Commentaire du philosophe Simplicius sur la Physique d’Aristote, livre
p. 53-208
Texte intégral
[Prologue : 259.3-261.4 Diels]
1Aristote s’est proposé dans ce traité de livrer les principes et causes des êtres constitués par nature1. Parmi les principes, certains sont élémentaires, d’autres, [259.5] efficients, d’autres enfin, de l’ordre de la cause finale2, et ceux qui se présentent les premiers à nous sont les principes élémentaires, parce que l’objet de la connaissance pousse [le sujet] connaissant à rechercher ses causes à partir de sa propre nature et de sa propre constitution, celle que produisent les éléments inhérents en lui3. C’est pourquoi dans le premier Livre, Aristote, après avoir passé en revue et mis à l’épreuve les doctrines des physiciens4, découvre les principes élémentaires premiers5, [10] en montrant que les générations se font à partir de contraires6, dont les plus universels sont la forme et la privation, et qu’elles se font aussi à partir de ce qui est substrat pour les contraires7. Et en particulier8, au sujet de la matière9, il a démontré qu’elle existe, qu’elle est un substrat pour les contraires10, qu’elle est inhérente au composé, par quel mode de connaissance le physicien peut s’en saisir11, en quoi elle diffère de la privation12, et aussi qu’elle est inengendrée et ne périt pas, et [15] [il a montré] toutes les autres déterminations [relevant de la compétence] du physicien (τῶν τοῦ φυσικοῦ μέτρων) qui pouvaient être mentionnées à son propos. De la même manière, au sujet de la privation, il a démontré qu’elle existe [comme principe]13, qu’elle est absence de forme dans ce qui existe par nature, et aussi qu’en elle-même elle est non-étant, mais, par accident, étant14, et qu’elle n’est pas [cause] en tant que cause inhérente, mais par accident15 (par le fait en effet d’être absence), et qu’elle est engendrée et corruptible [= Phys. I, 8-9]16.
2Aristote a donc montré tout cela ; il va, [20] en suite logique, dire sur le principe formel [en tant qu’]élément17 ce qui relève de la compétence du physicien (τὰ σύμμετρα τῷ φυσικῷ), et passer ainsi à la cause efficiente et finale18 puisque la forme, étudiée du point de vue de la définition physique, est immanente au composé à la fois comme élément et comme cause efficiente, et ainsi il va nous instruire à bon droit et sur la cause formelle et sur la cause efficiente ; [260] il traite donc au début (sc. du Livre II) de la nature qu’il montrera être à la fois forme et cause efficiente19. En deuxième lieu, puisque les uns ont dit que la nature était la matière, d’autres, la forme, et que c’est plutôt ceux qui la disent être forme qui parlent avec plus d’exactitude20, il aborde nécessairement l’étude de la nature par la distinction entre forme et matière. [5] Troisièmement, s’il est vrai que la matière, qu’il s’agisse de celle qui est substrat des êtres naturels ou de celle qui est substrat des artefacts, relève de la même étude, tandis que la forme d’un artefact a le principe de son mouvement tout entier hors d’elle et que la forme naturelle possède [ce principe] en elle, il fallait que celui qui devait parler de la forme naturelle commençât par distinguer les êtres naturels de ceux qui ne sont pas par nature.
3C’est autrement aussi que le traité sur la nature a sa place dans ce [deuxième] livre. Dans [10] le premier [livre] en effet, il cherchait les principes communs de tout changement. Aussi a-t-il pris également des exemples de changement relevant d’un art, en prenant le « cultivé » et le « non cultivé »21; désormais, après avoir distingué les êtres naturels des réalités non naturelles, il traite des réalités naturelles, laissant de côté les artefacts. C’est donc nécessairement qu’il parle de la nature, de ce qui est par nature et de ce qui est selon la nature, puisqu’il a d’abord distingué ces choses de ce qui n’est pas par nature. [15] De fait, à la fin du premier Livre il a annoncé qu’il allait parler ensuite des formes naturelles et périssables ; or, d’une manière générale, pour celui qui traite des choses naturelles, nécessaire est la connaissance de « la nature », du « par nature », du « selon la nature » et de ce que c’est que d’« avoir une nature » : qu’est-ce que chacune de ces choses et en quoi diffèrent-elles les unes des autres ? Et la connaissance de la nature précède tout cela. C’est aussi la raison pour laquelle [20] il nous instruit d’abord sur la nature22, jugeant qu’il ne vaut pas la peine de chercher si elle existe parce que son existence est évidente23, comme lui-même, après avoir dit « ce qu’elle est », s’en expliquera plus longuement sur ce sujet, mais il montre ce qu’est la nature et en même temps, avec ce point, il montre aussi qu’elle existe24.
4Et puisque touchent à ce qui est régi par la nature et le mathématicien et le médecin et celui qu’on appelle ainsi « naturaliste »25, [25] il expose ce qui fait la différence entre eux, en éclaircissant, dans l’intervalle, en quels sens différents on parle de causes et en donnant des exemples pour chacune de ces significations.
5Mais certains disent que la fortune et le hasard sont aussi des causes ; ce sont tous ceux qui affirment que certaines choses résultent de la fortune ou du hasard, et ceux pour qui cette [même thèse] est une conséquence de ce qu’ils disent ‒ même s’ils ne se sont pas conscients de cette conséquence –, [30] comme c’est le cas pour ceux qui posent que deux sont les principes les plus élevés ; s’ils26 disent en effet que [ces principes les plus élevés] sont dieu et la matière27, par quelle coïncidence se trouve-t-il que le premier soit agent et la seconde passive, sans qu’il y ait une autre chose cause de cette coïncidence28 ? Une telle coïncidence est donc le fait de la fortune et du hasard, fortune et hasard ne venant pas après [d’autres causes] mais en premiers ; et ceux qui disent que le bien et le mal sont les principes29 diront que leur séparation en contraires est le fruit de la fortune [35] ou du hasard, ainsi que le partage local qui s’est fait pour eux au début. Aussi Aristote livre-t-il des explications claires sur la fortune et sur le hasard, [261] dénonçant de belle manière dans ce Livre ses prédécesseurs parce qu’ils n’ont rien dit sur ces choses qu’ils ont pourtant admises comme causes30. Et c’est d’une manière particulièrement claire qu’il livre sa doctrine dans ce Livre, ne cessant d’être facile à suivre du fait de l’ordre des problèmes [qu’il suit]31 et du fait de son style32.
[Chapitre 1] (Phys. 192b8-193b21 = In Phys. 261.5-282.29 Diels)
[261.5] Parmi les êtres en effet, les uns sont par nature, les autres, par d’autres causes ; sont par nature les animaux et leurs parties, les plantes, les corps simples comme la terre, le feu, l’air, l’eau ; de ces choses en effet, et des choses semblables, nous disons qu’elles sont par nature (Aristote, Physique II, 1, 192b8-12).
[I. Explication générale : 261.7-28]
6Avant tout autre chose, il cherche et montre ce qu’est la nature. On ne peut en effet connaître ni ce qui est par nature, ni ce qui est selon la nature33 ni aucune autre des choses naturelles en tant que naturelles si l’on ignore ce qu’est la nature. Or il trouve [10] ce qu’est la nature à partir de la différence entre les choses qui sont par nature et celles qui ne sont pas par nature34. Il dit que sont par nature les choses qui subsistent du fait de la nature, et que ne sont pas par nature les choses qui subsistent du fait d’autres causes, car, des choses qui adviennent, il existe beaucoup d’autres causes35. Car l’intellect ou raisonnement pratique ou poïétique36, quand accompagné du désir il est devenu choix, produit les choses qui relèvent de la vertu ou du vice, comme l’action juste ou injuste, et, quand il n’est pas accompagné de désir, [15] produit ce qui relève d’un art, comme un lit, une maison, jouer de la flûte. Certaines choses se produisent aussi par chance, comme la découverte inattendue d’un trésor, ou par hasard37, comme la naissance d’un monstre ou une pierre qui tombe pour se placer tel un siège38. Assumant donc comme évident le fait que certaines choses se produisent par d’autres causes, il passe maintenant de suite à la question de savoir : « qu’est-ce qui existe par nature ? », disant que sont « par nature les animaux, les plantes, leurs parties39, [20] les corps simples ». Ce n’est pas en effet un choix qui est cause de ces choses, puisque le choix est indéterminé, tandis que leur génération est déterminée. Elles ne sont pas produites non plus par hasard, ou spontanément ; car de telles choses se produisent plutôt rarement, tandis que ce qui existe du fait de la nature est ce qui arrive le plus souvent. Elles ne sont pas non plus produites par un art ; car ce qui est produit par art l’est par une cause extrinsèque, tandis que les choses produites par la nature le sont par une cause intrinsèque40. Et il est évident que toutes ces choses sont dites être par nature dans le même sens, en tant qu’elles ont quelque chose en commun. [25] Ce n’est donc pas eu égard à la sensation (celle-ci est en effet propre aux animaux), ni eu égard à la prise de nourriture, la croissance et la reproduction41 ; c’est eu égard aux mouvements proprement appelés naturels : les mouvements locaux qui se produisent sans qu’il y ait impulsion de l’âme et les mouvements selon l’altération, la génération, la corruption, un certain accroissement et décroissement.
[II. Explication de « et leurs parties » : 261.29-262.12]
[1. Interprétation d’Alexandre : 261.29-262.1]
7Après avoir dit : « et les animaux », il ajoute : « et leurs parties », « parce que, dit [30] Alexandre42, les parties des choses qui sont par nature sont aussi par nature. Toutes les parties des artefacts ne sont pas en effet des artefacts ; car une maison est un artefact et certaines de ses parties sont des artefacts, d’autres sont par nature (les briques et les portes sont des artefacts, les pierres et le bois sont des choses naturelles) ; en revanche les parties des choses naturelles sont elles-mêmes des produits de la nature ; et cela comme on s’y attendrait ; les corps naturels en effet sont des substrats pour les arts [35] (c’est pourquoi ces corps aussi sont des parties des artefacts), et pour les choses produites naturellement, les substrats aussi sont naturels ; c’est pourquoi les parties aussi de ces choses sont naturelles, sans exception ».
[2. Simplicius : 262.1-12]
8[262] Mais peut-être faut-il s’arrêter sur ce que dit [Aristote]. Si en effet par « parties » on veut dire les parties au sens strict, sont aussi produites par un art les parties des choses produites par un art ; et en effet, la tête et les pieds d’une statue sont produits par un art, de même les parties d’une maison : les appartements des hommes, ceux des femmes et les portiques. Mais si nous appelons « parties » les éléments aussi43, [5] comme le sont par exemple les pièces de bois, les pierres et les autres choses de ce genre dans une maison, alors dans le cas des choses naturelles aussi les éléments premiers ne sont pas naturels ; pas même la matière en effet n’est naturelle, puisqu’en elle-même elle est sans mouvement. Mais peut-être y a-t-il une différence aussi en ce domaine. Car dans le cas des artefacts, même les éléments prochains sont naturels et non des artefacts, par exemple le bronze d’une statue, et, dans le cas d’une maison, les pièces de bois et les pierres ; mais dans le cas de choses naturelles, [10] même si le substrat dernier n’est pas naturel, comme la matière, les [éléments] prochains, en revanche, sont naturels, comme le sont les quatre éléments ; et c’est ainsi en cela que pourra résider la différence entre les choses qui sont par nature et celles qui ne le sont pas.
[III. Pourquoi dire que les animaux et les plantes sont par nature alors que c’est une âme qui caractérise ces êtres : 262.13-263.30]
[1. Position du problème : 262.13-28]
9Mais en quel sens dit-il que « les animaux et les plantes sont par nature » c’est-à-dire produits par la nature, alors qu’ils sont doués d’âme et sont ce que précisément ils sont en raison de leur âme ? Et, de fait, nous disons pour définir l’animal [15] qu’il est un être doué d’âme et de sensation, et le végétal se trouve doté d’une âme par l’âme végétative, qui fait qu’il se nourrit, croît et se reproduit. Et ce qui est étonnant, c’est qu’Aristote lui-même, un peu plus loin (192b12-16), dit que les êtres mus en tant qu’ils croissent, décroissent ou diminuent éprouvent cela en tant qu’êtres naturels, tandis que dans son traité De l’âme il dit que la nutrition, [20] la croissance et la diminution reviennent à l’âme végétative44 ; plus loin encore (193a12 et b9), il dit que le bois planté germe en vertu de la nature qui est la sienne, alors que la germination et toute génération existent du fait de l’âme. Et la définition qui a été donnée de l’âme, qui dit qu’« elle est l’entéléchie d’un corps naturel pourvu d’organes possédant la vie en puissance »45 convient et aux plantes et aux animaux, mais pas aux corps simples, [25] comme la terre, le feu, etc. Ceux-ci en effet n’ont pas d’organes. Alors pourquoi ici, quand il veut trouver la différence entre ce qui est par nature et ce qui ne l’est pas, dans l’idée que ce qui fait cette différence c’est la nature46, inclut-il les animaux et les plantes dans les étants par nature alors que c’est l’âme qui les caractérise ?
[2. Réponse de Simplicius : 262.28-263.17]
10Peut-être donc que, d’une part, seuls les corps simples sont naturels47 et que, d’autre part, même si les animaux et [30] les plantes ont une âme, végétative pour les unes, désirante, pour les autres, ils ont aussi une nature, celle qui est ici cherchée et que les corps premiers ont aussi. Car les corps plus parfaits, ayant les vies plus parfaites, ont aussi les vies inférieures ; l’homme par exemple a une vie rationnelle, désirante, végétative et la nature qui est ici l’objet de la recherche, [263] tandis que l’animal dépourvu de raison possède, à l’exception de la vie rationnelle, toutes les autres vies ; et le végétal possède la vie végétative et la nature ; les corps simples et leurs composés, en tant qu’ils sont seulement des corps composés, comme les pierres, le bois, les os et, d’une manière générale les corps morts, possèdent la seule nature, quelle que soit celle-ci. [5] Et cela nécessairement, s’il est vrai qu’une âme advient à un corps naturel en étant « l’entéléchie d’un corps naturel pourvu d’organes », ainsi qu’il la définit lui-même dans le traité De l’âme48.
11En outre, si la nature existe dans les corps simples, non pas en tant qu’ils seraient doués d’organes, mais en tant qu’ils sont composés de matière et de forme, et si ces corps premiers existent dans les plantes et dans les animaux, puisqu’eux aussi (sc. plantes et animaux) sont composés des quatre éléments, il est évident [10] que les corps des animaux et ceux des plantes sont complètement naturels avant d’être corps d’animaux ou de plantes.
12Et c’est peut-être pour cette raison qu’il a ajouté « et leurs parties ». L’os en effet, ou le bois, n’ont pas le désir ni l’âme végétative, mais ils ont une nature. Il a donc ainsi montré la différence entre ces choses et les artefacts et il les a incluses en tant que réalités naturelles. Quant à la croissance49, [15] en disant (192b15)50 qu’elle est une propriété des choses naturelles51 – soit dans la pensée qu’il n’avait pas encore été déterminé de quelles choses la croissance est le propre, soit dans la pensée qu’il est admis par certains que la croissance appartient à certaines des choses naturelles au sens propre, comme le feu – il l’a prise maintenant comme chose naturelle.
[3. Eudème : 263.18-30]
13Qu’Aristote a admis ici les animaux et les plantes comme étant par nature non pas en les prenant en tant qu’animaux ou plantes, mais en tant qu’eux-mêmes sont aussi naturels, c’est ce que montre [20] aussi Eudème52, qui écrit dans le premier livre de sa Physique53 : « si de beaucoup de choses nous disons qu’elles sont par nature (c’est ce que nous disons en effet du cheval, de l’homme et de tout animal ainsi que de leurs parties, et aussi de l’olivier et de toute plante et de leurs parties, de l’herbe aussi et d’une manière générale de tout ce qui pousse, et aussi de la terre, du feu et d’un bon nombre de choses inanimées), qu’est-ce qui appartient à toutes ces choses ? La sensation et beaucoup d’autres traits sont propres aux animaux, [25] la croissance est propre aux êtres vivants, mais toutes ces choses54 pour ainsi dire se meuvent ; de fait le bois, le feu, le bronze et tout corps en général se meut, mais non de manière semblable selon tous les mouvements ; la pierre, par exemple, et toutes les choses qui ont un poids vont vers le haut et vers le côté quand elles sont mues par un autre, mais d’elles-mêmes elles se meuvent vers le bas ; le feu, quand il est mû par un autre, va vers le bas, tandis que, de lui-même, il va vers le haut. Le bois, de lui-même, va vers le bas, tandis que le lit va vers le bas en tant qu’il est en bois, [30] et non en tant que lit. Car s’il a des ailes, le lit ne se portera plus vers le bas ».
[IV. Conclusion : 263.30-264.3]
14Si donc les artefacts se meuvent non pas d’eux-mêmes, mais en tant qu’ils sont composés de choses de ce genre55, et si les choses naturelles se meuvent tantôt selon des mouvements qui relèvent du mû par un autre, tantôt selon des mouvements [qui leur appartiennent] par elles-mêmes, et si, des mouvements selon le mû par un autre nous disons qu’ils sont pour elles contre-nature, mais que sont selon la nature les mouvements qu’elles font d’elles-mêmes, le mouvement sera pour elles selon la nature si la cause [du mouvement] ne leur est pas extrinsèque56 [264] mais intrinsèque ; il faut donc alors dire qu’un tel principe de mouvement est la nature, puisque [ce principe] appartient à toutes les choses qui sont selon la nature (Phys. 192b13s.). Et s’il en est ainsi, la nature est le principe du mouvement, [principe que les choses naturelles ont] en elles et par elles-mêmes (Phys. 192b21-3).
Toutes ces choses manifestement sont différentes de celles qui ne sont pas constituées par nature. Les êtres qui sont par nature possèdent en effet tous manifestement en eux-mêmes un principe de mouvement et d’arrêt, les uns quant au lieu, d’autres quant à la croissance et la décroissance, d’autres quant à l’altération57 (Aristote, Physique II, 1, 192b12-16).
[I. Explication générale : 264.6-18]
15S’étant proposé de découvrir ce qu’est la nature en recherchant de manière tout à fait méthodique la différence entre ce qui est par nature et ce qui n’est pas par nature mais par d’autres causes, il en arrive à la conclusion que cette différence est la nature. Et les choses qui sont par nature ne diffèrent de celles qui ne sont pas par nature par rien d’autre que le fait « d’avoir de par elles-mêmes58 un principe de mouvement et d’arrêt » ; [10] par « principe » il veut dire la cause efficiente. De même que les réalités naturelles manifestement se meuvent de par elles-mêmes, à partir de leur propre intériorité, « les unes quant au lieu » (par exemple la terre se meut vers le bas, le feu vers le haut), « d’autres quant à la croissance et la décroissance » (ainsi le feu lui-même et certaines pierres dont on a pu observer les agrandissements et amenuisements relativement à leur masse totale, car cela est croissance et décroissance), « d’autres quant à l’altération » [15] (ainsi l’eau chauffée et rendue plus subtile), de même ces réalités possèdent-elles à l’intérieur d’elles-mêmes aussi l’arrêt d’un tel mouvement. Le mouvement ou l’arrêt ne viennent pas d’une cause extrinsèque ni ne se poursuivent indéfiniment, au contraire, les choses naturelles s’arrêtent une fois qu’elles se sont avancées jusqu’à la mesure qu’est leur forme propre.
[II. Explication de « et d’arrêt » : difficulté soulevée par le cas du Ciel : 264.18]
[1. Alexandre : 264.18-22]
16Alexandre relève que par « chacune de celles-là possède en elle-même un principe du mouvement et de l’arrêt » Aristote veut dire les choses dont il a parlé, à savoir : [20] les animaux, les plantes et les corps simples, et non pas tous les êtres naturels. En effet, le corps mû d’un mouvement circulaire, bien qu’étant un corps lui aussi naturel, s’il possède bien en lui-même le principe de son mouvement, ne possède pas celui de son arrêt puisqu’il se meut sans cesse59.
[2. Porphyre : 264.22-265.1]
17Mais peut-être que les corps célestes aussi, même s’ils ne passent pas du mouvement à l’arrêt, possèdent cependant eux-mêmes aussi l’arrêt en vertu de leur centre, de leur axe, de leurs pôles, [25] de la totalité [qu’ils forment]. Et si leur mouvement est naturel, leur arrêt aussi pourrait bien être tel ; mais tout arrêt (στάσις) n’est pas repos (ἠρεμία), seul l’est celui qui vient après un mouvement. C’est donc de manière plus juste que Porphyre60 fait cette remarque : « peut-être, dans “un certain principe et cause61 de mouvement et d’arrêt”, le [second] “et” est employé au lieu de « ou » parce que certaines des choses qui sont par nature se meuvent toujours, mais jamais ne sont en repos. Et je n’entends pas, dit-il, [30] le corps divin (car il est exclu des choses devenues), mais le feu jamais n’est en repos ; car il se meut soit vers le haut et le bas soit en cercle. Mais certaines choses ont la nature de l’un et de l’autre »62. Les choses qui sont par nature possèdent donc la cause du mouvement et de l’arrêt intrinsèquement, en elles-mêmes, et non extrinsèquement, comme les artefacts et les choses produites par d’autres causes.
[III. Sur la classification des étants par Alexandre : 265.1-6]
18[265] Mais quand Alexandre dit que peut-être les corps simples ont en eux-mêmes le principe du seul mouvement quant au lieu, les animaux, le principe de tous les mouvements, les plantes, le principe de tous les mouvements sauf le mouvement local, nous penserons ou bien qu’il prend là en compte non le mouvement des animaux en tant qu’animaux, ou celui des plantes en tant que plantes, [5] mais le mouvement [des animaux et des plantes] en tant que corps physiques, ou bien qu’il prend dans un sens général63 ce qui a été dit ici [par Aristote].
Mais un lit et un manteau, et toute autre chose de ce genre, en tant qu’ils ont reçu chacune de ces dénominations, c’est-à-dire en tant qu’ils sont des produits d’un art, ne possèdent aucune impulsion naturelle au changement, mais ils l’ont seulement en tant qu’ils sont par accident de la pierre, ou de la terre, ou un mélange des deux, et dans cette mesure seulement ; car la nature est un certain principe et une certaine cause de mouvement64 et de repos pour la chose en laquelle elle réside à titre premier65 par soi66 et non par accident. Je dis « non par accident » parce que quelqu’un qui est médecin peut devenir lui-même cause de sa propre santé ; mais ce n’est cependant pas en tant qu’il est soigné qu’il possède l’art médical ; il se trouve que le même homme est médecin et patient67 ; c’est pourquoi ces deux états sont parfois séparés l’un de l’autre. Et il en va de même pour chacune des autres choses qui sont fabriquées ; aucune d’entre elles en effet ne possède en elle-même le principe de sa fabrication ; pour certaines le principe est en d’autres choses et extrinsèque, par exemple une maison et toute autre chose faite de main d’homme, d’autres l’ont en eux-mêmes mais pas par eux-mêmes : ce sont tous les étants qui peuvent devenir par accident causes pour eux-mêmes (Aristote, Physique II, 1, 192b16-32).
[I. Explication générale : « impulsion » (ὁρμή) signifie ici « principe » (ἀρχή) : 265.9-266.4]
19Ayant montré à partir des faits observés clairement que les choses naturelles ont en [10] elles-mêmes un principe de mouvement et de repos, il fait voir par la comparaison avec les choses non naturelles que cela est également propre aux choses constituées par nature. En effet, les choses qui ne sont pas par nature, dans la mesure où on appelle ainsi les artefacts comme un lit ou un manteau (en effet, c’est ce que signifie « en tant qu’ils ont reçu chacune de ces dénominations »), « n’ont d’elles-mêmes aucune impulsion vers le changement » ; [15] or il a appelé « impulsion » au sens propre le principe interne du mouvement. Mais certains écrivent « principe »68 au lieu de « impulsion » ; en effet, les choses naturelles ont en elles-mêmes la cause du mouvement, tandis que les artefacts l’ont en dehors d’eux-mêmes ; de fait ils n’ont en eux-mêmes ni l’artiste ni l’art. En effet, la motte de terre est portée vers le bas sans être mue de l’extérieur, tandis que le lit reçoit sa forme de l’extérieur. Et, de la même façon, pour la motte de terre qui a atteint [20] le tout auquel elle appartient, l’arrêt provient de l’intérieur d’elle-même69, tandis que pour la formation du lit, il provient de l’extérieur : de l’artisan. En effet, aussi bien dans les choses qui sont par nature que dans les artefacts, l’origine du mouvement est là d’où provient aussi l’arrêt. De fait, les choses qui se meuvent naturellement selon le lieu, ainsi que celles [qui changent] selon l’augmentation et l’altération, s’arrêtent naturellement, lorsqu’elles sont parvenues respectivement à leur lieu propre, à leur grandeur propre, et à leur forme propre. En outre, elles ne changent [25] pas indéfiniment, et la cause de l’arrêt ne se trouve pas en dehors d’elles, mais provient d’elles-mêmes. Cependant, le lit, le manteau, et les artefacts d’une façon générale, dans la mesure où ce sont des artefacts, ont en dehors d’eux le principe de leur mouvement et le principe de leur arrêt, mais dans la mesure où chacun d’eux a aussi pour substrat un corps naturel, que ce soit du bois, de la laine, ou tout autre corps simple ou composé, dans cette mesure-là, [30] ils ont aussi en eux-mêmes le principe du mouvement et le principe de l’arrêt. Donc, si toutes les choses naturelles possèdent en elles-mêmes cela, et si les artefacts, [266] bien qu’ils ne le possèdent pas en tant qu’artefacts, le possèdent néanmoins en tant que choses naturelles eux aussi, cela pourrait bien être propre aux choses naturelles en tant que naturelles : le fait de posséder en elles-mêmes le principe de mouvement. Par conséquent, à partir de cela il est évident que la nature n’est rien d’autre que principe de mouvement et d’arrêt « pour ce en quoi elle se trouve à titre premier70 par soi et non par accident ».
[II. Reformulation syllogistique du raisonnement : 266.5-32]
20[5] Et il semble que cette conclusion soit obtenue ainsi, selon un syllogisme de la première figure71 :
- (i) la nature est ce par quoi les choses naturelles se distinguent de celles qui ne le sont pas ;
- (ii) or les choses naturelles se distinguent de celles qui ne le sont pas du fait qu’elles possèdent, à titre premier par soi et non par accident, un principe et une cause du mouvement et du repos inhérents à elles-mêmes ;
- (iii) la nature est donc principe de mouvement et de repos pour ce à quoi elle appartient à titre premier par soi et non par accident.
21[10] Mais il est possible que soit aussi construit72 un syllogisme de la troisième figure73, de la façon suivante :
- (i) les choses naturelles se distinguent de celles qui ne le sont pas du fait qu’elles ont une nature ;
- (ii) les choses naturelles se distinguent de celles qui ne le sont pas du fait qu’elles ont en elles-mêmes un principe de mouvement et de repos par soi et non par accident ;
- (iii) donc les choses qui possèdent une nature possèdent un principe de mouvement, et cetera ;
- (iv) donc la nature est principe de mouvement par soi et non par accident.
22Ce syllogisme est semblable [15] à celui-ci :
- (i) tout être capable de rire est un homme ;
- (ii) tout être capable de rire est un animal mortel rationnel ;
23et la conclusion : (iii) « tout homme est un animal mortel rationnel » est universelle74 en raison de la matière75, même si la figure [du syllogisme] conduit à des conclusions particulières. En effet, les prémisses qui contiennent comme prédicats des propriétés et des définitions, se convertissent, bien qu’elles soient des universelles affirmatives76, sous la forme d’universelles [20] en raison de la particularité de la matière. C’est précisément pour cela que, dans la troisième figure, même si on infère de façon particulière en raison de la figure, cependant, en raison de la matière, [la conclusion] universelle est vraie également, comme il l’a dit lui-même dans les Analytiques77.
24Quant à la prémisse qui dit : « les choses naturelles se distinguent de celles qui ne le sont pas par le principe et la cause du mouvement et de l’arrêt », elle pourrait être expliquée par ces mots : « or toutes ces choses [25] sont différentes manifestement de celles qui ne sont pas constituées par nature » (Phys. 192b12s.). « Et », comme le dit aussi Alexandre, « le raisonnement peut être aussi être développé selon un mode hypothétique, si on le présente ainsi en partant de la conséquence : si les choses qui sont par nature et ont une nature se distinguent des choses non-naturelles du fait qu’elles ont en elles-mêmes le principe et la cause du mouvement par soi et non par accident, la nature sera le principe de mouvement pour les choses dans [30] lesquelles elle est présente par soi et non par accident ; or le premier, donc le deuxième. Et que c’est en cela que les choses naturelles se distinguent de celles qui ne le sont pas, [Aristote] l’a prouvé au moyen de l’induction78 en comparant [les premières] avec les artefacts ».
[III. Justification de la définition de la nature donnée par Aristote : 266.33-268.12]
[1. Explication de « pour ce en quoi elle se trouve à titre premier par soi et non par accident » : 266.33-268.3]
[a. Explication de « à titre premier » : 266.33-267.5]
25Mais l’ajout de « pour ce en quoi elle est présente à titre premier par [267] soi et non par accident » est absolument nécessaire. De fait, même le lit possède en lui-même un principe de mouvement et de repos. En tout cas, si on le lâche, il se porte vers le bas, et pourtant, on ne dit pas qu’il est naturel ni non plus qu’il possède une nature en tant que lit, parce que le principe du mouvement n’appartient pas au lit à titre premier, mais au bois, et en raison de cela au lit également. Donc [5] l’ajout de « à titre premier » est nécessaire.
[b. Explication de « par soi et non par accident » : 267.5-22]
26Quant à « par soi et non par accident », Aristote a expliqué lui-même que cela doit être inclus nécessairement [dans la proposition]. En effet, si quelque chose doit être naturel en tant que ce qu’il est, il faut que, en tant que ce qu’il est, il possède en soi-même le principe du mouvement, par exemple la terre, en tant qu’elle est terre, est dite posséder une nature puisqu’elle possède le principe du mouvement local vers le bas. Cependant, si un [10] médecin malade se soigne lui-même, il se soigne de lui-même (car il a en lui-même le principe du mouvement), non par soi cependant, mais par accident ; en effet, ce n’est pas en tant que médecin que le médecin est soigné par lui-même, mais en tant que malade. Car il soigne en tant que médecin, certes, mais il est soigné en tant que malade. Or l’essence du médecin est une chose, et celle du malade en est une autre. C’est pourquoi ils sont séparés l’un de l’autre. En effet, tout médecin [15] n’est pas malade ni tout malade médecin ; par conséquent, le médecin qui est soigné par lui-même, ce n’est pas en tant qu’il est malade et pour cette raison79 qu’il possède en lui-même le principe de mouvement ; car si c’était en tant que malade, tout malade se soignerait lui-même. Il se soigne en effet en tant que malade, mais ce n’est pas en tant que malade qu’il possède le principe du mouvement c’est-à-dire du fait de se soigner de lui-même. [Aristote] a bien expliqué le « par accident » en disant « c’est pourquoi ces deux états sont parfois séparés [20] l’un de l’autre ». En effet, ce qui appartient par soi à quelque chose80 en est inséparable, tandis que ce qui en est séparé lui appartient non pas par soi mais par accident.
[c. Différence entre « à titre premier » et « par soi » : 267.22-268.3]
27Mais « à titre premier » se distingue de « par soi », et tout ce qui est « par soi » n’est pas « à titre premier », ni tout ce qui est « à titre premier » n’est « par soi ». De fait, lorsque quelque chose appartient par soi à quelque chose et que ce quelque chose à son tour appartient par soi à un autre, alors le premier [25] appartient aussi par soi au troisième, mais pas à titre premier ; par exemple, au triangle appartient par soi le fait d’avoir les trois angles égaux à deux droits, et le triangle appartient par soi à l’isocèle. C’est pourquoi à l’isocèle appartient par soi le fait d’avoir les trois angles égaux à deux droits. De fait, en tant qu’isocèle, c’est un triangle, et en tant que triangle, il a [les angles] égaux à deux droits, et sont inséparables de l’isocèle [30] le triangle et le fait d’avoir [les angles] égaux à deux droits. Cependant, ce n’est pas à titre premier que le fait d’avoir [les angles] égaux à deux droits appartient à l’isocèle, mais c’est par l’intermédiaire du triangle.
28À l’inverse, le blanc appartient à titre premier à la surface, ainsi que la vertu à l’âme, car ce n’est pas par quelque autre intermédiaire. Néanmoins, ils ne leur appartiennent pas par soi. [268] En effet, ils ne complètent pas l’essence de leurs sujets ni ne sont mentionnés dans la définition de ces derniers : par nature le blanc est séparé de la surface et la vertu de l’âme.
[2. Cas de concomitance du « à titre premier » et du « par soi » : 268.3-12]
29Mais il y a des cas où ils se rencontrent dans le même objet tous les deux, lorsqu’ils complètent l’essence et qu’ils sont présents à titre premier : ainsi [5] on dira que le rationnel appartient par soi et à titre premier à l’homme, le fait d’avoir [les angles] égaux à deux droits au triangle, et ce dernier à l’isocèle. Mais si le navire a en lui-même le pilote qui le meut, ce n’est pas par soi cependant. En effet, le pilote ne complète pas la nature du navire, puisque, [sinon], tout navire, du simple fait d’être un navire, n’aurait pas besoin de quelque chose qui le meuve de l’extérieur et le pilote ne serait pas séparé de lui. [10] En effet, aucune des choses qui appartiennent par soi à quelque chose ne peut en être séparée en le laissant intact. Et si le pilote se meut en mouvant le navire, il ne se meut ni par soi ni à titre premier.
[IV. Critique des thèses d’Alexandre sur l’âme : 268.12-269.4]
[1. L’âme se meut comme le pilote en son navire : 268.12-18]
30Et nous ne devons pas être d’accord avec Alexandre qui dit que l’âme se meut comme le pilote le fait parce qu’elle meut le corps dans lequel elle est comme le pilote meut le navire81. En effet, on pourrait peut-être admettre que [15] le mouvement local de l’âme se produit ainsi, mais les volontés, les pensées, les opinions82 et toutes les impulsions se produisent parce que l’âme se meut à titre premier (car ce n’est pas par autre chose) et par soi : car son essence est l’automotricité.
[2. Aristote a englobé l’âme dans sa définition de la nature : 268.18-269.4]
31Mais ces autres choses qu’[Alexandre] dit, à savoir : « il faut remarquer en effet qu’Aristote a englobé aussi l’âme dans sa définition de la nature »83, il ne faut pas non plus les accepter84 puisque (I) [20] selon Aristote (a) l’âme est « l’entéléchie d’un corps naturel pourvu d’organes » (De anima, II, 1, 412b5s.) tandis que la nature est proprement et à titre premier dans les corps simples, et non dans les corps pourvus d’organes ; (b) l’âme est « l’entéléchie d’un corps naturel pourvu d’organes »85, tandis que la nature ne saurait être [l’entéléchie] d’un corps naturel [pourvu d’organes] ; (c) l’une est le principe de certains mouvements, l’autre, principe d’autres mouvements, et puisque (II) selon Aristote la nature est dans un substrat à savoir un corps [25] – car les mots « dans ce en quoi elle est à titre premier » équivalent à « dans le substrat [dans lequel elle est à titre premier] » –, tandis que toute âme n’est pas dans un substrat ; car l’intellect est séparé, comme [Aristote] lui-même le clame dans le traité De l’âme86. Et si Alexandre veut comprendre cela comme concernant non pas l’intellect psychique mais l’intellect divin87, c’est de manière invraisemblable qu’il harmonise dans un esprit de rivalité88 cette fameuse affirmation [d’Aristote] avec sa propre doctrine concernant l’âme89. Maintenant, que l’âme aussi soit principe de mouvement, [30] et même principe [de mouvement] plus proprement que ne l’est la nature, et non seulement principe mais aussi source90, nous le disons, nous aussi, mais pas dans l’idée que l’âme est dans un substrat en mouvement. Mais Aristote veut [269] que « dans un substrat » s’ajoute à [la notion de] nature, puisqu’il dit « [ce qui a une nature est] une sorte de substrat, et la nature est dans un substrat » (192b34). Cela montre que l’âme a des actes séparés du corps, comme Aristote l’a dit aussi dans le traité De l’âme91, montrant qu’elle a aussi son essence séparée du corps.
[V. Remarques complémentaires : 269.5-17]
[1. Explication de « produites » (ποιουμένων : 129b28) : 269.5-10]
32[5] Il appelle « produites » (ποιούμενα 192b28) les choses qui adviennent comme artefacts, parce que l’art est une « disposition productrice accompagnée de raison vraie », comme il l’a défini lui-même dans l’Éthique92. Et dans le livre Z de la Métaphysique93, il dit que le devenir (τὸ γίνεσθαι) se dit au sens propre au sujet des choses qui adviennent par nature, tandis que les autres <générations>94 sont appelées des productions. Donc, toutes les choses qui adviennent, c’est-à-dire sont produites, comme artefacts, ou bien elles ont leur moteur en dehors d’elles, ou bien [10], si elles l’ont en elles-mêmes, c’est alors par accident.
[2. Remarque de Syrianus : la définition ici donnée de la « nature » au sens propre convient par analogie aux autres significations du mot « nature » : 269.10-17]
33Le grand Syrianus fait remarquer que cette définition qui a été donnée de la nature s’appliquera à presque toutes les significations [du mot] « nature », quand elle est comprise dans le cas de chacune de manière appropriée95. En effet, de même que le nom « nature », qui s’applique au sens propre aux corps naturels, est prédiqué par homonymie de la matière et de la forme, et de ce qui est comme la pousse96, de même [15] la définition elle aussi se comprend d’elle-même dans le cas de ce qui est appelé « nature » au sens propre, et se comprend aussi, par analogie, dans le cas des autres principes ; en effet, les autres natures97 sont aussi des principes de mouvement, mais pas de la même façon.
La nature est donc ce qu’on a dit. Ont une nature toutes les choses qui possèdent un principe de ce genre. Et toutes ces choses sont des substances ; car [tout ce qui a une nature] est un certain substrat98, et la nature est toujours dans un substrat. Par ailleurs sont selon la nature à la fois ces substances et tout ce qui leur appartient par soi, par exemple pour le feu d’être porté vers le haut ; en effet cela n’est pas une nature, n’a pas une nature, mais cela est par nature et selon la nature. On a donc dit ce qu’est la nature et ce qu’est le par nature et selon la nature (Aristote, Physique, 192b32-193a2)99.
[I. Pourquoi ajouter ici « ont une nature toutes les choses qui possèdent un principe de ce genre » : 269.20-270.3]
34[20] Après avoir défini la nature et avoir expliqué dans le détail les obscurités de la définition, il ajoute : « ont une nature toutes les choses qui possèdent un principe de ce genre ». Et certes après avoir montré, à partir de faits évidents100, quelles sont les choses qui ont une nature, il a déduit de ces choses ce que la nature est. Pourquoi alors ajoute-t-il « ont une nature toutes les choses qui possèdent un principe de ce genre » comme découlant du fait que101 la nature est quelque chose de tel ? C’est qu’il n’introduit pas ceci [25] comme une preuve ; mais, bien que cela ait été admis comme évident, il trouve utile de le reprendre, soit pour la distinction entre « avoir une nature » et « selon la nature », ce qu’il fait immédiatement après, soit pour la démonstration selon laquelle chaque étant naturel est une substance composée ayant d’une part quelque chose comme substrat dans lequel se trouve la nature, puisque la nature est un principe et une cause dans ce dans quoi elle se trouve par elle-même, et ayant, d’autre part, sa nature elle-même comme [30] quelque chose résidant dans un substrat. Et c’est pourquoi il ajoute comme une conséquence de cela que, puisque l’étant naturel est un composé, certains appellent nature le substrat inhérent, d’où advient ce qui naît, d’autres appellent nature la forme. Il arbitre les deux doctrines102. Il distingue le « ce qui a une nature » du « ce qui est selon la nature », [270] disant que ce qui a une nature est une substance composée du substrat qui contient la nature et de la nature qui est en lui. Car ce qui a une nature est à la fois (i) une sorte de substrat et (ii) la nature qui est dans ce substrat.
[II. Explication de « et toutes ces choses sont des substances » : 270.3-26]103
[1. Première explication. Toutes les choses qui ont une nature sont substances : 270.3-8]
35Et toutes ces choses qui ont une nature, sont « substances » Car dans le premier [Livre]104 est dite être d’une certaine manière substance la matière c’est-à-dire le substrat105 ; par ailleurs est aussi substance [5] ce qui est dans le substrat, et qui est précisément la forme ; mais est plus proprement substance le composé [de matière et de forme]106. Ce qui montre donc que les choses qui ont une nature sont des substances ce sont les mots « une sorte de substrat et dans un substrat » ; l’un et l’autre [matière et forme] sont substances, et plus encore le composé [des deux]107.
[2. Autres explications : 270.8-26]
36(1) Ou bien par « et toutes ces choses sont des substances » il faut comprendre que (i) ce qui a une nature est substance, que (ii) la nature est substance, et que a fortiori [10] (iii) le composé aussi est substance108, il y a en effet quelque chose qui est substrat et quelque chose qui est dans le substrat109.
37(2) Ou bien110, quand il a dit que « toutes ces choses sont des substances » [il veut dire] (i) le substrat et (ii) ce qui est dans le substrat, ce qu’il montre par l’intermédiaire de la nature en disant que « la nature est un substrat et réside toujours dans un substrat »111. Si donc la nature est substance, et si le substrat, c’est-à-dire la matière, est nature, et si ce qui est dans le substrat, c’est-à-dire la forme, [15] est nature, alors toutes ces choses seront substances. Le problème qui sera traité un peu plus loin, si c’est la matière, c’est-à-dire le substrat, qui est la nature, ou si c’est la forme, c’est-à-dire ce qui est dans le substrat, semble correspondre à cette dernière manière de voir.
38Mais la première interprétation est la meilleure en raison des conclusions qui vont suivre et parce qu’Aristote n’appellerait pas le substrat et ce qui est dans le substrat, qui sont deux choses, « toutes ces choses ». [20] Dans le De Caelo il écrit : « De choses qui sont deux, nous disons “les deux” et de deux hommes, nous disons “l’un et l’autre”, mais nous ne disons pas “tous” ; nous ne commençons à affirmer ce prédicat que d’êtres qui sont au moins trois »112. C’est pourquoi je passe maintenant sur le reste des explications d’Alexandre portant sur ce point113.
39Ainsi, toutes les choses qui ont une nature sont des substances, car ce qui possède [une nature] est un certain substrat, et ce qui est possédé, [25] c’est-à-dire la nature, est dans un substrat ; or cela revient à parler de la matière et de la forme, et celle-ci est plus proprement substance.
[3. Problème soulevé par Alexandre : si la nature est substance elle ne peut être dans un substrat (cf. les Catégories) : 270.26-34]
40Alexandre fait la remarque suivante : Aristote veut que la forme et la nature soient substances, pourtant il dit que la nature est dans un substrat114, bien qu’il ait dit dans les Catégories115 qu’aucune substance n’est dans un substrat. Alexandre atténue l’objection en disant ou bien : (i) des substances dont il est question dans les Catégories, il n’est dit d’aucune qu’elle est dans un substrat [30] parce qu’Aristote a dans les Catégories construit son argument non pas à propos de la substance selon la forme, mais à propos de la substance qu’est le composé, et pour laquelle il dit qu’il n’y a pas de contraire116 ; ou bien : (ii) Aristote ne parle pas maintenant de ce qui est dit « être dans un substrat » au sens propre – ce dont il est question dans les Catégories ; maintenant il dit « être dans un substrat » ce qui pour être a besoin d’un substrat117, de la même manière que dans nombre [de textes d’Aristote] l’accident à son tour est [dit] d’un substrat118.
[III. Le « selon la nature » et le « par nature » : 270.35-271.22]
[1. Ce que sont les choses qui sont « selon la nature » : 270.35-271.9]
41[35] Après avoir dit que les étants qui ont une nature sont tels, il en infère ce que sont les choses qui sont « selon la nature », en disant qu’elles sont en plus grand nombre que les choses qui ont une nature. Car les choses qui ont une nature sont dites être selon la nature en tant qu’on les caractérise par la nature qui est en elles [271] et en tant qu’elles sont juste ce qu’elles sont dites être. Mais il n’y a pas qu’elles qui sont dites être selon la nature, mais aussi « tout ce qui leur appartient par soi »119. Le feu a une nature parce qu’il a en lui-même un principe et une cause du mouvement vers le haut, et le mouvement vers le haut appartient au feu « par nature » et « selon la nature ». Mais on ne peut plus dire [5] que se mouvoir vers le haut « a une nature », ni non plus que « c’est une nature ». Car ce n’est pas non plus une substance, mais une puissance et une activité appartenant au feu selon la raison de sa nature ; c’est en ce sens que le mouvement vers le haut est dit être selon la nature, et que cette caractéristique du feu est aussi dite être par nature, puisque le feu a cette puissance et cette activité en raison de sa propre nature et parce qu’il est naturellement tel.
[2. Différence entre le « selon la nature » et le « par nature » : 271.9-22]
42Se mouvoir vers le haut appartient au feu à la fois par nature et selon la nature. [10] Mais le « par nature » n’est pas la même chose que le « selon la nature », car la première expression recouvre plus de choses que la seconde120. Nous disons que le « selon la nature » appartient à celles des choses par nature qui ont atteint leur achèvement propre. Il y a certaines choses qui existent par nature parce qu’elles sont venues à l’être selon l’activité de la nature, mais qui ne sont pourtant pas selon la nature. Par exemple les êtres qui sont incomplets de naissance ou qui, d’une manière générale, sont privés de quelque chose. Ces êtres [15] sont dans cet état parce qu’ils sont par nature faits pour [être privés de quelque chose]121, car la privation est un manque dans ce qui par nature est fait pour [être privé de quelque chose]. Ainsi, l’expression « par nature » sera appliquée pour toute chose qui est liée et en accord avec la substance naturelle en tant que telle ; par exemple la couleur et être malade appartiennent au corps par nature. Mais l’expression « selon la nature » peut être appliquée seulement à ce qui se produit selon le désir de la nature. C’est ainsi que nous disons qu’être en bonne santé est selon la nature, tandis que [20] la maladie est là par nature, car elle est contraire à la nature. Ainsi, quand Aristote dit « <cela> est par nature et selon la nature »122, il ne veut pas dire que ces deux expressions reviennent au même, mais que dans le cas du feu le mouvement vers le haut lui appartient par nature et selon la nature.
Mais que la nature existe il serait ridicule de s’employer à le montrer. Il est manifeste, en effet, qu’il existe beaucoup d’étants en ce genre, et montrer ce qui est manifeste par le moyen de ce qui n’est pas manifeste, c’est le fait de quelqu’un qui n’est pas capable de distinguer ce qui est connaissable par soi et ce qui ne l’est pas par soi. Qu’il soit possible d’être dans une telle situation est assez évident, en effet quelqu’un qui est aveugle de naissance pourrait faire des syllogismes sur les couleurs ; et ainsi de telles gens raisonnent nécessairement sur des mots, mais ne pensent rien (Aristote, Physique II, 1, 193a3-9).
[I. Pourquoi Aristote ne démontre pas que la nature existe : 271.25-272.12]
43[25] Puisque avant de poser la question du ce que c’est il faut chercher si l’objet de la recherche existe tout simplement, comme Aristote l’explique dans le Livre II des Seconds Analytiques123 (car ce serait grandement perdre son temps que de se demander, si ce qui est recherché n’existe pas du tout, ce que c’est, car il ne peut y avoir de définition de ce qui n’existe pas)124, et puisque c’est bien le cas ici, et pourtant lui-même a donné la définition de la nature sans montrer qu’elle existe125, [30] il explique que c’est pour une bonne raison qu’il a laissé de côté la question de savoir si elle existe. Car pour les étants qui ont une existence évidente il n’est pas besoin de démontrer qu’ils existent, comme Aristote le montre, si je me souviens bien, dans le livre II des Seconds Analytiques126. Parce que l’évidence montre donc clairement, dit-il, qu’il existe certains étants qui ont en eux-mêmes un principe de changement, c’est-à-dire une nature, « il est ridicule d’essayer de montrer que la nature existe ». [272] Premièrement, en effet, le fait que celui qui veut prouver ce qui est évident soit obligé, pour convaincre, de prendre pour hypothèse quelque chose de moins connu que ce qui est démontré, est caractéristique de quelqu’un qui ignore la méthode de démonstration, à savoir que « tout enseignement donné ou reçu par la voie de la démonstration vient d’une connaissance préexistante », comme Aristote le dit lui-même127. C’est, ensuite, le propre de [5] « quelqu’un qui n’est pas capable de distinguer ce qui est connaissable par soi et ce qui ne l’est pas par soi » et qui, à cause de cela, s’efforce de démontrer, par [l’intermédiaire] d’autres choses, l’existence de la nature128, dans l’idée que celle-ci n’est pas connaissable par elle-même, bien qu’elle le soit129. Et c’est encore pis si c’est par l’intermédiaire de ce qui est moins connu, ce qui ne peut manquer d’être précisément « la situation dans laquelle on se trouve » dans le cas de ce qui est tout à fait évident. Celui qui veut avoir recours à la démonstration pour toute chose en vient à ruiner complètement la démonstration. Car s’il faut assurément130 [10] que ce qui est évident soit le point de départ de la démonstration, celui qui pense que ce qui est évident doit être démontré n’admet plus qu’il y ait quelque chose d’évident, et il ne concède pas non plus un point de départ de la démonstration, et donc n’admet pas non plus de démonstration131.
[II. L’intellect, faculté de juger de ce qui est évident : 272.13-273.1]
44Il prend l’aveugle qui fait des syllogismes sur les couleurs comme témoin du fait qu’essayer de « montrer ce qui est manifeste par le moyen de ce qui n’est pas manifeste » arrive à ceux qui ont perdu la faculté de juger de ce qui est évident. [15] Car puisque les couleurs sont connaissables et sont auto-évidentes132 pour ceux qui peuvent voir, celui qui a perdu avec la faculté de voir133 celle de juger de l’évidence des couleurs et qui ensuite fait des syllogismes sur celles-ci, celui-là aura recours au moins connaissable pour entraîner la conviction puisqu’il ne connaîtra pas ce qui est évident, et raisonnera sur des mots sans qu’il ne conçoive [son objet]. [20] C’est en effet à partir de ce qu’il entend, et non à partir de sa perception sensible (sc. des couleurs), qu’il produit son raisonnement puisqu’il a perdu cette connaissance qui est coordonnée aux sens et sans laquelle même le raisonnement ne peut penser quelque chose à propos des couleurs134. C’est ainsi que celui qui essaye de prouver ce qui est évident est ignorant de la nature des choses connaissables d’elles-mêmes, parce qu’il n’a pas la faculté qui permet de les discerner. Cette faculté est l’intellect. Car c’est l’intellect, dit [Aristote]135, [25] qui permet de reconnaître les termes des prémisses comme évidents par eux-mêmes, manifestes et simples. Peut-être d’ailleurs est-ce l’intellect qui fait connaître que les définitions aussi doivent être manifestes, auto-évidentes et connues sans déduction, puisqu’elles sont tirées d’une division claire136. Les choses qu’on avance (τὰ προβλήματα) et qui sont évidentes en elles-mêmes, par exemple que ce qui est bon est bénéfique et toute autre chose équivalente, sont comme des termes [30] qui n’ont pas besoin de quelque chose d’autre pour être prouvés, comme c’est le cas [au contraire] pour les énoncés incertains. L’aveugle de naissance raisonnera sur les couleurs à partir de ce qu’il entend [dire sur celles-ci] – et non à partir de sa perception sensible –, à savoir que le gris est proportionné au rayon visuel, et il dira : « le gris est composé de la couleur blanche qui divise et de la couleur noire qui comprime ; c’est-là quelque chose qui est proportionné au rayon visuel »137 ; mais il n’a pas la perception sensible de ce qui divise ou comprime [35] le rayon visuel, ni de ce qui est proportionné à ce dernier ; ce sont seulement des mots [273] qu’il profère.
[III. Conclusion : 273.1-4]
45De ce que dit Aristote nous devons donc comprendre qu’il était raisonnable pour lui et de laisser de côté le problème de savoir si la nature existe, et de donner la raison de cette mise à l’écart non pas dès le début, mais maintenant, quand il a montré ce qu’elle est comme étant quelque chose d’évident. Car tous les corps sont capables de se mouvoir naturellement.
[5] Certains138 sont d’avis que la nature et la substance des êtres qui sont par nature est le constituant interne premier de chaque chose, par soi dépourvu de forme, par exemple que la nature d’un lit c’est le bois, d’une statue l’airain139. Un indice en est, dit Antiphon140, que, si on enterrait un lit, et si la putréfaction acquerrait la puissance de faire pousser un rejet, ce n’est pas un lit qui viendrait à l’être mais du bois, parce que, d’après lui, ce qui existe par accident [dans le lit], c’est la disposition conventionnelle141 et l’art, alors que la substance [du lit], c’est cette réalité qui, continûment perdure tout en étant affectée de cette [disposition donnée par l’art]. Mais142 s’il arrive à chacune de ces réalités [naturelles] d’être dans le même rapport avec quelque chose d’autre (comme par exemple l’airain et l’or par rapport à l’eau, les os et le bois, par rapport à la terre, et de même pour n’importe laquelle des autres réalités de ce genre), c’est cette chose-là qui est leur nature et leur substance. En vertu de quoi certains disent que c’est le feu qui est la nature des étants, d’autres que c’est la terre, d’autres l’air, d’autres l’eau, d’autres certains de ces éléments, d’autres tous. En effet, celui qui suppose que l’un de ces éléments est tel, qu’il y en ait un ou plusieurs, prétend que celui-ci ou ceux-ci sont la substance dans sa totalité, alors que toutes les autres choses en sont des affections, des états et des dispositions ; et n’importe laquelle de ces choses de cette sorte (sc. l’un des éléments ou plusieurs) sera éternelle, car ces choses ne subissent aucun changement à partir d’elles-mêmes, alors que tout le reste naît et périt sans fin (Aristote, Physique II, 1, 193a9-28)143.
[I. Enchaînement avec ce qui précède : 273.7-17]
46Il a dit plus haut que les êtres qui ont une nature sont des substances, parce que ce qui a une nature est un substrat, et que la nature qui est contenue est dans un substrat, ou parce que la nature est un substrat et réside dans un substrat, comme Alexandre l’a compris selon une interprétation144 ; [10] aussi maintenant expose-t-il avec raison les opinions de ceux qui disent que la nature est le substrat et de ceux qui disent qu’elle est ce qui réside dans un substrat145 ; il avance les argumentations propres aux uns et aux autres et il les évalue. En même temps il donne les différentes significations du mot « nature », qui sont multiples, comme il l’a lui-même montré clairement à la fin de son explication [du mot « nature »] quand il dit « mais puisqu’on a distingué en combien de sens [15] se dit la nature »146 (je m’arrêterai sur ce passage)147. Quand il dit « certains sont d’avis que la nature », il ajoute : « et la substance des êtres qui sont par nature » parce que l’être, c’est-à-dire la substance, des êtres qui existent par nature est selon la nature.
