Les constitutions des deux Allemagnes
p. 127-151
Texte intégral
1Une contribution consacrée aux constitutions des deux Allemagnes1 devait trouver sa place dans le volume sur la naissance des Allemagnes. Cela eut été pertinent pour la République fédérale, la Loi fondamentale ou « Grundgesetz » : en dépit de ses faiblesses, ce texte réglementa la vie politique, il conquit l’adhésion des Allemands de l’Ouest, subit des modifications ponctuelles, quoique parfois essentielles, et devint au prix d’adaptations minimales la constitution de l’Allemagne unifiée en 1990. Par contre, la constitution que se donna l’Allemagne de l’Est en 1949 ne pouvait trouver sa place dans le premier volume. Rédigée non pour réglementer la vie de l’État, mais pour masquer des intentions et préserver la liberté d’action des dirigeants, elle ne trouva sa forme véritable qu’un quart de siècle après la naissance de la RDA.
2Les Allemands d’après 1945 comptaient regagner l’unité nationale. L’occupation et l’assurance de recouvrer les frontières de 1937, à laquelle il était politiquement nécessaire de croire, accélérèrent les réflexions dans le cadre d’un retour à la démocratie, fixé par les occupants. S’il avait existé dans l’immédiat après-guerre des projets visant à la partition de l’Allemagne, et bien que l’étranger s’accommodât par la suite de sa division, l’élaboration de deux constitutions pour deux États allemands séparés participa moins d’une volonté politique que des tensions internationales. Il n’est donc pas surprenant que ces constitutions aient donné lieu à des démarches opposées s’inscrivant dans des conceptions politiques rivales.
Une constitution a minima et une constitution en trompe-l’œil
3Par son ampleur, l’effondrement du Reich créait, aux plans constitutionnel et institutionnel, les conditions d’un départ sur des bases nouvelles. Contrairement à 1918 la responsabilité allemande ne faisait pas débat, l’ampleur de la défaite et de la culpabilité imposait un changement. Le naufrage d’un Reich foncièrement antidémocratique donna à la démocratie une crédibilité qui créa un terrain favorable à la volonté des occupants d’imposer cette forme de vie commune. Néanmoins les fondations des deux États furent posées sans le peuple. L’autorité était aux mains des Quatre, lesquels n’avaient pas de la « démocratie » une conception commune. À l’Est les communistes reproduisirent avec quelque prudence tactique le schéma soviétique de « démocratie populaire » ; les autres partis allemands souhaitaient majoritairement une société libérale et une démocratie plurielle.
À l’Est : Une apparente continuité de Weimar (1945 – 1949)
4Le KPD affirma en juin 1945 :
« Nous estimons qu’imposer à l’Allemagne le système soviétique serait la mauvaise voie, car cette voie ne correspond pas aux conditions de développement actuelles de l’Allemagne. Nous estimons plutôt que les intérêts décisifs du peuple allemand imposent dans la situation actuelle une autre voie, celle de la construction d’un régime antifasciste, démocratique, une république démocratique et parlementaire incluant tous les droits et libertés pour le peuple »2.
5Dès 1946, il envisagea la formation d’un gouvernement unitaire pour un État allemand3 et, élaborée par Karl Polak4, une constitution fédérale pour une république allemande démocratique5 avec la Chambre du Peuple pour organe suprême. Ce texte était suffisamment inspiré de la constitution de Weimar pour être acceptable par l’Ouest, mais il rejetait la séparation des pouvoirs. La remise de l’autorité suprême à une instance parlementaire était censée compenser la concentration du pouvoir. Ces propositions répondaient aux projets de Staline : inféodation de l’Allemagne à Moscou ou, à défaut, installation dans sa zone d’un régime inspiré par le Kremlin.
6En 1948, le Deuxième Congrès du Peuple désigna un « Conseil du Peuple », dominé par le SED et chargé d’élaborer une constitution. L’on s’orientait vers un État indépendant de l’Ouest. Le 7 octobre 1949, le Conseil du Peuple, constitué en Chambre provisoire, vota la constitution (appelée « Verfassung der Deutschen Demokratischen Republik »). La RDA se donna une constitution libérale inspirée de celle de 1919. Elle allait au-delà en se présentant comme expression de la volonté populaire et vecteur de la souveraineté du peuple et de l’antifascisme, ce qui rendait son texte acceptable pour tous les partis Est-allemands, et, affirmait-on, le distinguait en profondeur de celle de l’Ouest qui avait été « octroyée ». En réalité ni l’une ni l’autre ne firent l’objet d’une adoption directe. Par contre, l’Est avait incité la population à participer aux débats avant son adoption. Cette consultation (encadrée) fonda une certaine confiance populaire même quand le texte subit des modifications fondamentales.
7Alors que la République fédérale fonda dès sa création le vivre ensemble sur la loi et la justice, faisant de sa constitution la clé de voûte de son fonctionnement, l’Est distingua d’emblée constitution et pratique politique. La souveraineté du peuple (cf. la notion de « Volksdemokratie »), que rien ne devait entraver, devait être garantie par la constitution est-allemande. En réalité celle-ci fut conçue dès l’origine comme alibi. De fait les lois qui furent votée par la suite, et qui auraient dû en être le prolongement, la dénaturèrent parfois en profondeur. « La politique, écrit Julia Schulze Wessel, avait pris le pas sur le droit »6. Le pluralisme affiché devait masquer la concentration du pouvoir. Cette tromperie s’avéra une étape importante sur la voie de l’autoritarisme, de la sclérose et de l’autisme des dirigeants. La notion de « centralisme démocratique », en vigueur dans les partis communistes de cette époque (y compris le PCF), trop marquée pour ne pas inquiéter, était absente de la constitution. Par contre, l’article 92 introduisait avec le système des « blocs politiques » la participation au gouvernement des partis représentés au parlement. C’était là le moyen de travestir un monopartisme dictatorial en pluripartisme.
8La concentration des pouvoirs avait été préparée, notamment, au plan de la politique partisane. Le KPD avait fusionné avec le SPD en 1946 en zone d’occupation soviétique. Ce parti, qui prit le nom de « parti socialiste unifié » (SED), donna aux communistes Est-allemands, soutenus par la SMAD, le moyen de structurer la vie politique du territoire autour d’eux. Cette fusion était nécessaire mais non suffisante. Le deuxième volet de cette évolution fut que le SED se déclara en 1948 « parti de type nouveau », parti de cadres (« centralisme démocratique ») sur le modèle stalinien. Enfin ce même SED écarta de ses propres structures ceux qui ne s’inscrivaient pas dans l’orthodoxie (purges) et il renforça son contrôle sur les « organisations de masse ».
9La deuxième phase était plus délicate : prendre sous sa coupe les autres partis, d’inspiration chrétienne-démocrate ou libérale, tout en préservant l’indispensable image du pluralisme. Le SED agit progressivement : il entreprit d’y éroder toute mouvance contraire et d’y introduire ou d’y renforcer des éléments qui lui étaient favorables. La création d’un ministère de la Sécurité de l’État (entré dans l’histoire sous le nom de « Stasi »), confié à un ancien des services secrets soviétiques, Wilhelm Zaisser, marqua une étape importante, tout comme la tenue de procès-spectacles (le seul procès de Waldheim réunit 3 300 accusés, sur 31 condamnations à mort, 24 furent exécutées !)7. Cette démarche, parfaitement inconstitutionnelle, fut habillée en création d’un « Bloc des partis antifascistes et démocratiques ».
10En matière économique aussi la constitution de 1949 reprit largement les termes de celle de 19198, référence à la justice sociale et à une existence digne9. Mais les allusions au libéralisme économique avaient disparu. Par contre, le futur État pouvait asseoir la planification dans laquelle l’économie du territoire était déjà engagée sur l’article 21 de la constitution, et les articles 24, 25 et 27 offraient les moyens de réaliser des nationalisations.
11Concernant l’organisation territoriale, la RDA comportait cinq « Länder » que représentait une Chambre (« Länderkammer »). Leurs constitutions avaient donné lieu, en 1946, à des débats dans lesquels les chrétiens-démocrates n’avaient guère pu faire valoir leurs arguments face à ceux qui, défendant la ligne de l’occupant, préconisaient comme cadre étatique une république populaire garantissant le progrès social à l’intérieur et l’entente entre les peuples en politique étrangère, seule solution susceptible de rétablir l’unité allemande10. Là était une différence essentielle entre les deux Allemagnes en 1949. Les Trois avaient imposé à leurs zones une structure fédérale. Les constituants Ouest-allemands en firent un fondement de la répartition des compétences. Ils respectèrent les constitutions que s’étaient données les « Länder », et ceux-ci purent garder des formes de démocratie de voisinage. Par contre, bien qu’elle présentât des aspects fédéraux, la constitution Est-allemande était centralisatrice. Le rôle-clef des « Länder » qu’affirmait l’article 1 (« L’Allemagne est une république indivisible ; elle s’appuie sur les « Länder » allemands ») ne se justifiait que dans la perspective d’une unité nationale : présentée sous l’angle fédéral, l’unité effrayait moins puisqu’elle relativisait la concentration des pouvoirs, et unifier des entités régionales était plus commode que réunir deux États.
