Introduction
p. 9-24
Texte intégral
1Si la première phase de la coexistence des deux Allemagnes avait été placée sous le signe de la reconstruction1, la deuxième sous le signe de la consolidation2, la troisième le fut sous celui d’une crise structurelle à laquelle elles firent face de manière inégale, jetant ainsi, sans que les contemporains en fussent conscients et dans un contexte qui présentait toutes les apparences de la normalisation, voire d’une normalité acquise, les fondations de ce que l’on appellera la « Wende » (le « tournant »). Ce changement fut pacifique et radical. Il s’inscrivit dans une modification plus large de la configuration internationale qui entraîna la disparition de l’un des deux blocs dont les rivalités avaient rythmé la Guerre froide ; il aboutit à l’absorption de l’une des deux Allemagnes par l’autre et au retour à l’unité allemande en 1990. L’effondrement de la RDA facilita ainsi l’émergence d’une success story de l’Allemagne fédérale qui fut souvent opposée au « récit du déclin » de l’État est-allemand3. - Maintes fois l’histoire de la RDA fut considérée de manière téléologique, en partant de sa fin, si bien que les facteurs de stabilisation de son histoire, qui dura quand même quarante ans, furent souvent perdus de vue. Ce récit exclut aussi, par la même occasion, les crises qu’a connues l’histoire ouest-allemande d’après-guerre, sur lesquelles se concentrent pourtant les études les plus récentes consacrées aux années 1970 et 1980. L’économie occidentale souffre encore à ce jour des suites de la fin des Trente Glorieuses et du passage au troisième stade de la révolution industrielle, bien que ce modèle ait perduré, tandis que le communisme s’est effondré à la fin des années 1980.
2Ces évolutions différentes méritent des explications, mais elles ne doivent pas conduire à considérer exclusivement la période 1974 – 1990 comme la préhistoire de l’unification allemande. À l’époque, il n’y eut pas en effet en République fédérale de politique visant expressément à dépasser la division de l’Allemagne ; de même, les USA et l’URSS ne menaient-ils pas, alors, une politique dont l’objectif aurait été la fin du conflit Est-Ouest. Comme le remarque Eckart Conze :
« Les politiques allemande et internationale visaient toutes deux – ce qui n’est guère surprenant – à la reconnaissance du statu quo dans le système international et donc aussi à l’existence de deux États allemands »4.
Après le boom une troisième révolution industrielle ?
3Le boom économique des années d’après-guerre5, marqué par la croissance, le sentiment de pouvoir planifier et la confiance dans le progrès, avait éveillé l’impression – et pas seulement chez les hommes politiques et les citoyens ouest-allemands – que l’on disposait d’un capital suffisant pour organiser de manière généreuse le progrès dans le domaine de la vie privée et au plan de la politique générale, et d’assurer ainsi ce qui, entre temps, était devenu la prétention voire la norme socio-culturelle de ce que l’on appelait le « Wohlstand » (niveau de vie de bonne tenue) et de la consommation. Les Allemands de l’Ouest abordèrent les années 1970 dans cet esprit et avec la conviction que telle serait l’évolution de la société, sans ressentir pour autant à quel point les fondements structurels sur lesquels reposaient le sentiment de la sécurité et de la stabilité commençaient à se fissurer6, comme l’a souligné Anselm Doering-Manteuffel : « Au moment précisément où l’expansion économique et l’amélioration du niveau de vie donnaient leur plein rendement, les conditions économiques générales commencèrent à changer »7. Avec un recul de quarante ans, on constate aujourd’hui que le monde né à la fin du 19e siècle, celui de la société industrielle traditionnelle, se fissurait en profondeur dans les années 1970. Les nouvelles possibilités techniques et technologiques commençaient à transformer la production industrielle, faisant de la production de masse fordiste, à la fois manuelle et mécanique, un modèle dépassé dans bien des secteurs industriels. Selon Doering-Manteuffel la crise structurelle profonde des années 1970 marque le « début de mutations de nature révolutionnaire » qui aboutit dans les années 1980 à ébaucher un « nouveau monde industriel ».
4Konrad H. Jarausch analyse la situation de manière similaire lorsqu’il met l’accent sur le manque de vision des hommes politiques de cette époque. Ils interprétèrent le choc pétrolier de 1973/74 comme une crise conjoncturelle et ils y réagirent avec des méthodes keynésiennes ; ils renoncèrent de ce fait à chercher des recettes nouvelles pour faire face à ces mutations structurelles. Les succès des années précédentes, la reconstruction et le « miracle économique » en particulier, conduisirent les responsables politiques à s’en tenir dans un premier temps aux méthodes éprouvées, ce qui ne fit qu’accroître les difficultés : « Ce n’est qu’avec le second choc pétrolier que le rêve keynésien de l’État social et du plein emploi se brisa définitivement »8. Le point de vue selon lequel la sécurité procurée par l’État providence était la norme socio-politique9, fut battu en brèche ; le chômage de masse, la désindustrialisation de branches entières et de régions, et la concurrence toujours plus rude avec les pays industriels émergents d’Asie, devinrent les réalités nouvelles.
5Si l’économie de l’Allemagne fédérale ne s’effondra pas, les finances publiques tombèrent dans le piège du surendettement par suite du chômage de masse et d’un besoin de consommation toujours plus considérable qui conduisit l’État providence, jusqu’à nos jours, aux limites de ses capacités. À la différence de la RDA, l’offre et la consommation se diversifiaient, si bien que se développa, à la suite de la société de consommation plus uniforme des années de boom, une société de consommateurs individualisée, intégrant aussi les cultures alternatives de consommation prônées par les nouveaux mouvements sociaux (« neue soziale Bewegungen »).
