’ils cherchent à lutter contre – du fait de la précarité de l’artisticité du cinéma dans le monde contemporain. Quelque chose, en effet, semble s’être perdu, presque irrémédiablement, que l’on cherche vainement à retrouver : sans doute, une certaine manière de concevoir le cinéma comme art. Jean-Louis Leutrat notait que le cinéma est un art au caractère « précaire », « transitoire64 ». « Il existe une connivence entre le cinéma et la mélancolie65 » affirme l’auteur de Vie des fantômes, donnant comme exemples Hitler, un film d’Allemagne de Syberberg et Histoire(s) du cinéma de Godard, œuvres où s’exprime ce sentiment. Art nouveau né dans le monde vieillissant de la Belle Epoque, dit-on parfois… Mais le cinéma fut surtout un spectacle voulu artistique selon une conception de l’art appartenant à ce monde vieillissant qui chercha, à travers ce qu’il appela le « Septième Art », à se prolonger dans une modernité rompant pourtant avec son cadre idéologique. On peut se demander si la greffe a bien pris. Si nous devions juger que tel n’est pas le cas, il faudrait alors admettre que par-delà le cinéma, et peut-être en partie à travers lui, comme le laissait d’ailleurs entendre Walter Benjamin dans L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, quelque chose de plus vaste encore s’est perdu : l’art lui-même, ou du moins une certaine conception de l’art. Le cinéma serait-il en partie responsable de la disparition du cadre idéologique qui lui a pourtant conféré, de la plus haute manière qui soit, le statut d’art ? La mélancolie qui habite ceux pour qui le cinéma n’a de valeur et d’intérêt qu’à demeurer un art ne trouve-t-elle pas là son ressort profond ?
Précisions sur la délimitation du champ de recherche
28Nous avons choisi de limiter notre étude à la période muette en France. Il y a principalement deux raisons à cela. La première est dictée par cette période même qui constitue, autour de la question de la foule et de la naissance de l’idée de cinéma comme art, un nœud problématique suffisamment conséquent pour être étudié en soi. Des études pourraient être proposées sur les autres grandes cinématographies nationales du temps du muet. On trouverait sans doute des points communs avec la conception française, mais aussi des différences. La question de la foule est, par exemple, présente dans les textes écrits sur le cinéma par le poète américain Vachel Lindsay, dès les années 191066. Richard Butsch ne mentionne pas ce texte, mais il trouve chez d’autres observateurs (le Révérend H. A. Jump, Jane Addams, Edward A. Ross, certains membres des Payne Fund studies) l’utilisation péjorative du terme de foule, qui est celle des cinéphobes français, ainsi que l’espérance de voir le cinéma participer à un mouvement d’éducation civique par lequel la foule deviendrait public (Hugo Münsterberg, Miriam Hansen)67. Dans ce pays d’immigration qu’était l’Amérique, les spectacles avaient alors la fonction essentielle de créer des citoyens, alors qu’en France, l’importance de la notion d’art donnait une autre ampleur à cette fonction. L’idée de cinéma comme langage universel semble aussi avoir été répandue aux États-Unis, puisqu’elle a été défendue par des personnalités aussi diverses que Griffith, le président Wilson ou encore William Hays68. Néanmoins, par la suite, durant les années 1920, visées universalistes, pacifistes ou éducatives du cinéma ont surtout servi de discours de façade à des manœuvres commerciales, notamment chez Hays qui était chargé de promouvoir le cinéma américain à l’étranger et de lui ouvrir des marchés. La stratégie des majors de répartition des films par genres indique aussi une prise en compte du public dans sa diversité, pour un cinéma conçu essentiellement comme divertissement. Quant à ces deux « contre-sociétés69 » qu’ont été l’URSS et l’Allemagne nazie, le fait qu’elles ont utilisé sciemment le cinéma comme instrument de propagande les a entraînées vers l’idée de masse. Mais il ne faudrait pas pour autant en déduire qu’à chaque pays correspond une conception unique de la réception filmique. Butsch a montré qu’en Amérique, foules, masses et publics forment trois perspectives qui se sont développées en parallèle pour penser la réception médiatique, continuant d’ailleurs à être utilisées aujourd’hui70. Toutefois, on peut penser que chaque pays privilégie plus une conception que les autres, en fonction de ses propres données et problèmes. Ainsi, la question de l’accès à la citoyenneté, essentielle au melting-pot américain, a-t-elle conduit à la glorification de l’idée de public aux dépens de la foule et de la masse. Là-bas, comme le résume Butsch, « les foules étaient composées de mauvais citoyens ; les individus isolés des masses étaient faibles et vulnérables ; les publics étaient de bons citoyens71 ».