À l’Ouest : Une constitution non souhaitée
12Quand bien même la dimension raciale n’en fut encore perçue qu’imparfaitement, le nationalisme tombait en discrédit dans sa forme outrancière et conquérante11 ; pour autant l’attachement à la nation demeura et les chefs des gouvernements régionaux (« Ministerpräsidenten ») accueillirent sans enthousiasme les documents de Francfort par lesquels les Trois leur imposaient la mise en place d’un État sur une partie seulement de la nation. Pour eux le naufrage du national-socialisme avait entraîné la fin du Troisième Reich, pas celle de l’Allemagne. Créer un État partiel hypothéquait, durablement craignaient-ils, le retour à l’unité. Ils proposèrent divers artifices pour marquer le caractère provisoire de la constitution à laquelle ils ne pouvaient se soustraire. On joua sur les mots : un « conseil parlementaire » constitué de délégués élus à la proportionnelle par les « Landtage »12) vota une « loi fondamentale » et non une constitution, laquelle ne fut pas soumise au suffrage universel mais adoptée par les parlements régionaux, à la majorité des deux tiers – ce qui permit à la Bavière de se dispenser de voter le texte.
13La naissance en 1949 de deux Allemagnes qui n’avaient ni souveraineté ni légitimité propres fut ainsi marquée par deux constitutions distinctes, élaborées sous le contrôle des occupants, qui donnaient réalité à la division même si nul n’imaginait qu’elle allait durer quatre décennies.
L’impératif démocratique
14L’Allemagne de l’après-guerre était perçue comme une puissance arrogante et une nation belliqueuse que l’étranger n’était pas pressé de voir se réunifier. Le recouvrement d’un rôle international passait par la consolidation de la démocratie, vers laquelle poussaient également des considérations intérieures. Il fallait éviter le retour à la dictature et à la barbarie – possibilité que n’excluaient ni Adenauer ni Schumacher, ni bien d’autres. Or, en arrière-plan des travaux des « pères de la constitution », la crise de Berlin (depuis fin juin 1948) rappelait que l’Allemagne n’était pas à l’abri d’une nouvelle dictature ni de nouveaux camps – comme le notait le maire social-démocrate de Berlin-Ouest Ernst Reuter le 9 septembre à propos de l’Est : « Les camps de concentration sont les mêmes, à la seule différence près que le marteau et la faucille ont pris la place de la croix gammée »13. Aussi les constituants placèrent-ils les droits de l’Homme au début, pour donner le ton et orienter la lecture de l’ensemble du texte, « La dignité de l’Homme est intangible. Toute puissance étatique a obligation de la respecter et de la protéger », inversant la relation individu – société des années 1933 – 194514. Suivaient dix-huit articles qui énuméraient avec soin et garantissaient les libertés fondamentales, auxquels on donna un caractère inaliénable.
15La place de l’individu au cœur de la démocratie s’imposa dans la pratique – notamment par les décisions de la Cour constitutionnelle fédérale15. Elle s’inscrivait dans le cadre de l’« ordre fondamental libéral et démocratique » qui visait, à travers le respect des droits de l’Homme, la séparation des pouvoirs, l’indépendance judiciaire ou le pluralisme politique, à garantir la liberté et l’égalité individuelles et à éviter l’autoritarisme. Cette « freiheitlich-demokratische Grundordnung » était d’une importance telle que l’article 87a de la « Loi fondamentale » autorisait même le recours à la force pour la défendre ou la rétablir (« wehrhafte Demokratie »).
16La séparation des pouvoirs était elle aussi conçue comme composante de l’Allemagne en tant qu’« État fondé sur le droit ». Seul un rapport d’endiguement, d’équilibre et de contrôle entre les trois pouvoirs avec des organes responsables pouvait garantir le fonctionnement démocratique des institutions.
17L’article 79,3 disposa qu’aucune révision constitutionnelle ne pouvait remettre en cause « les principes énoncés à l’article 1 et à l’article 20 » afin d’éviter que ne fussent « dénatur [és] l’esprit et la lettre […] à l’image de ce qui s’[était] produit sous Weimar »16, montrant que, si la constitution elle-même était provisoire, les principes qui la fondaient devaient être pérennes.
18L’équilibre des pouvoirs fut également conçu pour éviter une nouvelle dérive weimarienne. On chercha à allier stabilité politique et complémentarité des pouvoirs. On remédia au risque d’instabilité gouvernementale en introduisant le vote de méfiance constructif17 et l’on fit en sorte que le président de la République ne puisse pas congédier le chancelier. Le président, premier personnage de l’État, vit ses pouvoirs fortement restreints. On s’attacha également, le traumatisme de l’expérience Hindenburg aidant, à relativiser sa légitimité en ne lui donnant plus l’onction d’une élection au suffrage universel, mais en confiant (en grande partie à l’initiative de Carlo Schmid18) le choix à des grands électeurs.
19Souci d’équilibre aussi au parlement – à travers la représentation du peuple et de la confédération. Le rétablissement du bicamérisme permit, dans la première chambre, une représentation de la carte électorale – la loi électorale faisant que le vote majoritaire uninominal qui résulte des circonscriptions soit pondéré par des élections sur listes régionales – et une représentation des « Länder » dont la configuration politique change avec la constitution des gouvernements à l’issue des élections aux « Landtage ». Les deux chambres disposent depuis l’origine d’un droit de proposition et d’une large maîtrise de leur calendrier.
Choix de société
20L’effondrement du Reich suscita aussi des projets en matière économique et sociale. Chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates n’avaient ni l’un ni l’autre de religion monochrome dans ces domaines. L’idée l’emportait au SPD que le laisser-faire n’était pas une solution, mais il maniait étatisation, nationalisation ou planification avec prudence. La planification avait des partisans influents. L’un des principaux conseillers de Kurt Schumacher, Viktor Agartz, plaidait pour une « économie socialiste planifiée dans un État de droit démocratique »19, perception qu’Erik Nölting, qui établissait une distinction nette entre « socialisation » et « étatisation », tendait à relativiser en pondérant son importance par d’autres leviers économiques, tels par exemple la cogestion (au sens allemand de « Mitbestimmung »). Richard Löwenthal se prononçait en faveur d’une planification contrôlée par les syndicats, les conseils d’entreprises et les associations de consommateurs. On espérait agir indirectement sur le marché pour que l’économie profite à tous. Le plein emploi était un objectif majeur, afin de rompre avec cette réserve de main d’œuvre que constituaient les chômeurs pour le capitalisme sauvage, et de parvenir à un meilleur niveau de vie pour l’ensemble de la société. Les tenants du « socialisme libéral », Hans Ritschl ou Gerhard Weisser, intégraient la diversité sociale dans leur conception d’une régulation de l’économie, et Rudolf Zorn plaidait ouvertement pour un libéralisme avec des espaces de régulation20. L’orthodoxie n’ayant pas pu s’imposer (Paul Fröhlich etc.) et les idées de Keynes exerçant quelque attrait, le parti se prononça pour une planification qui se situait aux antipodes de la ligne centralisatrice et collectiviste dans laquelle la SMAD avait engagé l’Allemagne de l’Est après la guerre et qui trouva en particulier sa concrétisation dans l’article 9,3 de la constitution de la RDA.
21Né sous forme atomisée le parti chrétien-démocrate n’eut d’abord pas de réelle identité. L’échec de la tentative de Bad Godesberg (1947) de lui donner une direction commune, fit perdurer cette situation. En zone soviétique, en partie afin de trouver un modus vivendi avec la SMAD, Jakob Kaiser et Ernst Lemmer s’engagèrent en faveur d’un « socialisme de responsabilité chrétienne », savant mélange de planification et de libéralisme. Leur mise à l’écart tint d’ailleurs moins à leurs conceptions économiques qu’à leur position en faveur de l’acceptation du Plan Marshall et surtout à leur rejet de la frontière Oder-Neiße.
