La question des frontières allemandes
p. 59-72
Texte intégral
1Parmi les incertitudes qui ont pesé sur la nation allemande après 1945 la question des frontières a revêtu une dimension particulière. Les vainqueurs souhaitaient endiguer par un morcellement du Reich le tempérament belliqueux qu’ils prêtaient aux Allemands. L’idée qui présidait à leurs réflexions, à Téhéran en 1943 puis à Yalta en 1945 avant d’être abandonnée dans les semaines qui suivirent1, était celle d’un affaiblissement endogène par morcellement de l’entité en plusieurs ensembles territoriaux autonomes. L’érection de ces frontières devait donner des chances à la paix tout en évitant les erreurs de Versailles – quand l’humiliation d’une nation avait créé les prémisses de la montée du nationalisme.
2Les Allemands eux-mêmes n’échappèrent pas à une perception aiguë de la question – essentiellement pour trois raisons. La première est historique et se situe à trois niveaux. L’absence de frontières naturelles à l’Est et à l’Ouest avait fait des terres germaniques, des siècles durant, des lieux d’invasions, gravant dans l’inconscient collectif un sentiment de vulnérabilité. D’autre part les débats de l’Eglise Saint Paul avaient montré en 1848 combien il était difficile de délimiter une entité que l’on puisse qualifier d’« allemande », traduisant en cela un mal-être identitaire quatre décennies après la fin du Saint-Empire. Enfin deux Guerres mondiales, l’application en particulier de stratégies inspirées du plan Schlieffen, avait rappelé que les frontières n’offraient qu’une protection minime face à la force. La seconde est plus émotionnelle. Matérialisées par un simple poste de contrôle ou par un mur, les frontières constituent la traduction tangible de réalités politiques ; pour les individus elles sont d’abord une réalité humaine, ligne au-delà de laquelle s’arrête l’appartenance à un groupe. Quel enfant n’a jamais passé une frontière sans la crainte de ne pouvoir la repasser – traduction confuse de la peur de ne pas retrouver son entité de rattachement ? La troisième tient à l’évolution des événements. La « déclaration de Berlin » par laquelle les vainqueurs s’attribuaient tout pouvoir (5 juin 1945) ainsi que la mise en place de la Commission de contrôle (Kontrollrat) chargée de l’administration conjointe du territoire du Reich réglaient l’exercice de l’autorité à court terme, pas le devenir de l’Allemagne. L’absence de traité de paix entretint les incertitudes. Quelques années plus tard le principe de deux États se partageant une même nation (Zwei Staaten, eine Nation) prêtait à débat, faute de situation juridique univoque : deux thèses contraires sur la pérennité du Reich pouvaient en effet s’appuyer sur des principes de droit constitutionnel et de droit international. Selon celle de la disparition (Untergang des Deutschen Reiches) la déliquescence de toute autorité étatique avait fait du territoire un espace dénué d’État dont la puissance avait été remplacée par l’exercice des pouvoirs par les Alliés ; les États nés en 1949 avaient été le fruit d’une décision et d’une délégation de pouvoirs par les vainqueurs – donc, à ce titre des créations. Cette lcture remettait en cause l’existence même de la nation allemande – qui aurait cessé d’exister avec la fin du IIIe Reich. La thèse de la continuité (Fortbestandslehre) reposait sur le principe qu’aucune disparition n’intervient sans décision préalable (traité ou loi) ; l’Allemagne n’ayant pas été annexée par les vainqueurs, la capitulation de 1945 n’avait eu pour effet que la défaite, pas la dissolution du Reich – lequel s’était trouvé dans l’incapacité de se gérer, tâche reprise par les occupants. La naissance de la République fédérale n’avait donc pas été une création d’État, mais seulement l’organisation en État d’une partie du Reich qui avait restitué à celui-ci sa capacité de fonctionnement. Cette thèse permit à la RFA de parler au nom de l’Allemagne toute entière, mais lui fit obligation de reprendre le passif du Reich (dettes, passif moral, etc.). La RDA par contre chercha à affirmer sa légitimité en s’appuyant sur la thèse de la fin du Reich.
3Après avoir évoqué la naissance de frontières sur le territoire allemand nous étudierons le cas d’une frontière qui a disparu, celle de la Sarre, puis celui d’une frontière qui s’est consolidée en 1961, et qui sépara quatre décennies durant l’Allemagne actuelle en deux entités rivales.
I. Nouvelles frontières allemandes
4Deux frontières seulement furent le fruit d’une volonté politique : à l’Est celle de l’Oder-Neiße, conséquence de l’extension territoriale soviétique et de la compensation qui en résulta pour la Pologne, à l’Ouest celle qu’instaura la France entre la Sarre et le reste de sa zone d’occupation en 1946. La garantie des frontières dans leur configuration de 1937 eut ainsi tôt fait long feu. La troisième, chronologiquement la dernière, mais la plus emblématique parce qu’elle sépara les deux Allemagnes, fut la conséquence de l’incapacité des Occupants à gouverner ensemble l’Allemagne, faisant du sol allemand un terrain d’affrontement Est-Ouest. Les limites des zones d’occupation établies en 1945 étaient déjà de véritables frontières : la division initiale en quatre zones était déjà grosse de division de 1949.