6Les mutations structurelles des années 1970 ne s’arrêtèrent pas au rideau de fer, elles dépassèrent les frontières des blocs. Mais cela ne changea rien à la sempiternelle rhétorique du succès d’une la RDA qui se vit renforcée dans sa position idéologique et qui considérait le chômage de masse qu’elle dénonçait à propos de la RFA comme le signe de la crise depuis longtemps annoncée du capitalisme tardif. Ainsi, ce ne sont pas les mutations structurelles internationales, mais la recherche permanente de légitimation et de loyalisme par le SED qui conduisirent Honecker, au début des années 1970, à proclamer « l’unité des politiques économiques et sociales », par laquelle il voulait fonder un socialisme de consommation pour satisfaire les attentes toujours plus grandes de ses concitoyens est-allemands10. Par cette politique, il suscita cependant des espérances auxquelles il ne put répondre à court terme que par des emprunts à l’Ouest. Les réductions de livraisons de pétrole soviétique et la croissance globale du prix du pétrole brut sur le marché mondial accentuèrent de surcroît les problèmes de devises pour la RDA. Elle ne put en sortir par de nouveaux investissements dans les technologies de pointe, car celles-ci s’avérèrent être en retard sur la concurrence internationale. Ainsi, au fil des années 1980, la dépendance de la RDA à l’égard de l’Occident s’accrut-elle11. En 1983 par exemple la « Kommerzielle Koordinierungsstelle » (Koko, en charge du commerce extérieur de la RDA), que les orientations orientales du commerce est allemand privaient de devises fortes, n’évita la cessation de paiement que grâce à un prêt ouest-allemand d’un milliard de DM. L’appareil de production s’avérait de moins en moins adapté aux exigences des économies globalisées, dépassant les capacités de l’économie est-allemande et menant à la banqueroute de la RDA12. À l’insatisfaction née du déficit de production économique se mêlèrent des protestations à l’encontre de la politique intérieure en raison de problèmes écologiques évidents et du manque de perspective politique qu’engendrait la gérontocratie du bureau politique du SED. L’incapacité de la direction du parti et de l’État, pétrifiée, à réagir aux conséquences des mutations structurelles internationales, causa finalement, en 1989/90, son écartement du pouvoir13.
7L’histoire et en particulier la fin de la RDA ne doit cependant pas, pour les années 1970 et 1980, se réduire à l’opposition en négatif à la réussite ouest-allemande. Bien qu’il y ait eu toujours moins de points communs et malgré la division des deux sociétés allemandes symbolisée par le Mur de Berlin, ces deux dernières décennies d’existence de deux États allemands peuvent aussi être appréhendées dans une perspective intégrative, sans gommer les différences structurelles et les oppositions idéologiques. Ainsi y eut-il aussi, dans ces années, des interdépendances et des influences interallemandes que cet ouvrage se propose de repérer14, et notamment ces mutations structurelles, depuis le début des années 1970, entre l’âge industriel et celui des nouvelles technologies et des services, décrit précédemment, laissent entrevoir des défis similaires, auxquels les Allemands furent confrontés dans leur ensemble, maintenant des liens étroits dont ils n’étaient pas toujours conscients, comme l’a noté Andreas Wirsching :
« Il faut faire entrer dans le champ de vision les espaces d’expériences et d’actions communs aux États, sociétés et cultures allemands, qui sont l’opportunité de briser la carapace de l’antagonisme des systèmes et de ne pas se perdre dans une simple histoire parallèle […]. Ces espaces communs d’expériences sont nettement plus étendus que les simples intentions des acteurs politiques »15.
8Wirsching invite donc la recherche à analyser notamment les effets des mutations structurelles sur les sociétés du travail à l’Est et à l’Ouest (le chômage caché ou le chômage de masse évident). Nous avions précédemment fait allusion aux faiblesses de la planification économique socialiste, mais par delà ce fait, il ne faut pas oublier les douloureux processus d’adaptation des économies occidentales. Très prometteuses sont aussi les recherches récemment entreprises sur les efforts des deux États allemands dans le domaine de la politique sociale, qui fut certes fondamentalement différente en raison des spécificités systémiques, mais qui présente certains parallèles et une volonté similaire d’incarner un modèle de légitimation. Wirsching estime que des travaux sont encore nécessaires concernant les processus d’individualisation croissante de la société et la transformation des valeurs (relations entre les sexes, structures de la famille, question des générations)16, ainsi que les conséquences de la culture de masse et de la société de consommation sur les deux sociétés allemandes17. Un rôle particulier revient aux médias, la télévision ouest-allemande ayant contribué précisément à maintenir l’idée d’une nation allemande unique et agissant sur la société est-allemande comme une vitrine attirante avec ses promesses de consommation et de loisir, ce qui accroissait la pression sur les dirigeants de Berlin-Est18.
9Les espaces d’expériences panallemands ici esquissés permettent d’escompter à l’avenir une différenciation plus subtile des approches de l’histoire asymétrique de l’après-guerre allemand, sans pour autant succomber à la tentation d’écrire une histoire nationale. Il ne faut jamais perdre de vue non plus les relations germano-allemandes, même si, « à la fin des années 1970, le pragmatisme fondé sur le statu quo […] menaçait de sombrer dans la paralysie »19. Car la forme administrative du Traité fondamental, la multiplication des liens entre les deux sociétés, avait créé les conditions pour que les Allemands de l’Est et de l’Ouest puissent communiquer par ces espaces d’expériences et les ressentir comme des espaces communs, pour garder finalement le sentiment d’appartenir à la même nation.
Les relations interallemandes 1974 – 1989
10Lors de la conférence d’Helsinki en 1975, le chancelier fédéral Helmut Schmidt et Erich Honecker, premier secrétaire du SED, président du Conseil national de la Défense depuis 1971, bientôt président du Conseil d’État (« Staatsrat », à partir de 1976), étaient assis pratiquement l’un à côté de l’autre, séparés seulement par un passage, ce qui ne les empêcha pas de rechercher à plusieurs reprises le contact direct et l’échange20. La photo des deux hommes d’État allemands fit le tour du monde, suggérant que Bonn et Berlin-Est avaient trouvé leur place internationale et qu’elles l’affirmaient. Symboliquement, ce cliché incarna la « position définie de l’un à côté de l’autre », à partir duquel la République fédérale voulait en venir à « une position définie de l’un avec l’autre », afin d’éviter, dans les circonstances d’alors, un éloignement mutuel des Allemands, d’atténuer les conséquences de la division et enfin de se rapprocher de l’objectif suprême d’unification.