29En France, l’idée de foule a prédominé, selon nous en rapport avec la question de l’art. Est-ce à dire que la réception filmique était considérée comme un phénomène nécessairement négatif, à l’image de ce Butsch décrit pour le compte de la théorie américaine ? Nous ne le pensons pas, et c’est pourquoi il nous semble préjudiciable pour la compréhension de ce qui va suivre de reprendre ici les définitions qu’il utilise, à la suite des travaux des sociologues, pour préciser ce que sont foules, masses et publics72. Ces définitions existent, même s’il arrive que les frontières entre elles se brouillent et que les trois termes soient utilisés indistinctement. Au sens strict, la foule est une réunion physique d’individus, la masse est le regroupement psychique d’individus isolés par le biais d’une idée partagée ou d’un médium, le public un même regroupement psychique, mais qui laisse place, contrairement à la masse, à la possibilité de discussions. N’allons pas plus loin pour le moment. Ne condamnons pas l’idée de foule, comme le propose Butsch, à se figer en l’image immuable d’une réunion d’individus de classe sociale inférieure, forcément irrationnelle et violente. Cette vue existe, elle est celle qui nous a été léguée largement par Le Bon. Mais elle n’est pas la seule conception de la foule qui fut proposée, du moins en France. Toute la question consiste pour nous justement à déterminer ce qu’elle fut par ailleurs, en quoi elle pouvait être l’objet d’une évaluation positive, notamment au sein de la théorie du cinéma de l’époque muette. De cette conception, nous nous sommes effectivement infiniment éloignés. C’est pourquoi nulle part mieux que dans la théorie française, il n’est possible de saisir l’altérité radicale de la conception du spectateur de l’époque muette par rapport à la nôtre. D’où le choix de se concentrer sur elle : le précipité idéologique y est le plus pur, parce qu’aussi le plus profondément ancré dans le passé. Il s’est d’ailleurs trouvé oblitéré notamment parce que cette conception laudative de la foule a été recouverte, à la fin de la période muette et dans les années trente, par celles de masse et de public, jusqu’à ne plus être compréhensible dans sa radicalité et se transformer en un objet théorique étrangement lointain.
30La seconde raison est méthodologique. Cet ouvrage doit être considéré comme appartenant à la sphère de la théorie du cinéma. Il se présente comme une perspective hypothétique proposée à partir de certains textes théoriques et critiques produits en France durant la période muette. Il est une tentative de reconstitution, à partir de cet ensemble épars, de l’idéologie qui les sous-tend de manière plus ou moins explicite. C’est pourquoi nous nous concentrerons essentiellement sur des textes, et non sur des analyses de films. Nous verrons d’ailleurs que d’une certaine manière, les auteurs, y compris ceux qui furent aussi cinéastes, nous y invitent. Nous n’avons donc pas la prétention de proposer un ouvrage d’histoire du cinéma retraçant l’ensemble de cette période sous tous ses aspects, qui aurait été entrepris avec le souci exhaustif de compulser des archives, toujours plus nombreuses à mesure que le jeu de renvoi entre elles s’instaure. Peut-être avons-nous craint de finir perdu au milieu de ces « rochers de Sirènes », ces « îles de Calypso73 » que sont les bibliothèques, telles que Dominique Noguez les présente aux chercheurs qui voudraient s’enfouir sous leurs fiches de lecture et ne jamais commencer à en faire la synthèse à travers un travail personnel ? Nous invitons plus ici à une relecture de textes déjà plus ou moins connus qu’à la découverte de perles oubliées dans quelques journaux ou revues d’époque. Mais en même temps, notre problématique implique de rendre compte d’un cadre historique précis, puisque c’est ce cadre historique qui lui donne toute sa signification. C’est pourquoi, aussi, nous avons restreint notre champ d’étude à la seule période du cinéma muet et à la seule école française. Car l’exigence historique à laquelle nous avons souhaité répondre implique un amoncellement de connaissances et de références, afin d’obtenir cette précision essentielle à la validité de la recherche, qui rend difficile une approche plus large embrassant les autres cinématographies nationales ou s’étendant davantage dans le temps74.
