Imma, Yeavering, Beowulf. Remarques sur la formation d’une culture aulique dans l’Angleterre du VIIe siècle1
p. 115-129
Note de l’éditeur
Publié dans Romans d’Antiquité et littérature du Nord. Mélanges offerts à Aimé Petit, édités par Sarah Baudelle-Michels, Marie-Madeleine Castellani, Philippe Logié et Emmanuelle Poulain, Paris, Champion, 2007, p. 497-513 ; réédité (avec quelques addenda et corrigenda) dans La Culture du haut Moyen Âge. Une question d’élites ?, sous la direction de François Bougard, Régine Le Jan et Rosamond Mckitterick, Turnhout, Brepols, 2009, p. 239-256.
Texte intégral
(…) Dumque aliquanto tempore apud comitem teneretur, animadverterunt qui eum diligentius considerabant ex vultu et habitu et sermonibus eius quia non erat de paupere vulgo, ut dixerat, sed de nobilibus (…)
Bède le Vénérable, Historia ecclesiastica gentis Anglorum, IV 20 (ou 22)2.
1Dans les chapitres 19 et 20 (ou 21 et 22) du livre IV de l’Historia ecclesiastica gentis Anglorum qu’il écrivit entre 725 et 731, Bède le Vénérable (c. 673-735) évoque la bataille dite de la Trent (sans doute quelque part dans l’ancien Lindsey, aujourd’hui Lincolnshire3), au terme de laquelle les forces du roi de Mercie Aethelred l’emportèrent sur celles du roi de Northumbrie Ecgfrith (670-685), mettant ainsi un terme au dominium que la Northumbrie (c’est-à-dire, au sens propre, [le royaume situé] au nord de la Humber) exerçait au sud de ce profond estuaire (679). Dans le second de ces deux chapitres, il raconte plus précisément comment Imma, un jeune (iuvenis) noble northumbrien laissé pour mort sur le champ de bataille, fut fait prisonnier par un comte (comes regis) du parti vainqueur, et comment il voulut se faire passer pour un pauper rusticus, appelé au cœur de la mêlée par les nécessités du ravitaillement de l’armée, plutôt que pour un miles blessé au combat, de peur que la révélation de sa véritable identité lui valût une mort immédiate. Mais, comme on l’a lu en exergue, « du fait de ses traits (vultus), de ses manières (habitus) et de ses paroles (sermones) », il ne put tromper longtemps son monde, et dut reconnaître devant ses geôliers qu’il était en fait, bien plus qu’un simple miles né de nobilibus, un authentique minister regis. Du coup, engagé par la promesse qu’il lui avait faite de le laisser en vie si Imma acceptait de décliner sa véritable identité, le comte du roi de Mercie se contenta de le vendre à un Frison sur le marché de Londres. Mais, grâce aux relations, privilégiées et très haut placées, qu’il avait à la cour royale du Kent, Imma put réunir une rançon, se racheter, et regagner enfin sa patria.
2Dans cette anecdote, ce n’est cependant pas la question de la distinction sociale d’Imma qui polarise l’attention du Vénérable ; c’est plutôt l’histoire édifiante, le fait miraculeux, dont la relation « doit être profitable au salut du plus grand nombre » (multorum saluti, si referatur, fore proficuum4). Car, nous dit-il en s’en rapportant à ceux qui, tenant l’histoire directement d’Imma, la lui avaient racontée5, chaque fois que son frère Tunna, prêtre et abbé du monastère de Tunnacaestir, qui en fait le croyait mort, célébrait la messe pro absolutione animae eius, les liens (vincula) du jeune homme se détachaient miraculeusement. Ainsi Imma, libéré une fois pour toutes et de retour auprès des siens, comprit-il « de quels secours il eût bénéficié au ciel du fait de l’intercession de son frère et de l’offrande de l’hostie salvatrice », et il ne se fit pas faute de le faire savoir. Nombreux, conclut Bède, furent ceux que l’histoire d’Imma amena « à prier avec foi et pieuse dévotion, à distribuer les aumônes, et à offrir à Dieu le sacrifice de la sainte offrande pour le salut de ceux des leurs qui avaient déjà quitté le siècle »6. C’est la raison pour laquelle Bède décida de la monter en épingle, d’en faire un exemplum, qui, clos sur lui-même, remplit un chapitre entier de son Historia ecclesiastica.
3Les recherches récentes ont cherché à décrypter les intentions de Bède historien, dont l’œuvre à proprement parler historiographique est somme toute moins volumineuse, sinon moins fameuse, que l’œuvre exégétique ou didactique. Pour l’écolâtre du double monastère northumbrien de Wearmouth et Jarrow, situé à l’extrémité orientale du Mur d’Hadrien, dans les environs immédiats de la ville (à venir) de Newcastle7, il ne s’est pas seulement agi d’évoquer – à la manière de ses modèles Eusèbe de Césarée, inventeur du concept d’« histoire ecclésiastique », et Grégoire de Tours, promoteur de la vocation messianique du peuple franc – l’extension du royaume de Dieu par la progressive christianisation des Anglo-Saxons installés en Grande-Bretagne, mais aussi de poser les bases de la nécessaire réforme de leur société et de leurs églises, à commencer par celles de la Northumbrie, le royaume angle du Nord dans lequel Bède est né et a conduit toute sa carrière monastique, sacerdotale et pédagogique8. Il n’empêche que, si c’est dans un but apologétique et réformateur que Bède fait le récit des faits exemplaires qu’il a puisés dans les traditions écrites et orales parvenues à sa connaissance9, il lâche au passage de nombreuses informations sur la société anglo-saxonne de son temps et les subtilités de sa stratification, qu’il saisit dans un excellent vocabulaire latin, dont la possible imprécision et l’éventuel décalage par rapport aux réalités sociales de la fin du VIIe siècle peuvent être éclairés, et peut-être corrigés, grâce à la traduction vieil-anglaise qui a été donnée de l’œuvre à la cour d’Alfred de Wessex près de deux siècles plus tard10.