11Schmidt se plaça dans la ligne des accords conclus avec l’Est par son prédécesseur, mais il leur conféra une tonalité plus pragmatique, profitant notamment du désir soviétique de renforcer ses relations économiques avec Bonn (en 1978 par exemple d’importants contrats furent signés). Dans le cadre des relations interallemandes, le Traité fondamental de 1972 avait placé les relations interallemandes sur une base contractuelle, provoquant des négociations permanentes21, qui menèrent certes à des améliorations humanitaires et à un renforcement des relations personnelles, mais ne purent empêcher que les espoirs de réunification fussent toujours remis à un lointain avenir en raison de la politique de frustration de la RDA. Bien que les relations politiques entre Bonn et Berlin-Est s’intensifièrent, on ne pouvait pas parler de normalisation face à une politique rigide de démarcation pratiquée par le RDA pendant cette période22. La RDA réfutait la thèse de l’unité culturelle (« Kulturnation »), affirmait son identité nationale et sa différence face à l’Ouest (« unüberbrückbarer Gegensatz ») et soulignait son inféodation à Moscou. Cela semblait donner raison à Egon Bahr qui avait déclaré que si, auparavant, « on n’avait pas eu de relations avec la RDA, désormais, on en avait au moins de mauvaises »23.
12À la fin des années 1970, aucune amélioration n’était encore en vue, au contraire : l’entrée des troupes soviétiques en Afghanistan le 24 décembre 1979 raviva les tensions Est-Ouest, comme en témoigna l’absence de pays occidentaux, des États-Unis en particulier, aux Jeux olympiques de Moscou. Le 15 mai 1980, le Comité olympique ouest-allemand décida également le boycottage. Son souci d’équilibre stratégique conduisit Bonn à accepter la même année la « double décision »24 qui, l’URSS refusant de réduire son arsenal nucléaire, engagea un processus de renforcement de son armement (« Nachrüstung »). Cette politique donna non seulement du poids aux courants pacifistes de RFA25, elle suscita aussi une forte opposition au sein du SPD qui refusa en 1982 le principe de l’installation de fusées Pershing sur le territoire. Le manque de soutien par son propre parti qu’induisit cette option provoqua finalement la chute du chancelier Schmidt, de plus en plus isolé parmi les siens. Après les tensions qui avaient opposé SPD et FDP autour des lois de finances, entre 1981 et 1982, l’attitude du SPD dans ses relations avec ses partenaires occidentaux26 encouragea le FDP à un renversement d’alliances auquel procéda son leader, le ministre des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher, en se rapprochant de la CDU de Helmut Kohl.
13Pendant les dernières années de son mandat Schmidt essaya de préserver les relations particulières entre des deux Allemagnes de la confrontation mondiale. Les résultats furent maigres : après avoir effacé tous les éléments faisant référence à la persistance de la nation allemande dans la nouvelle constitution de la RDA de 1974, la politique de démarcation est-allemande atteignit son paroxysme le 13 octobre 1980, quand Honecker énonça les « quatre exigences de Gera » (« Geraer Forderungen ») par lesquelles il demandait à Bonn de fixer la frontière de l’Elbe au milieu du fleuve, de fermer le centre de Salzgitter qui enregistrait les crimes de la RDA (« Erfassungsstelle für Gewaltverbrechen der DDR »), de respecter la citoyenneté est-allemande et de transformer les représentations permanentes (Bonn et Berlin-Est) en ambassades. La RFA refusa en bloc, parce que l’acception aurait signifié la reconnaissance diplomatique de la RDA, c'est-à-dire la reconnaissance « de l’existence de deux États souverains et indépendant l’un de l’autre avec des régimes politiques et sociaux différents »27, voulu par Honecker.
14Les relations entre les deux Allemagnes restaient antagonistes et même pendant des périodes de coopération le potentiel conflictuel était élevé parce que Berlin-Est suscitait régulièrement de nouveaux obstacles. Pour parvenir à des améliorations humanitaires (achat de la liberté pour les détenus politiques, amélioration des transports de transit, réduction du montant minimum du change), la RFA devait mettre la main à la poche. Berlin-Est monnayait la libération de dissidents, faisant de ce marché humain un poste budgétaire à titre plein. Le nombre croissant de citoyens est-allemands qui demandaient à quitter leur pays devait montrer aux dirigeants de Berlin-Est que, contrairement à ce qu’ils avaient pensé, le paraphe de l’acte final d’Helsinki n’était pas un succès et ne garantissait pas le statu quo en Europe, mais incitait de nombreux contestataires à manifester leur mécontentement face à la situation. En signant davantage d’autorisations de sortie définitive, le SED voulut laisser partir le cercle des protestataires les plus virulents, croyant que la pression montante pourrait s’échapper par cette soupape.
15Ces réticences des citoyens est-allemands face au régime se firent aussi sentir lors de la visite officielle de Helmut Schmidt en RDA, en décembre 1981. L’expérience que le SED avait faite lors de la visite de Willy Brandt à Erfurt en 1970 ne devait pas se reproduire. Pour éviter tout contact direct entre le chancelier et les habitants de la petite ville de Güstrow (Mecklembourg), ceux-ci devaient rester enfermés dans leurs maisons, remplacés dans les rues par des milliers de collaborateurs de la Stasi animant un marché de Noël au centre ville. Cette mise en scène n’échappa pas aux membres de la délégation ouest-allemande ni au chancelier, qui ne voulut cependant pas annuler la visite, malgré les fortes tensions de la guerre froide, pour maintenir le dialogue interallemand et les espoirs d’améliorations pratiques pour les Allemands de l’Est. Il proposa à Honecker que les deux États allemands pèsent de tout leur poids dans leurs alliances respectives afin d’atténuer le conflit. Mais les rapports de forces au sein du Pacte de Varsovie ne permettaient pas à la RDA une prise de distance par rapport à l’Union soviétique. Berlin-Est ne disposait pas des mêmes marges de manœuvre que celles dont bénéficiait la RFA pour articuler ses propres intérêts et positions au sein de l’OTAN28. À l’issue du mandat du chancelier, la fin de la division de l’Allemagne ne se profilait pas à l’horizon. L’espoir d’un « changement par un rapprochement » ou d’une « libéralisation [de la RDA] par sa stabilisation » semblait obsolète.
