Traduction du prologue et des chapitres 6 à 10 de la Vie de Vulfran du pseudo-Jonas, moine de Fontenelle
p. 95-101
Note de l’éditeur
En annexe à l’article précédent n’est donnée ici qu’une partie de l’article « Mission de Frise et tradition orale : retour à la Vie de Vulfran », publié dans Retour aux sources. Textes, études et documents d’histoire médiévale offerts à Michel Parisse, Paris, Picard, 2004, p. 669-676. En effet, il n’a pas paru nécessaire de reproduire les quelques pages de présentation de cette traduction inédite, qui, à peu de choses près, ne faisaient que résumer ce qu’on a lu dans les pages précédentes.
(Traduction d’après le texte latin donné par W. Levison, MGH, SSRM, vol. 5, Hanovre/Leipzig 1910, p. 657-673. Bibliotheca Hagiographica Latina Antiquae et Mediae Aetatis no 8738 – Novum Supplementum 1986, p. 874)
Texte intégral
1Dans ce codex se trouve la vie de Vulfran, prêtre du Seigneur, dont le monastère de Fontenelle possède le corps sacré. Ici commence la préface. Au très révérend et très saint évêque de Thérouanne et abbé du monastère de Fontenelle Bainus, Jonas dernier serviteur des serviteurs du Christ. Votre haute dignité apostolique (apostolatus vestri celsitudo) exige que je veuille bien confier à ma plume la vie du saint père Vulfran archevêque de Sens. Au temps où le monastère de Fontenelle était dirigé par le saint abbé Ansbert, futur évêque de l’église de Rouen1, Vulfran, rompant les chaînes de la vie séculière, entra au monastère, soutint la milice du Christ avec persévérance, et, assumant les exigences du ministère évangélique, partit convertir par la prédication le peuple des Frisons qui se trouvait alors aveuglé par l’ignorance. Se trouve encore auprès de vous un témoin de ces événements, le prêtre Ovo à la vie vénérable, issu de la nation frisonne, et qui raconte de vive voix (viva voce narrat) combien de miracles le Christ a bien voulu accomplir au milieu de ce peuple par la médiation de ce saint pontife : nous en rapporterons certains ici même, de la manière la plus fidèle possible, pour capter les esprits et profiter à ceux qui les entendront. (...)
26. Pourquoi nous priver de relater pour l’édification des générations à venir cet autre miracle mémorable du père [Vulfran], tel que nous l’avons appris de ceux-là même devant lesquels il a été accompli ? Alors qu’il prêchait et instruisait le peuple des Frisons, il arriva un beau jour qu’un enfant issu de cette nation allait être immolé aux dieux par strangulation (diis immolandum duci ad laqueum). Le saint pontife supplia le dux incroyant de lui faire don de la vie de cet enfant, et de ne pas immoler, dans un exécrable sacrifice aux démons, un être humain fait à l’image de Dieu. L’enfant s’appelait Ovo. Le dux lui répondit dans sa langue paternelle (paterno sermone) qu’une ancienne loi qui lui avait été transmise par ses prédécesseurs et tout le peuple des Frisons voulait que celui qui avait été désigné par le sort dans leurs cérémonies fût offert aux dieux sans délai. Or, tandis que le saint prélat persévérait dans ses prières et que le princeps de ce peuple s’apprêtait à donner satisfaction à sa digne requête, des païens agressifs, habités par le zèle vain de l’erreur conformément à l’Ecriture qui dit que « zelus apprehendit populum ineruditum » [« le zèle (la jalousie) s’empare du peuple ignorant »]2, repoussèrent tous ensemble sa prière en disant : « Si ton Christ le délivre des tourments de la mort, qu’alors il lui appartienne et devienne à tout jamais ton serviteur ». Ce à quoi le saint pontife répondit : « Qu’il en soit fait suivant la volonté non des hommes mais du Seigneur Christ ». Tandis que, sous le regard de la foule des chrétiens et des païens, l’enfant avait été accroché à un gibet (in patibulum) pendant une durée d’environ deux heures, le prêtre du Seigneur, fléchissant le genou, se mit soudain à prier le Seigneur non seulement pour le salut et la vie de celui qui s’apprêtait à connaître les tourments de la mort, mais aussi pour la libération du peuple qui était enlacé par les chaînes de Satan : « Dieu invisible, immortel et éternel, sois attentif à ceux qui te supplient, et, de même que tu as libéré Daniel de la fosse aux lions, arrache cet enfant à la bouche du lion furieux qui lui tourne autour et cherche à le dévorer, en sorte que, du double salut de cet enfant, le peuple incroyant, abandonnant l’horreur de l’idolâtrie, se tourne vers la connaissance