22Comme dans la plupart des partis chrétiens-démocrates occidentaux une tendance libérale et une tendance socialisante cohabitèrent d’abord. Konrad Adenauer et la réforme monétaire de 1948 changèrent la donne. Sous l’influence de Ludwig Erhard, qui n’était pas membre du parti, la CDU s’orienta vers l’« économie sociale de marché », ligne à forte dominante néolibérale inspirée d’hommes qui étaient pour une large part philosophes, Wilhelm Röpke, Walter Euken, Friedrich August von Hayek, Alexander Rüstow ou les chrétiens-démocrates Franz Böhm et Alfred Müller-Armack, l’initiateur du concept. Or, l’ordo-libéralisme, précurseur de l’économie sociale de marché, avait avant tout pour fonction de faire barrage au socialisme en atténuant les excès du libéralisme absolu (capitalisme sauvage) par l’introduction d’éléments sociaux dans le respect de la liberté individuelle d’entreprendre. Le rôle de l’État était limité pour l’essentiel à éviter par sa politique économique et sociale la paupérisation de certaines couches sociales d’une part, la formation de cartels de l’autre, dans le respect de la propriété individuelle.
23Les schémas défendus par la CDU et le SPD étaient inconciliables. Or ils comptaient chacun 27 députés au Conseil parlementaire sur 65 au total, la lutte fut âpre et déboucha sur des dispositions constitutionnelles suffisamment vagues pour que le premier chancelier puisse orienter l’économie fédérale. Le chapitre « Finances » donna lieu à bien des contestations par la suite.
24Les articles 20 et 28 définissaient la République fédérale comme un « État social ». Dans la pratique, la constitution s’avéra adaptée à la politique économique de Ludwig Erhard, largement orientée vers un interventionnisme étatique réduit au minimum. Le contexte économique des années 1950 – 1960 favorisa une croissance qui, en apportant aux Allemands de l’Ouest confort et prospérité, consolida la République fédérale. Comme l’a souligné Alfred Grosser, ses succès, sa croissance et sa stabilité gouvernementale légitimèrent la RFA, y compris dans ses institutions, alors que la Première République allemande n’avait pas trouvé de légitimité.
25Si la Loi fondamentale a fait l’objet d’une quarantaine de modifications – à la majorité des deux tiers des chambres – celles-ci ont consisté avant tout en des adaptations du texte aux réalités et évolutions sociales ; tel fut le cas en 1954 et 1956 quand il s’agit d’adapter la République fédérale à la création d’une armée allemande. Mais elles n’ont pas modifié l’esprit du texte, contrairement à ce qui se passa à l’Est.
Stabilité et consolidation versus adaptation
La mise en place de la Loi fondamentale
26La constitution Ouest-allemande constituait un appel permanent à la Réunification. Elle fonda l’exigence de représentation exclusive puis la « doctrine Hallstein » : les gouvernements Adenauer dénièrent toute légitimité au régime d’Allemagne orientale, non élu démocratiquement et, conformément à l’esprit du Préambule de sa Loi fondamentale, Bonn se posa en représentant y compris de la partie du peuple que les circonstances privaient de leurs droits démocratiques. On évita jusqu’au terme de « République Démocratique », parlant de « zone soviétique », expression qui soulignait que la RDA devait son existence à la volonté de l’occupant.
27Mais si la « Grundgesetz » telle qu’elle avait été votée le 23 mai 1949 avait délibérément renoncé à certains atours des constitutions, sa dimension démocratique avait été l’objet des plus grands soins, signifiant par là que ce texte était destiné à être effectivement appliqué et à jouer son rôle de garant de la démocratie. Et de fait la vie politique de la nouvelle République fédérale d’Allemagne se structura à partir et autour de la constitution, la mise en place de ses institutions en témoigna au point que Dolf Sternberger put parler de « patriotisme constitutionnel ».
La Cour constitutionnelle fédérale
28La Cour constitutionnelle fédérale (« Bundesverfassungsgericht » – BVG) en est une illustration. Elle traduit bien la différence d’approche entre les deux Allemagnes. Mentionnée dans la Loi fondamentale, elle fut créée en 1951. À travers elle la notion d’« État fondé sur le droit » prit sa pleine expression – justice comme lieu privilégié du règlement des conflits. Surtout, à travers elle s’exprima la réalité de la séparation des pouvoirs, ce qui a contribué à la fois à son acceptation par l’opinion (voire à une certaine fierté), et, au-delà d’elle, à l’acceptation de la démocratie. Dès les premières années de son existence elle nourrit la conviction qu’il existait un garde-fou contre de possibles abus de l’exécutif et même d’un pouvoir législatif trop soumis à l’exécutif21.
29Instance décisionnelle ultime en matière juridique, la Cour constitutionnelle fédérale devait être protégée afin de garantir son indépendance et sa liberté de décision. Les dispositions la concernant la placèrent d’emblée à double titre en position extérieure au monde politique : d’une part parce que, étant élus par les deux Chambres et non nommés par quelque potentat, ses juges ne doivent de merci à personne ; d’autre part elle se prononce par un jugement à l’issue d’une procédure judiciaire, et ce jugement prime toute autre autorité. La pratique a démontré que, loin d’être un « gouvernement des juges », la BVG constitue un contre-pouvoir – au sens d’élément d’équilibre entre les pouvoirs.
30Tout citoyen peut en appeler à elle une fois qu’il a épuisé toutes les voies du droit. L’opposition parlementaire y recourt lorsqu’elle estime qu’une loi porte à faux par rapport à la constitution. Pour ne citer que deux exemples restés célèbres : en 1954, le parti social-démocrate, jugeant certaines dispositions des accords de Paris sur la Sarre inconstitutionnels, s’en est remis à Karlsruhe. Quelques années plus tard, les chrétiens-démocrates, opposants à leur tour, ont soumis les « accords fondamentaux » interallemands à son examen. Les juges de Karlsruhe ont aussi fréquemment à se prononcer sur des questions de société – en six décennies leurs décisions ont dépassionné maint débat.
L’évolution constitutionnelle de la RDA
31Le parti qui prit les rênes de la République démocratique allemande fit d’emblée peu de cas de la constitution. Le modèle soviétique, absent du texte, était bien présent dans la réalité. La vox populi ne tarda d’ailleurs pas à qualifier le SED de « parti des Russes », expression qui ne traduisait pas qu’un état de fait politique.
La constitution-paravent de 1949
32La réalité était autre que constitutionnelle : la RDA devait se construire à partir d’une centralisation géographique et institutionnelle dans le cadre de laquelle on attribuait un rôle fondamental à la Chambre du Peuple22. En théorie le schéma était plus subtil : la Chambre du Peuple étant l’expression de la volonté du peuple, « authentique parlement populaire [« Volksparlament »] immédiatement issu de la volonté du peuple » selon la formule d’Otto Grotewohl23, son rôle pouvait légitimement être étendu. Elle n’était pas seulement le lieu de l’élaboration des lois, elle était chargée d’interpréter la constitution et elle tenait le rôle d’instance ultime d’appel, fonctions qui revenaient à l’Ouest à la Cour constitutionnelle. La création d’un « Bloc antifasciste », ouvertement dominé par le SED, préempta de facto toute indépendance du parlement. Tous les groupes parlementaires contribuant à la formation du gouvernement24, et l’article 6,2 de la constitution prévoyant des mesures contre « l’incitation au boycottage »25, toute opposition parlementaire se trouvait de fait exclue. Comme en outre les organisations de masse, la presse ou la culture étaient aux mains du SED, et le marxisme-léninisme idéologie officielle, la place des droits fondamentaux, proclamés dans la constitution, était ténue. Enfin le Bureau politique du SED imposait souvent à la Chambre, de manière inconstitutionnelle mais réelle, les décisions qu’elle devait prendre. Si bien que, contrairement à ce qui se passait en RFA, il n’exista jamais en RDA d’instance d’appel indépendante. À la Chambre du Peuple l’appel restait aux mains des députés qui avaient voté les lois sans opposition ; le juge était aussi partie, et en fin de compte n’existait aucun recours contre le pouvoir.
33La césure entre apparence constitutionnelle et réalité fut également illustrée par la disparition des « Länder » et leur remplacement par des « Bezirke »26, au nom de la « construction du socialisme », en 1952. Cette modification structurelle essentielle de la république ne donna pas lieu à la moindre modification constitutionnelle. Inversement la création de la « Nationale Volksarmee », en 1955, fut l’occasion d’une modification constitutionnelle avec la réécriture, le 26 septembre 1955, de l’article 5,4 : « Le service de la protection de la Patrie et des acquis des travailleurs est un devoir honorable des citoyens de la République Démocratique allemande ». Certes, cette modification n’introduisait pas le service militaire obligatoire. Celui-ci fut créé en janvier 1962, dans la continuité de la construction du Mur de Berlin, par une « loi sur le service militaire obligatoire ». Dans d’autres domaines la dissolution des parlements régionaux (1958) ou encore l’institutionnalisation du Conseil de l’État en furent également l’occasion. En 1960, à la mort du président de la République Wilhelm Pieck, le SED décida de le remplacer par un « Staatsrat » conçu sur le modèle du Soviet suprême de l’URSS. Walter Ulbricht, Premier secrétaire du Comité central du SED et du Conseil national de Défense, en fut le premier président. Ses successeurs furent Willi Stoph puis Erich Honecker, et enfin, pour quelques mois, Egon Krenz27. Les premières modifications que connut la constitution de 1949 eurent donc pour objet le renforcement du pouvoir central, sa soviétisation.