Imma
4D’emblée, le récit de Bède plonge le lecteur dans les horreurs de la guerre – une guerre presque chronique dans la Grande-Bretagne des VIe -VIIe siècle, où, à l’opposition frontale (et mouvante) entre royautés brittoniques et royautés anglo-saxonnes, s’ajoutent les luttes de pouvoir entre les rois anglo-saxons, spécialement entre les rois, angles tous les deux, de Mercie et de Northumbrie qui se disputent la suprématie dans le centre et le nord de l’Angleterre (voir carte)11. C’est ainsi qu’au soir de la bataille, Imma gît au milieu des cadavres (inter cadavera occisorum), au nombre desquels on compte le propre frère du roi Ecgfrith, Aelfwine, roi délégué en Deira (la partie sud de la Northumbrie), et même de nombreux hommes du parti vainqueur, puisque le comte mercien menace de faire endosser à son prisonnier la responsabilité de la mort de « tous ses frères et parents » (omnes fratres et cognati) tués in illa pugna. Les guerres récurrentes attirent comme des prédateurs les marchands d’esclaves éventuellement venus du lointain continent et qui font de Londres le principal lieu de transit de leur fructueux trafic12. À un moment où la guerre est devenue l’affaire d’une militia regis (comme il est dit explicitement de l’armée northumbrienne, tandis que l’armée mercienne reste plus banalement qualifiée d’exercitus), c’est-à-dire l’affaire d’une armée limitée à la seule élite des milites du roi, et d’où les paysans libres sont à ce point exclus que le seul statut de pauper rusticus semble en mesure d’assurer l’immunité au milieu des belligérants, la sanction du combat peut être fatale à la position sociale du vaincu, fût-elle la plus haute.
5Car, il n’y a à ce sujet aucun doute, Imma appartient à la plus haute aristocratie northumbrienne. Si rien de précis ne nous est dit de l’origine de sa famille, on sait cependant que ses geôliers le soupçonnent de n’être pas né de paupere vulgo, sed de nobilibus ; et que son propre frère (frater germanus), Tunna, est prêtre et abbé d’un monastère inconnu par ailleurs, mais auquel Bède donne explicitement son nom, Tunnacaestir – ce qui veut dire, mot à mot, le castrum de Tunna (la toponymie d’aujourd’hui dirait quelque chose comme Tunc[h] ester13), et signifie sans doute que c’est le frère d’Imma lui-même, ou un membre homonyme de leur famille, qui l’a fondé dans les restes d’une forteresse antique, ce qui n’est pas rien14. En outre, Imma n’est pas seulement qualifié de miles : démasqué par le comte, il reconnaît qu’il est minister regis [en l’occurrence du roi Ecgfrith de Northumbrie] ; et si, vendu comme esclave, il reçoit l’aide du roi Hlothere de Kent, c’est parce que celui-ci est le fils de la reine Seaxburg, propre sœur de l’épouse du roi Ecgfrith, la reine Aethelthryth (plus connue sous le nom de sainte Audrey), dont Imma a aussi été le minister dans le passé (quondam), c’est-à-dire avant que la sainte reine, suivant Bède qui pose dans l’Histoire ecclésiastique les bases hagiographiques de son culte, se fût retirée du palais, d’abord pour vivre la vie conventuelle à Coldingham (vers 671), puis pour aller fonder sur ses terres patrimoniales d’East Anglia le monastère d’Ely (vers 672)15.
6Certes, dans le vocabulaire des sources du très haut Moyen Âge, le mot minister est assez passe-partout, et n’implique pas nécessairement l’exercice d’un ministerium ou d’une charge aulique particulière. Mais la traduction vieil-anglaise, qui rend le mot par thegn, paraît impliquer une certaine familiarité avec le couple royal, sans laquelle d’ailleurs on expliquerait mal la sollicitude du roi du Kent, neveu de la reine Aethelthryth, à l’égard d’Imma. Car on est à une époque où le mot connaît une mutation sémantique, dont la traduction vieil-anglaise se fait aussi l’écho puisqu’elle rend également par thegn le mot miles, par lequel Bède désigne l’ensemble des guerriers royaux. En fait, l’usage du mot thegn (ou, comme on le transcrit usuellement en anglais, thane), qui signifiait originellement serviteur, s’est peu à peu limité, dans le vocabulaire narratif et surtout législatif du VIIe siècle, aux seuls individus qui devaient un service, spécialement militaire, au roi, et qui s’étaient engagés auprès de lui par serment. C’est alors qu’il a commencé de se charger de la connotation aristocratique que reflètent par exemple les lois des VIIe -VIIIe siècles, où le poids juridique du king’s thegn l’inscrit dans la hiérarchie sociale entre l’ealdorman, c’est-à-dire le « comte » chargé d’une administration régionale, et le petit noble possessionné localement, en tout cas nettement au-dessus du simple ceorl (ou paysan libre)16. Plus tard, à la fin de la période anglo-saxonne, le mot thegn deviendrait un pur et simple synonyme de « noble », non plus attaché à la seule noblesse de service, mais aussi désormais à l’aristocratie foncière17. Nul doute que, pour Bède comme pour son traducteur anglo-saxon, si Imma faisait au combat partie de la garde rapprochée du roi Ecgfrith, au palais il appartenait à la maison du roi et de la reine.