[II. Les Présocratiques : La nature est le substrat, i.e. la matière : 273.17-275.3]
[1. Le « constituant premier dépourvu de forme par soi » est la matière première : 273.17-34]
47D’abord il parle de ceux148 qui pensent que la matière est la nature de chaque chose, c’est-à-dire « le constituant interne premier de chaque chose, par soi dépourvu de forme (ἀρρύθμιστον), par exemple que d’un lit [20] la nature c’est le bois, d’une statue l’airain ». En premier lieu, il a dit « dépourvu de forme »149 parce que dans chaque composé il y a souvent plusieurs choses qui peuvent jouer le rôle de substrat ; dans les corps des animaux, par exemple, les organes sont le substrat prochain pour la forme totale [du corps], tandis que les parties homéomères150 sont un substrat pour les organes, que pour celles-ci le substrat est ce qu’on appelle les quatre éléments, et que pour ces derniers le substrat est la matière première, laquelle est précisément [25] le « [constituant] premier dépourvu de forme par soi »151. Les autres choses, comme les organes, les parties homéomères et les éléments, sont dépourvues de forme relativement à quelque chose d’autre (la forme qui leur est imposée), bien qu’elles aient aussi leur propre forme, tandis que la matière première est sans forme par elle-même. Car l’airain et le bois, la matière de la statue et du lit, ont reçu une forme et sont dépourvus de forme seulement relativement à quelque chose d’autre, mais la matière qui est commune à toutes choses est dépourvue de forme par elle-même. [30] L’airain et le bois sont analogues à la matière première, car ce qu’ils sont par rapport à la statue et au lit, la matière première l’est par rapport à toutes les choses qui ont reçu une forme. C’est pourquoi ils disent que ce qui est « le constituant interne premier de chaque chose, par soi dépourvu de forme » est la nature première et commune de même que le [constituant] prochain d’une chose est sa nature prochaine, par exemple l’airain d’une statue et le bois d’un lit.
[2. Antiphon et les Présocratiques152 : 273.35-274.26]
48[35] Comme signe que la nature [de chaque chose] est le substrat et non la forme, Antiphon le Sophiste prenait le fait que la nature est celle qui fait germer, ou en vérité [274] celle qui est la pousse et la montée153 [d’une chose] en vue de la production et de la génération d’une [autre chose] semblable154. Car dans le cas des choses produites par une technique « si on enterrait un lit et si la putréfaction acquérait la puissance de faire pousser un rejet, ce n’est pas un lit qui viendrait à l’être, mais du bois ». Cela se produit parce que la forme [du lit] est [faite] conformément aux règles de l’art155 et « selon la convention » (c’est-à-dire [5] selon les procédures en usage dans les arts et par opposition à ce qui est selon la nature en tant qu’elle est conventionnelle) ; « existant par accident », elle advient et s’en va, tandis que la matière « demeure » parce qu’elle est « la substance » et la nature de la chose, car le fait de demeurer est le propre de la substance. Or la substance de ce qui existe par nature est selon la nature. On pourrait présenter le raisonnement sous la forme suivante :
- (i) la matière, c’est-à-dire le substrat, [10] est ce qui dans les êtres naturels demeure et pousse ;
- (ii) ce qui ainsi [demeure et pousse] est la substance ;
- (iii) la substance des êtres naturels est la nature ;
- (iv) la matière est donc la nature dans les êtres naturels, si bien que la nature est la matière156. Les définitions en effet sont convertibles.
49Mais puisque chacune des formes des substrats prochains157 a un certain substrat, [Aristote] ajoute avec raison « s’il arrive à chacune de ces réalités (sc. naturelles) [15] d’être dans le même rapport avec quelque chose d’autre » qui est leur substrat, si bien que la forme change tandis que le substrat persiste ; par exemple, si l’airain et l’or entretiennent ce rapport avec l’eau, et les os et le bois avec la terre158 (et n’importe quelle autre chose avec le substrat en elle), alors le substrat [commun] sera leur nature et leur essence. C’est pour cela que ce que l’on159 a posé à chaque fois comme étant le substrat premier160, que celui-ci fût un ou plusieurs, [20] on l’a considéré comme étant la nature et l’essence des choses. En conséquence, Antiphon semble parler d’une manière vague [quand il dit] que le substrat est la nature, tandis que chacun des autres [Présocratiques] appelait « nature des choses » cela précisément qu’il disait être le substrat premier, que ce substrat soit un [élément], ainsi l’Eau aux dires de Thalès, l’Air pour Anaximène, le Feu pour Héraclite, ou qu’il soit plus qu’un élément, comme le Feu et la Terre chez Parménide, ou qu’il soit [25] les quatre éléments, comme pour Empédocle161. Personne n’a fait mention de la Terre seule162, mais Aristote l’a aussi prise en compte par analogie163 avec les autres éléments.
[3. Explication de « dispositions » et « états » : 274.27-275.3]
50Quant à ce qui peut se produire dans le substrat, par exemple les générations, les corruptions et les altérations, ils164 ne disaient plus que ce sont des natures (car ce ne sont pas des substances), mais des accidents et des « affections » de la substance ; celles qui sont transitoires ils les appelaient « dispositions » (διαθέσεις), tandis que celles qui sont stables ils les appelaient « états » (ἕξεις)165. [30] Ils disaient que le substrat – quel que soit celui qu’on a posé – était « éternel ». Car si la destruction est un changement qui se fait de quelque chose vers quelque chose et qui se produit dans le substrat166, le substrat ne pourra changer sa propre nature en quelque chose d’autre ; il ne subira donc pas de destruction ; il est au contraire éternel. Et même s’il est détruit, ce qui est détruit ce sont les choses susceptibles de changer ; or ces choses sont les affections qui liées au substrat subissent des changements [35] et qui ne sont plus justement appelées des natures. Ceci aussi peut conduire à la conclusion [275] que la matière est la nature, si du moins tous posent que la matière est éternelle et non soumise au changement ; car avoir le caractère de stabilité convient à la nature c’est-à-dire à la substance de toutes choses167.
[III. Sur la variante « disposition formelle » (τὴν κατὰ ῥυθμὸν διάθεσιν) au lieu de « disposition conventionnelle » (τὴν κατὰ νόμον διάθεσιν) : 275.3-5]
51Voilà la signification dans son ensemble des propos d’Aristote. Mais certains écrivent « la disposition formelle » (τὴν κατὰ ῥυθμὸν διάθεσιν), au lieu de « la disposition conventionnelle » (τὴν κατὰ νόμον διάθεσιν), ce qui est plus [5] compréhensible, puisque la figure est appelée « forme » (ῥυθμός).
La nature se dit donc ainsi d’une première manière : la matière sous-jacente première168 pour chacun des êtres qui ont en eux-mêmes un principe de mouvement et de changement (Aristote, Physique II, 1, 193a28-30).
[I. Pourquoi l’ajout de : « des êtres qui ont en eux-mêmes un principe de mouvement et de changement » : 275.8-23]
[1. Dans les artefacts la matière sous-jacente première, identifiée avec la matière prochaine, n’est pas nature : 275.8-15]
52Après avoir dit que le mot « nature » est employé en un sens pour dire « la matière sous-jacente première pour chacun des êtres », il ajoute : « des êtres qui ont en eux-mêmes un principe de mouvement [10] et de changement ». Car il y a aussi dans les artefacts, en tant qu’artefacts, une certaine « matière sous-jacente première »169, par exemple l’airain pour une statue, les pierres et les pièces de bois pour une maison. Mais ce sont là des substrats pour des choses qui ne sont que des artefacts et le substrat ne sera pas nature, puisque ce qui est pris en considération n’est pas même un être naturel mais un artefact170. Or il faut que la nature soit dans les êtres naturels – en conséquence, c’est la matière sous-jacente dans les êtres naturels [15] qui sera la nature selon un sens parmi ceux donnés au mot « nature » pour ceux qui posent que la nature doit être entendue en ce sens171.
[2. Dans les artefacts la matière première, i.e. le substrat dernier, n’est pas non plus nature : 275.15-23]
53Et, pour tout dire, n’est substrat dans les artefacts pas même la matière première172, celle que [certains]173 veulent être la nature174, et c’est pourquoi, dans le cas des êtres naturels, ce n’est pas non plus [selon eux] n’importe quelle matière qui est la nature, mais seulement la « matière sous-jacente première ». Or c’est cette [matière sous-jacente première] qu’ils appellent substrat dernier175, celui qui est sous-jacent à toutes choses mais qui n’a lui-même aucun substrat. De fait, chez les animaux, [20] les organes et les parties homéomères, ainsi que les éléments ont une fonction de substrat – mais aucune de ces choses n’est au sens strict la nature, car aucune n’est le substrat premier. Et il y a aussi dans les artefacts un substrat dernier, à savoir la matière [première], mais elle leur est sous-jacente non pas en tant qu’artefacts mais en tant que choses naturelles176.
[II. Parfaite exactitude du texte d’Aristote : 275.23-30]
54C’est donc avec raison qu’il a été dit que la nature est « matière sous-jacente première pour chacun des êtres qui ont en eux-mêmes un principe [25] de mouvement », c’est-à-dire en chacun des êtres naturels. Car les prémisses dans les syllogismes sont sous-jacentes comme une matière, mais elles ne sont pas leur nature, parce que le syllogisme n’est aucunement une chose naturelle. Car tous les êtres naturels sont corporels. Et même dans le cas des syllabes, le substrat premier, c’est-à-dire les lettres, n’est pas leur nature. C’est pourquoi ce n’est pas n’importe quel substrat qui est nature, mais seulement le substrat premier177, et substrat premier [30] non pas dans n’importe quelle chose, mais dans une chose naturelle.
D’une autre manière, c’est la configuration (ἡ μορφή) et178 la forme selon la définition (τὸ εἶδος τὸ κατὰ τὸν λόγον)179. De même, en effet, que ce qui est par l’art, c’est-à-dire artefact, est appelé art, de même aussi ce qui est par la nature, c’est-à-dire ce qui est naturel, est appelé nature ; mais, dans le premier cas, on ne pourrait pas encore dire que cela soit par art, ni qu’il y ait art si un lit est seulement en puissance et n’a pas encore la forme du lit, et on ne le pourrait pas non plus pour les êtres constitués par nature. En effet, la chair et l’os en puissance n’ont pas encore leur nature, ni ne sont par nature avant qu’ils n’aient reçu la forme selon la définition, par laquelle180 nous disons dans des définitions ce que sont la chair et l’os181. De sorte que, d’une autre manière, la nature sera la configuration et la forme (non séparables si ce n’est logiquement) des choses qui ont en elles-mêmes un principe de mouvement (Aristote, Physique II, 1, 193a30-b5).
[I. La nature est forme : 275.32 – 276. 24]
55Après avoir traité complètement de l’hypothèse selon laquelle le substrat est la nature il la laisse de côté et passe à celle selon laquelle la forme est la nature. Puisque la nature [276] du fait qu’elle est productrice de forme a quelque chose en commun avec l’art, et en même temps diffère de celui-ci dans la mesure où la forme que produit la nature est la matière de l’art (ici le bois du lit, là l’airain de la statue), certains, voulant que la matière soit la nature, ont essayé [de démontrer cela] à partir de cette différence en disant que le lit, quand il est enterré, [5] révèle sa nature en tant que bois, et non en tant que forme ; mais d’autres, voulant que la forme [soit la nature], se sont appuyés sur le fait que la nature et l’art ont en commun d’être producteurs de forme et ont pris la défense de leur propre revendication de la manière suivante : de même que dans le cas des productions de l’art, « ce qui est produit par l’art c’est-à-dire artefact est dit être art » (car par art merveilleux de la statue nous entendons sa forme), [10] de même, dans le cas des choses qui sont par et en vertu de la nature « sera nature ce qui est par la nature c’est-à-dire ce qui est naturel ». Car on pourrait dire aussi du bois que sa nature est merveilleuse en entendant par nature sa forme. En effet le rapport qu’il y a entre l’art et ce qui est « par l’art » est le même que celui qu’il y a entre la nature et ce qui est « par la nature », et inversement, disent les apprentis géomètres182. Car c’est dans ce qui existe par l’art qu’est l’art, et dans ce qui existe par nature [15] qu’est la nature. Or, dans le cas des choses qui existent en vertu d’un art, on ne peut pas encore dire qu’est par l’art une chose qui n’a pas reçu une forme mais est encore seulement en puissance ; c’est pourquoi l’art n’est pas non plus en cette chose ; car l’art est dans la forme. Ce n’est pas en effet l’airain mais la forme qui est l’art de la statue. Et de même donc, dans les choses qui viennent à l’être par nature, ce qui existe seulement en puissance n’est pas encore par nature ni n’a une nature. Car ni [20] la chair en puissance, ni l’os en puissance n’ont la nature de la chair ou de l’os avant de recevoir leur forme. Si donc pour ces choses avoir une nature consiste à recevoir une forme, la forme sera la nature. Le raisonnement sera le suivant : ce par la présence de quoi ce qui est par nature est par nature, cela est la nature ; or c’est par la présence de la forme que les choses qui sont par nature sont par nature.
[II. Forme selon la configuration et forme selon la définition i.e. selon le « type » : 276.24-277.9]
56Mais la forme est double. [25] L’une est la forme selon la configuration (κατὰ τὴν μορφήν), l’autre est la forme « selon la définition » (κατὰ τὸν λόγον)183. Quand on définit ce que chacune est, nous disons qu’est seulement selon la configuration la forme telle que, superficiellement, la constituent la figure, la couleur et la taille184, et la forme selon la définition185, nous disons que c’est celle selon le type formellement un de la définition déployée186, type qui s’accorde avec la définition, comme le fait le nom187 ; or cela188 [sc. le type] embrasse aussi la configuration. C’est ainsi cette forme, celle selon [30] la définition, ou cette configuration [extérieure] qu’il dit être la nature. C’est la raison pour laquelle il a ajouté la configuration à la forme quand il a dit : « d’une autre manière, c’est la configuration et la forme », et aussi quand il dit : « la forme et la configuration non séparables ».
57Et dans l’art, c’est d’une autre manière que la configuration et la forme sont la même chose, car la définition de l’artefact est selon la configuration. Cela aussi est l’indice que [35] la forme est la nature. Car si la nature de chaque chose réside dans son être, et si [277] l’être de chaque chose réside dans la forme selon le logos et la définition189 (ce qui fait que les définitions sont convertibles avec ce qu’elles définissent), alors la nature sera la forme.
58Ainsi, selon les premiers arguments, la matière sera la nature dans les choses naturelles, tandis que selon l’argument qui vient maintenant d’être donné ce sera la forme qui est la nature, laquelle est inséparable du substrat, [5] tout en étant séparable de ce dernier seulement par la raison. Sont dites en effet séparables toutes les choses qui, quand elles sont séparées de ce dont on dit qu’elles sont séparées, demeurent en conservant leur forme. Mais les choses pour lesquelles la séparation signifie la destruction ne sont pas séparables, et la forme dans la matière est une de ces choses. Les choses naturelles ont leur être selon cette sorte de forme, et non selon la forme séparable.
[10] Et ce qui est fait de ces [composantes]190 n’est pas une nature, mais est par nature, par exemple un homme (Aristote, Physique II, 1, 193b5s.)191.
59Après avoir dit qu’en un sens la matière sera nature, et qu’en un autre sens la forme sera nature, il ajoute comme conséquence au sujet du composé que ce « qui est composé » de forme et de matière « n’est pas une nature » (car sont nature la matière et la forme) mais « est par nature ». [15] Car chaque fois que ce qui est en puissance quelque chose devient conformément à la nature cette chose en acte, cela a une nature et est par nature. Personne ne dit plus en effet que cela est nature. Car ce qui a une forme, qui est, comme on l’a vu192, la nature, cela est dit être selon et par la nature, « par exemple l’homme » composé de forme et de matière. Car il n’est pas nature mais existe par nature. Après avoir inséré une remarque sur le composé, il ajoute ce qui lui reste à dire à propos de la forme.
Et celle-ci est davantage nature que la matière193 en effet chaque chose est dite à partir du moment où elle est en entéléchie plutôt que quand elle est en puissance. De plus, un homme naît d’un homme194, mais pas un lit d’un lit ; c’est pourquoi aussi on dit que ce n’est pas la configuration (σχῆμα) qui en est la nature, mais le bois, parce que ce qui viendrait à l’être, si ça bourgeonnait, ce n’est pas un lit mais du bois ; mais si c’est donc cela, la configuration aussi est nature : car un homme naît d’un homme195. (Aristote, Physique II, 1, 193b6-12).
[I. C’est la forme, et non le composé comme le comprend Porphyre, qui est davantage nature que la matière. Premier argument : 277.20-31]
60[20] Il ajoute encore cela à propos de la forme parce qu’il veut que et la matière et la forme, mais plus la forme que la matière, soient nature. Il donne les raisons pour lesquelles il veut que ce soit la forme plus que la matière qui soit nature, et il démontre ce point de plusieurs manières.
61Néanmoins Porphyre comprend que « cela est davantage nature » est dit [25] du composé196 ; même si le composé n’est pas nature au sens propre du terme mais est seulement par nature, cependant il est plus nature que la matière ne l’est, parce qu’il possède en lui la forme, qui est plus nature [que la matière]. Mais le premier argument197 est le suivant : (i) la nature est, pour chacun des êtres naturels, cause du fait d’être ce qu’il est dit être ; (ii) or la cause du fait d’être ce qu’il est dit être est la cause du fait d’être en entéléchie, et non simplement en puissance ; [30] (iii) et la cause du fait d’être en acte ce qu’il est dit être est la forme ; (iv) la nature est donc la forme.
[II. Reformulation syllogistique du premier argument d’Aristote par Alexandre : 277.31-278.3]
62Alexandre a ramené l’argument à la forme suivante : (i) chaque étant est ce qu’il est quand il est en entéléchie si bien que aussi ce qui est par nature est par nature quand il est en entéléchie ; (ii) or est en entéléchie toute chose quand elle possède la forme (iii) et donc [278] les choses qui sont par nature sont par nature quand elles possèdent leur forme. Maintenant198, (i) ce dont la présence fait que les choses qui sont par nature sont par nature, c’est la nature ; (ii) or c’est la présence de la forme qui fait que les choses qui sont par nature sont par nature ; (iii) la forme est donc la nature.
[III. Explication de : « davantage » et « entéléchie » : 278.3-9]
63En ajoutant le mot « davantage » Aristote a montré que les choses qui sont en puissance sont dites elles aussi [être par nature], même si ce n’est pas de la même manière que pour celles qui sont en entéléchie. [5] En conséquence, la matière aussi est nature, même si elle l’est moins que la forme. On dit que le mot « entéléchie » est propre à Aristote lui-même. Il signifie la forme qui est en acte, en tant que c’est par elle qu’il y a réception d’un achèvement, ou réception du fait d’être un et achevé, ou maintien [dans l’être] (συνέχεια) de ce qui est achevé (τοῦ ἐντελοῦς), c’est-à-dire l’état selon l’achèvement.
[IV. La forme est davantage nature. Second argument : 278.10-32]
64[10] « De plus », dit Aristote199, si ceux qui affirment que la matière, et non pas la forme, est la nature, disent cela parce quand un lit est enterré, ce qui pousse à partir du bois, s’il y a pousse, c’est du bois, non un lit, alors, puisqu’un homme aussi naît d’un homme, et que l’homme est homme en vertu de la forme, la nature sera la forme. Et même si un lit certes ne naît pas d’un lit, en revanche un homme naît [15] d’un homme comme le bois naît du bois, et, d’une manière générale, les artefacts ne se reproduisent pas, mais les choses naturelles, oui. Puisqu’il en est donc ainsi, il aurait fallu dire, en tirant une loi générale à partir des choses naturelles, que la forme est la nature, et non pas écarter cette loi en se fondant sur les choses artificielles. Car l’art ne rend pas les formes [qu’il produit] capables de se reproduire, comme le fait la nature. Car pour ce qui est du bois, même s’il est la matière du lit, il est cependant une forme naturelle, [20] et, de ce fait, il a aussi la puissance d’engendrer ce qui lui est semblable.
65Parce qu’il déclare de manière anticipée ce qui ressemble à une conclusion, à savoir les mots « un homme naît d’un homme »200, Aristote a introduit de l’obscurité dans son raisonnement201. En substance l’argument est le suivant : un homme naît d’un homme, c’est-à-dire une forme naturelle naît d’une forme naturelle, mais il ne naît pas une forme artificielle d’une forme artificielle202. En considérant cela, ceux mentionnés plus haut disent que la forme n’est pas la nature ; [25] mais ils devraient plutôt considérer les choses naturelles, qui engendrent des choses semblables à elles quant à la forme ; et, puisque ceci est propre à la nature, ils devraient dire que la forme est la nature. Car si la matière, parce qu’elle persiste dans le processus de la naissance du bois à partir du bois, leur semble être la nature, qu’ils pensent alors que la forme est nature puisque la forme aussi persiste.
66Mais il vaut la peine de s’arrêter sur la question de savoir si, quand un homme naît d’un homme, c’est la forme qui naît de la forme, [30] et non pas le composé du composé. La réponse est que c’est pour cela qu’il dit : « mais donc si c’est cela203, alors la configuration204 aussi est nature », dans l’idée que la configuration naît elle aussi dans le composé205.
De plus la nature, entendue comme génération206, est un chemin vers la nature207. Elle n’est pas dite comme le traitement médical, qui n’est pas une voie vers l’art de guérir, mais vers la santé car, nécessairement, le traitement médical vient de l’art de guérir et ne va pas vers l’art de guérir ; mais ce n’est pas ainsi que la nature est en rapport avec la nature, mais ce qui croît naturellement va, ou croît208, d’une chose vers une autre209. Qu’est210 donc la chose qui croît ? Non pas ce à partir de quoi mais ce vers quoi. Donc la figure (ἡ μορφή) est nature (Aristote, Physique II, 1,193b12-18).
[I. La nature est forme. Troisième argument : une chose devient ce vers quoi elle va, à savoir la forme : 278.35-279.11]
67Ce troisième argument211 qui montre que la nature est la forme (τὸ εἶδος) est avancé de manière très habile. La nature entendue comme « germination » et génération est en effet [279] « un chemin » qui va « vers la nature » de ce qui advient et qui trouve son but en cette nature. De même que dans le cas des produits de l’art tout ce qui advient est dit devenir ce vers quoi, et non ce à partir de quoi, se fait la progression (quand en effet un menuisier fait un banc à partir de bois, ce n’est pas le bois qui est dit advenir ; c’est le banc qui advient [5] sous l’action du menuisier), et de même dans le cas des choses naturelles (quand l’eau se change en air, nous disons que c’est l’air, non l’eau, qui advient), de la même manière, pour ce qui croît naturellement, on dit qu’il croît parce qu’il s’achemine vers sa nature et non parce qu’il vient de sa nature ; or il va vers sa forme ; la forme est donc sa nature. L’argument se résume ainsi : la nature est ce vers quoi se hâte d’aller ce qui croît et advient ; [10] ce qui croît et advient se hâte d’aller vers la forme, et non vers la matière ; la nature est donc la forme.
[II. Sur la dérivation formellement identique mais sémantiquement différente des noms φύσις et ἰάτρευσις : 279.11-25]
68Mais certaines choses qui adviennent reçoivent leur nom non pas de ce vers quoi elles se hâtent d’aller, mais de ce qui produit en elles la forme vers laquelle progresse ce qui advient, par exemple le traitement médical (ἡ ἰάτρευσις)212, car lui-même [sc. le mot « traitement médical »] se dit, quant à la forme du mot213, de la même manière que pour la nature au sens de génération214 ; cependant il n’est pas vrai que, [15] de même que la nature est un chemin vers la nature, de même le traitement médical est un chemin vers l’art médical (ἐπὶ ἰατρικὴν) ; c’est un chemin vers la santé (ἐπὶ ὑγίειαν), qui est produite par la guérison, car c’est celui qui est traité médicalement qui recouvre la santé ; c’est pourquoi Aristote a fait cette distinction, en montrant que la relation que la nature, en tant que chemin, a avec la nature, en tant que but, n’est pas la même que celle que le traitement médical a avec la santé. La raison de cette différence dans les noms est que bien souvent [20] ce qui advient et l’agent ont le même nom : le chaud produit le chaud, et le chemin intermédiaire entre [le fait d’être froid et celui d’être chaud] s’appelle échauffement. Mais dans certains cas les noms diffèrent : l’art de guérir (ἰατρική) produit la santé (ὑγίειαν) ; peut-être que si on prenait « restauration de la santé » (ὑγίανσιν) à la place de « traitement médical » (ἀντὶ τῆς ἰάτρεύσεως), alors la relation serait ici la même [que celle qu’il y a entre la nature comme génération et la nature comme forme]. Car de même que la nature comme génération est une voie vers la nature comme but – car la nature (φύσις) est ce à quoi aboutissent les choses qui croissent (τὰ φυόμενα) –, de la même manière la restauration de la santé est un chemin [25] vers la santé.
[III. Explication de la lettre : 279.25-35]
69Et la matière est « ce qui subit la pousse » (φυόμενον)215 ; mais « ce qui croît » (φύεται) est la forme et « ce vers quoi, et non ce à partir de quoi », [il y a croissance]. Si donc ce qui subit la croissance reçoit une forme, on peut aussi dire en ce cas que ce qui croît reçoit une nature. La forme est donc nature, l’argument se présentant sous la troisième figure et n’étant valide que partiellement ; car il existe aussi la forme qui n’est pas naturelle. Mais Aristote, après avoir dit que ce qui croît « n’est pas le ce à partir de quoi [30] mais le ce vers quoi », s’est abstenu d’ajouter que le « ce vers quoi » est la forme et la nature (parce que c’est là une évidence), mais il a bien ajouté la conclusion : « la figure est donc la nature ». Et après avoir dit « va d’une chose à une autre », il a ajouté « ou croît » montrant que « va d’une chose à une autre » est équivalent à « croît d’une chose à une autre »216. Car ce vers quoi va [ce qui advient] est ce qu’il advient en croissant217, et non pas ce à partir de quoi il advient, qu’il s’agisse du substrat [35] ou de l’opposé, car ce sont là deux formes du « à partir de quoi ».
[280] Mais la configuration (μορφή) et la nature se disent en deux sens. Car la privation d’une certaine manière est forme (εἶδος)218. Mais s’il y a219 ou non privation, c’est-à-dire un contraire déterminé, quand il s’agit de génération absolue, il faudra l’examiner plus tard220 (Aristote, Physique II, 1, 193b18-21).
[I. Apories soulevées par le texte d’Aristote : 280.3-281.13]
[1. En quoi la privation est en un sens forme et nature : 280.3-27]
70Il a dit que la nature comme chemin aboutit à la nature, c’est-à-dire à la forme221. Puisque le chemin est double, l’un allant de la privation à la forme, l’autre de la forme à [5] la privation, double aussi sera la nature comme chemin, de sorte qu’il y aura deux fins : la forme et la privation. Si donc la fin est la forme et la nature, comment la privation, qui est le contraire de la forme, sera-t-elle une fin ? En outre il a posé, comme éléments des choses qui deviennent, la matière et les contraires222. Donc puisqu’il a posé maintenant la nature comme un des contraires, le problème se posait facilement de savoir comment [10] ces deux contraires seraient l’un et l’autre causes, mais l’un [seulement] des deux nature ? C’est pour cette raison qu’il a accordé à la privation d’avoir part à la nature dans la mesure où elle a part à la forme, en disant : « car la privation d’une certaine manière est forme ». Elle est d’une certaine manière forme, (i) soit en ce sens qu’elle se distingue du substrat comme quelque chose qui lui est opposé ; et en effet, parce qu’elle aussi réside dans le substrat comme la forme, elle devient elle aussi une sorte de configuration et de forme du substrat, car les accidents [15] sont en quelque sorte des configurations des choses dont ils sont les accidents ; (ii) soit parce que la privation n’est pas absence pure et simple [de forme], mais [absence de forme] dans quelque chose qui est naturellement apte à [recevoir une forme]. Cette disposition223 à la forme est effectivement une coloration apparente224 de la forme. Aussi donne-t-elle une certaine disposition au substrat, ce qui est le propre de la forme ; (iii) ou bien, ce n’est pas toute privation qui peut être dite « une sorte de forme », mais seulement celle qui est vue comme le terme inférieur de [deux] contraires ; car ce terme inférieur est la forme qui appartient à la catégorie de la privation, [20] comme il l’a démontré dans le De la génération et de la corruption, et la privation prise en ce sens est forme – il dit bien dans ce traité225 que l’un ou l’autre des contraires, quel que soit celui que l’on prend, est la privation de l’autre226. Si donc la privation aussi est d’une certaine manière forme et nature, parce qu’elle est autre chose que le substrat et la matière, même si elle a son être dans la matière, alors les choses qui existent par privation elles aussi pourront être dites être par nature, mais on ne pourra plus dire qu’elles sont selon la nature, puisque [25] la fin et ce à quoi aspire le substrat, c’est cela qui est le « selon la nature », et ce à quoi [le substrat] aspire est la forme. Aussi, du fait de la privation, le « par nature » déborde le « selon la nature ».
[2. En quel sens le chemin vers la privation peut être appelé nature : 280.27-281.13]
71Mais comment le chemin vers la privation peut-il être appelé nature s’il n’est pas une germination ? Il est en effet une corruption, et non une génération. Voici la réponse227 : dans la mesure où la privation est d’une certaine manière forme, elle, et le chemin qui mène à elle, sont aussi « nature ». Mais [30] si la privation est d’une certaine manière forme, il est clair que la forme vient d’une forme, et on ne peut plus dire que l’opposition la plus grande est celle entre forme et privation, comme il a été dit dans le Livre I228. Mais que, même si la forme vient d’une forme ce n’est pas dans l’idée qu’elle vient d’une forme, mais d’une privation et de quelque chose qui n’est pas par nature telle chose particulière, à l’évidence [35] cela a été montré aussi dans le Livre I.
[3. Le problème de la génération substantielle : la substance n’a pas de contraire : 280.34-281.13]
72Mais si la privation d’une certaine manière est forme, elle ne sera plus opposée à la forme seulement comme privation mais aussi comme contraire. Car l’opposition de formes qui ne peuvent coexister en un sujet [doit être comprise] comme une opposition [281] de contraires, et non pas comme l’opposition de la possession et de la privation. Si tel est le cas, toute génération ne sera pas génération seulement à partir de ce qui n’est pas tel, mais aussi à partir de formes contraires. Mais si c’est le cas, (1) soit il n’y aura pas de génération de la substance, et toute substance sera inengendrée et impérissable – bien que selon lui (sc. Aristote) la substance au sens propre c’est-à-dire la substance individuelle, vient à l’être et se détruit chez les étants naturels, [5] et bien que la génération substantielle au sens propre soit changement ; (2) soit, si une substance vient à l’être, alors nécessairement elle vient à l’être à partir d’un contraire déterminé. Mais Aristote est d’avis que la substance n’a pas de contraire. Pour le moment il reporte à plus tard cette question, qui demeure aporétique d’un côté comme de l’autre, de savoir si, à partir du moment où la privation est dite être d’une certaine manière forme, il y a privation quand il s’agit de la génération absolue, la privation étant une forme contraire déterminée, ou s’il n’y a pas privation. [10] Si en effet il n’y a pas privation, alors, puisque toute génération se fait à partir d’un contraire, la génération d’une substance – qui est, selon lui, la seule génération au sens propre du terme229 – sera impossible. Mais s’il y a génération de la substance, il y a un contraire déterminé à la substance, ce qu’il nie dans les Catégories (3b24)230.
[II. Résolutions de l’aporie posée par la génération substantielle : 281.13-282.29]
[1. Solution qu’on peut tirer d’Aristote. La contrariété n’est pas entre substances (feu et terre) mais entre formes : 281.13-282.2]
73Ailleurs231 Aristote résout ces apories en disant qu’il y a une substance dont la génération semble être la constitution d’un composé de matière et de forme, [15] mais que cette substance ne vient pas à l’être absolument, mais relativement à quelque chose. Relativement au substrat, la substance232 est inengendrée (car la matière ni ne vient à l’être, ni n’est détruite, comme il l’a démontré à la fin du Livre I)233, mais elle advient relativement au composé, c’est-à-dire relativement à la forme qui est dans la matière sous-jacente. De même que la substance a une naissance, de même a-t-elle un contraire déterminé. Mais elle a [20] une naissance non pas relativement au substrat, mais relativement à la forme qui est dans le substrat. Relativement à cette forme, elle a aussi un contraire, non pas en tant que [ce contraire] est substrat234, mais en tant qu’il est [forme] dans un substrat. Car le feu n’a aucun contraire en tant qu’il est un composé déterminé et qu’il est telle sorte de substance, mais [il a un contraire] quant à la forme. Il a en effet des contraires quant à sa chaleur, sa sécheresse et sa tendance à se mouvoir vers le haut, [25] et sa génération se fait quant à ces qualités235. Quand donc Aristote dit dans les Catégories que la substance n’a pas de contraire, il faut comprendre qu’il parle de la substance composée. Car dans cet ouvrage il parle de la substance seulement en ce sens, en même temps que de ses genres et espèces. C’est pourquoi il n’y a pas de contraire à la substance prise absolument en tant que substance, ni la substance, en tant que substance, n’advient-elle. Car elle adviendrait à partir d’une non-substance et du non-étant absolu. [30] Mais dans la mesure où la substance est une réalité singulière236 et où il y a différentes substances, [282] la contrariété existe en elles. Et en effet c’est sous cet aspect qu’il y a génération ; or c’est selon les formes qu’il y a des différences entre les substances ; c’est donc en elles [les formes] qu’il y a contrariété.
[2. Remarque d’Alexandre : 282.3-6]
74« Ou bien, dit Alexandre, il n’y a rien qui soit contraire à la substance relativement à la forme – car la privation, à partir de laquelle la forme aurait une naissance, n’est pas à proprement parler un contraire237 – [5] ou bien, si l’un des contraires est une privation, la privation aussi sera un contraire ». Voilà ce que dit Alexandre238.
[3. Autre solution. La contrariété n’est pas entre formes, mais entre les différences que sont le chaud, le sec, etc. : 282.6-29]
75Mais peut-être que la génération ne se fait pas à partir d’une privation ainsi entendue au sens propre du terme, celle dite selon le contraire [eidétique] inférieur. Car même si la génération se fait à partir de la forme contraire [inférieure], ce n’est pas en tant que [la forme contraire] est une forme, mais en tant que la privation du contraire coexiste avec elle, étant une absence dans ce qui est par nature [susceptible de recevoir la forme]239. [10] Or une même chose est par nature relative à chacun des deux contraires. Car de même qu’un genre commun précède les [deux] contraires, de même un substrat commun les reçoit-il. Peut-être donc que, d’une autre manière, il n’y a pas de contraire à la substance relativement à la forme240, dans la mesure où les contraires sont vus dans l’opposition que des différences ont entre elles ; or la forme n’est pas une différence, mais une combinaison de différences [15] avec le genre. Les contraires sont des qualités, la forme est substance. Si donc il n’y a pas de contraire à la forme, comment la forme vient-elle à l’être ? Donc, ou bien elle n’est pas engendrée mais, avec la matière, elle est non engendrée, et le composé est inengendré et toutes choses sont inengendrées, ou bien il n’est pas vrai que toutes les choses qui viennent à l’être viennent à l’être à partir de contraires. Peut-être alors que ce n’est pas la forme en elle-même qui vient à l’être ou est détruite. Car le feu est [20] inengendré non seulement relativement au composé (comme il a été dit plus haut) et à la matière, mais aussi relativement à la forme. Mais il naît relativement aux différences qui le constituent, dans lesquelles la contrariété aussi est visible. Car la chaleur, la sécheresse, le mouvement vers le haut, aucune de ces choses, en soi, n’est la forme du feu ; ce sont des différences ; lorsque toutes ces différences se combinent, elles produisent le feu. C’est donc en vertu [25] de la venue à l’être de ces différences à partir de leurs contraires que le feu vient à l’être, et c’est en vertu de la destruction de ces différences retournant à leurs contraires qu’il est détruit. De la même manière, dans le cas des autres formes aussi, la génération et la destruction de chacune n’est pas la génération ni la destruction de la forme en elle-même, mais génération ou destruction relativement aux différences présentes dans la forme. Quand celles-ci se détruisent les unes les autres, la forme est détruite en même temps qu’elles, de même qu’elle advient quand les différences se combinent.
[Chapitre 2] (Phys. 193b22-194b15 = In Phys. 282.30-309.1)
Mais puisqu’on a distingué en combien de sens se dit la nature (Aristote, Physique II, 2, 193b22).
[I. Les cinq significations du mot « nature » : 282.31-285.12]241
[1. La nature est la matière : 282.31-283.20]
76[282.31] En mettant fin à son explication [du mot « nature »] avec les mots « mais puisqu’on a distingué en combien de sens se dit la nature » Aristote lui-même a montré clairement que tout son propos a été orienté vers un but : distinguer les sens du mot « nature » ; en effet, comme « nature » se dit en plusieurs sens, ce mot a été compris différemment par les uns et par les autres (et l’expression « en combien de sens » s’applique à des réalités différentes par leur substrat). [283] Mais puisqu’il a livré clairement les autres significations, tandis qu’il a caché la signification première, ce sera une bonne chose que de les reprendre toutes brièvement en disant simplement à titre de préalable que, puisque le corps naturel possède matière, forme et le composé des deux, et puisqu’il est engendré, et que, pour cette raison, il comprend le mouvement [5] qui conduit à la génération et, surtout, possède la cause du mouvement (car quand il y a mouvement, il y a toujours quelque moteur), la nature se dit en cinq sens.
77En un sens c’est la matière en chaque chose, qui est « le constituant interne premier de chaque chose, dépourvu de structure »242 ; de même que dans le cas des produits de l’art, [le constituant interne premier] dans la statue c’est l’airain, dans le bateau, c’est le bois, [de la même manière] dans chaque corps naturel [le constituant interne premier] c’est la matière première, pour parler en prenant les choses d’en bas, [10] ou c’est le substrat dernier, comme l’appellent ceux qui partent d’en haut. La matière semble être la nature parce que la nature de chaque chose doit être vue comme demeurant la même à travers tous les changements variés de cette chose. C’est ainsi en tout cas que la nature d’un homme est vue manifestement comme étant la même en toutes circonstances, que l’homme soit éveillé ou endormi, en mouvement ou en repos, ou quoi que ce soit qui puisse lui arriver. [15] Eh bien il en va de même pour tout corps naturel : ce qui demeure identique dans tous ses divers changements, c’est cela qui sera sa nature. Or c’est la matière qui demeure identique. Antiphon a essayé de prouver la persistance de la matière aussi à partir de la germination du semblable, bien que la germination montre que c’est la forme qui naît de la forme, plutôt que la matière de la matière. Car un homme est engendré à partir d’un homme, et le bois à partir du bois ; [20] or le bois aussi est forme, même s’il joue le rôle de matière par rapport au lit.
[2. La nature est la forme engagée dans la matière : 283.21-27]
78Selon la deuxième signification, la nature est dite être la forme engagée dans la matière243. De même en effet qu’on ne parle pas encore de « statue » au sens d’œuvre d’art tant que la statue n’a pas reçu sa forme ouvragée, de même la matière n’est pas encore appelée d’aucun nom de réalité naturelle avant qu’elle n’ait reçu la forme. Car la matière est seulement en puissance [25] ce dont elle est la matière, comme la semence, par exemple, est l’animal en puissance, tandis que chaque chose est caractérisée par ce qu’elle est en acte. Or c’est là la forme. La nature semble donc être à juste titre plutôt la forme que la matière.
[3. La nature est le composé de forme et de matière : 283.28-284.4]
79Selon la troisième signification, la nature est dite être le composé de matière et de forme, par exemple l’homme. Car de même que le mot « substance » est utilisé en trois sens : matière, [30] forme et composé244, de même « nature » pourra être dit en trois sens. Mais Aristote dit du composé « qu’il n’est pas nature, mais est par nature »245. Car si chacun des deux composants est lui-même nature, et si le composé, qui existe en vertu de ces [composants], est autre que chacun d’eux, alors ce dernier ne sera pas nature au sens propre, mais sera par nature. Si pourtant les mots « cela plutôt que la matière est nature » sont dits du composé, [35] ainsi que l’a compris Porphyre246, il est clair que le composé n’est pas nature au sens strict du terme (car même aucun des corps simples n’est nature au sens strict), mais qu’il est nature plus que la matière ne l’est, parce qu’il possède en lui-même la forme, qui est plus nature que la matière ne l’est. Et [284] selon le critère247 d’Antiphon, puisqu’un homme naît d’un homme, c’est-à-dire un composé d’un composé, le composé aussi sera nature. Les trois sens du mot « nature » reviennent alors à ceci : le composé et les éléments du composé.
[4. La nature est le mouvement même de la génération : 284.5-11]
80[5] Selon la quatrième signification la nature est dite être comme la pousse, c’est-à-dire la génération et le mouvement en vertu de quoi ce qui pousse sous l’action de ce qui le fait pousser. Car de même que dans le cas d’un manteau, ce qui tisse c’est le tisserand, ce qui est tissé c’est le manteau et, en troisième lieu, il y a le tissage qui est un certain mouvement venant de l’agent et allant vers l’objet qui advient, de même dans le cas des réalités naturelles, il y a ce qui pousse, ce qui fait pousser, et, entre [10] les deux, la nature, celle qui est comme le mouvement de la nature productrice, comme le soin médical [est le mouvement] de l’art médical.
[5. La nature au sens propre est la cause du changement, i.e. la cause productrice : 284.12-24]
81Selon la cinquième signification, la plus importante, la nature est, pour les êtres naturels, la cause du mouvement, comme l’art est la cause productrice des artefacts ; et le mouvement de la nature, appelé nature248, commence à partir de la nature comme matière [15] et aboutit à la nature comme forme, produisant [ainsi] la nature comme composé des deux. En cela la nature productrice a quelque chose en commun avec l’art, mais elle diffère de ce dernier en ce que l’art, qui est extérieur249, part de règles qui lui sont propres et aboutit à quelque chose d’autre que lui, à savoir son résultat250. C’est ainsi en effet que l’art médical aboutit à la santé ; mais la nature, [20] qui réside dans ce qui pousse, aboutit, en passant par ce qui est une sorte de pousse, à la nature qu’est la chose achevée : une nature allant vers une nature en passant par une nature251. Sauf, il est vrai, que l’art, parce qu’il aboutit, au moyen d’un mouvement artisanal, à un artefact qui lui est homogène, conserve pour cette raison une similitude avec la nature ; mais la nature diffère de l’art en ceci que l’activité de la nature est inhérente et interne [à la réalité naturelle].
[6. La définition de la nature au sens propre s’applique à toutes les significations du mot « nature » : 284.25-285.12]252
82[25] La nature ayant plusieurs significations, le mot correspond plus proprement à la nature comme mouvement et comme pousse – il est en effet analogue à « traitement médical » (ἰάτρευσις), « tissage » (ὕφανσις), et à « mouvement » (κίνησις)253, tandis que la notion contenue dans le mot correspond plutôt à la nature au sens propre, à savoir la nature qui est productrice des choses naturelles. Cependant la définition s’accordera avec toutes ces significations si elle est comprise pour chacune d’elles comme il convient254. [30] De fait la nature au sens propre est principe et cause du mouvement et du repos, tandis que la nature comme mouvement est nature au sens de nature instrumentale ; car c’est au moyen de la nature entendue en ce sens que la nature productrice réalise le mouvement et l’arrêt dans les étants naturels, comme le médecin accomplit la santé au moyen du traitement médical. Matière et forme sont des principes, au sens d’éléments, de l’actualisation accomplie par la nature. Et Eudème255 dit que [35] même celles-ci reçoivent la définition de la nature. [285] Car la matière et le « ce en vue de quoi » semblent être principes du mouvement, puisque nous disons que la matière sous-jacente est la cause du fait que le plomb se meut vers le bas ; c’est en effet parce qu’il est fait de cette matière-là qu’il se porte vers le bas ; il a certes un principe de mouvement en lui-même et par lui-même en tant en effet qu’il est du plomb. Mais la forme aussi sera un principe, à savoir en tant qu’elle est la fin ; car c’est en regardant vers la fin que la nature [5] fait toutes choses dans les étants naturels. Mais comment le composé pourra-t-il être un principe et une cause alors qu’il est seulement le produit fini ? C’est qu’il sera lui aussi principe en tant que fin. Car que le composé soit forme dans la matière ou constitué de matière et de forme, la nature est productrice de ce composé et non de la forme en tant qu’elle existe en elle-même. Mais peut-être que le composé est un principe de mouvement et d’arrêt en tant aussi qu’il est cause productrice256, [10] s’il est vrai que les actes, qui sont des mouvements, ainsi que leurs cessations sont le fait du composé. La substance qu’est le feu sera en effet principe et cause de l’échauffement et du mouvement local vers le haut. Voilà sur ce point.
[II. Pourquoi Aristote n’a-t-il pas ici mentionné le sens principal du mot « nature », i.e. celui de cause productrice : 285.13-29]
83Mais il me semble qu’il vaut la peine de se demander pourquoi Aristote, dans son inventaire des sens du mot « nature », a laissé de côté celui qui est le plus important : celui de nature comme cause productrice [15] des étants naturels en disant qu’on appelle « nature » la matière et la forme, et donc aussi à partir de là, le composé, ainsi que ce qui est comme la pousse, c’est-à-dire le mouvement qui va vers la forme, sans mentionner la nature comme cause productrice. Il faut répondre à cela en disant, selon moi, qu’au tout début de son développement sur la nature257 il a montré que la nature au sens strict est la cause productrice et il en [20] donné la définition. C’est pourquoi, quand il a expliqué « par accident » (192b22s.), il a pris comme exemple le médecin qui se soigne lui-même, parce qu’il cherchait ce qui est cause productrice par soi, à savoir ce qui est analogue à quelqu’un faisant une maison ou d’autres artefacts. Parce qu’il a ainsi livré plus haut la nature au sens strict, il donne alors ici les autres significations du mot nature. Mais peut-être qu’il n’a pas négligé même ici la nature au sens strict, [25] mais qu’il l’a fait voir quand il a dit que le traitement médical est un chemin qui part de l’art médical et ne va pas vers l’art médical mais vers la santé, tandis que la nature comme mouvement part de la nature et va vers la nature. La nature analogue à l’art médical est la nature productrice, elle n’est aucune des natures entendues selon les quatre autres significations. Il parlera, à mon avis, de la nature productrice d’ici peu, quand il distinguera les causes258.
[III. Récapitulation générale sur ce qu’est la nature : 285.30-289.35]
[1. La méthode suivie par Aristote : 285.30-286.6]
84[30] Mais puisque les propos tenus sur la nature semblent être achevés, ce serait une bonne chose que de reprendre l’argumentation et de se demander ce qu’est, selon Aristote, la nature et quel rôle elle a parmi les étants. C’est de belle manière qu’il a trouvé ce qu’elle est à partir de la distinction qu’il fait entre ce qui n’est pas par nature et ce qui est par nature. C’est de cette manière que lui-même et Platon ont découvert ce qu’est l’âme, à partir de la [35] différence entre les étants animés et les étants inanimés, là où Platon dit dans le Phèdre (245e5-7) : [286] « tout corps en effet qui reçoit son mouvement de l’extérieur est inanimé ; mais celui qui le reçoit du dedans, de lui-même, est animé, puisque la nature de l’âme consiste en cela-même ». Et dans les Lois (X, 895c7s.) il dit que « ce qui se meut de l’intérieur » est dit « vivre »259. C’est en cela que l’animé diffère de l’inanimé, ce qu’Aristote dans le second Livre de son traité De l’Ame (II, 1, 413a20) [5] dit aussi presque dans les mêmes termes : « Disons donc – et tel est le principe de notre recherche – que ce qui distingue l’animé de l’inanimé, c’est la vie ».
[2. La tripartition : étants supra-naturels, naturels, infra-naturels : 286.6-19]
85Quant aux choses qui ne sont pas par nature, elles se partagent en deux ensembles : (i) celles qui sont au-delà de la nature, comme le sont les choses immatérielles, incorporelles, et qui séparées des corps sont établies dans des formes pures, et (ii) celles qui sont inférieures aux étants naturels, comme le sont les productions de l’art humain tels qu’un lit ou un manteau et autres semblables choses corporelles engagées dans une matière. [10] Ce qui est commun aux étants supérieurs à la nature et à ceux qui viennent après elle, c’est le fait qu’ils ne peuvent d’eux-mêmes (ἐξ ἑαυτῶν) se mouvoir c’est-à-dire changer bien que pour les seconds cela soit un point négatif, pour les premiers, un point positif. Les étants naturels sont au milieu de ces deux degrés d’êtres : parce qu’ils se situent en dessous de l’ensemble des étants immatériels et sans corps ils sont eux-mêmes engagés dans la matière et sont corporels ; parce qu’ils ne sont pas produits par une technique humaine mais croissent [15] et poussent comme par eux-mêmes – leur cause créatrice étant imperceptible aux sens260 –, ils sont appelés « naturels » ; et parce qu’ils diffèrent à la fois des êtres qui leur sont supérieurs et de ceux qui leur sont inférieurs, ils ont en eux-mêmes un principe de mouvement et de changement. Il était donc tout à fait raisonnable pour Aristote de présenter cela comme la caractéristique de la nature et de son essence, en disant qu’elle est un principe de mouvement et de changement ainsi que du repos qui met un terme au changement.
[3. Différence entre la nature et l’âme : L’âme est principe du mouvoir, la nature, principe de l’être-mû : 286.20-288.32]
86[20] Mais l’âme aussi est pour les corps animés un principe de mouvement et de changement, selon à la fois Platon et Aristote lui-même261. Quelle est donc la différence ? Car il a été dit plus haut et il doit être répété maintenant, que même la partie la plus inférieure de l’âme, appelée végétative, est quelque chose d’autre que la nature, même pour Aristote, bien qu’on262 appelle souvent « nature » l’âme végétative en raison de sa proximité [25] avec la nature. Toute âme, même la plus inférieure, est dite par Aristote être l’entéléchie d’un corps naturel doué d’organes263, si bien qu’appartient au corps qui a une nature l’âme végétative, elle qui est manifestement quelque chose de différent de la nature. Et ce ne sont pas seulement les corps doués d’organes qui ont une nature, mais aussi les parties homéomères et les quatre éléments. De plus nous appelons « animés » les êtres qui ont en eux-mêmes la cause du fait qu’ils se nourrissent, [30] croissent et se reproduisent, tandis que nous appelons « naturelles » aussi les choses qui ne sont pas telles, comme les pierres et autres minéraux, les corps morts et les corps simples. De plus, tout corps a une nature, y compris les matériaux des artefacts, comme le matériau d’une statue, et tout corps est naturel comme l’est aussi le bois du lit. Mais il n’est pas vrai que tout corps soit animé. La nature ne sera donc pas l’âme. Et il est évident que [35] la nature est inférieure à l’âme végétative, puisqu’une telle âme advient au corps naturel comme la forme advient à la matière. [287] Comment alors Aristote explique-t-il la différence entre la nature et l’âme ? Je pense que les mots « en quoi elle se trouve » (192b22) suffisent pour ce point, ainsi que l’expression plus claire qui la suit à savoir que « la nature est dans un substrat » (192b34). Car toute âme, parce qu’elle a la puissance motrice au sens propre du terme264, transcende le mû. Si cela ne suffit pas pour ceux qui pensent [5] que l’âme végétative et l’âme irrationnelle résident dans des substrats à savoir des corps, en tout cas cela suffira, qui est le point le plus important à la fois pour la compréhension de ce qu’est la nature et pour la distinction de celle-ci d’avec l’âme : Aristote ne dit pas que la nature est un principe de mouvement pour les corps dans le sens où lui-même et Platon disent que l’âme l’est. Pour tous les deux, l’âme est ce qui meut les corps, [10] mais la nature est principe de mouvement non pas selon le « mouvoir » mais selon l’« être-mû » et principe d’arrêt non pas selon l’« arrêter » mais selon l’« être-arrêté »265. C’est pourquoi on ne dit pas que les étants naturels se meuvent de par eux-mêmes. Ils pourraient en effet, dit Aristote266, aussi s’arrêter eux-mêmes s’ils pouvaient se mouvoir eux-mêmes. La nature semble être une sorte de disposition267 à être mue c’est-à-dire à être mise en ordre, comme si, partant d’en bas, [15] elle « poussait » vers le haut et appelait à elle, en vertu de son heureuse prédisposition (τῇ ἑαυτῆς εὐφυΐᾳ)268, les causes ordonnatrices269. Car si elle était principe de mouvement en tant que mettant en mouvement quelque chose, elle ne serait pas en cela différente de l’âme, c’est-à-dire de la cause motrice à titre premier. Mais puisque les corps, qui sont fort éloignés de l’essence indivisible et inétendue et qui est vie en vertu de son être même270, sont en eux-mêmes des cadavres271, sans souffle vital et froids (ἀπεψυγμένα)272 à l’égard de toute forme de vie, [20] ils ont en eux l’espèce dernière de vie273, celle qui est selon la puissance et la disposition, qu’on appelle « nature », en vertu de laquelle même les corps morts peuvent se changer et se transformer, et [peuvent] aussi cela-même, à savoir pousser274 et agir les uns sur les autres en étant passifs. Car les activités de ces [corps inanimés] ne sont pas pures, mais impliquent la passivité. C’est pourquoi c’est en étant mus que tous les corps naturels meuvent [d’autres corps]. Mais ce qui est au sens propre du terme [25] non mû, lui-même meut, comme le dit Aristote275.
87Qu’Aristote définisse la nature comme principe du mouvement au sens de principe de l’« être-mû », et non du « mouvoir », c’est ce qu’il fait voir clairement quand il dit ici (192b21s.) que « la nature est un certain principe et une cause du fait d’être mû276 et d’être en repos » (192b21s.) et que « la nature réside dans un substrat » (192b34). Or ce qui réside dans un substrat ne sera pas au sens strict un principe [30] qui meut le substrat277. Toutefois dans le dernier livre de ce traité (VIII, 255b29), quand il parle des quatre éléments, il dit : « il est évident qu’aucun d’entre eux ne se meut lui-même ; mais ils ont bien un principe du mouvement, non pas au sens de principe de produire ou de mouvoir, mais au sens de principe d’être mû ». C’est pourquoi il se demande ce qui meut les éléments, puisqu’ils ne sont pas mus par eux-mêmes. [35] Car il veut que cela [à savoir le se mouvoir par soi-même] soit propre aux vivants qui ont une âme, qu’il définit comme étant le principe du mouvement. [288] Avant ce passage, il dit (255a24) : « Et de la même façon est mobile par nature ce qui est en puissance d’une certaine qualité, d’une certaine quantité ou en un certain lieu, chaque fois qu’il possède en lui-même un principe de ce genre », faisant clairement référence à la nature. Dans le deuxième livre du De caelo (284b33) il a écrit ceci : « dans aucun des êtres inanimés nous ne discernons d’endroit d’où part [5] le mouvement : certains ne se meuvent absolument pas ; d’autres se meuvent, mais ne le font pas indifféremment dans toutes les directions ; le feu, par exemple, ne se porte que vers le haut, et la terre ne se porte que vers le centre ». Si donc les quatre éléments sont des étants naturels et n’ont pas en eux-mêmes le d’où part le commencement de leur mouvement, c’est-à-dire la cause motrice, il est clair que la nature n’est pas dite principe de mouvement au sens de cause motrice, mais au sens qu’elle est principe de l’être-mû.