de la vérité, et que ton nom soit béni par toutes les générations dans les siècles des siècles ». Une fois que fut finie cette prière, les liens qui avaient été noués autour de la gorge de l’enfant, déjà à moitié mort, se rompirent aussitôt, et celui-ci, sain et sauf, s’effondra sur le sol. Il lui sembla, ainsi qu’il le raconta plus tard, que, comme s’il s’était trouvé oppressé par une lourde torpeur et attaché par la poitrine à la ceinture du saint pontife, son corps s’était soulevé tout entier. Lui prenant la main, le saint pontife lui dit : « Au nom du Seigneur Jésus Christ, lève-toi maintenant, indemne de tout mal ». Ces choses étant dites, il se leva aussitôt, sans sentir le moindre dommage ni la moindre douleur du supplice qui lui avait été infligé. Alors une foule innombrable de Frisons se convertirent au Seigneur, crurent et furent baptisés, chacun étant promis à la vie éternelle. Quant à Ovo, inondé par l’eau du bain salutaire et amené à Fontenelle par le saint pontife, il fut initié aux lettres sacrées, puis consacré diacre, et enfin ordonné prêtre par Rainland, le vénérable évêque de la ville de Rouen3. Et comme il était expert dans l’art de l’écriture (in arte scriptoria), il écrivit de nombreux codices dans le dit monastère, ainsi que de nombreux testaments et chartes de donation de fidèles (testamenta ac largitiones fidelium plurimas) qui faisaient au dit lieu des dons profitables ; et, parvenu à un grand âge, il finit sa vie au temps de l’abbé Austrulf4 dans une digne intimité avec Dieu et dans l’imitation et le sillage (imitando ac sequendo vestigia) de son maître et seigneur l’éminent prêtre Vulfran.
37. Deux autres adolescents du peuple des Frisons, l’un répondant au nom d’Eurinus, l’autre à celui d’Ingomarus, devaient être immolés aux démons suivant le même rite sacrilège : suite à la prière de l’illustre pontife Vulfran, le dux leur accorda la vie et les lui offrit en don gracieux. Alors, initiés aux divins mystères, confirmés dans leur foi, baptisés au nom de la sainte Trinité, et soustraits au joug de la servitude du démon, ils se virent offrir la liberté perpétuelle ; amenés à Fontenelle par le dit pontife, ils y ont été confiés à l’abbé Hiltbert5 pour y être éduqués. Formés aux lettres sacrées et à la discipline céleste, ils ont accompli leur service avec diligence et pendant de longues années sous la conduite et l’autorité de ce même abbé et de ses successeurs, restant soumis à ce monastère jusqu’à la fin de leur vie.
48. La plume de l’écrivain doit encore faire connaître aux oreilles des fidèles un miracle authentique, en tout point merveilleux, jusqu’à présent inouï, et qui n’a que très rarement été accompli par un saint en dehors de l’apôtre Pierre. Une coutume abominable, produit de la fourberie du démon, veut que le dux de ces incroyants ait le pouvoir de sacrifier le corps des êtres humains qui sont condamnés à l’occasion des cérémonies offertes à leurs dieux – il s’agit en fait de rituels abominables offerts non à des dieux mais à des démons –, et cela par toutes sortes de supplices : exécution par la lame du bourreau (gladiatorum animadversionibus6), pendaison à des gibets (patibulis), cruel étouffement par strangulation (laqueis), noyades enfin, sous l’inspiration du démon, dans le flot de la mer et des cours d’eau (marinorum sive aquarum fluctibus). Il y avait dans ce peuple une veuve dont les deux très chers fils devaient après tirage au sort être ainsi immolés et livrés au tourbillon de la mer (gurgite maris) : ils avaient été amenés en un lieu complètement circonscrit par la mer, où ils seraient pitoyablement engloutis par les flots dès que la marée en viendrait à recouvrir ce lieu. D’après ce qu’on rapporte, l’un avait sept ans, l’autre cinq ans. Et, tandis qu’en peu de temps la marée recouvrit l’endroit et qu’elle commençait déjà à les engloutir, celui qui était l’aîné s’efforça de prendre dans ses bras son petit frère. Le dux incroyant assistait à cet horrible spectacle avec une quantité innombrable de païens. Mais nulle compassion et nul sentiment de pitié ne parvint à attendrir son cœur de pierre. Alors, le saint pontife Vulfran lui demanda de les lui donner ainsi que leur vie, ajoutant qu’il était injuste que des êtres humains faits à l’image de Dieu fussent offerts par jeu aux démons. Ce à quoi le dux incroyant répondit : « Si ton Christ parvient à les libérer du péril auquel ils sont à présent confrontés, je les