16L’arrivée de Helmut Kohl à la chancellerie en 1982 ne modifia pas en profondeur la politique à l’Est de Bonn. Avec Hans-Dietrich Genscher à sa tête, l’Auswärtiges Amt ne changeait pas de titulaire. Mais la RFA, qui trancha avec fermeté la question de la sécurité, mit davantage l’accent sur la communauté nationale allemande et elle accentua son intégration occidentale. Rainer Barzel, ministre des Affaires germano-allemandes (« Bundesminister für innerdeutsche Beziehungen »), fit comprendre à Berlin-Est que Bonn ne serait pas disposée à débattre de questions que les négociations antérieures avaient laissées en suspens, tandis que Kohl mettait l’accent sur ce qui séparait les deux États et sur les manquements de la RDA à ses obligations contractuelles, et il fit savoir qu’il n’était pas disposé à sacrifier les libertés à l’unité nationale.
17La politique allemande du gouvernement Kohl se caractérisa par une relation spécifique entre distance normative et coopération pragmatique. Elle était confrontée aux mêmes contraintes que ses prédécesseurs : la pression internationale pour mener une politique de statu quo ne devait pas accepter que la division temporaire devienne définitive. L’Allemagne de l’Est prit acte de cette fermeté et se montra plus encline à discuter. Pourtant, comme à l’époque de la coalition sociale-libérale, la République fédérale devait apporter une contribution financière en échange d’assurances informelles d’améliorations humanitaires si elle voulait densifier le réseau de contacts entre les Allemands. En la matière la RFA était prête à des concessions pratiques qu’un gouvernement SPD n’aurait pas osé faire. Kohl assura même Honecker de sa décision de ne rien entreprendre qui pût le mettre dans « une situation inconfortable »29. Bonn accorda en 1983 et 1984 des crédits de près de deux milliards de DM à Berlin-Est et sauva ainsi la RDA de la faillite. Stabiliser la RDA n’était pas l’objectif de cette politique, mais la conséquence acceptée d’une politique qui visait à préserver la cohésion de la nation malgré le Mur et à faciliter la vie des Allemands de l’Est.
18Cette double politique de distance et de coopération explique aussi la visite que fit Erich Honecker en RFA en septembre 1987. Il fut accueilli à Bonn avec les honneurs protocolaires dus à son rang30. Bien que Kohl soulignât les différences idéologiques fondamentales, la visite fut généralement perçue comme une reconnaissance officielle de la RDA par la RFA, et par conséquent comme une victoire de la RDA dans la concurrence interallemande. Les relations se trouvaient ainsi placées sur le plan du do ut des. Et bien que le gouvernement Kohl n’eût pas mené une politique active de réunification, il se produisit pourtant, à la fin des années 1980, un « changement par le rapprochement » : réduction du montant du change obligatoire pour les retraités, suppression du système automatique de tir (« Selbstschussanlagen ») à la frontière interallemande, accroissement du nombre des autorisations de voyage de RDA en RFA, facilités accordées pour les rencontres et regroupements familiaux, nombre croissant d’autorisations de demandes d’installation à l’Ouest et enfin accroissement de nombre de jumelages de villes germano-allemands.
19Mettant l’accent sur l’ironie et les paradoxes dans les relations germano-allemandes, Andreas Rödder souligne l’étroite imbrication du triomphe et du déclin dans les rapports entre États allemands à la fin des années 1980 :
« Que la RDA ait imposé sa volonté d’être traitée en égale avec la République fédérale au niveau politique alors qu’économiquement elle dépendait toujours plus de la RFA, que la République fédérale se trouvât toujours plus dans une position de force face à la RDA sans jamais pouvoir l’éliminer politiquement, mais, au contraire, en faisant toujours l’objet de chantage, que la République fédérale ait mené une politique de stabilisation, manquant son objectif de libéralisation de la RDA et conduisant, contrairement à son but, à une déstabilisation qui à son tour, suivant un scénario politiquement obsolète depuis longtemps, permit pourtant d’atteindre l’objectif de toujours de la politique allemande de Bonn, ce à quoi plus personne ne s’attendait dans un avenir proche »31.
L’année des changements
Un « tournant » ?
20Faute de mieux, on désigne du terme de « Wende » (« tournant ») les événements de 1989/90 en Allemagne en reprenant cette expression d’Egon Krenz, qui, dès son premier discours ès qualités après l’éviction d’Erich Honecker, visa à réduire les événements à un « tournant » par sous-estimation des événements ou plus probablement à des fins de banalisation du processus. Ce terme était dans l’air, l’hebdomadaire hambourgeois « Der Spiegel » l’avait utilisé deux jours plus tôt comme manchette. Il fit polémique en Allemagne de l’Est (cf. Christa Wolf). Que l’histoire ait recours à ce pis-aller terminologique montre le caractère complexe de cette période caractérisée par l’implosion du régime est-allemand. Les causes de son naufrage furent avant tout endogènes. Mais cette implosion surprit l’Est comme l’Ouest par sa rapidité, son ampleur et sa dimension pacifique32.
L’évolution de la contestation en RDA
21La lecture des événements fut difficile pour les contemporains, surtout pour deux raisons : le régime est-allemand semblait consolidé et pérenne : nul ne mesurant l’ampleur de sa sclérose, personne ne s’attendait à ce qu’il subît au lieu d’agir ; d’autre part, en changeant de nature, la contestation changea de fonction. Les contestataires, essentiellement des intellectuels protégés par les Églises protestantes, aspirèrent d’abord à une humanisation et à une démocratisation de la RDA dans le cadre de la partition de l’Allemagne et du monde33 ; à mesure que le mouvement devint populaire, il se radicalisa, déniant toute légitimité au pouvoir du SED puis revendiquant une part de la prospérité ouest-allemande à travers l’unité nationale34.