34Quand bien même la formule n’est que partiellement exacte, on peut dire que la constitution de la RDA changea tandis que celle de la RFA se consolidait. Dans les deux Allemagnes, le pouvoir s’établit après avoir pris à l’Est la forme centralisée et autoritaire de la « démocratie populaire » dominée par le parti, à l’Ouest, et sous l’influence du gouvernement Adenauer, celle d’une démocratie plurielle dont la clef de voûte était le chancelier.
35À l’Est, le renoncement à appliquer la constitution de 1949 créa une dichotomie entre le texte et la réalité constitutionnels. Le pouvoir, que la constitution n’entravait guère, substitua à son application la proclamation de grands idéaux (paix, construction du socialisme, soutien aux peuples qui se libéraient du joug colonial, etc.) ; les arguties des constitutionnalistes devaient faire le reste, obtenir l’adhésion populaire.
36Dans un premier temps l’idée de reconstruction d’une république et d’une économie en devenir eut un effet mobilisateur : les survivants parlent encore de cette époque comme d’une période d’enthousiasme autour de cette reconstruction et des améliorations qu’elle apportait. Mais les soulèvements de 1953, qui virent les revendications professionnelles se muer en exigences démocratiques, allaient souligner la distance séparant les ouvriers d’un pouvoir qui se légitimait en se réclamant d’eux. La reprise en main fut brutale et elle permit de faire taire l’opposition pour un temps. Mais la nécessité d’une adaptation constitutionnelle ne se fit pas sentir. Par contre, les soubresauts que connut le Bloc soviétique dans la deuxième moitié des années 1960, l’expérience Alexander Dubček en particulier, ne furent pas étrangers à l’évolution constitutionnelle de l’Allemagne de l’Est.
La constitution de 1968
37La première constitution soumise à adoption populaire, à la suite d’une procédure préparatoire telle qu’elle se pratiquait dans les pays socialistes, vit le jour en 1968. Elle avait été précédée par deux étapes importantes. Au plan idéologique, le parti avait constaté que le passage du capitalisme au socialisme était devenu réalité depuis le début des années 1960 ; s’il convenait d’engager la marche vers la phase du communisme, il était possible d’enregistrer ce progrès. Ulbricht le fit en septembre 1967, qualifiant la RDA de « communauté humaine socialiste »28. D’autre part, au plan juridique, l’adoption en janvier d’un nouveau code pénal avait en quelque sorte préemptée les conditions d’application des nouveaux principes constitutionnels. En se donnant un nouveau code pénal la RDA ne faisait pas preuve d’originalité : à cette même époque la RFA procédait aussi au toilettage d’un pan du droit qui remontait en grande partie à la période wilhelminienne. Berlin-Est s’orienta dans le sens d’un durcissement, en particulier dans le domaine des délits politiques – alors que la République fédérale adoucissait ce domaine. Si la rétroactivité disparaissait, si le sursis gagnait en importance, « le droit pénal politique draconien de la RDA était préservé […], de nombreux faits de nature politique exposaient à de longues peines de privation de liberté ou même de mort »29. Les délits ou crimes répertoriés allaient de ceux qui seraient commis « contre la souveraineté de la RDA, la paix, l’humanité et les droits de l’Homme » (art. 85 à 95), en passant par « le recueil d’informations » (art. 98), « le sabotage » (104), à une « agitation antiétatique » définie de manière si vague qu’elle pouvait couvrir toute manifestation d’opposition30.
38Destinée à mettre la constitution en adéquation avec la réalité politique, en particulier en ancrant dans le texte la situation du pouvoir, la constitution de 1968 s’inspirait de celle que Staline avait donnée à l’URSS en 1936 et affirmait dans son article premier le rôle moteur du parti. Dans son commentaire de la nouvelle constitution Klaus Sorgenicht, membre du Comité central du SED et du « Staatsrat », écrivait : « La concrétisation du rôle moteur de la classe ouvrière exige qu’à sa tête se trouve le parti marxiste-léniniste. En RDA ce parti est le SED »31.
39La RDA devenait un « État socialiste de nation allemande » (art. 1), elle se référait encore expressément à la nation allemande, ouvrant son préambule sur ces mots :
« Porté par la responsabilité de montrer à l’Allemagne tout entière la voie vers un futur de paix et de socialisme, au vu du fait historique que l’impérialisme a, sous la conduite des États-Unis et en accord avec des cercles du capital monopoliste Ouest-allemand, divisé l’Allemagne afin de faire de l’Allemagne de l’Ouest une base de l’impérialisme et de la lutte contre le socialisme, ce qui va à l’encontre des intérêts vitaux de la nation allemande, le Peuple de la République Démocratique allemande […] s’est donné la présente constitution socialiste ».
40Ce même préambule affirmait que la constitution du 6 avril 1968 prolongeait « l’esprit » de celle de 1949 et ne voyait de retour à l’unité nationale que dans le cadre du socialisme, la foi dans le matérialisme historique et la condamnation de l’impérialisme occidental. L’allusion au « Peuple de la République Démocratique » témoignait d’une démarcation vis-à-vis de la RFA et faisait de la RDA la seule Allemagne légitime, marquant le souci de s’affirmer, ce dont témoignait au demeurant la course engagée par le parti dominant pour dépasser le rival allemand au plan économique et social.
41La constitution d’avril 1968 était marxiste-léniniste. Elle enregistrait un état de la société – tel que le percevaient et le voulaient ses dirigeants. La concentration des pouvoirs, l’unité d’une société prétendument exempte de conflits d’intérêts, les alliances (avec l’URSS et les pays du Bloc soviétique), etc. se trouvaient affirmées. L’article 1 stipulait :
« La République Démocratique allemande est un État socialiste de nation allemande. Elle est l’organisation politique des travailleurs de la ville et de la campagne qui réalisent ensemble le socialisme sous la direction de la classe ouvrière et de son parti marxiste-léniniste ».
42Simultanément des droits fondamentaux disparaissaient du texte, le droit de résister (art. 4,1), celui d’émigrer (14,1), celui d’élire les comités d’entreprises (17,2), etc.32. Ces nouveautés furent maintenues en 1974. D’autres droits apparurent dans leur dimension purement rhétorique. Ainsi lisait-on à l’article 27 : « Tout citoyen de la République Démocratique allemande a le droit, conformément aux principes énoncés dans la présente constitution, d’exprimer librement et publiquement son opinion. […] Nul ne peut subir de préjudice pour avoir fait usage de ce droit ». La formulation était dénuée d’ambiguïté – mais, comme le montre Heinrich August Winkler, « Ce qu’il en était dans la pratique, de nombreux citoyens, surtout parmi la jeunesse, sympathisants du « Printemps de Prague » et qui protestèrent après le 21 août, l’apprirent en été et en automne 1968 »33.
43Il est vrai que l’expérience Alexander Dubček et l’espoir d’un « socialisme à visage humain » n’avaient pas suscité des espérances qu’à l’Ouest, vrai également que la RDA avait déjà condamné dès les années 1950 des réformateurs porteurs de cette même exigence. Mais l’hostilité ouverte de Berlin à l’entreprise tchécoslovaque dès le début de l’ère Dubček, accusé de « sacrifier le socialisme à la contre-révolution »34, puis la participation de troupes Est-allemandes à la répression, aux côtés de soldats soviétiques, polonais, hongrois et bulgares, ne marquèrent pas seulement la distance qui séparait Berlin de Prague, elles montrèrent à quel point il était vain d’attendre quelque évolution de la part de Walter Ulbricht et des chefs du SED.
La constitution de 1974
44La constitution de 1974 fut préparée, dès 1972, par la dernière grande vague de nationalisations que connût la RDA. Pour résoudre les difficultés économiques persistantes le pouvoir comptait sur une intensification et une rationalisation de la production industrielle, ce qui conférait dans la logique du SED une importance croissante à la planification. Le successeur d’Ulbricht, Erich Honecker, avait décidé de favoriser l’adhésion des citoyens au régime par une politique sociale généreuse, sous le label lancé en 1971, d’« unité de la politique économique et sociale ». Entre 1971 et 1974 le salaire moyen passa de 755 à 860 Mark, le prix des produits de base restant à peu près constant35. La RDA affirmait la préséance de son niveau de vie dans le Bloc soviétique. Cette constitution se situa donc dans une période vécue comme faste.