Périodisation et dénomination de l’objet d’étude
31« Aucune recherche ne peut se passer de construire ses propres découpes temporelles75 » estime Michèle Lagny, qui rappelle par ailleurs combien la périodisation demande à être entreprise avec prudence, tant l’Histoire est marquée par des discontinuités, des fragmentations, des temporalités non synchrones ne se laissant pas réduire au sein d’ensembles homogènes qui se succéderaient. Cette nécessité de périodisation s’est faite sentir dès la fin de l’âge muet, tandis que déjà, la légitimité du cinéma comme art ayant été acquise, on s’est interrogé sur son histoire. Comment distinguer et dénommer les différentes phases par lesquelles l’idée de cinéma comme art s’est constituée, ainsi que ceux qui l’ont défendue ? Deux témoins privilégiés, qui participèrent à cette histoire, Germaine Dulac et Jacques-B Brunius, ont proposé, chacun à leur manière, différentes classifications et appellations. Pour la première, un changement apparut au moment où les films devinrent plus psychologiques et où l’on se mit à se servir des images pour exprimer les sentiments des personnages. La Roue (1922) d’Abel Gance fut une première étape, entraînant le détachement de réalisateurs novateurs du cinéma commercial, qui constituèrent une avant-garde en 1924. Dulac insiste sur la mise en place d’un réseau de salles spécialisées accompagnant les expériences de ces cinéastes, qui se prolongèrent jusqu’à l’arrivée du parlant76. Brunius, de son côté, est plus détaillé, mais aussi plus partial, dans son appréciation historique : il distingue une première avant-garde, constituée du seul Louis Delluc, puis une seconde, qu’il critique vertement, comprenant Dulac, Gance, Epstein et L’Herbier, une troisième période, débutant en 1923 avec les premiers films de René Clair (Entr’acte) ou de Man Ray (Le Retour à la raison), et enfin une dernière période, entre 1928 et 1930, qui voit les réalisations tardives de Bunuel/Dali et la fin du mouvement77.
32Par la suite, plusieurs historiens se sont penchés sur cette période, tentant à leur tour d’en proposer un découpage adéquat et une qualification appropriée, ou, au contraire, de montrer toutes les ambiguïtés d’une telle entreprise. Il fallait d’abord réhabiliter ce que Brunius appelait avec mépris la seconde avant-garde, victime de jugements de valeur reposant sur une conception moderniste qui ne lui pardonnait pas ses aspects symbolistes. Noël Burch y contribua quelque peu en écrivant un ouvrage sur Marcel L’Herbier78. Puis vinrent les premières études générales : la thèse de David Bordwell French Impressionnism Cinema : film culture, film theory and film style et l’ouvrage de Richard Abel, French cinema, the first wave 1915-192979. Les titres mêmes de ces travaux indiquent la difficulté de qualifier le(s) cinéma(s) de cette époque. Bordwell reprend la terminologie utilisée par Langlois, puis Sadoul, de cinéma « impressionniste ». Le terme avait effectivement été employé par L’Herbier, en rapport avec l’« impressionnisme musical » de Debussy80, par Delluc en lien avec la peinture impressionniste81, et par Dulac, qui parlait d’impressionnisme psychologique82. Il permettait aussi d’opposer le cinéma français au mouvement expressionniste allemand, en l’apparentant à un courant artistique national fort. Mais Richard Abel conteste cette qualification, montrant qu’au sein d’une périodisation qui lui fait découper quatre moments (1907-1914, 1915-1919, 1920-1924 et 1925-1929) plusieurs tendances sont en concurrence : impressionnisme, cinéma narratif dominant, cinéma réaliste, cinéma pur, surréalisme, etc.
33Finalement, les seuls points communs entre ces différentes tentatives de périodisations et de dénominations sont la détermination de la fin du mouvement autour du passage au parlant et l’année 1924. Celle-ci constitue un tournant pour plusieurs raisons. D’une part, parce qu’en quelques mois meurent Ricciotto Canudo (Novembre 1923) et Louis Delluc (Mars 1924), les principaux animateurs de la première période. D’autre part, parce que de nouveaux jeunes cinéastes et quelques artistes réalisent leurs premiers films à ce moment, comme René Clair, Fernand Léger et Man Ray. Enfin, parce que les premières salles spécialisées dans la présentation de films « artistiques » apparaissent. C’est pourquoi, selon Nourredine Ghali, il y a deux avant-gardes, terme qu’il choisit d’utiliser de préférence à « expérimental » qui n’appartient pas au langage de l’époque : la première qui va de 1919 à 1924, puis la seconde qui démarre en 1924 et s’achève en 1930, même si les idées émises au cours de la première phase restent vivaces pendant la seconde83. Pour Christophe Gauthier, de même, elle est une année de rupture, autour de laquelle s’articulent deux temps : le moment de la légitimation du cinéma comme art (1920-1924), puis son instrumentalisation politique en relation avec l’émergence soviétique84. En revanche, il utilise le terme de « cinéphilie », dont ce serait la première vague, pour désigner la façon dont la passion du cinéma gagne certains critiques, théoriciens et réalisateurs, de manière à montrer qu’au-delà de leurs différences, c’est un même mouvement qui s’impose. Mais pas plus cette « première vague cinéphilique » que les termes de « cinéma impressionniste » ou d’« avant-garde » ne paraissent convenir tout à fait pour décrire ce que fut le cinéma français des années 1920 dans ses différents aspects. Comme le remarque François Albera, ces tentatives de définitions ont tendance à occulter une « réalité très composite85 ». Attaché à discuter de la notion d’avant-garde au cinéma, il précise d’ailleurs :