22Face à l’état de délabrement dans lequel se trouvait l’URSS quand il succéda à Constantin Tchernenko en 1985 Mikhaïl Gorbatchev entreprit de réformer en profondeur le système soviétique. Tâche considérable : l’appareil se fissurait, l’armée s’enlisait en Afghanistan, l’économie, bien malade, subissait le contrecoup de la baisse du prix du pétrole (1984) et des incidents tels que Tchernobyl témoignaient de l’urgence d’investir. Simultanément la sclérose intérieure, la puissance des conservateurs et les inévitables répercussions sur les pays satellites faisaient que le temps dont disposait Gorbatchev pour obtenir des résultats tangibles était compté35. Mais sa politique de « Glasnost » et de « Perestroïka » était considérée comme un nouveau souffle par beaucoup d’Allemands de l’Est encouragés dans leur volonté de changement par le dynamisme du maître du Kremlin qui se différencia clairement de la génération Honecker, laquelle s’enfonçait dans l’immobilisme politique, économique et social. Elle s’affaiblit, se privant progressivement du soutien de Moscou et manifestant aux yeux des Allemands son incapacité à faire évoluer la RDA.
23La contestation n’avait jamais cessé d’exister et les accords d’Helsinki l’avaient ravivée. La manipulation des élections du 7 mai 1989 par le régime incita les mouvements civiques à protester. Ils décidèrent de manifester tous les 7 du mois, visant d’abord à réformer le socialisme, mais ils s’exposaient à des dangers réels, le pouvoir ayant déjà montré qu’il ne reculait pas devant la répression, d’où la préoccupation des Églises, qui abritaient une large part de l’opposition, d’éviter tout dérapage susceptible de justifier une intervention policière.
24À l’automne les manifestations prirent de l’ampleur. Leipzig (lundis), Dresde, Halle, Magdebourg, Rostock… furent touchées. La plus massive de ces manifestations, connue sous le nom de « Alexanderplatz-Demonstration », eut lieu le 4 décembre, elle réunit quelque 500 000 participants et vit s’exprimer des leaders de la contestation (Jens Reich), des écrivains (Christoph Hein, Stefan Heym36, Heiner Müller et Christa Wolf37). Le pouvoir était hésitant. Erich Honecker, le ministre de la Sécurité intérieure Erich Mielke et Günter Mittag, membre du Comité central, plaidaient pour le recours à la force, mais cette option était contestée jusque dans leur entourage proche. Que les contestataires aient refusé toute violence (« Keine Gewalt ! ») rendait la répression difficile, plus encore l’impossible recours aux soldats soviétiques stationnés en RDA. Moscou soutenait Honecker du bout des lèvres. Gorbatchev, qui avait honoré de sa présence les cérémonies du quarantième anniversaire de la République démocratique allemande, avait évité de critiquer ouvertement ses dirigeants, bien qu’il eût rappelé une vérité fondamentale, mais pas dans la forme que rendit la traduction initiale, « La vie punit celui qui arrive trop tard ». Quelle qu’ait pu être l’influence sur la lecture contemporaine des événements, l’historiographie retient désormais la version : « Je pense que les dangers ne guettent que ceux qui ne réagissent pas aux circonstances de la vie ». En cercle restreint il s’était efforcé d’imposer à Berlin un renoncement à l’immobilisme. À la mi-octobre le sort de Honecker était scellé.
25Trois slogans traduisirent l’évolution. À « Wir wollen raus », début octobre, succéda « Wir bleiben hier » puis « Wir sind das Volk »38. Le 4 novembre 1989 encore des manifestants réclamaient davantage de démocratie, de libertés politiques et des élections libres et honnêtes. La révolution s’imposa dans un deuxième temps, après la chute du Mur, avec pour slogan « Nous sommes un peuple » : on ne se contentait plus de délégitimer le pouvoir sans remettre en cause la RDA, l’appel à l’unité nationale exprimait la volonté de mettre fin à l’« État socialiste des ouvriers et des paysans ». L’été accentua le mécontentement. L’accès à la représentation permanente de la République fédérale en RDA ainsi qu’aux ambassades ouest-allemandes en Hongrie et Tchécoslovaquie, dut être interdit.
26L’ouverture du Mur de Berlin s’était faite de manière inattendue et incontrôlée. Sa construction avait rendu tangible la division de l’Allemagne et l’enfermement des citoyens de la RDA, son percement concrétisa l’affaiblissement du régime et avec lui les limites de son pouvoir de pression. Pour autant le SED n’avait pas abdiqué. Bonn par contre évoluait vers une solution plus radicale. « Le chemin de l’unité allemande, nous le savons tous, ne se planifie pas de manière technocratique ni avec un calendrier. Les modèles abstraits se prêtent certes à la polémique, mais ils ne font pas avancer les choses. Mais nous pouvons préparer dès aujourd’hui ces étapes qui y conduiront »39, déclarait Kohl le 28 novembre 1989, avant le sommet Bush– Gorbatchev de Malte, en rendant public son « plan en dix points » qui engageait de fait un processus d’unification. Les réactions furent vives, à Londres, Moscou et Tel-Aviv. Seul Washington réagit positivement, James Baker soulignant que pour les USA une Allemagne réunifiée devait appartenir à l’OTAN.
27La déclaration de Kohl coïncida avec des révélations sur la situation économique de la RDA, plus catastrophique que ce que l’on avait supposé. Le déficit budgétaire dépassait les 120 milliards de DM, la dette extérieure les 20 milliards, et la productivité avait baissé de 50 % depuis 1980 ! C’est dans ce contexte qu’il convient de situer l’accueil enthousiaste que Dresde réserva au chancelier fédéral le 19 décembre.
28Les élections de mars 1990, qui virent le PDS (successeur du SED) réduit à 15 % des suffrages, furent une victoire éclatante de l’Alliance pour l’Allemagne chrétienne-démocrate (« Allianz für Deutschland »)40. Le nouveau chef du gouvernement est-allemand convint avec Kohl que l’unification se ferait sur la base de l’article 23 de la constitution ouest-allemande, et non par référence à l’article 146.
La décomposition du régime est-allemand
29La crise de régime que traversait la RDA se traduisit par une succession de responsables de premier plan. Le 18 octobre 1989 le remplacement d’Erich Honecker par un produit de l’appareil, Egon Krenz, marqua un rajeunissement, non une réorientation : Krenz avait notamment soutenu en été le PC chinois après la répression de la Place Tienanmen. Peu crédible en RDA quand bien même ses relations avec Bonn ne furent pas mauvaises, il ne put empêcher l’effondrement du SED. Son remplacement, au début du mois de décembre 1989, marqua la rupture avec le stalinisme.