88[10] Si donc la nature est quelque chose comme l’en-puissance c’est-à-dire la disposition à être mû, en quel sens disons-nous souvent que la nature est productrice ? Dans ce même Livre (199a19) Aristote dit lui-même qu’elle est analogue à l’art, et vers la fin du Livre il montre que la nature produit en vue de quelque chose. Et il conclut son argument sur les mots (199b32s.) : « il est donc évident que la nature est une cause au sens de cause en vue de quelque chose ». [15] Dans le Livre I du traité Du ciel (271a33), il rapproche clairement production divine et production naturelle : « Dieu et la nature », dit-il, « ne font rien en vain »278.
89Je pense qu’on peut répondre à cela aussi que tout ce qui vient à l’être, vient à l’être (i) à partir d’un substrat qui est en puissance cela même qui doit advenir, et advient (ii) sous l’action d’un agent qui est en acte. Tous les deux sont nécessaires pour le résultat. [20] Pour cette raison, même si la nature est une disposition du substrat, on dit qu’elle produit parce qu’elle contribue au résultat final ; et chaque fois qu’il dit qu’elle produit en vue de quelque chose, il veut dire que le venir-à-l’être des étants naturels a en vue un but défini, et qu’ils ne viennent pas à l’être par chance ou par hasard, mais qu’ils sont naturellement faits pour venir à l’être de la manière qu’ils le font. En tout cas, il dit dans ce Livre (Phys. II, 8, 199a8) : « Dans les réalités où il y a un terme, [25] c’est en vue de celui-ci qu’on accomplit ce qui vient en premier279 et ce qui vient à la suite. Donc, chacune de ces choses arrive naturellement de la même manière qu’elle est faite <par un sujet>, et elle faite de la même manière qu’elle arrive naturellement, si elle n’en est pas empêchée ». On voit que ce qu’il veut dire par « ce qui arrive naturellement » c’est l’étant naturel. Donc même s’il dit que : « Dieu et la nature ne font rien en vain », il veut dire que la nature fournit d’en bas280 la disposition en ayant en vue281 le bien comme fin, [30] tandis que Dieu éclaire d’en haut282 ce bien en acte. C’est ainsi qu’Aristote a découvert ce qu’est la nature à partir de la différence entre ce qui existe par nature et ce qui n’existe pas par nature.
[4. En quoi dans sa définition de la nature Aristote se rapproche et en quoi il se sépare des Anciens : 288.33-289.25]
90Les Anciens manifestement ont eu eux aussi une telle notion de la nature puisqu’ils la concevaient comme étant la disposition au changement en chacun des étants [naturels], [35] disposition qui caractérise les étants naturels. Mais [289] comme tous les étants naturels ont une matière et une forme, certains ont attribué cette puissance à la matière ; ils disaient que la nature était ce en vertu de quoi les étants naturels changent naturellement, et ils voyaient qu’ils changeaient surtout en vertu de la matière, comme le lit change en vertu du bois. D’autres disaient que la nature est ce en vertu de quoi les étants naturels ont leur être ; [5] et puisque la forme est ce qui caractérise chaque étant, ce en vertu de quoi chaque étant existe et est dit être ce que précisément il est, pour cette raison ils ont dit que la forme est la nature. À cause de cette conception de la nature comme étant le caractère de chaque étant, nous nous servons du nom de nature à propos de toutes choses, et nous ne refusons pas de parler de la nature de l’âme, de la nature de l’intellect et même de la nature de Dieu. Mais Aristote [10] n’a pas voulu qu’on appelle nature ni la matière en elle-même (car la matière est en elle-même un substrat sans efficace), ni la forme (car la forme est naturelle, et non pas nature), mais il a appelé « nature » la disposition de la matière pour le mouvement et le changement qui lui sont propres, quand elle passe d’une forme à l’autre. Car la perte et la réception de la forme adviennent à la matière en vertu de sa disposition naturelle. [15] La forme advient elle aussi en vertu de sa propre nature à partir de son contraire et, une fois advenue, elle se conserve ou change en étant à la fois passive et active, ou plutôt, en étant active passivement. Par conséquent la matière et la forme sont naturelles, mais aucune des deux n’est la nature, et de même le composé n’est pas non plus la nature. Mais la forme, plus que la matière, sera nature en raison de son caractère et de sa puissance. [20] Et le composé, plus que la matière, sera nature en raison de la forme, puisqu’il devient complètement telle ou telle chose naturelle quand il reçoit la forme283. Car la matière en elle-même est sans détermination, tandis que la nature, étant une disposition pour l’existence de la forme, d’une part préexiste d’une certaine manière à la forme en étant présente en puissance dans la matière, comme on peut s’y attendre, et, d’autre part, elle préfigure en elle-même la forme, car elle est la « nature » de la forme, c’est-à-dire qu’elle est comme la pousse [25] et comme la germination de la forme à partir de la matière.
[5. La triade forme, nature, matière comme image spéculaire de la triade des dieux intelligibles, Être, Vie, Pensée : 289.25-35]
91Aussi ceux qui disent que la nature est le degré le plus bas de la vie284 ont-ils raison. Car de même que cette sorte de jaillissement285 à partir de l’Étant Premier pour aboutir à la séparation de l’Hypostase Éidétique, c’est-à-dire l’extension286 depuis l’Être vers l’Agir, est la Première Puissance et la Première Vie qui vient à l’existence en vertu du premier mouvement de l’Être287, de la même manière la pousse (ἔκφυσις), à partir de la matière, de la forme engagée dans la matière [30] et le mouvement vers cette forme considéré selon l’être en puissance de la forme, voilà ce qui est la puissance dernière et la vie dernière. C’est pourquoi là-haut288 l’Être est au-dessus de la Vie, tandis qu’en bas la matière vient après la nature, car les causes plus élevées surpassent de loin les causes inférieures. La nature, étant la vie de la forme, non seulement est la pousse de celle-ci, mais aussi, quand la forme est advenue, elle est sa cohésion et [35] son redressement vers le produire et le subir289 ce que la forme est par nature sujette à produire et à subir290.
[290] Il faut après cela étudier en quoi le mathématicien diffère du physicien. Les corps naturels, en effet, ont eux aussi des surfaces et des volumes, ainsi que des longueurs et des points, objets qu’examine le mathématicien. De plus l’astronomie est-elle différente de la physique ou en est-elle une partie ? En effet, qu’il appartienne au physicien de connaître l’essence du soleil ou de la lune, mais aucun de leurs attributs par soi, ce serait absurde, d’autant plus qu’il apparaît que ceux qui traitent de la nature traitent aussi de la configuration de la lune et du soleil, et du coup se demandent aussi si la terre et le monde sont sphériques ou non. Or le mathématicien s’occupe lui aussi de ces choses, mais non en tant que chacune est la limite d’un corps naturel. Il n’étudie pas non plus leurs attributs en tant qu’ils sont attribués à de tels étants [naturels]. C’est aussi pourquoi il les sépare, car elles sont séparables du mouvement par la pensée, et cela ne fait aucune différence, et on ne produit même pas d’erreur en les séparant (Aristote, Physique II, 2, 193b22-35).
[I. La différence entre physique et mathématique selon Aristote : 290.3-291.20]
92Aristote veut montrer la différence entre le physicien et le mathématicien avec raison puisqu’ils semblent s’occuper des mêmes objets. [5] De fait, le physicien s’occupe des corps naturels ; or ceux-ci « ont des surfaces et des volumes ainsi que des longueurs et des points, objets qu’examine le mathématicien ». Si donc ces choses se trouvent dans les étants naturels, le mathématicien aussi sera alors un physicien, et la mathématique, étant une étude des étants naturels, sera elle aussi une partie de la physique. Il présente de même la différence [10] entre la physique et l’astronomie, puisque l’astronomie semble elle-même avoir des choses en commun avec la physique, et ce d’autant plus que l’astronome, comme le physicien, s’occupe des corps en mouvement, et non des corps immobiles comme le fait le géomètre. C’est pourquoi le physicien et l’astronome semblent parler des mêmes choses.
93En effet, même si le physicien traite de la substance des astres, et le mathématicien, quant à lui, de leurs attributs tels que leurs mouvements, [15] figures, grandeurs et distances qui les séparent les uns des autres et de la terre, cependant le physicien aussi traite de ces attributs. Car il serait absurde que celui qui examine, comme il semble, la nature des êtres ignore ces attributs. Et « il apparaît que ceux qui ont traité de la nature parlent aussi de la configuration du soleil et de la lune », et montrent que « la terre et le monde » tout entier « sont sphériques ». [20] Et certes Aristote lui-même, dans le traité Du ciel, et Platon, dans le Timée, ont eu recours à des démonstrations physiques pour établir leurs conclusions sur ces questions291. Si donc le physicien examine et la substance des astres et leurs attributs, tandis que l’astronome examine seulement leurs attributs, l’astronomie aussi semblera être une branche de la physique et, en ce sens, seront très proches [25] de la physique aussi bien la mathématique que l’astronomie, ce qui est la raison pour laquelle il a eu besoin de livrer leur différence.
94Le mathématicien diffère du physicien d’abord parce que le physicien ne parle pas seulement des attributs des corps naturels, mais aussi de leur matière, tandis que le mathématicien ne se préoccupe en rien de la matière. [30] Ensuite, même de ces attributs, dont ils traitent tous les deux, ce n’est pas de la même manière qu’ils en parlent ; le physicien traite des surfaces, des lignes et des points comme limites du corps naturel et en mouvement, tandis que le mathématicien ni ne prend en compte le mouvement inhérent naturellement [au corps] ni ne prend ces objets comme des limites d’un corps naturel. Car le solide qui est son objet n’est pas même [le corps] naturel, [291] mais cela seulement qui est étendu dans les trois dimensions, comme si de tels objets existaient par eux-mêmes. Les mathématiciens s’occupent en effet des choses qui sont séparables en pensée. Aussi les séparent-ils, et il ne s’ensuit aucune erreur. Après les avoir séparées en pensée des corps naturels et de tout mouvement, le mathématicien examine les attributs de ces choses [en les séparant] [5] de la même manière qu’il s’est donné celles-ci. En conséquence, s’il parle d’elles non pas comme de [corps] naturels, ni comme appartenant à des [corps] naturels, alors le mathématicien ne sera pas un physicien, ni la mathématique une branche de la science physique.
95Mais l’astronomie non plus. Car elle traite des attributs de <corps> naturels elle aussi non pas en tant qu’ils sont des attributs de [corps] naturels mais en tant qu’ils sont des attributs de corps ayant une figure et un mouvement, quelle que soit la nature de ces corps292, si bien que [10] l’astronome aussi, même s’il parle des attributs qui appartiennent en eux-mêmes aux corps naturels, il ne les étudie pas cependant en tant qu’ils appartiennent à des corps naturels, et il ne cherche pas à prouver que telles figures, dimensions et mouvements appartiennent à une telle nature [corporelle]. Par exemple, au sujet du corps céleste, le physicien montre qu’il est sphérique à partir du fait que parmi les figures solides la sphère est celle-là seule qui est première, simple, parfaite et seule de son espèce293 [15] (les figures [solides] rectilignes sont en effet composées de plusieurs [surfaces]294 et sont secondaires), et que pour cette raison elle convient au premier des corps, comme Aristote le démontre (De caelo II, 4, 286b10ss.), tandis que l’astronome le montre à partir du fait que la sphère est, parmi les [corps] solides isopérimétriques, celui qui a le plus de volume295. C’est ainsi qu’Aristote démontre brièvement ce qui distingue la physique de la mathématique [20] et de l’astronomie.
[II. Témoignage d’Alexandre : ce qui différencie le physicien de l’astronome selon Géminos ou Posidonius chez Géminos : 291.21-292.31]
96Alexandre prend la peine296 de citer un passage de Géminos297 tiré de son Abrégé, avec commentaire, des Météorologiques de Posidonius298, passage qui prend son point de départ à partir d’Aristote. Voici ce passage299 :
97« Il appartient à la physique d’examiner la substance du ciel c’est-à-dire des astres, ainsi que la puissance ou qualité de ceux-ci, [25] leur génération et corruption300, et, par Zeus, elle est en mesure de faire des démonstrations au sujet de leur grandeur, figure et position relative. L’astronomie quant à elle n’entreprend de parler sur rien de tel [que la substance, ou la puissance] mais elle démontre la position relative des corps célestes, faisant voir que le ciel est véritablement ordre, et elle traite aussi des figures, des grandeurs, des distances séparant la terre le soleil et la lune, des éclipses, des conjonctions [30] d’astres, de la qualité et de la quantité de leurs mouvements. C’est pourquoi, puisque l’astronomie touche à l’étude de la quantité, de la grandeur, de la qualité selon la figure, [292] il est normal qu’elle ait ainsi besoin de l’arithmétique et de la géométrie ; et au sujet de ce dont elle promet de rendre compte, et de cela seulement, elle est en mesure de faire des démonstrations grâce à l’arithmétique et à la géométrie. L’astronome et le physicien souvent se proposeront donc le même point à démontrer, par exemple que [5] le soleil est grand, que la terre est sphérique, mais ils n’emprunteront pas certes les mêmes voies. Le physicien en effet établira chacune de ses démonstrations à partir de la substance, ou de la puissance, ou du fait que c’est mieux ainsi, ou de la genèse et du changement ; l’astronome, lui, le fera à partir des attributs appartenant aux figures ou aux grandeurs, ou à partir de la quantité du mouvement et du temps correspondant à celui-ci. [10] Le premier, le regard tourné vers la puissance productive, souvent touchera la cause ; tandis que le second quand il établit ses démonstrations à partir des attributs extrinsèques, ne peut être en mesure de voir la cause, comme lorsqu’il livre la doctrine selon laquelle la terre ou les astres sont sphériques ; parfois même il ne cherche pas à trouver la cause, par exemple quand il traite de l’éclipse. Parfois, procédant par hypothèse, il invente certains dispositifs, dont l’existence [15] lui permet de sauver les phénomènes. Par exemple, si à la question : “pourquoi le soleil, la lune et les planètes se meuvent-ils apparemment de manière irrégulière ?” on répond que si on pose par hypothèse que leurs cercles de révolution sont excentriques, ou que les planètes tournent sur un épicycle, l’anomalie apparente [de leur mouvement] sera sauvée et il faudra poursuivre à fond la recherche en se demandant selon quels dispositifs il est possible de prévoir ces phénomènes, si bien que l’étude des planètes ressemble [20] à une aitiologie301 dans le cadre du dispositif admis302. C’est pourquoi quelqu’un, s’étant présenté, dit que303 l’anomalie apparente du mouvement du soleil pouvait être sauvée si la terre tournait en quelque manière tandis que le soleil demeure immobile en quelque manière. En général il ne revient pas à l’astronome de connaître ce qui par nature est en repos et quels sont les corps par nature en mouvement ; mais, comme certains corps sont au repos, d’autres en mouvement, il avance des hypothèses, [25] et examine avec quelles hypothèses les apparences célestes seront en accord. Il doit donc recevoir ses principes du physicien, à savoir que les mouvements des astres sont simples, uniformes et réguliers ; à partir de ces principes il sera en mesure de montrer que la danse de tous les corps célestes est circulaire, à la fois celle des corps dont la révolution s’effectue sur des cercles parallèles et celle de ceux qui sont emportés selon des cercles obliques ».
98C’est de cette manière que Géminus, ou [30] Posidonius chez Géminus, nous dit ce qui sépare la physique de l’astronomie ; le point de départ en est Aristote304.
[III. Explication de la lexis : 292.32-293.15]
[1. Explication de « il serait absurde… des attributs par soi des étants naturels » : 292.32-293.6]
99Concernant la formulation c’est avec raison qu’Aristote dit qu’il serait « absurde que le physicien ne connût rien des attributs par soi des étants naturels », parce qu’il est nécessaire [293] que celui qui connaît quelque chose en toute rigueur305 connaisse et les propriétés de son objet et ses différences proches. Car s’il ne les connaît pas, il ne saura pas non plus si cet objet diffère de ceux qui appartiennent au même genre que lui. S’il ne connaît pas cela, il assumera que toutes les choses du même genre sont identiques les unes aux autres, de sorte que, s’il en était ainsi, les contraires aussi seraient identiques les uns aux autres. Si donc les figures, les grandeurs et [5] ces mouvements des astres sont des propriétés du corps divin, il est nécessaire que le physicien les connaisse elles aussi.
[2. Aristote réduit ici la mathématique à la géométrie : 293.6-10]
100Quant à ce qui relève de l’usage des mots, il vaut la peine de noter qu’ici il semble appeler « mathématicien » le géomètre. Le mathématicien est en effet ici celui qui a pour objets les réalités planes, les solides, les longueurs et les points, bien que la mathématique au sens propre inclue aussi l’arithmétique, l’astronomie (ou sphérique) et [10] l’harmonique (ou canonique).
[3. Astronomie et astrologie : 293.10-15]
101Quant au mot « astrologie » les Anciens l’ont appliqué à ce qui est maintenant appelé « astronomie » parce que, à ce qu’il semble, l’étude de l’influence des astres n’était pas encore arrivée jusqu’aux Grecs ; mais les Modernes font une distinction terminologique : ils appellent « astronomie » l’étude des mouvements des corps célestes, et celle des effets de ces mouvements [15] ils l’appellent proprement « astrologie ».
Or c’est ce que font aussi, sans s’en apercevoir, les partisans des Idées, car ils séparent les réalités physiques, alors qu’elles sont moins séparables que les réalités mathématiques306. Cela deviendrait évident si l’on s’efforçait de donner les définitions des objets des deux domaines aussi bien que de leurs attributs. En effet, l’impair, le pair, le droit, le courbe, et aussi un nombre, une ligne, une figure, seront sans mouvement, alors qu’il n’en sera plus de même pour de la chair, un os, un homme, mais on dit ces derniers comme un nez camus et non comme la courbe307. Mais le montreraient aussi les parties plus physiques des mathématiques, comme l’optique, l’harmonique, l’astronomie. Car, d’une certaine manière, elles procèdent à l’inverse de la géométrie : la géométrie, en effet, examine la ligne physique, mais pas en tant que physique, alors que l’optique étudie la ligne mathématique, non pas en tant que mathématique, mais en tant que physique (Aristote, Physique II, 2, 193b35-194a12).
[I. Selon Aristote, séparer les formes est possible pour le mathématicien, pas pour le physicien : 293.18-29]308
102[Aristote] a dit que les mathématiciens séparent par la pensée des choses qui sont inséparables par nature (τῇ ὑποστάσει), et que c’est ainsi (sc. en tant que séparées) qu’ils raisonnent sur elles [20] parce qu’ils abstraient du corps naturel les trois dimensions, et abstraient de ces trois dimensions les deux dimensions en prenant la surface en soi, et de ces deux en abstraient une seule, lorsqu’ils font force développements sur la ligne. Il dit que « les partisans des Idées aussi font sans s’en apercevoir la même chose » ; ou plutôt ils font quelque chose de plus absurde. Car les mathématiciens séparent des corps naturels les lignes, les plans et autres choses semblables ; [25] même si ces choses sont inséparables par nature, néanmoins, si elles sont séparées seulement en pensée, elles ne conduisent à aucune conséquence impossible309. Mais ceux-là [qui posent l’existence des Formes] entreprennent de séparer les formes naturelles (τὰ φυσικὰ εἴδη), comme l’homme, la chair et autres choses semblables, qui sont moins séparables que les [entités] mathématiques. Il semble employer le mot « moins » par précaution philosophique, bien qu’il veuille que les formes naturelles ne soient d’aucune manière séparables, même par la pensée.
[II. Règle générale pour déterminer ce qui est ou n’est pas séparable mentalement : 293.30-294.22]
103[30] [Aristote] donne une règle pour déterminer ce qui est ou n’est pas séparable par la pensée. Quand, en définissant les choses que nous séparons nous n’incluons pas dans la définition les réalités dont ces choses sont séparées, ni n’importons ces réalités dans nos concepts, mais au contraire les définissons et les concevons en elles-mêmes, alors nous disons que de telles choses sont séparables en définition et en pensée (par exemple, quand en définissant le corps mathématique nous parlons de ce qui a trois dimensions sans aucunement prendre en compte la matière ou le [35] mouvement du corps naturel ; en définissant la [294] surface plane nous parlons de ce qui n’a que longueur et largeur ; et il en va de même dans le cas des nombres). Mais quand, voulant310 définir les réalités qu’on sépare, on fait apparaître nécessairement [dans la définition] aussi les choses dont on les sépare, et que les premières ne peuvent être conçues séparément des secondes, alors nous disons que de telles réalités ne sont pas séparables par l’intellect c’est-à-dire par la pensée. [5] Telles sont « la chair, l’os et l’homme ». Car non seulement chacune d’entre elles est une réalité naturelle, engagée dans la matière et composée, mais elle est aussi pensée comme composée. Il a montré la différence en prenant le cas de la figure, qui peut parfois être pensée en elle-même, lorsqu’elle est dite en elle-même, comme la figure convexe ou plutôt [ici] la figure concave, mais qui, parfois, ne le peut pas, comme dans le cas du camus. [10] De fait, la camusité est concavité, non pas n’importe quelle concavité, mais la concavité du nez. C’est pourquoi la camusité ne peut être pensée séparée du nez. En donnant la définition, nous disons que la camusité est la concavité du nez311.
104Si, donc, [sachant que] nous définissons l’homme [naturel] comme « animal mortel raisonnable », nous voulons dire [par « homme »] ce qu’on appelle l’Idée-Modèle de l’homme, soit c’est un étant autre [que l’homme naturel] qui est appelé « homme » [15] (et il n’y aura pas un Modèle de l’homme qui ait quelque chose en commun selon l’essence avec l’homme naturel)312, soit, si [le Modèle] lui-même est un animal mortel raisonnable, et si c’est de lui que l’homme ici-bas tient d’être tel qu’il est, par sa ressemblance envers lui [le Modèle], alors le Modèle doit nécessairement être pensé avec le changement et le corps. Car l’animal est une réalité (οὐσία) qui est douée d’âme et de sensation et qui se meut localement. Comment le Modèle là-haut pourrait-il être un animal, ou comment pourrait-il être [20] mortel, ou comment de manière générale les étants naturels, engagés dans la matière et en mouvement, comme le sont la chair, l’os, l’homme et chacune des autres réalités [naturelles pourraient-ils être des Modèles], voilà qui est difficile à imaginer313.
[III. Confirmation avec l’optique, l’harmonie, l’astronomie : 294.22-295.12]
105Aristote montre qu’on ne peut séparer toutes choses des corps naturels aussi par le fait que, bien que les mathématiques par nature séparent, cependant celles qui ont pour objets des réalités plus naturelles et qui utilisent [dans leurs raisonnements] le mouvement (comme l’optique, l’harmonique [25] et l’astronomie, qui se servent des sens et d’objets en mouvement), ne peuvent séparer leurs objets de la matière et de la nature. Et de fait l’optique traite de lignes, comme fait le géomètre, et l’harmonique traite de rapports numériques, tels que 9:8, 3:2, 4:3, 2:1, comme le fait l’arithmétique, et l’astronomie traite de sphères et de cercles comme le fait la géométrie des sphères. Cependant celles-là ne peuvent [30] séparer leurs objets des étants naturels, en mouvement et engagés dans une matière, comme le font celles-ci, qui définissent leurs objets d’elles-mêmes (ἐφ᾽ἑαυτῶν) et les utilisent comme étant séparés. Et certes l’optique prend ses principes (ἀρχὰς) de la géométrie, l’harmonique de l’arithmétique et l’astronomie de la sphérique. Celles-là dépendent de celles-ci comme le médecin dépend du physicien. [295] Que le spécialiste en optique, ou en harmonique ou en astronomie ne peut séparer des étants naturels ses propres objets d’étude, c’est ce qui devient évident quand on regarde chacun d’eux à l’œuvre (ὡς ἐνεργὸς θεωρούμενος) et qu’on le ramène à sa fonction ; chacun d’eux en effet se tient alors dans une relation inversée, d’une certaine façon, par rapport aux sciences plus fondamentales. « La géométrie, en effet, examine la ligne [5] physique », la ligne comme limite, « mais pas en tant que physique, alors que l’optique » prend [comme donnée] « la ligne mathématique » (comme en effet seulement une longueur sans largeur)314, « mais elle ne l’examine pas comme ligne mathématique, mais comme physique ». Et que cette science prend comme donnée la ligne mathématique c’est ce que montrent les schémas en optique. Si donc il n’est pas toujours possible de séparer les lignes, les nombres et les cercles bien que ce soit là des choses séparables par nature en raison, [10] combien plus ne l’est-il pas pour les étants naturels et composés eux-mêmes, pour lesquels même les définitions sont données en termes d’étants composés et naturels.
[IV. Aristote corrige les conceptions erronées du vulgaire sur les Idées : 295.12-25]
106C’est ce qu’Aristote a très bien opposé aux conceptions du vulgaire sur les Idées315. Le vulgaire n’a conscience d’aucune des réalités de là-haut : sans même retirer parfaitement aux formes la matière dans laquelle elles sont engagées, il se représente ces formes [engagées dans une matière] comme préexistant dans l’Intellect Démiurgique ; [15] il pense qu’il y a des Idées d’absolument toutes les choses d’ici-bas c’est-à-dire de tout ce qu’on conçoit avec une matière et de tout ce qu’on assume comme existant de la manière dont existent les choses d’ici-bas316 ; et notez bien317 que le vulgaire conçoit la ressemblance des choses d’ici par rapport à celles de là-haut non pas comme une ressemblance d’images par rapport à leurs modèles, mais comme une identité. Mais en plus318, si est vraiment homme cet homme engagé dans une matière, celui qui perçoit par les sens et se meut, [20] qui est corporel et dont la propre nature est mortelle, il n’y aura pas d’Homme là-haut. Mais si les choses d’ici-bas sont engendrées, et s’il est nécessaire que ce qui est engendré soit engendré par l’action d’une cause (Tim. 28a), et pas seulement par une cause commune, mais une cause déterminée et productrice d’une réalité singulière, il faut nécessairement que préexistent dans l’Intellect Démiurgique, distinctes spécifiquement, les causes319 des choses engendrées, de la même manière que dans [l’intellect de] l’architecte, [25] autre est le principe formel artisanal du mur, autre celui du toit.
[V. Les formes naturelles sont séparables elles aussi en pensée : 295.25-296.31]
107Mais je ne vois rien d’absurde320 à transférer là-haut les noms d’ici, si nous appelons avec les mêmes noms [les choses de là-haut] dans l’idée qu’elles sont les causes déterminées des choses d’ici et qu’elles ont ce principe formel que les choses produites ici-bas ont [aussi]321. Et de fait Aristote lui-même a affirmé (Mét. Λ 10, 1075 a 13ss.) qu’il y avait un ordre double, celui dans le Monde et celui dans la Cause du Monde, [30] de même qu’il y a un ordre dans l’armée et un ordre dans le général. Cependant si on définissait l’ordre d’ici-bas en tant qu’ordre d’ici-bas, la définition ne correspondrait pas avec l’ordre dans l’intellect, et donc le nom non plus ; s’il y avait en effet une définition de l’image de Socrate comme image, elle ne correspondrait pas au modèle ; cependant si on inclut dans la définition322 [de l’image] la ressemblance de l’image à son modèle, [35] par exemple le camus, le fait d’être chauve, d’avoir les yeux saillants, en laissant de côté [296] la matière sous-jacente [à l’image], alors la définition ne coïncidera pas avec [le] Socrate [réel], mais elle sera semblable à la définition de celui-ci. Car la camusité dans l’image n’est pas la même que celle de Socrate, mais elle lui est semblable et elle en est l’image. Et que les réalités naturelles aient des causes et des principes formels qui leur préexistent et à partir desquelles ces réalités existent, [5] ni Aristote, ni ceux qui ont du respect pour ses thèses ne le contestent. Mais ceux qui posent les Idées disent que celles-ci ne sont pas seulement les causes des choses d’ici-bas, mais qu’elles sont aussi leurs modèles, dans l’idée que les choses d’ici-bas existent en vertu de leur ressemblance avec ces modèles. C’est pourquoi ils utilisent les mêmes noms pour les deux, ce qui n’aurait pas de sens si les formes naturelles aussi n’étaient pas séparables en pensée.
108[10] Il vaut donc la peine de prêter attention au fait qu’Aristote lui aussi sait qu’autre est le composé de matière et de forme, autre, la forme elle-même. Il dit assurément qu’en toutes choses autres est la définition qu’on donne de la matière, autre celle qu’on donne de la forme, autre celle qu’on donne du composé. Et ici c’est la forme en elle-même qu’il considère quand il dit que la nature c’est « la forme ou la configuration »323 (Phys. 193a30s.). Ce n’est pas en effet du composé qu’il parle [15] quand il dit : « Qu’est donc la chose qui croît ? Non pas ce d’où elle vient, mais ce vers quoi elle va. Donc la configuration est nature » (Phys. 193b17s.). Et il est évident que la définition de cette forme n’est pas donnée d’après le composé, et aussi qu’elle n’intègre pas la matière, mais que c’est une définition par abstraction du composé. Et même dans ces cas-là il n’est en rien absurde d’analyser la définition du composé pour obtenir les définitions des [parties] simples [du composé], comme lui-même le dit ailleurs (Mét. Z, 11). Par conséquent [20] ce ne sont pas seulement les formes mathématiques qu’il est possible de séparer en pensée, ce sont aussi les formes physiques puisqu’il est possible de donner des définitions propres des formes [physiques] sans la matière. Cela, la [forme physique séparée de la matière] en pensée, n’est pas le modèle, mais, une fois la séparation faite, la définition selon la forme peut d’une certaine manière correspondre au modèle, si l’on prend cette définition comme étant semblable, et non pas identique [au modèle], et si on la prend comme définition d’une image [25] semblable à son modèle. De fait Platon appelle « Vivant » le Modèle quand il dit dans le Timée (39e8) : « dans la mesure où l’Intellect aperçoit les Formes comprises dans ce qui est le Vivant ». Et il est évident que ce Vivant-là n’est pas le vivant naturel, mais le Modèle Intellectif du vivant naturel. De la même manière Socrate n’est pas Socrate dessiné ; c’est le modèle du Socrate dessiné et le Socrate au sens propre, et ce n’est pas en vertu de sa matière que l’image ressemble [à son modèle], [30] mais c’est en vertu de la configuration, celle que l’on sépare en pensée de la matière.
[VI. Arguments qu’on peut tirer d’Aristote pour établir que les étants naturels ont des Causes paradigmatiques séparées : 296.32-298.17]
109Que les causes déterminées des formes d’ici-bas sont aussi les Modèles de ces formes, c’est ce que l’on peut, je crois, montrer en nous appuyant sur les principes de base posés par Aristote. Nous disons en effet que les étants naturels existent à partir de la matière et de la participation [de la matière] à la forme, la matière [297] participant à la forme en vertu de la participation qui lui est immanente ; or toute participation est intermédiaire entre ce qui participe et ce qui est participé puisqu’elle est donnée au participant par le participé324. Et la participation est homogène au participé, comme la chaleur, ou l’embrasement, dans le corps sous l’action du feu est homogène à ce qui échauffe. [5] Chaque [participé] donne en effet aux participants ce qu’il a ; si bien que la forme ici-bas, puisqu’elle est participation à la forme séparée, est semblable à la forme séparée. Et ce qui est semblable à la forme séparée, qui est devenu conformément à cette forme, qui est une image de celle-ci, a comme modèle la forme séparée. Aristote aussi appelle « formes » les causes séparées. Et si les formes d’ici-bas sont des participations à ces formes [séparées], [10] les formes d’ici-bas seront absolument homogènes à ces formes-là, et il ne sera peut-être en rien absurde que les formes d’ici-bas et les formes séparées se trouvent appelées par les mêmes noms.
110Mais peut-être aussi qu’on n’accordera pas que les formes d’ici-bas soient des participations, mais qu’il y a une réalité antérieure [aux réalités d’ici-bas] : il n’y a pas d’Homme là-haut, ni de Cheval, mais il y a leurs causes, qui existent sous d’autres formes [que celles d’homme ou de cheval] tout en étant productrices [des hommes ou des chevaux d’ici-bas], comme l’homme naît du dieu ou ce qui est mû de l’immobile, sans qu’il y ait homogénéité. [15] À ceux qui disent cela il faut leur demander si leur thèse est qu’il n’y a là-haut ni Beau, ni Bien, ni Essence ou Vie ou Connaissance ou Activité ou Nombre ou quelque chose d’aussi vénérable. Aristote accorde que là-haut aussi ces choses existent ; il le montre clairement quand il parle de ce [Bien] désirable universel et dit que l’Intellect est par essence activité, quand il ramène l’Essence, la Vie et l’Intellect [20] à une même chose et qu’il leur attribue le Beau et le Bien325, quand il dit que les causes immobiles sont en nombre égal aux corps célestes326. Mais Aristote à l’évidence rejette avec humeur toutes ces conceptions des Idées qui avec les noms d’ici-bas entraînent des définitions qui impliquent la teneur physique, c’est-à-dire matérielle, des choses d’ici-bas327. C’est pourquoi il ne veut pas de certains noms, mais ne refuse pas que d’autres [25], ceux qui sont particulièrement purs, soient appliqués aux réalités de là-haut, à savoir Le Beau, le Bien, l’Essence, la Vie, l’Intellect et l’Activité. Si donc quelqu’un disait que ces choses existent aussi là-haut, sans être telles que celles d’ici, nous aussi accorderons ce point, mais nous lui demanderons de dire la même chose pour l’homme, le cheval etc. Car nous ne sommes pas d’avis que l’Homme de Là-haut soit corporel, [30] s’il est vrai que même l’homme dans la raison physique n’est pas corporel, mais nous disons qu’il y a une certaine ressemblance entre l’homme corporel et l’Homme incorporel, comme il y en a une entre le beau corporel et le Beau incorporel. D’une manière générale, si les formes d’ici-bas sont devenues et s’il est nécessaire que tout ce qui devient devienne par une cause328 qui a embrassé à l’avance le principe formel de ce qui devient, pour que le devenu ne devienne pas de manière irrationnelle et à l’infini329, et si le devenu ressemble à son principe formel, [30] ce principe sera le Modèle des choses qui deviennent.
111De plus [298], s’il doit exister avant les êtres mus éternellement la cause immobile de leur mouvement incessant, une cause qui n’est pas simplement commune, mais qui est, pour chacun de ces êtres, déterminée individuellement, comme Aristote le montre lui-même ici330 et dans son traité Du Ciel331, et si chacune des formes d’ici-bas [5] change éternellement au niveau des individus, il est évident qu’il y aura, pour chaque forme, une cause préexistante immobile et déterminée, par exemple l’homme en repos, pour que l’homme qui change ne s’arrête pas de changer. De plus, Aristote compare souvent la nature à l’art, comme lorsqu’il dit un peu plus haut dans ce passage (193a31) : « De même en effet que ce qui est selon l’art, c’est-à-dire l’artificiel, est appelé art, de même aussi est appelé nature ce qui est selon la nature, [10] c’est-à-dire le naturel ». Si donc l’art produit selon des principes formels en rendant semblables à ces principes les choses produites, à l’évidence la nature aussi produit de la même façon ; aussi ne fait-elle rien en vain. Si donc la nature n’est pas cause première, et si c’est quelque chose d’autre qui est la cause universelle, comme la nature est cause des étants naturels, à l’évidence cette cause [universelle] aussi a embrassé à l’avance les principes formels de toutes les choses qui deviennent, c’est-à-dire leurs causes. [15] Et cette cause rend les choses qui deviennent parfaitement semblables332 aux principes formels [préexistants]. Voilà les arguments qu’on peut donner et davantage encore pour montrer, aussi à partir des principes posés par Aristote, que les choses qui deviennent ont une cause paradigmatique qui leur préexiste.
[VII. Les Formes dans l’Intellect sont causes productrices et modèles de formes, et non d’accidents, ni de composés : 298.18-299.12]
112Mais il existe aussi de nombreux et élégants arguments pour montrer que toute Forme qui a une existence distincte [des autres Formes]333 est un principe inengendré et immobile. [20] Ce ne sera pas la forme immédiatement dans une matière, car c’est là une participation c’est-à-dire une affection334 de la matière ; ni la forme dans la Nature, car elle aussi subsiste dans un substrat335, ni la forme dans l’Âme336. Car même si cette forme est séparée, elle est cependant automotrice et son existence est de ce fait double : elle est autant motrice que mue, autant principe que [devenue] à partir d’un principe337. Or il faut que le principe soit seulement immobile, non devenu, efficient, et non pas [25] aussi devenu338. Et telles sont les Formes dans l’Intellect, qui sont à titre premier différenciées, immobiles et inengendrées, et qui sont au sens propre celles-là mêmes qu’on dit être causes des choses devenues, à la ressemblance desquelles sont engendrées les choses qui deviennent.
113Si, cependant, il y a des noms qui ne soient pas des noms de formes d’ici-bas, mais des noms de choses composées, il ne faut pas transférer la ressemblance au-delà de ces choses composées parce que certes les caractères propres procèdent, en vertu d’un relâchement, d’en haut jusqu’aux réalités dernières [30] en restant les mêmes339, mais les modes d’existence des réalités, comme l’immobilité, l’automotricité ou le fait d’être engagé dans une matière340 demeurent, eux, dans leur lieu propre, sans qu’il y ait transmission [des lieux]341. Si donc on a un nom qui est nom d’une forme avec sa matière, il ne faut pas rechercher le Modèle de cette forme. Car les Modèles sont modèles de formes, et non modèles de la matière. Et pour la camusité en effet, qui implique le nez, [299] ce ne serait en rien étonnant342 puisque le nez aussi est une certaine forme343 si elle devait avoir un certain344 Modèle, cause des camus par nature mais non cause des camus en vertu d’une affection345 ; mais si une forme est prise avec sa matière et si le nom et la conception qu’on se fait selon ce nom implique la matière avec la forme, il ne faut pas rechercher le modèle de cette forme ; c’est contre cela surtout qu’Aristote à mon avis [5] réagit violemment. Donc, pour ce qui est de la forme du vivant, si on peut la concevoir en elle-même, en séparant de la matière la propriété spécifique qui est participée, il n’est en rien absurde, même pour Aristote, d’assumer la préexistence d’une raison du vivant qui est cause du fait que la matière lui ressemble346. Et dans le cas de l’homme, s’il y a une forme « homme » participée par la matière, rien n’empêche de rapporter la ressemblance de cette forme [au modèle] là-haut. [10] Mais si ce nom [d’homme] et la réalité existent seulement avec leur matière, comme la camusité347, alors que celui qui s’efforce de le348 rapporter là-haut se voie recevoir une correction par Aristote.
Mais puisque la nature se dit en deux sens, la forme et la matière, il faut mener la recherche comme si nous recherchions ce qu’est la camusité ; par conséquent [il faut considérer] les choses de ce genre ni sans matière, ni du point de vue de la matière (Aristote, Physique II, 2, 194a12-15)349.
114[15] Aristote a dit que, parmi les sciences mathématiques, certaines séparent de leur matière les limites et leurs attributs et que c’est ainsi qu’elles les examinent – comme « la géométrie étudie la ligne physique, mais non pas en tant qu’elle est physique », tandis que d’autres se servent de [ces limites] séparées [de la matière], par exemple « de la ligne mathématique, mais non pas en tant qu’elle est mathématique, mais en tant qu’elle est physique », comme le fait l’optique (194a9-12)350, et tout naturellement il en vient à se demander comment la physique connaît [20] les réalités naturelles. Et il dit qu’elle les connaît en tant qu’elles sont composées de matière et de forme, en prenant non pas le point de vue de la matière mais celui de la forme ; c’est ainsi que quand elle connaît le camus, elle le connaît avec le nez, mais du point de vue de la concavité. Et cela est raisonnable. Car le physicien étudie la nature. Or la nature se dit en deux sens, du point de vue de la matière et du point de vue de la forme, et principalement du point de vue de la forme. Il est donc normal [25] que ce soit du point de vue de la forme que le physicien connaisse le composé. Et s’il est vrai que la matière est connue par analogie, et la forme, par intuition351, c’est à bon droit du point de vue de la forme que l’on connaîtra bien le composé.
Car, assurément, sur ce point aussi on pourrait soulever une difficulté : puisqu’il y a deux natures, de laquelle s’occupe le physicien ? Ou bien est-ce du composé des deux ? Mais, si c’est du composé des deux, c’est de chacune des deux. Est-ce donc à une même science ou à une science différente qu’il appartient de connaître chacune d’elles. Qui regarderait les Anciens croirait que l’objet du physicien, c’est la matière. Car c’est pour une petite part qu’Empédocle et Démocrite ont touché à la forme et à la quiddité. Mais si, d’un autre côté, l’art imite la nature, et qu’il appartient à la même science de connaître la forme et la matière jusqu’à un certain point (par exemple il appartient au médecin [de connaître] à la fois la santé, et la bile et le flegme dans lesquels réside la santé, de même aussi il appartient au constructeur [de connaître] la forme de la maison et sa matière, à savoir que ce sont des briques et des poutres, et il en est de même pour les autres arts), alors il appartiendra à la physique de connaître les deux natures. De plus, appartiennent à la même [science] le ce-en-vue-de-quoi, c’est-à-dire le but, et tout ce dont il est le but. Or la nature est un but352 c’est-à-dire un ce-en-vue-de-quoi ; en effet, pour ce qui, étant soumis à un changement continu353, a un certain but, ce [but] est <le>354 terme extrême et le ce-en-vue-de-quoi. C’est pourquoi aussi le poète355 a été ridicule d’aller jusqu’à dire : « il est en possession du terme pour lequel il était né ». En effet tout terme extrême ne prétend pas être un but, c’est seulement [l’extrême] le meilleur (Aristote, Physique II, 2, 194a15-33).
[I. Les Anciens physiciens, à l’exception d’Empédocle et de Démocrite, n’ont traité que de la matière : 299-30-300.26]
115[30] Aristote a dit que la nature se dit en deux sens et qu’il appartient au physicien de parler certes des deux natures, [300] mais de le faire du point de vue de celle qui l’est plus proprement que l’autre ; et cela il l’a déclaré, sans en faire la démonstration (comme pourrait le penser l’auditeur superficiel) puisque lui-même a indiqué clairement ce qu’est cette démonstration : si en effet la nature se dit en deux sens, et si l’une est plus proprement nature que l’autre et plus connaissable, alors il reviendra au physicien de parler des deux ensemble du point de vue de celle qui est plus proprement nature ; mais [5] comme il ne donne pas [explicitement] cette démonstration il dit que, si les natures – celles qui sont élémentaires – sont deux, il faut se poser la question de savoir « de laquelle s’occupe le physicien ». Il procède dans son investigation en quelque sorte par division : (i) ou bien c’est de l’une [ou de l’autre] des deux [que le physicien s’occupe], (ii) ou bien c’est de l’une et de l’autre, (iii) ou bien « c’est du composé de ces deux ». Et « si c’est du composé des deux », alors à l’évidence « ce sera aussi de l’une et de l’autre ». Il est impossible en effet de connaître le composé sans connaître les [composants] simples. Mais si [10] c’est de l’une et de l’autre, à savoir la matière et la forme, [il demande] : « est-ce qu’il appartient à une même science de connaître l’une et l’autre [ensemble] ou bien est-ce à deux sciences différentes ? » Et certes dans cette alternative il laisse de côté le [premier] membre en lui-même [qui pose que c’est à une même science de connaître] l’une et l’autre [nature], parce qu’il va traiter de ce point [en traitant] du composé. C’est ainsi que, dans le cadre de cette division, il montre que les anciens physiciens ont eu pour objet de recherche une des deux natures, à savoir la nature selon la matière, [15] « Empédocle et Démocrite ayant touché pour une petite part » à la nature selon « la forme ». Quand Empédocle en effet pose l’Amour et la Haine parmi les principes en tant que causes productrices de forme et quand Démocrite [pose parmi les principes] la figure, la position et l’ordre, c’est la forme selon la définition356, à mon avis, qu’ils déterminaient357, celle par laquelle ils produisaient les particuliers. C’est en effet une raison formelle qui chez Empédocle produit les chairs, l’os et chacune de ces choses358. [20] Ce qui est sûr en tout cas c’est qu’il dit dans le premier Livre de sa Physique :
Et Terre, de bonne grâce, dans ses creusets aux larges flancs,
Sur les huit parts en reçut deux de l’éclat de Nestis359,
Quatre d’Héphaistos. Elles devinrent os blancs,
Ajustés par les gommes d’Harmonie, la déesse
(trad. J. Bollack)360.
116[25] C’est-à-dire : [elles devinrent os blancs] sous l’action de361 causes divines et surtout d’Amitié ou Harmonie ; car les os sont ajustés par les gommes de celle-ci.
[II. Remarque d’Alexandre : Aristote ne mentionne pas Anaxagore : 300.27-301.10]
117« Aristote », dit Alexandre, « n’a pas mentionné Anaxagore bien que ce dernier pose l’Intellect comme un des principes »362 ; « peut-être », ajoute-t-il, « parce qu’Anaxagore n’en fait pas usage dans la genèse [des choses] »363. Mais qu’il en fasse usage, c’est évident, puisqu’Anaxagore dit que la genèse des choses n’est rien d’autre [30] qu’une séparation, que la séparation est produite par le mouvement, et que l’Intellect est cause du mouvement. Anaxagore dit en effet : « Lorsque l’Intellect eut commencé de mouvoir, la différenciation s’effectua à partir de tout ce qui était en mouvement, et tout ce que l’Intellect mouvait, tout cela se différencia. Mais la rotation des choses qui étaient en mouvement et qui se différenciaient [301] fit qu’une différenciation beaucoup plus importante se produisit »364. Mais Aristote n’a pas mentionné Anaxagore, parce que ce dernier ne voulait pas dire [par « Intellect »] la forme engagée dans la matière, ce qui est, comme on l’a vu, l’objet présent de la recherche ; Anaxagore parle au contraire [de l’Intellect] qui est cause différenciante et cosmopoiétique, séparée des choses mises en ordre, et qui est d’une nature autre que celles des choses mues : [5] « L’Intellect », dit-il, « est sans limite, il est son propre maître, et il n’est mêlé à aucune chose, mais il est seul à être lui-même par lui-même »365. Et Anaxagore donne en plus la cause de cela. Et peut-être aussi Aristote n’a-t-il pas mentionné Anaxagore parce que chez ce dernier l’Intellect, à ce qu’il semble, ne produit pas les espèces, mais les sépare tandis qu’elles existent [déjà]. Il est clair que la séparation, à partir de la réalité unifiée où « toutes choses étaient ensemble »366, [10] est ce en quoi consiste, comme on l’a vu, la production de l’Intellect.
[III. La physique traite de la matière et de la forme. Les arguments d’Aristote : 301.11-302.3]
118Après avoir dit cela Aristote pour le reste avance des arguments pour démontrer que le physicien doit « connaître l’une et l’autre nature » (194a26s.), celle selon la matière et celle selon la forme, et non pas seulement celle selon la matière, comme la plupart des physiciens le pensaient. Il y a d’abord un argument par induction à partir des arts. [15] Si en effet « l’art imite la nature » (194a21s.) et qu’il appartient à un même art de connaître la forme et la matière, « alors il appartiendra aussi à la physique de connaître l’une et l’autre nature ». Que l’art imite la nature il l’a admis comme étant évident, mais qu’il appartienne à un même art de connaître et la matière et la forme il l’a prouvé à partir de l’art médical [20] et de l’art de la construction. Et il donne un deuxième argument, qui est le suivant : s’il « appartient à la même science » de connaître « le but et le ce en vue de quoi » (194a27s.) ainsi que ce qui a rapport au but (comme il appartient à l’art de la construction de connaître le toit et les murs367), et si la nature c’est-à-dire la forme est le but et le ce en vue de quoi, alors il est évident qu’il appartiendra à la physique aussi de connaître non seulement la matière, comme les anciens physiciens le disent, [25] mais aussi la forme ; ou bien : [connaître] non seulement la forme, qui est précisément la nature au sens propre, mais aussi la matière. C’est ainsi en effet qu’Alexandre l’entend et on peut l’entendre des deux manières. Mais la démonstration [qui établit] que la physique est [connaissance] aussi de la forme convient bien en ce qu’elle s’adresse aux physiciens368, tandis que la démonstration [qui établit que la physique est connaissance] aussi de la matière convient avec ce qui est avancé [par Aristote] ensuite.
119[30] Le but général de ce qui est dit ici est, semble-t-il, d’amener à l’idée que la physique est connaissance et de la forme et de la matière. Et que la forme, c’est-à-dire la nature selon la forme, est le but de la matière, il le montre virtuellement de la manière suivante : la matière et le changement naturel de la matière sont continus ; du changement continu il y a un but, à savoir la forme, en vue de laquelle le changement a lieu et à laquelle il doit parvenir pour s’arrêter ; donc la matière et [35] le changement naturel de celle-ci ont pour but la forme. En effet la matière est par nature en vue de la forme, et non la forme en vue de la matière. Car le substrat est achevé [302] et il est substrat au sens propre quand il a reçu la forme. Et que le changement continu vise un certain but, c’est évident du fait que quand le changement est sans but et ne vise pas quelque fin déterminée, il n’est pas continu mais saccadé et désordonné.
[IV. Le but de la vie naturelle n’est pas la mort : 302.3-18]
120Mais puisque ce n’est pas toute limite et terme extrême de quelque chose qui est le ce en vue de quoi, mais seulement le terme extrême qui est le meilleur [5] (et en effet du changement sans but et des choses qui adviennent en raison d’une faiblesse de la nature il y a un certain but au sens de terme extrême, mais ce but n’est pas pour autant le ce en vue de quoi [il y a mouvement et advenir]), c’est à bon droit qu’il a fait cette distinction [entre le terme extrême et le ce en vue de quoi]. Et il ajoute qu’est ridicule le poète qui a dit qu’
« Il est en possession du terme pour lequel il était né »369
121car la fin de la vie est un terme extrême et une limite, mais ce n’est pas un but [10] au sens du ce en vue de quoi. La naissance en effet et la croissance ne se font pas en vue de la mort, mais en vue de la forme et de l’achèvement de ce qui croît, achèvement vers lequel ce qui croît se meut d’un mouvement continu et une fois l’achèvement atteint ce qui croît cesse de procéder plus avant. Et certes, si la nature visait la mort comme but, l’être vivant mourrait aussitôt qu’il aurait atteint son complet développement. Mais en réalité, même quand il a atteint [15] sa taille d’adulte, il continue le plus souvent à vivre. À moins toutefois qu’il ne soit commode de dire que la mort est le but non seulement du développement mais aussi de la vie naturelle ; sauf que la mort est fin et terme extrême non pas comme but, mais comme attribut nécessaire d’une telle réalité370.
[V. Alexandre suggère d’inverser les mots τέλος et ἔσχατον en 194a29s. : 302.18-25]
122Alexandre dit qu’il aurait mieux valu écrire : « En effet, pour ce qui, étant soumis à un changement continu, a un certain terme extrême, ce terme [20] est le but371 et le ce en vue de quoi » puisqu’il n’est pas vrai que tout terme extrême soit un but. Et certes372 Aristote lui-même est d’accord pour dire que tout terme extrême n’est pas un but. Peut-être donc n’est-il pas nécessaire de changer le texte. « En effet », dit-il, « pour ce qui, quand il y a changement continu » – c’est-à-dire : un changement ordonné et visant un but – « il existe un certain but » comme limite et « terme extrême », ce terme extrême-là est le but en tant que « le ce en vue de quoi », et non pas le terme extrême purement et simplement, [25] comme un changement indéterminé peut en avoir un.
Et puisque les arts produisent leur matière, les uns absolument, les autres en la rendant propre à être travaillée (Aristote, Physique II, 2, 194a33-34).
123Voilà qui semble plaider pour l’idée que ce qui a été dit auparavant montre que la physique doit être connaissance aussi de la matière. Mais peut-être que tout [30] ce qui est dit, comme je l’ai affirmé auparavant, tend à établir que la physique s’applique à l’étude et de la matière et de la forme, ainsi qu’à celle du composé considéré du point de vue de la forme. De même en effet qu’Aristote considère comme accordé communément que la physique est connaissance de la forme, de même il établit maintenant à partir de nouveau de la ressemblance avec les arts qu’il appartient au physicien de parler aussi de la matière, [303] et dans son argumentation il va du plus au moins. Si en effet les arts, qui imitent la nature, non seulement connaissent la matière mais aussi se la procurent – les uns « en la produisant absolument », comme l’art de la construction produit les briques, l’art médical, les remèdes, l’art de la poterie, [5] l’argile, et l’art pictural, les mélanges de couleurs, tandis que « d’autres rendent leur matière propre à être travaillée », comme l’art du modelage assouplit la cire, l’art de la sculpture fond le bronze, et l’art de la construction façonne les briques – alors à plus forte raison il est nécessaire que le physicien étudie assurément la matière sous-jacente aux êtres naturels, si justement les arts, qui imitent la nature, [10] connaissent si bien la matière qu’ils se la procurent. Ou bien [faut-il dire que] si dans les arts poïétiques, l’art qui produit la forme produit aussi la matière, alors dans les arts théorétiques aussi la connaissance théorique de la forme engagée dans la matière sera aussi connaissance de la matière qui est sous-jacente à la forme. Mais peut-être que le raisonnement sera aussi a fortiori en disant que si la nature produit la matière plus que l’artisan ne le fait, [15] alors le physicien devra connaître la matière plus que l’artisan ne la connaît. Aristote s’est donc proposé de montrer, à partir du fait que les connaissances de la fin et de ce qui a rapport avec la fin se rattachent l’une à l’autre, que la physique étudie et la forme et la matière ; il a montré, par le fait que le mouvement continu de la nature s’achève dans la forme, que la forme est la fin au sens du ce en vue de quoi, et que la matière est relative à la forme comme fin, [20] cela il le rappelle un peu plus loin. Pour l’instant il a montré par un raisonnement a fortiori, comme on l’a dit, et sans se contenter du témoignage des anciens [physiciens], que la physique étudie aussi la matière.