« Si l’on s’en tient au critère qui est le nôtre dans la définition d’un mouvement d’avant-garde, c’est-à-dire d’un mouvement organisé, popularisant sa position par des manifestes, des articles, des manifestations publiques, on ne trouve guère de groupe cinématographique y répondant86. »
34Il est normal de constater que toute définition et toute périodisation sont réductrices de la complexité des faits et de la vie, car tel est, la plupart du temps, le rôle du langage et de l’intellection. Mais, à la suite de Michèle Lagny, nous considérons qu’il est de notre devoir de proposer tout de même une forme de découpage et de qualification, qui témoigne non pas de ce que fut exactement cette période, mais de la manière dont nous la considérons en fonction de notre problématique. Le thème qui nous intéresse – le cinéma comme « art des foules » – nous invite à nous concentrer sur les auteurs qui ont initié le mouvement de théorisation du cinéma comme art. Nous ferons remonter l’origine de cette réflexion à l’année 1908 où, en partie en relation avec l’expérience du Film d’Art, la question du cinéma comme art commence à se poser. Parmi ceux qui s’interrogent sur ce sujet dès cette année, nous privilégierons Canudo. C’est en effet lui qui pose les bases de ce que va être la conception française du cinéma comme Septième Art, dans son texte « Triomphe du cinématographe ». Par la suite, du fait de la première guerre mondiale, durant laquelle l’activité cinématographique hexagonale est fortement réduite et les esprits occupés ailleurs, ce premier frémissement théorique s’estompe. Mais il retrouve de la vigueur vers la fin de la guerre lorsque, à la suite de Canudo, d’autres critiques, théoriciens et cinéastes prennent la relève, avec en première ligne Abel Gance, Emile Vuillermoz et Louis Delluc, puis Marcel L’Herbier, Jean Epstein, Germaine Dulac, Léon Moussinac ou Elie Faure. Nous considérons qu’ils demeurent globalement fidèles au cadre de pensée utilisé par Canudo, malgré des divergences sur certains points, donc qu’il s’agit bien du prolongement de cette position initiale. Ils vont toutefois plus loin dans la manière dont ils considèrent ce qu’apporte le cinéma en fonction de ses propres ressources, car les films, notamment américains, les y incitent.
35Vue d’aujourd’hui, cette conception du cinéma apparaît, à des degrés variables en fonction des individus, comme réactive, en ce sens qu’elle tente fondamentalement de prolonger et de renouveler au vingtième siècle, grâce au cinéma, une conception de l’art et de son rôle dans la société qui remonte à la période romantique. C’est pourquoi nous la baptisons de réaction post-romantique – plutôt qu’holistique – pour rester dans le domaine de l’art. Mais pour ces théoriciens, elle était évidemment progressiste, et c’est ainsi qu’elle est souvent apparue, notamment par rapport à ce qu’était encore le cinéma de divertissement ou d’adaptation littéraire des années 1910. D’où le fait que ce mouvement a parfois été qualifié d’« avant-garde ». Nous le considérons quant à nous, sur le plan idéologique où nous nous situons, comme une arrière-garde, la dernière expression de cette conception du monde romantique qui a d’ailleurs, d’une certaine manière, disparue avec l’échec de cette utopie cinématographique.
36Cette tendance s’impose dans le courant des années 1910 face aux adversaires déclarés du cinéma, les cinéphobes, et à ceux pour qui il n’est qu’un divertissement, voire un moyen d’éducation. Mais à partir de 1923-1924, elle est concurrencée, d’une autre manière, par l’intervention des avant-gardes artistiques dans le champ du cinéma. D’autre part, certains événements culturels majeurs comme la domination de plus en plus pesante de l’économie américaine, la révolution bolchevique et la réception en France des écrits de Freud modifient les données. Dans la seconde partie des années vingt, réaction post-romantique et démarches avant-gardistes s’opposent tout en conservant quelques points communs. Elles vont avoir à faire avec le moment du passage au parlant, entre 1928 et 1930, qui marque la fin des espoirs de la réaction post-romantique, dont l’une des idées principales, celle d’espéranto visuel, s’effondre puisqu’elle était liée à la mutité des images.