7Or on a, grâce à la Vita Wilfridi écrite au début du VIIIe siècle par le moine Stéphane de Ripon, quelque idée de ce qu’étaient les modes de vie et de compagnonnage du roi Ecgfrith dans les années 670, au cours desquelles le roi eut de nombreux contacts – parfois coopératifs, parfois orageux – avec Wilfrid, abbé de Ripon et évêque d’Eboracum (York). Ecgfrith et sa reine, nous est-il dit, avaient l’habitude (cotidie) d’aller de cités en forteresses et de forteresses en bourgades (per civitates et castellas vicosque) pour faire la fête et banqueter dans la pompe du siècle (gaudentes et epulantes in pompa saeculari)18 ; à la guerre le roi allait avec une troupe de cavaliers (equitatui exercitu praeparato)19 ; en temps de paix il prenait le conseil des anciens (consilio senum)20 ; et quand il devait assister à la dédicace d’une nouvelle église (celle de Ripon en l’occurrence, en 678), il s’y rendait avec son frère le roi Ael(f) wine (Aelwinus : il s’agit évidemment du mort de 679), ainsi qu’avec les abbés, préfets, sous-rois [lisons derrière ces deux derniers termes : comtes ou ealdormen], et autres dignitaires de son royaume (cum abbatibus praefectisque et subregulis totiusque dignitatis personae)21. S’il paraît acquis qu’Imma n’avait pas de charge comtale, et probable que, « jeune » encore en 679, il ne faisait pas partie du conseil des sages, Bède nous donne toutes les raisons de penser qu’il était du nombre des cavaliers et des dignitaires royaux évoqués par l’hagiographe. Sans doute est-ce parmi eux et dans l’immédiate proximité du roi, aussi bien à l’occasion des fêtes liturgiques que des festins séculiers, qu’il a, sinon acquis, du moins cultivé ces signes de distinction sociale qui ont frappé ses ennemis et l’ont à leurs yeux démasqué : un vultus, un habitus et des sermones qui sont ceux d’une élite policée formée à la cour22.
Yeavering
8L’archéologie nous permet de connaître ce qui fut, avec quelques autres résidences comme York et Bamburgh, le lieu de séjour privilégié des rois northumbriens du VIIe siècle, donc le type de lieu où Imma a fait son apprentissage social et culturel, à savoir la villa regia quae vocatur Ad Gefrin – ainsi que la qualifie Bède dans son récit de la christianisation de la Bernicia (partie nord de la Northumbrie)23 –, qui a été identifiée par la photographie aérienne puis par la fouille avec Yeavering, lieu-dit situé dans la vallée du Glen, à quelque vingt-cinq kilomètres à l’ouest des côtes de la mer du Nord. Les recherches qui y ont été conduites de 1950 au début des années 1960 ont révélé, dans un environnement marqué par la survivance de quelques éléments de structures pré- et protohistoriques, l’existence d’un ensemble monumental, tout de bois, grossièrement orienté suivant un axe est-ouest. Plusieurs fois détruit, éventuellement par le feu, puis reconstruit (on y a reconnu par endroits quatre phases successives), il paraît avoir été occupé d’environ 600 à environ 68024. À l’apogée du site, soit sous le règne d’Edwin (616-633), grand-père (par sa fille Eanfled) du roi Ecgfrith, on distinguait successivement d’est en ouest un grand enclos, peut-être destiné à la garde du bétail ; puis une zone résidentielle marquée d’une part par l’élévation de vastes halls de bois plusieurs fois reconstruits, et dont le plus grand avait pu couvrir une superficie de près de 300 m225, d’autre part par une certaine prolifération de structures excavées du type, commun de la Germanie continentale à l’Angleterre anglo-saxonne, des Grubenhäuser ou sunken huts les plus rudimentaires ; une construction tout à fait originale dans l’Occident du haut Moyen Âge, espèce de tribune au plan incurvé à la manière antique, quoique limitée à une petite section de cercle comme les cunei des théâtres romains, faite de gradins de bois à ciel ouvert susceptibles d’accueillir jusqu’à trois cents personnes ; enfin divers bâtiments rectangulaires dans une zone marquée par la présence de nombreuses sépultures.
Carte des lieux cités

9L’évolution du site, telle qu’elle a pu être interprétée par les archéologues, paraît étroitement liée à l’histoire de la Northumbrie toute entière. On a affaire à une place centrale de Bernicia, païenne dans sa phase originelle à laquelle remontent peut-être les sépultures et structures situées le plus à l’ouest, sur laquelle Edwin, roi de Deira devenu roi de toute la Northumbrie, a mis la main pour en faire le centre de son autorité dans le Nord, puis le foyer de diffusion du christianisme auquel il venait d’adhérer : il a donc fait reconstruire le grand hall, lieu de résidence et d’apparat, et fait ériger le « théâtre », qui, le hall étant par excellence le lieu des réunions festives, était sans doute le siège des assemblées délibératives – pourquoi pas celui du conseil des sages (witenagemot), consulté avant chaque grande décision, par exemple celle, qui a retenu l’attention de Bède, d’autoriser vers 627 le missionnaire romain Paulinus à prêcher la religion chrétienne ? Quant aux ultimes transformations, elles ont été rendues nécessaires après la mise à sac du site par le roi Penda de Mercie, vainqueur d’Edwin en 633, et la reprise en main de la région par les princes berniciens naguère mis à l’écart, Oswald (roi de 634 à 642), puis son frère Oswiu (roi de 642 à 670), respectivement oncle et père d’Ecgfrith : si ce sont sûrement eux qui ont, pour la troisième fois, relevé et réaménagé le grand hall, peut-être sont-ce eux qui ont ouvert, à l’est du site, une nouvelle zone cimétériale, désormais christianisée. Mais la villa de Yeavering allait être peu après abandonnée par leurs successeurs, qui l’ont remplacée, nous dit Bède26, par celle de Maelmin, dont le site a été reconnu non loin, à Milfield précisément, où la photographie aérienne a une nouvelle fois permis le repérage de halls monumentaux27.
10Dans les ensembles palatiaux, les grands halls étaient les principaux espaces de commensalité et de convivialité festive. Le plus grand de ceux qui ont été découverts à Yeavering (qualifié A 4 par les archéologues), sans doute contemporain du roi Edwin, mesurait 25,3 x 11,6 mètres, et ses fondations s’enfonçaient jusqu’à deux mètres de profondeur. La comparaison avec d’autres découvertes parfois plus « lisibles », comme celles de Milfield, déjà citée, Sprouston et Doon Hill, toutes trois situées en Northumbrie, et surtout comme celle de Cowdery’s Down (Hampshire, dans l’ancien royaume de Wessex), permet d’esquisser quelques hypothèses sur la forme et l’élévation du bâtiment28. Ainsi la structure C 12 de Cowdery’s Down, qui n’avait sans doute rien de royal mais était presque aussi vaste que le hall A 4 de Yeavering29, était-elle vraisemblablement dotée d’un plancher posé sur des solives de bois ; elle était délimitée sur ses quatre côtés par une double rangée de poteaux – sur son pourtour intérieur par les piles verticales qui armaient les cloisons, sur son pourtour extérieur par les contreforts obliques qui recevaient la poussée de l’énorme charpente. Celle-ci était-elle couverte de chaume ou de bardeaux de bois ? On n’en sait rien, non plus que de l’éventuel décor qui ornait ses pignons : si on veut en savoir plus sur les ornements extérieurs et intérieurs du grand hall, tout autant d’ailleurs que sur les pratiques sociales qui l’animaient, c’est à la littérature qu’on le demandera, en particulier à la poésie héroïque, et à son chef d’œuvre écrit en langue vernaculaire, le chant de Beowulf30.