30À Krenz succéda Hans Modrow (décembre 1989 à mars 1990) qui voulait sauver ce qui pouvait l’être du régime et mettre à l’abri ceux qui avaient servi le SED. Mais les assouplissements consentis par son prédécesseur avaient affaibli le pouvoir sans calmer ses opposants. Il entendait libéraliser le régime au prix d’un minimum de concessions et préserver la partition de l’Allemagne au prix de liens plus étroits entre RFA et RDA (« Vertragsgemeinschaft »), en introduisant une dose d’économie de marché, mais dans le cadre d’une planification préservée.
31Le 9 novembre le Mur tomba dans les conditions désormais connues. Le 7 décembre les Églises, qui voulaient contrebalancer le poids de la Chambre du peuple (toujours inféodée au SED), avaient obligé Modrow à accepter une table ronde regroupant des représentants du SED, des anciens partis du « front national » (CDU, LDPD, etc.) et les organisations ou partis nouvellement créés. Deux décisions majeures en sortirent : l’organisation d’élections libres à la « Volkskammer » et la dissolution de la Stasi. Fin janvier, sous la pression de la rue, la table ronde avança les élections au 18 mars 1990 et le chrétien-démocrate Lothar de Maizière remplaça Modrow ; il fut jusqu’aux élections de décembre 1990 le dernier haut responsable de l’Allemagne de l’Est.
32Quelle que fût l’efficacité globale de Bonn, deux éléments négatifs dont on ne mesura pas immédiatement et à sa juste mesure l’importance, allaient peser lourdement sur l’après-1990. L’Ouest ne cacha pas son mépris pour les Ossis et les traita avec condescendance. Les milieux d’affaires de l’Ouest n’eurent le triomphe ni modeste, ni délicat. D’autre part Kohl profita de la situation pour récolter des dividendes électoraux. La dissolution du parlement, préalable indispensable, fut obtenue au prix d’une démarche constitutionnellement discutable. Et les promesses de circonstance auxquelles il sacrifia furent à l’origine, à l’Ouest et surtout à l’Est, de désillusions dramatiques dont les conséquences politiques sont encore perceptibles.
Les grandes puissances
33Quelle que pût être l’importance des facteurs endogènes, l’évolution de l’opinion est-allemande en particulier, l’unité allemande fut largement le fruit de données exogènes. Les transformations que connurent les autres « démocraties populaires » exercèrent une influence directe. Les réticences de Margaret Thatcher ou l’attitude plus nuancée que ne le crurent les contemporains de François Mitterrand41, furent des facteurs secondaires mais incontournables du règlement de la question allemande.
34L’entreprise de Gorbatchev eut d’emblée une dimension désespérée. Afin d’obtenir l’indispensable adhésion du peuple à l’effort de redressement, il joua de la carotte et du bâton : il fit de la transparence et d’une forme de démocratisation, d’humanisation du socialisme (« glasnost ») le prix de la participation populaire à l’effort de redressement, la reconstruction ou restructuration (connu sous le nom de « pérestroïka »). Une donnée des relations Bonn – Moscou fut que, contrairement à ses prédécesseurs, Kohl eut en face de lui des interlocuteurs soviétiques affaiblis et conscients de leur faiblesse, même si l’URSS se comportait encore en grande puissance. La bonne santé économique et financière de la RFA lui donnait la possibilité de tirer bénéfice de la situation. Son mérite fut de gagner la confiance du Kremlin alors que les relations initiales avaient été fraîches. La situation évolua à partir d’octobre 1988. En juin 1989, à Bonn, le Premier soviétique, perçu par l’opinion comme un homme de paix depuis qu’il avait proposé un plan d'élimination des armes nucléaires à l'horizon 2000 (1986) et obtenu de Ronald Reagan un accord pour réduire de 50 % les arsenaux nucléaires des deux Grands, puis décidé le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan, fut accueilli par une foule en liesse au cri de « Gorbi ! ». Le 13, la RFA et l’URSS reconnaissaient le droit de chaque État à choisir librement son système politique et social.
35Disposant d’une marge de manœuvre étroite, tributaire d’aides extérieures pour mener à bien ses réformes, handicapé par la sclérose de Berlin-Est, Gorbatchev ne tarda pas à se trouver sur la défensive dans la question allemande. Il fut même contraint d’approuver, en un geste qui contrastait avec son intransigeance initiale, l’appartenance de l’Allemagne à l’OTAN42.
36Il n’y eut pas de front commun occidental. George Bush, président des États-Unis depuis janvier 1989, fut bientôt en rupture avec la ligne Reagan (dont il avait été le vice-président), en particulier en ce qui concernait les relations Washington-Moscou. Les raisons qui incitaient Gorbatchev à la prudence poussèrent la Maison blanche à voir dans l’Allemagne une chance pour l’Occident. Dès lors la préoccupation majeure des Américains fut de gérer l’évolution internationale et l’unité allemande sans dépasser le stade qui aurait imposé au Kremlin de réagir par une crise internationale. Le sommet de Malte (début décembre 1989) permit au président américain de donner au Premier soviétique des assurances qui firent évoluer la position de Moscou sur deux points cruciaux, les liens Europe – États-Unis et le problème allemand. En janvier 1990 le Kremlin accepta l’idée d’une évolution progressive vers l’unité allemande sous réserve d’accord des Quatre. Inversement Bush obtint que Kohl renonçât à son attitude obstinée sur la question de la frontière Oder-Neiße, ce qui ouvrit la voie à une solution « 2 + 4 », règlement de la question allemande par la négociation des deux Allemagnes en accord avec les Quatre. Septembre permit de finaliser les accords. Bonn versa à Moscou 12 milliards de marks et lui consentit un crédit sans intérêt de 3 milliards supplémentaires. « Au total, toutes compensations et crédits confondus, l’URSS reçut une quarantaine de milliards de marks »43 dans cette période. Cette estimation autorise deux remarques. Associée à l’ampleur des besoins de Gorbatchev pour assumer ses réformes, la prospérité de la République fédérale, sa puissance financière, fut un facteur essentiel de l’unification. D’autre part la confiance entre Kohl et Gorbatchev fut une donnée non négligeable de la gestion de ces mois difficiles.