Et que nous nous servons de tout ce qui existe comme si cela existait pour nous – car nous aussi sommes d’une certaine manière un but ; en effet, le ce en vue de quoi se dit de deux manières, comme on l’a dit dans le traité De la philosophie373 (Aristote, Physique II, 2, 194a34-36).
124[25] Que la fin et ce qui a rapport avec la fin se rattachent l’un à l’autre Aristote le montre aussi à partir du fait que nous, parce que nous sommes une fin, nous utilisons ce que nous trouvons être mis à notre service. Et il est évident que ce qui a été dit à propos des arts et à propos des fins montre par extension le point en question. Car produire et utiliser vont au-delà de la simple connaissance. Mais comment sommes-nous une fin et comment faisons-nous usage [30] de toutes choses ? La réponse est que la fin se dit en deux sens : la chose à laquelle on tend (c’est ce que les Modernes appellent le « but » (σκοπός), comme par exemple la santé que le médecin a en vue), et le sujet en qui et pour qui cette chose se trouve et survient, par exemple celui qui recouvre la santé374. C’est là la fin au sens du sujet pour qui [le but est une fin], et c’est cette fin-là que nous sommes. La fin du médecin c’est en effet l’homme, non pas au sens du but [304] qui est visé, comme la santé, mais au sens de celui pour qui il veut produire celle-ci. Aristote fait cette distinction dans l’Éthique à Nicomaque375, qu’il appelle De la philosophie, dans l’idée que le mot « philosophie » est particulièrement approprié à l’éthique tout entière. La fin se dit donc en deux sens, le but lui-même et le sujet pour qui ce but est une fin et Aristote a montré que dans le cas de la fin au sens de but [5] la connaissance de la matière est impliquée dans celle de la fin. Maintenant il a montré que, dans le cas de la fin au sens du sujet pour qui le but est une fin, il en va de même. Parce qu’en effet « nous sommes un but » dans ce second sens, non seulement nous savons quelles choses sont là pour nous, mais en plus « nous nous en servons ». Quand il dit que « toutes choses sont là pour nous », il ne veut pas dire toutes les choses qui existent, mais toutes celles qui assurent notre conservation, comme le font les artefacts. [10] Nous utilisons en effet ceux-ci. Et la fin de ces artefacts c’est nous, parce qu’ils nous appartiennent, se rapportent à nous, et ces artefacts sont étroitement liés à leur fin. Et non seulement nous les connaissons, mais nous en faisons usage, ce qui est plus [que les connaître]376. D’une manière générale, celui à qui il appartient de connaître la fin connaît et celle-ci et ce qui est en vue d’elle. En conséquence, s’il appartient au physicien [15] de connaître la forme comme fin, alors il lui reviendra aussi de connaître ce qui est en vue de la forme, à savoir justement la matière. Si en effet « la matière fait partie des choses relatives » (c’est-à-dire relative à la forme), comme il le dira377, et que la connaissance est [connaissance] en même temps des termes relatifs378, alors il est évident que celui qui connaît l’un des relatifs connaîtra aussi l’autre379.
Les arts, assurément380, qui dominent la matière et la connaissent sont de deux sortes, celui qui utilise la chose et celui qui est architectonique381 par rapport à l’art qui produit (τῆς ποιητικῆς ἡ ἀρχιτεκτονική). Voilà pourquoi l’art qui utilise la chose est d’une certaine manière architectonique – la différence se situe dans le fait que l’un, l’art architectonique, connaît la forme tandis que l’autre, en tant qu’art producteur, connaît la matière382. En effet l’homme de barre sait quelle doit être la forme du gouvernail et la prescrit, alors que l’autre [sait et prescrit] de quel bois il devra être fait et par quelles opérations383. En somme, dans les choses de l’art, nous produisons nous-mêmes la matière en vue de l’œuvre, alors que dans les choses naturelles son existence est donnée (Aristote, Physique II, 2, 194a36-194b8)384.
[I. Explication générale : 304.21-305.1]
125[304.21] Aristote a dit que parmi les arts certains produisent aussi leur matière et qu’ils ne font pas que la connaître. Maintenant il montre que les arts architectoniques, ceux-là même qui semblent avoir en vue surtout la forme, n’ignorent pas eux-mêmes la matière. Il dit que les arts architectoniques sont de deux sortes : (i) « celui qui utilise la chose »385, comme l’art du pilotage, qui [25] sait quelle doit être la forme du gouvernail, qui prescrit sa configuration et sa grandeur et donne des indications sur la matière [à employer], à savoir qu’il doit être fait d’un bois qui ne soit ni trop rigide ni trop souple ; et (ii) « celui qui est architectonique par rapport aux arts productifs » particuliers et qui détermine et les formes et les matériaux ; par exemple, l’art de la construction des navires, au sens global du terme386, est architectonique par rapport aux arts multiples qui touchent à [la construction des] bateaux ; [30] en rapportant toutes choses à l’utilité générale il détermine de quel type de bois doit être fait le gouvernail, à savoir, selon le cas, de bois de cyprès, puisque le bois de cyprès [305] peut supporter telle ou telle manœuvre387, en suivant les indications qu’a données le pilote388.
[II. Questions soulevées par le texte : 305.1-23]
[1. Comment peut-on dire que le pilote connaît aussi la matière : 305.1-11]
126Mais si le pilote sait « quelle doit être la forme du gouvernail et la prescrit », comment peut-on dire qu’il domine la matière aussi ? Alexandre dit qu’il est nécessaire pour ce dernier de connaître la matière lui qui pilote un navire qui n’est pas simplement [5] une forme mais a une matière bien spécifique. Mais peut-être que la forme et la matière du gouvernail sont la matière du [bateau] utilisé. Aussi Aristote peut-il dire que le pilote, en connaissant la forme du gouvernail et en la prescrivant, domine la matière. Autre possibilité : même si le pilote ne connaît pas les ultimes [spécifications], à savoir que le gouvernail doit être en bois de cyprès, mais a une connaissance plus générale de la chose, à savoir que le bois du gouvernail doit être flexible sans être trop rigide ni trop souple, [10] parce qu’il sait cela et le prescrit, le pilote aussi est dit à bon droit dominer la matière.
[2. Comment comprendre : « l’art qui utilise est d’une certaine manière architectonique » : 305.11-16]
127Et Aristote dit que « l’art qui utilise est d’une certaine manière architectonique » en tant que lui aussi prescrit comment doit être le gouvernail. Car l’art qui prescrit est architectonique par rapport à celui qui produit. Et en somme celui qui utilise connaît non seulement l’utilité, qui est la fin, mais aussi ce qui est relatif [15] à l’utilité, comme la matière et la sorte de fin [qu’on se propose], c’est-à-dire la forme. Et l’utilisateur connaît assez immédiatement les choses relatives à la fin.
[3. Explication de : « En somme, dans les choses de l’art… son existence est donnée » : 305.16-23]
128Après avoir dit que certains arts produisent aussi leur matière Aristote fait très bien remarquer que, de même que dans les choses artificielles la matière est produite par l’art, de même dans le cas des choses où la matière n’est pas produite mais [pré]existe, comme dans le cas des choses naturelles, la matière existe en vue de la forme. Mais peut-être qu’il ne dit pas cela : [20] que dans les choses artificielles l’art produit la matière tandis que dans les choses naturelles il ne la produit pas (car c’est la nature, plutôt que l’art, qui produit la matière), mais qu’il dit que le physicien ne produit pas la matière, mais la considère comme préexistante et la rapporte lui-même à la forme comme le font ceux qui produisent leur matière.
De plus la matière fait partie des choses relatives, car à forme différente matière différente (Aristote, Physique II, 2, 194b9).
[I. Explication de « la matière est un relatif » : 305.25-30]
129[25] La matière est un relatif, c’est-à-dire qu’elle est relative à la forme ; à partir de là Aristote montre qu’il appartient au même homme de connaître la forme et la matière. Que « la matière est un relatif » il le montre à partir du fait que pour une forme différente la matière est différente, la matière recevant [une forme] du fait d’une convenance avec [cette] forme, si bien que c’est telle matière qui est matière de telle forme et telle forme, forme de telle matière. Mais s’il en est ainsi, nécessairement [30] celui qui connaît l’une connaît l’autre.
[II. Explication de « à forme différente matière différente » : 305.30-36]
130Mais comment entendre « à forme différente matière différente » s’il est vrai qu’une est la matière commune de toutes choses ? À l’évidence la réponse est que c’est la matière prochaine qui est différente. Chacune de ces matières prochaines est à la forme qui lui correspond ce que la matière commune est à la forme prise absolument. Donc celui qui sait c’est-à-dire connaît la forme naturelle en tant que naturelle, connaîtra aussi la matière qui est le substrat de cette forme engagée dans la matière. [35] La physique a donc pour objet la forme et la matière, et aussi assurément la privation ; les choses qui sont opposées de cette façon relèvent en effet de la même science.
Jusqu’à quel point, donc, le physicien doit-il aller dans la connaissance de la forme c’est-à-dire de l’essence ? C’est, comme le médecin connaît le tendon ou le forgeron l’airain, jusqu’à un certain point, car chacune de ces choses est en vue de quelque chose389 ; [et sa recherche doit porter] sur ce qui est séparable quant à la forme mais engagé dans une matière. Car c’est un homme qui engendre un homme, et aussi le soleil390. Quant à la manière d’être et à l’essence du séparé, c’est l’affaire de la philosophie première de le déterminer (Aristote, Physique II, 2, 194b9-15).
[I. Sens général du texte : 306.3-23]
131[306] Aristote a montré qu’il appartient au physicien de connaître et la forme et la matière. C’est à bon droit qu’ensuite il décide de dire jusqu’à quel point le physicien doit pousser sa recherche pour chacune de ces deux choses. [5] Mais pour ce qui est de la matière il semble qu’il a déjà tranché la question : le physicien doit pousser son enquête sur la matière jusqu’au point où il peut rapporter l’étude de celle-ci à la forme. Aussi Aristote en vient-il pour le reste à poser la question de savoir « jusqu’à quel point le physicien doit aller dans la connaissance de la forme c’est-à-dire de l’essence ». Mais comme il a dit aussi que pour le physicien il s’agit de parler principalement de la forme, mais non pas cependant de la forme sans la matière, il se pose à bon droit maintenant le problème de savoir [10] jusqu’à quel point la connaissance de la forme intéresse le physicien en tant que physicien, sachant qu’il s’agit bien évidemment ici de la forme physique (car il existe de certaines formes qui sont au-dessus des formes physiques au sujet desquelles il ne revient pas au physicien de parler)391. Et il dit que le physicien, en tant que physicien, parlera de la forme physique « en allant aussi loin que le forgeron qui parle de l’airain ou que le médecin qui parle du tendon ». Or chacun d’eux parlera [de l’airain et du tendon] en allant jusqu’à dire [15] l’utilité que présente chacune de ces choses pour l’art dont elle relève, sans qu’aucun d’eux se mêle vainement des principes premiers du tendon ou de ceux de l’airain. Et donc le physicien aussi traitera de la forme physique [en considérant] jusqu’à quelle chose cette réalité-ci singulière existe392. « Car chacune des choses » qui adviennent par nature advient et « existe en vue de quelque chose » qui est précisément la fin de chacune de ces réalités. Et celui qui a trouvé cela est parvenu à ce qui est la fin [20] de l’étude des formes physiques sur lesquelles porte son enquête et qui sont des formes séparables en raison, mais engagées dans une matière. En conséquence le physicien examinera aussi la forme engagée dans la matière (et non pas toute forme) en allant dans sa recherche jusqu’à [considérer] le ce en vue de quoi cette forme existe ou advient393.
[II. Comment comprendre « jusqu’à quel point » μέχρι δὴ πόσου : 306.23-308.37]
[1. L’accentuation des deux τινος394 dans μέχρι τινος τινος γὰρ ἕνεκα ἕκαστον. Lecture d’Alexandre : 306.23-29]
132Et le texte me paraît dans sa lettre être clairement construit sur un bon parallélisme395 si dans le cas de μέχρι τινος on accentue τινος sur la première syllabe396 – car cela revient à dire : [25] « jusqu’à quel point précis ? [μέχρι πόσου] » –, et si nous accentuons sur la première syllabe le second τινος dans τίνος γὰρ ἕνεκα ἕκαστον – car « jusqu’à [considérer] le en vue de quoi » (τὸ ἄχρι τοῦ τίνος ἕνεκα) signifie « jusqu’à [considérer] la fin » (τὸ ἄχρι τοῦ τέλους)397. Et si on lisait μέχρι τίνος ἕνεκα τινὸς γὰρ ἕνεκα ἕκαστον – de fait telle est la lecture d’Alexandre –, alors nous accentuons comme baryton le premier τινος et accentuons comme oxyton le second398.
[2. Les causes des réalités physiques sont elles aussi engagées dans une matière : 306.29-307.12]
133Aristote a dit que le physicien aura pour objet les formes engagées dans une matière [30] et qu’il élargira son savoir jusqu’à la connaissance de la fin ; que les formes physiques sont engagées dans une matière, il le montre à partir du fait que les causes des réalités physiques, qu’elles soient causes prochaines ou plus éloignées, sont elles-mêmes engagées dans une matière. Ce qui de fait engendre immédiatement l’homme [307] c’est l’homme qui est lui-même un homme matériel, et la cause par nature productrice et éloignée de toutes ces choses qui adviennent ici-bas c’est le soleil visible qui lui aussi est une forme engagée dans une matière. « D’une manière générale », dit Alexandre, « la réalité qui advient par nature semble elle-même advenir par l’action d’un [agent qui lui est] identique, soit en espèce, soit en genre, soit, généralement, par une activité. [5] En tout cas ce qu’il y a de sûr c’est que les choses qui adviennent sous l’action du soleil adviennent comme du fait d’une activité ; elles sont effet échauffées et refroidies par l’activité du soleil. Et à l’évidence les choses qui adviennent en vertu d’un art adviennent du fait d’une activité, qui n’est pas naturelle ». Mais peut-être que l’homme naît de l’homme, qui lui est identique par l’espèce, tandis qu’il naît sous l’action du soleil qui lui est identique par le genre, puisque c’est [un homme] matériel [qui advient] à partir d’un [soleil] matériel. [10] Et Alexandre fait remarquer, à partir également de ce qui est dit ici, que selon Aristote la génération des choses d’ici-bas dépend du corps divin et qu’elle n’en est pas détachée.
[3. Interprétation d’Alexandre et de Thémistius : le physicien doit se cantonner à la forme engagée dans une matière : 307.13-308.14]
134Mais si Aristote cherche à savoir jusqu’à quel point le physicien doit connaître la forme c’est-à-dire la quiddité, en quel sens peut-il dire que « c’est jusqu’à un certain point, comme le médecin connaît le tendon et le forgeron l’airain » ? [15] Car l’airain est comme une matière pour le forgeron, comme le tendon l’est pour le médecin. À ces matières ces derniers ajoutent une forme, qui procède d’un art ; le forgeron par exemple donne à l’airain la forme d’une amphore, le médecin donne au tendon celle de la santé. En quel sens donc Aristote dit-il que le physicien cherche à connaître la forme autant que les praticiens d’un art cherchent à connaître leur substrat matériel ? Alexandre a bien vu ici l’objection [20] et il a avancé une autre explication en disant ceci : « C’est qu’après avoir dit d’abord que le physicien parlera jusqu’à un certain point de la matière comme le font les praticiens d’un art (et de fait ceux-ci étudient jusqu’à un certain point la matière qui leur sert de substrat), ensuite il revient à la forme, et demande jusqu’à quel point le physicien étudie la forme, c’est-à-dire quelle sorte de forme il étudie. Le physicien en effet étudie ce en vue de quoi advient chacune des choses qui adviennent par nature ; c’est là la forme naturelle [25] et l’accomplissement des choses qui adviennent par nature. C’est donc cette sorte de forme qu’étudie le physicien, à savoir ce en vue de quoi advient chacune des choses produites par la nature ; ce sont ces formes, qui sont séparables de la matière en raison mais existent en réalité dans une matière, qu’il étudie mais sans étendre sa connaissance aux formes immatérielles et séparées ».
135Ce pourrait être là une bonne explication si Aristote, se proposant de dire jusqu’à quel point le physicien étudie la matière, [30] avait ajouté : « jusqu’au même degré où le forgeron étudie l’airain et le médecin les tendons ». Mais en réalité il a dit « jusqu’à quel degré le physicien doit-il connaître la forme c’est-à-dire l’essence ? » et il a ajouté : « c’est comme le médecin doit connaître le tendon ou le forgeron l’airain ». Et Alexandre a ajouté une autre explication répondant à cette objection de sorte que [l’ajout] corresponde à la leçon : [35] « c’est que le médecin [étudie] le tendon ou le forgeron l’airain [en considérant] jusqu’au ce en vue de quoi399 [le tendon et l’airain sont] ». « Le sens du texte sera en effet, dit-il, le suivant : de même que le médecin ou le forgeron parlent de la forme jusqu’à ce point, [308] c’est-à-dire parlent de ce en vue de quoi existe la matière dont ils s’occupent (car ils parlent de cette forme en vue de laquelle l’un s’occupe des tendons et des chairs, l’autre de l’airain, en effet c’est de la forme qui advient dans ces matières qu’ils parlent, et non d’une autre forme), de la même manière il faut que le physicien parle lui aussi de cette sorte de forme, [5] dont la matière est matière et en vue de laquelle la matière existe. Or c’est là la forme engagée dans une matière. “[Et sa recherche doit porter] sur ce qui est séparable quant à la forme mais engagé dans une matière”, c’est-à-dire : il traitera de ce genre de formes et c’est ce genre de formes qu’il étudiera ».
136Mais ici Aristote ne livre pas, me semble-t-il, la réponse à la question de savoir jusqu’à quel point les praticiens d’un art parlent de la forme en vue de laquelle existe la matière dont ils s’occupent. [10] À moins peut-être qu’il ne veuille dire : jusqu’à considérer les formes en tant qu’elles sont engagées dans une matière. Cela en effet Aristote l’a dit assez clairement dans le cas du physicien.
137Et c’est ainsi que Thémistius aussi a compris, à ce qu’il me semble, le texte. Il paraphrase en effet ainsi ce passage : « le physicien parlera », dit-il, « de la forme elle-même jusqu’à un certain point, c’est-à-dire sans séparer celle-ci de la matière : le physicien examinera l’homme comme le médecin examine le tendon »400.
[4. Le physicien doit connaître la cause finale : 308.14-37]401
138Mais peut-être que ne s’accorde pas avec ce sens la suite du texte, à savoir : [15] « en effet chacune de ces choses est en vue de quelque chose ». Cela en effet n’a pas de rapport avec la connaissance de la forme en tant que forme engagée dans la matière ; la recherche porte au contraire sur la forme et sur la question de savoir jusqu’à quel point le physicien doit connaître la forme naturelle dont il s’occupe. Or Aristote dit que c’est jusqu’au point où le forgeron connaît l’airain et le médecin le tendon, sans amener ici ces choses comme étant les matériaux de ces praticiens, mais en tant que formes dont s’occupent ces métiers, [20] comme la physique s’occupe de la forme naturelle. Les arts s’emploient à faire des objets, la physique s’emploie à connaître le sien. De la même manière donc que les arts connaissent jusqu’à un certain point les matériaux auxquels ils ont à faire, c’est-à-dire jusqu’à connaître l’utilité que ces matériaux confèrent aux choses produites, en raison desquelles on les utilise, de la même manière la physique connaîtra la forme naturelle jusqu’au point de connaître [25] l’utilité en vue de laquelle cette forme advient et existe. Et de fait toute connaissance à partir des causes est ce qu’il y a de plus approprié à la science, et la connaissance à partir de la cause finale est connaissance par excellence402. Et Aristote emboîte ici semble-t-il le pas au Socrate du Phédon quand il enjoint au physicien de poursuivre sa recherche de la cause en allant jusqu’à la cause finale. Socrate dit en effet dans ce passage du Phédon : « Voudrait-on donc, [30] pour chaque chose, découvrir la cause selon laquelle elle naît, périt ou existe ? Ce qu’il y aurait à découvrir à son sujet, c’est selon quoi il est meilleur pour elle, soit d’exister, soit de subir ou de produire quelque action que ce soit »403. C’est là le ce en vue de quoi chaque chose advient ou existe. Et après avoir dit que le physicien s’occupe des formes qui sont séparables par le raisonnement mais engagées de par leur être-même dans une matière, Aristote ajoute à bon droit : « quant à la manière d’être du séparé » de par son être même et existant par soi [35] par rapport à la forme engagée dans une matière et « quant à l’essence du séparé, c’est l’affaire de la philosophie première à le déterminer », celle qu’il enseigne dans sa Métaphysique404.
[Chapitre 3]405
Mais une fois que ces distinctions ont été faites, il faut examiner les causes (Aristote, Physique II, 3, 194b16).
139[309] Le traité porte sur les principes et les causes des êtres naturels. Aussi Aristote a-t-il dit au début « nous pensons savoir chaque chose quand nous avons pris connaissance de ses causes premières », ses principes premiers et jusqu’aux [5] éléments (184a12-14). Et il s’est proposé d’abord d’examiner les principes en tant qu’éléments. Il a exposé en premier lieu les doctrines des anciens physiciens sur ces principes (Phys. I, ch. 2-5) et il a ajouté ses propres idées en montrant que les anciens physiciens aussi s’accordent avec lui d’une certaine manière puisqu’eux-mêmes ont posé les contraires comme principes. C’est ainsi qu’il a posé la matière, la forme et la privation comme étant les principes élémentaires [10] des choses naturelles (Phys. I, 7), et il a montré (Phys. II, 1-2) ce qu’est la nature, à savoir qu’elle est le principe d’où part le mouvement, et aussi ce qu’est « le par nature » et « le selon la nature ». Il a distingué les différents sens du mot « nature » et montré que et la forme et la matière sont « nature », que les deux à la fois sont des objets d’étude pour le physicien, et il a dit jusqu’à quel point celui-ci doit pousser son étude, à savoir jusqu’à la cause finale. Il a ainsi achevé complètement son discours sur les causes, puisqu’il a parlé des causes comme [15] éléments, à savoir la matière et la forme, et qu’il a parlé de la cause efficiente, qui est, comme on l’a vu, la nature, et qu’il a parlé de la cause finale. Puisque beaucoup de choses ont été dites dans le cours du développement sur le rapport que les causes entretiennent les unes avec les autres, Aristote reprend ensuite son discours et dénombre ces causes en ajoutant leurs déterminations adéquates, et il nous met sous les yeux après les causes par soi les causes par accident. Et là [20] à nouveau il nous rappelle l’utilité du discours sur les principes. Son raisonnement est implicitement le suivant : la physique est une étude théorétique, et non pas pratique comme l’est l’éthique406 ; le but de l’étude théorétique est la connaissance ; l’étude qui a pour but la connaissance posera comme fondement la connaissance des causes, car c’est en rapportant chacune des choses à leurs causes qu’elle atteindra la connaissance de ces choses ; en conséquence, le discours sur les causes est approprié à l’étude physique, [25] de manière à ce que nous puissions livrer les causes de la génération et de la corruption et de tout autre changement naturel, qu’il s’agisse du changement selon le lieu ou de celui selon l’altération, et aussi peut-être celui selon l’augmentation. À la question de savoir pourquoi chacune des choses que par rapport à ces changements nous étudions se présente de telle ou telle manière, nous pouvons apporter une réponse si nous remontons aux causes et aux principes de ces choses. C’est qu’en effet nous pensons que nous livrons les causes d’une chose quand on montre qu’elle est ainsi [30] ou bien parce qu’elle vient de telle chose, ou bien parce qu’elle est telle chose, ou bien parce qu’elle est produite par tel agent, ou bien parce que c’est mieux ainsi pour elle.
Selon une modalité donc, on appelle cause ce à partir de quoi advient quelque chose et qui est inhérent [à cette chose], par exemple l’airain est cause de la statue, l’argent, cause de la coupe, ainsi que les genres de l’airain et de l’argent (Aristote, Physique II, 3, 194b23-26).
[I. Première cause : la matière. Différence entre matière et privation : 309.35-310.8]
140[35] Aristote dit les quatre façons qu’il y a au total de rendre compte des causes et il livre d’abord [310] le « ce à partir de quoi advient quelque chose et qui est inhérent à cette chose » ; c’est la cause matérielle et le substrat ; et cette cause matérielle, du fait, d’une part, qu’elle est ce à partir de quoi advient quelque chose, semble avoir quelque chose en commun avec la privation ; mais du fait, d’autre part, qu’elle est quelque chose d’inhérent, elle diffère de la privation. La chose qui advient en effet advient à partir de la privation en ce sens qu’elle advient après la privation et en ce sens qu’elle advient une fois la privation sortie [d’elle-même], [5] et elle advient à partir de la matière en ce sens que celle-ci est inhérente et change en passant d’une disposition à une autre. Le « ce à partir de quoi » est donc équivoque407. Et la matière diffère de la forme même si celle-ci aussi est inhérente parce que ce qui advient n’advient pas à partir de la forme ; ce n’est pas en effet quand la forme sort [d’elle-même] ou change que quelque chose advient ; la chose advient selon la forme.
[II. Pourquoi mentionner la matière en premier : 310.8-13]
141Et Aristote a mentionné en premier la matière au nombre des causes parce que les plus Anciens des physiciens renvoyaient, dans leur enseignement sur les causes de pour ainsi dire toutes choses, [10] à la matière. Ils disaient en effet que si le cube tombe, c’est parce qu’il est d’airain ; que si le chaudron dure plus longtemps que le vase c’est parce que l’un est fait d’airain, l’autre, de terre cuite. C’est pour cette raison qu’il mentionne la matière en premier, pour remonter l’échelle des causes.
[III. Explication de : « et les genres » : 310.13-17]
142Et la matière prochaine n’est pas la seule cause de ce qui advient ; sont aussi causes « les genres » de celle-ci. Ce n’est pas [15] en effet seulement cet airain-ci qui est cause de la statue, et cet argent-ci qui est cause du vase ; c’est d’une manière générale l’airain et l’argent. Et si ces matériaux sont de l’eau408, l’eau aussi est cause matérielle, et [est cause matérielle aussi] le corps à un niveau plus élevé encore409.
En un autre sens, c’est la forme et le modèle, et cela c’est l’énoncé de la quiddité410 (Aristote, Physique II, 3, 194b26-27)411.
[I. Opinion d’Alexandre : la forme naturelle n’est pas modèle en tant qu’Idée. Le finalisme en biologie et l’analogie avec les automates : 310.20-311.37]
143[20] Comme deuxième cause Aristote donne la cause formelle. Est en effet cause du fait d’être en bonne santé la santé immanente, et cause du fait d’être commensurable la commensurabilité immanente. Mais la forme n’est pas seulement la configuration superficielle ; c’est aussi celle selon la définition412. Et quand il appelle la forme « modèle » il ne pose pas qu’il existe par soi une essence formelle à la ressemblance de laquelle sont les choses d’ici-bas, comme le pensent ceux qui disent qu’il y a les Idées.
144[25] « Les choses qui produisent par nature, dit Alexandre413, ne conçoivent pas d’abord ce qu’elles produisent pour le produire ensuite de telle sorte qu’on puisse dire que la chose conçue est le modèle des choses qui adviennent selon ce [modèle]414 comme dans le cas des arts, mais c’est la forme qui advient à la matière qu’il appelle “modèle” parce que la nature produit tout ce qu’elle produit en désirant celle-ci415. Cela ressort avec évidence du fait que la nature arrête la production quand la forme est advenue, parce que la forme est une sorte de terme [30], qu’elle se présente comme un but auquel vise la nature, et qu’elle est pour cette raison appelée “modèle”416. Et ce n’est pas dans le même sens, dit Alexandre, que l’on parle pour toutes les choses qui produisent en vue de quelque chose de “fin” et de “modèle” ; dans le cas de toutes les choses qui produisent par choix, art et raison, il est nécessaire que la forme en vue de laquelle les autres choses adviennent soit d’abord conçue par l’agent pour être [35] le but et le modèle des choses qui vont advenir ; mais dans le cas des choses qui adviennent par nature, il n’en va pas de même ; car la nature n’œuvre pas selon un choix ou selon une raison [311] qui serait en elle ; la nature, dit-il, est en effet une puissance irrationnelle417.
145Mais une fois le principe premier418 déposé dans la matière apte à recevoir ce principe ainsi que les choses qui viendront sous l’action de et à partir de ce principe419, cette entité qui a été elle-même la première déposée [dans cette matière] a produit elle-même cette [autre entité] qui est elle-même productrice de quelque chose qui est un terme, [5] et ce qui advient à partir de cette chose [produit à son tour] une autre [entité]. Chacune de ces entités est en effet productrice et motrice420 de ce qui vient après elle, si rien ne l’en empêche421. Et cela jusqu’à une certaine fin, c’est-à-dire jusqu’à la forme naturelle, dont le principe est comme on l’a vu cette entité première déposée [dans la matière]422, C’est ainsi que, dans les automotates, quand le technicien a donné un premier mouvement à la première pièce, cette pièce meut celle qui vient après elle, qui meut à son tour celle qui vient ensuite, et ce jusqu’à ce que [10] le mouvement soit passé par toutes les pièces, si rien ne l’en empêche, et ce n’est pas en vertu d’un raisonnement ou d’un choix [qui se ferait] dans les automates que la pièce qui vient avant meut celle qui vient après. Eh bien c’est de la même manière que la nature423 et sa puissance, déposée avec la semence dans la matière qui lui est appropriée et advenue dans cette matière424, pouvant changer la matière425, la change, puisque l’une426 est fait pour opérer le changement, l’autre le subir427. Quant à la puissance qui advient à partir du changement initial, [15] elle aussi impulse à son tour un second changement et sa puissance va jusqu’à produire [un être] semblable – et identique par l’espèce ou par le genre – à ce d’où vient [le principe premier qui] a été déposé428. C’est comme dans le cas des animaux qui sont nés de géniteurs dissemblables [en espèce], comme le sont les mules. Par le genre elles sont en effet identiques à leurs géniteurs. Et la transmission elle-même [de cette puissance] s’effectue selon des nombres déterminés et selon un ordre jusqu’à ce que ce qui advient possède sa forme achevée, si rien ne vient faire obstacle à cet achèvement. [20] Et cela, comme on l’a dit précédemment, se fait sans qu’il y ait un raisonnement ou une capacité de choix dans ce qui opère le changement et produit. Mais ce n’est pas là une raison pour dire que [la nature] produit par chance et non en vue de quelque chose429. Car “en vue de quelque chose” n’est pas une expression propre à ce qui advient selon un raisonnement et un choix ; tout ce qui advient selon un certain ordre et pour quelque chose d’autre advient en vue de quelque chose. Que la production se fasse par choix et raisonnement [25] ou sans raisonnement – et comme nous le disons c’est le cas de la nature –, cela ne fait pas de différence430. Et même si, en effet, les étants naturels possèdent, en raison de nécessités matérielles431, certaines choses accessoires dont on ne voit pas l’utilité (comme on le dit par exemple des poils sous les aisselles, à moins que ceux-ci aussi n’aient quelque utilité), il ne faut pas pour cette raison montrer que la nature ne produit pas en vue de quelque chose. La forme est donc modèle parce que [30] la nature a incliné vers elle, non par choix, mais plutôt comme le font les automates.
146Et, dit Alexandre, dans les choses qui adviennent par nature sera modèle aussi la forme de ce qui produit, cette forme étant identique, par l’espèce ou par le genre, à la forme de ce qui advient. Et, d’une manière générale, puisque ceux qui produisent d’après un modèle produisent d’après quelque chose de déterminé, que c’est une caractéristique propre à ce qui advient d’après un modèle que d’advenir d’après quelque chose qui est déterminé et semblable à lui, [35] et si quelque chose advient conformément à quelque chose qui est déterminé et semblable à lui, alors ce qui advient adviendra d’après un modèle ; or c’est ainsi qu’adviennent les choses qui adviennent par nature ; donc celles-ci adviennent d’après un modèle ».
[II. Apories que pose l’interprétation d’Alexandre et solutions : 312.1-313.27]
[1. En quel sens la forme immanente qui advient peut-elle être modèle ? : 312.1-18]
147[312] Voilà ce que dit Alexandre. Maintenant, qu’Aristote n’appelle pas la forme « modèle » au sens d’Idée, c’est évident. Il prend en effet la forme engagée dans la matière comme cause en vertu de laquelle le composé possède la quiddité. Il le montre par la suite quand il met la matière et cette forme [dans la matière] au nombre des éléments. [5] Mais si Aristote parle de la forme comme élément et appelle celle-ci « modèle », comment maintenant peut-on comprendre que la forme de l’agent est « modèle » ? Car même si la forme de l’agent est identique à ce qui advient, parce qu’un homme advient d’un homme, maintenant c’est ce qui advient, et non pas l’agent, qu’il appelle « modèle ». Car ce qui advient c’est la forme comme élément, en vertu de laquelle le composé possède la quiddité. [10] Mais l’étant naturel advient d’après quelque chose qui est déterminé et semblable [à lui]. Si, en effet, c’est d’après l’agent, l’agent sera le modèle.
148D’abord, comme je le disais, ce n’est pas l’agent qu’Aristote a appelé « modèle », mais ce qui advient432. Ensuite, comment est-il encore possible de dire que les étants naturels n’adviennent pas d’après des modèles si on accorde que l’agent est le modèle de ce qui advient en ce sens que ce qui advient d’après cet agent, [15] qui est déterminé et semblable à ce qui advient. Mais si on dit que la forme [comme élément] est modèle pour cette raison que la nature produit toutes choses en désirant la forme, alors la forme sera cause finale et non pas modèle. Car le désirable c’est-à-dire le ce en vue de quoi adviennent les choses qui adviennent sera fin et non pas modèle.
[2. Critique du modèle embryologique d’Alexandre : 312.18-313.27]
149En outre, ce qui a été dit sur la génération des étants naturels433 me paraît, également, mériter un examen. [20] Si en effet ce qui se trouve déposé en premier a produit lui-même cela dont il est lui-même producteur, et que ce qui advient à partir de ce producteur est autre, et que chaque chose [produite] est productrice et motrice de ce qui est après elle-même et ce jusqu’à la fin c’est-à-dire jusqu’à la forme de l’étant naturel, dont le principe était la première entité déposée dans la matière, si c’est donc ainsi que s’accomplit la génération, à savoir : si d’abord le grain de blé produit la pousse, la pousse la tige [25] et la tige l’épi, comment ce qui est plus imparfait sera-t-il producteur de ce qui est plus parfait ? La pousse est en effet plus imparfaite que la tige, la tige que l’épi. Ensuite, quelle est la cause du tout ? On ne peut le dire434. Puisque la forme est une, il faudrait qu’il y ait aussi une cause une antérieure aux parties. Et, d’une manière générale, si c’est parce que les choses qui précèdent s’altèrent qu’adviennent les suivantes, [30] alors les choses qui précèdent seront plutôt [causes] matérielles que [causes] productrices. Car jamais l’effet produit n’advient parce que la cause productrice s’altère435. En outre si ce n’est pas n’importe quelle chose qui advient de n’importe quelle chose, mais si c’est à partir de ce qui peut [produire une chose qu’il y a production de cette chose], il est évident que la pousse est en puissance la tige. Or tout ce qui est en puissance [quelque chose] est [cause] matérielle, et non pas [cause] productrice. C’est pourquoi on dira à juste titre que la pousse est matière de la tige, mais en aucun cas cause productrice [de celle-ci]. Ensuite toute chose [35] qui devient en acte à partir de quelque chose en puissance, c’est par quelque chose en acte qu’elle est amenée à être en acte436. Si donc la pousse n’est pas la tige en acte, elle ne produira pas [313] la tige en acte. Et, d’une manière générale, si la nature de chaque chose, étant principe et cause du changement, est productrice de son propre437 substrat et non d’un autre, il est évident que la nature de la semence produira la semence, et la nature de l’homme, [5] l’homme. Mais comment la nature dans la semence438 produira à proprement parler l’homme, elle qui n’est pas encore la nature de l’homme avant que l’homme n’advienne ? La réponse est, comme on l’a dit plus haut439, que, en même temps que cette nature [dans la semence] devient440 [quelque chose], elle produit [ce quelque chose] du fait que son trait caractéristique est sa prédisposition particulièrement heureuse441 et du fait qu’elle est une sorte de vie qui se dresse et s’élève en direction de la forme442, puisque la semence du mâle et celle de la femelle443 ont pour nature la transformation de la semence444, transformation qui trouve son achèvement naturel dans l’animal. Mais la cause productrice au sens propre et prochaine est, [10] dans le cas des animaux, la nature maternelle et la nature paternelle445 ; dans le cas des plantes, c’est la nature de la graine et celle de la terre ; et la forme en acte préexiste dans le père et dans la mère et dans les raisons qui existent en acte dans la terre et en vertu desquelles les choses en puissance sont amenées à l’actualité. Et ainsi la nature de ce qui devient, si on dit qu’elle est productrice, sera productrice de la même manière qu’elle-même est en train de devenir [autre chose]. [15] Mais la nature productrice au sens propre est la nature de telle chose en acte. La nature en effet produit du semblable et en vue de ce semblable elle embrasse à l’avance en soi toutes les phases intermédiaires et, même si cette nature qui atteint son achèvement et qui devient en même temps qu’elle produit change dans les phases intermédiaires, elle préserve une chaîne unique jusqu’à la fin visée, et dès que ce but est atteint elle cesse de produire446. Aristote aussi dit que447 [20] sont par nature toutes les choses qui, soumises à un mouvement continu à partir d’un principe qui leur est immanent, parviennent jusqu’à une certaine fin et cessent, une fois cette fin atteinte, de changer. C’est pourquoi est embrassée à l’avance dans l’homme la raison de l’[enfant] engendré et que ce qui advient en vertu de cette raison448. Le père, au moyen de sa semence, fournit le principe et le mouvement jusqu’à la fin visée (comme dans le cas de l’automate449 le technicien donne le début [25] du mouvement et l’élan vers le terme et ce en vertu de la raison préexistante en lui de l’ensemble du mouvement réglé), tandis que la nature de la mère est cause plus prochaine de la forme [de l’enfant].
[3. En quel sens la nature est puissance irrationnelle ? : 313.27-314.14]
150Mais en quel sens [Alexandre] dit-il que la nature est une puissance irrationnelle alors que celle-ci produit en vue d’une certaine fin, suit une progression réglée selon des nombres et des mesures déterminés ? La réponse est que le principe producteur est double : l’un produit en connaissant [30] (c’est celui que l’Exégète croît être le seul), l’autre produit sans connaître et sans qu’il puisse se convertir vers lui-même, mais il produit quand même de manière réglée et déterminée, et en vue d’une certaine fin directrice. Et, de même que ce qui ne connaît pas est irrationnel par rapport à la raison qui connaît, de la même manière ce qui produit au hasard et de manière non réglée est irrationnel par rapport à ce qui produit de manière réglée, déterminée et en vue de quelque chose. De même donc que c’est en vertu d’un tel principe producteur [35] [qui ne connaît pas] qu’adviennent les choses qui adviennent par nature, de même ces choses adviennent-elles aussi selon un modèle, non pas en ce sens que le modèle est connu et se donne d’avance à ce qui produit, mais en ce sens que c’est par son être même et non par le fait de faire un choix que le producteur rend semblable à lui ce qui advient, comme le sceau produit une empreinte. Aristote lui-même, dans le deuxième Livre [314] du traité Sur la génération et la corruption450, concède, en faisant référence à Empédocle, que la nature est un principe producteur. Mais comment, si le producteur n’a pas la connaissance, peut-il y avoir un ordre et une fin déterminée dans la production ? De fait les étants naturels ont une constitution telle que, même sans connaissance, par leur être même ils préservent dans leur génération l’ordre et l’enchaînement des choses [5] et aboutissent à une fin déterminée, comme on le voit avec le mouvement des automates. Mais, si les étants naturels ne sont pas tels qu’ils sont par hasard – ce qui serait absurde –, ou bien ils tiennent d’eux-mêmes le fait d’avoir une telle existence, ou bien ils tiennent celle-ci de quelque chose d’autre. Quoi qu’il en soit, c’est nécessairement en étant connue que l’existence des étants naturels est advenue telle qu’elle est. Car ce qui a proportionné sa puissance relativement aux choses qui adviennent produisait cela en connaissant les deux451. C’est pourquoi il est bien [10] de dire que la nature est plutôt cause accessoire tandis que sont causes prochaines de la génération et de la corruption les mouvements des corps célestes, dont les choses d’ici-bas subissent l’influence ; que sont des causes plus élevées les raisons psychiques de [ces] mouvements, et plus haut encore, les Formes intellectives ; et que c’est à partir de ces Formes premières que tous les étants reçoivent en eux, selon leur aptitude à recevoir, une illumination des Formes452.
[III. Sont modèles au sens propre les Formes dans l’Intellect : 314.15-24]
151[15] Peut-être aussi qu’Aristote appelle la forme engagée dans la matière « modèle » dans l’idée que la forme est le but de la nature et que c’est en tendant vers ce but non pas sous le mode de la connaissance mais sous le mode de l’essence que la nature produit toutes choses ; peut-être aussi dans l’idée que la forme est modèle dans la production technique, s’il est vrai qu’il ne veut pas que les êtres naturels adviennent d’après un modèle, tandis qu’il dit que les choses fabriquées ont besoin d’un modèle. Il a plus haut insisté sur l’idée que l’art imite la nature [20] et maintenant c’est à bon droit qu’il nous rappelle que la forme naturelle est le modèle de l’art. Et, si l’Intellect est la cause à proprement parler productrice, lui qui, en vertu des Formes qui sont en lui, rend semblables à ces Formes les choses qui adviennent, alors à l’évidence seront modèles au sens propre du terme les Formes dans l’Intellect. Voilà qui suffit sur ce point. Il a appelé la définition « énoncé de la quiddité » ; la définition fait voir la forme.
[25] Et les genres de celle-ci (par exemple, pour l’octave c’est le rapport de deux à un, et, d’une manière générale, le nombre), ainsi que les parties qui sont dans cet énoncé (Aristote, Physique II, 3, 194b27-29).
152Dans le cas de la cause matérielle Aristote a dit qu’était cause non seulement la matière prochaine mais aussi les genres de celle-ci ; il fait de même avec la cause formelle. Puisque l’accord d’« octave » se trouve dans « le rapport de deux à un », l’octave est une espèce du double, [30] espèce dont le genre est le double. Et le nombre est le genre de ce rapport [qu’est le double]. Et ces genres, dit-il, seront causes formelles en tant qu’ils sont impliqués dans l’espèce. De la même manière les parties impliquées dans la définition de l’espèce seront-elles aussi causes formelles en tant qu’elles sont constitutives de l’espèce. Si en effet l’énoncé « vivant rationnel mortel » est cause, en tant que forme, de l’homme, alors chacune des parties dans la définition [35] sera cause accessoire sous le même mode de causalité qui est celui [315] du tout de la définition, c’est-à-dire sous le mode de la cause formelle. C’est à bon droit qu’Aristote a dit « les parties qui sont dans l’énoncé » et non pas « les parties qui sont dans la forme », puisque chacune des parties de l’énoncé est coextensif au tout de la forme453.
De plus [est cause] le principe premier d’où part le changement ou la mise en repos454, par exemple celui qui a décidé est cause [d’une décision], le père est cause de l’enfant, et d’une manière générale le producteur est cause de ce qui est produit et ce qui produit le changement [est cause] de ce qui est changé (Aristote, Physique II, 3, 194b29-32).
[I. Troisième cause : la cause efficiente. La nature et les instruments ne sont pas causes efficientes au sens propre du terme : 315.6-18]
153Il livre comme troisième des causes la cause efficiente. Ce que nous voyons en premier c’est en effet la chose qui advient et ses éléments455, et quand on a découvert que cette chose est produite nous recherchons la cause efficiente elle-même, puis la cause en vue de laquelle ce qui produit et ce qui advient. Aristote appelle ce qui produit [10] « le principe premier d’où part le changement ou la mise en repos » parce qu’il veut que la cause efficiente à proprement parler soit séparée de la chose qui advient et transcende celle-ci456. Car la cause immanente, comme la forme ou nature du principe formel, est contenue [dans ce qui est produit]. Et il faut rappeler qu’ici Alexandre est d’accord pour dire que la nature n’est pas cause efficiente au sens propre du terme, qu’elle est plutôt cause formelle du fait qu’elle ne vient pas au premier rang parmi les causes efficientes. [15] Les instruments aussi semblent être causes du mouvement, mais eux non plus ne sont au sens propre du terme causes efficientes puisque ce n’est pas eux en premier qui meuvent mais ils meuvent en étant eux-mêmes mus. Et il faut se souvenir qu’Alexandre accorde que l’instrument lui aussi est d’une certaine manière cause ; il n’est pas à proprement parler cause efficiente, mais il est cause instrumentale.
[II. Explication de « ou la mise en repos… de ce qui est changé » : 315.19-28]
154Et puisque parmi les choses qui adviennent les unes adviennent en étant mues, les autres en étant arrêtées, [20] et ce qui meut les choses mues et ce qui arrête les choses qui s’arrêtent seront causes efficientes457, le premier du mouvement, le second de l’arrêt. Aussi, après avoir dit « le principe premier d’où part le changement » il ajoute « ou la mise au repos »458. Si bien que « celui qui a décidé » quelque chose de bien ou de mal sera plus cause efficiente à proprement parler que l’exécutant. Car le commencement premier procède du décideur. Et ici aussi il ajoute les causes génériques, [25] comme dans le cas de la cause matérielle et celui de la cause formelle. « Le père » et « l’enfant » se rangent sous les genres respectifs du « producteur » et de « ce qui est produit » et ces genres sous ceux de « ce qui produit le changement » et de « ce qui est changé ». La production semble en effet être substantielle459, tandis que le changement se dit aussi dans le cas du mouvement d’autres choses.
De plus, [on parle de cause] comme de la fin, c’est-à-dire du ce en vue de quoi ; par exemple la santé est cause de la promenade ; pourquoi en effet se promène-t-il ? C’est, disons-nous, pour être en bonne santé, et, par cette réponse, nous pensons avoir donné la cause. De même pour toutes les choses qui, alors que quelque chose d’autre est moteur, sont intermédiaires [entre ce moteur] et la fin, [nous leur assignons aussi une cause finale] ; par exemple, pour la santé, l’amaigrissement, la purgation, les remèdes, les instruments ; car toutes ces choses sont en vue de la fin, mais elles diffèrent entre elles en ce que les unes sont des actions, les autres, des instruments (Aristote, Physique II, 3, 194b32-195a3).
[I. Quatrième cause : la cause finale : 315.30-316.8]
155 [30] Aristote ajoute comme quatrième cause la cause finale. C’est elle que nous donnons quand nous répondons à la question : en vue de quoi advient ce qui advient ? En effet, à la question « pourquoi se promène-t-il ? c’est, disons-nous, pour être en bonne santé » ; et « par cette réponse, nous pensons avoir donné la cause », suffisamment (car la cause de la promenade ou de la prise d’un médicament, c’est la santé), sans prendre le mot « cause » en aucun des sens qui viennent d’être mentionnés, [35] mais parce qu’on se promène ou prend un médicament en vue de la santé. Parce qu’il [316] n’a évoqué qu’un seul exemple, à savoir la promenade, dont la cause comme fin est la santé, il a ajouté que se rapportent aussi à la fin et sont en vue d’elle toutes les choses qui sont « intermédiaires » entre la cause efficiente et la fin, par exemple entre le médecin et la santé : le médicament, la prise du médicament, « la purgation, l’amaigrissement ». Ces choses se rapportent à une fin [5] et adviennent en vue de celle-ci. Elles diffèrent entre elles du fait que certaines, la marche, la purgation, sont des actions, tandis que d’autres, les remèdes, les scalpels, sont des « instruments » ; la cause finale de tout cela sera la santé460.
[II. Les causes intermédiaires entre la cause efficiente et la cause finale ne sont pas des causes efficientes, comme le pense Alexandre, mais des causes instrumentales : 316.8-20]
156Aux dires d’Alexandre « ce sont des causes efficientes de la santé »461. Mais peut-être vaut-il mieux dire que ce sont des causes instrumentales. [10] Lui-même en effet reconnaît que les causes du mouvement qui ne sont pas premières sont causes instrumentales, et non causes efficientes au sens propre. Et ici la cause première du mouvement, dans le cas de la santé, c’est le médecin. Les choses intermédiaires [entre lui et la santé] ne sont pas causes premières [du mouvement]. Sont causes de la santé l’art médical462 et les choses intermédiaires, l’une comme cause efficiente, les autres, comme instruments. Et la cause finale de l’art médical et des choses intermédiaires, c’est la santé. [15] Ces causes [intermédiaires] peuvent même être dites causes matérielles de la santé. Et Alexandre, je pense, les a appelées « causes efficientes » en référence à ce qu’Aristote avance un peu plus loin, là où il dit que l’effort est cause efficiente du bon état physique. Et ces choses sont dites « saines » parce qu’une relation d’ordre les lie entre elles, « et par là », nous dit Alexandre, « Aristote nous a indiqué l’homonymie463 des choses saines : pour toutes ces choses la santé est cause, [20] en tant que fin, d’être de cette nature464 ».
Tel est donc, sans doute, le nombre de manières dont les causes se disent (Aristote, Physique II, 3, 195a3).
[I. Hiérarchie des causes. Matière et forme comme constituants des êtres naturels : 316.22-317.6]
157« Sans doute » est ajouté (i) soit parce que tel est le nombre de manières dont les causes au sens propre sont dites, tandis que les causes par accident sont nombreuses, comme il le dira, (ii) soit par précaution, parce que Platon compte aussi au nombre des causes au sens propre, [25] avec les causes efficiente et finale, la cause paradigmatique, et au nombre des causes accessoires, avec les causes matérielle et formelle, la cause instrumentale465. Et si c’est bien là ce qu’englobe la hiérarchie des causes, dans laquelle les unes sont par nature premières et causes au sens propre, à savoir les causes efficiente et finale, les autres, plutôt causes accessoires, comme le sont la matière et la forme, il est logique que les causes fassent partie des choses qui se disent en plusieurs sens, mais non des choses qui résultent de la division d’un genre466.
158[30] Mais qu’il y ait autant de sortes de causes, ni plus ni moins, on pourra vraisemblablement le déduire aussi par division, si l’on admet seulement que sont causes ces réalités par lesquelles ce qui est tel qu’il est et ce qui devient tel qu’il devient, c’est-à-dire les choses que nous donnons en réponse à la question : « pourquoi ? »467. Or les étants naturels, qui sont composés de matière et de forme, sont ou deviennent précisément ce qu’ils sont ou deviennent soit par les choses qui les constituent, [35] soit par les choses qui de quelque façon les font participer à un caractère commun qui leur est conféré de l’extérieur. Ce qui les [317] constitue, c’est la matière et la forme. Et c’est à cause de ces constituants que ces étants sont engagés dans une matière et naturels. Et si on nous demande : pourquoi les réalités d’ici-bas sont étendues, alors que les réalités intelligibles sont inétendues ? Nous répondons : parce que les réalités d’ici-bas sont engagées dans une matière. Et pourquoi le Ciel a-t-il un mouvement aussi aisé ? Parce que, étant sphérique, il se meut, aux dires de Platon, « sur un pivot extrêmement petit » (Politique 270a8s.). [5] Ce sont là les causes qu’on assigne du point de vue de la matière et de la forme, auxquelles se ramènent toutes les choses constitutives, en tant qu’éléments, d’un composé.
[II. Hiérarchie des causes efficientes : Intellect et Âme. La Nature est cause instrumentale : 317.6-28]
159Mais puisque tous les étants naturels sont, pour Aristote aussi, des choses qui viennent à l’être, que tout ce qui vient à l’être a une cause de sa génération468, il faut qu’il existe un agent c’est-à-dire une cause efficiente de ce qui vient à l’être, à partir de laquelle procède le premier principe du mouvement. Mais double est [10] le principe du mouvement : l’un est auto-mobile, l’autre immobile ; car à l’évidence ce qui est hétéro-mobile ne sera pas principe du mouvement puisque « hétéro-mobile » implique qu’il y a une chose qui est antérieure à une autre. L’auto-mobile sera principe du mouvement en ce sens qu’il possède en lui-même le moteur, mais il ne sera pas au sens propre principe du mouvement parce que lui-même469 est aussi mû. Le principe au sens propre du mouvement veut être moteur et non pas mû, [15] si bien que sera au sens la plus propre cause efficiente des choses qui deviennent ce qui est immobile, éternel, toujours identique et semblable à soi-même. Or tel est l’Intellect tant honoré470. Après Lui vient l’Âme ; car même si celle-ci est mue, c’est en elle-même qu’elle possède le moteur ; c’est pourquoi aussi Aristote veut l’appeler plutôt « immobile »471 en jugeant que seules sont mues les choses qui changent sous le mode corporel. [20] Et puisque parmi les étants naturels ceux qui viennent à l’être et périssent viennent à l’être en vertu de l’action de causes prochaines sempiternelles et se mouvant circulairement (« car c’est l’homme qui engendre l’homme, et aussi le soleil »472), il est évident que ce n’est pas en s’approchant directement de ce qui vient à l’être et périt que la cause productrice au sens propre produit, mais qu’elle le fait par l’intermédiaire des réalités sempiternelles473. Et c’est ainsi que s’est montrée clairement à nous la cause instrumentale, qui précisément à la fois est mue par une autre chose et meut une autre chose. [25] Et c’est ce qui se voit clairement dans le cas de la production d’artefacts. La hache est en effet cause accessoire parce qu’elle meut en étant mue. Et telle est aussi la nature, que ce soit la nature universelle ou la nature partielle, comme Alexandre en convient quand il fait remarquer à juste titre que la cause efficiente proprement dite doit être séparée et transcendante474.