5La naissance de deux États dénués de souveraineté, dotés d’une légitimité contestée par l’autre et fondés sur des systèmes concurrents souleva plus de problèmes qu’elle n’apporta de solutions. Au plan politique leur incorporation à deux Blocs rivaux fonda d’abord l’espoir d’un retour à l’unité nationale par absorption de l’autre ; à l’opinion de chacun des deux États elle offrit la possibilité de se recréer peu à peu une identité qui ne fût pas celle de victime – sentiment qui l’avait emporté dans l’immédiat après-Guerre.
II. La « petite réunification » : la disparition de la frontière occidentale
1. La mise en cause de la frontière germano-sarroise dès 1949
a) Naissance
6Absente de Potsdam, la France n’était pas liée par la configuration territoriale de 1937, mais elle dépendait des Trois pour ériger des frontières. Son objectif sarrois fut de créer un glacis entre elle et l’Allemagne et de garantir ses réparations : en détachant la Sarre elle renforçait sa puissance économique et affaiblissait d’autant le Reich. La Délégation supérieure, sous Gilbert Grandval, entreprit de favoriser le détachement de la Sarre de l’Allemagne – avec quelque succès : « Même le nouveau tracé des frontières de juillet 1946 se fondait sur des propositions sarroises »2. L’historien dément ici la perception contemporaine d’un fait du prince.
7Le territoire qui avait été sous l’autorité de la SDN entre 1920 et 1935, et dont le tracé avait déjà englobé l’essentiel des richesses industrielles, servit de base conceptuelle, mais ce tracé fut élargi. Peu après la mise en place d’un « cordon de surveillance » en décembre 1946, la France ferma la frontière. Elle obtint rétrospectivement l’aval des Anglo-saxons et se passa de celui de l’URSS. La loi du 15 juillet 1948 priva la population de la citoyenneté allemande et créa une citoyenneté sarroise qui ne fut pas reconnue à l’étranger. Dans un premier temps la population sarroise profita de l’amélioration de sa situation matérielle et morale consécutive à la présence française. Même au début des années cinquante ceux qui revendiquaient leur germanité étaient peu nombreux. Mais on ne saurait parler d’adhésion de l’opinion à l’autonomie.
8L’union économique, les conventions franco-sarroises plus les contingentements de marchandises créèrent les conditions d’une coopération étroite avec la France, mais pesèrent sur les échanges germano-sarrois. A partir de 1953, les difficultés de la Quatrième République débordèrent sur le marché sarrois tandis que la République fédérale aichait sa bonne santé économique. Les sentiments irrédentistes ne se limitèrent plus à quelques nostalgiques du passé – pour preuve les débats qui agitèrent l’Interessenverband Bergbau avant son interdiction3.
b) Contestation de l’autonomie
9Dès sa première déclaration de gouvernement Konrad Adenauer contesta cette frontière. En obtenir la disparition était malaisé pour trois raisons. Le Haut-Commissaire André François-Poncet disposait d’un droit de veto. De plus sa politique d’intégration occidentale obligeait Bonn à ménager la France – sans laquelle en outre aucune solution du problème allemand n’était envisageable. Face aux efforts de Paris en vue d’affermir l’autonomie sarroise il ne resta qu’à affirmer le caractère provisoire de la situation et à reporter le règlement définitif de la question à la signature du traité de paix. Enfin la politique sociale généreuse du Ministerpräsident Johannes Hoffmann lui valut une popularité qui culmina dans le succès des partis autorisés en 1952 – au mépris des appels allemands au boycottage du scrutin. Même les conventions franco-sarroises de mars 1950, qui provoquèrent une crise franco-allemande4, n’avaient suscité sur place qu’une contestation timide.
10Les tensions endémiques franco-allemandes témoignaient de la réalité de la frontière germano-sarroise et de la vigueur de sa contestation par Bonn. Adaptant la thèse du déficit démocratique sur laquelle elle fondait la contestation de la légitimité de la RDA, la RFA s’en prit, y compris devant le Conseil de l’Europe, à une faiblesse majeure de Sarrebruck, les entraves aux libertés démocratiques.
11La frontière entre RFA et Sarre s’avéra plutôt hermétique jusqu’en 1950. Mais les restrictions d’importations que décida la France en 1952 pour ne pas dévaluer le franc entraînèrent une forte activité contrebandière – estimée à quelque 30 % des besoins par les industriels sarrois5.
2. Le 23 octobre 1955 : coup de grâce à une frontière
12La question sarroise entravait les relations franco-allemandes. En octobre 1954 il en fut débattu en marge de la conférence de Paris. La querelle sur le mode d’adoption du statut « européen » traduisait les positions des deux capitales. Mendès France voulait qu’il fût soumis à référendum, afin de compenser par un vote populaire l’érosion de la légitimité de l’autonomie. Adenauer opposa à l’exigence française une demande de deuxième référendum au moment du traité de paix. Cette démarche visait à préserver les chances de la Sarre de redevenir allemande.
13La partie allemande obtint également la participation des irrédentistes à la campagne6. Tandis qu’ils optaient pour le « non » comme expression de la volonté de retour à l’Allemagne Hoffmann orienta sa campagne sur le thème d’une Europe qui avait grandement perdu de son crédit depuis l’échec de la CED, les difficultés économiques sarroises rendant en outre séduisante une Allemagne en plein « miracle économique ». Le statut fut rejeté le 23 octobre 1955. Paris accepta la sanction électorale, cherchant à obtenir des compensations financières pour la perte du territoire lors des négociations de 1956. La France, qui s’était efforcée d’imposer l’autonomie sarroise, et Bonn, qui avait affirmé que la Sarre était partie de la RFA, s’accordèrent pour tenir Sarrebruck7 à l’écart des négociations.