37L’aspect général de ce découpage ne doit pas nous empêcher de reconnaître ce qui échappe à ce cadre, c’est-à-dire les particularités individuelles. Par exemple, nous faisons débuter la démarche avant-gardiste en 1923, et pourtant Apollinaire s’inscrit en partie dans cet esprit dès 1917. Louis Delluc fait souvent référence aux formes artistiques passées, comme la tragédie grecque, mais en même temps, il s’émerveille de la photogénie des girls américaines ou des objets modernes. De même, Germaine Dulac a commencé à réaliser des films et à écrire sur le cinéma relativement tôt (1916), d’une manière différente de ce qu’elle deviendra au contact des avant-gardes, avec qui l’entente ne sera d’ailleurs pas parfaite, ce dont témoigne l’affaire de La Coquille et le clergyman. De plus, même s’ils appartenaient à des courants différents, ces individualités se connaissaient, parfois personnellement. Aragon, par exemple, fut proche de Delluc, ce qu’il a raconté dans Aurélien87. C’est pourquoi ce qui importe, plus que la périodisation ou la dénomination, c’est de déterminer dans quel ensemble conceptuel les réflexions s’opèrent, soit de repérer ce qui provient du dix-neuvième siècle et ce qui apparaît au sein du cadre moderniste qui se met en place au début du vingtième. Car c’est dans le passage de l’un à l’autre que se joue l’histoire de cette période.
Notes de bas de page
1 Georg Simmel, « Pont et porte », repris dans Les Grandes villes et la vie de l’esprit, Paris, L’Herne, 2007, p. 47.
2 Léon Moussinac, Naissance du cinéma (1925), Paris, Editions d’aujourd’hui, 1983, p. 172.
3 Ibid., p. 174.
4 Leonardo Ancona, Renzo Carli, La dinamica della partecipazione cinematografica, Milano, Editrice Vita e pensiero, 1968, p. 11. Notre traduction de « Il “gruppo” come situazione cinematografica sembra agire permettendo un riverbero delle motivazioni personali, la cui intensità subisce un aumento ».
5 Ibid., p. 11. Notre traduction de : « Lo spettatore si mantiene in un atteggiamento attivo di fronte allo spettaculo cinematografico, perché l’azione dello stimolo passa attraverso una sua rielaborazione personale, che è resa possibile dalla presenza degli altri spettatori ».
6 Sur la notion d’« horizon d’attente », d’origine littéraire, voir Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978.
7 Nous avons choisi, pour initier cette réflexion, deux exemples symptomatiques de ces deux périodes. Mais cette opposition paradigmatique ne s’est pas faite sans une certaine forme de transition, qu’il n’entre toutefois pas dans le cadre de ce travail d’explorer. Ainsi, au sein de l’Institut de Filmologie, quinze ans avant les recherches d’Ancona et Carli, Etienne Souriau, analysant les résultats d’une expérience sur le rythme, constatait encore que la réaction des spectateurs tend peu à peu en cours de projection vers l’unanimité, avec des pointes lorsque sont montrées des actions collectives. Il en conclut qu’un rythme approprié semble permettre « l’instauration effective d’une psyché commune », ce qui rappelle ce que Toulouse et Mourgue déduisent de leurs résultats (« Rythme et unanimité (compte-rendu d’une expérience) », in L’Univers filmique, Paris, Flammarion, 1953, pp. 203 - 207).
8 Nous emploierons, pour désigner la période allant de 1895 à la fin des années 1920, l’expression « cinéma muet », quoi qu’elle ne rende pas forcément bien compte de ce qu’était le cinéma de cette période où le son (bruitage et musique) et la parole (boniment) ont joué un rôle important. Nous l’utilisons donc par convention, même si l’expression proposée par Michel Chion de « cinéma sourd » est peut-être plus juste, puisque ces gens, à l’intérieur des films, parlent bien, mais qu’effectivement nous ne les entendons pas.
9 Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, Paris, Seuil, 1983.
10 Léon Moussinac, Naissance du cinéma, op. cit., p. 174.
11 Cette opposition apparaît déjà dans un précédent ouvrage de l’auteur, Homo aequalis I, génèse et épanouissement de l’idéologie économique (Paris, Gallimard, 1977), où il limite son analyse à l’apparition au dix-septième siècle de la catégorie autonome d’économie dans la culture occidentale, signe de l’essor de l’individualisme moderne.
12 Louis Dumont, Essais sur l’individualisme, une perspective anthropologique sur l’idéologie moderne, Paris, Seuil, 1983, p. 303.
13 Louis Dumont, Homo hierarchicus, le système des castes et ses implications, Paris, Gallimard, 1966.
14 Emile Durkheim, De la division du travail social, Paris, PUF, 2007, p. 146. Ainsi, dans les sociétés qu’il appelle « primitives », Durkheim explique que l’individualisme est rudimentaire et écrasé par la conscience commune, mais existe tout de même, au moins sous la forme du chef qui se distingue des autres membres du groupe.