Beowulf
11Comme on le sait, ce long poème est connu par un unique manuscrit (le Cotton Vitellius A XV de la British Library), écrit par une main qu’on pense être de l’extrême fin du Xe ou du premier tiers du XIe siècle, et sa composition, ou plutôt sa cristallisation sous forme écrite, est difficile à dater, entre la fin du VIIe et la période précédant immédiatement la rédaction du manuscrit de Londres, même si la tendance prévaut aujourd’hui à rétrécir (ce qui est une façon de parler !) la fourchette aux VIIIe-IXe siècles31. Il semble en revanche, si on se réfère à l’analyse linguistique, qu’elle ait été conçue en milieu angle (on a parlé de Mercie) plutôt que saxon, ce qui n’est évidemment pas indifférent à notre propos, qu’on sait centré sur le royaume angle de Northumbrie. Si la matière de ses 3182 vers est presque tout entière scandinave (il y est surtout question de Danois et de Geats du Sud suédois, secondairement de Frisons), et puise dans des traditions remontant à l’époque migratoire des Ve-VIe siècles (l’Hygelac du poème étant par exemple identifié au roi danois Chlochilaic[us], cité par Grégoire de Tours à propos d’un raid conduit vers 525 sur les côtes nord de la Gaule32), tout dans son contenu évoque l’Angleterre des VIIe-VIIIe siècles – celle en tout cas que nous donne à connaître l’archéologie d’ensembles palatiaux comme Yeavering et de nécropoles princières comme Sutton Hoo.
12Le poète s’attarde en particulier à décrire le Heorot, ou « Hall au Cerf » comme on le traduit usuellement, résidence du roi des Danois Hrothgar, archétype littéraire également mentionné dans le Widsith, poème vieil-anglais contenu dans la compilation poétique du Livre d’Exeter des environs de 975. Avec une large palette de substantifs et de qualificatifs33, le vocabulaire du poète veut souligner la majesté des lieux (« la haute maison [heah hus] », « la haute salle [heah sele] », « l’excellent bâtiment », « la meilleure des maisons »)34, usant éventuellement de la métonymie du toit pour désigner l’ensemble. Il en exalte les singularités techniques (par exemple les renforts métalliques forgés au feu de sa charpente et de ses portes35) et l’exubérance du décor (« le bâtiment vaste, glorieux et orné d’or », « la brillante salle des anneaux », « la salle haute et large de cornes »36 – allusion vraisemblable aux trophées qui en ornaient les pignons, et qui, plutôt que de cornes [hornas] à proprement parler, devaient en fait être constitués de ramures de cerfs pour mieux justifier le nom du bâtiment). Il en décrit les tentures chatoyantes, spécialement déployées pour les fêtes37, et le mobilier, chargé de sens social voire politique, puisque y sont distingués le trône (« haut siège [heahsetl] », ou « siège du don [gifstol] »38, car c’est de là que le roi distribuait les cadeaux aux membres de sa suite ou à ses visiteurs), et les banquettes (benc) réservées au compagnonnage royal, assez larges et munies de coussins pour autoriser le repos des guerriers39. Surtout, il en suggère et décrit les fonctions, à commencer par la beuverie rituelle, car le hall est avant tout « le lieu où les hommes boivent »40, celui où coule l’hydromel (medoaern, meoduhealle), où coule la bière (beorsele), et où coule le vin (winaern)41.
13L’arrivée du héros Beowulf à la cour de Hrothgar (évoquée aux vers 320-370 du poème), l’accueil qui lui fut réservé (vers 607-664), la célébration de sa victoire contre le monstre Grendel qui dévastait les proches environs (vers 837-924 ; 991-1049 ; 1192-1250) sont pour le poète autant de prétextes à pénétrer dans le hall, à l’animer de ses multiples bruissements, chants et discours42, et à en partager la convivialité festive. Quand il approche du Heorot, Beowulf le Geat, guerrier venu d’ailleurs, est d’abord accueilli sur le seuil par un officier (ombiht) présenté comme le messager ou héraut (ar) de Hrothgar43, qui s’enquiert de son identité avant d’en référer à son maître. Celui-ci ayant donné son agrément, Beowulf est autorisé à pénétrer dans le hall où siège Hrothgar, qui, installé sans doute sur une estrade de bois comparable à celle qui a été reconnue dans l’un des grands halls de Yeavering44, s’y trouve entouré de la suite armée (gedryth) de ses thegns, qualifiés aussi de eorls (guerriers)45. Le roi et ses hommes se lèvent pour l’accueillir46, et, les propos de bienvenue et de reconnaissance échangés, on libère un banc pour y installer Beowulf et ses compagnons47. Un thegn dont c’est la fonction sert la bière48 ; un scop chante49 ; des joutes oratoires s’engagent. Survient alors Wealhtheow, épouse du roi Hrothgar qui, respectueuse des usages (cynna gemyndig)50, prend la coupe d’hydromel, l’offre d’abord à son royal époux, puis à son hôte Beowulf, avant d’aller s’asseoir au côté de Hrothgar51. La fête continue tard dans la nuit, jusqu’à ce que la reine puis le roi rejoignent leur couche (apparemment en dehors du hall), que leurs compagnons se retirent (pour rejoindre leurs campements ?), et que leurs invités s’endorment sur place, sur les banquettes transformées en lits52.