45Elle introduisait une nouveauté de taille : la constitution faisait de la RDA « un État socialiste des ouvriers et des paysans »36, mentionnant cette fois le « centralisme démocratique » (art. 47,2) qu’elle érigeait en principe du fonctionnement de l’État. Une élite, avant-garde de la classe ouvrière, devait conduire celle-ci vers la révolution. Cette élite était légitimée par des élections de la base vers le sommet – en cela le processus était « démocratique ». En retour elle exerçait alors un pouvoir accepté par les niveaux inférieurs. Ce système était toutefois perverti dès sa première étape (électorale) par l’obligation faite aux candidats d’être « confirmés » par l’instance supérieure, ce qui permettait au parti de contrôler la phase démocratique ; le risque électoral était insignifiant. Par contre, le volet décisionnel fonctionnait à plein régime : la concentration des pouvoirs entre les mains du SED s’appuyait sur le centralisme démocratique37. En cela, la constitution de 1974 n’innovait pas plus que celle de 1968 : elle inscrivait dans le texte une pratique politique et institutionnelle déjà dominante. La société ne pouvait évoluer vers l’établissement du socialisme, mission historique de la classe ouvrière, que sous la direction d’un pouvoir fort.
46Les droits et devoirs qu’elle rétablissait se situaient dans ce contexte, liberté de pensée et de conscience, égalité homme – femme, liberté d’opinion, liberté de réunion, d’association, de circulation « à l’intérieur du territoire », droit à la formation, au travail et aux loisirs, à la santé et à l’assistance sociale, au logement et à la protection de la famille etc.38. A ces droits individuels s’ajoutaient, cela n’était pas innocent, des droits et devoirs des collectivités (entreprises, communes, communautés de communes, etc. se voyaient reconnaître une responsabilité : « dans le cadre de l’administration centrale de l’État et de la planification », elles étaient appelées à « garantir et à défendre les intérêts fondamentaux des citoyens, une corrélation efficace entre intérêts des individus et de la société ainsi qu’une existence sociale, politique, intellectuelle et culturelle variée »). Pour cela elles étaient placées « sous la protection de la constitution »39. Dans la conception marxiste-léniniste les intérêts et les impératifs collectifs l’emportaient sur les intérêts individuels.
47Ces articles confortaient une politique sociale généreuse et efficace. La surveillance de la grossesse, l’appareil de santé, notamment au travail, connurent un réel essor – largement masqué en 1989 par les critiques que valut à la médecine de la RDA le dopage des sportifs. Plus ambigu, un vaste programme pour la jeunesse, scolarisation, accès à l’enseignement supérieur, etc., s’accompagna, dans le cadre de la troisième « loi sur la jeunesse », d’un endoctrinement accru : il ne s’agissait pas seulement de faire du jeune Allemand de l’Est un « homme nouveau », un « homme socialiste », mais aussi de développer en lui les capacités militaires. Parallèlement, il appartenait à la justice de gérer les droits individuels dans le sens des intérêts sociaux. Rappelons que l’ascension de l’homme dont le nom reste plus que tout autre attaché à la « Stasi », Erich Mielke, s’accéléra après l’arrivée à la direction du SED d’Erich Honecker, lui-même ancien membre du Secrétariat du Comité Central aux Questions de Sécurité, et que dans la période qui sépare les constitutions de 1968 et 1974 le MfS connut un développement considérable40.
48La référence à la nation allemande n’apparaissait plus. Alors que la constitution de 1949 évoquait l’Allemagne sous la forme d’une « république démocratique indivisible », la mention de l’« État socialiste des ouvriers et des paysans » se substituait désormais à ce qui avait été une étape intermédiaire, « un État socialiste de nation allemande »41. Il ne s’agissait plus de se démarquer par rapport à l’autre Allemagne, mais d’affirmer une identité propre.
49L’allusion à la nation allemande ne subsistait que dans le nom de l’État. L’attachement à l’Union soviétique fut affirmé avec plus de vigueur : l’article 6 ne disait plus : « La République Démocratique allemande, fidèle aux intérêts du peuple allemand et à l’obligation internationale de tout Allemand, a éradiqué de son territoire le militarisme allemand et le nazisme, et elle conduit une politique extérieure au service de la paix et du socialisme, de l’entente entre les peuples et de la sécurité »42 ; la RDA était « pour toujours et irrévocablement l’alliée de l’Union des Républiques socialistes soviétiques »43.
50Deux remarques s’imposent ici.
51Dans la question nationale la constitution de 1974 marquait un aboutissement. Au début des années 1950, Berlin-Est avait proposé à plusieurs reprises à Bonn des entretiens interallemands sur la question nationale, propositions traitées par le mépris par Adenauer qui y voyait un moyen pour la RDA d’obtenir en catimini sa reconnaissance par la République fédérale. Les événements de 1953 n’interrompirent pas ces tentatives. Leurs effets, tout comme ceux de la césure de 1955 (souveraineté des deux États allemands), ne furent pas immédiats : à six reprises, lors des jeux olympiques, de 1956 à 196444, l’Allemagne fut représentée par une équipe unique avant que Berlin-Est obtînt, en 1965, une reconnaissance autonome par le CIO ; le drapeau fut le même pour les deux Allemagnes jusqu’en 1959, quand la RDA y introduisit les armes qui traduisaient son orientation idéologique, les épis de blé pour les paysans, le marteau pour les ouvriers, et le compas pour les « travailleurs intellectuels » ; les Églises (catholiques et protestantes) restaient organisées au plan national ; les échanges que l’on appelait encore « interzones » étaient loin d’être négligeables45 et Bonn, fidèle à son exigence de représenter l’Allemagne, s’engagea lors des négociations qui devaient conduire au traité de Rome pour que ces échanges soient considérés comme « commerce intérieur ». N’oublions pas enfin que le nombre des départs vers l’Ouest déclencha la crise de Berlin et la construction du Mur en 1961.
52Néanmoins 1953 et 1955, puis l’obligation dans laquelle s’était trouvé le pouvoir Est-allemand de verrouiller la république populaire, avaient ébranlé certaines certitudes. 1953 et 1961 avaient mis en évidence, quel que fût l’usage qu’en fit la propagande, un déficit de légitimité du pouvoir Est-allemand en une période dans laquelle s’affirmait l’adhésion des Allemands de l’Ouest à la RFA, à ses institutions et à sa constitution. Conformément à la méthode Ulbricht cela avait d’abord conduit à un durcissement à l’intérieur.
53Mais il fallut prendre acte de l’impossibilité de l’emporter sur l’Ouest sur le terrain de la légitimité. L’échec de la conférence de Genève des ministres des Affaires étrangères incita Nikita Khrouchtchev à concevoir dès 1955 la question allemande sous l’angle de la coexistence de deux États souverains différents aux plans politique et social. Ainsi se dessinait une évolution qui conduisit Berlin-Est à renoncer à la référence nationale en faisant sienne en décembre 1970 la notion brejnevienne d’une RDA « nation socialiste ». Honecker reprit cette expression héritée d’Ulbricht pour démarquer clairement la République Démocratique allemande de la République Fédérale. Lors du huitième Congrès du SED il déclara :
« Contrairement à la RFA, dans laquelle la nation bourgeoise se perpétue et dans laquelle la question nationale est déterminée par l’irréconciliable opposition de classe entre la bourgeoisie et les masses laborieuses […] se développe chez nous, en République Démocratique allemande, dans l’État socialiste allemand, la nation socialiste »46.
54En 1972, il eut cette formule plus explicite : « […] la RFA est un pays étranger, et davantage encore, un pays étranger impérialiste »47. Contextuellement, cette opposition de deux nations allemandes, foncièrement distinctes d’un point de vue idéologique, visait à contrecarrer la thèse de Willy Brandt d’une nation unique séparée de facto en deux États.
55Toute l’ambiguïté de Berlin-Est face aux accords interallemands du 21 décembre 1972 apparaissait dans la constitution de 1974. D’une part, contre la mention « en dépit des conceptions différentes de la République fédérale d’Allemagne et de la République Démocratique allemande sur des questions fondamentales, parmi lesquelles la question nationale », la RDA avait obtenu l’introduction dans le texte de notions telles qu’« égalité des droits », « intégrité territoriale », « intangibilité des frontières » ou encore « relations de bon voisinage », elle avait imposé le renoncement de Bonn à son exigence de représentation exclusive. Les accords de 1972 avaient globalement marqué l’aboutissement de la théorie des deux États allemands. Affirmer son statut d’« État socialiste » revenait ainsi à revendiquer un statut plus autonome encore par rapport à la RFA. Willy Brandt, s’en tenant à son refus de considérer les relations entre les deux Allemagnes comme des relations internationales, les avait réduites (notamment par la lettre sur l’Allemagne dont il avait obtenu l’adjonction au traité) à un accord de voisinage entre deux États existant de facto, et il avait refusé de considérer le « Grundlagenvertrag » comme un traité international ; c’est pourquoi Berlin ne pouvait considérer que son but était pleinement atteint. Cette situation permettait toutefois de souscrire aux « principes de la coexistence pacifique d’États dont l’organisation sociale diffère »48 : en se posant en « État socialiste » la RDA pouvait admettre leur existence sans avoir autrement à en souffrir.