15 Ibid., p. 74.
16 La coexistence de l’être-avec et de l’être-pour-soi est aussi une donnée mise en exergue par la phénoménologie, de Heidegger (Etre et temps) à Sartre (L’Être et le néant). Erving Goffman en a donné une interprétation sociologique dans La Mise en scène de la vie quotidienne II, Les relations en public, Paris, Editions de Minuit, 1973.
17 Norbert Elias, La Société des individus, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1991, p. 103.
18 Albert Camus, L’Homme révolté, Paris, Gallimard, 1951, p. 30.
19 Ibid., pp. 37-38.
20 Ibid., p. 38.
21 Louis Dumont, Essais sur l’individualisme, op. cit., p. 30.
22 Son analyse en recoupe d’autres, comme celle de Marcel Gauchet, qui a toutefois précisé leurs différences dans La Condition politique, Paris, Gallimard, 2005, pp. 405-431. Voir aussi Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Paris, Editions Payot & Rivages pour la traduction française, 2007.
23 Symbolisée par la Révolution française, cette transition s’est d’abord concrétisée par la révolution industrielle britannique. Voir Karl Polanyi, La Grande Transformation (1944), Paris, Gallimard, 1983.
24 Voir le tableau récapitulatif proposé par Tönnies dans Communauté et société, catégories fondamentales de la sociologie pure (1887), Paris, Retz CEPL, 1977, p. 219.
25 Ibid., p. 48.
26 Ibid., p. 276.
27 Ibid., pp. 247-248.
28 Le mot « communautarisme » sera utilisé dans le cours de cet ouvrage dans le sens large qui lui était donné à l’époque, et non dans le sens restreint et sectaire qui lui est parfois conféré aujourd’hui, sauf exception indiquée.
29 Carlo Ginzburg, « Traces », in Mythes, emblèmes, traces (1986), Lagrasse, éditions Verdier, 2010. Ginzburg repère la formation de ce paradigme indiciaire justement autour de 1900, période où commence notre enquête, à partir des analyses d’œuvres de Morelli, du personnage de Sherlock Holmes, de la psychanalyse freudienne, de l’anthropologie signalétique de Bertillon et des empreintes digitales de Galton, et plus généralement de l’émergence des sciences humaines.
30 C’est ce qu’il explique dans l’introduction d’Homo hierarchicus, estimant que « les castes nous enseignent un principe social fondamental, la hiérarchie, dont nous modernes avons pris le contrepied, mais qui n’est pas sans intérêt pour comprendre la nature, les limites et les conditions de réalisation de l’égalitarisme moral et politique auquel nous sommes attachés » (Homo hierarchicus, le système des castes et ses implications, op. cit., p. 14).
31 Voir le texte de Jean-Pierre Esquenazi « Le cinéma, un fait social » et celui de Roger Odin « La question du public, approche sémio-pragmatique », in Réseau, « Cinéma et réception », coordonné par Jean-Pierre Esquenazi et Roger Odin, Paris, CENT / HERMES Sciences publication, 2000.
32 Laurent Jullier, Cinéma et cognition, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 8.
33 Christian-Marc Bosséno, « Histoires de voir » in « Le siècle du spectateur », Vertigo, n ° 10, Editions Jean-Michel Place, Paris, 1993. p. 8.
34 Jacques Aumont, Montage Eisenstein, Paris, Images modernes / Jacques Aumont, 2005.
35 Jacques Aumont, Alain Bergala, Michel Marie, Marc Vernet, Esthétique du film, Paris, Editions Fernand Nathan, 1983, pp. 162-165.
36 Sur les stratégies d’exportation des majors hollywoodiennes, voir Nolwenn Mingant, Hollywood à la conquête du monde, marchés, stratégies, influences, Paris, CNRS éditions, 2010.
37 Michel de Certeau, L’Invention du quotidien I, arts de faire, Paris, Gallimard, 1990, pp. 240-241.
38 Jacques Rancière, Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique éditions, 2008, pp. 104-105.
39 Gilles Lipovetski / Jean Serroy, L’écran global, Paris, Seuil, 2007, p. 286.
40 Bien que l’on puisse encore trouver, par exemple chez Gian Piero Brunetta, qu’au cinéma, « l’individu se transforme en foule, en unité collective dans laquelle chaque cellule est partie du même mouvement et répond à l’unisson aux moindres sollicitations » (notre traduction de « l’individuo si transformi in folla, in unità collettiva in cui ogni cellula è partecipe dello stesso movimento e risponde all’unisono alle medesime solleccitazioni », Buio in sala, Venezia, Marsilio editori, 1989, p. 67). Mais cela correspond surtout à une défense du public du cinéma populaire, auquel Brunetta oppose le spectateur intellectuel, solitaire et individualiste qui se rend dans les cinémas « art et essai », dont Christian Metz serait le représentant. On peut constater d’ailleurs que les exemples donnés par Brunetta de textes décrivant les foules cinématographiques sont majoritairement choisis dans la période muette.