14Et quand, quelque deux cents vers plus loin, Beowulf revient en vainqueur de son combat contre Grendel, il est escorté par la foule joyeuse de ses hommes et de ceux de son hôte, dont l’un, cyninges thegn (« thegn du roi »), féru de vieilles histoires et des exploits récents de Beowulf, en entonne le récit53. Hrothgar veut célébrer le héros : le Heorot est spécialement orné d’or et de tentures ; le roi invite les hommes au banquet (symbel)54 ; la coupe d’hydromel circule parmi eux ; le scop de Hrothgar chante en s’accompagnant d’une lyre de bois (gomenwudu)55 ; le roi offre à Beowulf un étendard, un heaume, un haubert, une épée, des chevaux ; et la reine, en même temps qu’elle lui tend la coupe d’hydromel, lui offre une multitude d’anneaux – torques d’or (wunden gold), bracelets sertis d’orfèvrerie (earmhreade hraegl ond hringas), et surtout « le plus beau des colliers (healsbeaga) qui aient jamais existé sur terre »56.
15Voilà donc, gonflée par le souffle de l’épopée, une belle évocation du compagnonnage guerrier et de la convivialité aulique tels qu’on peut les imaginer pratiqués à l’époque où les rois de Northumbrie tenaient leur cour à Yeavering, tels aussi qu’ils ont pu entretenir la distinction sociale dans les manières du jeune Imma. Le roi et – un peu en retrait mais participant de manière codifiée aux festivités – la reine étaient entourés de leurs thegns, éventuellement qualifiés de « thegns royaux » ; ceux-ci constituaient aussi bien une escorte armée qu’une retinue civile, au sein de laquelle certains détenaient des offices singuliers, comme la garde de l’huis ou la distribution de la boisson – sans oublier les indispensables artistes, artisans et hommes de service, mis en avant dans le poème comme le scop et l’échanson du roi, ou tapis dans son ombre comme les cuisiniers. Aux multiples activités de service (de table notamment, d’animation festive, ou de démonstration guerrière) déployées à la cour royale, l’archéologie fait de nouveau écho : les tombes princières et parfois présumées royales de Sutton Hoo, de Snape, de Taplow, et, tout récemment découverte, de Prittlewell (à Southend-on-Sea) ont livré de multiples éléments de batterie de cuisine (du plus grand luxe parfois), des coupes d’argent et des cornes à boire, des lyres et des étendards même, sans parler des armes défensives aussi bien qu’offensives57. Toutes de l’extrême fin du VIe siècle ou de la première moitié du VIIe, ces tombes sous tumulus sont les témoins des dernières pompes funéraires païennes en attendant que le christianisme, pourtant discrètement présent dans certaines d’entre elles, notamment à Sutton Hoo et Prittlewell, vienne imposer l’inhumation apud ecclesiam et vide de mobilier.
Interprétations
16Ce que montre l’histoire d’Imma, telle qu’elle est rapportée par Bède et qu’elle est éclairée par la littérature héroïque et la fouille archéologique, c’est la transformation hiérarchique de la société dans une Angleterre en voie de structuration politique. Dès le début du VIIe siècle, soit un siècle environ après la fin des migrations et l’installation en Grande-Bretagne des multiples chefferies anglo-saxonnes, quelques royautés se détachèrent au détriment du plus grand nombre : celles du Kent, de l’East Anglia, du Wessex, de la Mercie, et de la Northumbrie58. Le contact des premières avec la puissance franque installée sur le continent et/ou leur conversion précoce au christianisme, l’expansionnisme des dernières en direction de l’Ouest et du Nord où elles refoulèrent ce qu’il restait d’anciennes royautés brittoniques ont assuré leur succès – un succès qui n’est pas allé sans contestation ni déchaînement de violence, comme on vient de l’observer dans le cas des relations belliqueuses qui opposèrent longtemps Merciens et Northumbriens, mais qui put trouver le renfort d’alliances matrimoniales comme celles qui unirent les familles royales du Kent, de l’East Anglia et de la Northumbrie dans une résistance aux tentatives hégémoniques d’une Mercie demeurée longtemps païenne (voir le tableau généalogique joint)59. L’adhésion, finalement unanime au milieu du VIIe siècle, des unes et des autres au christianisme a nimbé leur pouvoir de sacralité et renforcé leur légitimité. Il n’est pas indifférent de savoir que, de même que l’épouse du vaincu de 679, la reine Aetheltryth, sainte Audrey, a quitté le palais pour choisir la vie conventuelle, de même le vainqueur de 679, le roi Aethelred, abdiquerait en 704 en faveur d’un de ses neveux pour se retirer au monastère60. Ainsi le récit de Bède oppose-t-il en permanence la paix du cloître à la fureur guerrière.
Généalogies des rois du Kent, de Northumbrie et d’East Anglia

17En tout cas, la montée en puissance des grandes royautés est allée de pair avec une hiérarchisation plus subtile de la vie sociale, qui passait par service du roi. Au binôme chef local/paysan libre des origines, où chacun (esclave mis à part, bien sûr) était appelé à porter les armes, s’est peu à peu substituée une société complexe dans laquelle Bède distingue (esclave inclus, bien sûr, ce que chacun peut devenir un jour ou l’autre par fait de guerre) le pauper du miles ; le vulgus du nobilis ; le miles du minister ou du comes ; et tout un chacun du roi. Si être miles implique ce qui est maintenant le privilège élitaire de porter les armes, cela n’implique pas nécessairement la familiarité avec le roi ; en revanche être le minister du roi et de la reine implique sans nul doute un service rapproché du couple royal, qui sort naturellement du seul terrain militaire : pour une fois, le lexique latin de Bède se fait plus nuancé que celui de son traducteur anglo-saxon qui ne dispose que d’un mot – thegn – pour rendre les deux réalités.