[III. Les causes des étants naturels : matière et forme, cause efficiente cause paradigmatique, cause finale, cause instrumentale : 317.28-318.25]
160Ensuite, puisque la forme qui est naturelle et qui advient à l’être est la participation d’une forme dans une matière, et que toute [30] participation est la similitude d’une forme participée, forme participée à partir de laquelle et en référence à laquelle475 le participant s’assimile [à la forme participée], il faut nécessairement qu’il existe aussi une cause paradigmatique des formes engagées dans une matière. Quant à l’agent, il produit ou bien au hasard et comme cela se présente, ou bien il a en vue un but directeur. Et il est établi une fin de la production, fin en vue de laquelle et ce qui produit et ce qui vient à l’être advient. Mais si la cause productrice première et au sens propre du terme [35] produit au hasard et comme cela se présente, quel agent produira en vue du bien ? [318] Il faut donc que le producteur premier produise en vue de quelque chose et qu’il ait comme but la cause finale. Et c’est ainsi que pour nous la cause finale se révèle à partir du producteur premier, qui est visé comme désirable par les autres causes productrices. Et que ce soit bien là les causes des choses qui viennent à l’être, c’est évident. Que ce soit les seules causes, [5] voilà ce qu’il faut examiner en procédant par division. En effet ce qui vient à l’être, ce que nous appelons étant naturel et composé, à la fois est un certain substrat et est dans un substrat476, et il n’est rien en dehors de ces choses, et ou bien il est cause de soi, ou bien il tient son être d’une cause extrinsèque. S’il est impossible que ce qui vient à l’être dans une partie du temps, et qui et corporel et étendu, soit cause de soi, il y a une cause efficiente extrinsèque ; laquelle est soit mue, soit [10] immobile. Si elle est mue, c’est ou bien par elle-même, ou bien par un autre. Mais ce qui est mû par un autre n’est pas premier moteur ; quant à ce qui est mû par soi, ou bien il y a quelque chose qui meut et quelque chose qui est mû, ou bien c’est dans son intégralité qu’il se meut lui-même et est mû, comme le fait l’Âme selon Platon. Cela est bien principe de mouvement et de génération, mais ce principe n’est pas indéfectible en tant qu’il est mû et il n’est pas parfaitement principiel en tant qu’il se dédouble [15] en moteur et en mû. C’est donc en premier lieu ce qui est immobile qui est au sens propre du terme producteur et moteur en étant éternel477. Mais ce qui vient à l’être et qui est mû à un moment du temps ne peut venir à l’être ni être mû directement par le principe éternel et immobile (car ce Principe est producteur et moteur de réalités sempiternelles)478 ; mais ce qui est mû sempiternellement par ce Principe est, en vertu de ses différentes dispositions, [20] la cause instrumentale de ce qui vient à l’être et qui est mû à un moment du temps, parce que c’est en étant mû qu’il meut. Et si la forme engagée dans une matière est soit première, soit dérive de ce qui est premier et existe en référence à ce premier, mais qu’aucune des formes engagées dans une matière n’est première parce qu’elles sont des participations, alors il existe quelque chose de premier auquel ces formes dans une matière sont rendues semblables. Et si le producteur au sens propre produit ou bien au hasard, comme cela se présente, ou bien en ayant en vue un but déterminé, et s’il est impossible que ce soit par hasard, nécessairement il y a toujours une fin c’est-à-dire le ce en vue de quoi [25].
Mais il arrive aussi, du fait que les causes se disent de plusieurs manières, qu’il y ait plusieurs causes d’une même chose, et cela non par accident (par exemple pour la statue, l’art de la sculpture et l’airain, et cela non pas sous un autre rapport, mais en tant que statue, non selon la même modalité, mais l’un est cause comme matière, l’autre comme ce d’où part le mouvement). D’autre part certaines choses sont causes les unes des autres (par exemple l’effort est cause du bon état physique et celui-ci de l’effort, non selon la même modalité, mais l’un comme but, l’autre comme principe du mouvement). De plus, la même chose peut être cause de contraires, car ce qui, en étant présent, est cause de ceci, aussi quand il est absent nous en faisons parfois la cause du contraire, par exemple l’absence du timonier est cause du naufrage du navire, lui dont la présence aurait été cause de salut (Aristote, Physique II, 3, 195a4-14).
161Aristote a livré les différentes causes et, afin que l’on n’aille pas penser qu’il s’agit de causes différentes de choses différentes (par exemple une cause matérielle pour telle chose et une cause formelle ou efficiente pour une autre chose), [30] il fait alors très bien remarquer que, en conséquence de ce qui a été dit, « il arrive qu’il y ait plusieurs causes d’une même chose » ; et après avoir dit qu’« il arrive » cela, il ajoute, pour que nous ne nous mettions pas dans l’esprit qu’il en va tantôt ainsi tantôt autrement, « et cela non par accident » mais en tant que ce qui advient est tel qu’il est ; car en tant que [ce qui advient] est naturel ou fabriqué, il a une matière, une forme, une cause efficiente et une cause finale. Au lieu de dire « non par accident mais par soi » il a dit « cela non pas sous [35] un autre rapport, mais en tant que statue » ; [319] car si c’est par soi, alors à l’évidence ce n’est pas par accident, puisque nécessairement c’est l’un ou l’autre. Il a ajouté aussi que ce sont là les causes non seulement de ce qui advient mais que sont aussi causes l’une de l’autre les causes efficiente et finale. Car « l’effort » est cause « du bon état physique » en tant que cause efficiente, [5] et le bon état physique cause de l’effort en tant que cause finale, puisque c’est en vue de celui-ci qu’est l’effort (mais peut-être que le bon état physique est aussi cause efficiente de l’effort, car celui qui est en bon état physique peut produire un effort et agir). Et après avoir dit que toutes ces causes sont causes d’une même chose et causes les unes des autres, il ajoute que « la même chose peut être cause des contraires », non pas de la même manière mais de manière différente ; « car ce qui est présent » peut être « cause de salut », [10] comme le pilote présent est cause du salut pour le navire, « mais s’il479 est absent, c’est une cause de naufrage ». Et il est évident que s’il y a présence on a une cause par soi, s’il y a absence une cause par accident. C’est de la même manière que dans le premier Livre480 il avait dit que la forme est par sa présence ou son absence cause de génération ou de corruption.
Toutes les causes dont il a été question tombent sous quatre modalités très manifestes. En effet, les lettres pour les syllabes, la matière pour les objets fabriqués, le feu et autres éléments de ce genre pour les corps, les parties pour la totalité, les hypothèses481 pour la conclusion sont causes comme le « ce de quoi » (τὸ ἐξ οὗ) [les choses sont constituées] ; parmi ces choses482, les unes sont causes comme substrat (par exemple les parties), les autres comme quiddité : le tout, le composé, la forme (Aristote, Physique II, 3, 195a15-21).
[I. Les différentes manières d’être cause matérielle : 319.16-320.11]
162Dans son exposé des causes et après avoir livré les genres des causes comme causes ainsi que les causes intermédiaires entre l’agent et ce qui advient ou la fin, c’est tout naturellement qu’Aristote dit en manière de récapitulation que « quatre » sont les « modalités » des causes, modalités auxquelles se ramène tout ce qui a été dit. Il se propose [20] d’énumérer brièvement celles-ci et prend d’abord la cause matérielle ; il veut par des exemples montrer et exposer clairement les différentes causes matérielles ; pour être plus clair il prend aussi les choses qui ont un substrat et dit : « en effet, les lettres pour les syllabes, la matière pour les objets fabriqués » et la suite. Dans ces choses sont, d’une part, substrats les lettres, la matière [25] des artefacts – comme le bois, ou la cire ou l’huile pour les remèdes –, le feu, la terre et les autres éléments, les parties, les hypothèses. D’autre part, sont formes les syllabes et le siège, ou encore le remède, l’animal, le tout, la conclusion. Après avoir ainsi coordonné les formes aux substrats il ajoute à juste titre : « parmi ces choses, les unes sont causes comme substrat (par exemple les parties), les autres comme forme ». [30] Et de la même manière il en vient à ajouter les causes efficiente et finale. Mais il livre aussi les différences entre les substrats, dans la mesure où c’est d’une manière que la matière au sens propre du terme est un substrat pour les choses qui sont faites d’elle et qu’adviennent à partir d’elle483 les choses qui adviennent, et c’est d’une autre manière que sont substrat les lettres pour les syllabes, les parties pour le tout ; d’une autre manière les prémisses [320] (qu’il a appelé « hypothèses ») pour la conclusion484. Comme Alexandre le dit : « la matière en effet reçoit la forme en vertu d’une altération, tandis que pour les lettres et les parties, c’est en vertu d’une composition (car la syllabe advient de lettres comme de parties) ; et pour ce qui est des corps premiers et simples, qui sont eux-mêmes aussi appelés « éléments »485 des corps qui sont composés d’eux, [5] comme la terre, l’eau, l’air, le feu, c’est à la fois en vertu d’une composition et en vertu d’une altération que les corps sont produits à partir d’eux. Mais tous ces composants486 deviennent causes inhérentes à ce qui est fait d’eux ; tandis que les prémisses n’existent pas dans la conclusion ; elles sont plutôt productrices de celle-ci, mais elles sont dans le syllogisme tout entier et en lui elles jouent le rôle de matière, tandis que la conclusion joue le rôle [10] de forme »487. Mais peut-être que d’une certaine manière sont dans la conclusion aussi les prémisses et que prémisses et conclusion ne font qu’un.
[II. Les différentes espèces de cause formelle. Divergence de conceptions du composé entre Platoniciens et Aristotéliciens : 320.12-36]
163C’est là une modalité des causes, laquelle est, comme il a été montré, diverse. Une autre modalité est la cause « comme quiddité c’est-à-dire comme forme ». Sont causes de ce type, qu’il a introduites avec les causes matérielles : (i) « le tout », non pas le tout avec les parties, mais celui qui survient aux parties488 ; [15] est aussi cause de ce type (ii) « la composition » ; car celle-ci, étant différente des entités composées489, survient à celles-ci comme forme : ainsi la syllabe survient-elle aux lettres du mot, et aux éléments des corps survient la forme par composition, par exemple la forme de l’homme ou celle du figuier. Et à l’évidence l’appellation « forme » convient à tous ces cas. Mais elle est plus appropriée dans le cas de réalités qui ont une matière proprement dite sous-jacente.
164Et [20] « Il faut se souvenir », dit Alexandre, « que c’est en vertu d’une altération que la matière reçoit la forme ». Aussi les Péripatéticiens disent-ils que le composé est fait de matière et de forme dans l’idée que ces composants se changent l’un en l’autre dans la genèse du composé. Mais les Platoniciens disent que la matière ne change pas en suivant ce qui est dit dans le Timée, là où Platon dit : [25] « On peut aussi faire le même raisonnement au sujet de la nature qui reçoit tous les corps. À elle également il convient de toujours donner le même nom. Car jamais non plus elle ne pourra sortir de sa nature »490. Et il est évident qu’elle ne s’altère pas non plus. Et c’est donc peut-être parce que les Platoniciens parlent de la matière première qui est sans qualité qu’ils n’accordent pas que celle-ci puisse s’altérer. C’est le qualifié en effet qui s’altère en ceci qu’il abandonne une qualité pour en recevoir une autre. [30] Mais le non-qualifié, comment pourrait-il s’altérer ? C’est pourquoi les Platoniciens disent que le composé n’est pas fait de matière et de forme dans l’idée que matière et forme ne se changent pas l’une en l’autre ; ils disent que le composé est une forme dans une matière. Les Péripatéticiens, eux, prennent la matière prochaine comme étant les quatre éléments, ou la semence, ou les menstrues, et ils disent tout naturellement que cette matière s’altère, et que [35] le composé est fait de matière et de forme, la matière se changeant en forme et la forme se matérialisant.
[321] Par contre, la semence, le médecin, celui qui a pris une décision et d’une manière générale ce qui produit, toutes [ces] choses (πάντα) sont causes comme ce dont vient le commencement du changement ou de l’immobilité (Aristote, Physique II, 3, 195a21-23)491.
[I. Les différentes manières d’être cause efficiente : 321.3-11]
165Aristote, en troisième lieu, prend en compte à nouveau la cause efficiente ; il apporte ici aussi des exemples grâce auxquels, je pense, il montre les différentes formes que peut présenter la cause efficiente, [5] comme il l’avait fait auparavant pour les causes matérielle et formelle. C’est d’une certaine manière en effet que « celui qui a pris une décision » produit, c’est d’une autre que « le médecin » produit, d’une autre encore « la semence ». Celui qui a pris une décision fournit en effet le principe de sa production sans toucher lui-même à son œuvre, tandis que le médecin c’est en œuvrant lui-même qu’il produit, et que la semence est d’une certaine manière un moyen terme entre la cause efficiente et la cause matérielle, s’il est vrai que c’est en se changeant elle-même et en devenant [quelque chose] [10] qu’en même temps elle produit492, tandis que le producteur au sens propre du terme doit transcender absolument ce qui advient493, comme Alexandre lui aussi l’accorde.
[II. Comment il faut construire πάντα : 321.11-13]
166Πάντα ne doit pas être construit avec « ce qui produit »494 ; il faut lire ce mot en le détachant dans la phrase et comprendre qu’il renvoie aux trois modalités de la cause productrice.
Il y a, par ailleurs, celles [qui sont causes] comme but, c’est-à-dire le bien, des autres choses ; en effet le ce en vue de quoi veut être chose excellente et le but des autres choses (ne faisons aucune différence entre dire que c’est un bien ou un bien apparent). Telles sont donc les causes et tel est leur nombre, [distinguées] par l’espèce (Aristote, Physique II, 3, 195a23-27).
[I. Aristote ajoute la cause finale. Rejet de la construction de « des autres choses » par Alexandre : 321.16-23]
167[16] En quatrième et dernier lieu il ajoute aux autres causes la cause finale en disant : « Il y a par ailleurs celles [qui sont causes]495 comme but, c’est-à-dire le bien, des autres choses ». Alexandre dit que l’enchaînement du texte est le suivant : « Il y a par ailleurs ce qui est cause comme but des autres choses, et le bien »496 – « des autres choses » [voulant dire] à l’évidence : des choses dont [cette cause] est le but497. Mais peut-être qu’il est bien de [20] faire de « des autres choses » un complément commun à « but » et « bien ». Car la cause finale, comme la santé par exemple, est le but des autres choses, à savoir celles que l’on fait en vue de celle-ci, par exemple marcher, prendre un remède, ou [autres] choses semblables, comme elle est aussi le bien de ces choses.
[II. Pourquoi le but, i.e. le ce en vue de quoi, est le bien : 321.23-322.6]
168Mais pourquoi le but, c’est-à-dire le ce en vue de quoi, est-il le bien ? [Aristote] le dit en ajoutant : « le ce en vue de quoi » est « chose excellente » ; car le ce en vue de quoi est [25] l’objet de notre désir qui fait que nous faisons les autres choses ; et le désirable est le bien ; et ce qui est davantage désirable est davantage but et davantage bien et chose excellente parmi les autres choses ; la santé est en effet le but de la gymnastique, le bonheur, but de la santé ; aussi le bonheur est-il but au sens propre du terme et chose excellente parmi les autres choses.
169[Aristote] a dit que le but c’est-à-dire le ce en vue de quoi est le bien ; et en effet il a dit au début de [30] l’Éthique à Nicomaque498 : « Tout art et toute investigation méthodique, et pareillement toute action et tout choix semblent tendre vers quelque bien » ; mais puisque le ce en vue de quoi nous faisons ce que nous faisons n’est pas nécessairement un bien véritable, [322] mais est nécessairement ce qui nous apparaît comme un bien (je veux dire par « ce qui nous apparaît comme un bien » ce qui nous semble être un bien, que ce soit le cas effectivement ou non), pour cette raison il ajoute : « ne faisons aucune différence entre dire que c’est un bien ou un bien apparent ». C’est ainsi en effet que le ce en vue de quoi a été dit être un bien au sens de bien apparent. Car ce ne sont pas les choses bonnes elles-mêmes qui nous meuvent – plût aux dieux que ce fût le cas – [5] ce sont nos opinions sur les choses bonnes. C’est pourquoi le plaisir semble être quelque chose de désirable et un but, non pas parce que c’est un bien (il ne serait pas alors dommageable), mais parce qu’il semble être un bien.
[III. Selon Eudème la cause finale n’a été reconnue que par une minorité : 322.6-15]
170Tel est donc le nombre des causes et Eudème499 dit que tous ont reconnu avant tout comme causes le substrat et le moteur, beaucoup compte aussi la forme, un petit nombre, et encore insignifiant, le ce en vue de quoi. Mais à nos yeux c’est là une cause dans la plupart des cas ; on voit bien en effet [10] qu’on la rencontre très fréquemment ; de fait presque toutes nos actions se font en vue de quelque chose c’est-à-dire en vue du bien. Si en effet un médecin provoque un jour une fièvre, qui est en soi une mauvaise chose, du moins, quand il la provoque c’est en tant que chose bonne. De la même manière, celui qui choisit un moindre mal pour échapper à de plus grands maux se ménage un bien, par exemple celui qui choisit la mort plutôt que d’autres maux. Certains en effet donnent dans ce genre d’arguments spécieux ; [15] mais peut-être qu’il vaut mieux – et que c’est plus facile aussi – les réfuter500.
Et les modalités501 des causes sont multiples en nombre, mais, quand on les résume, elles aussi sont en nombre plus petit. Elles sont en effet dites causes de plusieurs façons : même parmi celles qui sont de même espèce, l’une est antérieure, l’autre postérieure ; par exemple, pour la santé, le médecin et l’homme de l’art, pour l’octave, le double et le nombre, et dans tous les cas les causes englobantes par rapport aux causes particulières. En outre il y a la [cause] accidentelle et ses genres, par exemple d’une statue sont causes différemment Polyclète502 et un statuaire, parce que c’est un accident pour le statuaire d’être Polyclète ; il y a aussi ce qui englobe l’accident, par exemple si l’on disait que l’homme ou en général l’animal est cause de la statue. De plus, parmi les causes accidentelles les unes sont plus éloignées, les autres plus proches, par exemple si l’on disait que le blanc ou le cultivé sont causes de la statue (Aristote, Physique II, 3, 195a27-195b3).
[I. Les deux sens de τρόποι (« modalités ») : 322.18-22]
171Quand plus haut il disait : « Selon une modalité donc, on appelle cause ce dont une chose est faite et qui est immanent à cette chose » il appelait « modalités » les différences que présentent les causes premières les unes par rapport aux autres. [20] Maintenant il appelle « modalités » les différences qui se présentent en chacune des causes ; par exemple les différences qui se présentent en la seule cause matérielle, celles qui se présentent en la seule cause formelle, et aussi dans les autres causes ; ce sont là les différences qui se présentent dans « les causes d’une même espèce ».
[II. Les différences en chaque espèce de cause : par soi/par accident, antérieure/postérieure, proche/lointaine, englobante/englobée : 322.22-324.4]
172Et il dit que « les modalités » de chacune « des causes sont » aussi « multiples en nombre, mais qu’elles se résument » à six différences pour chaque cause503. De fait pour chaque espèce [25] de cause, comme la cause matérielle, ou la cause formelle, nous disons que la cause est en soi ou par accident. En outre on entend par cause « la cause antérieure et la cause postérieure », par exemple dans le cas de la cause productrice, il est possible pour une même chose produite, comme la santé, de poser qu’il y a des causes productrices antérieures et d’autres, postérieures, en prenant toutes ces causes comme causes en soi, par exemple le médecin et l’homme de l’art ; et pour ce qui concerne la cause formelle, la cause de l’accord « d’octave » [30] c’est « le double et le nombre », et, tout simplement : les « causes englobantes » et celles englobées. Ou bien les causes communes et les causes particulières sont partout, les causes prochaines étant antérieures, les causes éloignées, postérieures. Les causes particulières [323] sont partout plus proches, parce qu’elles ne sont plus communes comme le sont les causes englobantes elles-mêmes. Et dans le cas de la cause matérielle est cause plus proche ce bronze-ci, cause plus lointaine le bronze, ou l’eau, ou le corps ; dans le cas de la cause finale, est cause plus proche cette santé-ci, est cause plus lointaine et commune la santé, la disposition, la qualité. [5] Cette sorte de différence a été indiquée plus haut, quand il a dit : « et leurs genres »504.
173Aristote a donc étudié dans les causes dites par soi ces deux différences qui distinguent la cause particulière du genre et il expose les mêmes différences dans le cas des causes dites par accident en commençant par nous expliquer ce que sont les causes par accident. Car de la statue est cause par soi [10] le statuaire, est cause par accident Polyclète « parce que c’est un accident pour le statuaire d’être Polyclète ». Si bien que les accidents des causes par soi sont causes par accident, et les genres qui appartiennent par soi à l’accident deviennent eux aussi, en tant qu’ils appartiennent à la cause par accident, causes par accident ; Polyclète par exemple [15] est cause par accident de la statue ; or l’homme appartient par soi à Polyclète ; l’homme est donc cause par accident de la statue ; de même l’animal. Après avoir ainsi montré quelles sont les causes par accident il dit qu’elles se divisent en « celles qui sont plus proches et celles qui sont plus éloignées », de la même manière qu’il avait montré plus haut la même division pour les causes par soi. De fait [20] si sont causes par accident de la statue aussi bien Polyclète que « le blanc » et « le cultivé », Polyclète cependant est une cause plus proche, tandis que « le blanc » et « le cultivé » sont causes plus lointaines parce que ce sont des accidents de Polyclète.
174Il faut, je pense, remarquer que dans le cas de la cause par soi il considère que ce qui est cause plus éloignée [25] ou plus proche correspond aux causes englobantes ou englobées prises comme genres et espèces ; dans le cas de la cause par accident il reprend cette distinction505 quand il dit : « En outre il y a la [cause] accidentelle et ses genres » (et ici il rapporte ces genres à l’accident), mais c’est autrement qu’il prend ce qui est plus éloigné ou plus proche dans les causes par accident et dans ce qui appartient à l’accident lui-même. Le « blanc » et le [30] « cultivé » sont effet causes plus éloignées de la statue parce que être blanc est un accident pour Polyclète qui est la cause par accident la plus proche506.
175Il y a donc ces deux paires de différences507 (l’une dans les causes par soi, l’autre dans les causes par accident). Aristote en ajoute un peu plus loin508 une troisième en disant lui-même qu’elle constitue une distinction intermédiaire ; il s’agit de celle en vertu de laquelle les causes par soi et les causes par accident sont dites [35] ou bien comme étant séparées les unes des autres, quand je dis parfois que la cause de la statue c’est le statuaire, et parfois que c’est Polyclète ; ou bien [324] comme étant combinées509, quand je dis que la cause de la statue ce n’est pas seulement Polyclète, ni seulement le statuaire, mais le statuaire Polyclète. Que cette troisième paire de différences soit ajoutée aux deux précédentes, c’est ce qu’Aristote lui-même montre un peu plus loin quand il donne ces trois à la suite.
[5] D’autre part toutes les causes, soit proprement dites, soit par accident, sont dites tantôt comme étant en puissance510, tantôt comme étant en acte, par exemple pour la construction d’une maison, le constructeur et le constructeur en train de construire511 (Aristote, Physique II, 3, 195b3-6).
176Aristote ajoute une différence commune à toutes les causes mentionnées, aussi bien les causes par soi que les causes par accident, et aussi bien celles séparées les unes des autres que celles combinées, à savoir la différence entre causes en puissance ou en acte, et donc puisqu’il y avait six [10] différences qui se redoublent maintenant en fonction de la distinction entre la puissance et l’acte, on obtient un total de douze différences. C’est là le nombre auquel il arrive clairement, là où il dit512 : « toutes ces choses, pourtant, sont au nombre de six, dite chacune de deux manières ». Et il ajoute ce que sont les six causes différentes513 : (i) « soit, en effet, comme le particulier », à l’évidence cause par soi, « soit comme le genre » de ce particulier, et ensuite, (ii) « soit comme l’accident », à l’évidence cause particulière, [15] « soit comme le genre de l’accident », et (iii) en prenant ceux-ci « soit comme combinés soit comme isolés » ; « et toutes ces choses » s’entendent en deux sens, « soit en étant en acte soit en étant en puissance ». « De la construction d’une maison le constructeur » est en effet cause productrice en puissance, même s’il ne construit pas514, tandis qu’est cause productrice en acte « le constructeur en train de construire ».
[20] On fera les mêmes remarques que précédemment dans le cas des choses dont les causes sont causes, par exemple de cette statue, ou d’une statue, ou d’une image en général, et de cet airain, ou de l’airain, ou en général d’une matière. De même pour les accidents. De plus, les causes et les choses causées seront dites en combinaison515, par exemple on dira non pas que Polyclète516, ni que le statuaire, mais que le statuaire Polyclète est cause de la statue. Toutes ces choses, pourtant, sont au nombre de six, dite chacune de deux manières ; (i) soit, en effet, comme le particulier, soit comme le genre, (ii) soit comme l’accident soit comme genre de l’accident, (iii) soit comme combinés soit comme isolés. D’autre part, toutes sont dites selon l’acte et selon la puissance (Aristote, Physique II, 3, 195b6-16)517.
[I. Les mêmes différences se retrouvent et dans les causes et dans les causés : 324.22-325.9]
177La suite du texte « on fera les mêmes remarques que précédemment dans le cas des choses dont les causes sont causes » renvoie aux choses causées. C’est d’elles en effet que les causes sont causes. Et il dit donc que, dans le cas de ces choses, il existe les mêmes différences [25] que celles qui existent dans le cas des causes. Parmi ces choses causées, les unes sont plus proches, les autres, plus lointaines, les unes sont par soi, les autres, par accident ; par exemple est chose causée prochaine cette statue-ci de Milon518, tandis que la statue tout court est chose causée plus lointaine, et plus éloignée encore que la statue tout court est l’image. Et l’airain (non pas en tant que cause matérielle, mais en tant que chose causée par le métallurgiste) [30] est lui aussi d’une part chose causée prochaine en tant que cet airain-ci, et, d’autre part, cause causée plus lointaine en tant qu’airain, ou corps, ou matière tout court. « Il en va de même » dit-il « pour les accidents » des choses causées. Car les accidents des choses causées sont eux aussi choses causées par accident, et là aussi, de la même manière, certaines de ces choses causées par accident [325] sont choses causées plus proches, d’autres, plus lointaines. Sont choses causées par accident plus proches les accidents appartenant aux choses causées en soi plus proches, c’est-à-dire appartenant aux particuliers, et sont choses causées par accident plus lointaines les genres ou espèces de ces particuliers. [5] Ce rouge-ci en effet, si l’airain qui advient a cette couleur, est chose causée par accident prochaine, tandis qu’est chose causée par accident plus lointaine le rouge et plus généralement la couleur. Et les choses causées, comme les causes, seront dites non seulement comme isolées, mais aussi comme combinées. Après avoir en effet exposé les différences entre les causes et les choses causées, il ajoute : « De plus, les premières et aussi les secondes seront dites en combinaison », c’est-à-dire les choses causées [seront dites en combinaison] et les causes [également]519.
[II. Les différentes combinaisons possibles dans les causes et dans les causés : 325.10-26]
178[10] J’ai mentionné les six différences que présentent les causes et de la même manière j’ai donné les différences que présentent dans le même nombre les choses causées dans l’ordre suivi par Aristote dans la suite. Lui, il donne d’abord les différences entre cause par soi et cause par accident, cause en puissance et cause en acte, et il considère les mêmes différences dans les choses causées ; [15] puis il ajoute comme différence commune aux causes et aux choses causées celle entre ce qui est avec ou sans combinaison. Et après avoir ainsi dénombré six modes dans le cas des causes et des choses causées, il applique à toutes la distinction entre la puissance et l’acte (195b16). Et quand on combine, on peut combiner le par soi avec le par soi, l’accident avec l’accident, ou le par soi avec l’accident, et de ces termes on peut combiner le proche avec le proche, ou [20] l’éloigné avec l’éloigné, ou inversement520. Mais lui, il a, semble-t-il, pris comme combinaison seulement celle du par soi avec l’accident, comme quand on dit : « le statuaire Polyclète ». La cause par soi qu’est le sculpteur est en effet combinée à la cause par accident, Polyclète. Polyclète est ce sculpteur que mentionne aussi Galien521, et qui [25] a fait une statue dont les membres sont parfaitement proportionnés à la fois en eux-mêmes et les uns par rapport aux autres, si bien que pour cette raison on l’appelle « le canon de Polyclète ».
Et elles diffèrent dans la mesure où les causes en acte522 et particulières sont et ne sont pas en même temps que sont et ne sont pas les choses dont elles sont causes, par exemple ce médecin en train de guérir et ce malade en train d’être guéri, ce constructeur construisant et cette maison en train d’être construite ; pour les [causes et les causés] en puissance523, ce n’est pas toujours le cas ; la maison et le constructeur ne disparaissent pas simultanément (Aristote, Physique II, 3, 195b16-21).
[I. La concomitance, nécessaire dans le cas de la cause et du causé en acte, ne se vérifie pas toujours dans le cas de la cause et du causé en puissance : 325.29-326.7]
179Aristote a dit que les six modes dans les causes et les causés se divisent eux-mêmes chacun en deux selon la puissance et l’acte. [30] Il livre maintenant cette différence entre la puissance et l’acte et dit que les causes et les causés qui sont en acte « sont et ne sont pas en même temps ». Il dit « les causes en acte » et ajoute « et particulières », non pas dans l’idée que les causes particulières sont autres que les causes en acte, mais parce que les causes en acte sont les causes particulières. Ce sont en effet les particuliers qui agissent, exercent ou subissent une action, et non pas les espèces ou genres dont ils relèvent. Car aucun [35] des communs de ce type n’existe en soi, tandis que les [causes et causés] particuliers en acte [326] existent « en même temps », par exemple « ce constructeur en train de construire », tant qu’il construit, existe en même temps que « la maison en train d’être construite ». Mais « les [causes et les causés] en puissance [sont et ne sont pas] en même temps toujours ». Et Aristote en a donné une preuve lumineuse dans le fait que le constructeur et la maison ne disparaissent pas en même temps524. La maison en effet dure d’ordinaire plus longtemps que le constructeur. [5] Mais quand quelqu’un est en train de construire, nécessairement il y a quelque chose qui est en train d’être construit, et quand quelque chose est en train d’être construit, nécessairement il y a quelqu’un qui est en train de construire ; et quand il n’y a pas quelqu’un en train de construire, il n’y a pas quelque chose qui est en train d’être construit, et quand il n’y a pas quelque chose qui est en train d’être construit, il n’y a pas quelqu’un qui est en train de construire ; si bien que c’est en même temps que constructeur et construction sont ou ne sont pas.
[II. « En puissance » signifie ici non pas « qui peut devenir », mais « qui n’est pas en acte, mais peut l’être » : 326.7-12]
180Et quand Aristote dit ici « en puissance »525 il ne parle pas de ce qui peut devenir [quelque chose]526 ; car pour ce qui est déjà devenu il n’est plus possible de devenir (c’est le cas pour le constructeur qui a construit et pour la maison qui a été construite) ; [10] il veut dire tout simplement ce qui s’oppose à ce qui est en acte ; et cela, c’est ce qui n’est pas en acte ; or n’est pas en acte ce qui peut être en acte c’est-à-dire ce qui a cessé son activité527.
Mais il faut toujours chercher la cause la plus élevée528, comme on le fait aussi ailleurs ; un homme par exemple construit parce qu’il est constructeur, mais il est constructeur en vertu de l’art de la construction ; c’est bien cela la cause antérieure, et de même dans tous les autres cas529. De plus, les genres [sont causes] des genres et les particuliers des particuliers ; par exemple, un statuaire [est cause] d’une statue, ce statuaire-ci, de cette statue-ci. Et les causes en puissance sont causes des possibles, les causes en acte, causes des choses actualisés530. Tenons donc pour suffisantes ces déterminations du nombre des causes et des modalités sous lesquelles elles se présentent (Aristote, Physique II, 3, 195b21-30).
[I. Explication de « la cause la plus élevée ». La nature n’est pas cause efficiente au sens propre : 326.15-30]
181[15] Par « cause la plus élevée » Aristote entend celle qu’on appelle cause au sens le plus strict du terme, celles que d’autres appellent la cause sustentatrice531. L’exemple qu’il prend le montre clairement. Quand on demande ce qui fait qu’« un homme construit », on a cette réponse : « parce qu’il est constructeur » ; et qu’est-ce qui fait qu’il est constructeur ? « L’art de la construction » ; et c’est sur cette cause que s’arrête la recherche du pourquoi ; aussi appelle-t-il cette cause « la plus élevée », parce qu’[20] une fois remonté à elle on ne va pas plus loin ; la cause la plus élevée du fait qu’il y a construction, c’est l’art de la construction. Et de même que dans tous les autres cas nous entendons ce qu’on nous dit en le prenant au sens propre, de même faisons-nous dans le cas des causes ; quand on nous dit « drachme », on entend drachme au sens propre, et non pas une fausse drachme, et quand on nous dit « homme », on entend l’homme au sens propre, et non pas un cadavre. C’est de la même manière qu’il faut prendre « cause » au sens propre.
182[25] Celui qui dit cela ne pourra soutenir que la nature est au sens propre cause productrice des corps532. Car même si elle meut les corps, c’est en étant mue qu’elle meut533 ; il existe donc une chose qui la meut, et si cette chose est elle-même mue nous chercherons ce qui la meut, parce que tout ce qui est mû est mû par un moteur, comme Aristote l’a démontré lui-même dans le Livre sept de son traité534. Mais si cette chose est non mue, [30] elle sera la cause la plus élevée et cause au sens propre du mouvement.
[II. Explication de « De plus, les genres [sont causes] des genres… les causes en acte, causes des choses actualisés » : 326.30-34]
183Aristote ajoute qu’il faut dire que « les genres sont causes des genres » et qu’il y a une correspondance entre les uns et les autres, et que « les particuliers sont causes des particuliers, par exemple un statuaire est cause d’une statue, ce statuaire-ci de cette statue-ci ». De même « les causes en puissances [sont causes] relativement aux causés en puissance, [35] et les causes en acte [sont causes] relativement aux [causés] en acte ».
[III. Alexandre sur le sens de « en puissance » et la résolution de l’aporie de la coquille invisible au fond de la mer : 326.34-327.6]
184Alexandre fait ici cette remarque : si on faisait la cause en puissance cause de l’effet en puissance535, [327] alors la science [en puissance] aurait simultanéité d’existence avec son objet et la sensation avec le sien, puisque ces choses-là aussi sont des relatifs – si du moins on disait « en puissance » pour parler de ce qui peut devenir, et non pas simplement pour parler de ce qui n’est pas en acte – comme [Aristote] le fait lui-même un peu plus haut quand il dit qu’est en puissance le constructeur qui a construit et ne construit plus536. Et c’est ainsi qu’on trouvera [5] la solution à l’aporie [qu’on rencontre] dans les Catégories, celle de la coquille au fond de la mer537, si l’expression « en puissance » est dite pour parler de ce qui peut devenir.
Notes de bas de page
1 Sur le but de la Physique, cf. supra, In Phys. 3.13-4.7. Voir aussi « Introduction », section 4. En Métaphysique Δ 1-2 Aristote définit à part « principe » et « cause » (pour la cause, voir aussi Physique II, 3, 194b23-195b21). Mais ici Simplicius prend ces termes comme étant équivalents. Voir aussi supra, p. 10.7-12.3 où Simplicius développe une longue mise au point sur le sens des mots « principe », « cause », « élément ».
2 Les principes ou causes « élémentaires » sont les causes immanentes, les éléments proprement constitutifs de tout étant naturel (forme et matière, auxquelles il faut ajouter la privation). Les causes efficientes et finales proprement dites transcendent leurs produits, en l’occurrence les étants naturels cf. infra, 287.29s. et 315.10s. : « (Aristote) veut que la cause productrice à proprement parler soit séparée de la chose qui advient et transcende celle-ci » (voir aussi Proclus, El. theol. § 7). La cause efficiente au sens propre (transcendante) dans la Physique est le Premier Moteur (cf. supra, 8.7-9).
3 Autrement dit, le sujet connaissant se règle sur l’objet. On est aux antipodes de la « révolution copernicienne », de l’idée kantienne selon laquelle ce sont les objets qui se règlent sur notre connaissance et non pas l’inverse. La même idée est exprimée plus bas, cf. 315.6s. : « ce que nous voyons en premier c’est la chose qui advient et ses éléments ».
4 En Phys. I, 4, ou I, 2-4 si on admet que la critique des Éléates relève de la critique des physiciens. Les Éléates ne sont pas des physiciens au sens propre (plutôt des métaphysiciens, cf. Aristote, Physique I, 2, 184b15-17 ; 184b25-185a4 ; 185a17-20 et Simplicius In Phys. 148.26-149.2).
5 Sur les principes élémentaires premiers (les contraires : forme et privation, et le substrat ou matière) par opposition aux principes élémentaires non premiers que sont par exemple les quatre corps premiers, cf. supra : 7.26s.
6 Cf. Phys. I, 5.
7 Phys. I, 6, 189a20ss. et I, 7, 190a13ss. Cf. plus haut In Phys. 6.10-12 : « Dans le premier Livre du traité Sur les principes [= le traité constituant la première partie de la Physique, soit : Phys. I-V] Aristote traite des causes accessoires, je veux dire : la matière, la forme et la privation ». Selon les Anciens, la Physique d’Aristote se partage en deux traités : Sur les principes (Phys. I-V) et Sur le mouvement (Phys. VI-VIII).
8 259.11 : καὶ δὴ καί marque, après la simple énumération des principes élémentaires, le passage à un exposé plus détaillé. Sur cet emploi de δή cf. Denniston, The Greek Particles, p. 255ss.
9 À partir d’ici Simplicius résume le traité de la matière qu’il tire de Physique I, 6-9.
10 On reconnaît ici très clairement deux des quatre questions scientifiques fondamentales selon Aristote, cf. An. post. II, 1, 89b24s. : « Nous recherchons quatre choses : (1) le fait, (2) le pourquoi (la cause), (3) si la chose est, (4) ce qu’elle est » (τὸ ὅτι ͵ τὸ διότι͵ εἰ ἔστι͵ τί ἐστι). De fait ὅτι τέ ἐστιν en 259.12 répond à la question εἰ ἔστι, et καὶ ὅτι ὑποκείμενον répond à la question τί ἐστι. Cf. aussi supra 252.17s. : « Aristote a montré que la matière existe (ὅτι ἔστιν), ce qu’elle est, par quel mode de connaissance elle peut être appréhendée, et qu’elle diffère de la privation » (et dans la Physique d’Aristote voir I, 9, 192b3ss. : ὅτι μὲν οὖν εἰσὶν ἀρχαί̦, καὶ τίνες, καὶ πόσαι τὸν ἀριθμόν, διωρίσθω ἡμῖν οὕτως : « que, donc, il existe des principes, quels ils sont, et quel est leur nombre, considérons que nous l’avons ainsi déterminé »). Dans Philopon, concernant la matière, on reconnaît la question (4), mais non la (3), cf. Philopon, In Phys. 194.8-10 : καὶ εἰπὼν ὅτι ἐστὶν ὕλη τὸ πρῶτον ὑποκείμενον ταῖς οὐσίαις, καὶ ὅτι μία μέν ἐστι τῷ ἀριθμῷ λόγῳ δ’ οὐ μία, καὶ ὅτι ἐρχόμεθα εἰς ἔννοιαν αὐτῆς τῷ κατ’ ἀναλογίαν τρόπῳ χρώμενοι : « Aristote a dit que le substrat premier pour les réalités est la matière, que la matière est une en nombre, mais non une selon la définition, et qu’on arrive à s’en faire une idée au moyen de l’analogie ». Qu’Aristote dans la Physique se pose la question εἰ ἔστι à propos de la matière (ou substrat) peut s’appuyer sur Phys. I, 7, 190b3 ἀεὶ γὰρ ἔστι ὃ ὑπόκειται, ἐξ οὗ τὸ γιγνόμενον. Pour ce qui est de la nature, Aristote juge superflu de poser la question de savoir si elle existe (εἰ ἔστι), cf. Phys. II, 1, 193a3-9 et Simplicius, In Phys. 260.20s.
11 À savoir par analogie, cf. Phys. I, 7, 191a7s. où Aristote parle de la « nature sous-jacente » qui peut être l’airain pour la statue, le bois pour le lit, la matière, c’est-à-dire l’informe, pour ce qui a une forme.
12 En distinguant matière et privation Aristote surpasse Platon, qui n’a pas fait cette distinction, cf. supra, 7.34-8.1.
13 La privation à la fois existe (259.16) par accident, et en elle-même est non-étant (259.17).
14 Cf. Phys. I, 8, 191b15s. et I, 9, 192a5.
15 Ce qui l’oppose à la matière, qui est « substantiellement » inhérente au composé (cf. 259.13). Sur cette distinction dans la Physique, cf. I, 8, 191a33-b27.
16 Cf. supra, 238.6-239.7 (en particulier 238.11-13).
17 Le principe élémentaire formel est la forme engagée dans une matière (par opposition à la Forme transcendante, objet du métaphysicien).
18 Les mots καὶ τελικὸν après ἐπὶ τὸ ποιητικὸν en 250.21 sont peut-être une glose introduite dans le texte. En physique, cause formelle, efficiente et finale aussi, il est vrai, sont une seule et même cause immanente, cf. e.g. Phys. II, 7, 198a24-27.
19 La nature, qui est forme immanente, est à la fois élément et cause efficiente (productrice), comme l’implique l’idée selon laquelle « l’art imite la nature » (Phys. II, 2, 194a21). Mais la nature n’est pas cause efficiente au sens fort du terme (au sens de cause transcendante), elle ne l’est qu’au sens de cause efficiente prochaine, cf. supra, 3.25s. ; 6.12s. et infra 284.12-24.
20 Cf. infra, 283.21-27.
21 Cf. supra, 208.26s. (ad Phys. I, 7, 189b27-31) : Aristote dit que son propos est dans le premier Livre général : « il fait référence non seulement à la génération des étants naturels, mais aussi à la génération d’artefacts ; la génération du cultivé est en effet celle d’un artefact ».
22 260.20 : διὸ καὶ περὶ πρώτης αὐτῆς διδάκει, littéralement, « c’est aussi la raison pour laquelle il nous instruit sur la nature [qui est] première », sc. qui est le premier objet d’enseignement, avant « le par nature », « le selon la nature » et ce que c’est que d’« avoir une nature ».
23 Cf. Phys. II, 1, 193a3-9.
24 Simplicius tient à disculper Aristote de la faute qui consiste à ne pas établir d’abord l’existence d’une chose avant de répondre à la question de savoir ce qu’est cette chose. De la même manière Proclus fait état de la difficulté que lui pose à lui comme à ses devanciers le fait que Platon dans le Timée en 27d6 pose la question de savoir ce qu’est l’« être éternel » sans avoir préalablement établi l’existence de cet être (cf. In Tim. I, 227.18-22). Il donne quatre justifications en soulignant que Platon démontre plus loin, dans son exposé sur la Matière (51b-52d), l’existence de l’« être éternel ».
25 De la même manière, Alcinoos dit que « le philosophe tire son nom par paronymie du mot philosophie » (cf. Didaskalikos, 152.6s Hermann = Louis-Whittaker, 1990, p. 1).
26 En 260.30 à εἴτε correspond le δέ en 260.33 (τὸ ἀγαθὸν δέ καὶ τὸ κακόν).
27 Les Stoïciens. Mais cf. infra 333.7ss. (= le commentaire à Phys. II, 4, 196b5) : « Il apparaît que l’idée que la Tuchê est quelque chose de divin se trouve chez les Grecs avant même Aristote et que [cette déesse] n’a pas été reconnue d’abord par les Stoïciens, comme certains se l’imaginent ; de fait Platon dit dans les Lois (IV, 709b) : “un dieu, et avec le dieu, le Hasard et l’Occasion, gouvernent toutes les choses humaines sans exception” ».
28 Le texte fait ici écho au Philèbe (23c-d et 26a-c) où sont posés quatre genres : l’illimité, la limite, le mixte ou mélange d’illimité et de limite, la cause du mélange.
29 Les Manichéens, cf. Simplicius, In Ench. (ed. major), XXXV, 56-71 et l’« Introduction » d’I. Hadot à cette ed. major, p. 115-144 (= chap. V, « La réfutation du manichéisme »). Sur la critique du dualisme des Manichéens qui posent à côté du principe du bien un principe du mal (la matière), cf. supra, In Phys. 249.14-16 ; 256.25s. Là-dessus voir aussi, Dörrie-Baltes, Der Platonismus in der Antike, Bd. IV (Die Philosophische Lehre des Platonismus), Stuttgart/Bad-Cannstatt, 1996, p. 154 et p. 517-523 (sp. p. 519s.).
30 Cf. Phys. II, 4, 196a17-20.
31 Le souci de bien dégager la structure logique de l’argumentation, en l’occurrence ici celle d’Aristote dans la Physique, est typique de l’exégèse néoplatonicienne.
32 La λέξις et le νοῦς (ou ἔννοια) définissent ensemble le « type d’expression » (τὸ εἶδος τῆς ἑρμηνείας ou ἀπαγγελίας) d’un philosophe. La λέξις est le « style » ou la « lettre » (le « texte ») par opposition à la « pensée », i.e. le νοῦς ou l’« esprit » (le contenu conceptuel). Simplicius accorde ici à Aristote dans le Livre II de la Physique une clarté d’exposition et d’expression. Il est bien connu cependant que pour les Néoplatoniciens Aristote est volontairement obscur dans ses écrits acroamatiques, dont la Physique fait partie, cf. supra, In Phys. 8.18-20 : « dans les [écrits] acroamatiques il (sc. Aristote) pratique l’obscurité en repoussant grâce à elle les [lecteurs] trop légers, si bien que [ces écrits] leur semblent ne pas même avoir été rédigés », et ibid. 8.26-29 : « Aristote, au roi Alexandre, Salut ! Tu m’as écrit au sujet des leçons acroamatiques, pensant qu’il fallait en garder le secret. Sache donc qu’elles sont à la fois publiées et non publiées, car elles ne sont compréhensibles que pour ceux qui nous ont entendu. Porte-toi bien ! ». Voir aussi Simplicius In Cat. 6.30-32 : « Assurément, Aristote n’a eu recours ni aux mythes ni aux énigmes symboliques, comme certains de ses prédécesseurs, mais à tout autre voile il a préféré l’obscurité », et 7.1-22 : l’obscurité, voulue, entraîne la perspicacité des lecteurs vertueux, et décourage les paresseux. La clarté que Simplicius trouve ici chez Aristote est celle que confère une méthode scientifique rigoureuse en vertu de laquelle le discours suit un ordre logique des questions. C’est aussi celle que donne un texte lui-même clair. C’est seulement, nous dit Simplicius, en quelques rares passages qu’Aristote manque de clarté dans son expression, dans sa λέξις, cf. e.g. In Phys. 710.32.
33 Sur la différence entre le « par nature » (τὸ φύσει) et le « selon la nature » (τὸ κατὰ φύσιν), cf. infra, 271.9-22.
34 Il semble qu’on ait ici un cercle vicieux, la distinction entre ce qui est par nature et ce qui n’est pas par nature présupposant la connaissance de ce qu’est la nature, ce qui est précisément l’objet de la recherche. Mais la méthode est ici clairement celle de l’analyse. La nature est cause des êtres naturels. Mettre en évidence ce qui distingue les êtres naturels des artefacts permet, en remontant des effets à la cause (en remontant des choses qui sont par nature à la nature elle-même), de saisir ce qu’est proprement la nature (cf. Mansion [1945], p. 97). Voir infra, In Phys. 266.31s. : que les choses naturelles se distinguent des artefacts par le fait que les premières ont en elles la cause du mouvement, Aristote « l’a prouvé en comparant avec les choses artificielles au moyen de l’induction » (διὰ τῆς ἐπαγωγῆς) ; cf. aussi ibid. 285.30-286.6 où Simplicius rapproche la méthode suivie par Aristote ici et en De anima (413a20), à savoir en procédant par différence, de celle suivie par Platon dans le Phèdre (245e5-7) et dans les Lois (X, 895c7s.). Une autre méthode, dans le cas de l’étude de l’âme, est la réduction des activités à l’essence, cf. Simplicius, In de an. 17.20ss.
35 Cf. Aristote, Métaphysique Λ 3, 1070a6s. où les causes diverses des êtres sont : l’art (τέχνη), la nature (φύσις), la chance (τύχη), le hasard (τὸ αὐτόματον). Simplicius va ajouter ici une cause supplémentaire : le choix (dont il est question en Phys. II, 4).
36 Sur la distinction entre production et action, cf. e.g. Éth. Nic. 1140a2-6.
37 Sur la chance (ou fortune) et le hasard, cf. Phys. II, 4-6, 195b31-198a13 (et Simplicius In Phys. 327.7ss.).
38 En Phys. II, 6, 197b17 Aristote prend comme exemple de cause selon le hasard (qui ne procède pas d’un choix rationnel) celui du cheval qui par son déplacement (vers les lignes arrières ?) sauve sa vie, sans avoir eu l’intention de sauver celle-ci, et celui du trépied qui tombe et qui après sa chute sert de siège sans qu’il soit tombé pour servir de siège. Aristote traite des monstres dans le livre IV du De gen. anim., chap. 3 et 4. La cause de la monstruosité est « la matière de l’être même, qui ne s’est pas laissée adapter complètement à la forme » (Mansion [1945], p. 116). Comme la forme est davantage nature que la matière, les monstres sont dits être « contre nature » (παρὰ φύσιν), cf. e.g. Hist. an. IV, 4, 770.b9 ; 771a13 ; 772b13-15 et 29. Simplicius, plus loin (en 271.9-22), dira des êtres mutilés de naissance qu’ils existent « par nature » (φύσει) mais non « selon la nature » (κατὰ φύσιν).
39 Dans Aristote on a la séquence : les animaux et leurs parties, les plantes, les corps simples ; Simplicius ici va des touts aux parties et déplace « et leurs parties » après « les plantes ». Mais quelques lignes plus bas il commente « les animaux et leurs parties » (261.29ss.).
40 Cf. infra 192b13-16.
41 Nutrition, croissance et reproduction sont les trois fonctions de l’âme nutritive (cf. Aristote De gen. an. II, 1 et II, 4), la seule qu’on puisse attribuer aux plantes (De an. II, 2). Là-dessus, cf. infra, 262.19s.
42 Alexandre d’Aphrodise, professeur de philosophie péripatéticienne à Athènes de la fin du IIe siècle au début du IIIe siècle, marque le renouveau du Péripatétisme, éclipsé par le stoïcisme et l’épicurisme durant toute la période hellénistique. Son commentaire sur la Physique ne nous a pas été conservé, mais des scholies byzantines éditées récemment par M. Rashed permettent une précieuse reconstitution de ce commentaire sur plusieurs points de doctrine importants, cf. Rashed (2011).
43 Simplicius distingue ici « parties » (μέρη) et « éléments » (στοιχεῖα). Les « parties » au sens large englobent les « éléments ».
44 Diels note dans son apparat : Περὶ ψυχῆς significat fortasse B 4 p. 416a8 sqq. Il faut en fait renvoyer à De an. II, 2, 413a21ss. ; III, 12, 434a22ss.
45 De an. II, 1, 412a20, a27s. et b5s.
46 Cf. Proclus, In Tim. I, 239.20 : Platon demande ce qu’est l’être qui est toujours car c’est par le toujours que l’éternel se distingue du temporel.
47 Il faut comprendre : les corps simples sont seulement naturels.
48 Cf. supra, 262.23s.
49 L’introduction ici de la notion de croissance (ou d’augmentation) est plutôt surprenante. C’est dans le lemme suivant (192b12-15) qu’il est question de la croissance.
50 En lisant en 263.15 (comme le suggère Diels dans son apparat critique) εἰπὼν au lieu de εἶπεν.
51 La croissance (αὔξησις), quand il s’agit d’étants naturels, est associée à l’âme nutritive, et donc aux vivants.
52 Eudème de Rhodes (seconde moitié du IVe siècle avant J.-C.). Ami et élève d’Aristote. Voir DPhA III, 2000, p. 285-9.
53 Fr. 50 Wehrli.
54 Sc. les animaux et plus généralement les vivants, ainsi que les choses inanimées qui se meuvent d’elles-mêmes comme la terre et le feu.
55 Sc. de choses naturelles (de terre par exemple), qui se meuvent d’elles-mêmes.
56 263.34s. : μὴ οὐκ ἔξωθεν τοῦ αἰτίου ὄντος. La double négation μὴ οὐκ + participe équivaut ici à οὐκ (cf. Diels, CAG X, Index verborum sub μὴ ὄν, p. 1408).
57 Cf. Catégories, ch. 14, 15a13s. où Aristote donne six espèces de mouvement : génération, corruption, accroissement, décroissement, altération, changement (μεταβολή) local. En Phys. V, 1, 225a10-20 et a34-b9, Aristote fait de la κίνησις (le passage d’un contraire à un autre) et de la γένεσις (le passage du non-être à l’être ou de l’être ou non-être) deux espèces d’un genre, à savoir la μεταβολή, le « changement ». Mais cette classification est loin d’être mobilisée systématiquement par le Stagirite. Le mot κίνησις (« mouvement ») est plus souvent employé chez Aristote comme terme générique embrassant plusieurs espèces de « changement » (μεταβολή). Mais en Phys. 192b18s. Aristote parle d’« impulsion innée au changement », ce qui montre qu’il ne fait pas toujours de distinction entre « mouvement » et « changement » (cf. aussi Phys. III, 1, 200b12s. ; IV, 10, 218b19s.). La nature est « principe (immanent) de mouvement » veut dire la nature est « principe (immanent) de changement ». « Mouvement » et « changement » sont ainsi employés ici indistinctement par Aristote dans un sens très général qui englobe mouvement local, altération, diminution et augmentation. Sur la distinction ou non-distinction entre « mouvement » et « changement » chez Aristote, en particulier dans la Physique, cf. Crubellier-Pellegrin (2002), p. 251s. ; Couloubaritsis (1997), p. 58ss. (= chap. 1, § 3 : « Le changement et le mouvement peuvent-ils être synonymes ? »). À noter qu’Aristote ne fait pas non plus de différence ici entre « arrêt » (στάσις) et « repos » (ἠρεμία), cf. 192b14 et b21-2. Simplicius en fait une (cf. infra, 264.26).
58 En 264.9 j’adopte la leçon de F : ἑαυτῶν (αὐτῶν: Diels). Ἐξ ἑαυτῶν dans le texte de Simplicius équivaut à ἐν ἑαυτῷ (ou ἐν ἑαυτοῖς) dans Aristote (192b13). Sur la nature comme cause intrinsèque par opposition à l’art comme cause extrinsèque, cf. aussi Mét. Δ 4, 1015a13-15 : « La nature première, au sens propre, est la substance des choses qui possèdent le principe de leur mouvement en elles-mêmes en tant que telles » ; ibid. Λ 3, 1070a7s. : « l’art est un principe [de génération] dans autre chose, alors que la nature est un principe [de génération] dans la chose même (car un humain engendre un humain) ».
59 En 264.18-22 je supprime les guillemets que met Diels (suivi par Fleet) avant τούτων et après κινούμενον. On n’a pas ici en effet une citation directe et littérale d’Alexandre.
60 Porphyre de Tyr, Néoplatonicien du IIIe siècle, (cf. DPhA Vb, 2012, p. 1289-1468). Auteur d’une œuvre immense en grande partie perdue, il est l’éditeur des traités de son maître Plotin (les Ennéades, précédées d’une Vie de Plotin). Parmi les ouvrages qui nous sont parvenus on mentionnera ici une Introduction aux Catégories d’Aristote (l’Eisagôgê), qui fut traduite en latin par Boèce, et qui eut une grande influence au Moyen-Âge.
61 L’ajout de « un certain » et de « et cause » dans la citation de Phys. 192b13s. s’explique par le fait que Porphyre reprend tout autant 192b13s. que 192b21s. où il est dit que la nature est « un certain principe et cause du fait d’être mû et d’être en repos » : οὔσης τῆς φύσεως ἀρχῆς τινὸς καὶ αἰτίας τοῦ κινεῖσθαι καὶ ἠρεμεῖν.