56Il n’en demeure pas moins que la comparaison entre les constitutions de 1968 et de 1974 montre, notamment dans la question nationale, que la constitution ne déterminait pas l’action politique ou diplomatique de la RDA mais que c’était bien l’inverse, elle rattrapait la réalité. Par contre, les efforts de la RFA en vue de prendre en compte les Allemands qui vivaient à l’Est et d’engager un processus dialectique qui conduirait à terme à l’unité nationale, en passant par l’étape de la reconnaissance, étaient conformes aux exigences de la Loi fondamentale. L’insuccès de la politique d’ignorance du régime communiste telle que l’avait engagée Adenauer, les risques que la « doctrine Hallstein » faisait peser sur la diplomatie Ouest-allemande, la leçon des « three essentials » de Kennedy lors de la crise de 1961 (puis de celle de Cuba) avaient montré que l’équilibre du monde reposait sur le respect des sphères d’influence. Ce principe de non-ingérence qu’appliquaient les deux Grands avait fait apparaître la nécessité de recourir à d’autres moyens pour aller vers la Réunification.
57Dans le même temps, et c’est la deuxième question, la référence à l’alliance avec l’URSS signifiait que Berlin-Est ne considérait pas le problème national comme résolu. Cela ressortait de la reformulation de l’alinéa 3 de l’article 8 : la formule par laquelle elle disait vouloir mettre en place et entretenir « des relations normales […] entre les deux États allemands sur la base d’une égalité en droits » ainsi que la référence à « la division de l’Allemagne imposée par l’impérialisme de la nation allemande », formulation dont le maintien s’avérait difficile dès lors que des accords étaient signés avec Bonn, cédait la place à la reprise, mot pour mot, de la fin de l’alinéa 1 de ce même article dans son ancienne formulation : « La République Démocratique allemande n’entreprendra jamais de guerre de conquête ni n’engagera ses troupes contre la liberté d’un autre peuple ». Ainsi autonomisée, l’image d’une RDA pacifique se trouvait formellement renforcée. Simultanément on proclamait son attachement à l’URSS. Alors que l’ancienne formulation, plus brève, de l’art. 6,2 (« la coopération et l’amitié avec l’Union des Républiques socialistes soviétiques et les autres États socialistes »49), n’établissait qu’une différence hiérarchique modérée entre pays de l’Est, cette fois l’URSS était clairement mise en avant, qui plus est dans sa dimension militaire, puisqu’on lisait : « L’alliance étroite et fraternelle avec elle [l’URSS] garantit au peuple de la République Démocratique allemande d’autres progrès sur la voie du socialisme et de la paix »50. La ligne de fidélité au Kremlin qui avait valu à Honecker de remplacer Ulbricht était ainsi ancrée dans la constitution.
58Les références à la fois à l’alliance avec l’URSS et aux États capitalistes avaient aussi une dimension contextuelle. En cette période de détente paradoxale la RDA avait besoin d’une caution démocratique dans le cadre de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (ce qui allait devenir l’acte final de la conférence d’Helsinki, juillet 1975). Mais dans le même temps la politique du Kremlin, plus favorable à Bonn que ne le souhaitait Berlin-Est51, ainsi que les tensions Moscou – Washington (que l’on se souvienne de la guerre du Kippour, de 1973) imposaient l’affirmation solennelle de ce qui était un état de fait depuis 1949 et que rien n’incitait à remettre en question, la fidélité au « grand frère soviétique ». Depuis l’éviction d’Ulbricht les autorités Est-allemandes se réclamaient fréquemment de l’exemple moscovite comme modèle de « socialisme réel » et Erich Honecker qualifiait l’amitié avec l’URSS de « nécessité vitale »52.
59Jusqu’en 1989 ce texte n’allait plus guère être modifié. Alors des articles sensibles disparurent, celui notamment qui affirmait le leadership du SED. Mais il était trop tard, comme pour bien d’autres leviers de la domination du SED le fossé entre la constitution et la population Est-allemandes s’était bien trop creusé pour que l’on pût attendre le moindre effet de telles dispositions.
Conclusion
60Les pères de la constitution fédérale avaient espéré en une « réunification » dans des délais raisonnables. Quatre décennies plus tard l’idée prévalait que la division s’était installée dans la durée. La Réunification, au sens où l’on avait longtemps entendu ce terme, ne vint pas, qui aurait impliqué le retour au territoire du Reich dont on se considérait comme l’héritier ; Bonn dut renoncer par exemple aux territoires situés à l’Est de la frontière Oder-Neiße. Mais l’unité se fit de manière surprenante et rapide dès lors que les opposants au régime de Berlin, qui demandaient l’instauration d’un socialisme à visage humain, furent dépassés par ceux qui aspiraient à partager cette prospérité de l’Ouest dont ils rêvaient. La constitution allemande fit naufrage avec la RDA, dans l’indifférence.
61Que la Loi fondamentale, qui n’avait cessé de s’affirmer provisoire et qui, chose exceptionnelle en matière constitutionnelle, prévoyait la fin de sa propre validité (art. 146), fût le cadre retenu pour servir de constitution à l’Allemagne tout entière une fois l’unité nationale faite, constitua une surprise. Contrairement aux prévisions de 1949 cette unité se fit sur la base de l’art. 23, pensé pour réintégrer la Sarre : un parlement Est-allemand élu selon les règles du pluralisme demanda l’intégration à la zone de validité de la Loi fondamentale53.
62Cette pérennité de la Loi fondamentale fut le fruit d’une nécessité : l’instabilité générale à l’Est, alors que l’unification ne pouvait se faire sans l’approbation des Quatre – et donc de Moscou – obligea à éviter toute perte de temps en 1989 et 1990. Elle fut aussi celui de calculs politiques dont certains étaient de peu d’élévation – la peur par exemple de Helmut Kohl de voir l’opposition socialiste Ouest-allemande s’allier à des représentants de l’Est pour donner fondement constitutionnel à une politique sociale plus généreuse.
63Quoi qu’il en soit : ce qui avait été provisoire pour une république partielle se trouva confirmé et inscrit dans la durée par et pour l’Allemagne entière. Même en matière constitutionnelle l’histoire est capable d’ironie.
64Les deux États allemands avaient vu le jour dans le cadre de la partition du monde et de la guerre froide dont leur création séparée avait largement été le fruit. Ils s’étaient placés dans la perspective d’un retour (proche) à l’unité nationale. La même ambition de faire cette unité autour de soi avait eu sur leurs constitutions des effets opposés. Au service des ambitions du Kremlin, celle de l’Est ne devait ni effrayer, ni empêcher le régime allemand de conférer l’ensemble des pouvoirs au SED. La chose n’alla qu’au prix d’une dissociation, manifeste dans les faits, entre le texte et la réalité constitutionnels. La constitution de l’Allemagne orientale se trouva ainsi confinée dès les premières années dans un rôle d’alibi démocratique.
65Afin de marquer le caractère provisoire de leur république, les Allemands de l’Ouest se livrèrent eux aussi à un exercice malaisé : élaborer une constitution provisoire tout en donnant aux principes qu’elle énonçait un caractère pérenne. En outre, ce texte fut élaboré dans des conditions difficiles, le pluripartisme réel favorisant le jeu des groupes de pression, les occupants surveillant de manière sourcilleuse les travaux du Conseil parlementaire. Il s’ensuivit un texte apparemment plus fragile que celui que se donna l’Est.
66Mais la République fédérale, qui entendait appuyer son fonctionnement sur le droit, se construisit dans le respect et en application de la Loi fondamentale. Là était la supériorité de sa constitution sur celle qui resta lettre morte : elle fut appliquée. Et dès lors elle bénéficia des succès de la RFA. : la stabilité institutionnelle, la croissance économique, la protection qu’offrait au citoyen la démocratie Ouest-allemande consolidèrent l’acceptation de la constitution. Avec l’adhésion des Allemands de l’Ouest à l’État de droit, incarné de plus en plus par la Cour constitutionnelle, et à une société qui garantissait à la fois les libertés politiques et un niveau de vie en croissance, s’imposa une forme nouvelle du vivre ensemble et du sentiment d’appartenance, le « patriotisme constitutionnel ». La conséquence en fut qu’en raison de sa place centrale la constitution de la RFA subit des adaptations à l’évolution de la société, au fil des ans, sans que jamais elle ne fût modifiée dans son esprit. La « Grundgesetz » de 1989 était la constitution de 1949 modernisée.