offre définitivement à son autorité, qu’il devienne leur Dieu, et qu’eux deviennent ses serviteurs à tout jamais ». Le saint pontife Vulfran dit : « Qu’il en soit fait suivant ta promesse ! ». Tandis qu’il priait le Seigneur, la marée, qui avait rapidement monté en une énorme masse d’eau, découvrit soudain sur ordre du Seigneur l’endroit où se tenaient les jeunes innocents qui allaient bientôt mourir. Aussitôt le saint prêtre, confiant dans la bonté divine, tel l’apôtre Pierre qui avait rejoint le Seigneur sur les eaux, marcha sur les flots de la mer devant la foule des païens, et parvint auprès des enfants : il prit l’un par la main droite et l’autre par la main gauche, seule la plante de ses pieds étant au contact de l’eau ; marchant sur les eaux de la mer comme s’il marchait sur la terre sèche, il arracha par la grâce de Dieu les enfants au péril de la mort, et les rendit sains et saufs à leur mère éplorée (flenti matri). Il les purifia dans la source baptismale et donna son propre nom à l’un d’eux, faisant rentrer l’usage de ce nom parmi le peuple des Frisons. Témoins de ce miracle, un nombre considérable de païens se convertirent au Seigneur, crurent et furent baptisés, chacun étant promis à la vie éternelle.
59. Comme le princeps Radbod s’apprêtait à recevoir le baptême, il s’adressa à l’évêque Vulfran en le pressant au nom de Dieu de lui dire où se trouvaient la plupart des reges, principes et autres nobiles du peuple frison – si c’était bien dans cette région céleste (in caelesti regione) qu’il lui promettait de rejoindre au cas où il croirait et serait baptisé, ou si c’était dans cette autre région qu’il appelait la damnation infernale (tartaream damnationem). Le bienheureux Vulfran lui répondit : « Prends garde de faire fausse route, illustre princeps ! Auprès de Dieu ne se trouve que le nombre exact de ses élus. Les principes frisons, tes prédécesseurs, qui sont morts sans avoir reçu le baptême, il est certain qu’ils ont été condamnés à la sentence de la damnation (dampnationis sententiam). Mais celui qui aurait cru et aurait été baptisé, assurément il connaîtrait la félicité éternelle avec le Christ ». Entendant cela, le dux incroyant, qui s’était auparavant avancé vers la fontaine, retira, selon ce qu’on rapporte, son pied de la fontaine, et dit qu’il ne saurait se priver de la compagnie de ses prédécesseurs (non se carere posse consortio praedecessorum suorum) les principes des Frisons, et séjourner dans le royaume céleste avec une poignée de pauperes (cum parvo pauperum numero) ; qu’il lui était difficile de donner son adhésion à ces paroles nouvelles ; et qu’il préférait persévérer dans celles qu’il avait si longtemps observées avec l’ensemble des Frisons. Aussitôt le bienheureux pontife du Christ s’exclama : « Quel malheur ! Je vois que tu as été trompé par le séducteur qui a trompé le genre humain ! Sache que si tu ne fais pas pénitence, que tu ne crois pas, et que tu n’es pas baptisé au nom de la sainte Trinité, tu ne franchiras pas les portes du royaume céleste, et tu endureras les peines de la damnation éternelle ». Entendant ces paroles du saint pontife, beaucoup de Frisons crurent et furent baptisés, tandis que le rex persévéra dans le paganisme. Pour son malheur il s’éloigna en effet de la fontaine sacrée, et donna l’ordre qu’on fît venir l’évêque Willibrord surnommé Clément, docteur de son peuple, en prétendant que, si la doctrine de sa religion coïncidait avec celle du bienheureux Vulfran, il se ferait chrétien. Mais, ainsi qu’il est écrit, in malivolam animam non introibit sapientia [« la sagesse n’entrera jamais dans l’âme malveillante »]7. Celui qui ne parlait que pour exprimer ses hésitations devant la foi catholique ou pour mettre à l’épreuve les saints prêtres, celui-là ne put obtenir ce qu’il espérait trouver d’une manière insidieuse. Quand en effet le bienheureux Willibrord eut reçu son messager, il lui communiqua sa réponse : « Si ton dux refuse d’entendre la prédication de notre saint frère le pontife Vulfran, se conformera-t-il à mes propres paroles ? Cette nuit même, je l’ai vu attaché à une chaîne de feu : il me paraît clair qu’il était déjà en train de subir la damnation éternelle ». Quand le messager eut repris la route qui devait le conduire à la résidence du dux ainsi damné, il lui annonça que sans le sacrement du baptême il était déjà mort ; et, délaissant le chemin sur lequel il s’était engagé, il rentra chez lui.