62 Sc. du mouvement et du repos
63 265.5 : ὁλοσχερῶς. Sur prendre ou entendre un mot ὁλοσχερῶς (dans un sens général) par opposition à κυρίως (au sens propre du terme), cf. In Phys. 113.7, 147.2, 428.23.
64 En Phys. 192b21 on lit : ἀρχῆς τινὸς καὶ αἰτίας τοῦ κινεῖσθαι καὶ ἠρεμεῖν. Κινεῖσθαι, moyen-passif, peut signifier « se mouvoir » ou « être mû ». Pellegrin donne ici un sens passif au verbe (p. 116 : « une cause du fait d’être mû »). Carteron (1926) et Stevens (2012) traduisent par « un principe et une cause de (ou : du) mouvement », en faisant de κινεῖσθαι un équivalent de κινήσεως qu’on a quelques lignes plus haut en 192b14 : ἀρχὴν ἔχει κινήσεως καὶ στάσεως. Sur le fond il n’y a pas de différence puisque si la cause d’« être mû » est interne à ce qui est mû, alors « être mû » = « être mû par soi » = « se mouvoir ». Mais Simplicius, pour distinguer le mouvement par soi des êtres animés et le mouvement par nature des éléments, donne à κινεῖσθαι un sens résolument passif, cf. infra, 287.7ss. Sur la nature « principe de mouvement », voir aussi Phys. III, 1, 200b12s. ; VIII, 3, 253b5s. ; De caelo, III, 2, 301b17s.
65 Phys. 192b22 : les mss. ont la leçon πρώτως, corrigée en πρώτῳ dans l’un d’eux ; Thémistius (In Phys.) lit aussi πρώτῳ, certainement en raison d’un passage parallèle dans les Seconds Analytiques, I, 4, 73b40 : « c’est à cela à titre premier que l’attribut appartient universellement » – τούτῳ πρώτῳ ὑπάρχει. On retrouve la même hésitation dans le texte de Simplicius en 266.4 et 33 : dans les mss. DE on a la leçon πρώτῳ, retenue par Diels (en 266.4, mais pas en 266.33), mais πρώτως dans l’édition Aldine. Pour le sens cela ne fait aucune différence.
66 Sur le sens de la formule « par soi » dans l’expression « appartenir par soi » à quelque chose, cf. Seconds analytiques I, 4, 73a34ss. où Aristote donne les deux significations suivantes : (i) la ligne appartient par soi au triangle = la ligne (l’attribut) appartient au triangle (le sujet) en vertu de ce que le triangle est = le premier (la ligne) est contenu dans l’énoncé qui dit ce qu’est le second (le triangle) ; (ii) le rectiligne et le courbe appartiennent par soi à la ligne = le second (la ligne) est contenu dans l’énoncé qui dit ce qu’est le premier (le droit ou le courbe) = le sujet appartient à l’essence de son attribut (= la ligne appartient au rectiligne ou au courbe en vertu de qu’ils sont). Dans le premier cas la ligne appartient au triangle par soi (en vertu de ce qu’il est), plutôt que : appartient par soi au triangle ; dans le second cas, il faut dire en effet : le rectiligne et le camus appartiennent par soi (en vertu de ce qu’ils sont) à la ligne.
67 Le menuisier (et l’art de la menuiserie) est extérieur au lit fabriqué. Dans le cas du médecin qui se soigne lui-même, c’est la même extériorité, mais cette fois dans le même individu, qu’il faut poser entre l’agent (qui soigne) et le patient (qui est soigné).
68 C’est en effet ce qu’on lit chez Thémistius, cf. Themistii in Aristotelis physica paraphrasis, p. 35.20 Schenkl : οὐδεμίαν ἀρχὴν ἔχει μεταβολῆς ἔμφυτον. Thémistius (317-388), homme politique et rhéteur grec à Constantinople, est l’auteur de nombreux Discours et de Paraphrases de traités d’Aristote dont trois nous sont parvenues en grec : celle des Seconds Analytiques (CAG, V, 3), Wallies, celle de la Physique (CAG, V, 4, Schenkl) et celle du traité De l’âme (CAG V, 5, Heinze). La paraphrase de Métaphysique Λ nous est parvenue en hébreu. Elle a été traduite par Rémi Brague (cf. Brague [1999]). Sur Thémistius, voir DPhA, VI, 2016, p. 851-900.
69 Cf. Corollarium de loco 628.1ss.
70 Sur les leçons πρώτῳ/ πρώτως voir supra, Phys. 192b22 (dans le lemme) et la note ad locum.
71 Sur les trois figures du syllogisme (catégorique), cf. An. pr. I, 4-6. Soient A, B, C les termes, respectivement, majeur, moyen, mineur. Dans un syllogisme de la première figure le moyen terme est sujet dans la (prémisse) majeure, prédicat dans la mineure, soit (selon le premier mode concluant, appelé Barbara parce qu’on a trois universelles affirmatives, trois A) : (A) tout B est A, (A) tout C est B, (A) tout C est A. Comme on peut le tirer du ἔοικεν en 266. 5 (« il semble que ») Simplicius n’est pas certain que le raisonnement d’Aristote puisse être reconstruit sous la forme d’un syllogisme de la première figure (puisqu’il donne une reformulation par un syllogisme de la troissième figure). Sur ces reformulations syllogistiques, cf. e.g. infra 277. 27ss. ; 477.6s. Voir aussi Dalimier (2000), et O. Harari « Logic and interpretation in Simplicius’ commentary on Aristotle’s Physics », dans Logic and Exegesis: the Logical Reconstruction of Arguments in the Greek Commentary Tradition (Leuven, 10-11 janvier 2019), à paraître.
72 Ἠρωτῆσθαι, 266.10 et 26. Pour d’autres occurrences de ἠρωτῆσθαι (inf. parfait passif de ἐρωτᾶν) dans le sens de « être construit », « être proposé », « être développé » en parlant d’un λόγος (d’une argumentation) cf. Proclus, In Parm. II, 725.10 : « d’autres disent que les arguments ont été développés par Zénon dans le cas des sensibles » : οἱ δὲ ἐπὶ τῶν αἰσθητῶν ἠρωτῆσθαι τοὺς λόγους τῷ Ζήνωνι λέγοντες (trad. Luna-Segonds). Voir aussi e.g. Sextus Empiricus, Esquisses Pyrrhoniennes, II, 13, § 146.3 : un raisonnement peut être non concluant « par le fait d’être proposé sous une forme vicieuse » : παρὰ τὸ κατὰ μοχθηρὸν ἠρωτῆσθαι σχῆμα (trad. Pellegrin [1997]). Plus loin dans le commentaire de Simplicius on trouve le même verbe à la forme active cf. In Phys. 467.26 : Ἀρχύτας… οὕτως ἠρώτα τὸν λόγον où il est, semble-t-il, employé avec son sens technique dialectique d’argumenter par questions et réponses : « Archytas présentait cet argument de cette façon en forme de question » (là-dessus voir Ph. Soulier [2010], tome 2, p. 472 et 639). Cette distinction entre la déduction obtenue par démonstration et celle obtenue par questionnement remonte à la distinction aristotélicienne entre prémisse démonstrative et prémisse dialectique (cf. e.g. Anal. pr. I, 1, 24a22-25). Plus tard, chez les Stoïciens, l’argumentation sera conçue avec toujours un arrière-plan dialectique dans l’idée que « les arguments sont des questions posées à un interlocuteur et que leurs prémisses ont besoin de sa réponse approbative pour qu’ils puissent aller à leur conclusion » (Long-Sedley [2001], II, p. 73).
73 Soit : Q = le terme majeur (le prédicat de la conclusion recherchée), R = le terme mineur (le sujet de la conclusion recherchée), S = le moyen terme. Le moyen terme est sujet dans les deux prémisses, soit (selon le premier mode concluant, appelé Darapti parce qu’on a deux universelles affirmatives = deux (A) et une proposition particulière affirmative = I) : (A) tout S est Q, (A) tout S est R, (I) quelque R est Q.
74 266.17 : ἔχον τὸ καθόλου, littéralement, « en ayant l’universel ».
75 La matière du syllogisme est son contenu. Simplicius veut dire que les deux termes extrêmes (Q = le prédicat de la conclusion et R = le sujet de la conclusion) sont ici coextensifs. La conclusion dans ce cas est de forme universelle.
76 On peut hésiter sur le sens qu’il faut donner ici au participe οὖσαι en 266.19 (καθόλου οὖσαι καταφατικαὶ), adversatif (« bien qu’elles soient des universelles affirmatives », ou explicatif « parce qu’elles sont des universelles affirmatives »). Le sens adversatif me paraît meilleur, voir infra, la note 77.
77 Diels note dans son apparat : nescio ubi. Mais on peut comprendre ce passage à la lumière des Premiers Analytiques, I, 2. Il y est dit que la prémisse (universelle) affirmative se convertit nécesssairement, mais non pas sous la forme d’une universelle (καθόλου), mais sous la forme d’une particulière (ἐν μέρει) – c’est le schéma de la troisième figure, Darapti (voir note 73). Simplicius ajoute ici que si dans les propositions affirmatives universelles d’un syllogisme de la troisième figure sujets et prédicats sont coextensifs, alors ces propositions se convertissent, en vertu de leur contenu, sous forme d’universelles. C’est le cas des propositions qui sont des définitions, ou des propositions qui livrent des propriétés (τὰ ἴδια, cf. Topiques, I, 2, 102a18-20). Par exemple la proposition universelle « tous les êtres humains sont capables de rire » se convertit en l’universelle « tous les êtres capables de rire sont des êtres humains » (et non pas en la proposition particulière : « quelques êtres qui sont capables de rire sont des êtres humains »). En effet les deux termes extrêmes (Q = le prédicat de la conclusion et R = le sujet de la conclusion) sont ici coextensifs. La conclusion dans ce cas est de forme universelle en raison de la matière du syllogisme, c’est-à-dire en raison de son contenu. À noter qu’Aristote ne parle jamais lui-même en contexte logique de « matière » (mais voir Premiers Analytiques, I, 29, 45b16-28, où Aristote parle des ὑποκείμενα, les « sujets sous-jacents »). On notera aussi que dans le Livre II des Seconds Analytiques Aristote dit qu’on ne peut pas déduire une définition. Sur les définitions qui se convertissent, cf. infra, 274.12 et 277.2.
78 L’induction (ἐπαγωγή) n’est pas ici le passage du particulier au général, mais la détermination de ce qu’est X par sa différence d’avec Y, cf. infra, 285.-286.6.
79 Lire en 267.16 en suivant l’Aldine : <καὶ> κατὰ τοῦτο.
80 On passe ici de la tournure ὑπάρχειν (πρώτως καθ᾽ αὐτό) ἐν τινί : « résider (à titre premier par soi) en quelque chose », à ὑπάρχειν (πρώτως καθ᾽ αὐτό) τινί : « appartenir (à titre premier par soi) à quelque chose », qui est la formulation technique pour désigner l’attribut substantiel. De fait Simplicius parle de la nature qui appartient aux étants naturels comme il parle de l’attribut essentiel du triangle, à savoir d’avoir ses angles égaux à deux droits.
81 L’analogie entre l’âme et le corps d’une part et le pilote et le navire d’autre part vient d’Aristote, De an. II, 1, 413a8-10, où Aristote emploie lemot πλωτήρ, qui est un terme générique signifiant le « marin » ; c’est à partir d’Alexandre que le mot κυβερνήτης, le « pilote », ou « capitaine », sera dans cette analogie substitué au mot « marin », et ce jusqu’à l’époque moderne (le terme apparaît par exemple chez Descartes). Pour ce témoignage de Simplicius, cf. Alexandre De anima 15.9-26 Bruns (= De l’âme, éd. Bergeron et Dufour, Paris, Vrin, 2008, p. 87-89), où Alexandre à la fois rejette la comparaison de l’âme avec le pilote (cf. o.c. p. 15.9) : « Il n’est pas vrai que l’âme peut être dans le corps comme le pilote dans un navire », et en même temps la conserve en entendant par « pilote » l’art du pilotage (voir aussi o.c. p. 20.26-21.21 = p. 96-99 Bergeron-Dufour). Là-dessus, voir Schniewind (2008).
82 Δόξασις, « formation of opinion », LSJ, s.v. p. 444. On retrouve ce mot chez Damascius, cf. e.g. Traité des premiers principes, II, p. 149.15 Combès-Westerink.
83 En disant que sont « par nature » non seulement les corps simples, mais aussi les êtres vivants et les plantes. Or le principe de mouvement (i.e. de la nutrition, croissance, reproduction) chez la plante est l’âme végétative, et chez les animaux le principe de mouvement (i.e. de la sensation) c’est l’âme sensitive. On peut reconstituer le raisonnement d’Alexandre ainsi : Aristote dit à la fois que la plante est « par nature » (= Phys. 192b1-3) et « par son âme végétative » (De anima 416a9s), que l’animal est « par nature » et « par son âme sensitive », puisque c’est la sensation qui le caractérise (cf. supra, 262.13-28) ; en un mot, la nature et l’âme sont toutes deux principes de mouvement ; Aristote assimile donc « nature » et « âme ». Simplicius n’accepte pas d’attribuer à Aristote une telle assimilation de la nature avec l’âme. Proclus, dans son commentaire sur le Timée de Platon (In Tim. I, 10.12s.) fait allusion à ceux qui assimilent, à tort selon lui, nature et âme. On admet généralement qu’il vise là Plotin. La nature chez Plotin est une puissance ou fonction inférieure de l’âme, « la partie la plus basse de l’âme », cf. Enn. IV, 4 [28], 13.1ss. ; III, 8 [30], 4.14-16.
84 Dans le texte de Diels (suivi par Fleet) la citation d’Alexandre s’arrête à καὶ οὐ τοῖς ὀργανικοῖς (268.21). Il faut en fait l’arrêter à τῷ τῆς φύσεως λόγῳ (268.19). À partir de εἴπερ ἡ μὲν en 268.19 (qu’il faut construire avec οὐδὲ… ἀποδεκτέον) Simplicius donne ses arguments contre l’idée d’Alexandre pour qui Aristote en définissant la nature (comme principe intrinsèque de mouvement) définit aussi l’âme. Καὶ εἴπερ ἡ μὲν en 268.23s. doit être mis en parallèle avec εἴπερ ἡ μὲν en 268.19. En 268.19-23 l’âme est opposée à la nature, en 268.23-26 c’est la nature qui est opposée à l’âme.
85 268.22 : je suis le texte du ms. F et de l’Aldine : ἐντελέχειά ἐστι σώματος φυσικοῦ ὀργανικοῦ (ἐντελέχεια φυσικοῦ σώματός ἐστι : Diels).
86 III 5, 430a17. Diels met entre parenthèses la phrase ὁ γὰρ νοῦς… βοᾷ. Une ponctuation, qui respecte l’enchaînement du propos, est préférable.
87 C’est-à-dire l’intellect agent, cf. Alexandre, De anima, 89.11-19 ; De intellectu, 108.26-109.1. On n’entrera pas ici dans la question de savoir qui, de Simplicius ou d’Alexandre, a raison dans l’interprétation radicalement différente que chacun donne du passage si controversé du De anima d’Aristote, III, 5, 430a17 : « et cette intelligence est séparée ».
88 268.29 : συναρμόττει φιλονεικῶν. Noter l’oxymore. La rivalité (ici connotée négativement) est bien sûr le fait d’Alexandre se réclamant d’Aristote contre la thèse platonicienne de la séparation de l’âme d’avec le corps. En reprochant à Alexandre d’être motivé par la passion bien basse qu’est la jalousie Simplicius rejoint Proclus qui fait le même reproche à Aristote lui-même et accuse ce dernier d’avoir écrit sa Physique pour rivaliser avec le Timée de Platon, cf. Proclus, In Tim. I, 6.21ss. : « Quant au génial (δαιμόνιος) Aristote, m’est avis qu’il a disposé autant que possible tout son traité de la Nature dans un esprit de rivalité (ζηλώσας) avec les enseignements de Platon » (trad. Festugière légèrement modifiée) ; (voir aussi, ibid. I, 237.17ss.). Et Proclus d’enfoncer le clou : malgré tous ses efforts Aristote n’arrive pas à la cheville de son maître (ibid. I, 7.15s.). Maintenant, aux yeux de Simplicius, le plus abject « querelleur » de tous les temps est Philopon, là-dessus, cf. Hoffmann (1987).
89 Selon Alexandre, l’âme ne peut être séparée du corps dont elle est la forme, elle est incorporelle et elle n’est pas mue par soi, cf. Alexandre d’Aphrodise, De anima 17.9-15 Bruns (= De l’âme, éd. Bergeron et Dufour [2008], p. 91).
90 L’idée que l’âme est source et principe vient du Phèdre, 245c9 : ce qui se meut soi-même est « source et principe du mouvement » πηγὴ καὶ ἀρχὴ κινήσεως. Pour Proclus c’est en premier lieu aux âmes divines qu’appartient l’automotricité et donc le caractère d’être « sources et principes de la vie qui se divise dans les corps » (Théol. plat. I, 26, p. 116.24s.).
91 II 4, 415b7ss.
92 Éth. Nic. VI, 1140a10 (trad. Tricot).
93 Z 7, 1032a25.
94 À savoir les productions d’artefacts. Je suis ici Diels qui conjecture γενέσεις avant ποιήσεις en 269.8.
95 269.10-12 : ὁ ἀποδοθεὶς οὗτος τῆς φύσεως ὁρισμὸς πᾶσι σχεδὸν ἁρμόσει τοῖς τῆς φύσεως σημαινομένοις οἰκείως ἐφ’ ἑκάστῳ λαμβανόμενος = 284.28s. : ὁ μέντοι ὁρισμὸς πᾶσι τοῖς σημαινομένοις ἐφαρμόσει οἰκείως ἐφ’ ἑκάστῳ (ἐφ’ ἑκάτερα : Diels) λαμβανόμενος.
96 Le texte de Diels en 269.13s. : καὶ τῆς οἷον ἐκ φύσεως κατὰ τῆς οἷον αἰτίας est inintelligible. Il faut lire καὶ τῆς οἷον ἐκφύσεως (lecture déjà suggérée par Golitsis [2008], 69 note 14) et mettre entre crochets droits les mots κατὰ τῆς οἷον αἰτίας qui sont très certainement une glose, insérée par un copiste dans le texte. La remarque de Syrianus s’éclaire à partir de ce que dit Simplicius plus loin en 282.31-285.12, où sont d’abord données les cinq significations du mot « nature » (283.6-284.24) : « nature » signifie (i) la matière, (ii) la forme, (iii) le composé, (iv) la nature « comme la pousse » (ἡ οἷον ἔκφυσις : 284.5), c’est-à-dire comme « mouvement » (κίνησις), (v) la nature au sens propre (i.e. la cause du mouvement pour les réalités naturelles) ; puis Simplicius ajoute (284.28s.) : « la définition de la nature au sens propre s’accordera avec toutes ces significations si on la prend pour chacune d’elles de manière appropriée » – ὁ μέντοι ὁρισμὸς πᾶσι τοῖς σημαινομένοις ἐφαρμόσει οἰκείως ἐφ’ ἑκάστων (ἐφ’ ἑκάτερα : Diels) λαμβανόμενος. La nature au sens propre est en effet principe du mouvement et du repos ; la nature au sens de « mouvement » est « nature » (principe) au sens de cause instrumentale ; matière et forme sont « nature » (principe) au sens d’éléments ; le composé est lui aussi « nature » (principe) en tant que fin ou cause productrice.
97 Par « autres natures » il faut ici entendre les entités qui, à côté de la nature au sens propre (i.e. la cause du mouvement), sont aussi « nature » sous le mode qui leur est propre : la matière, la forme, le mouvement même de génération.
98 Ou : « car [toutes ces choses] sont des substrats ».
99 Il peut être utile ici pour suivre le commentaire de donner le texte grec tel qu’il est lu par Simplicius : φύσις μὲν οὖν ἐστὶ τοῦτο (τὸ ῥηθέν dans les manuscrits d’Aristote)· φύσιν δὲ ἔχει ὅσα τοιαύτην ἔχει ἀρχήν. καὶ ἔστιν πάντα ταῦτα οὐσία· ὑποκείμενον γάρ τι, καὶ ἐν ὑποκειμένῳ ἐστὶν ἡ φύσις ἀεί.κατὰ φύσιν δὲ ταῦτά τε καὶ ὅσα τούτοις ὑπάρχει καθ’ αὑτά, οἷον τῷ πυρὶ φέρεσθαι ἄνω· τοῦτο γὰρ φύσις μὲν οὐκ ἔστιν οὐδ’ ἔχει φύσιν, φύσει δὲ καὶ κατὰ φύσιν ἐστίν. τί μὲν οὖν ἐστιν ἡ φύσις, εἴρηται, καὶ τί τὸ φύσει καὶ κατὰ φύσιν.
100 269.22 : lire ἐκ τῆς ἐναργείας (ἐκ τῆς ἐνεργείας : Diels), cf. 271.33.
101 En lisant en 269.23 τῷ τοιοῦτον (τὸ τοιοῦτόν : Diels), cf. Diels, Addenda ad Vol. IX dans CAG, Vol. X, p. 1463.
102 269.32s. : καὶ διαιτᾷ τοῖς λόγοις ἀμφοτέροις. C’est de la même manière que Syrianus se présente comme « arbitre » (διαιτητάς) entre la doctrine platonicienne des Idées et les apories soulevées contre cette même doctrine par Aristote (Syrianus, In Met. p. 81.10 Kroll). Voir aussi Ammonius, In De interpr., p. 253.12-17 où il est dit que Syrianus est celui qui arbitre entre Platon et Aristote.
103 Pour une analyse détaillée de l’interprétation par Simplicius et par les Modernes de Phys. 192b32-34, cf. Lernould (2011), en part. p. 209-215.
104 270.4 ἐν τῷ πρώτῳ (ἐν πρώτῳ : D). On ne voit pas bien à quel passage dans le Livre I de la Physique Simplicius peut faire référence (Fleet [1997], dans sa note 64 renvoie très vaguement à Phys. I, 7).
105 Sur la substantialité du substrat ou matière, cf. Morel (2016).
106 Cf. infra, 283.29s. ; Simplicius In Cat. 74.18 ; 80.15ss. Ces trois sens du mot « substance » viennent d’Aristote, cf. e.g. Mét. Z 3, 1029a26-30 ; 10, 1035a1s.
107 Sur l’idée que le composé de forme et de matière, i.e. l’étant naturel, est « une sorte de substrat et dans un substrat », cf. infra, 318.5-6.
108 Par rapport à l’explication précédente on note deux différences : (i) les termes ne sont plus matière, forme et le composé des deux, mais ce qui a une nature, la nature, et le composé des deux ; (ii) πάντα ταῦτα ne renvoient pas seulement à « toutes les choses qui ont une nature », i.e. au composé, mais aux trois termes : ce qui a une nature, la nature, et le composé. À noter que Simplicius dira plus loin, en 270.23-26, que l’analyse du composé en substrat et nature revient à une analyse en matière et forme.
109 On retrouve le même argument qu’en 270.7 ; mais la conclusion diffère en ce sens que « substance » ne renvoie pas ici à « ce qui a une nature », mais aux termes impliqués dans l’expression « quelque chose a une nature ».
110 Selon cette autre lecture πάντα ταῦτα renvoient à la matière et à la forme ; l’idée est que matière et forme sont substances.
111 Soit la lecture ὑποκείμενον γάρ τι καὶ ἐν ὑποκειμένῳ ἐστὶν ἡ φύσις, sans virgule après τι. C’est celle défendue par Heidegger dans « Ce qu’est et comment se détermine la φύσις », dans Questions II, Paris, Gallimard, 1968, p. 165-276, en part. p. 208ss. (titre original : Die Physis bei Aristoteles, Wegmarken, Frankfort-sur-le-Main, Klostermann, [1939], 1967², p. 309-371). Elle est reprise par L. Couloubaritsis cf. Aristote, Sur la nature, éd. L. Couloubaritsis, Paris, Vrin, 1991, p. 42 : « Est donc nature ce que nous avons dit. D’autre part, ont une nature les étants qui possèdent un tel principe, et tous sont étance, car toujours la nature est un certain sujet et réside dans un sujet ». Lambros Couloubaritsis explique la signification philosophique (heidegerienne) qu’il donne à l’idée que la nature est substrat dans son ouvrage La Physique d’Aristote (deuxième édition modifiée et augmentée de L’avènement de la science physique), Bruxelles, Ousia, 1997, p. 229ss. On trouvera la même lecture de ce passage chez Giovanna Giardina, I fondamenti della causalità naturale. Analisi critica di Aristotele, Phys. II (Presentazione di Pierre Pellegrin), Catane (Symbolon 30), 2006, p. 67-74 et p. 289s. Les mots « la nature est dans un substrat » (Phys. 192b34), sont repris infra, 287.2-3.
112 268a16-19.
113 En 270.22s. le texte de Diels διὸ καὶ τὰς λοιπὰς ἐξηγήσεις τοῦ Ἀλεξάνδρου εἰς τοῦτον τεινούσας τὸν νοῦν παρατρέχω ne fait pas sens. Je lis εἰς τοῦτο… τὸ νῦν παρατρέχω (cf. 22.19 : νῦν παραδραμεῖν et 1099.28 : νῦν παρατρέχει).
114 192b34.
115 2a13.
116 Je supprime les parenthèses dans Diels 270.29-31 : (οὐ γὰρ… τι εἶναί φησι) et donne à γὰρ le sens de « parce que ».
117 Εἶναι ἐν + datif pour signifier « dépendre de » est d’un usage très classique, cf. LSJ, s.v. A, I, 6 qui renvoie, entre autres occurrences, à Platon, Protagoras, 354e7.
118 L’accident est dit « d’un substrat » (καθ᾽ ὑποκειμένου) pour dire, souvent, qu’il dépend d’un substrat.
119 Lire en 271.2 καθ᾽αὑτά. Diels garde le καθ᾽αὑτό en renvoyant à 226.8. Mais ce parallèle ne vaut pas. En 266.8 Simplicius commente Phys. 192b22 où il est question de la nature comme « principe de mouvement et de repos pour ce à quoi elle appartient immédiatement par soi (καθ᾽ αὑτό) ».
120 Comparer avec Thémistius, In Physica paraphrasis, 37.7 et Philopon, In Phys. 199.30-202.23.
121 Sur les animaux aux corps défectueux (comme le crapaud ou la tortue terrestre), cf. e.g. Part. an. III, 12, 673b29. Pour un cas d’animal incomplet, voir Hist. an. IV, 8, 533a2ss. où il est question de la taupe, chez qui les yeux sont atrophiés parce qu’ils sont recouverts par la peau épaisse de la tête. Sur les vivants incomplets, cf. aussi De an. II, 4, 415a27 ; III, 9, 432b22-24.
122 193a1.
123 Cf. An. post. II, 1, 89b34s. : « Et quand nous avons pris connaissance que la chose est, nous cherchons ce qu’elle est, par exemple : qu’est-ce donc qu’un dieu, ou qu’est-ce qu’un homme ? ».
124 Cf. Aristote, An. post. II, 7, 92b5-8 ; II, 8, 93a26s.
125 Platon, nous dit Proclus, fait de même quand, dans le Timée (27d6-28a2), il définit l’Être éternel (τὸ ὄν ἀεί) sans avoir préalablement montré que ce dernier existe : avant de nous instruire sur le « ce qu’est » (πρὸ τοῦ τί ἔστι) il aurait dû répondre à la question « existe-t-il » (τὸ εἰ ἔστι), cf. In Tim. I, 227.18-229.11, où Proclus donne, selon un ordre croissant de vérité, quatre justifications dont les deux dernières sont : l’idée que l’Être éternel existe est une notion commune ; Platon pose l’existence de l’Être éternel comme hypothèse (principe) à la manière du géomètre qui pose comme hypothèse que le point existe. On voit qu’ici Aristote pose l’existence de la nature comme une évidence (ce qui correspond à l’idée de notion commune et d’axiome), non pas comme une hypothèse. C’est en Phys. I, 2, 185a12s. qu’Aristote pose comme hypothèse que les êtres naturels sont en mouvement : « Quant à nous, posons (ὑποκείσθω) que les êtres qui sont par nature, soit tous, soit certains d’entre eux, sont des êtres mus ». C’est d’ailleurs là, nous dit Proclus, la seule hypothèse qu’Aristote prend comme point de départ dans sa Physique (In Tim. I, 237.17-20). Mais comme le souligne Mansion ([1945], p. 101), une chose est d’inférer à partir de l’expérience que les êtres naturels sont mus, autre chose d’inférer l’existence d’un principe (la nature) qui transcende l’expérience.
126 Diels note ici dans son apparat : nescio quo loco. De fait nulle trace de cette idée dans les Seconds Analytiques (ni ailleurs dans l’œuvre d’Aristote). En ajoutant « si je me souviens bien » Simplicius lui-même, prudemment, prévient en quelque sorte l’objection.
127 An. post. 71a1s.
128 Littéralement : « la nature » (τὴν φύσιν : 272.6), mais le contexte fait qu’ici par « la nature » il faut comprendre : « l’existence de la nature ».
129 Cf. aussi infra, 272.22s.
130 272.9s. : εἰ γὰρ δεῖ μὲν… Le μὲν, qui n’est pas ici suivi d’un δέ, souligne le δεῖ (cf. l’Index verborum de Diels, sub voce, CAG X, p. 1406).
131 Cf. Proclus, In Eucl. 19-22 : « Celui qui en effet apporte une démonstration aux choses les plus évidentes ne consolide pas la vérité qui est en elles ; au contraire il affaiblit l’évidence qui s’attache à nos notions antérieures à tout enseignement ».
132 Αὐτόπιστος 272.15s. n’est pas un terme facile à traduire. On peut hésiter entre « qui fait foi par soi-même », ou « auto-évident » (cf. Breton, 1969, p. 46s.), « crédible par soi-même » (= Gerd van Riel, Simplicius, Commentaire sur le Philèbe, Paris (CUF), 2008, p. 3 = In Philebum 7.4 Westerink), ou encore : « qui se prouve par soi-même ». Mais « faire foi par soi-même » relève du registre de la garantie, qui n’est pas approprié ici. « Crédible par soi-même » est trop faible ; il s’agit de conviction, non de croyance. « Se prouve par soi-même » convient mieux ; dire que, pour celui qui voit, les couleurs « se prouvent par elles-mêmes » signifie : je sais ce que veut dire « rouge » par le rouge lui-même, par le simple fait de voir le rouge. « Auto-évident » (ou « évident par soi ») exprime exactement cette même idée, avec plus de brièveté et de clarté. Certes αὐτόπιστος n’est pas construit à partir d’« évident » (ἐναργής), et pour dire « auto-évident » on a αὐτοφανής (Proclus, In Eucl. 195.18). Mais αὐτόπιστος vient souvent préciser l’idée d’évidence, cf. 272.15s. φανερῶν γὰρ ὄντων καὶ αὐτοπίστων et les deux termes, ἐναργής et αὐτόπιστος, peuvent être employés quasiment comme synonymes, cf. e.g. Simplicius, In Cat. 190.29 : on peut remonter par induction jusqu’aux genres les plus élevés à partir des genres dérivés ὡς ἐξ ἐναργῶν καὶ αὐτοπίστων. C’est, comme on sait, le propre de l’axiome (et des principes en général) d’être αὐτόπιστος (et par là d’être une proposition « immédiate », ἄμεσος), cf. Proclus, In Eucl. 76.9-11 ; 179.14 ; 194.6 ; 255.17.
133 272.17 : ὁ τὴν ὁρατικὴν δύναμιν ἀπολέσας (cf. 272.14 : ἀπολέσασι). Il faut comprendre : celui qui a perdu la faculté de voir dès la naissance.
134 Sur l’idée qu’il ne peut y avoir de science sans perception sensible préalable, cf. An. post. I, 18.
135 Cf. An. post. I, 33, 88b35-37 ; II, 19, 100b12s. Voir aussi Éth. Nic. VI, 6, 1141a6.
136 Sur la définition qui dépend de la division cf. Proclus, In Parm. 982.10-13 (= Proclus, Commentaire sur le Parménide de Platon, livre V, éd. Luna-Segonds, 2014, p. 8s. et la note 2 p. 9 [p. 122 des Notes Complémentaires], qui renvoie à Aristote, Mét. Z 12, 1037b27-1038a35 et à Proclus, Théol. plat. I, 9, p. 40.10-12).
137 Cette proposition est un développement de Tim. 68c4 : « le gris naît du mélange du blanc et du noir ».
138 Antiphon le sophiste et les physiciens présocratiques.
139 Il est étrange à première vue que le lit et la statue, qui sont des artefacts, soient ici introduits comme exemples d’êtres qui « sont par nature ». Il faut comprendre que le lit, ou la statue, en tant que bois ou airain, sont aussi « par nature ».
140 Sur Antiphon le sophiste voir M. Narcy, dans DPhA I, (1989), p. 225-244. Voir aussi Laks-Most (2016), 1453-1497 (et sur notre témoignage d’Aristote, voir ibid. p. 1467, la section D8).
141 193a16 : τὴν κατὰ νόμον διάθεσιν. Sur la lecture alternative τὴν κατὰ ῥυθμὸν διάθεσιν, que Simplicius juge meilleure, cf. infra, 275.3-5.
142 Il est important de voir que la thèse selon laquelle la nature est le « constituant interne premier de chaque chose, par soi dépourvue de forme », c’est-à-dire la matière, présente deux formes : (i) la nature est la matière, i.e. la matière prochaine. Telle est la thèse d’Antiphon le sophiste (avec l’exemple du bois pour le lit ou de l’airain pour la statue = Phys. 193a9-17) ; (ii) la nature est la matière, i.e. un ou plusieurs des quatre éléments ou corps premiers, qui est la thèse des physiciens présocratiques (= Phys. 193a17-28 : « Mais s’il arrive à chacune de ces réalités… »).
143 Texte parallèle en Mét. Δ 4, 1014b26-35. Ἀρρύθμιστος (= ἄρρυθμος), littéralement : « sans rythme » ; le mot est construit sur ῥυθμός = ῥυσμός. On sait que pour Démocrite les différences dans les atomes sont trois : ῥυσμός, διαθιγή et τροπή, trois termes qu’Aristote « traduit » par σχῆμα, τάξις, θέσις (figure, ordre, position), cf. Mét. A 4, 985b4-20. D’où l’emploi par Aristote d’ἀρρύθμιστος pour dire « sans forme » en Mét. Δ 4, 1014b26s.
144 Cf. supra, 192b32-34 et le commentaire de Simplicius, p. 270.3-26.
145 L’opinion des Présocratiques est donnée en premier non pas parce qu’elle est première chronologiquement, mais parce ce qu’elle vient en continuité immédiate avec ce qui est dit un peu plus haut, en 192b33s. : καὶ ἔστιν πάντα ταῦτα οὐσία· ὑποκείμενον γάρ τι, καὶ ἐν ὑποκειμένῳ ἐστὶν ἡ φύσις ἀεί et avec une interprétation possible de ce passage à savoir, comme Alexandre l’a compris, que la nature est un substrat.
146 193b22.
147 Cf. infra, 282.31ss.
148 Antiphon le sophiste d’une part, et les physiciens présocratiques d’autre part.
149 Cf. Mét. Δ 4, 1014b27s.
150 Par exemple le sang, la moelle, les tissus (bref tout ce qui sert de matériau – ὕλη – aux organes), qui sont appelés « homéomères » parce que les parties sont de même nature que le tout, cf. Part. an. II, 1-9.
151 Dans son exposé de la thèse selon laquelle la nature est la matière, i.e. le substrat premier (la thèse d’Antiphon le sophiste et celle des Présocratiques) Aristote donne comme substrat premier (i) la matière prochaine (= Antiphon), et (ii) un ou plusieurs des quatre corps premiers (= les Présocratiques). Il ne « descend » pas jusqu’à la matière première (ἡ πρώτη ὕλη), qui est le substrat des éléments. Simplicius identifie ici le substrat premier « dépourvu de forme par soi » avec la matière première aristotélicienne. Ross (19361, p. 502) le critique sur ce point en disant qu’Aristote (i) ne parle pas ici de la matière première, mais (ii) seulement de la matière prochaine « of various things ». Sur le premier point Ross a raison. Mais sur le second, sa lecture est discutable. L’eau chez Thalès, par exemple, est plus le substrat premier de toutes choses que la matière prochaine de l’airain ou de l’or.
152 On peut hésiter entre les désignations : « Présocratiques » ou « Préplatoniciens ». Ici, pour Simplicius, Socrate et Platon ne font, peut-on dire, qu’un et donc le terme « Présocratiques » s’impose.
153 Le mot διανάστασις exprime ici, avec -ανα, l’idée d’une « montée » (comme on parle d’une montée de lait, ou de sève) ou d’un « lever » (comme on dit que les blés lèvent), et aussi, avec -δια, celle d’un déploiement. On retrouve ce mot plus loin, en 289.34, où il est étroitement associé à la nature comme « vie » de la forme, et donc comme « pousse » et « montée » (ou « redressement ») de la forme vers le faire et le subir ce que la forme est naturellement apte à faire ou à subir. Cf. aussi infra, 415.14 où le même mot est employé pour dire le passage de l’en puissance à l’acte et où il est défini comme « mouvement » (κίνησις), et 420.33-421.1 où l’on a l’expression ζωτικὴ διανάστασις. La nature comme « vie », « pousse » et « montée », et donc comme « mouvement » correspond au terme médian dans les triades être, vie, activité (pensée), et Père-Puissance-Intellect.
154 Littéralement : « en vue du mouvement et de la génération (κίνησιν καὶ ἀπογέννησιν) d’un semblable ». Sur la nature comme « pousse » (ἔκφυσις), cf. infra, 278.36, 284.5-11, 289.24 et sur κίνησις = ποίησις dans ce contexte, cf. 310.25-311.30 (en part. 311.5s.).
155 Sur l’expression κατὰ τρόπον (274.4) « selon les règles de l’art », « en bonne méthode », « comme il faut le faire », cf. e.g. Simplicius In Cat.220.4 : ἡ γὰρ ἐπιστημονικὴ γνῶσις αὐτό τε ἕκαστον ὅτι ποτέ ἐστιν ἐπισκέπτεται καὶ τὰ εἴδη αὐτοῦ διαιρεῖται κατὰ τρόπον : « La connaissance scientifique en effet examine ce que chaque chose est en elle-même et elle divise en bonne méthode cette chose en ses espèces ».
156 Soit : la matière = ce qui persiste ; ce qui persiste = la substance ; la substance = la nature ; donc la matière = la nature.
157 L’airain est le substrat prochain de la statue ; mais l’airain lui-même est composé d’une forme et d’une matière. En 274.13 je lis προσεχῶς (προσεχῶν : Diels, mais voir Addenda ad vol. IX, p. 1463).
158 Dans les deux cas j’ai deux entités jouant le rôle de forme et un même substrat (l’airain, et l’or ont un même substrat, l’eau ; les os et le bois ont également un même substrat, la terre). Sur l’airain et le bois comme ayant une forme, cf. supra, 273.28.
159 Les Présocratiques qui, à la différence d’Antiphon, n’identifient pas la nature avec le substrat prochain, mais avec le substrat premier.
160 Le substrat premier est aussi le substrat dernier. Simplicius dit qu’il est « premier » en référence au texte d’Aristote, qui parle ici « de constituant interne premier » (193a10), de « matière sous-jacente première » (193a29), et qui définit plus haut la matière comme étant le substrat premier (Phys. I, 1, 192a31 : « j’appelle matière le substrat premier »). Simplicius dira plus loin que les Présocratiques appellent la matière première « substrat dernier » (infra, 275.18). Par ailleurs, le substrat premier des Présocratiques (l’eau, l’air, etc.) n’est pas la matière première aristotélicienne.
161 Pour Thalès, cf. e.g. Aristote, Mét. A, 3, 983b18-22, Anaximène, ibid. 984a5s. ; pour Héraclite voir e.g. Plutarque, Sur l’E de Delphes 8, 388E ; pour Parménide, cf. Diogène Laërce IX, § 21 ; pour Empédocle, voir A [21] 33 D.-K.
162 Comme Aristote le souligne lui-même, cf. De an. 405b8 et Mét. 989a5ss. : aucun des philosophes qui ont posé comme principe un élément unique n’a pris la Terre pour élément, « et cela évidemment en raison de la grossièreté de ses parties ». En cela les philosophes s’opposent à la vieille et populaire croyance selon laquelle tout est Terre, et aussi à Hésiode, pour qui la Terre a été engendrée la première avant tous les corps.
163 274.25s. : τῇ συνεκδρομῇ τῶν ἄλλων. Le mot συνεκδρομή (littéralement : « le fait de s’avancer ensemble ») est un terme technique de grammaire (voir par exemple Apollonius Dyscole), qu’on peut traduire par « analogie », « assimilation ». C’est, dans toute la littérature grecque, la seule occurrence ici de ce terme dans un contexte philosophique.
164 Sc. ceux qui pensent que la nature est la matière.
165 Terminologie reprise par Aristote, cf. Cat. 8b27.
166 274.31 : περὶ ὑποκείμενον γινομένη. Cette expression, et toutes les autres qui lui sont parallèles (comme e.g. περὶ τὰ σώματα γιγνόμενον, ou ὑφιστάμενον), relève d’un usage technique forgé à partir de Tim. 35a2s. : τῆς [sc. οὐσίας] αὖ περὶ τὰ σώματα γιγνομένης μεριστῆς. On traduit généralement (Rivaud, Brisson) par « l’essence divisible qui devient dans les corps ». Et c’est ainsi qu’il faut traduire ici : « (un changement) qui se produit dans le substrat » (littéralement : « qui se produit dans le domaine du substrat »). Voir déjà plus haut, ligne 27 : Τὰ δὲ περὶ τὸ ὑποκείμενον οἷον γενέσεις, κτλ. Sur la raison d’être de cet emploi de περί + acc à la place de ἐν + datif, cf. de Libera-Segonds (1998), p. 36 (= note 6 de la page 1) : « En règle générale, περί + acc. est un substitut de ἐν + datif, qui évite aux néoplatoniciens, qui l’emploient souvent, d’imputer grossièrement une localisation (donc une corporéité, etc.) à ce dont ils parlent ».
167 275.2 : τὴν γὰρ φύσιν καὶ οὐσίαν τῶν πάντων τὸ μόνιμον ἔχειν προσήκει : Diels. Le ms. E donne la leçon τῇ γὰρ φύσει καὶ οὐσίᾳ. De fait προσήκει peut se construire soit (i) avec une infinitive, soit (ii) avec le datif + inf. En suivant E et en lisant τὸ μονίμως ἔχειν (au lieu de τὸ μόνιμον ἔχειν) on obtient un texte un peu différent (mais identique à celui de Diels quant au sens) : τῇ γὰρ φύσει καὶ οὐσίᾳ τῶν πάντων τὸ μονίμως ἔχειν προσήκει.
168 ‘Ἡ πρώτη ἑκάστῳ ὑποκειμένη ὕλη (193a29) reprend τὸ πρῶτον ἐνυπάρχον ἑκάστῳ (193a10). La notion de « matière sous-jacente première » (identifiée avec la nature) peut renvoyer ici aussi bien à la thèse d’Antiphon le sophiste, c’est-à-dire à la matière prochaine, qu’à la thèse des Présocratiques, c’est-à-dire au substrat premier, par exemple l’eau chez Thalès. Carteron comprend qu’il s’agit de la matière prochaine et traduit : « la matière qui sert de sujet immédiat ». Mais en 193a9-28 Aristote parle d’abord d’Antiphon et de la matière prochaine, puis du substrat premier des physiciens présocratiques (le feu, ou l’air, etc.). Il est clair que la thèse d’Antiphon et celle des Présocratiques sont ramenées par Aristote à une thèse commune : la nature est « la matière sous-jacente première », où la notion de « matière première » recouvre et celle de « matière prochaine » et celle de « matière première » au sens présocratique du terme, i.e. au sens de corps premier. Au sens présocratique du terme, la matière première, i.e. un ou plusieurs des éléments, est le substrat dernier (cf. infra, 275.22). La matière première (ἡ πρώτη ὕλη) « aristotélicienne », i.e. dans l’aristotélisme scolaire, n’est pas la matière première ou substrat premier (i.e. dernier) des Présocratiques, à savoir un ou plusieurs parmi les éléments. La matière première « aristotélicienne » est le substrat des éléments.
169 En disant « une certaine matière sous-jacente première » (πρώτη τις ὑποκειμένη ὕλη) Simplicius désigne la matière prochaine, qui est particulière pour chaque chose, et qu’il faut distinguer de la matière première ou « matière sous-jacente première », qui est commune.
170 Un lit est fait de bois, qui est « par nature », mais cela ne fait pas du lit un « étant par nature », et ne fait donc pas du bois la « nature » du lit.
171 C’est-à-dire au sens de matière.
172 ‘Ἡ πρώτη ὕλη (275.16), c’est-à-dire le substrat dernier (l’eau par exemple chez Thalès).
173 Les physiciens présocratiques.
174 Ce qui est ici nié ce n’est pas l’existence d’une matière première, i.e. d’un substrat dernier, dans le cas des artefacts ; c’est l’idée que l’existence d’un substrat premier dans les artefacts fait de ces artefacts des choses existant « par nature » (voir supra, note 170).
175 Comme on l’a vu ce qui chez Aristote est le substrat premier est le « substrat dernier » chez les physiciens présocratiques (cf. supra, 274.19 et la note ad locum).
176 La matière première est le substrat du bois, lui-même substrat du lit. La matière première est le substrat du lit en tant que réalité naturelle, i.e. en tant que le lit est du bois.
177 Avec l’exemple des prémisses comme substrat d’un syllogisme et celui des lettres comme substrat des syllabes on pourrait penser que par « substrat premier » il faille ici entendre « substrat prochain ». Mais il est plus naturel de comprendre que « substrat premier » veut dire tout simplement « matière » (cf. Aristote, Phys. I, 1, 192a31 : « j’appelle matière le substrat premier »).
178 On peut donner au καὶ en 193a31 (ἡ μορφή καὶ τὸ εἶδος τὸ κατὰ τὸν λόγον) un sens épexégétique et lire le couple ἡ μορφή καὶ τὸ εἶδος comme un hendiadys, comme Carteron (1926) : « En un autre sens, c’est le type et la forme, la forme définissable », ou Stevens (2012) : « D’une autre façon, c’est la forme essentielle suivant l’énoncé ». Pellegrin (2000) lui donne la valeur de « et précisément » : « D’une autre manière c’est la configuration et plus précisément la forme selon la définition ». Simplicius, à bon droit me semble-t-il, distingue ici très nettement μορφή et εἶδος κατὰ τὸν λόγον, cf. infra, 276.24ss. Le syntagme μορφή καὶ εἶδος (ou εἶδος καὶ μορφή) est, semble-t-il, commun chez Aristote, cf. e.g. De caelo, I, 9, 278a14s.
179 Pour d’autres formulations parallèles chez Aristote, cf. Mét. E 1, 1025b27, Z 10, 1035b15 : ἡ οὐσία ἡ κατὰ τὸν λόγον, la « substance formelle » ; ou encore De part. an. III, 2, 663b23 : ἡ κατὰ τὸν λόγον φύσις.
180 En 193b2 Ross édite ᾧ ὁριζόμενοι (leçon adoptée par Pellegrin [2000] et Stevens [2012]) et attribue la leçon ὃ ὁριζόμενοι à Simplicius (leçon suivie par Carteron [1926]). Le commentaire de Simplicius ne permet pas en fait de trancher.
181 Sur la forme (εἶδος) comme définition (λόγος) de l’être essentiel, cf. infra, 194b26s. : la cause c’est aussi « la forme et le modèle, c’est-à-dire l’énoncé de la quiddité ». La forme « selon la définition » est, par opposition à la forme concrète, visible ou μορφή, la « raison (formelle) », l’« essence », la « quiddité ». Dans le domaine de la physique, le λόγος est le principe formel immanent, la forme engagée dans une matière et non séparable (si ce n’est logiquement). La définition dans le cas des êtres naturels doit en effet inclure la matière, ce en quoi le physicien se distingue du mathématicien et du métaphysicien cf. infra, 193b22-194a15, en part. 194a12-15 (= In Phys. 299.15-27). Pour Simplicius, les formes naturelles sont séparables en pensée, c’est-à-dire : on peut les définir sans inclure la matière dans leur définition, cf. infra, 295.25-296.31.
182 276.13s. : καὶ ἐναλλάξ φασὶ γεωμετρῶν παῖδες, littéralement : « disent les enfants (les esclaves ?) des géomètres », ce qui ne fait pas vraiment sens. Manifestement Simplicius ironise ici sur un emploi inapproprié de l’adverbe ἐναλλάξ. Soit il faut comprendre que ce mot est pris ici dans le sens de « réciproquement », « inversement » (cf. la traduction de Fleet, « and vice versa », qui reprend Diels, Index verborum, s.v. ἐναλλάξ, vice versa), ce qui donne : si A : B = C : D, alors inversement C : D = A : B. Soit il faut comprendre que le mot est pris dans son sens technique (« alternativement »), mais de manière inappropriée. Dans le cadre d’une théorie des proportions on parle en effet de rapport « alterne » (ἐναλλάξ) quand à partir de A : B = C : D on forme, en permutant les moyens, A : C = B : D (cf. Euclide, Éléments, Déf. V, 12). Ce qui conduit à poser : « l’art » est à « la nature » ce que « le selon l’art » est au « selon la nature ». Mais les quatre termes ne sont pas ici homogènes, ne sont pas quatre grandeurs en proportion. Sur les deux emplois techniques de ἐναλλάξ (« alterne ») : (i) pour signifier une certaine proportion, (ii) pour signifier une certaine position occupée par deux angles (dits « alternes », ou « alternes-internes »), cf. Proclus, In Eucl. 357.9-26.
183 Cf. infra, 310.21s. : « Mais la forme n’est pas seulement la configuration superficielle ; c’est aussi celle selon la définition » – εἶδος δὲ οὐ τὸ κατὰ τὴν ἐπιπόλαιον μορφὴν μόνον, ἀλλὰ τὸ κατὰ τὸν λόγον. Sur le couple définition/description dans la tradition aristotélicienne, en particulier chez Alexandre d’Aphrodise, voir Narbonne (1987).
184 Voir aussi Philopon : la forme selon la configuration est celle d’après laquelle nous disons que quelqu’un est gracieux ou disgracieux (plus familièrement : que quelqu’un est bien ou mal « foutu ») ; la forme selon la définition est celle d’après laquelle nous livrons dans une définition ce que chaque chose est (i.e. l’essence de chaque chose), cf. Philopon, In Phys. 215.6ss. : ἐπειδὴ λέγομεν εἶδος τὸ ἐπὶ τῆς μορφῆς, καθ’ ὃ δυσειδεῖς ἢ εὐειδεῖς τινάς φαμεν, διὰ τοῦτο προσέθηκε τὸ κατὰ τὸν λόγον, καθ’ ὃν ὁριζόμενοι ἀποδιδόαμεν τὸ τί ἐστιν ἕκαστον.
185 Je traduis les mots τὸ εἶδος τὸ κατὰ τὸν λόγον dans le commentaire de Simplicius par « la forme selon la définition », comme on les traduit dans le texte d’Aristote. Mais Simplicius distingue ici très nettement « définition » (ὁρισμός) et λόγος, voir la note suivante.
186 Souvent chez Aristote ὁρισμός (ou ὅρος) et λόγος sont employés comme synonymes pour dire « définition ». Simplicius, quant à lui, distingue ici très nettement la « définition » (ὁρισμός), qui déploie la chose dans ses éléments constituants essentiels, du λόγος, qui est le τύπος μονοειδής de la « définition déployée » ; τὸ εἶδος τὸ κατὰ τὸν λόγον signifie pour lui τὸ εἶδος τὸ κατὰ τὸν μονοειδῆ τύπον τοῦ ἀνειλιγμένου ὁρισμοῦ (cf. infra, 276.27s.). Pourquoi cette distinction ? Pourquoi ne pas dire tout simplement que l’εἶδος τὸ κατὰ τὸν λόγον est l’εἶδος τὸ κατὰ τὸν ὁρισμόν? Précisément parce qu’Aristote (en 193a31 et b1s.) ne dit pas τὸ εἶδος τὸ κατὰ τὸν τὸν ὁρισμόν mais τὸ εἶδος τὸ κατὰ τὸν λόγον. Simplicius y voit une intention précise. L’emploi délibéré de la part d’Aristote, selon Simplicius, du mot λόγος ici à la place de ὁρισμός n’est d’ailleurs pas un cas unique. Aristote fait, selon Simplicius, la même chose dans les Catégories quand il dit, Cat. 1a4 : « l’énoncé de l’essence correspondant au nom est différent » – ὁ δὲ κατὰ τοὔνομα λόγος τῆς οὐσίας ἕτερος. Pourquoi, demande Simplicius, Aristote dit-il « énoncé de l’essence » (λόγος τῆς οὐσίας) et non pas « définition de l’essence » (ὁρισμός τῆς οὐσίας) ? Et Simplicius de répondre (In Cat. 29.16-24) : l’expression « énoncé de l’essence » embrasse (περιείληφεν) l’énoncé définitionnel (τὸν ὁριστικὸν λόγον), qui donne la quiddité (mais ne peut saisir les genres suprêmes ni les individus), et l’« énoncé descriptif » (τὸν ὑπογραφικὸν λόγον), qui détermine la particularité propre (ἰδιότης) de l’essence et qui atteint et les genres suprêmes et les individus. Ajoutons que c’est dans les mêmes termes que Simplicius oppose « type » et définition dans son commentaire à la Physique et nom et définition dans son commentaire aux Catégories, cf. Simplicius, In Cat. 28.13-29.1 : le nom « contracte » la chose et la présente dans son unité formelle – κατὰ τὸ μονοειδές, tandis que la définition (ὁρισμός) déploie la chose et l’explicite dans la pluralité de ses parties constituantes – κατὰ πολυμερές (voir aussi ibid. 22.14-19, et le commentaire de C. Luna, dans Hadot, I. (1990b), p. 50-52). Mais le « type » de la définition déployée n’est pas le nom, qui, en tant que tel, n’a pas de contenu définitionnel.
187 Cf. infra, 277.1s. : les définitions sont convertibles avec ce qu’elles définissent. Toute définition doit aussi être convertible avec le nom, cf. Simpl. In Cat. 28.13-29.1.
188 En mettant un point en haut après καὶ τὸ ὄνομα (276.28).
189 On ne peut donner ici au καὶ (τὸν λόγον καὶ τὸν ὅρισμον, 277.1) une valeur épexégétique. Le λόγος est la définition en tant que « type formellement un » de la définition déployée (ὁρισμός).