37La période 1974 – 1989 avait préparé des changements. La sclérose du pouvoir est-allemand et de mauvais choix avaient entraîné une situation difficile pour l’économie et la vie sociale. Le régime est-allemand gérait ces réalités au prix d’une surveillance accrue des citoyens. L’association oppression/difficultés au quotidien devint plus criante et le conservatisme stalinien des dirigeants plus difficilement supportable quand Gorbatchev entreprit sa politique de changement en URSS. Des « démocraties populaires » évoluaient. Les conditions d’une contestation active étaient réunies.
38Dans un premier temps cette contestation resta limitée en nombre et en portée : abrités et soutenus par les « Églises d’en bas », elle ambitionnait une humanisation du socialisme et une amélioration des conditions de vie sans remettre en cause la RDA. Mais peu à peu des exigences plus dures furent portées par un nombre croissant de citoyens de la RDA. Ce double durcissement fut le fruit de trois facteurs. L’attitude du SED qui fit des concessions toujours trop pusillanimes et trop tardives mais renonça aux mesures de répression qui, par le passé, s’étaient avérées dissuasives dans les pays de l’Est. Progressivement délégitimé par le peuple il ne put affronter une radicalisation des demandes quand celles-ci passèrent de la réforme de l’État à l’exigence de sa disparition au profit d’une unité nationale. Enfin, à la faveur de la confiance qu’elle avait établie avec Moscou, et qu’elle renforça dans les mois du changement, Bonn put (car elle en avait les moyens) – et sut (ce qui fut son mérite) – tirer profit d’un contexte international favorable : une Union soviétique affaiblie, un président américain qui comprit le bénéfice que la question allemande pouvait constituer pour ses rapports avec l’Est.
Notes de bas de page
1 Cf. Jean-Paul Cahn, Ulrich Pfeil (éd.), Allemagne 1945 – 1961. De la « catastrophe » à la construction du Mur, Villeneuve d’Ascq, 2008.
2 Cf. Id. (éd.), Allemagne 1961 – 1974. De la construction du Mur à l’Ostpolitik, Villeneuve d’Ascq, 2009.
3 Voir pour les différents récits : Axel Schildt, « L’histoire de la République fédérale – vingt ans après la Réunification », dans le présent volume.
4 Eckart Conze, Die Suche nach Sicherheit. Eine Geschichte der Bundesrepublik Deutschland von 1949 bis in die Gegenwart, Munich, 2009, p. 616.
5 Cf. Hartmut Kaelble (éd.), Der Boom 1948 – 1973. Gesellschaftliche und wirtschaftliche Folgen in der Bundesrepublik Deutschland und in Westeuropa, Opladen, 1992.
6 Cf. Anthony Sutcliffe, An Economic and Social History of Western Europe since 1945, Londres, 1996; Colin Crouch, Social Change in Western Europe, Oxford, 1999.
7 Cf. Anselm Doering-Manteuffel, « Langfristige Ursprünge und dauerhafte Auswirkungen. Zur historischen Einordnung der siebziger Jahre », in : Konrad H. Jarausch (éd.), Das Ende der Zuversicht ? Die siebziger Jahre als Geschichte, Göttingen, 2008, pp. 313 – 329, ici pp. 317s. La citation suivante à la page 314. Voir aussi : ID., « Nach dem Boom. Brüche und Kontinuitäten der Industriemoderne seit 1970 », in : Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte, 55 (2007) 4, pp. 559 – 583 ; Id., Lutz Raphael, Nach dem Boom. Perspektiven auf die Zeitgeschichte seit 1970, Göttingen, 2008 ; Thomas Raithel et al. (éd.), Auf dem Weg in eine neue Moderne ? Die Bundesrepublik Deutschland in den siebziger und achtziger Jahren, Munich, 2009.
8 Konrad H. Jarausch, « Verkannter Strukturwandel. Die siebziger Jahre als Vorgeschichte der Probleme der Gegenwart », in : Id. (note 7), pp. 9 – 26, ici p. 15.
9 Cf. Dierk Hoffmann, « La politique économique et sociale sous le signe du choc pétrolier », dans le présent volume.
10 Patrice G. Poutrus, « Vers l’Ouest : une histoire de la consommation germano-allemande à sens unique », dans le présent volume ; cf. aussi Wolfgang König, Geschichte der Konsumgesellschaft, Stuttgart, 2000 ; Zygmunt Bauman, The Individualized Society, Cambridge, 2001.
11 Cf. André Steiner, « Bundesrepublik und DDR in der Doppelkrise europäischer Industriegesellschaften. Zum sozialökonomischen Wandel in den siebziger Jahren », in : Zeithistorische Forschungen, 3 (2006), pp. 342 – 362.
12 Cf. Jean-François Eck, « Les économies : deux modèles à l’épreuve des réalités », dans le présent volume.
13 Cf. Ilko-Sascha Kowalczuk, Endspiel. Die Revolution von 1989 in der DDR, Munich, 2009.
14 Voir pour un sujet qui a éclaté au grand jour en 1989/90, inconnu du grand public à cette époque : Tobias Wunschik, « Le soutien de la Stasi au terrorisme d’extrême-gauche. Les retombées en RFA et en France », dans le présent volume.
15 Andreas Wirsching, « Für eine pragmatische Zeitgeschichtsforschung », in : Aus Politik und Zeitgeschichte, 3 (2007), pp. 13 – 18, ici pp. 15 et 18.
16 Cf. Jörg Neuheiser, Andreas Rödder, « Mutations des valeurs » à l’Est et à l’Ouest ? Perspectives historiques et sociologiques », dans le présent volume.
17 Voir pour les évolutions similaires des cinématographies allemandes de l’Ouest et de l’Est dans des contextes différents : Cyril Buffet, « Les cinémas allemands. À la recherche du présent antérieur », dans le présent volume.