610. Il ne faut rien omettre de ce que la relation du vénérable prêtre Ovo (venerabile presbitero Ovo narrante) nous a appris au sujet de la façon dont le dux Radbod refusa de croire au Christ et de s’immerger dans la fontaine de la régénération. Tandis que, saisi par le mal qui le coupait de la lumière de la présente vie et le faisait descendre vers les ombres éternelles de l’enfer, le dux s’abandonnait au sommeil, le diabolique séducteur du genre humain qui, avec la permission du Dieu tout puissant, s’était transformé en ange de lumière, lui apparut, la tête recouverte d’un diadème d’or aux gemmes étincelants, et le corps vêtu d’un drap tissé d’or. Saisi un temps par l’émotion, le princeps s’est prudemment avancé vers lui, stupéfait et tremblant, se demandant à quelle espèce physique et morale (cuius speciei ac virtutis) appartenait celui qui lui apparaissait ainsi. Alors, particulièrement perfide dans son art multiple de faire le mal, le dragon (draco) lui demanda : « dis-moi, toi le plus fort des hommes, je voudrais savoir qui t’a séduit pour que tu aies voulu t’éloigner du culte de tes dieux et de la religion de tes prédécesseurs. Évite d’agir ainsi, je t’en conjure, reste fidèle aux cultes des dieux que tu as honorés jusqu’à présent, et alors tu demeureras pour l’éternité dans ces maisons d’or que je vais te donner sans tarder pour te prouver la bonne foi de mes paroles. C’est pourquoi, dès demain, fais venir Vulfran, le docteur des chrétiens, et demande lui où se trouve cette maison de la clarté éternelle qu’il te promet d’habiter dans le ciel si tu te rallies à la religion chrétienne. Comme il ne pourra pas te la montrer, moi je me proposerai comme guide auprès des légats qu’il enverra ici et là, et j’irai leur montrer la maison d’une beauté extrême et d’un éclat sans pareil que je vais te donner sans tarder ». Quand il se fut réveillé, Radbod raconta tout, point par point, au saint pontife Vulfran. Celui-ci, affligé par la perspective de sa damnation, lui dit : « Tout cela est une illusion du diable qui veut faire périr tout le monde et ne sauver personne. C’est pourquoi, noble prince, assure ton salut par la foi dans le Christ, en qui réside la rémission de tous les péchés, hâte-toi vers la fontaine baptismale, et n’accorde nulle foi aux paroles trompeuses du diable. Car il est « le séducteur qui séduit le monde entier »8, et qui, tombé du haut du ciel du fait de son orgueil, se précipite sur la terre, l’ange bienveillant s’étant mué en horrible démon. « C’est par son envie que la mort est entrée dans le monde »9, tandis qu’il a inculqué au premier homme la concupiscence et l’a attiré vers le péché de désobéissance. Celui, en effet, qui promet de donner des maisons d’or à ceux qui croient en lui, les conduit en réalité vers l’infernale demeure du Tartare et vers le lac fétide du Cocyte. C’est pourquoi, pour pouvoir échapper à ces tourments et jouir de la félicité éternelle, hâte-toi de te faire baptiser dans le Christ, en qui réside la rémission de tous les péchés et par lequel est accordé l’accès à la vie céleste ». Quand le saint pontife eut fini de lui dire cela et beaucoup d’autres choses, le princeps incroyant lui répondit qu’il ferait tout ce qu’il lui avait recommandé, si du moins son dieu s’avérait incapable de lui montrer la maison qu’il avait promis de lui donner. Comme le prêtre du Christ comprit que son esprit était complètement borné, et pour que les païens ne tombent pas dans la plus totale confusion, il leur envoya aussitôt son diacre accompagné d’un certain Frison. Quand ceux-ci se furent un peu éloignés de l’oppidum, ils virent s’approcher d’eux un voyageur à l’apparence humaine, qui leur dit : « Hâtons-nous ! Je vais vous montrer une maison absolument magnifique, qui a été offerte au princeps Radbod par son dieu ». Alors, le prenant pour guide, ils traversèrent des lieux inconnus, jusqu’à ce que, empruntant une très grande route, ils virent que celle-ci avait été somptueusement décorée de marbres d’origines