18Le service rapproché d’Imma était vraisemblablement un service à la fois militaire et palatin, qui pouvait impliquer une participation à la guerre aux côtés du roi, une certaine position à sa table, ou une domesticité noble (parfaitement exprimée dans l’ambiguïté du mot thegn) au sein de la maison du roi et de son épouse. Appartenait-il à l’escorte royale ? Etait-il de ceux qui servaient à la table d’Ecgfrith ? Exerça-t-il une activité de service spécifique auprès de la reine Aethelthryth61 ? Ce qui paraît assuré, c’est qu’en dépit de la distinction de ses origines, il était trop jeune encore en 679 pour exercer le commandement militaire ou la délégation d’autorité régionale qu’eût impliqué un comitatus semblable à celui qu’exerçait le comes (la traduction vieil-anglaise dit gesith62) du roi de Mercie dont les hommes l’ont capturé au soir de la bataille.
19Si les traits d’Imma (son vultus) et, comme on peut l’imaginer, ses mains, dont Bède ne dit mot, ne sont sûrement pas ceux et celles d’un « pauper rusticus » creusé(e)s par le travail des champs, on a toutes les raisons de penser que ses manières (son habitus) et sa façon de parler (ses sermones) ont été policées par des années de familiarité vécue auprès du roi et de la reine de Northumbrie, par sa communion au faste des célébrations liturgiques (pourquoi pas à Ripon, en compagnie du roi ; ou à Tunnacaestir, aux côtés de son frère ?), par sa participation aux fêtes et aux banquets profanes (pourquoi pas organisés dans les halls royaux de Yeavering et de Maelmin ?), et par l’écoute attentive des chants épiques et des discours de cour dont sa position de minister regis [et] reginae faisait un auditeur privilégié. Si telle fut, comme tout le donne à croire, la culture aulique à laquelle fut initié le iuvenis vocabulo Imma, on comprend que ses geôliers n’aient jamais cru à la vulgaritas de sa condition, et aient acquis en peu de temps la certitude de sa nobilitas.
Notes de bas de page
1 Une première version de ce texte a paru dans les Romans d’Antiquité et littérature du Nord. Mélanges offerts à Aimé Petit, Paris 2007 : c’est bien sûr à cet ami proche, éminent spécialiste du roman médiéval, qu’est restée dédiée la seconde mouture, amendée et complétée.
2 Bède le Vénérable, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, IV 20, éd. André Crépin et Michael Lapidge, 3 vol., Paris 2005 (Sources chrétiennes, 489, 490, 491). C’est à cette édition qu’il sera désormais renvoyé, où le chapitre 20 occupe, dans le vol. 2, les p. 310-317 (p. 312-314 pour la citation donnée en exergue). Je n’ai pas nécessairement suivi la traduction française de Pierre Monat et Philippe Robin qui lui est jointe, ni celle, meilleure à mon avis, d’Olivier Szerwiniack et al. donnée dans la collection « La Roue à Livres » (deux vol., Paris, Belles Lettres, 1999). Sur la numérotation des chapitres du livre IV, variable suivant les éditions (ainsi le chap. 20 de l’éd. de référence correspond-il au chap. 22 de l’édition de Bertram Colgrave et R. A. B. Mynors, Bede’s Ecclesiatical History of the English People, Oxford 1969), v. l’introduction d’André Crépin, vol. 1, p. 69-70, qui fonde son choix sur le découpage figurant dans les trois manuscrits de Saint-Petersbourg, Cambridge et Londres, qui servent de base à sa propre édition.
3 [Note additionnelle (2010). La découverte en 2010 du « trésor du Staffordshire », faite non loin de Lichfield dans le bassin moyen de la Trent et incluant de nombreux morceaux d’épées dépareillées, a-t-elle à voir avec les éventuelles dépouilles de la bataille de 679 ? Si ce devait être le cas comme je l’ai d’abord pensé, cela supposerait que l’armée northumbrienne aurait eu le loisir de s’enfoncer jusqu’au cœur géostratégique du royaume de Mercie avant d’être arrêtée par le roi Aethelred – ce qui en définitive paraît peu probable.]
4 Comme il est dit dès l’ouverture du chapitre 20, éd. citée, vol. 2, p. 310.
5 « Hanc mihi historiam etiam quidam eorum, qui ab ipso uiro in quo facta est audiere, narrarunt », Histoire ecclésiastique, vol. 2, p. 316.
6 Histoire ecclésiastique, IV 20, vol. 2, p. 316.
7 Sur la vie et l’œuvre de Bède, on pourra se reporter à Stéphane Lebecq, Michel Perrin, et Olivier Szerwiniack éd., Bède le Vénérable entre tradition et postérité, actes du colloque de Lille-Amiens, Lille 2005.
8 Voir en particulier Walter Goffart, The Narrators of Barbarian History (A. D. 550-800). Jordanes, Gregory of Tours, Bede and Paul the Deacon, Princeton 1988, p. 235-328 ; et id., « L’Histoire écclésiastique et l’engagement politique de Bède », in Stéphane Lebecq, Michel Perrin, et Olivier Szerwiniack, op. cit., p. 149-158.
9 Vel ex litteris antiquorum vel ex traditione maiorum vel ex mea ipse cognitione » : c’est ainsi que Bède récapitule ses sources d’information à la fin de son Histoire ecclésiastique, V 24, vol. 3, p. 186.
10 Thomas Miller éd., The Old English Version of Bede’s Ecclesiastical History of the English People, 4 vol. (2 de texte, et 2 de variantes), New York 1890-1898, réimpression 1959.
11 Si l’on veut mettre en contexte ces événements, voir Frank M. Stenton, The Anglo-Saxons, 3e éd., Oxford 1971 ; James Campbell, Eric John et Patrick Wormald éd., The Anglo-Saxons, Oxford 1982 ; Barbara Yorke, Kings and Kingdoms of Early Anglo-Saxon England, Londres/New York 1990. Plus précisément sur la Northumbrie, voir Nicholas Higham, The Kingdom of Northumbria (AD 350-1100), Stroud 1993 ; Jane Hawkes et Susan Mills éd., Northumbria’s Golden Age, Stroud 1999 ; et surtout David Rollason, Northumbria 500-1100. The Making and Destruction of an Early Medieval Kingdom, Cambridge 2003.