3. La période transitoire
14La situation frontalière qui entra en vigueur le premier janvier 1957 était inaccoutumée : Konrad Adenauer avait souhaité que le territoire redevînt allemand avant l’élection du troisième Bundestag, à la fois pour le bénéfice électoral qu’il attendait de cette recomposition territoriale et parce qu’il voulait la participation de l’électorat chrétien local. Politiquement la Sarre devint onzième Land fédéral. Mais Paris avait œuvré pour prolonger l’Union économique et monétaire, tandis que Bonn n’ignorait pas qu’une adaptation économique était nécessaire après huit années de régime protectionniste8. Moyennant des aménagements destinés à cette mise aux normes, la Sarre resta séparée économiquement de la République fédérale jusqu’au 6 juillet 1959 (Tag X9 ou wirtschaftliche Rückgliederung). Entre temps les échanges avec la France perdurèrent, évitant que le territoire souffrît trop de la crise française (jusqu’à la dévaluation de fin 1958), tandis que les exportations vers la République fédérale étaient libres de droits de douane de même que l’entrée de biens d’investissements. Mais, la crise générale du charbon touchant gravement l’économie sarroise, la France resta partenaire privilégié des échanges dans cette période et la véritable adaptation aux conditions du marché allemand se fit après l’intégration complète. La Sarre fut donc trois années durant, pendant lesquelles son régime n’était plus celui de l’autonomie, entourée de deux frontières distinctes, l’une politique et l’autre économique – toutes deux assez perméables.
III. La consolidation des frontières orientales : RFA – RDA et Oder-Neiße
15Petite cause, grands effets : en septembre 1944 à Québec Roosevelt, Churchill et Staline délimitèrent les trois zones d’occupation au crayon sur une carte10. Cinq ans plus tard celle de l’Union soviétique devint frontière interallemande.
16Aucun des deux États allemands ne la considéra comme définitive ; à l’exigence de représentation exclusive de Bonn, qu’Adenauer avait proclamée dès le 21 octobre 1949 (présentant la RFA comme « jusqu’à l’unité allemande […] la seule organisation étatique du peuple allemand »)11, Pankow opposait celle de noyau Est-allemand (Kerngebiet) sur lequel viendrait se greffer la partie occidentale libérée de l’« impérialisme colonial » américain. A la suite des déclarations d’Otto Grotewohl du 30 novembre 1950 les autorités Est-allemandes proposèrent plusieurs plans pour l’unité nationale, marquant le caractère provisoire de la frontière entre les deux Allemagnes qui handicapait l’aspiration de Pankow à une reconnaissance internationale12. Néanmoins Berlin-Est développa elle aussi, de fait, une exigence de représentation exclusive13 ; elle ne renonça officiellement à la thèse unitaire qu’au milieu des années cinquante, quand elle fit sienne celle des deux États (Zwei-Staaten-Theorie – 1955). Quant à la frontière Oder-Neiße, les réactions des deux Allemagnes furent d’abord réservées – au point d’entraîner des complications.
1. La frontière allemande orientale
17Par convention du 21 avril 1945, avant la capitulation allemande, la Russie s’était accordée avec le gouvernement provisoire de la Pologne, qui lui était inféodé, pour procéder à un déplacement de frontières à l’Est, amputant le Reich de près d’un quart de sa superficie, riche de terres agricoles et d’industries. Staline, qui voyait là un moyen de sauver une partie de ce que lui avaient attribué les clauses secrètes du pacte germano-soviétique, avait manœuvré pour cela dès les premières conférences sur l’après-Guerre. Elément intrinsèque de puissance, l’hégémonie soviétique sur une zone-tampon entre elle et l’Allemagne était une garantie de sécurité. Dans les six premiers mois de 1945 Varsovie avait obtenu l’administration des territoires à l’Est d’une frontière matérialisée par l’Odra et la Nysa. A partir de Zittau, la Neiße matérialisait la nouvelle frontière germano-polonaise. Devant le fait accompli, les Anglo-saxons refusèrent de reconnaître ce tracé, mais ils admirent la gestion polonaise sur les régions litigieuses jusqu’au traité de paix. Seul le gouvernement polonais en exil protesta, vainement. En acceptant à Potsdam que les populations allemandes de ces régions soient transférées à l’Ouest14, États-Unis et Grande-Bretagne limitèrent les prélèvements soviétiques à la zone d’occupation orientale, mais ils provoquèrent une grande migration (déjà engagée) et bien des drames humains, et ils affaiblirent leur position pour la suite.
18En Allemagne de l’Est la ligne Oder-Neiße fut d’abord remise en cause jusque dans les rangs communistes. Cela ne changea qu’avec la reconnaissance par Pankow des limites de la Tchécoslovaquie et de la Pologne – après des pressions soviétiques et des gestes de bonne volonté du Parti ouvrier unifié polonais. Par la signature de Zgorzelec (Görlitz) la RDA officialisa ce tracé en juillet 1950 (qualifié de Friedensgrenze), un mois après que Walter Ulbricht eut affirmé qu’il ne subsistait plus de problèmes de frontières entre la Tchécoslovaquie et son pays15. Le tracé exact fut fixé le 27 janvier 1951. Bonn refusa de le reconnaître – non seulement avant 1969, mais aussi lorsque cette divergence majeure avec Varsovie compliqua l’Ostpolitik de Willy Brandt.