41 Gilles Deleuze, L’Image-temps, Paris, Editions de Minuit, 1985, p. 213. Il est tout de même l’un des rares qui a pris au sérieux ces formules et les a réellement discutées, dans une partie de L’Image-temps sur laquelle nous reviendrons au chapitre VI, dédiée à la question des rapports entre cinéma et pensée.
42 Après la seconde guerre mondiale, il n’y a guère qu’Edgar Morin pour reprendre encore à son compte, sur une base anthropologique, l’idée de cinéma comme espéranto, langage gestuel universel (Le cinéma ou l’homme imaginaire, Paris, Editions de Minuit, 1956, pp. 200-201).
43 Michel Marie, Le Cinéma muet, Paris, Cahiers du Cinéma – CNDP, 2005, pp. 14-15.
44 Youssef Ishaghpour, Le Cinéma, Paris, Flammarion, 1996, p. 34.
45 Nourredine Ghali, L’Avant-garde cinématographique en France dans les années vingt, idées, conceptions, théories, Paris, Editions Paris Expérimental, 1995.
46 Standish D. Lawder, Le Cinéma cubiste, Paris, Editions Paris Expérimental, 1994. Patrick de Haas, Cinéma intégral, de la peinture au cinéma dans les années vingt, Paris, Transédition, 1985.
47 François Albera, L’Avant-garde au cinéma, Paris, Armand Colin, 2005, p. 49 et p. 89.
48 Yhcam « La Cinématographie », Ciné-journal no 194, 11 mai 1912, p. 16. Rappelons qu’il s’agit d’un pseudonyme, mais que l’auteur n’a pas été identifié.
49 Richard Abel, French film theory and criticism, 1907-1939, volume 1 (1907-1929), Princeton, Princeton University press, 1988, pp. 13-14. Notre traduction de : « Here the desire to reverse the process of the alienation of art in capitalist society and reintegrate that art into a society of real community, however, foundered on nostalgia and naiveté. For it largely ignored, just as the early French ciné-clubs would do later, the socioeconomic forces controlling film production and distribution »
50 Laurent Guido, L’âge du rythme, Lausanne, Editions Payot, 2007. Surtout le chapitre V, intitulé « Le film, expression renouvelée du rythme collectif », pp. 215-258.
51 Jean Rousset, L’Intérieur et l’extérieur, Paris, José Corti, 1976, p. 242.
52 Jean-Luc Godard, Histoire(s) du cinéma, partie 2a, « Seul le cinéma ».
53 Henri Bergson, La Pensée et le mouvant, Paris, PUF, 2008, pp. 16-18.
54 Ibid., p. 16.
55 Pierre Sorlin, Sociologie du cinéma, ouverture pour l’histoire de demain, Paris, Editions Aubier Montaigne, 1977. Emmanuel Ethis, Sociologie du cinéma et de ses publics, Paris, Armand Colin, 2005.
56 C’est le cas, par exemple, de Loïg Le Bihan, dans sa thèse Du Film au souvenir – esquisse d’une théorie des processus psychiques du spectateur de films (Lille, Loig Le Bihan, 2003) et de Luka Arsenjuk, dans une communication pour le colloque d’Udine de 2009 (« Cinema as mass art », Dall’inizio, alla fine, Teorie del cinema in prospettiva, Udine, Forum, 2010, pp. 465-469).
57 Richard Butsch The Citizen audience, crowds, publics and individuals, New-York, Routledge, 2008.
58 Nous employons le terme d’artisticité, certes pas très agréable, pour dire que nous considérons le cinéma comme art en tant que fait – accepté socialement, pratiqué et théorisé par des metteurs en scènes identifiés comme artistes – et non en raison d’une quelconque nature.
59 François Laplantine, Leçons de cinéma pour notre époque, Paris, Téraèdre/Editions de la revue Murmure, 2007, p. 25.
60 Laurence Alfonsi, Le Cinéma du futur – les enjeux des nouvelles technologies de l’image, Québec/Paris, Presses de l’Université Laval/L’Harmattan, 2005, p. 4.
61 Maxime Scheinfeigel, Cinéma et magie, Paris, Armand Colin, 2008, p. 111.
62 Voir, pour des positions qui discutent ou refusent l’utilisation de cette formule aujourd’hui, Le Septième Art, le cinéma parmi les arts, sous la direction de Jacques Aumont, Paris, Editions Léo Scheer, 2003.