12 Sur la promotion du port de Londres aux VIIe-VIIIe siècles, voir Stéphane Lebecq, « England and the Continent in the Sixth and Seventh Centuries : the Question of Logistics », in Richard Gameson éd., St Augustine and the conversion of England, Stroud 1999, p. 50-67 ; et id., « The Northern Seas (Fifth to Eighth Centuries) », in Paul Fouracre dir., The New Cambridge Medieval History, vol. 1, c. 500-c. 700, Cambridge 2005, p. 639-659.
13 Le seul toponyme connu qui s’en rapprocherait serait celui de Doncaster, dans le Sud-de la rivière Don sur les bords de laquelle elle se trouve, en outre on est ici dans la périphérie méridionale et bien loin des zones centrales de l’ancienne Northumbrie.
14 « There was a deep-rooted perception – occasionally apparent even in place-names – that monastic founders and proprietors were autonomous rulers of households ; (…) the monastic ethic of obedience to abbot or abbess resonated strongly with the indigenous ethic of loyalty to lord or kin », comme dit John Blair, in The Church in Anglo-Saxon Society, Oxford 2005, p. 80-81. Plus précisément sur les fondations, fréquentes en Angleterre, de monastères in castro, voir Stéphane Lebecq, « Monasterium constructum in castro quod lingua Anglorum Cnobheresburg vocatur. De l’attraction exercée par les fortifications romaines sur les fondations monastiques dans l’Angleterre du très haut Moyen Âge », in Jean-Marie Sansterre éd., L’Autorité du passé dans les sociétés médiévales, École Française de Rome 2004, p. 277-296.
15 Sainte Aethelthryth, Aetheldrede, ou Audrey, à la vie et à la passion de laquelle Bède a consacré certains des chapitres qui précèdent, en particulier IV 17 et 18 ; voir vol. 2, p. 292-308. Aethelthryth et Seaxburg étaient les filles du roi Anna (sic) des Angles de l’Est ; à la mort de la première (le 23 juin 679), la seconde lui succéda comme abbesse d’Ely. Voir P. A. Thompson, « St Aetheltryth : the Making of History from Hagiography », in M. J. Toswell et E. M. Tyles éd., Studies in English Language and Literature, Londres 1996, p. 475-492 ; ou, pour aller vite, Simon Keynes, « Ely Abbey », in The Blackwell Encyclopaedia of Anglo-Saxon England, éd. par Michael Lapidge, John Blair, Simon Keynes et Donald Scragg, Oxford 1999, p. 166-167. Sur le culte médiéval de sainte Audrey, on peut désormais consulter Virginia Blanton, Signs of devotion. The cult of St Aetheltryth in Medieval England (696-1615), Pennsylvania State University Press 2007.
16 L’expression king’s thegn fait son apparition à l’extrême fin du VIIe siècle, à la fois dans les lois de Wihtred de Kent (c. 20) et dans celles d’Ine de Wessex (c. 45). Dans cette dernière loi, l’entrée par effraction dans la propriété du roi est passible d’une amende de 120 shillings, dans celle d’un ealdorman de 80 shillings, dans celle d’un king’s thegn de 60 shillings, dans celle d’un gesith (mot au sens aussi mouvant que celui de thegn, et qu’on doit en l’occurrence traduire par noble) possessionné en terres de 35 shillings. Voir F. L. Attenborough The Laws of the Earliest English Kings, Cambridge 1922, reprint Felinfach 2000, p. 28 (Wihtred c. 20) et p. 50 (Ine c. 45).
17 Sur tout cela, voir H. R. Loyn, « Gesiths and Thegns in Anglo-Saxon England from the 7th to the 10th Century », English Historical Review, 70, 1955, p. 529-549 ; id., Anglo-Saxon England and the Norman Conquest, Londres 1962, en part. le ch. 5 « Kingship and Nobility », p. 199-223 ; et Simon Keynes, « Thegns », in The Blackwell Encyclopaedia of Anglo-Saxon England, éd. par Michael Lapidge, John Blair, Simon Keynes et Donald Scragg, Oxford 1999, p. 443-444.
18 The Life of Bishop Wilfrid by [Eddius] Stephanus, c. 39, éd. par Bertram Colgrave, 1st paperback ed., Cambridge 1985, p. 78.
19 Ibid., c. 19, p. 40.
20 Ibid., c. 20, p. 42.
21 Ibid., c. 17, p. 36.
22 Sur la culture de cour au très haut Moyen Âge, voir le volume édité par Catherine Cubitt, Courts Culture in the Early Middle Ages. The Proceedings of the First Alcuin Conference, Turnhout 2003, en particulier la contribution de James Campbell, « Anglo-Saxon Courts », p. 155-169.
23 Histoire ecclésiastique, II 14, vol. 1, p. 370.
24 Brian Hope-Taylor, Yeavering. An Anglo-British Centre of Early Northumbria, Londres 1977. Ou, pour faire court, Martin Welch, [English Heritage Book of] Anglo-Saxon England, Londres 1992, p. 43-47. Voir également la suggestive présentation du site par James Campbell, dans l’article cité supra note 22, p. 155-156.
25 Sur les halls de Yeavering, et les halls en général, dont il sera beaucoup question dans les pages qui suivent, j’ai beaucoup emprunté au mémoire de DEA d’Alban Gautier, Le Hall dans l’Angleterre anglo-saxonne (VIe-IXe siècle). Réalité matérielle, fonctions et perceptions d’un espace festif, soutenu à l’Université Charles de Gaulle (Lille 3) en 1999, et dont on retrouvera l’essentiel dans l’ouvrage du même sur Le Festin dans l’Angleterre anglo-saxonne cité infra note 30.
26 Histoire ecclésiastique, II 14, vol. 1, p. 372. D’après Brian Hope-Taylor, op. cit., p. 277, l’abandon de Yeavering pourrait être intervenu aux alentours de 685.
27 Martin Welch, op. cit., p. 44-45.
28 Martin Welch, op. cit., p. 47-53.
29 Martin Millet, avec le collaboration de Simon James, « Excavations at Cowdery’s Down, Basingstoke, Hampshire », in Archaeological Journal, 140, 1983, p. 151-279.