IV. La frontière entre deux États allemands
19La division de l’Allemagne en deux États ne parut d’abord être de l’intérêt de personne : la perspective d’entretenir de forts contingents dans l’Allemagne divisée n’enchantait pas les Américains et leur présence ne séduisait pas le Kremlin ; Washington et Moscou considéraient qu’une résurrection du nationalisme allemand pouvait en être la conséquence. Staline s’était dit prêt à « garantir l’unité de l’Allemagne »16 devant des responsables communistes allemands le 4 juin 1945. Mais l’incapacité des Quatre à s’entendre et les tensions croissantes entre les deux Blocs avaient incité d’abord à la création de la Bi-zone, puis par crainte que se propage à une Allemagne unie le processus d’inféodation à Moscou que connaissait l’Europe centrale, aux recommandations de Londres par laquelle les Trois demandèrent aux Allemands de l’Ouest de créer un État fédéral et démocratique. Staline s’efforça d’empêcher cette évolution, allant jusqu’à la crise de Berlin de 1948, sans succès : la République fédérale d’Allemagne naquit comme État, ne regroupant qu’en partie les éléments de la nation allemande qu’elle entendait représenter, inachevée et dénuée de souveraineté. La création à l’Est d’un État (lui aussi provisoire et dénué de souveraineté) figea la situation : le 7 octobre 1949 la zone d’occupation soviétique, déjà individualisée par rapport à la Trizone, devint RDA Désormais deux États allemands, ancrés dans des Blocs opposés, étaient séparés par une frontière qui était aussi le point de contact des zones d’influence des deux Grands ; la division de l’Europe et du monde se reflétait dans celle d’une nation allemande juridiquement incertaine. Les Trois se gardèrent bien de reconnaître l’État Est-allemand et les Allemands de l’Ouest parlèrent longtemps de la « zone orientale » (Ostzone) quand il était question de lui.
20Cette dimension nationale et internationale de la frontière qui traversait l’Allemagne détermina la politique et la diplomatie des deux États. Les choix furent relatifs, l’intégration de l’une à l’Est et de l’autre à l’Ouest préexistait, elles la développèrent par nécessité : en 1948, alors que la réforme monétaire s’était accompagnée à l’Ouest d’une libéralisation de l’économie dépassant même les attentes américaines, une vague de nationalisations et une planification accrue avaient entraîné une soviétisation de l’économie orientale. De même leur situation frontalière les conduisit-elle naturellement à s’opposer l’une à l’autre – sans que jamais conflit n’éclatât (comme en Asie).
21Les constitutions, fondées sur des conceptions opposées de la démocratie, se voulaient pan-allemandes : celle de la RFA faisait obligation au gouvernement d’œuvrer en faveur de la réunification et prévoyait dans ses articles 23 et 146 des voies de réunification, celle de la RDA se voulait valable pour toute l’Allemagne, définie comme « République démocratique indivisible ». On assistait à une démarche rare d’un point de vue historique : alors qu’il est d’usage que les constitutions affirment clairement leurs limites territoriales, celles des deux États limitrophes les niaient et, considérant qu’elles séparaient deux entités en attente d’être réunies, définissaient toutes deux leur frontière de facto comme provisoire.
22Dès l’origine deux conceptions s’opposèrent à Bonn sur la question de la frontière inter-allemande – avec cette pugnacité qu’engendrent les questions fondamentales. Simplifions : ceux qui firent de l’unité nationale leur priorité – Kurt Schumacher, Jakob Kaiser, les Libéraux – eurent une approche de principe d’une grande inflexibilité17 ; les autres – dont le chancelier ou le Bürgermeisterflügel au sein de l’opposition sociale-démocrate – appréhendaient la question sous l’angle de sa matérialisation, et donc du faisable. Ces deux camps savaient que des sacrifices seraient indispensables, mais ils les hiérarchisaient différemment.
23L’opposition entre ces deux thèses fut vigoureuse – en particulier en 1952, lors de la « note de Staline », le dictateur cherchant comme en 1948 à empêcher une évolution (en la circonstance la création de la Communauté européenne de défense) par la crise. Celle-ci s’avéra d’autant plus aiguë que la question d’une armée allemande agitait le paysage politique et que les dispositions concernant l’Allemagne inspiraient les pires craintes aux partisans de la réunification.
24La politique d’intégration occidentale que conduisit Adenauer, et qui contribua largement à la prospérité, s’inscrivait dans la ligne du containment définie par George F. Kennan en 1947 – et donc dans le contexte d’hostilité entre Blocs ; elle devait aussi faire cas de la définition de la « réunification » sur laquelle s’étaient accordés les trois Hauts-commissaires en novembre 1951, qui impliquait l’intégration de la RDA et de Berlin à la RFA, mais non celle des territoires à l’Est de l’Oder-Neiße.
25L’exigence Ouest-allemande de représentation exclusive (Alleinvertretungsanspruch) était une négation de la frontière interallemande, fondée en ces termes par Adenauer en octobre 1949 :
« En zone soviétique il n’y a pas de libre volonté de la population allemande. Ce qui s’y passe actuellement n’est pas assumé par la population ni légitimé par elle. La République fédérale d’Allemagne par contre s’appuie sur la volonté librement exprimée de quelque 23 millions d’électeurs qui ont droit de vote. C’est pourquoi la République fédérale d’Allemagne se sent également responsable du sort des quelque 18 millions d’Allemands qui vivent en Zone soviétique »18.