190 La matière et la forme.
191 Dans l’édition de Diels le lemme s’arrête ici en Phys. 193b6 sur les mots οἷον ἄνθρωπος, et on a le lemme suivant 193b12-18 (p. 278.33 Diels) qui s’ouvre sur les mots : Ἔτι δὲ ἡ φύσις. Le texte entre 193b6 et 193b12, qui est cité par Simplicius (p. 277.19), est inséré par Diels dans le commentaire à 193b5-6 (= In Phys. 277.12-278.32). Fleet découpe le texte autrement, en reconnaissant trois lemmes : 193b5-6 (= In Phys. 277.12-19), 193b6-12 (= 277.19-32), 193b12-18 (= 278.35-279.35). Je crois qu’il a raison. Simplicius considère que la phrase « Et ce qui est fait de ces composantes… par exemple un homme » (193b5-6) est une parenthèse placée entre 193a30-b5 et 193b6-12 (de même Ross [19361], p. 504). Après avoir commenté cette parenthèse sur le composé il revient, en 193b6-12, au propos principal d’Aristote, à savoir la forme, cf. p. 277.18-20 : Après avoir inséré cette remarque sur le composé (= 193b5-6), il ajoute ce qui lui reste à dire à propos de la forme : « et celle-ci est davantage nature [20] que la matière… jusqu’à… un homme naît d’un homme » (= 193b6-12).
192 Sur cet usage de l’imparfait ἦν, cf. Kühner-Gerth I, § 383, 5, p. 145s. ; Schwyzer, II, p. 279, § 7.
193 Καὶ μᾶλλον ἅυτη φύσις τῆς ὕλης (193b7s.). Il faut ici reprendre l’interprétation traditionnelle de cette phrase, qui est aussi celle de Simplicius. Pellegrin (2000, p. 120) traduit : « Ou mieux : <la forme> est nature de la matière » et ajoute, cf. la note 4 p. 120 : « l’interprétation traditionnelle de cette phrase est plus difficile grammaticalement » (ce qui est discutable).
194 Cf. infra, 194b13 « ce qui engendre un homme, c’est un homme et le soleil aussi ».
195 En 193b11 le texte des manuscrits est : Εἰ δὲ ἄρα τοῦτο τέχνη, καὶ ἡ μορφὴ φύσις. C’est le texte retenu par Carteron (1926), Pellegrin (2000) et Stevens (2012). Ross (non satisfait à juste titre par ce texte) imprime : Εἰ δὲ ἄρα τοῦτο φύσις, καὶ ἡ μορφὴ φύσις. Hamelin (1905) supprime le premier φύσις : Εἰ δὲ ἄρα τοῦτο, καὶ ἡ μορφὴ φύσις. C’est précisément ainsi que Simplicius cite ce texte dans son commentaire, cf. infra, 278.30s. : εἰ δὲ ἄρα τοῦτο, καὶ ἡ μορφὴ φύσις. Le sens est très clair : εἰ δὲ ἄρα τοῦτο = s’il en est ainsi, c’est-à-dire : si on dit que la nature du lit c’est le bois parce que du bois dont est fait le lit naît du bois, alors il faut dire que dans le cas de l’homme, la nature c’est la forme puisque de l’homme naît un homme (i.e. d’une forme naît une forme). On notera qu’ici Aristote utilise μορφή car, dans la perspective d’une analogie avec le bois d’où l’on voit naître du bois, il a en vue la forme de l’homme en tant que configuration perceptible par la vue, et non la quiddité.
196 Dans le texte d’Aristote καὶ μᾶλλον αὕτη φύσις (193b6s.) αὕτη = τοῦτο en vertu de la règle qui veut qu’un pronom démonstratif ayant pour attribut un substantif prenne, par attraction, le genre de cet attribut : αὕτη ἐστὶν ἀνδρὸς ἀρετή, « ceci est la vertu de l’homme » (cf. le latin haec est invidia). Grammaticalement le τοῦτο (= αὕτη par attraction du genre) peut reprendre ici τὸ δ᾽ἐκ τούτων. Telle est la lecture de Porphyre, et aussi celle de Carteron (1926) : « Quant au composé des deux, matière et forme, ce n’est pas une nature, mais un être par nature comme l’homme. Et cela est plus nature que la matière ». Mais, pour le sens, il est clair ici que ce même τοῦτο (derrière αὕτη, 193b6) reprend τὸ εἶδος (dans ἡ μορφὴ καὶ τὸ εἶδος, 193b4), cf. Pellegrin (2000) « <la forme> est nature », et Stevens (2012) « et celle-ci (sc. la forme) est davantage nature ».
197 193b6-8.
198 Ἀλλὰ μὴν introduit ici (278.1-3) la majeure d’un second syllogisme (ἀλλὰ μὴν οὗ παρουσίᾳ… τῇ δὲ τοῦ εἴδους παρουσίᾳ … τὸ εἶδος ἄρα φύσις) qui complète un premier syllogisme en quelque sorte préparatoire en ce que la conclusion de ce premier syllogisme devient la mineure du second.
199 Cf. le ἔτι en 193b8 : ἔτι γίγνεται ἄνθρωπος.
200 En 193b10. Sur l’idée qu’une conclusion puisse être donnée de manière anticipée, cf. Hermias Scholia in Phaedrum 123.14 : εἰ μὴ ἐξ ἀρχῆς τὸ συμπέρασμα προαναφωνήσας. Un fameux exemple de conclusion anticipée est le Γέγονεν en Tim. 28b8 : « Il (sc. le Monde) est né », là-dessus, cf. Proclus, In Tim. I, 282.27-283.19.
201 On se souvient que Simplicius souligne cependant la clarté de l’exposé doctrinal d’Aristote dans le Livre II de la Physique, cf. supra, 261.2-4 (et la note ad locum).
202 Une forme de lit ne naît pas d’une forme de lit (mais d’un lit en bois, ce qui naît, c’est du bois).
203 C’est-à-dire : si c’est le composé qui naît du composé.
204 Où l’on voit que pour Simplicius εἶδος veut dire ici μορφή.
205 Cette dernière explication de εἰ δ᾽ἄρα τοῦτο conduit, semble-t-il, à rattacher cette proposition conditionnelle à « de plus un homme naît d’un homme, mais non un lit d’un lit » en 193b8. Si l’on adopte cette lecture il faut mettre entre parenthèses « c’est pourquoi aussi on dit… ce n’est pas un lit, mais du bois » (193b9-11 : διὸ καί φασιν… ἀλλὰ ξύλον).
206 Sur la « nature » (φύσις) comme « génération », « naissance » (γένεσις) cf. Mét. Δ, 1014b16s. : φύσις λέγεται ἕνα μὲν τρόπον ἡ τῶν φυομένων γένεσις: « on appelle “nature” en un sens la génération de ce qui croît naturellement ». Sur les noms d’action formés avec le suffixe –σις voir note suivante.
207 Le suffixe –σις sert à former en grec ancien les noms d’action. Il signifie souvent un « processus » par opposition au « résultat » qu’exprime le suffixe –μα (par exemple μάθησις, l’action « d’apprendre » vs μάθημα, « le savoir appris », « la connaissance acquise », « l’objet de l’étude »), voir Chantraine (1933, 1979²), § 145 et § 226. En reconnaissant (implicitement) dans le mot φύ-σις un nom d’action dérivé de φύ-ω (« faire pousser », « pousser »), exprimant une « génération » (γένεσις), un « mouvement » d’un point à un autre (ὁδός = le « chemin », i.e. le « passage », la « marche »), Aristote remonte au sens étymologiquement primitif de φύσις : « croissance », « pousse ». Sur la « génération » (γένεσις) comme « chemin » (ὁδός), cf. De gen et cor. I, 3, 318b3s. : « ainsi la voie menant au feu serait une génération absolue » : ἴσως ἡ μὲν εἰς πῦρ ὁδὸς γένεσις μὲν ἁπλῆ.
208 En Phys. 193b17 Ross (1950, 19858), et Carteron (1926) lisent ᾗ ; Pellegrin (2000) et Stevens (2012) lisent ἤ. Le commentaire de Simplicius vient à l’appui de la leçon ἤ, cf. infra, 279.32s. et la note ad locum.
209 Simplicius (cf. infra 279.32-35) construit : τὸ φυόμενον/ ἐκ τινὸς εἰς τὶ ἔρχεται (et non pas τὸ φυόμενον ἐκ τινὸς/εἰς τὶ ἔρχεται, comme le fait Pellegrin : « car ce qui croît naturellement en venant de quelque chose, va… vers quelque chose »). Le syntagme ἐκ τινὸς εἰς τὶ correspond au πόθεν ποί (le « d’un point à un autre ») qu’on trouve par exemple chez Aristote, De caelo 311b33. À noter que Carteron (1926) lit et construit ᾗ φύεται avec τὸ φυόμενον : « car le naturé en tant qu’il est en train d’être naturé va d’un terme à un autre ».
210 193b17s. : τί οὖν φύεται. Ross (19361, p. 505) attribue cette lecture (qu’il adopte, suivi par Pellegrin et Stevens) à Simplicius avec raison, cf. infra, 279.29s. Philopon (In Phys. 217.13) lit : εἰς τί οὖν φύεται. De même Carteron (1926).
211 278.35 : ἐπιχείρημα. Le mot n’a pas ici, me semble-t-il, le sens d’argument dialectique (i.e. plausible), par opposition à l’argument apodictique (cf. Aristote, Topiques θ 11, 162a16). Ph. Soulier pense que ce mot ἐπιχείρημα (comme ἐπιχείρησις) a chez Simplicius (dans le commentaire sur la Physique) ce sens dialectique, cf. Soulier (2014), p. 486s. Certes, ici Simplicius développe un argument fondé sur ce qui « est dit », mais la reformulation syllogistique qui clôt l’explication est celle d’un argument livré en physicien sous un mode catégorique.
212 On pourrait traduire ἰάτρευσις par « guérison » (Rivaud, 1926 et Stevens, 2012). Mais « traitement médical » est meilleur ; il y a dans ce mot à la fois l’idée d’un processus (comme dans « guérison ») et celle d’art médical (ce qui n’est pas nécessairement le cas dans « guérison », une guérison pouvant se produire naturellement).
213 279.14 : τὸ σχῆμα τῆς λέξεως, cf. Aristote Catégories, 3b14 où l’on a τῇ σχήματι τῆς προσηγορίας (« du fait de la forme de l’appellation »).
214 Autrement dit φύσις et ἰάτρευσις sont tous deux des dérivés avec le même suffixe en -σις qui forme les noms d’action.
215 Impossible de traduire ici τὸ φυόμενον (279.25) par « ce qui croît ». Simplicius donne ici à ce verbe la valeur d’un passif, et non celle d’un moyen (qu’il a dans le texte d’Aristote). Par contre le même verbe sous la forme φύεται (dans ὃ δὲ φύεται, à la même ligne) est bien un moyen (« ce qui croît »).
216 Dans le commentaire de Simplicius (279.32-35) les manuscrits se partagent entre ᾗ (attesté dans un manuscrit et imprimé par Diels) et ἤ. Ce que dit Simplicius, à savoir qu’Aristote ajoute η φύεται pour montrer que « va d’une chose à une autre » est équivalent à « croît d’une chose à une autre », justifie la lecture ἤ (plutôt que ᾗ). Philopon (In Phys. 217. 9-12) discute brièvement les deux lectures, (i) ἤ « disjonctif » (παραδιαζευκτικὸς), dans l’idée que « venir d’une chose à une autre » et « croître d’une chose à une autre » ont le même sens : ταὐτὸν γὰρ ἀμφότερα, ou (ii) ᾗ « adverbial » (ἐπίρρημα, dans le sens de καθό), sans se prononcer pour l’une ou l’autre.
217 279. 34 littéralement : « est ce qu’il croît », ὃ φύεται ἐστιν.
218 Où l’on voit que μορφή et εἶδος sont ici sémantiquement équivalents. Sur la « positivité » de la privation (qui n’est pas une simple négation), cf. Arist. Mét. Δ 12, 1019b 7 : « la privation est une sorte de possession » (voir aussi Γ 2, 1004a12ss.).
219 En 193b20 Ross lit εἰ δ᾽ἔστιν στέρησις: « s’il y a privation », de même Pellegrin et Stevens. Carteron lit εἰ δ’ ἐστὶν ἡ στέρησις « si la privation est (un contraire) ». Le commentaire de Simplicius confirme que la lecture de Ross est la bonne.
220 Sur le problème de la génération de la substance, qui n’a pas de contraire, cf. Physique V, 1-2, De generatione et corruptione I, 3 et Catégories, chap. V, p. 3 b24ss.
221 Cf. le lemme précédent, 193b12-18.
222 Phys. I, 6-8.
223 Le terme ἐπιτηδηιότης (280.11), typiquement néoplatonicien, renvoie à un dogme fondamental du Néoplatonisme : la communication de biens implique deux puissances, celle, agissante, des formes divines, et celle « selon la disposition », du récepteur (et si la participation aux causes divines est déficiente la faute en incombe au participant). Là-dessus, cf. Proclus, Éléments de théologie, § 39, 71-72, 79 et 142 ; In Alc. 122.3ss. (= Sur le premier Alcibiade, éd. Segonds, 1985, p. 101, et les Notes Complémentaires, p. 194-5). Augustin se fait l’écho de cette doctrine, cf. par exemple De vera religione, XVIII, 36, où il est dit : « même ce qui n’a pas encore reçu sa forme est, d’une certaine manière, ébauché pour la recevoir » – quod nondum formatum est, tamen aliquo modo ut formari possit inchoatum est (souligné par moi). Et Augustin d’ajouter : « Cette aptitude à la forme est un bienfait de Dieu, puisque sa possession est un bien. La simple aptitude à la forme est donc un certain bien et par conséquent l’auteur de tous les biens, qui a donné la forme, a donné aussi la possibilité d’être formé ». Sur la nature (φύσις) comme disposition (ἐπιτηδηιότης) à être mue, c’est-à-dire à être mise en ordre, cf. infra, 287.13-15.
224 Παράχρωσις, 280.16. Sur ce mot, cf. Simplicius, Commentaire sur le Manuel d’Épictète, éd. I. Hadot, chapitre VII 53, p. 46 avec la note 3 (p. 150 des Notes Complémentaires) qui donne toutes les occurrences de ce terme dans Simplicius.
225 Cf. De generatione et corruptione, I, 3, 318b16s. : « Le chaud est une certaine prédication, c’est-à-dire une forme, tandis que le froid est privation ». Sur la polarisation chez Aristote de la génération substantielle, qui va du négatif au positif, du moins substantiel (du moins d’être) au plus substantiel (au plus d’être), cf. M. Rashed, Aristote, De la génération et de la corruption, Paris, Les Belles Lettres, 2005, Introduction, p. lv-lxxxv.
226 Cf. infra, 282.8-10 et la note ad locum.
227 280.28 : ἤ, « la réponse est que », « on répond : ». On trouvera un dossier de textes complet sur l’emploi de la particule ἤ introduisant une réponse dans les textes néoplatoniciens dans Proclus, Commentaire sur le Parménide, tome II (Livre II), éd. Luna-Segonds, p. 58, n. 3 (p. 233-5 des Notes Complémentaires).
228 Chap. 6 et 7.
229 Cf. De gen. et cor. I, 3 où Aristote distingue génération absolue (quelque chose devient absolument, i.e. advient = génération d’une substance et d’une individualité) et génération relative (quelque chose devient quelque chose = détermination qualitative). Sur la génération des substances cf. aussi Phys. I, 7, 190b1ss. : « Les substances aussi et tous les autres étants qui sont absolument adviennent à partir d’un substrat… toujours en effet il y a quelque chose qui est sous-jacent d’où la chose advient, par exemple les plantes et les animaux [adviennent] à partir de la semence ».
230 Voir aussi Phys. I, 6, 189a32s. : « nous disons qu’il n’y a pas de substance contraire à une substance ». La substance, au sens catégorial et fondamental du terme, est, comme on sait, la « substance première », i.e. le sujet dernier duquel tout s’affirme et qui n’est affirmé de rien ; c’est le composé de matière et de forme et le synonyme de τόδε τι, cf. Catégories, ch. 5, p. 2a11. En un autre sens, la substance (première) c’est l’essence, i.e. la définition et la forme, la quiddité (cf. Mét. Z 7 et 11). La substance première, c’est aussi, enfin, la forme immatérielle, qui est pur acte (De interpr. 13, 23, a23s.).
231 De gen. et corr. I, 3.
232 En 281.15-18 Diels donne le texte suivant : κατὰ μὲν γὰρ τὸ ὑποκείμενον ἀγένητός ἐστιν (ἡ γὰρ ὕλη οὔτε γίνεται οὔτε φθείρεται, ὡς ἔδειξεν ἐπὶ τέλει τοῦ πρώτου βιβλίου), γίνεται δὲ κατὰ τὸ συναμφότερον, τουτέστιν ἡ οὐσία κατὰ τὸ εἶδος, ὅ ἐστιν ἐν ὑποκειμένῃ τῇ ὕλῃ. Les mots ἡ οὐσία semblent bien avoir été malencontreusement placés après τουτέστιν. Quant à la virgule après τὸ εἶδος et avant la proposition relative, elle relève de l’usage propre à la langue allemande de séparer principale et relative par une virgule ; celle-ci doit être supprimée dans le texte grec. Il faut lire : κατὰ μὲν γὰρ τὸ ὑποκείμενον ἀγένητός ἐστιν ἡ οὐσία (ἡ γὰρ ὕλη οὔτε γίνεται οὔτε φθείρεται, ὡς ἔδειξεν ἐπὶ τέλει τοῦ πρώτου βιβλίου), γίνεται δὲ κατὰ τὸ συναμφότερον, τουτέστιν κατὰ τὸ εἶδος ὅ ἐστιν ἐν ὑποκειμένῃ τῇ ὕλῃ.
233 Phys. I 9, 192a26-33.
234 Cf. Phys. I, 7, 190b34s. : le substrat n’est pas un contraire.
235 Feu et terre, en tant que substances achevées (en tant qu’individualités propres) ne sont pas des contraires. C’est au niveau de leur structure qualitative propre que les contraires apparaissent. La terre (sèche et froide) naît du feu (chaud et sec) parce que l’on va de la forme (le chaud), à son contraire, la privation (le froid). Chez Aristote c’est le sec qui sert de « pivot substratique » au changement, et qui donc demeure identique ; là-dessus, cf. M. Rashed, Aristote, De la génération et de la corruption, Paris, 2005, Introduction, p. xcii-xcv. Pour Simplicius, le substrat du chaud et du froid est la matière première. Sur la génération substantielle chez Aristote voir aussi Cerami (2015), en part. p. 78-128.
236 281.30 : καθὸ δὲ ἥδε τίς ἐστιν ἡ οὐσία : « dans la mesure où la substance est un certain ceci ».
237 Elle n’est pas un contraire au sens propre du terme car elle n’est pas forme au sens propre du terme. La privation est forme seulement « en quelque manière » (πως, 193b20).
238 La remarque d’Alexandre joue le rôle de pivot entre la thèse selon laquelle la contrariété doit être située au niveau des formes et celle selon laquelle il faut la situer à un niveau plus fondamental, celui des différences.
239 Le froid, d’où advient le chaud, n’est pas proprement une forme ; il est privation (absence) de chaud.
240 C’est la solution donnée plus haut en 281.13-282.2.
241 Sur les différentes significations du mot « nature », cf. Aristote, Mét. Δ 4. Voir aussi ce que dit Proclus, dans le prologue de son commentaire sur le Timée (In Tim. I, 9.25-12.30), sur le sens du mot « nature » chez Platon par opposition aux sens qui lui ont été donnés par d’autres philosophes (par exemple : pour Antiphon la nature est la matière, pour Aristote, c’est la forme, pour les Stoïciens, un « art créateur »). Pour ce développement de Simplicius sur les cinq sens du mot « nature » voir Golitsis (2008), 141ss. (qui donne ce texte comme un exemple de « digression »).
242 Cf. supra 193a10s. et In Phys. 273.7-34.
243 283.21 : τὸ περὶ τὴν ὕλην εἶδος. Pour περί + acc. dans le sens de ἐν + datif cf. supra, 274.31 et la note ad locum.
244 Cf. supra, 270.3-6.
245 Cf. 193b5s.
246 Cf. supra, 277.24ss.
247 284.1 : κατὰ τὸν Ἀντιφῶντος δὲ διορισμόν, littéralement : « selon la distinction d’Antiphon ».
248 284.13s. Diels ponctue ainsi : Κατὰ πέμπτον δὲ σημαινόμενον τὸ κυριώτατον φύσις ἐστὶ τὸ τοῦ κινεῖσθαι τοῖς φυσικοῖς αἴτιον. ὥσπερ τέχνη τὸ ποιητικὸν τῶν τεχνητῶν καὶ ἡ ταύτης κίνησις, φύσις λεγομένη ἄρχεται μὲν κτλ. en incluant καὶ ἡ ταύτης κίνησις dans la comparaison introduite par ὥσπερ (de même Fleet : « Just like art and its motive force, nature in this sense starts… »). Mais φύσις λεγομένη sans article ne peut être ici le sujet dans une proposition. Je construis la comparative avec ce qui précède et donc supprime le point après αἴτιον, mets un point en haut après τῶν τεχνητῶν, et comprends que ταύτης renvoie à φύσις en 284.12 (définie comme cause du mouvement – i.e. cause productrice – des étants naturels) ; je mets en outre une virgule après φύσις λεγομένη.
249 À la différence de la nature, principe immanent de mouvement, l’art est un principe de mouvement (de production) extérieur aux artefacts.
250 Je supprime οὔσαν en 284.18 (faute par dittographie de οὔσαν en 284.17) et fait de τὸ ἀποτέλεσμα une apposition à ἄλλο τι. Pour une expression parallèle à ἄλλο τι παρ᾽αὐτὴν, cf. 283.32s. : ἄλλο δὲ παρ᾽ ἑκάτερόν ἐστι τὸ σύνθετον.
251 En 284.21 je mets un point en haut après τελευτᾷ.
252 Cf. supra, 269.10-17 où est attribuée à Syrianus l’opinion selon laquelle la définition de la nature prise au sens propre (i.e. au sens de principe) s’applique par analogie à toutes les autres significations du mot « nature ».
253 Sur l’idée que les mots en -σις expriment un processus, cf. supra, 279.11ss.
254 284.28s. : lire ἐφ’ ἑκάστῳ (ἐφ’ ἑκάτερα : Diels), ce qui donne : ὁ μέντοι ὁρισμὸς πᾶσι τοῖς σημαινομένοις ἐφαρμόσει οἰκείως ἐφ’ ἑκάστῳ λαμβανόμενος = 269.10-12 : ὁ ἀποδοθεὶς οὗτος τῆς φύσεως ὁρισμὸς πᾶσι σχεδὸν ἁρμόσει τοῖς τῆς φύσεως σημαινομένοις οἰκείως ἐφ’ ἑκάστῳ λαμβανόμενος.
255 Cf. Wherli (1955), fr. 51. Sur Eudème, voir supra, 263.20 et la note ad locum.
256 285.9 : Je mets une virgule après ἠρεμίας (et non pas un point comme Diels).
257 Cf. Phys. II, 1, 1, 192b8ss.
258 Cf. infra, chap. 3. Pour Simplicius, la nature n’est pas cause productrice au sens propre du terme, elle est seulement cause instrumentale, cf. 315.6-18, 317.6-28, 326.15-30. Voir aussi 287.29-30 : « ce qui est dans un substrat ne sera pas au sens strict un principe qui meut le substrat ».
259 Platon dit en fait : ce qui se meut soi-même vit.
260 286.15s. : ἀφανοῦς οὔσης αἰσθήσει τῆς δημιουργικῆς αὐτῶν αἰτίας.
261 Cf. supra, 262.13ss : pourquoi il est vrai de dire que les animaux et les plantes sont par nature.
262 Fleet (note 112, p. 170) renvoie aux Stoïciens. Mais une chose est d’assimiler l’âme végétative à la nature, autre chose de dire que l’âme végétative n’est pas du tout une âme. Or telle est l’opinion des Stoïciens, cf. SVF, II 710 (= Galien, De doctrines d’Hippocrate et de Platon VI 509 M., 561 K) : οἱ δὲ Στωϊκοὶ οὐδὲ ψυχὴν ὅλως ὀνομάζουσι τὴν τὰ φυτὰ διοικοῦσαν, ἀλλὰ φύσιν (voir aussi SVF II, 715). Simplicius vise ici plus probablement Plotin. Sur l’identification de la Nature universelle avec la dernière partie (les fonctions inférieures) de l’Âme du Monde chez Plotin, cf. Enn. IV, 4, [28], 13.3-5 ; III, 8 [30], 4.14-16. Voir aussi, V, 2 [11], 1.19-24 : « En avançant [sc. vers le bas] l’âme engendre cette image d’elle-même qui est la sensation, et dans les plantes, la nature… c’est ainsi que l’âme semble s’avancer jusqu’aux plantes ; elle s’y avance en un sens, puisque le principe végétatif appartient à l’âme » (là-dessus, cf. O’Meara [1995], 77 qui parle de la nature « as an integral part of soul »). Pour Simplicius, l’âme végétative est ici, en tant qu’âme, distinguée de la nature (au sens aristotélicien du terme). Pour Proclus n’est âme au sens propre que l’âme rationnelle (qui peut aller jusqu’à englober la sensation). Les fonctions végétative, nutritive, générative relèvent de la nature, cf. e.g. Théol. plat. I, 15, p. 75.22s. : « ce n’est pas une fatigue pour les natures de nourrir, engendrer ou de faire grandir (telles sont en effet les fonctions des natures) ». Et la nature n’est pas âme, cf. In Tim. I, 10.15s. : « Platon recule devant l’idée d’appeler Âme la Nature ». C’est là rejoindre la position des Stoïciens.
263 Cf. De an. II, 1, 412b4-6 : « Si donc il faut proposer une définition générale qui s’applique à toute espèce d’âme, disons que celle-ci est l’entéléchie première d’un corps naturel organisé ».
264 287.3 : κινητικὴν ἔχουσα κυρίως δύναμιν. On peut hésiter ici sur la traduction de κυρίως : « au sens propre du terme » (c’est la traduction commune), ou « souverainement » (l’âme « possède souverainement la puissance de mouvoir »). Sur le fond, cela ne change rien.
265 Cf. Simplicius, In De caelo, 381.33 Heiberg : ἡ γὰρ φύσις ζωή τίς ἐστιν ἐν ὑποκειμένῳ τῷ σώματι ἐπιτηδειότης οὖσα καὶ εὐφυΐα πρὸς τὸ κινεῖσθαι, et 382.8 : τὴν φύσιν εἶναί φησι κατὰ τὴν τοῦ κινεῖσθαι εὐφυΐαν ἀλλ’ οὐ κατὰ τὸ κινεῖν ὑφεστῶσαν. Sur la distinction entre le mouvement par soi des êtres animés et le mouvement par nature des corps premiers voir Phys. VIII, 4, 254b33-255a11, et 255b29ss. : « Que dans ces conditions aucune de ces choses (sc. les éléments) ne se meuve d’elle-même, c’est évident, mais chacune possède un principe de mouvement, non pas pour mettre en mouvement ni pour agir, mais pour subir », cité infra, en 287.31-33. La thèse dans sa généralité est formulée en Mét. Δ 12, 1019a15-23 où Aristote distingue puissance active, i.e. puissance de mouvoir ou de changer, et puissance passive, i.e. puissance d’être changé ou mû.
266 Cf. Phys. VIII, 4, 255b13-256a3.
267 Sur la « disposition » (ἐπιτηδηιότης), c’est-à-dire la disposition à recevoir les biens donnés par les causes divines, cf. supra, 280.17 et la note ad locum.
268 Le mot εὐφυΐα (qui appartient d’abord à la terminologie d’Aristote, puis des Stoïciens avant d’être adopté par des Médioplatoniciens comme Alcinoos) signifie « disposition favorable » et il est employé surtout au sens moral : « talent (ou : don) naturel », « (bonne, ou : heureuse) disposition naturelle » (ou encore « noblesse naturelle », comme le traduisent Saffrey-Segonds dans Marinus, Proclus ou sur le Bonheur, § 5.5). Manifestement on a ici un jeu de mots, difficile à rendre. Il faudrait traduire littéralement : « en vertu de sa croissance (ou : de sa pousse) heureuse », « en vertu de sa nature heureuse », ou encore : « en vertu de son heureuse orientation ». On est très proche de l’idée d’« aptitude naturelle (à recevoir) », de l’ἐπιτηδειότης (cf. 287.13s.), les deux termes pouvant être employés quasiment comme synonymes, cf. Simplicius, In De caelo, 381.33 (cité dans la note précédente) ; voir aussi [Pseudo ?]-Philopon, In De gen. an. 127.30 Hayduck : τὸ γὰρ μονοτοκεῖν πάνυ λαμπρὸν δεῖγμα τοῦ εὐφυΐαν καὶ ἐπιτηδειότητα ἔχειν πρὸς τὸ εἶναι ἄγονα (ou encore Thémistius qui, dans sa Paraphrase du De anima d’Aristote 5,3, p. 39, l. 9 Heinze, parle de la matière comme disposition et préparation – εὐφυία καὶ παρασκευὴ – à recevoir la forme et à devenir un « certain ceci »). La même idée est exprimée à nouveau plus loin, avec une petite variatio, cf. 313.6 : la nature dans la semence, en même temps qu’elle devient [quelque chose], produit [ce quelque chose], du fait que son trait caractéristique est son heureuse prédisposition : διὰ τὸ εὐφυέστερον.
269 De même la matière tend vers la forme, comme la femelle vers le mâle et le laid vers le beau, cf. Phys. I, 9, 192a20-23 et le commentaire de Simplicius, In Phys. 250.9-252.14.
270 On aura reconnu ici la définition proprement néoplatonicienne de l’âme comme « vivante par elle-même » (αὐτόζως), cf. par exemple Proclus, El. theol. § 189.28-30 Dodds : « Pour l’âme, être est la même chose que vivre ; si donc l’âme tient son être d’elle-même, si cet être est la même chose que vivre et si l’âme possède le vivre par essence, elle se donnera aussi à elle-même la vie et la tiendra d’elle-même. Et s’il en est ainsi, l’âme est vivante par elle-même ». Voir aussi par exemple Plotin, Enn. IV 7 [2], 9 ; Porphyre, Sentence 17.
271 Cf. Numénius, fr. 4a, 17 p. 45 des Places : « les corps, par nature, sont morts, sans vie » (τὰ σώματά ἐστι φύσει τεθνηκότα καὶ νεκρά).
272 On retrouve le mot ἀπεψυγμένον en 628.8 dans le Corollarium de loco.
273 Cf. infra, 289.25s.
274 Cf. Plotin, Enn. IV, 4 [28] où à la question : que reste-t-il de vie au corps quand l’âme animale est partie ? Plotin répond, ch. 29.3-7 : « Il en garde quelque chose pendant un court laps de temps… En voici les preuves : les cheveux qui continuent de pousser sur les cadavres, les ongles qui continuent de s’allonger, et les êtres vivants qui continuent de bouger longtemps après avoir été coupés en morceaux. Voilà en effet ce qui sans doute reste encore dans le cadavre » (trad. L. Brisson). Pour Plotin c’est à l’âme végétative (ou plutôt, à l’activité de l’âme végétative) qui demeure quelque temps dans le cadavre qu’il faut attribuer la cause de la pousse des cheveux sur un mort (là-dessus, voir Plotin, Traités 27-29, éd. L. Brisson, Paris, [2005], p. 262, la note 308). Pour Simplicius, qui distingue nettement âme végétative et nature, c’est la nature qui fait pousser les cheveux sur un cadavre.
275 Cf. Aristote, Mét. Λ 6, 1072b4 : « c’est en étant mues que les autres choses meuvent » (en lisant avec Jaeger κινούμενα, au lieu de κινουμένῳ = Ross) ; sur le Premier Moteur immobile, cf. e.g. 1072b7 : « Puisqu’il y a un être qui meut, tout en étant lui-même immobile ».
276 Cf. supra, la note au lemme d’Aristote.
277 Cf. infra, 315.10s. Le principe général est formulé par Proclus, El. theol. § 7 : « Tout être qui en produit un autre est d’ordre supérieur à son produit » (trad. Trouillard).
278 Cf. e.g. De caelo I, 4, 271a33 ; II, 11, 291b13 ; voir aussi De an. III, 9, 432b21s. ; 12, 434a31. On trouvera la liste complète des occurrences de cette affirmation selon laquelle la nature ne fait rien en vain dans Mansion (1945), p. 234, n. 26.
279 En 288.25 il faut corriger le texte et lire πρότερον (= Phys. 199a8) au lieu de ἕτερον (cf. aussi Simplicius In Phys. 375.1ss.). Le copiste a confondu avec 199a15. : « l’un (l’antérieur) est en vue de l’autre (le postérieur) ».
280 I.e. en étant immanente.
281 En 288.29 lire βλεπούσης (βλέπουσαν : Diels). On attend plus naturellement que ce soit la nature, plutôt que la disposition (l’en puissance), qui vise un but.
282 C’est-à-dire : en étant séparé, transcendant.
283 Cf. supra, Phys. II, 1.
284 Cf. supra, 287.20ss.
285 Ἀνάζεσις, 289.26 : jeu de mots sur ζωή et ζέσις (« bouillonnement »), cf. Damascius, Commentaire sur le Parménide I, p. 48.9 Combès-Westerink : « la vie est pour ainsi dire un bouillonnement de la substance » ; le préfixe ανα- exprime ici, me semble-t-il, l’idée de « sortie », d’où la traduction par « jaillissement ».
286 Diels imprime en 289.28 ἔκστασις (la « sortie hors de ») – ἡ ἀπὸ τοῦ εἶναι εἰς τὸ ἐνεργεῖν ἔκστασις (texte suivi par Fleet [1997, p. 44) : « the movement outwards from Being to Actuality »), et mentionne dans son apparat la leçon du Ms. E : (l’« extension »). Entre ἔκστασις et ἔκτασις dans l’In Phys. de Simplicius il est parfois facile de trancher dans certains contextes (indépendamment de l’autorité des Mss.), par exemple en In Phys. 413.30 : ἔκστασις ἀπὸ λευκότητος ἐπὶ μελανιάν, littéralement : « la sortie du blanc vers le noir », i.e. « le changement du blanc au noir » ; lire « l’extension – ἔκτασις – du blanc au noir » n’aurait pas de sens. Dans d’autres contextes, l’association avec le terme διάστασις (ou d’autres mots exprimant l’« extension ») confirme la lecture ἔκτασις, cf. In Phys. I, 9, 252.11 ; IV, 2, 536.25. Mais là où les termes corrélés marquent respectivement le point de départ et le point d’arrivée d’un mouvement de procession on peut hésiter entre ἔκστασις et ἔκτασις. Certains passages parallèles chez Simplicius peuvent faire pencher pour ἔκστασις : In Phys. 451.6 : Platon applique le terme « changement » au mouvement de sortie hors de l’être vers l’activité – ἐπὶ τὴν ἀπὸ τοῦ εἶναι εἰς ἐνέργειαν ἔκστασιν (sans indication de variante dans l’apparat de Diels) ; voir aussi ibid., 405.28 : τὴν ἀπὸ τοῦ ὄντος πρώτην ἐξανάστασιν (et 428.6). Reste qu’entre « extension » et « sortie hors (de soi) » la différence peut être conceptuellement minime. L’« extension » à partir de l’être vers l’« agir » est aussi bien une « sortie » hors de l’être vers l’agir (mais sans qu’il y ait remplacement pure et simple du premier par le second). On remarque d’ailleurs que la même variation se retrouve dans des textes de Proclus, là où les Mss. se partagent entre les deux leçons, cf. e.g. Proclus, In Eucl. 99.2 ; 128.2. Voir aussi. El. theol. § 128, p. 114.6 Dodds et le commentaire de Dodds, p. 268s. La leçon ἔκτασις peut s’appuyer sur le fait que Proclus associe souvent procession (ou puissance) et extension, cf. e.g. Théol. plat. III, 24, p. 84.18 : πρόοδος γάρ ἐστι τοῦ ἑνὸς καὶ ἔκτασις ἐπὶ τὸ ὄν, « car elle (sc. la puissance) est une procession de l’Un et son extension vers l’être » ; In Parm. I, 685.1 (= Proclus, Commentaire sur le Parménide de Platon, Livre I, éd. Luna-Segonds, p. 90) : c’est de l’un que viennent aux êtres « la procession et l’extension – ἡ πρόοδος καὶ ἡ ἔκτασις » ; De mal. subsistentia, § 53.18 πᾶσα ἐνέργεια δυνάμεως ἐστὶν ἔκτασις – « toute activité est une extension de la puissance ». Mais Damascius associe procession et « sortie hors de », cf. Traité des premiers principes, III, p. 48.15s. Combès-Westerink : ἡ πρόοδος ἐστιν ἔκστασις ἀπὸ τοῦ παράγοντος, « la procession est une sortie hors du producteur (sc. vers ce qui est de forme dissemblable) », sans variante textuelle signalée dans l’apparat ; voir aussi Damascius, In Parm. III, p. 46.11-13 : « la vie est une sortie hors de l’union intelligible de l’être » – ἐστὶν ἀπὸ τῆς νοητῆς ἑνώσεως ἔκβασις ἡ ζωή (voir aussi, ibid. IV, p. 95.4-6). En suivant le Ms. E j’adopte ici la leçon ἔκτασις (de même en 451.6). On notera que l’on retrouve la même hésitation textuelle entre ἔκστασις et ἔκτασις déjà chez Plutarque de Chéronée, mais avec une préférence marquée par les spécialistes pour les leçons ἔκστασις, ἐκστάσεις, etc., avec le sens dépréciatif que peut avoir ce terme (« altération » i.e., « dégénérescence »), cf. e.g. Plutarque, E de Delphes, 393d11 et la note ad locum dans Plutarque, Dialogues pythiques, présentation et traduction par Frédérique Ildefonse, Paris (GF), 2006, note 184, p. 250.
287 Plus loin, en 824.14s. Simplicius dira que Platon a conçu le mouvement dans l’Intellect en se réglant sur la sortie primordiale de l’Être véritablement être vers l’Acte : τὴν μὲν ἐν τῷ νῷ κίνησιν κατὰ τὴν ἀπὸ τοῦ ὄντως ὄντος πρώτην εἰς ἐνέργειαν ἔκστασιν ἐθεάσατο.
288 Ἄνω μέν (289.31) c’est-à-dire dans l’Intelligible, par opposition à « en bas » (κάτω δέ : 289.32), c’est-à-dire dans le monde physique.
289 289.34 : διανάστασις πρὸς τὸ ποιεῖν καὶ πάσχειν. Cf. infra, 421.1 où Simplicius dit du mouvement de l’Intellect qu’il faut le comprendre comme « le redressement vital à partir de l’être vers l’agir » : κατὰ τὴν ζωτικὴν ἀπὸ τοῦ εἶναι πρὸς τὸ ἐνεργεῖν διανάστασιν.
290 Soit les correspondances suivantes :
a. Étant premier = l’Être intelligible = être | |
triade intelligible { | b. Vie Première = la Vie Intelligible = puissance |
c. Hypostase Éidétique = Intellect Intelligible = acte | |
c’ la forme = acte | |
triade interne à l’étant naturel { | b’ la nature = la vie (puissance) |
a’ la forme en puissance dans la matière = l’être |
La triade intelligible ou triade des dieux intelligibles (par opposition aux dieux intelligibles-intellectifs et aux dieux intellectifs) est composée de : (i) l’Un-Étant, (ii) la Vie Intelligible ou Éternité, (iii) l’Intellect Intelligible (= le Vivant-en-Soi du Timée), correspondant à la triade essence, puissance, activité (ou être, vie, pensée). La triade interne « naturelle » est le reflet inversé de la triade intelligible, et la nature comme vie (comme croissance de la forme) est la dernière image, dans le sensible, de la Vie Première. On retrouve une inversion spéculaire très semblable entre la nature et l’intelligible dans le commentaire de Proclus à Timée 35a1-4, cf. In Tim. II, 139.14-140.10.
291 À savoir la sphéricité du monde, cf. Tim. 33b1-8 ; De caelo, II, 4.
292 Cf. Proclus, In Tim. II, 75.18-76.29 où le Lycien livre un petit catalogue des preuves « mathématiques », c’est-à-dire des preuves données par les astronomes, pour établir la sphéricité du corps du monde. Ces preuves sont établies à partir (i) du fait que les fixes et les planètes se meuvent selon des cercles parallèles ; (ii) l’inégalité des espaces d’un jour et d’une nuit ; (iii) les ombres ; (iv) la sphéricité du Ciel.
293 De la même manière, simplicité et perfection font du cercle la première des figures, cf. Proclus, In Eucl. 146.24ss. : « La toute première, la plus simple et la plus parfaite des figures est le cercle. Il est en effet supérieur à toutes les figures solides du fait qu’il possède son existence dans une classe [de figures] plus simple, et il l’emporte sur toutes les figures planes en ressemblance et en identité ».
294 Cf. De caelo II, 4, 286b25.
295 Cf. Proclus In Tim. II, 71.3 qui ajoute « comme le disent les savants en mathématiques » où il entend par là les astronomes, cf. ibid. II, 75.18-76.29 et en part. II, 76.7ss.
296 291.21 φιλοπόνως : littéralement « avec application » (Aujac dans Géminos, Introduction aux phénomènes, p. 111 traduit par « avec l’érudition qu’on lui connaît »). En consultant le TLG on constate que ce mot n’apparaît ni chez Syrianus ni chez Proclus, ni chez Damascius. Chez Simplicius, outre notre passage, on note deux autres occurrences, In De caelo 316.3 et In Phys. 129.32 (où il s’agit à chaque fois d’Alexandre).
297 Contemporain de Cicéron. Disciple du philosophe stoïcien Posidonius. Le seul ouvrage de lui qui nous soit conservé est une Introduction aux phénomènes, édité par G. Aujac en 1975 (2002²) aux Belles Lettres (dans la Collection des Universités de France). Géminos a aussi écrit une sorte d’encyclopédie mathématique que Proclus désigne par le terme de Philokalia (In Eucl. 177.24 Friedlein). Sur Géminos, voir DPhA III, 2000, p. 472-477.
298 Dans le texte donné par Diels en 291.22 : ἐκ τῆς ἐπιτομῆς τῶν Ποσιδωνίου Μετεωρολογικῶν ἐξηγήσεως on ne voit pas comment construire ἐξηγήσεως sans article. Diels suggère d’ailleurs dans son apparat d’insérer τῆς devant τῶν et de lire donc : ἐκ τῆς ἐπιτομῆς τῆς τῶν… ἐξηγήσεως (mais voir aussi les Corrigenda et Addenda de Diels dans vol. IX, p. xxxiii : « p. 291.22 <τῆς> ante ἐξηγήσεως addere praestat » et p. 1463 : « teneo <τῆς> ἐξηγήσεως cum τὰς ἀφορμὰς iungendum, quod temptavi vol. IX, p. xxxii »). J’adopte la suggestion de Diels en lisant τῆς devant τῶν et en faisant de ἐξηγήσεως un complément d’ἐπιτομῆς. C’est aussi la lecture retenue par Todd (DPhA III, 2000, p. 476). Il faut comprendre que l’Abrégé par Géminus des Météorologiques de Posidonius était une paraphrase explicative (et non pas que Géminus avait écrit un résumé de son commentaire des Météorologiques de Posidonius). Comme le dit M. Aujac ([1975], p. lii) « l’abrégé était aussi un commentaire ». C’est ce qui peut expliquer le fait que Priscien de Lydie (c. 530) atteste de l’existence d’un commentaire de Géminus des Météorologiques de Posidonius, cf. Solutiones ad Chosroem, p. 250 Dübner : « usi quoque sumus utilibus quae sunt ex commento Gemini Posidonii περὶ μετεώρων ».
299 Cf. Edelstein-Kidd (20053) Fr. 18 et T.42 et 73 et Kidd (2004²), p. 33, 58, 129ss. On trouvera une traduction par G. Aujac de cet extrait de l’Abrégé de Géminus dans Géminos, Introduction aux phénomènes, éd. G. Aujac, Paris, Belles Lettres (CUF), 2002, p. 111-113. Sur Posidonius d’Apamée, chef de l’École stoïcienne à Rhodes dans la seconde moitié du IIe siècle avant l’ère chrétienne, voir DPhA Vb, 2012, p. 1481-1501.
300 Il s’agit des phénomènes célestes. Le ciel ne connaît ni genèse ni destruction.
301 L’aitiologie est chez les Stoïciens une partie de la physique, cf. Diogène Laërce VII, 133.
302 On voit poindre ici une critique de l’astronomie comme science procédant par hypothèses, c’est-à-dire en élaborant des « machines artificielles » qui, tout ingénieuses qu’elles soient, ne sont que des inventions de l’esprit humain. Proclus développera dans le même esprit une critique radicale de l’astronomie savante qu’il oppose à l’astronomie philosophique, l’astronomie « au-delà du Ciel » (Théétète 173a6), i.e. au-delà du Ciel sensible (là-dessus cf. Segonds [1987]). Ici, l’astronomie mathématique est opposée à la physique, qui fonde ses démonstrations sur l’essence des corps célestes.
303 Diels imprime en 292.20-23 : διὸ καὶ παρελθών τίς φησιν Ἡρακλείδης ὁ Ποντικός, ὅτι καὶ κινουμένης πως τῆς γῆς, τοῦδὲ ἡλίου μένοντός πως δύναται ἡ περὶ τὸν ἥλιον φαινομένη ἀνωμαλία σῴζεσθαι : « C’est pourquoi un certain Héraclide du Pont, s’étant présenté, dit que… ». L’édition Aldine (Venise, 1526) a ἔλεγεν après ὁ Ποντικός et avant ὅτι : « C’est pourquoi, dit Héraclide du Pont, quelqu’un, s’étant présenté, disait que… ». Tannery (1899), suivi par Heath (1913, p. 282) voient en Ἡρακλείδης ὁ Ποντικός une glose (erronée) insérée dans le texte par un copiste et comprennent (sans ἔλεγεν) : « C’est pourquoi quelqu’un (sc. Aristarque de Samos), s’étant présenté, dit que… ». Selon la première lecture on semble faire d’Héraclide du Pont un précurseur, avant Aristarque de Samos, de l’héliocentrisme de Copernic. Si on adopte le texte de l’Aldine Héraclide du Pont (IVe siècle avant J.-C.) ne peut faire implicitement référence à Aristarque de Samos (IIIe siècle avant J.-C.) ; mais alors quel serait ce τίς ? Pour une discussion détaillée de notre passage, cf. Duhem (1913-1959), vol. I, La cosmologie hellénique (1913, 1988²), p. 410-418 (Duhem suit le texte de Diels et explique l’héliocentrisme d’Héraclide par l’influence de la thèse pythagoricienne selon laquelle la terre tourne autour d’un foyer central). J’adopte la lecture de Tannery et de Heath et supprime Ἡρακλείδης ὁ Ποντικός : en faire une apposition à τίς, placée après φησιν, me paraît difficile au regard de la syntaxe grecque. Sur Héraclide du Pont, élève de Platon, mais aussi d’Aristote et de Speusippe, cf. Diogène Laërce, Livre V, § 86 ; Proclus, In Tim. III, 138. 9-11 (qui contredit les données traditionnelles). Voir aussi DPhA III, 2000, p. 563-568.
304 À savoir : les Météorologiques.
305 Κατὰ τρόπον, cf. supra, 274.4 et la note ad locum.
306 « Séparer les réalités physiques » c’est séparer les formes naturelles (par exemple celle de l’homme sensible, celle de la chair) de leur matière, ce qui est impossible, même en pensée. « Séparer les réalités mathématiques » c’est abstraire du corps physique les dimensions, les limites et les attributs, choses qui ne sont pas séparables par nature, mais séparables en pensée, cf. le commentaire de Simplicius infra, 293.18-29 et 299.15s.
307 Aristote prend souvent l’exemple du camus comme réalité physique où la forme (la concavité) ne peut être séparée de sa matière (le nez), cf. e.g. Mét. E1, 1025b30-34 ; Z 5, 1030b17 ; De an. III, 3, 429b13. Il ajoutera juste après que le physicien doit connaître et la forme et la matière (dont sont composées les réalités naturelles), mais en privilégiant le point de vue de la forme, cf. infra, 194a12-15 et le commentaire de Simplicius (In Phys. 299.15-27).
308 On trouvera une analyse détaillée de l’explication de ce lemme par Simplicius dans Gavray (2011).
309 Cf. supra, Phys. 193b34s.
310 294.2 : lire ὅταν δὲ βουλόμενοι ὁρίσασθαι (βουλομένοις : Diels), cf. supra, 293.31 : ὅταν μὲν… ὁριξόμενοι.
311 Cf. Aristote, Mét. E 1, 1025b35 : « le camus est le nez concave, tandis que la concavité est indépendante d’une matière sensible ».
312 L’Homme comme Idée et l’homme naturel seront des homonymes. L’Homme-en-Soi n’est ni animal, ni mortel.
313 Cf. Syrianus, In Met. 113.33-35 : il ne faut pas s’attendre à trouver en l’Homme-en-Soi un foie, une rate et autres viscères.
314 Cf. Euclide, Éléments, Déf. I, 2 : « une ligne est une longueur sans largeur » (Γραμμὴ δὲ μῆκος ἀπλατές).
315 C’est de la même manière que Simplicius prête à Aristote la volonté de défendre la transcendance du Ciel en réagissant en quelque sorte par avance contre l’impiété des Chrétiens, qui rabaissent le Ciel au rang de réalité sublunaire, cf. In De caelo, 91.7-13 (là-dessus, voir Hoffmann [1987], p. 220).
316 La question de savoir s’il existe des Idées de toutes choses, comme l’homme ou le feu, ou de celles sans valeur comme la crasse, le cheveu ou la boue est posée (rhétoriquement) par Platon, dans le Parménide, 130c1-d2. Sur l’idée que pour les Platoniciens il n’y a pas d’Idées de toutes choses, cf. Alcinoos, Enseignement des doctrines de Platon, 163.24ss. (p. 21 Whittaker-Louis) : « La plupart des Platoniciens ne pensent pas qu’il y ait des Idées des objets fabriqués, comme un bouclier ou une lyre, ni des choses contre nature comme la fièvre ou le choléra, ni des individus comme Socrate et Platon, ni des objets vulgaires comme la crasse, un fétu, ni des notions relatives comme plus grand et supérieur : car, disent-ils, les Idées sont les intellections éternelles et parfaites en soi de dieu ». Voir aussi Proclus, In Parm. III, 815.15-833.18 : les Formes paradigmatiques sont éternelles, c’est-à-dire qu’elles transcendent toute forme de temporalité ; elles sont immobiles et intellectives. Elles ne peuvent être causes que de réalités immuables. Les Idées sont donc causes paradigmatiques des genres et des espèces de vivants (l’homme, le cheval), qui sont chacun et chacune un universel et qui sont pérennes, mais elles ne sont pas Modèles des individus (Socrate, Callias), qui sont mortels, et encore moins des parties des vivants (l’œil, la main). On trouvera le dossier de textes complet sur cette question dans Luna-Segonds, Proclus, Commentaire sur le Parménide de Platon, III, 2e partie, p. 48, note 2 (p. 216-222 des Notes Complémentaires). Voir aussi D’Hoine (2010).
317 Sur καὶ μέντοι « progressive », cf. Denniston, Greek Particles, p. 413s. qui renvoie entre autres à Platon, Banquet 222a ; Phèdre 266b.
318 Sur καὶ γάρ signifiant « et (mais) en plus », « et en outre », cf. Denniston, Greek Particles, p. 109s. qui renvoie e.g. à Platon, Parm. 148c2s. : Ἔχει γὰρ οὖν δή, ὡς ἔοικεν, καὶ τοιοῦτον λόγον. – Καὶ γὰρ τόνδε ἔχει – « C’est là encore, certes, une raison que l’Un paraît bien avoir – Mais il a en plus celle-ci ».
319 Il faut comprendre : les causes paradigmatiques, les Idées. S’il y a une cause efficiente, il y a un modèle, cf. Tim. 28a et 28c.
320 295.28 : οὐδὲν οἶμαι ἄτοπον. Par cette expression Simplicius montre qu’il a conscience du fait qu’il est quelque peu audacieux de s’opposer ainsi au refus d’Aristote de désigner, comme le fait Platon, les Causes paradigmatiques par les mêmes noms dont sont désignées les réalités d’ici-bas, cf. infra, In Phys. 406.13-16 : « Platon veut que les Causes paradigmatiques des réalités d’ici-bas soient désignées avec les mêmes noms [que ceux donnés aux réalités d’ici-bas], alors qu’Aristote prend garde à cette homonymie, en considérant qu’elle peut projeter en nous, du fait de la similitude [nominale], une assimilation aussi conceptuelle ». On retrouve la même formulation en 296.18 : καὶ ἄτοπον οὐδὲν (« il n’est en rien absurde »), et une expression similaire en 299.1 : οὐδὲν θαυμαστόν (mais en 299.1 ce que marquent les mots οὐδὲν θαυμαστόν c’est l’introduction d’une innovation doctrinale au sein du corps des doctrines proprement néoplatoniciennes). Sur cette même expression chez Proclus, tout aussi révélatrice, cf. In Parm. III, 829.10 et 836.12s. et la note de Luna-Segonds à In Parm. III, 826.20s. (= note 4, p. 64 dans Luna-Segonds, Proclus In Parm. III, 2e partie [p. 264s. des Notes Complémentaires]).
321 Sur l’idée qu’un même nom peut être attribué à une Forme et à une réalité appartenant au monde du Devenir, cf. Proclus, In Parm. IV, 849.16-853.11 : le nom « homme » est dit au sens propre dans le cas de la Forme « homme », de l’Homme-en-soi, mais il n’est pas dit au sens propre dans le cas de l’homme sensible (qui est un composé). Proclus insiste sur l’idée que pour les êtres inférieurs le nom (comme l’être) vient des êtres supérieurs (In Parm. IV, 851.10-852.18-20 et 38-40). Où l’on voit qu’il ne s’agit pas ici de défendre l’idée qu’entre réalités intelligibles et réalités sensibles il n’y a qu’un rapport de stricte homonymie ; pour les réalités intelligibles et les réalités sensibles les mêmes catégories peuvent être employées en tant qu’elles sont πολλαχῶς λέγεσθαι c’est-à-dire en tant que la prédication se fait ἀφ᾽ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν, cf. e.g. Simplicius, Commentaire sur les Catégories p. 32.12s. (= I. Hadot [1990b], p. 23s. et le commentaire de C. Luna, ibid. p. 84-100).
322 En lisant avec les Mss. D et E en 295.35 παραλαμβάνοι (περιλαμβάνοι : Diels) et en ajoutant ἐν devant ὁρισμῷ (conformément à ce qui est attendu comme le note Diels dans son apparat).
323 296.14 : τὸ εἶδος καὶ τὴν μορφὴν reprend (avec inversion des termes) Phys. 193a30s. : ἄλλον δὲ τρόπον ἡ μορφὴ καὶ τὸ εἶδος (sous-entendu : φύσις ἐστίν).