67En RDA, on procéda par à-coups. Levier du pouvoir, l’appareil constitutionnel y évolua en fonction des besoins. La RDA se donna plusieurs constitutions, en fonction de l’évolution de deux critères : la manière dont elle se concevait en tant qu’État socialiste et sa façon d’appréhender la question nationale. Dans les deux cas, l’influence soviétique s’avéra déterminante.
68En 1968, le critère prépondérant fut celui de la nature de la société. Il s’agit de mettre en avant l’Allemagne orientale en tant qu’État socialiste et le rôle central du SED. La rupture était de nature essentielle : la constitution de 1968 prenait acte de ce qu’étaient devenus l’État et la société. La modification constitutionnelle de 1974 par contre entérina une conception de la nation en rupture avec celle à laquelle on se référait en 1949, à un moindre degré, celle de 1968. Estimant s’être imposée comme État allemand autonome, la RDA y inscrivait son ambition de devenir nation socialiste. Bien que l’on ait coutume de rapprocher ces deux textes, la rupture était d’une importance telle que, dans les faits, celle de 1974 était bel et bien une nouvelle constitution.
69La différence fondamentale entre les deux Allemagnes ne tint pas aux textes. Au fil de quatre décennies de coexistence l’adhésion à la loi fondamentale fut la traduction de l’adhésion à la République fédérale, à sa stabilité politique, à son mode de vie social, à son développement économique. En un processus inversé les constitutions Est-allemandes ne furent pas adoptées dans sa vie quotidienne par une population qui n’adhérait pas à l’État – lequel n’avait lui-même guère le souci de les respecter. Les restrictions aux libertés et la surveillance des individus par un pouvoir incapable de développer une économie florissante et des conditions de vie correctes, les dysfonctionnements d’une planification autiste, le délabrement des villes et des usines, furent des causes directes du naufrage sans gloire de la RDA. Outil de dirigeants qui gouvernaient sans le peuple tout en se réclamant de sa légitimité, qui ne concevaient les rapports au sein de l’État qu’en termes de domination, la constitution Est-allemande resta en marge d’un peuple qui avait pourtant été disposé à la faire sienne, mais à qui elles n’apportaient rien. Quand les dirigeants en prirent conscience, il était trop tard pour que des mesures de toute manière trop pusillanimes pussent produire le moindre effet. Une dernière fois la constitution est-allemande fut adaptée à une réalité dûment constatée – entérinant la fin de la domination du SED après avoir servi son pouvoir. En cela l’histoire des deux constitutions allemandes est aussi le reflet de l’histoire des deux Allemagnes.
Notes de bas de page
1 Pour un aperçu plus vaste – et rétrospectif – on pourra utilement se reporter à Gert-Joachim Glaessner, Demokratie und Politik in Deutschland, Opladen, 1999 ; Bernard Poloni, Histoire constitutionnelle de l’Allemagne, Paris, 2000 ; Heinrich August Winkler, Der lange Weg nach Westen. Deutsche Geschichte vom ›Dritten Reich‹ bis zur Wiedervereinigung, vol. 2, Munich, 32002, pp. 116ss., pour la constitution de la RFA, Denis Goeldel, Le tournant occidental de l’Allemagne après 1945. Contribution à l’histoire politique et culturelle de la RFA, Strasbourg, 2005, pp. 63 – 95 ; Manfred Görtemaker, Geschichte der. Bundesrepublik Deutschland. Von der Gründung bis zur Gegenwart, Munich, 1999, pp. 44 – 83 ; pour la RDA, voir Julia Schulze Wessel, « Macht und Ohnmacht der DDR-Verfassung », in : André Brodocz, Christoph Olivier Mayer, Rene Pfeilschifter et Beatrix Weber (éd.), Institutionelle Macht. Genese – Verstetigung – Verlust, Cologne, Weimar, Vienne, 2005, pp. 438 – 452.
2 Cit. in Peter Graf Kielmannsegg, Nach der Katastrophe. Eine Geschichte des geteilten Deutschlands, Berlin, 2000, pp. 117 – 118.
3 Texte intitulé « Für die Bildung einer einheitlichen deutschen Staatsregierung ».
4 Marcus Howe, Karl Polak. Parteijurist unter Ulbricht, Francfort/M., 2002 ; voir également Jochen Laufer, « Die Verfassungsgebung in der SBZ 1946 – 1949 », in : Aus Politik und Zeitgeschichte, 32/33 (1998), pp. 29 – 41.
5 « Verfassung der demokratischen deutschen Republik ».
6 Schulze Wessel (note 1), p. 439.
7 Voir notamment sur cette question Winkler (note 1), pp. 153ss.
8 L’article 151 de la constitution de Weimar précisait : « Die Ordnung des Wirtschaftslebens muß den Grundsätzen der Gerechtigkeit mit dem Ziele der Gewährleistung eines menschenwürdigen Daseins für alle entsprechen. In diesen Grenzen ist die wirtschaftliche Freiheit des Einzelnen zu sichern » (« L’organisation de la vie économique doit répondre aus principes de justice afin de garantir à tous une existence digne. Il convient de garantir la liberté économique de l’individu dans ces limites »).
9 Art. 19 de la constitution de la RDA : « Die Ordnung des Wirtschaftslebens muß den Grundsätzen sozialer Gerechtigkeit entsprechen ; sie muß allen ein menschenwürdiges Dasein sichern » (« L’organisation de la vie économique se doit de répondre aux principes de la justice sociale, elle doit garantir à tous une existence digne »).
10 Cf. Glaessner (note 1), p. 49.
11 Cf. e.a. Hans Mommsen, « Die unerhörten Zerstörungen, die verbrecherische Politik und die moralische Verwüstung, welche von der nationalsozialistischen Gewaltherrschaft ausgegangen waren, bewirkten eine tiefgreifende Ernüchterung der Nation und die endgültige Abkehr von früheren imperialistischen Illusionen » (« Les destructions inouïes, la politique criminelle et la dévastation morale qu’avait entraînées le règne violent du nationalsocialisme furent à l’origine d’une prise de conscience profonde de la nation et son détournement des illusions impérialistes antérieures ») Hans Mommsen, « Die Bundesrepublik Deutschland : Kontinuität und Neubeginn », in : Eckard Conze, Gabriele Metzler (éd.), 50 Jahre Bundesrepublik Deutschland. Daten und Diskussionen, Stuttgart, 1999, p. 14.
12 65 délégués, dont quatre femmes ; 27 chrétiens-démocrates et 27 socialistes, 5 libéraux, deux représentants du « Zentrum » catholique, deux de la « Deutsche Partei », parti conservateur, et deux communistes. S’y ajoutaient quatre représentants de Berlin, lesquels ne disposaient cependant que de voix consultatives. Le chrétien-démocrate Konrad Adenauer fut élu président du Conseil parlementaire, Carlo Schmid, juriste réputé, membre du parti social-démocrate, prit la présidence de la commission de synthèse (« Hauptausschuss »). Le Conseil travailla essentiellement par commissions ad hoc, la commission de synthèse veillant à la cohérence de l’ensemble. Les décisions étaient prises en séance plénière.
13 Cit. in Albert H.V. Kraus, « ›Projekt Europa‹ – brachte Freiheit, Sicherheit und Wohlstand », Bergmannskalender, Sarrebruck, 2008, p. 124.
14 Cette idée s’exprimait plus clairement encore dans la formulation retenue dans le cadre des réflexions de Herrenchiemsee : « Der Staat ist um des Menschen Willen da, nicht der Mensch um des Staates willen » (« L’État existe au service de l’homme et non l’homme au service de l’Etat »), cité par Walter Pauly et Martin Siebinger, « Der deutsche Verfassungsstaat », in : Thomas Ellwein, Everhard Holtmann (éd.), 50 Jahre Bundesrepublik Deutschland. Rahmenbedingungen – Entwicklungen – Perspektiven, Opladen, Wiesbaden, 1999, pp. 79 – 90, ici p. 83 ; voir aussi Michael F. Feldkamp, Der parlamentarische Rat, 1948 – 1949. Die Entstehung des Grundgesetzes, Göttingen, 2008 ; Christian Bommarius, Das Grundgesetz. Eine Biographie, Berlin, 2009.