26Cette attitude culmina en mai 1952 dans l’article VII, 2 du traité sur l’Allemagne (Generalvertrag) qui stipulait l’extension à l’Allemagne réunifiée des accords conclus par la République fédérale (clause de contrainte ou « Bindungsklausel »). Elle trouva sa pleine expression en 1955 quand elle fut institutionnalisée dans la « doctrine Hallstein », pari sur une proche réunification – dont la vanité apparut au plus tard lors de la crise de Berlin, quand s’effondra l’espoir, entretenu par les passages à l’Ouest de nombreux Allemands de l’Est, de voir tomber la frontière entre les deux Allemagnes sous l’effet de l’attraction d’une République fédérale prospère et libre sur la population de la RDA (théorie de l’aimant). L’inanité de cet espoir fut imputable à des causes exogènes : Washington et Moscou s’étaient accommodés de la bipartition du monde et le rétablissement de l’unité allemande n’était guère compatible avec la détente. La frontière interallemande restait de la compétence des Quatre qui la considéraient comme un élément de l’équilibre international.
27Les considérations géostratégiques qui présidaient à cette situation, cette position de zone de contact entre les deux Blocs, nourrissaient les inquiétudes qui sous-tendirent la discussion sur la Bundeswehr, dans le camp de ceux qui souhaitaient avec le chancelier la création d’une armée allemande pour participer à la dissuasion ou dans celui des pacifistes qui rappelaient qu’en cas de conflit Est-Ouest le territoire allemand serait le premier champ de bataille et ses habitants les premières victimes d’une guerre fratricide. Les échecs des conférences de 1954 et 1955, la participation de la RDA à la création du Pacte de Varsovie en 1955 et la naissance l’année suivante de l’armée nationale populaire (Nationale Volksarmee) qui atteignit bientôt 100 000 hommes19, apportaient de l’eau à leur moulin.
28La frontière fit des deux États des vitrines de leurs Blocs. Chacun se trouva de fait investi de la mission de démontrer la supériorité de son régime sur l’autre. Bonn comptait sur l’attractivité de la liberté politique et sur ses succès économiques pour attirer à terme les Allemands de l’Est. Pour Pankow, en mal de reconnaissance, l’enjeu était la démonstration de la supériorité du socialisme. Si bien qu’une fois la souveraineté obtenue, la frontière interallemande y fut promue délimitation de zones concurrentes : le Ve congrès (1958) attribua pour mission à l’économie un développement tel
« que la supériorité de l’ordre social socialiste sur la domination capitaliste soit complètement démontrée. C’est pourquoi il faut atteindre dans tous les domaines importants des produits alimentaires et des biens de consommation une consommation des masses laborieuses supérieure per capita à la consommation per capita globale de l’ensemble de la population Ouest-allemande »20.
29L’augmentation rapide de la productivité devait être la clé de cette entreprise21. La compétition s’accompagna de mesures de rationalisation économique ; des dispositions sociales – par exemple fin 1956 l’augmentation des pensions et retraites (domaine qui constituait un talon d’Achille de la RFA) – avaient pour partie déjà été prises. Au bout d’un an, le plan quinquennal fut remplacé par un plan septennal. L’entreprise échoua – sans que la RFA prît des mesures ad hoc. En 1960 il était clair que la RDA n’avait pas même réduit sa dépendance économique de l’Ouest (Störfreimachung). La seule vraie compétition permanente interallemande resta la rivalité diplomatique.
30Par contre, et bien qu’il connût l’érosion du temps, l’aspect psychologique demeura : en raison de sa dimension symbolique, dans l’esprit des Allemands cette frontière intra-allemande demeura surdimensionnée – plus particulièrement après les événements du 13 juin 1953, leur impact médiatique et la désignation de cette date comme « journée de l’unité » à l’Ouest (« Tag der Deutschen Einheit »). Notons que, si la dimension émotionnelle était présente, la seconde moitié des années cinquante fit clairement apparaître que le nombre des Allemands de l’Ouest qui étaient disposés à payer pour l’unité – selon le modèle de ce qui s’était fait en Sarre – était très inférieur au nombre de ceux qui espéraient une Réunification, ce qui relativisait la profondeur de l’attente.
311953 avait été l’année d’un revers important pour Berlin-Est. Alors qu’une idéologie lisible et bien définie associée à une pleine harmonie entre dirigeants et peuple aurait dû favoriser la naissance d’une identité est-allemande, le soulèvement ouvrier de 1953 souligna l’ampleur de la rupture et, partant, le manque de légitimité des autorités. L’effet fut d’autant plus criant que, simultanément, à l’ouest, la croissance économique incitait les Allemands à manifester leur confiance à la majorité fédérale sortante. Parler de patriotisme serait excessif. On assistait plutôt à la naissance de ce que le politiste Dolf Sternberger appellera dans les années 1970 un « patriotisme constitutionnel » (Verfassungspatriotismus), sentiment identitaire fait d’éléments aussi disparates que l’amélioration du niveau de vie ou la victoire de la République fédérale à la coupe du monde de football de 1954.
V. Frontière intra-urbaine et crise aiguë : Berlin et les « mesures de sécurisation de la frontière » (Grenzsicherungsmaßnahmen)
32La frontière qui divisait l’ancienne capitale allemande revêtait une dimension particulière. « Ilot occidental au cœur de l’Allemagne communiste », Berlin-Ouest se vit accorder en RFA un régime de faveur économique, fiscal, etc. afin de mettre en évidence la supériorité du mode de vie occidental. La crise de 1948 avait déjà montré la portée emblématique de l’ancienne capitale : sa division sur-dimensionnait sa place dans la question allemande et l’habileté avec laquelle ses maires, Ernst Reuter et Willy Brandt en particulier, jouèrent de cette situation, en souligna les spécificités et en fit une ville symbole.