différentes, et ils aperçurent au loin une maison d’or. Ils arrivèrent à une place qui se trouvait juste devant la maison, et qui avait été décorée d’or et de gemmes. Pénétrant dans la maison d’or, qui était d’une splendeur et d’une beauté incroyables, ils y aperçurent un trône magnifique. Leur guide leur dit : « Voici la maison, et voici le siège superbe que son dieu a promis au princeps Radbod pour quand il serait mort ». Stupéfait par ce qu’il voyait, le diacre s’exclama : « si tout cela est l’œuvre du Dieu tout puissant, cela demeurera à perpétuité ; mais si c’est l’œuvre du diable, cela disparaitra sans tarder ». Alors, tandis que le diacre se protégeait assidûment derrière le rempart de la sainte croix, le guide qui avait une apparence humaine s’évanouit et se mua en diable, tandis que la maison d’or disparut dans la vase (in lutum). Le diacre et le Frison qui l’accompagnait se retrouvèrent seuls au milieu des marécages (in medio locarum palustrium), qui étaient remplis de broussailles et de très longs roseaux (longissimis rauseis virgultis). Après trois jours d’une route extrêmement fatigante, ils revinrent à l’oppidum, et y trouvèrent le dux Radbod mort, sans avoir reçu le sacrement du baptême, et ils racontèrent au bienheureux prêtre le miracle que le diable leur avait fait endurer. Le Frison crut au Christ et fut baptisé : appelé Ingomarus ou Chuningus, il suivit le bienheureux Vulfran au monastère de Fontenelle. Quant au dux, il ne put nullement obtenir le repos auquel, s’il avait renoncé à ses chimères, il aurait pu parvenir, car il ne faisait pas partie des brebis du Christ, et n’était pas promis à la vie éternelle. Le bruit de ce miracle stupéfiant et jusqu’alors inouï se répandit parmi le peuple des Frisons, et de ce fait un grand nombre d’entre eux se convertirent au Seigneur. Le malheureux dux Radbod mourut en l’an 719 de notre Seigneur Dieu Jésus Christ, auquel il n’avait pas daigné croire, c’est-à-dire en l’an 6 de l’illustre princeps Charles10.
Notes de bas de page
1 Ansbert, deuxième successeur de Wandrille, abbé de Fontenelle de 678 à 690, et métropolitain de Rouen de 684 à 690. Il a été déposé de cette double fonction par Pépin II. Les Gesta de Fontenelle, qui ne lui consacrent pas de notice spéciale, ne font qu’allusion à lui. On le connaît surtout par sa Vita, écrite à Fontenelle à la même période que la Vita Vulframni. Voir l’édition de la Vita Ansberti par W. Levison, MGH, SSRM, vol. 5, p. 613-641.
2 Isaïe 26, 11.
3 [Au début du VIIIe siècle] « après l’intermède de Grippo et de Rainlandus qui n’ont laissé aucun souvenir, l’évêché de Rouen est attribué par Charles Martel à son parent Hugues (...723-730) », Nancy Gauthier, « Rouen pendant le haut Moyen-Âge (650-850) », dans Hartmut Atsma éd., La Neustrie. Les pays au nord de la Loire de 650 à 850, vol. 2, Rouen, 1989, p. 1-20, en part. p. 17.
4 Austrulf, prieur sous le deuxième abbatiat de Wandon, fut promu abbé au milieu du VIIIe siècle, du vivant et à la demande de celui-ci, atteint par la maladie et la vieillesse. Voir Gesta sanctorum patrum coenobii Fontanellensis, c. IX 3 et c. X, l, éd. Pascal Pradié, Chronique des abbés de Fontenelle (Les classiques de l’histoire de France au Moyen Âge, 40), Paris, 1999, p. 110 et 114.
5 Sur l’abbé Hiltbert ou Hildebert, troisième successeur de Wandrille à la tête du monastère de Fontenelle (695-701), auquel les Gesta ne font que deux brèves allusions, voir la Vita Ansberti, op. cit., p. 618 (note 5) ; et Chronique, éd. P. Pradié, p. 76, 106 et 261.
6 [Note additionnelle (2010) : je remercie Céline Martin, qui m’a invité à revoir ma traduction de cette locution quelque peu inattendue dans le contexte de la Frise protomédiévale. Si gladiator peut alors avoir pris le sens de « bourreau », je m’efforce en parlant de « lame » de prendre en compte l’étymologie du mot.]
7 Sagesse 1, 4.
8 Apocalypse 12, 9.
9 Sagesse 2, 24.
10 C’est en 714 qu’est mort Pépin III, père de Charles Martel.
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