30 Désormais, je dois tout, ou presque, à la thèse d’Alban Gautier, « Là où les hommes boivent ». Le Festin dans l’Angleterre anglo-saxonne (Ve-XIe siècles), 4 vol., soutenue à l’Université Charles de Gaulle (Lille 3) en 2004, et dont une forme abrégée est parue sous le titre Le Festin dans l’Angleterre anglo-saxonne (Ve-XIe siècles), Rennes 2006.
31 Voir André Crépin, Beowulf. Édition diplomatique et texte critique, traduction française, commentaire et vocabulaire, 2 vol., Göppingen 1991 (on y trouvera un argumentaire en faveur d’une datation basse, en tout cas de la fin du IXe siècle) ; et Bruce Mitchell et Fred C. Robinson, Beowulf. An Edition with relevant shorter texts, Oxford 1998 (où est repris, p. 13, l’argumentaire de Patrick Wormald en faveur d’une datation du VIIIe siècle et d’une origine angle, peut-être mercienne).
32 On croit en effet retrouver le nom du roi des Geats Hygelac, oncle de Beowulf, dans celui de Chlochilaichus, roi danois cité par Grégoire de Tours dans ses Dix Livres d’Histoire (III 3). Voir par exemple G. N. Garmonsway et Jacqueline Simpson, Beowulf and its Analogues, paperback ed., Londres 1980, p. 112-113.
33 Sur tout cela, voir Alban Gautier, thèse dactylographiée, vol. 2, p. 380-386, et vol. 4, p. 1050.
34 Beowulf, vers 116, 146, 285, 647, 658, 935.
35 Beowulf, vers 774-775, 722.
36 Beowulf, vers 81-82, 308, 715, 1177, 1799.
37 Beowulf, vers 994-995.
38 Beowulf, vers 1087, 168, 2327.
39 Beowulf, vers 1239-1250.
40 Beowulf, vers 1648.
41 Beowulf, vers 69 ; 492 et 638 ; 654.
42 Beowulf, vers 612-613, et 643-644, où il est question de « vacarme » et de « chants de victoire ».
43 Beowulf, vers 336.
44 C’est dans la fouille du hall A2 qu’ont été retrouvées les substructions d’une estrade, peut-être destinée à porter le trône et la table du roi et de ses plus proches commensaux : Brian Hope-Taylor, Yeavering, op. cit. supra note 24, p. 120, 139, 161, et fig. 59.
45 Beowulf, vers 662, 400 (thegna), 357 (eorla).
46 Beowulf, vers 400.
47 Beowulf, vers 492.
48 Beowulf, vers 494.
49 Beowulf, vers 496.
50 Beowulf, vers 612-613.
51 Beowulf, vers 641.
52 Beowulf, vers 662-664 et 688-690.
53 Beowulf, vers 867.
54 Beowulf, vers 1010.
55 Beowulf, vers 1065.
56 Beowulf, vers 1020-1049 et 1192-1207.
57 Voir Leslie Webster et Janet Backhouse éd., The Making of England. Anglo-Saxon Art and Culture (AD 600-900), catalogue d’exposition, Londres (The British Museum) 1991 ; C. J. Arnold, An Archaeology of the Early Anglo-Saxon Kingdoms, 2e éd., Londres 1997 ; ou, plus précisément, Angela Care Evans, The Sutton Hoo Ship Burial, Londres 1986 ; et Martin Carver, Sutton Hoo, burial ground of Kings ?, Londres 1998. Sur la découverte, faite en octobre 2003 à Prittlewell (commune de Southend-on-Sea, sur la bordure septentrionale de l’estuaire de la Tamise), de la tombe présumée du roi Saeberht des Saxons de l’Est, converti au christianisme vers 604 et mort vers 616, voir, en attendant la publication définitive, The Prittlewell Prince. The Discovery of a rich Anglo-Saxon Burial in Essex, opuscule édité par le Service archéologique du Museum of London, Londres 2004.
58 Sur la montée en puissance des royautés anglo-saxonnes à la fin du VIe et au VIIe siècle, voir en dernier lieu Stéphane Lebecq et al., Histoire des îles Britanniques, Paris 2007, en part. p. 79-81. La bibliographie anglaise de la question est considérable : outre les travaux cités supra note 11 (surtout celui de Barbara Yorke), on consultera David P. Kirby, The Earliest English Kings, Londres 1991 (en particulier son chapitre 5, « The Northern Anglian Hegemony in the Seventh Century », p. 77-112) ; et Steven Bassett éd., The Origins of Anglo-Saxon Kingdoms, Leicester 1989 (où on lira en particulier les contributions générales de Steven Bassett et Thomas Charles-Edwards, et celles, propres à la Mercie et à la Northumbrie, de Nicholas Brooks et David Dumville).
59 Voir supra. C’est une princesse chrétienne du Kent, Aethelburg, qui a épousé le roi Edwin de Northumbrie ; et c’est une fille née de ce mariage, Eanfled, qui a épousé le roi Oswiu de Northumbrie et lui a donné son fils et successeur Ecgfrith. Quant à celui-ci, on sait (voir ci-dessus note 15) qu’il a épousé Aetheltryth, fille d’Anna d’East Anglia, dont une autre fille, Seaxburg, a épousé Earconberht, roi de Kent.
60 Bède le Vénérable, Histoire ecclésiastique, V 24 (année 704), vol. 3, p. 186.
61 Auquel cas ce ne put être qu’en qualité de « page » de la reine, puisque Imma, qui est qualifié de iuvenis en 679, n’était probablement encore qu’enfant ou adolescent quand, vers 671-672, Aethelthryth s’est retirée de la vie publique (voir supra et note 15).
62 Sur le sens du mot, lui aussi polysémique, voir supra (en particulier notes 16 et 17). Si en Mercie, il désigne un « comte » et devient synonyme de ealdorman, ailleurs, par exemple en Wessex, il peut être plus simplement synonyme de thegn, au sens de « noble ».
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