33Les efforts déployés par la RDA à partir de 1956 en vue d’un règlement de la question allemande par un traité de paix visaient particulièrement Berlin22. Que la ville devînt le lieu privilégié de la fuite vers l’Ouest (ces départs entraînant un affaiblissement économique notable)23 créa une situation insupportable pour Pankow. Pour la RDA il s’agissait de régler un problème interne, le Kremlin s’efforçait surtout d’affaiblir le gouvernement fédéral et de mettre un terme au statut quadripartite de l’ancienne capitale. L’Allemagne de l’Est voulait accréditer l’idée que Berlin se trouvait tout entière sur son territoire – façon de s’en prendre à la présence de troupes occidentales à Berlin-Ouest. Pour Moscou, le « miracle économique » ouest-allemand allié à la décision de l’OTAN (et du Bundestag) de nucléariser la Bundeswehr, donnait corps à la crainte d’une « réunification allemande sur une ‹ base bourgeoise › »24 et redonnait consistance au risque d’une contestation de la frontière Oder-Neiße.
34La frontière de plus de 40 kilomètres de long, en partie incontrôlable, ne suffisant pas à endiguer l’hémorragie, et le durcissement des mesures administratives prises depuis 195625 contre les départs (Republikflucht) ayant peu d’effet, on la matérialisa. Après plus de deux ans de crise Pankow obtint l’assentiment de Moscou. La fermeture se fit avec l’accord tacite de Washington, le président de la commission des Affaires étrangères Fulbright ayant notamment déclaré le 30 juillet : « Je ne comprends pas pourquoi les autorités de la RDA ne ferment pas la frontière, car je pense qu’elles ont pleinement le droit de le faire »26. Cette solution marquait un recul de la part de l’Union soviétique qui respecta finalement les three essentials.
35Le terme de « mur de Berlin » a fait oublier trop souvent que la frontière inter-allemande fut elle aussi renforcée. Si le succès fut relatif pour Ulbricht, si le nombre des départs régressa sensiblement, si la RDA s’en trouva consolidée, cet épisode constitua un revers moral considérable : plus que la répression de 1953 elle souligna l’ampleur de la cassure entre les dirigeants Est-allemands et cette classe ouvrière au nom de laquelle ils disaient agir. En dépit de la propagande les frontières de la RDA apparaissaient bel et bien comme un outil d’enfermement.
36Deux choses firent qu’à partir du 13 août 1961 la consolidation des frontières allemandes eut un effet relativisant sur leur contestation par l’Ouest : d’une part le traité de paix que l’on avait espéré dans un délai raisonnable devenait de moins en moins une perspective crédible ; d’autre part les Grands ayant montré à quel point ils s’accommodaient de l’ordre international, les chances de la RFA de contester ces frontières, d’en obtenir l’abolition, s’avéraient de plus en plus ténues. L’attitude de Moscou dans la crise avait confirmé que l’URSS n’avait pas l’intention d’abandonner la RDA, celle de Washington et de Londres qu’elles n’entendaient rien entreprendre à cette fin. Cela obligeait à reconsidérer la situation. Si la doctrine Hallstein ne fut pas ouvertement remise en question, encore que certains aient envisagé son abandon dès 1959 (Heinrich von Brentano ne fut pas le moindre27), elle était désormais fragilisée28.
Appendice. De la perméabilité des frontières : agissements français en Allemagne pendant la guerre d’Algérie
37Cette contribution serait incomplète si elle faisait l’économie du non-respect des frontières allemandes après 1955, qui ne concernera que celles de la RFA, le bon élève est-allemand de la classe socialiste s’étant mis à l’abri par son zèle servile des immixtions du Bloc soviétique auxquels s’exposèrent Pologne, Hongrie, Tchécoslovaquie, voire des tensions que connurent la Roumanie ou la Yougoslavie. Même après l’entrée en vigueur en 1955 de la souveraineté il y eut des violations. Il n’est pas question ici de la présence de troupes étrangères : celle-ci était contractuelle dans les deux Allemagnes et souhaitée pour des raisons de sécurité par Bonn en ce qui concernait la présence de troupes occidentales et par Berlin-Est lorsqu’il s’agissait des troupes soviétiques. Il est ici question d’agissements étrangers sur le territoire allemand sans, voire contre l’assentiment des autorités du pays.
38Alors que la RFA œuvrait pour isoler Berlin-Est sur la scène internationale, Pankow, dotée d’une marge de manœuvre accrue en politique étrangère à partir de 195529, aspirait à être reconnue. La décolonisation lui offrit l’occasion de faire d’une pierre deux coups : en s’engageant dans l’assistance aux régions qui s’émancipaient, elle prêtait main-forte à l’URSS en prenant à sa charge, avec la bénédiction de Moscou, une partie de l’engagement de l’Est aux côtés des nouveaux États30 ; d’autre part, ceux-ci s’organisant (cf. Bandoeng) et, se trouvant admis à l’ONU, représentaient une puissance croissante ; en échange de son aide Berlin-Est attendait en particulier la reconnaissance diplomatique. Un tel engagement était idéologiquement correct, puisque la décolonisation était perçue comme une forme moderne de la lutte des classes.