63 Jean-Yves Chateau, Pourquoi un Septième Art ?, cinéma et philosophie, Paris, PUF, 2008.
64 Jean-Louis Leutrat, Vie des fantômes, le fantastique au cinéma, Paris, Editions de l’Etoile/Cahiers du cinéma, 1995, p. 11.
65 Ibid., p. 12.
66 Vachel Lindsay, The Art of cinema (1915), repris dans De la caverne à la pyramide (écrits sur le cinéma 1914-1925), Paris, Méridiens Klincksieck, 2000 pour la traduction française, pp. 79-85.
67 Richard Butsch The Citizen audience, op. cit., pp. 42-47.
68 Voir Jacques Portes, De la scène à l’écran, naissance de la culture de masse aux Etats-Unis, Paris, Belin, 1997, p. 196 sur Wilson et p. 240 sur Hays.
69 Marc Ferro, Cinéma et histoire, Paris, Gallimard, 1993, p. 66.
70 Richard Butsch, The Citizen audience, op. cit., p. 144.
71 Notre traduction de : « Crowds were bad citizens ; mass and isolated individuals were weak and vulnerable citizens ; publics were good citizens », ibid., p. 2.
72 Ibid., pp. 8-19.
73 Dominique Noguez, Comment rater complètement sa vie en onze leçons, Paris, Editions Payot & Rivages, 2002, p. 149.
74 Il faut ajouter à ces raisons, celle plus triviale, mais réelle, de la plus grande facilité dans la connaissance des sources que procure, pour un chercheur français, l’étude du cinéma hexagonal.
75 Michèle Lagny, « Peut-on (et faut-il) mettre de l’ordre dans le temps de l’histoire du cinéma ? », Le età del cinema, XIVème Convegno Internazionale di Studi sul Cinema, Udine, 20-22 Mars 2007, p. 41.
76 Germaine Dulac, « Le cinéma d’avant-garde », dans Le Cinéma des origines à nos jours, sous la direction de Henri Fescourt, Paris, Editions du Cygne, 1931, in Ecrits sur le cinéma (1919-1937), Paris, Editions Paris Experimental, 1994, pp. 182-190.
77 Jacques-B. Brunius, En Marge du cinéma français (1954), Lausanne, L’âge d’homme, 1987, pp. 49-86.
78 Noël Burch, Marcel L’Herbier, Paris, Editions Seghers, 1973.
79 David Bordwell French Impressionnism Cinema : film culture, film theory and film style, University of Iowa, 1974. Richard Abel, French cinema, the first wave 1915-1929, Princeton University Press, 1984.
80 Entretien avec Jean André Fieschi, in Noël Burch, Marcel L’Herbier, op. cit., p. 73.
81 Louis Delluc, « Ramuntcho », Paris-Midi, 1er et 2 février 1919, in Ecrits Cinématographiques II-2, Paris, Cinémathèque française & Editions de l’Etoile / Cahiers du cinéma, 1990, pp. 20-21.
82 Sur ce point, voir François Albera, L’Avant-garde au cinéma, op. cit., p. 128 et pp. 151-152.
83 Nourredine Ghali, L’Avant-garde cinématographique en France dans les années vingt, op. cit., pp. 46-48.
84 Christophe Gauthier, La Passion du cinéma, Cinéphiles, ciné-clubs et salles spécialisées à Paris de 1920 à 1929, Paris, AFRHC/Ecole Nationales des Chartes, 1999, p. 303.
85 François Albera, L’Avant-garde au cinéma, op. cit., p. 86.
86 Ibid., p. 86. La position d’Albera correspond à la conception politique de l’avant-garde, à laquelle s’oppose une conception « large, transhistorique et rétrospective, selon laquelle toute époque engendre son avant-garde artistique » (Nicole Brenez, Cinémas d’avant-garde, Paris, Cahiers du cinéma/CNDP, 2006, p. 5).
87 Dans ce roman publié en 1944, Delluc apparaît sous les traits du docteur Decoeur, dont l’existence est vouée à son amour pour Rose Melrose (personnage inspiré par Eve Francis). Aragon fut en fait surtout lié à Moussinac, l’ami de Delluc.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Régie théâtrale et mise en scène
L'Association des régisseurs de théâtre (1911-1939)
Françoise Pélisson-Karro
2014
L'avenir de la mémoire
Patrimoine, restauration et réemploi cinématographiques
André Habib et Michel Marie (dir.)
2013
Les archives de la mise en scène. Hypermédialités du théâtre
Jean-Marc Larrue et Giusy Pisano (dir.)
2014
Pour un cinéma léger et synchrone !
Invention d'un dispositif à l'Office national du film à Montréal
Vincent Bouchard
2012