15 Voir infra.
16 Poloni (note 1), p. 117.
17 Art. 67 GG : « Le Bundestag ne peut exprimer sa défiance envers le chancelier fédéral qu’en lui élisant un successeur à la majorité de ses membres et en demandant au président de la République de le révoquer ». Cette disposition, destinée à éviter la vacance du pouvoir, a fait preuve d’une efficacité remarquable : au plan fédéral le chancelier Schmidt en fut la première victime en 1982. Au plan régional également elle stabilisa les exécutifs.
18 Carlo Schmid avait fait valoir qu’un suffrage indirect « n’aurait assurément pas conduit à l’élection du maréchal Hindenburg, ce qui aurait peut-être évité à nous et au monde un chancelier Adolf Hitler » ; cit. in : Kraus (note 12), p. 127.
19 Helga Grebing, « Ideengeschichte des Sozialismus in Deutschland. Teil II », in : Walter Euchner et al. (éd.), Geschichte der sozialen Ideen in Deutschland. Sozialismus, Katholische Soziallehre, Protestantische Sozialpolitik, Essen, 2000, p. 372.
20 Ibid., pp. 389 – 398.
21 Contrairement au Conseil constitutionnel français qui émet des « avis », le « Bundesverfassungsgericht » est un tribunal : ses jugements ont force de loi ou capacité à annuler une loi en la déclarant inconstitutionnelle. Créé par la constitution de la Cinquième République, le Conseil constitutionnel français a, entre autres, pour fonction de se prononcer sur la constitutionnalité des lois et de certains règlements. Conformément à la volonté de De Gaulle, qui estimait que la légitimité venait du peuple et ne voulait pas d’un « gouvernement des juges », il n’est cependant pas une cour suprême (rôle qui incombe au Conseil d’État et à la Cour de cassation). Son inféodation au pouvoir participe de sa composition même : ses membres sont nommés, par tiers, par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et celui du Sénat. Il en va différemment en Allemagne depuis 1951. Méfiants par expérience envers les dérives plébiscitaires, les Allemands de l’Ouest ont rejeté dans l’après-guerre le référendum et ils lui ont préféré la solution judiciaire.
22 Cf. par exemple art. 98,1 : « Der Ministerpräsident bestimmt die Richtlinien der Regierungspolitik nach Maßgabe der von der Volkskammer aufgestellten Grundsätze. Er ist dafür der Volkskammer verantwortlich » ; alinéa 2 : « Innerhalb dieser Richtlinien leitet jeder Minister den ihm anvertrauten Geschäftszweig selbständig unter eigener Verantwortung gegenüber der Volkskammer » (Le Ministerpräsident [chef du gouvernement du Land] définit les lignes directrices de son gouvernement en conformité avec les principes élaborés par la Chambre du peuple. Il en est responsable devant la Chambre du peuple ; plus loin : dans le cadre de ces lignes directrices chaque ministre dirige le domaine qui lui est confié en responsabilité propre devant la Chambre du peuple).
23 Cit in Schulze Wessel (note 1), p. 450.
24 Aucun groupe parlementaire n’a jamais fait usage de la disposition qui lui permettait de ne pas participer à la formation du gouvernement.
25 « Boykotthetze gegen demokratische Einrichtungen und Organisationen, Mordhetze gegen demokratische Politiker, Bekundung von Glaubens-, Rassen-, Völkerhass, militaristische Propaganda sowie Kriegshetze und alle sonstige Handlungen, die sich gegen die Gleichberechtigung richten » (« L’incitation au boycottage des structures et des organisations démocratiques, l’appel au meutre d’hommes politiques démocrates, l’affirmation de la haine à l’encontre de convictions, races ou peuples, propagande militariste et incitation à la guerre de même que toute autre action dirigée contre l’égalité des droits ») étaient déclarés crimes d’État (« Staatsverbrechen ») ; voir Klaus Schröder, « Verfassung der DDR », in : Michael Behnen (éd.), Lexikon der deutschen Geschichte 1945 – 1990, Stuttgart, 2002, pp. 95 et 616. Cet article fut utilisé contre des opposants dans les situations les plus diverses, ce qui lui valut le sobriquet d’« article caoutchouc » (« Gummiparagraph »).
26 Brandenburg (1952 Bezirke Cottbus, Frankfurt/Oder, Potsdam), Mecklenburg (1952, Rostock, Schwerin, Neubrandenburg), Sachsen (1952 Dresden, Leipzig, Chemnitz), Sachsen-Anhalt (1952 Halle, Magdeburg), Thüringen (1952 Erfurt, Gera, Suhl).
27 Schröder (note 23), p. 616.
28 La phrase complète était : « Die Klassen und Schichten in der DDR identifizieren sich mit dem Sozialismus, weil sich auch ihre Interessen mit dem Sozialismus vereinigen. Das ist die Basis für die immer enger werdenden Beziehungen der Klassen und Schichten und ihres Zusammenwachsens zur sozialistischen Menschengemeinschaft » (« Les diverses classes et couches de la société s’identifient au socialisme car leurs intérêts se confondent avec ceux du socialisme. Là est la base des liens de plus en plus étroits des classes et groupes sociaux et de leur réunion en une communauté humaine socialiste ») ; cit. in : Christoph Klessmann, Zwei Staaten, eine Nation. Deutsche Geschichte 1955 – 1970, Bonn, 1997, p. 340.
29 Hermann Weber, Geschichte der DDR, Munich, 2006, p. 353.
30 Klessmann (note 28), p. 369.
31 Cit. in : Weber (note 29), p. 354.
32 Glaessner (note 1), p. 53.
33 Winkler (note 1), pp. 276s.
34 Cit. in Weber (note 29), p. 355.
35 Chiffres chez Weber (note 29), p. 389.
36 « ein sozialistischer Staat der Arbeiter und Bauern ».
37 Voir entre autres Wilhelm Bleek, « Demokratischer Zentralismus », in : Dieter Nohlen (éd.), Wörterbuch Staat und Politik, Bonn, 1993, pp. 82 – 85.
38 Glaessner (note 1), pp. 53ss.
39 Article 41.
40 Pour la période 1964 – 1975, Ulrich Mählert cite le passage du nombre des « collaborateurs inofficiels » de la « Stasi » de 100 000 à 180 000 ! Id., Kleine Geschichte der DDR, Munich, 32001, p. 121. le nombre des fonctionnaires de ce ministère atteignit les 91 000, doublant pratiquement sous Honecker.
41 Article 1 de la constitution, version ancienne : « Die Deutsche Demokratische Republik ist ein sozialistischer Staat deutscher Nation. Sie ist die politische Organisation der Werktätigen in Stadt und Land, die gemeinsam unter der Führung der Arbeiterklasse und ihrer marxistisch-leninistischen Partei den Sozialismus verwirklichen » (« La République démocratique allemande est un État socialiste de nation allemande. Elle est l’organisation politique des travailleurs de la ville et de la campagne qui réalisent ensemble le socialisme, sous la conduite de la classe ouvrière et de son parti marxiste-léniniste ») ; formulation nouvelle (1974) : « Die Deutsche Demokratische Republik ist ein sozialistischer Staat der Arbeiter und Bauern. Sie ist die politische Organisation der Werktätigen in Stadt und Land unter Führung der Arbeiterklasse und ihrer marxistisch-leninistischen Partei » (« La République démocratique allemande est un État socialiste des ouvriers et des paysans. Elle est l’organisation politique des travailleurs de la ville et de la campagne sous la conduite de la classe ouvrière et de son parti marxiste-léniniste ») ; cf. Hermann Weber (éd.), DDR. Dokumente zur Geschichte der Deutschen Demokratischen Republik 1945 – 1985, Munich, 31987, p. 345.
42 Cf. Weber (note 41), p. 345.
43 « Für immer und unwiderruflich mit der Union der Sozialistischen Sowjetrepubliken verbündet », art. 6,2.
44 Cortina d’Ampezzo et Melbourne en 1956, Squaw Valley et Rome en 1960, Innsbruck et Tokio en 1964. Voir la contribution d’Uta Andrea Balbier dans le présent volume.
45 Graf Kielmannsegg (note 2), p. 504.
46 Winkler (note 6), p. 294.
47 Ibid., p. 294.
48 Article 6,3 ; cf. Weber (note 41), p. 346.
49 Ibid., p. 345.
50 Ibid., p. 345.
51 Voir sur ce point Georges-Henri Soutou, La guerre de Cinquante ans. Les relations Est-Ouest 1943 – 1990, Paris, 2001, pp. 549 – 551.
52 Weber (note 41), p. 392.
53 Quelques domaines firent l’objet d’exceptions – la loi sur l’interruption de grossesse, beaucoup plus libérale, fut maintenue provisoirement en RDA.
Auteur
Cahn, Jean-Paul, né en 1945 ; Professeur d’études germaniques à l’Université de Paris IV-Sorbonne.
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