39Bonn se trouva sur la défensive. Les puissances coloniales se trouvaient à l’Ouest, une démarcation claire aurait compliqué la Westintegration. Inversement une solidarité occidentale manifeste menaçait les intérêts allemands et ouvrait la voie à Pankow. En Egypte comme en Inde Bonn ne parvint à endiguer une reconnaissance de la RDA que par sa puissance économique – Berlin-Est ne disposant pas des moyens de financement de grands projets tels que le barrage d’Assouan ou les aciéries de Rourkela. Cela n’empêcha pas l’Indien Nehru, l’Indonésien Achmed Soekarno ni le Ghanéen Kwane Nkrumah de fonder leur discours sur l’existence de deux Allemagnes lors de la conférence de Belgrade des non-alignés de septembre 1961.
40La guerre d’Algérie passa les frontières de la République fédérale, base opérationnelle importante pour le FLN. La France, jugeant Bonn peu efficace contre les agissements du Front et son approvisionnement en armes, décida d’intervenir. Par l’intermédiaire d’une organisation clandestine, « Main Rouge », elle commit des attentats sanglants sur le sol de la République fédérale, contre des Algériens, mais aussi des Allemands, montrant ainsi qu’à ses yeux d’ancien occupant les frontières d’une Allemagne devenue souveraine gardaient un caractère particulier. Les tensions qui s’ensuivirent – on songe notamment à l’enlèvement par les services secrets français du colonel Argoud, leader de l’OAS – permirent à Bonn de montrer qu’elle entendait affirmer les prérogatives que l’accès à la souveraineté lui avait conférées à l’intérieur de ses frontières31.
Conclusion
41Nées de la situation internationale plus que d’une volonté de partition, pérennisées faute de traité de paix, les frontières allemandes se trouvèrent consacrées en 1961 par la crise de Berlin. Depuis 1945-1949 leur évolution avait reflété celle du contexte mondial. Celle à laquelle Adenauer accordait une importance moindre, et qui séparait la Sarre de l’Allemagne de l’Ouest, disparut devant la volonté d’une population qui, subissant les inconvénients de l’union franco-sarroise, se redécouvrit des sentiments patriotiques allemands. Celle de l’Est se trouva consolidée par le seul fait qu’elle s’installait dans la durée, bien que Bonn, Washington, Londres et Paris se refusassent toujours à reconnaître le fait accompli soviétique de 1945.
42Celle qui séparait les deux Allemagnes ne connut aucune modification de tracé, mais sa dimension symbolique évolua à mesure que le rapport de puissance entre les Grands entraînait une évolution de leurs conceptions stratégiques et diplomatiques. D’abord niée par les postulats pan-allemands des deux nouveaux États, elle prit non seulement cette consistance que donne la durée, mais elle se trouva ancrée dans la réalité à la fois par la volonté Est-allemande de s’affirmer avec le soutien du Grand Frère comme deuxième État allemand et par l’évolution de conceptions internationales américaines de plus en plus fondées sur le maintien du statu quo. Quand elle devint mur, la séparation entre les deux Allemagnes sembla promise à la durée – comme la division du monde.
Notes de bas de page
1 L’initiative de ce revirement est imputée à l’URSS ; si l’on n’en connaît pas les raisons exactes, le désir d’obtenir des réparations y contribua. Peter Graf Kielmansegg, Nach der Katastrophe. Eine Geschichte des geteilten Deutschlands, Berlin, 2000, p. 16.
2 Armin Heinen, Saarjahre, Politik und Wirtschat im Saarland 1945-1955, Stutgart, 1996, p. 65.
3 Heinen (note 2), p. 422ss.
4 L’absence de référence au traité de paix incitait Bonn à penser que Paris entendait faire sienne la thèse de l’extinction du Reich en 1945 Hanns Jürgen Küsters, « Der Streit um den Status Deutschlands in Europa (1949-1990) », in : Georges-Henri Soutou, Jean-Marie Valentin (éd.), Le statut international de l’Allemagne. Des traités de Westphalie aux accords „2+4 « , numéro spécial d’Etudes germaniques, oct.-déc. 2004, p. 880.
5 Heinen (note 2), p. 518, estime ce chiffre surfait, mais précise que la vente de chaussures chuta de 45 % en 1953.
6 La constitution affirmait l’autonomie du territoire par rapport à l’Allemagne ; les partis irrédentistes ne pouvant souscrire à cette disposition, leur position était inconstitutionnelle. Ils n’étaient pas interdits, mais ils n’étaient pas autorisés.
7 Sarrebruck avait demandé à participer aux négociations sur son avenir, mais la France craignait que des exigences maximalistes du gouvernement Hubert Ney, issu des élections du 18 décembre 1955, vinssent compliquer les négociations tandis qu’Adenauer, qui se méfiait du nationalisme des irrédentistes (dont il avait généralement une piètre opinion), préféra les consulter en marge des négociations, marquant simultanément l’appartenance de la Sarre à l’Allemagne.
8 L’expérience de 1935 joua : l’intégration sans adaptation de l’économie sarroise à celle du Reich avait entraîné le territoire dans la crise.
9 Afin d’éviter toute spéculation financière il avait été convenu que l’intégration dans la zone DM se ferait sans annonce préalable à une date fixée conjointement par Paris et Bonn.
10 Voir e.a. sur ce point Stefan Wolle, « Aufbruch im Osten ? Die DDR », in : Edgar Wolfrum, Die Deutschen im 20. Jahrhundert, Darmstadt, 2004, p. 40.