18 Cf. Corine Defrance, « › La guerre des ondes‹. La télévision : arme et miroir du conflit interallemand », dans le présent volume.
19 Andreas Rödder, Die Bundesrepublik Deutschland 1969 – 1990, Munich, 2003, p. 149.
20 Cf. Wilfried Loth, Helsinki, 1. August 1975. Entspannung und Abrüstung, Munich, 1998.
21 Cf. Werner Link, « Der lange Weg zum ›geregelten Nebeneinander‹. Die Deutschlandpolitik der Bundesrepublik Mitte der sechziger bis Mitte der siebziger Jahre », in : Christoph Klessmann et al. (éd.), Deutsche Vergangenheiten – eine gemeinsame Herausforderung. Der schwierige Umgang mit der doppelten Nachkriegsgeschichte, Berlin, 1999, pp. 97 – 114, ici p. 113.
22 Cf. Hermann Wentker, « Entre concurrence, cohabitation et coopération. Les deux États allemands dans l’arène internationale », ou encore Julien Thorel, « Les stratégies tiers-mondistes des deux Allemagnes », dans le présent volume.
23 Egon Bahr, Zu meiner Zeit, Munich, 1996, p. 424.
24 Voir la synthèse que présente Georges-Henri Soutou, La guerre de Cinquante ans. Les relations Est-Ouest 1943 – 1990, Paris, 2001, pp. 599ss.
25 Cf. Hélène Miard-Delacroix, « La paix : une responsabilité allemande spécifique et partagée ? », dans le présent volume.
26 Par une politique parallèle (« Nebenaußenpolitik ») sur le modèle britannique du shadow cabinet, le SPD chercha après 1982 à préserver les chances de détente interallemande qu’il estimait menacée, y compris par des contacts directs avec le SED. Les sociaux-démocrates s’éloignaient de la politique de l’OTAN et des alliés occidentaux de la RFA en risquant de se discréditer et de s’isoler. En voulant mettre la pression sur le gouvernement Kohl, le parti social-démocrate suscita des doutes sur sa loyauté en tant que parti d’opposition parlementaire en RFA ; cf. Jean-Paul Cahn, « Divisions et frustrations : le SPD face à l’unification allemande », dans le présent volume.
27 « Rede von Erich Honecker am 13.10.1980 zur Eröffnung des SED-Parteilehrjahres 1980/81 », in : Texte zur Deutschlandpolitik, Reihe 2/vol. 8, pp. 170 – 179, ici p. 177.
28 Cf. Conze (note 4), pp. 522s.
29 Cf. Heinrich Potthoff (éd.), Die ›Koalition der Vernunft‹. Deutschlandpolitik in den 80er Jahren, Munich, 1995, p. 234.
30 Cf. Dierk Hoffmann, « Honecker in Bonn. Deutsch-deutsche Spitzentreffen 1947 – 1990 », in : Udo Wengst, Hermann Wentker (éd.), Das doppelte Deutschland. 40 Jahre Systemkonkurrenz, Berlin, 2008, pp. 333 – 356.
31 Andreas Rödder, Deutschland einig Vaterland. Die Geschichte der Wiedervereinigung, Munich, 2009, p. 49.
32 Cf. Konrad H. Jarausch, Die unverhoffte Einheit 1989 – 1990, Francfort/M., 1995 ; Fredrick Taylor, Die Mauer : 13. August 1961 bis 9. November 1989, Munich, 2009 ; Cyril Buffet, Le jour où le mur est tombé, Paris, 2009.
33 Cf. Ehrhart Neubert, Unsere Revolution. Die Geschichte der Jahre 1989/90, Munich, 2008.
34 Cf. Jérôme Vaillant, « L’effondrement de la RDA (mai 1989 – mars 1990) », dans le présent volume.
35 Cf. Nicolas Werth, Histoire de l'Union soviétique. De Khrouchtchev à Gorbatchev 1953 – 1991, Paris, 2007.
36 Pour l’attitude de Stefan Heym en 1989 – 1990, voir Sonia Leverd, « Un écrivain dans le tourbillon de l’histoire. Stefan Heym, interprète des événements », dans le présent volume.
37 Concernant les relations entre littérature est-et ouest-allemandes dans les années 1970 – 1980, voir Carola Hähnel-Mesnard, « Rapprochements entre les champs littéraires de la RDA et de la RFA dans les années 1970 – 1980 », dans le présent volume
38 Jérôme Vaillant, « De la division à l’unification (1945 – 1990) », in : Allemagne d’aujourd’hui, 146 (1998), pp. 42ss.
39 Verhandlungen des Deutschen Bundestages. 11. Wahlperiode. Stenographische Berichte. 177. Sitzung vom 28.11.1989, p. 13508.
40 Reiner Marcowitz, « Les partis gouvernementaux : du ›tournant‹ ouest-allemand de 1982 à l’unification », dans le présent volume.
41 Voir Frédéric Bozo, « La France face à l’unification allemande », dans le présent volume. À l’occasion du vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin, le ministère des affaires étrangères britannique a décidé de « déclassifier » quelque 600 pages de correspondances et comptes rendus de réunions relatifs à cette période qui ont suscité un écho important dans la presse française, britannique et allemande ; cf. Documents on British Policy Overseas, série III, vol. VII, ›German Unification 1989 – 1990‹, édité par Patrick Salmon et al., Londres, 2009 ; James Blitz, « Mitterrand feared emergence of ›bad‹ Germans », in : Financial Times, 9 septembre 2009 ; Virginie Malingre et Marie-Pierre Subtil, « Entente cordiale contre l'Histoire », in : Le Monde, 11 septembre 2009 ; Thomas Kielinger, « Wie Thatcher die deutsche Einheit verhindern wollte », in : Die Welt, 15 septembre 2009.
42 Voir Ulrich Pfeil, « Une ›fenêtre de tir‹ unique. L’unification de l’Allemagne dans son cadre international », dans le présent volume.
43 Soutou (note 24), pp. 724s.
Auteurs
Né en 1945 ; Professeur d’études germaniques à l’Université de Paris IV-Sorbonne
Né en 1966 ; Professeur d’études germaniques à l’Université Jean Monnet, Saint-Étienne
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