11 Cit. in Küsters (note 4), p. 880.
12 Cf. Adolf M. Birke, Nation ohne Haus. Deutschland 1945-1961, Berlin, 1998, p. 410.
13 Ulrich Pfeil, « Von der Hallstein-zur Ulbricht-Doktrin. Die deutsch-deutschen Beziehungen (1955-1969) », in : Jean-Paul Cahn et al. (éd.), La République fédérale d’Allemagne. De la souveraineté retrouvée à la souveraineté partagée (1955-1974), Nantes, 2005, pp. 106-118.
14 Comme ils acceptèrent au demeurant les expulsions de Tchécoslovaquie, Pologne, Hongrie et Bulgarie. Voir la contribution de Michel Hubert dans le présent ouvrage.
15 La normalisation des relations germano-tchèques n’intervint qu’après cette déclaration, laquelle reconnaissait également le déplacement des Allemands des territoires tchécoslovaques comme « intangible, juste et définitif ». Cf. Helga Haftendorn, Deutsche Außenpolitik zwischen Selbstbeschränkung und Selbstbehauptung, Munich, 2001, p. 140s. Pour plus ample informé sur l’attitude du SED face à la question de l’Oder-Neiße jusqu’en 1951, on peut se reporter entre autres à Andreas Malycha, « Wir haben erkannt, dass die Oder-Neiße-Grenze die Friedensgrenze ist », in : Deutschland Archiv 33 (2000) 2, p. 193-207.
16 Cit. in Wilfried Loth, « Kalter Krieg und doppelte Staatsgründung. Handlungsspielräume und Entscheidungen », in : Marie-Luise Recker et al. (éd.), Bilanz : 50 Jahre Bundesrepublik Deutschland, St. Ingbert, 2001, p. 138.
17 Le cas de Kurt Schumacher montre qu’ils n’étaient majoritairement pas animés d’un nationalisme primaire : il ne défendit jamais le principe right or wrong, my country et préconisa que l’Allemagne paye pour ses crimes. L’enjeu était la discrimination dont les signes (Ruhr, plan Pleven, etc.) se multipliaient et dont la conséquence serait tôt ou tard la résurgence du nationalisme. Mû par le souci de la démocratie en Allemagne, il rappelait que des Allemands étaient déjà incarcérés quand les vainqueurs en étaient encore à s’entendre avec Hitler. En cataloguant « nationalistes » les partisans de l’unité, on a méconnu qu’ils avaient été les premiers adversaires du nazisme et ses victimes. Il s’agissait désormais de préserver la démocratie pluraliste face à la démocratie « populaire ».
18 Cit. in Julia Angster, « Ankunft im Westen : Die Bundesrepublik Deutschland », in : Edgar Wolfrum (éd.), Die Deutschen im 20. Jahrhundert, Darmstadt, 2004, p. 30.
19 La militarisation de la RDA avait commencé bien avant le Pacte de Varsovie, autour de la kasernierte Volkspolizei.
20 Cit. in Christoph Klessmann, Zwei Staaten, eine Nation. Deutsche Geschichte 1955-1970, Bonn, 21997, p. 309.
21 L’entreprise était audacieuse : en raison du retard accumulé par la RDA le taux de productivité occidental était supérieur de 30 %, celui de la consommation de 25 % (ibid., p. 310).
22 Haftendorn (note 15), p. 148.
23 Adolf M. Birke cite le chifre de deux millions de transfuges depuis la création de la RDA ; (note 12), p. 438.
24 Soutou, Valentin (note 4), p. 370 ; voir le même, p. 367-399.
25 Le Passgesetz de décembre 1956 avait en particulier singulièrement compliqué le passage à l’Ouest
26 Cit. in Klessmann (note 20), p. 90.
27 Cf. Soutou, Valentin (note 4), p. 375.
28 L’administration Adenauer elle-même ne s’en tint pas à la négation de la RDA : en 1959 le plan Globke, du nom d’un secrétaire d’État à la chancellerie, reposa sur une reconnaissance mutuelle des deux États allemands et l’ouverture de relations diplomatiques ; sous cinq ans les Allemands devaient se prononcer par référendum et élire une assemblée unique représentant le peuple allemand ; cela présupposait la levée des interdictions de partis. Berlin devait obtenir un statut de ville libre sous la protection de l’ONU, mais sa population devait participer aux élections. En 1962 Adenauer soumit à l’ambassadeur soviétique Smirnov une proposition de gel de la situation pendant dix ans, Bonn renonçant à contester la situation à l’Est contre une amélioration des conditions d’existence en RDA (Burgfriedensangebot) ; cf. Kielmansegg (note 1), p. 85-87. Ces initiatives trouvèrent peu d’écho.
29 Cf. Pfeil (note 13).
30 Sur la question des Allemagnes face à la décolonisation française, voir la Revue d’Allemagne 31 (1999) 3/4.
31 Voir e.a. Jean-Paul Cahn, Klaus-Jürgen Müller, La République fédérale d’Allemagne et la guerre d’Algérie 1954-1962, Paris, 2003, Klaus-Jürgen Müller, « Aspekte des deutsch-französischen Verhältnisses während des Algerienkrieges », in : Revue d’Allemagne 31 (1999) 3/4, p. 509-532, ou encore Jean-Paul Cahn, « Frontières ouest-allemandes et guerre d’Algérie (1954-1962) », in : Pierre Béhar, Michel Grunewald (éd.), Frontières, transferts, échanges transfrontaliers et interculturels, Berne, 2005, p. 229-242.
Auteur
Né en 1945 ; Professeur d’études germaniques à l’Université de Paris IV-Sorbonne
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