324 La participation est un don du participé au participant, cf. Proclus, Éléments de théologie, § 28, p. 32.19s. : « Ce qui est participé fait don à ce qui en participe d’une communauté, qui est ce par quoi il y a participation ».
325 Mét. Λ 6, 1071b12ss. et 7, 1072b3ss.
326 Mét. Λ 8, 1073a36-b1 et voir infra, p. 298.1-4.
327 Cf. supra, 295.12-21.
328 Cf. Timée 28a4s.
329 Cf. Proclus, In Parm. III, 791-792.
330 Cf. Phys. VIII, 6, 259b29-31 où il est dit que les sphères célestes à la fois se meuvent elles-mêmes et sont mues par le Premier Moteur immobile.
331 Cf. De caelo II, 12, 292a18ss. où la vie (l’âme) est attribuée aux corps célestes. La thèse selon laquelle il existe, outre le Premier Moteur immobile (qui meut la sphère des fixes), plusieurs autres moteurs éternels (qui meuvent les planètes) est exposée en Mét. Λ 8.
332 Mais non pas identiques.
333 298.19 (et infra, 298.25) : διακεκριμένην ἔχον ὑπόστασιν. Les Formes dans l’Intellect divin sont différenciées, tandis qu’elles subsistent sous un mode unifié et caché dans l’Intelligible. Sur la valeur du parfait διακεκριμένον qui chez Simplicius exprime parfois l’idée d’une différenciation achevée par opposition au participe présent διακρίνομενον : « qui est en train de se différencier », cf. Hoffmann, 1987, p. 217s.
334 298.20 : πάθος, « affection » ou « accident ».
335 La Nature est une essence incorporelle inséparable des corps, cf. Proclus, In Tim. I, 12.26.
336 On reconnaît ici la doctrine proclienne selon laquelle la Nature est une hypostase intermédiaire entre le Corporel et l’Âme, cf. In Tim. I, 10.13ss.
337 Simplicius transfère à la Forme dans l’Âme ce qui est la définition de l’Âme. De la même manière Proclus peut dire que les genres et espèces mathématiques, en tant que formes constitutives de l’essence de l’âme, sont automoteurs, cf. e.g. In Tim. II, 238.32-239.5 : « Les cercles qui sont en elle (sc. l’Âme du Monde) sont à la fois immobiles et mus, immobiles par essence, mus selon les opérations de la vie. Ou plutôt ils sont ensemble l’un et l’autre : car ils sont mus par eux-mêmes. Or le mû par soi-même est à la fois mû et immobile : car il se meut lui-même, et le mouvoir est le fait d’une puissance immobile ». Voir aussi ibid. II, 193.25-27 : quand on dit qu’il y a un nombre de l’Âme, il ne s’agit pas du nombre quantitatif (κατὰ τὸ ποσόν), mais d’un « nombre essentiel, qui se produit lui-même, uniforme, qui s’est tourné vers lui-même ».
338 L’Âme est à la fois étant (i.e. éternelle) et devenue (en tant que pensée discursive se déployant dans le temps), intermédiaire entre l’Intelligible (qui est seulement étant) et le Sensible (qui est seulement du devenu), cf. e.g. Proclus, In Tim. I, 229.11-235.32.
339 Il faut supprimer la virgule devant αἱ αὐταὶ (cf. Addenda ad vol. IX, p. 1463).
340 298.31 : à la triade immobilité, automotricité, matérialité correspond la triade « pythagoricienne » des plans du Réel : intellectif, psychique, sensible.
341 298.32 : οὐ μεταδιδόμενοι. Je comprends : sans qu’il y ait échange ou transfert des lieux propres aux trois grandes classes d’êtres, l’Intelligible, le Psychique le Sensible.
342 299.1 : οὐδὲν θαυμαστὸν. On a déjà rencontré plus haut (295.28 et 296.18) des formules similaires, dans le cadre de développements où Simplicius revendiquait contre Aristote la possibilité d’appeler du même nom une Idée et une réalité sensible et allait même jusqu’à prêter à Aristote une thèse radicalement opposée à ce qu’affirme explicitement le Stagirite (à savoir la thèse selon laquelle les formes naturelles sont séparables). Ici c’est une thèse « étonnante » pour un Néoplatonicien que Simplicius avance à titre d’hypothèse, à savoir l’idée que l’on puisse attribuer un Modèle à un accident non constitutif de l’essence comme la camusité (là-dessus, voir infra la note à In Phys. 299.34-299.2). On peut poser l’existence d’un Modèle de la camusité si on considère le nez en tant que forme et non pas en tant que matière. Mais si la camusité n’existe pas séparée de sa matière, alors on ne peut poser une Forme de la camusité (cf. 299.10s.).
343 Cf. Proclus, In Parm. III, 826.1s. : « chacune de ces parties (sc. le doigt, l’œil) est nécessairement un universel et une essence ».
344 299.1 : « un certain modèle », τι παράδειγμα. On peut comprendre (i) que le camus (comme forme) a un modèle (dans l’Intellect divin) qui lui est spécifique ; ou (ii) que le camus a « une sorte de modèle », i.e. une cause dans la Nature (voire dans l’Âme). J’adopte la première interprétation, celle qui est la plus « étonnante ».
345 298.34-299.2 : Diels imprime : ἡ μὲν γὰρ σιμότης τὴν ῥῖνα συναναφέρουσα, ἐπειδὴ καὶ ἡ ῥὶς εἶδός τί ἐστιν, οὐδὲν θαυμαστὸν εἴ τι ἔχοι παράδειγμα τῶν κατὰ φύσιν, ἀλλ’ οὐχὶ τῶν κατὰ πάθος σιμῶν αἴτιον. Selon une telle lecture, τῶν κατὰ φύσιν est le complément de παράδειγμα et τῶν κατὰ πάθος σιμῶν est le complément de αἴτιον. Telle est la construction suivie par Fleet (1997, p. 54) : « For snubnosedeness carries along with it the nose, and since the nose too is a form, it would not be surprising if it were to have as a model one of the things that are by nature, but not a cause for what is snubnosed only per accidens », et par Gavray (2011, p. 158) : « Le camus, en effet, émerge en même temps que le nez, puisque le nez aussi est une forme. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il y ait un modèle des camus selon la nature, mais pas une cause selon l’affection ». Le sens de la phrase est, me semble-t-il, meilleur (i) si on déplace la virgule que Diels met après τῶν κατὰ φύσιν et qu’on met celle-ci après παράδειγμα : ἡ μὲν γὰρ σιμότης τὴν ῥῖνα συναναφέρουσα, ἐπειδὴ καὶ ἡ ῥὶς εἶδός τί ἐστιν οὐδὲν θαυμαστὸν εἴ τι ἔχοι παράδειγμα, τῶν κατὰ φύσιν ἀλλ’ οὐχὶ τῶν κατὰ πάθος σιμῶν αἴτιον, (ii) si l’on fait de αἴτιον une apposition à παράδειγμα, et (iii) si l’on fait de τῶν κατὰ φύσιν ἀλλ’ οὐχὶ τῶν κατὰ πάθος σιμῶν le complément de αἴτιον avec σιμῶν en facteur commun. La thèse « étonnante » avancée ici va à l’encontre de la doctrine selon laquelle il n’existe pas des Modèles (des Formes intellectives) des parties du corps, mais seulement des causes, i.e. des raisons, psychiques et physiques, cf. Proclus, In Parm. III, 825.36-826.25 Luna-Segonds (= 825.26-826.19 Steel) : il n’y a pas de cause paradigmatique d’une partie du corps (comme le doigt, l’œil ou la dent) dans l’Intellect divin, qui est indivisible (et donc cause de totalités), mais il y a bien dans les âmes et dans les natures des causes de ces parties, cf. ibid. 826.15s. : « Il y a en tout cas ici (sc. dans les âmes et les natures) une raison et une forme – λόγος καὶ εἶδος – du doigt, de la dent et de chacune des ces parties ». Et pour l’idée qu’il n’y a pas de Modèles des accidents (ou attributs) non essentiels (comme la blancheur dans le cas de la laine par exemple), mais seulement des Modèles des attributs essentiels, cf. ibid. III, 826.26-827.24. Le nez camus en vertu d’une affection est celui qui a reçu un coup (je dois cette dernière remarque à Carlos Steel).
346 Il faut comprendre que la forme séparée (transcendante) du Vivant peut être indirectement participée par la matière par l’intermédiaire de la forme participée (immanente) qui émane de lui ; c’est ainsi que le Vivant-en-Soi rend la matière semblable à lui-même.
347 Retour à la thèse orthodoxe selon laquelle la camusité n’est pas séparable de sa matière qu’est le nez.
348 Sc. le nom.
349 Cf. Aristote, De anima I, 1, 403a29-b19 : le dialecticien définit la colère comme étant un désir de revanche, le physicien (sc. celui représentatif de l’ancienne physique) dira que c’est un bouillonnement dans la région du cœur. « L’un rend compte de la matière, l’autre, de la forme ou notion (τὸ εἶδος καὶ τὸν λόγον). Car la notion est la forme… Lequel donc des deux est le physicien (sc. le véritable physicien) ? Est-ce celui qui considère la matière et ignore la notion, ou celui qui considère exclusivement la notion ? N’est-ce pas plutôt celui qui embrasse ces deux points de vue ? ». Aristote précise ici son propos en donnant à l’étude de la forme une priorité de point de vue. Là-dessus voir aussi Mét. H 2, 1043a12-21 où la matière est la puissance, et la forme l’acte.
350 Cf. supra, 294.22-295.12.
351 Littéralement : par impact, par pression ou impression : κατὰ ἐπέρεισιν. Chez les Stoïciens l’expression renvoie à l’idée que l’objet sensible est conçu par confrontation immédiate (περίπτωσις, cf. Long-Sedley [2001], II, p. 178).
352 Un but : τέλος. Le but (τὸ τέλος) n’est pas le terme final ou extrême (τὸ ἔσχατον) ; la mort n’est pas le but, i.e. le terme le meilleur de la vie ; elle est seulement le terme extrême.
353 194a29 : συνεχοῦς τῆς κινήσεως οὔσης, littéralement : « quand il y a mouvement continu » ; le passage d’une forme naturelle à une autre dans le développement d’un vivant est une espèce de mouvement, continu en ce sens qu’il comporte des étapes qui s’enchaînent de manière ordonnée jusqu’au but visé, à savoir le vivant achevé, comme on a la succession : grain de blé, pousse, tige, épi. Là-dessus, cf. infra, 302.22-25, 310.20-311.37 (où l’on a l’analogie entre le développement d’un vivant et le mécanisme d’une marionnette), 312.23-25 (où l’on a la séquence, grain, pousse, tige, épi), et 313.19-21 (où Simplicius renvoie à Phys. 194a29).
354 En lisant avec Ross en 194a30 : τοῦτο τὸ ἔσχατον. Telle est aussi la lecture de Simplicius, cf. infra, 302.24.
355 Euripide, selon Philopon (In Phys. 236.8). Un poète comique selon Ross (19361) ; voir aussi Meineke, Comicorum poetarum graecorum fragmenta V 123 (395).
356 Par « forme selon la définition » Simplicius veut dire ici la raison formelle, immanente, par opposition à la configuration, ou forme extérieure, la μορφή, (cf. Phys. 193a30s.). Mais chez Empédocle, λόγος veut dire « proportion », cf. Bollack (1969 = III, 2), p. 384.
357 300.18 : lire ἀφώριζον (ἀφορίζει : Diels).
358 Cf. De gen et cor. II, 6, 333b13s. : « La cause (du mélange et de la séparation) c’est l’essence de chaque être » (à propos d’Empédocle).
359 Nestis est l’Eau ; Héphaïstos est bien sûr le Feu.
360 31B96 DK = 462 Bollack (qui voit en θεσπεσίηθεν un génitif se rapportant à Ἁρμονίης, cf. Bollack [1969], III 2, p. 388). Pour une traduction un peu différente voir Laks-Most (2016), p. 741.
361 Je lis en 300.25 ὑπὸ (ἀπὸ : Diels).
362 Sur L’Intellect chez Anaxagore, cf. fr. 59B11-16 D.-K. (= Laks-Most [2016], § 25, D 26-28, p. 878-879). Cf. aussi Simplicius, In Phys. 164.23s.
363 C’est la fameuse critique que Socrate porte contre Anaxagore dans le Phédon (97b-99d, sp. 98b7ss.). Là-dessus, cf. infra, 308.14-37, sp. 308.29-33 (la citation de Phédon 97c5-8).
364 Fr. 59B13 D.-K. Traduction Laks-Most (2016, p. 881) légèrement modifiée. On traduit généralement ἀπεκρίνετο par « il (sc. l’Intellect) se sépara du tout » (cf. e.g. Dumont [1991], p. 655) ce qui ne fait pas sens (l’Intellect, illimité, n’est mêlé à aucune chose, cf. fr. B 12 D.-K.).
365 Fr. 59B12 D.-K. (= Simplicius, In Phys. 156.13ss.), trad. Laks-Most (2016, p. 879) légèrement modifiée.
366 Fr. 59B1 Diels-Kranz (= D9 Laks-Most [2016], p. 875).
367 Le toit et les murs relèvent de « ce qui a rapport au but ».
368 Qui n’ont traité, à l’exception d’Empédocle et de Démocrite (et encore !), que de la matière, cf. supra, 300.13ss.
369 Cf. supra, note ad locum.
370 Sc. du vivant naturel (i.e. mortel).
371 Soit le texte : ὧν… ἔστι τι ἔσχατον, τοῦτο τὸ τέλος (« pour ce qui a un terme extrême, ce [terme] est le but »), au lieu de ὧν… ἔστι τι τέλος, τοῦτο τὸ ἔσχατον dans le texte d’Aristote (« pour ce qui a un but, ce [but] est le terme extrême »).
372 On peut donner à καίτοι en 302.20 un sens non adversatif, cf. Denniston, The Greek Particles, (1934) p. 559s où, pour καίτοι, καίτοι γε dans le sens : de « and in fact », « and indeed » « and further », on trouvera, entre autres passages, des références à Platon, Apologie 27a6s., Gorgias 452e3, Ion 533c. Voir aussi Dodds, Plato, Gorgias, Oxford, 1959, p. 202 : « καί + τοι = “and in fact”: not adversative but continuative ». Pour d’autres passages parallèles, cf. Platon, Rép. 440d 4s. : Πάνυ μὲν οὖν, ἔφη, ἔοικε τούτῳ ᾧ λέγεις· καίτοι γ’ ἐν τῇ ἡμετέρᾳ πόλει… : « Ta comparaison est fort juste ; elle l’est d’autant plus que… » (trad. Chambry, Budé, 1933) ; Parménide, 128b8s. : καίτοι ὥσπερ γε αἱ Λάκαιναι σκύλακες : « C’est certes avec le flair des chiennes… » (trad. Diès, 1923). Cf. aussi Simplicius, In Cat. 332.25.
373 Le Περί φιλοσοφίας est un dialogue perdu d’Aristote, dont il ne nous reste que des fragments, cf. W. D. Ross, Aristotelis, fragmenta selecta, Oxford, 1955, p. 73-96. Sur ce dialogue voir M. Untersteiner, Aristotele, Della Filosofia, Rome, 1963, p. 121-133, et DPhA, Supplément, 2003, p. 395-409. Selon Simplicius Aristote a appelé l’Éthique à Nicomaque, Sur la philosophie (cf. infra, 304.2s.).
374 Cf. Aristote, De an. II, 4, 415b2s. ; Éth. à Eud. VIII, 3, 1249b13-16 ; Mét. Λ 7, 1072b2s.
375 Fleet (1997, note 164) donne comme référence possible Éth. Nic. I, 1, 1094a3-6.
376 Allusion à l’idée exprimée par Socrate dans la République (X, 601c10-e2) et le Cratyle (390b) selon laquelle ce n’est pas le fabricant d’une chose qui connaît le mieux celle-ci, c’est celui qui fait usage de cette chose. Sur la supériorité de l’art d’usage sur la fabrication voir aussi Aristote, Éth. Nic. I, 1, 1094a1-19, Politique III, 11, 1282a17-24.
377 Cf. Phys. 194b9 où texte est : τῶν πρός τι ἡ ὕλη. En In Phys. on lit : τῶν πρός τι πρὸς τὸ εἶδος ἡ ὕλη. Soit πρὸς τὸ εἶδος est une glose insérée dans le texte, soit il faut le comprendre comme une apposition, ajoutée par Simplicius, à πρός τι.
378 304.17 : τῶν δὲ πρός τι ἅμα ἡ γνῶσις. Fleet donne ici au génitif τῶν δὲ πρός τι la valeur d’un génitif partitif, cf. Fleet (1997), p. 60 « if at the same time knowledge is in the category of the relative », comme on a à la ligne 16 τῶν πρός τι ἐστὶ ἡ ὕλη, « la matière fait partie des relatifs » ; de fait la connaissance (comme la sensation) est un relatif (Cat. ch. 7, 6b2s.). Mais, vu la suite immédiate du texte, il semble préférable de voir un génitif d’objet : la connaissance est connaissance en même temps des termes relatifs. Simplicius reprend ici le chapitre 7 des Catégories d’Aristote, et plus particulièrement Cat. 8a35-b15 (cité dans la note suivante) : connaître un relatif c’est aussi connaître celui qui lui correspond.
379 Cf. Aristote, Cat. ch. 7, 8a36 : « si l’on connaît de façon déterminée un des relatifs, on connaîtra aussi de façon déterminée ce à quoi il est relatif » (voir aussi ibid. 8b13-15 et Topiques VI, 4, 142a30).
380 On a δύο δὴ dans deux manuscrits du texte de Simplicius (DF), suivis par Diels, et dans trois manuscrits du texte d’Aristote (IJ1F). Ross lit δύο δὲ. Pellegrin adopte la leçon δύο δὴ, cf. Pellegrin (2000) p. 126, n. 2.
381 Sur les arts architectoniques par opposition aux arts qui leur sont subordonnés, voir Platon, Politique 259e, Aristote, Mét. A 1, 981a30ss., Δ 1, 1013a14, Éth. Nic. I, 1, 1094a10ss.
382 Le texte en 194b4s. (διαφέρει δὲ : « la différence se situe… ») a fait l’objet de discussions savantes. Une chose du moins est sûre : il y a trois arts : celui qui produit, celui qui est architectonique par rapport à celui qui produit et celui qui utilise. Le texte des Mss. est : διαφέρει δὲ ᾗ ἡ μὲν τοῦ εἴδους γνωριστική, ἡ ἀρχιτεκτονική, ἡ δὲ ὡς ποιητική, τῆς ὕλης. Ross garde le texte des Mss. mais dans son commentaire ([19361] p. 509) il suggère de corriger le texte en supprimant ἡ ἀρχιτεκτονική (qu’il considère être probablement une glose) et de lire ᾗ ἡ μὲν τοῦ εἴδους γνωριστική, ἡ δὲ ὡς ποιητική (i.e. ἡ δὲ ὡς ποιητική ἀρχιτεκτονικὴ οὖσα). Prantl (1879) lit : ἡ δὲ ἀρχιτεκτονικὴ ἡ ὡς ποιητική. Pellegrin (2000) adopte la correction de Prantl et traduit : « il (sc. l’art qui utilise) se caractérise par le fait qu’il connaît la forme, alors que l’art architectonique dans l’ordre de la production [connaît] la matière ». Maintenant comme Simplicius ne s’arrête pas sur le texte en 194b4s. Il est impossible (comme le note Ross dans son commentaire, p. 509) de savoir avec certitude quel texte il lisait. Je donne donc, et traduit, le texte des Mss.
383 Littéralement : « et par quels mouvements » – καὶ (ἐκ) ποίων κινήσεων.
384 Le lemme ne va pas jusqu’à ἄλλῳ γὰρ εἴδει ἄλλη ὕλη (comme l’imprime par inadvertance Diels, p. 304.19s.), mais jusqu’à ἐν δὲ τοῖς φυσικοῖς ὑπάρχει οὖσα.
385 Sur la supériorité de l’art qui utilise sur l’art qui produit cf. supra, 304.13 et la note ad locum. Proclus trouve une confirmation de l’idée que celui qui utilise est supérieur à celui qui fabrique dans le fait que dans le Parménide de Platon Antiphon dirige le forgeron qui fabrique un mors, cf. In Parm. I, 677.35-39 Luna-Segonds (= 677.25-28 Steel). Cf. aussi In Crat. § 62 (où Proclus pose la question de savoir comment l’âme partielle, qui utilise l’âme irrationnelle et le corps sensible, pourrait être dite supérieure, en tant qu’elle est architectonique, aux dieux récents qui ont fabriqué la première et le second).
386 304.28s. : ἡ κοινῶς λεγομένη ναυπηγική. Κοινῶς λεγομένη ne peut signifier ici « dans un sens large » par opposition à « au sens propre » (κυρίως λεγομένη), comme Simplicius peut dire que dans le Livre III de la Physique Aristote parle du mouvement « dans un sens large », c’est-à-dire sans faire de distinction entre « mouvement » (κίνησις) et « changement » (μεταβολή), le « mouvement » au sens large incluant comme terme générique l’espèce de mouvement qu’est le « changement », cf. In Phys. 801.3s. περὶ κινήσεως διδάξας τῆς κοινῶς λεγομένης (un peu comme on pourrait dire de nos jours que la construction de vaisseaux au sens large englobe celle de bateaux et celle de vaisseaux spatiaux) ; et sur l’emploi fréquent chez Aristote du terme « mouvement » comme catégorie générique englobant plusieurs espèces de changements, cf. supra, 264.9 (l’explication de ἀρχὴ κινήσεως en Phys. 192b14 et la note ad locum). L’expression ne peut vouloir dire non plus « dans un sens large » dans l’idée que l’« art de la construction navale » englobe par exemple aussi bien la construction de bateaux destinés à la navigation fluviale que la construction de bateaux destinés à la navigation maritime (ou encore celle de bateaux marchands et celle de bateaux de guerre). Κοινῶς veut dire ici que l’art de la construction navale ramène toutes les diverses productions partielles et spécialisées impliquées dans la fabrication d’un bateau à un but commun, l’assemblage final du navire (comme les pièces diverses d’une auto ou d’un avion sont fabriquées les unes, ici par tel sous-traitant, les autres, là par tel autre, en vue de l’assemblage final qui se fait dans l’usine-mère).
387 Littéralement : « tels ou tels mouvements », τοίας καὶ τοίας κινήσεις. Je comprends que les « mouvements » ici ne sont pas ceux qui sont opérés sur le bois pour fabriquer le gouvernail et dont il est question en Phys. 194b6s., mais ceux effectués en mer par le gouvernail.
388 Prescrivent donc le choix du bois en lequel doit être fait le gouvernail (et en ce sens connaissent la matière du gouvernail) à la fois le pilote (l’utilisateur) et le concepteur du bateau dans son ensemble, lequel recueille l’avis du pilote ainsi que ceux de tous les utilisateurs des autres pièces d’un navire. Le fabricant est réduit ici au rôle de simple exécutant de la commande.
389 Je lis et traduis ce passage avec l’accentuation que Simplicius semble avoir sous les yeux, à savoir : μέχρι του τινὸς γὰρ ἕνεκα ἕκαστον où του = τινός génitif de l’indéfini τι (mais telle n’est pas la lecture qu’il préfère, cf. infra 306.23-29). C’est aussi ce texte que donne Carteron qui met un point après του et traduit : « N’est-ce pas comme le médecin connaît le nerf et le forgeron, l’airain, c’est-à-dire jusqu’à un certain point ? En effet chacune de ces choses est en vue de quelque chose ». Ross comprend différemment et lit : μέχρι τοῦ τίνος [γὰρ] ἕνεκα ἕκαστον faisant de τοῦ τινὸς ἕνεκα ἕκαστον un groupe de mots substantivé complément de μέχρι (introduit par τοῦ génitif de l’article τό). Pellegrin (p. 127, n. 3) dit qu’il faut garder le texte des Mss (et donc, si on le suit, lire του, indéfini) et garder le γὰρ, mais (i) il traduit comme si l’on avait τοῦ et (ii) ne traduit pas le γὰρ : « N’est-ce pas comme le médecin qui doit connaître le tendon et le fondeur d’airain qui doit connaître l’airain, jusqu’à ce en vue de quoi est chaque chose… ? ». Alexandre lit μέχρι τίνος ἕνεκα · τινὸς γὰρ ἕνεκα ἕκαστον (cf. infra, 306.27-29). Par ailleurs il est important de souligner ici le sens que donne Simplicius à la question μέχρι πόσου ; il ne s’agit pas seulement de marquer les limites que ne doit pas franchir le physicien dans la connaissance de la forme naturelle (dans l’idée notamment que le physicien ne doit pas en faire une forme séparée de la matière, comme l’ont compris, selon Simplicius, Alexandre et Thémistius, cf. infra, 307.13-308.14). L’idée centrale dans toute l’explication de ce lemme est que le physicien doit étendre sa connaissance de la forme naturelle jusqu’à atteindre la cause finale de l’existence de cette forme, tout comme le médecin doit étendre sa connaissance de la matière qu’est le tendon jusqu’à connaître la cause finale de ce dernier, ou comme le forgeron doit connaître la cause finale de la matière qu’est l’airain. Une connaissance complète de la matière implique celle de la cause finale de la matière. De la même manière, une connaissance complète de la forme engagée dans la matière implique que l’on connaisse la cause finale. Ce propos est repris un peu plus loin, cf. 309.2ss. Sur ce passage difficile, voir Mansion (1945), p. 204, n.17 et Lernould (2011), p. 215-220.
390 Cf. Mét. Λ 5, 1071a13ss. et a20ss. ; De gen. et cor. II, 10, 336a15-b24. Cf. aussi supra, Phys. II, 1, 193b8 et 12, où l’on n’a pas l’addition « et le soleil aussi ».
391 En 306.11-12 je mets entre parenthèses ἔστι γάρ τινα εἴδη… τοῦ φυσικοῦ.
392 Comme le suggère la suite immédiate du texte, par μέχρι τίνος (306.17) Simplicius entend : « jusqu’où tend l’existence de telle ou telle forme naturelle particulière ? », en d’autres termes : « en vue de quoi existe telle ou telle forme naturelle ? ». C’est d’ailleurs là un sens bien attesté de μέχρι + génitif, cf. e.g. Platon, Rép. VIII, 559a : ἡ τοῦ φαγεῖν μέχρι ὑγείας τε καὶ εὐεξίας : « le désir de se nourrir pour se maintenir en santé et en forme » (trad. Brisson). Dire que A atteint le point B (va jusqu’au point B) peut en effet vouloir dire que B est le but de A.
393 Cf. infra, 308.14-37. En Phys. II, 7, 198a22ss. Aristote dira que le physicien doit connaître les quatre causes : la matière, la forme, le moteur, la cause finale. Voir aussi ibid., II, 9, 200a32 : le physicien doit connaître et la cause matérielle et la cause finale, mais plutôt la cause finale, « car c’est bien la fin qui est cause de la matière, et non la matière cause de la fin ».
394 Dans μέχρι του τινος γὰρ ἕνεκα ἕκαστον, του est la forme contractée de τινος.
395 306.23 : καί μοι δοκεῖ κατάλληλος ἡ λέξις φαίνεσθαι. Voir infra, 329.14s. la remarque d’Alexandre qui critique d’un point de vue grammatical le texte en Phys. II, 4, 196a8-10 : τί ποτ᾽οὐδεὶς… περὶ τύχης οὐδὲν διώρισεν. L’emploi d’une double négation fait que le texte, selon lui, est ἀκατάλληλος. Alexandre attendait : τί ποτ᾽οὐδεὶς… περὶ τύχης τι διώρισεν.
396 306.24 : ἐὰν καὶ ἐπὶ τοῦ μεχρι τινος βαρύνομεν τὸ τινος. Soit la lecture : μέχρι τίνος. Le baryton τίνος, inaccentué sur la dernière syllabe, est le pronom-adjectif interrogatif.
397 Cf. 309.13.
398 L’oxyton τινὸς accentué sur la dernière syllabe est le pronom-adjectif indéfini.
399 307.35 : μέχρι τίνος ἕνεκα, cf. supra, 306.27s. la lecture d’Alexandre μέχρι τίνος ἕνεκα τινὸς γὰρ ἕνεκα ἕκαστον.
400 In Aristotelis physica paraphrasis, ed. Schenkel, CAG V, 2, 1900, p. 44.1-3. Sur Thémistius (317-388), cf. supra, In Phys. 265.15 et la note 129.
401 Cf. supra, 306.16-23.
402 Sur la physique finaliste d’Aristote, cf. e.g. Phys. II, 8, 199a7 : « Il y a du en vue de quelque chose parmi les choses qui adviennent et qui sont par nature ».
403 Phédon 97c5-8.
404 Cf. supra, Phys. I 9, 192a34-b2 et le commentaire de Simplicius, In Phys. 257.5-258.26.
405 Tout ce chapitre 3 du Livre II de la Physique est presque entièrement parallèle à Mét. Δ 2.
406 Sur la physique comme étant une science théorétique, cf. Aristote, Mét. E, 1, 1025b 18ss.
407 Cf. Phys. I, 7, 190a20-30, en part. 190b13ss. : ce qui devient est double : c’est soit le substrat (l’homme devient cultivé), soit l’opposé (l’inculte devient cultivé).
408 Allusion à Thalès. Sur l’eau comme principe de toutes choses selon Thalès, cf. Laks-Most (2016), p. 146-147, §§ D3 et D4. Fleet (1997, note 187) renvoie à The Presocratic Philosophers, ed. Kirk, Raven, Schofield, 1982, 76-99.
409 Cf. infra, 195b6ss.
410 Cf. 193a30-b5.
411 En 310.18s. il faut corriger le découpage de Diels qui prolonge le lemme qui commence en 194b26 jusqu’en b29 : Ἄλλον δὲ τὸ εἶδος καὶ τὸ παράδειγμα ἕως τοῦ καὶ τὰ μέρη τὰ ἐν τῷ λόγῳ. Il faut arrêter ici le lemme en 194b27 : ὁ λόγος ὁ τοῦ τί ἦν εἶναι. Puis vient le lemme suivant : Καὶ τὰ τούτου γένη… τοῦ καὶ τὰ μέρη τὰ ἐν τῷ λόγῳ (Phys. 194b27-29), comme Diels le donne p. 314.25s.
412 Cf. Phys. 193a30-b5 et le commentaire de Simplicius, In Phys. 276.24-277.9.
413 La longue citation d’Alexandre qui suit est pour une bonne part un résumé de la théorie aristotélicienne de la reproduction des vivants qu’on trouve exposée dans le traité De la génération des animaux (on trouvera un passage parallèle très intéressant à ce que dit ici Alexandre chez Proclus, In Parm. III, 791.28-795.7). On voit ici très clairement que physique et biologie son étroitement associées, pour ne pas dire unifiées. Pour une discussion détaillée de toute cette section du commentaire de Simplicius qui couvre les pages 310.25 à 314.14 (= 1. l’exposé de l’analogie que fait Alexandre entre le développement de l’embryon et le mécanisme d’un automate : 310.25-311.27, et 2. La critique de cette analogie par Simplicius : 312.1-314.14) cf. Henry (2005), p. 7-27.
414 En 310.26 Diels imprime τῶν γινομένων κατ᾽αὐτόν et indique dans l’apparat : αὐτόν (sc. Aristotelem ?) DEF : αὐτὴν a. Je lis κατ᾽αὐτό en suivant Henry (2005), p. 7 (qui ne mentionne pas le problème de texte).
415 Déjà Aristote en Physique II, 8 (199b26-fin) affirme qu’il est absurde de penser qu’il n’y a pas de finalité s’il n’y a pas délibération.
416 La biologie d’Aristote, que reprend Alexandre, est finaliste, en réaction contre le mécanisme des Présocratiques comme Empédocle ou Démocrite, qui expliquent la structure des vivants exclusivement en termes de processus mécaniques. Mais affirmer que « la nature ne fait rien en vain » (De caelo, I, 4, 271a33), ou qu’« elle ne fait rien de superflu » (Part. an. IV, 11, 691b4) n’exclut pas les causes matérielles et motrices. L’explication mécaniste ne doit pas être rejetée, mais l’explication par la cause finale est « supérieure » (Gen. an. II, 1, 731b23 ; voir aussi Phys. II, 9, 200a32 : le physicien ne doit pas négliger la cause matérielle, mais c’est plutôt de la cause finale qu’il doit traiter). En même temps il ne faut pas prêter des intentions à la nature ; « c’est la forme (préalablement donnée) de l’organisme en question qui, en quelque sorte, guide les processus nécessaires » (Crubellier-Pellegrin [2002], p. 296).
417 Cf. Prolus, In Tim. I, 268.21 ; In Alc. 85.23s. ; In Parm. III, 792.34 ; 794. 20s. ; 795.31s. ; IV, 955.36s. (et ibid. III, 794.16s. : la nature est « irrationalisée »). Voir aussi Jamblique, Réponse à Porphyre, p. 124.9s. Saffrey-Segonds. Mais l’irrationalité de la nature n’exclut pas que celle-ci agisse pour des fins. Sur l’idée que la finalité n’implique pas nécessairement la délibération et sur la téléologie « naturelle » d’Aristote, cf. Phys. II, 8.
418 À partir de 311.1 « Mais le principe premier… » jusqu’en 311.30 (« … mais plutôt comme les automates ») on a un développement embryologique qui s’inspire du traité De la génération des animaux d’Aristote. On trouvera une traduction en anglais et une discussion de ce passage dans Henry (2005), p. 11ss. Le premier principe dans la reproduction est ici la semence qui est déposée par le générateur, et la matière réceptrice est le flux menstruel, « qui est de la semence non à l’état pur, mais qui a besoin d’être élaborée » (Gen. an. I, 20, 728a26s.). Pour l’idée que les animaux et les plantes (ici en tant qu’individus) viennent de la semence, cf. Aristote, De gen. an. I, 16, 721b6 ; Phys. I, 7, 190b45 (voir aussi Mét. Θ 7, 1049a13ss.). Mais le véritable principe est extérieur à la matière (à la semence) ; la véritable cause productrice est en effet une forme naturelle en acte, en un mot : le générateur, qui transmet à la semence le mouvement que celle-ci ensuite possède, cf. infra, 312.34s. et la note ad locum. Sur les problèmes d’interprétation que pose l’embryologie d’Aristote dans le traité De la génération des animaux (théorie du double sperma, i.e. la semence et les menstrues, ou un seul sperma divisé) voir Lefebvre (2016).
419 Par « les choses qui viendront sous l’action de et à partir de ce principe » : τῶν ὑπ᾽αὐτῆς καὶ ἐξ αὐτῆς ἐσομένων est exprimée l’idée que la semence est à la fois cause matérielle et cause motrice (productrice), cf. infra, 321.8-10.
420 Cause productrice et cause motrice sont étroitement associées ici car la communication du mouvement est une forme de production. Ce qui meut est supérieur à ce qui est mû, comme ce qui produit est supérieur à ce qui est produit (cf. Proclus, El. theol. § 7).
421 311.6 : εἰ μηδὲν ἐμποδίζοι (cf. aussi Phys. II, 8, 199a10 : ἄν μή τι ἐμποδίζῃ ; 199b18). Cette même condition (que rien ne fasse obstacle) est répétée un peu plus bas en 311.10 et 19. On retrouve l’expression « si rien d’extérieur n’y met un empêchement » en Mét. Θ 7, 1049a13s. où il est question de la semence qui pour devenir homme en puissance « doit être déposée dans un autre être (sc. la matrice de la femme) et subir un changement ».
422 Cf. infra, 312.20-25 avec l’exemple donné par Simplicius : le grain de blé produit la pousse, la pousse produit la tige et la tige l’épi. Voir aussi Proclus, In Parm. III, 792.1-4 : « C’est le grain de blé déposé (καταβληθείς) [en terre] qui fait naître l’épi, et le pépin, le figuier, et donc l’homme (sc. particulier) aussi naît de la semence humaine ».
423 La comparaison de l’enchaînement automatique des mouvements imprimés par le sperme du mâle déposé dans la matière qu’offre la femelle avec le mécanisme des automates se trouve chez Aristote, dans le traité De la génération des animaux, II, 1, 734b4ss. ; II, 5, 741b7-9. Le mouvement des animaux est lui aussi comparé par Aristote au mécanisme des automates, cf. Le mouvement des animaux 7, 701b2-13 (voir p. 64, note 38 dans l’édition de P.-M. Morel).
424 En 311.12s. on a un très beau chiasme : οὕτως δὲ καὶ ἡ συγκαταβληθεῖσα τῷ σπέρματι φύσις τε καὶ δύναμις ἐν τῇ οἰκείᾳ ὕλῃ γενομένη qu’on ne peut malheureusement pas rendre en français.
425 Littéralement « pouvant mouvoir la matière ». Le passage de l’automate à l’être vivant peut justifier celui de « mouvoir » à « changer ».
426 Sc. la semence (τὸ σπέρμα) par opposition à la matière réceptrice. On pourrait aussi corriger ici le texte en lisant en 311.13 : ἡ μὲν (au lieu de τὸ μὲν : Diels) et en comprenant qu’il s’agit de la nature (et de sa puissance active) par opposition à la matière (passive) reprise par ἡ δὲ (311.14).
427 Cf. De gen. an. IV, 1, 766b12 : « ce qui distingue la semence du mâle c’est qu’elle possède un principe qui lui permet de déclencher un mouvement à l’intérieur même du vivant ».
428 C’est-à-dire, semblable au géniteur. C’est ainsi que dans le cas de la génération humaine, les enfants ressemblent par la forme aux parents, et leur sont identiques par le genre ou l’espèce (cf. infra, 312.7, la reprise de la formule ἄνθρωπος ἐξ ἀνθρώπου). Sur la ressemblance des enfants avec leurs parents, cf. Aristote, Génération des animaux, IV, 2 (en part. 767a36ss.).
429 Sur le rejet de l’idée que la génération des hommes (et des vivants en général) soit le fait du hasard, cf. Proclus, In Parm. III, 791.35s.
430 Cf. Phys. II, 5, 196b17ss. : « Parmi les faits, les uns se produisent en vue de quelque chose (ἕνεκα του), les autres non ; et parmi les premiers, les uns par choix, les autres non par choix, les uns et les autres étant des faits qui se produisent en vue de quelque chose… Les faits qui sont en vue de quelque chose sont tous ceux qui pourraient être accomplis par la pensée ou la nature » (trad. Carteron). Voir aussi, ibid. II, 8, 198b10 : « Il faut donc d’abord dire pourquoi la nature est parmi les causes en vue de quelque chose » (trad. Pellegrin, qui note, p. 148 : « On peut comprendre l’expression de deux manières : i) la nature est ce en vue de quoi les choses sont ou adviennent, ii) la nature est une cause qui produit des effets en vue de quelque chose, sens que retiennent les commentateurs anciens » ; Pellegrin renvoie entre autres à Simplicius, In Phys. 369.35.
431 Le nécessaire dans le monde des vivants et dans le monde physique d’une manière générale c’est la nécessité hypothétique (comme il faut qu’il y ait des pierres si l’on veut que la maison existe). Déjà dans le Timée Platon explique ainsi le fait que la tête de l’homme ne soit pas plus protégée par des chairs et des muscles épais : c’est parce qu’une épaisse couverture de chair sur la tête priverait l’homme d’une sensibilité fine et d’intelligence, lesquelles valent mieux que la simple robustesse (Tim. 75b-c). Aristote critique cette explication dans le De part. an. II, 656a15ss. : le crâne n’est pas recouvert de chair, parce que le cerveau, qui a pour fonction d’éviter que l’organisme ne soit trop chaud, doit demeurer froid. Et « le nécessaire dans les choses naturelles, c’est leur matière et les mouvements de celle-ci » (Phys. II, 9, 209.31). Sur l’inutilité apparente d’organes ou de certains produits de l’organisme chez certains animaux, cf. Aristote, De part. an. 677a12s. : la bile n’est qu’un produit superflu, un περίπτωμα, elle n’est pas en vue de quelque chose (οὐχ ἕνεκά τινος). C’était déjà peut-être l’opinion de Philolaos, cf. le témoignage de Ménon dans D-K 44A28 (= Dumont [1991], p. 262 ; Laks-Most [2016], p. 415).
432 C’est-à-dire la forme comme élément.
433 Cf. 311.1ss. et le développement embryologique inspiré de La génération des animaux.
434 Cf. infra, 313.15-20.
435 En lisant en 312.30 (avec E) : τοῦ ποιετικοῦ αἰτίου ἀλλοιουμένου γίνεται τὸ ἀποτέλεσμα (τὸ ποιητικὸν αἴτιον ἀλλοιούμενον : Diels), cf. ligne 29 : ἀλλοιουμένων τῶν προτέρων γίνεται τὰ ἐφεξῆς.
436 Cf. infra, 313.15. Voir aussi cf. Proclus, In Parm. III, 792.13-15. : « Partout, en effet, le en-acte précède le en-puissance, car ce dernier, étant imparfait, a besoin d’autre chose, d’une chose qui le mènera à perfection », et El. theol. § 77. C’est là la thèse aristotélicienne bien connue de la priorité de l’acte par rapport à la puissance (au sens d’en puissance), cf. Mét. Θ 8, 1049b4-1051a3 ; Λ 7, 1072b35-1073a3 : « La semence, en effet, provient d’autres individus, qui sont antérieurs et parfaits, et ce qui est premier ce n’est pas la semence, mais l’être parfait : par exemple, on peut dire qu’antérieurement à la semence il y a un homme, non pas l’homme provenant de la semence, mais un autre, duquel la semence provient ». L’argument selon lequel la cause productrice, dans les êtres engendrés par nature, est extérieure à et séparée de la matière (la semence) est mobilisé par Alexandre d’Aphrodise contre la thèse stoïcienne qui veut que le dieu créateur soit présent dans la matière, cf. De mixtione, XI, 225.18-226.10 (= Sur la mixtion et la croissance, éd. Groisard, Paris, Les Belles Lettres, 2013, p. 22s.).
437 En 313.2 corriger ἑαυτῇ en ἑαυτῆς et lire τοῦ ἑαυτῆς ὑποκειμένου (cf. e.g. 287. 15 : τῇ ἑαυτῆς εὐφυΐᾳ).
438 Henry (2005), p. 20 a bien vu le glissement de « la nature de la semence » à « la nature dans la semence ».
439 Cf. 287.14ss.
440 Comme on sait le verbe γίγνεσθαι peut signifier « devenir » ou « advenir » (cf. Phys. I, 7, 190a13-b16). Ici, l’idée est que la semence est à la fois passive et active, cause matérielle (substrat) et cause productrice (agent) ; il faut donc donner un sens résolument passif à γίγνεσθαι en 313.6. Cf. infra, 321.8-10 : la semence est cause intermédiaire entre la cause matérielle et la cause productrice puisque c’est en se changeant elle-même qu’elle produit quelque chose en même temps qu’elle devient quelque chose.
441 Cf. supra, 287.15 : c’est comme si la nature appelait à elle, en vertu de son heureuse prédisposition, τῇ ἑαυτῆς εὐφυΐᾳ, les causes ordonnatrices.
442 Cf. supra, 289.25-35. Sur la nature comme « vie », voir aussi Simplicius, In De caelo, 381.33 Heiberg : ἡ γὰρ φύσις ζωή τίς ἐστιν ἐν ὑποκειμένῳ τῷ σώματι ἐπιτηδειότης οὖσα καὶ εὐφυΐα πρὸς τὸ κινεῖσθαι.
443 La semence de la femelle est une semence impure, cf. Gen an. I, 20, 728a27. Sur ce qui distingue la semence du mâle de celle de la femelle voir ibid. IV, 1, 766b14. Sur le fait que l’on puisse hésiter sur la question de savoir si Aristote dans la Génération des animaux défend une théorie de la double semence (du double sperma) cf. Lefebvre (2016).
444 C’est-à-dire le passage de la semence à l’embryon et à toutes les phases de développement de ce dernier, cf. Aristote, Mét. Θ 7, 1049a13ss. : pour devenir homme en puissance la semence doit être déposée dans la matrice de la femme et subir un changement (μεταβάλλειν) ; Mét. Z 9, 1034a34s. : « la semence a, en puissance, la forme ». C’est cette idée que Simplicius reprend dans son commentaire aux Catégories, cf. In Cat. 306.23-24 où Simplicius, discutant la définition stoïcienne de la production comme étant un agir δι᾽ ἑαυτοῦ, prend l’exemple des natures médicinales et ajoute : καταβληθὲν γὰρ τὸ σπέρμα ἀναπλοῖ τοὺς οἰκείους λόγους καὶ ἐπισπᾶται τὴν παρακειμένην ὕλην καὶ διαμορφοῖ τοὺς ἐν ἑαυτῷ λόγους (« car la semence qui a été déposée déploie les raisons appropriées, attire à elle la matière qui est à sa disposition et façonne les raisons qui sont en elle [sc. la semence]) ». Ici, ce qui accomplit l’actualisation c’est la semence du père et celle de la mère, parce qu’en la semence il y a la nature comme « vie », et que cette nature tend vers la forme, si bien que la semence est à la fois passive et active. Mais ce qui est cause au sens propre de l’actualisation, c’est la forme en acte dans le géniteur.
445 Simplicius ajoute plus bas (313.26s.) une précision en disant que la mère est cause plus prochaine de la forme de l’enfant. En In Parm. III, 792.15ss. c’est à la nature de la mère que Proclus attribue la fonction de faire passer les raisons dans la semence du « en puissance » à l’actualité. C’est donc elle (la nature de la mère) qui contient en acte les raisons et qui « façonne ce qui naît » (διαπλάττουσα τὸ γιγνόμενον).
446 L’objection à Alexandre est ici la suivante : le développement des organismes n’est pas une suite discontinue de différents stades dans le développement, avec différentes natures comme principes (la nature de A produisant B, la nature de B produisant C, et ainsi de suite). Le développement est continu parce qu’il est l’actualisation réglée et mesurée d’une nature unique qui embrasse à l’avance l’ensemble du processus. Là-dessus, cf. Henry (2005), p. 19ss.
447 Phys. II, 2, 194a29.
448 Le rejeton préexiste en puissance dans sa cause, c’est-à-dire dans la semence du père, sous le mode d’une « raison », i.e. d’un principe formel (interne) efficient, qui lui-même est fourni par le père (la cause efficiente externe).
449 313.24 : ὡς ἐπὶ τῶν νευροσπαστουμένων. C’est le même mot qu’on a rencontré en 311.8 : ἐν τοῖς νευροσπαστουμένοις. Henry (2005), p. 22ss. pense que Simplicius fait référence en 313.24 à des poupées mécaniques (« probably the θαύμαστα from Plato’s Republic 514b ») et non pas aux automates d’Alexandre (ou des marionnettes) dans l’idée que l’analogie avec les poupées mécaniques permet d’illustrer le rôle joué par un agent externe (le géniteur) dans le développement d’un embryon et aussi le rôle de la nature comme étant à la fois mue, i.e. changée (passive) et productrice de forme (active). Certes Simplicius n’a pas le même modèle du développement de l’embryon que celui d’Alexandre, qui pose une succession d’étapes et de natures différentes et séparées. Mais (comme le souligne Henry) c’est surtout le rôle du géniteur (la cause productrice externe) qui fait la différence entre les deux modèles : chez Alexandre le père ne fait qu’initier le processus interne de développement, chez Simplicius le père à la fois enclenche le processus et embrasse causalement l’ensemble du processus. La « machine » peut donc être la même ; mais le rôle joué par celui qui met en branle le mécanisme peut être expliqué différemment.
450 II, 6, 333b11.
451 Cette proposition est obscure. On peut comprendre que le principe éternel (i.e. l’Intellect Démiurgique) qui a produit le Devenir, connaît les deux modes de venir à l’être : par soi, ou par un autre. Ou que l’Intellect Démiurgique connaît et sa puissance et ce qu’il produit.
452 Bel exemple de conciliation de l’immanence et de la transcendance. La nature, cause immanente au corporel, est ramenée à la source dont elle dérive : les Formes intelligibles. C’est ici, et dans la dernière section (314.15-24), une thèse platonicienne (dont le Timée est la source) qui vient couronner l’explication de Phys. 194b26, celle selon laquelle les Formes sont les paradigmes des réalités naturelles. Sur cette doctrine de l’Idée comme modèle des réalités naturelles dans la tradition platonicienne (dont Sénèque se fait l’écho), cf. Michalewski (2014), en part. p. 50-53, qui renvoie notamment à Xénocrate et Proclus (mais aussi à Sénèque).
453 315.2s. : en disant « chaque partie est coextensive au tout » Simplicius renvoie à une des trois modalités d’existence du tout (ou : totalité), à savoir « le tout dans la partie » (souligné par moi), qu’il faut distinguer du « tout avant les parties » et du « tout constitué des parties » (sur ces trois modes de la totalité, cf. Proclus, El. theol. § 67 Dodds et le commentaire de Dodds p. 236s.). L’idée que le tout de la forme est dans chaque partie de l’énoncé peut être rapprochée de ce que dit Plotin à propos de chaque science : « une science unique et totale se divise en théorèmes particuliers sans se dissiper ni se fragmenter, car chaque théorème contient en puissance la totalité de la science », Enn. III, 9 [13], 2.1-3. Ici le genre (« vivant ») et les différences essentielles (« rationnel », « mortel ») sont les « parties » de la définition de l’homme, lesquelles signifient une réalité une.
454 194b29 : Ἔτι ὅθεν ἡ ἀρχὴ τῆς μεταβολῆς ἡ πρώτη ἤ τῆς ἠρεμήσεως. Littéralement : « c’est ce dont vient le premier commencement du changement et du repos » (= trad. Carteron) ; « ce d’où vient le premier principe du changement ou du repos » (trad. Stevens). Mais on voit mal comment ce qui est premier (commencement ou principe) viendrait de quelque chose d’antérieur encore. J’adopte la lecture de Pellegrin : « De plus, [on appelle cause] le principe premier d’où part le changement ». On retrouve quasiment la même formulation en Phys. II, 6, 198a3 : ἐν τοῖς ὅθεν ἡ ἀρχὴ τῆς κινήσεως.
455 Cf. supra, 259.5.
456 Cf. supra, 314.10 : la nature est « plutôt cause accessoire ». Pour l’idée que la nature n’est pas cause productrice au sens propre du terme parce qu’elle est immanente au substrat, cf. supra, 289.27s. : « ce qui réside dans un substrat ne sera pas au sens strict un principe qui meut le substrat ».
457 En 315.20 je supprime la virgule après τὰ ἱστάμενα.
458 En 315.21s. je lis εἰπὼν ὅθεν ἡ ἀρχὴ τῆς μεταβολῆς ἡ πρώτη προσέθηκεν ἢ τῆς ἠρεμήσεως (= Physique 194b29s.) au lieu de εἰπὼν ὅθεν ἡ ἀρχὴ τῆς μεταβολῆς προσέθηκεν ἢ τῆς ἠρεμήσεως ἡ πρώτη (= Diels).
459 315.27 : ἡ μὲν ποίησις οὐσιώδης δοκεῖ. Je comprends : qui dit « production » dit production de substances par opposition au « changement » qui inclut les autres mouvements (mouvement local, altération, etc.).
460 L’attribution aux causes instrumentales du rang de causes intermédiaires entre la cause efficiente et la cause finale se fait ici dans la perspective d’une hiérarchie des causes qui pose dans l’ordre : 1. cause efficiente, 2. cause instrumentale, 3. cause finale (le médecin, la purgation, la santé). Dans l’ordre du pratique et des réalités matérielles, le but (en tant que fin réalisée concrètement) vient en dernier, après (i) l’agent et (ii) les moyens mis en œuvre par celui-ci pour atteindre son but. C’est dans cette perspective que la « cause la plus élevée », par exemple de la maison qui a été construite, c’est l’art de la construction (195b21-30).
461 En 316.8s. je mets entre guillemets αὐτὰ δὲ τῆς ὑγείας ποιητικὰ αἴτια. Diels met entre guillemets seulement ποιητικὰ αἴτια.
462 Ou : « la médecine ».
463 La notion d’« ordre » conduit à penser qu’ici l’« homonymie » se confond avec la relation ἀφ᾽ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν. Alexandre entendrait par « homonymie » ce que Simplicius donne comme étant le quatrième mode d’homonymie intentionnelle : « des réalités différentes sont rapportées à une seule et unique fin et elles tiennent leur appellation de cette fin : on parle de nourriture saine, de remède sain, d’exercice sain, et de même pour toutes les réalités dont la dénomination dérive de la santé, comme du but qu’elles poursuivent » (In Cat. 32.9-11). Pour Simplicius les choses ἀφ᾽ ἑνὸς καὶ πρὸς ἓν λεγόμενα constituent, prises au sens strict, une classe intermédiaire entre les homonymes et les synonymes, cf. Luna (1990b), p. 41 : la participation à la même forme « assure l’unité et par voie de conséquence la non-homonymie, tandis que la diversité des degrés de participation détermine la pluralité et par conséquent la non-synonymie », et p. 155 : « on parle de πρὸς ἓν λέγεσθαι lorsque plusieurs choses ont le même nom en tant qu’elles se réfèrent, même si c’est de façon différente, à la même réalité. Par exemple, toutes les choses saines, qu’elles soient des promenades, des médicaments ou des symptômes, se réfèrent toutes à la santé. Pour cette raison, parmi les choses saines, il y a un rapport d’homonymie πρὸς ἕν : elles sont homonymes parce que le terme “sain” n’a pas le même sens lorsqu’il est dit du médicament ou du symptôme ; mais elles sont homonymes πρὸς ἕν parce que toutes se réfèrent à la santé. En outre chacune de ces choses tire son nom, c’est-à-dire “sain”, de la santé. Pour cette raison, entre les choses saines d’une part et la santé de l’autre, il y a un rapport de paronymie… les deux rapports ne peuvent être confondus parce que le πρὸς ἓν λέγεσθαι demande l’identité des noms, tandis que la paronymie demande des noms identiques dans leur racine, mais différents dans la terminaison ». Voir aussi Luna, ibid., p. 149ss.
464 C’est-à-dire : d’être saines.
465 Cf. supra, Prologue, p. 3.16-19, et In Phys. I, 1, p. 10.35-11.3.
466 La distinction entre causes au sens propre et causes accessoires ne résulte pas de la division en espèces d’un genre qui serait celui de « cause », pas plus que la distinction entre réalités intelligibles (éternelles) et réalités sensibles (devenues) ne résulte de la division en espèces d’un genre qui serait l’« être » ; sur ce dernier point cf. Proclus, In Tim. I, 224.17ss. (en part. 225ss.), commentant Tim. 27d5 (la distinction de l’Être éternel et de l’être devenu) : il n’y a pas division d’un genre en espèces là où il y a « l’antérieur et le postérieur ».
467 Τὸ διὰ τί (316.33) équivaut chez Simplicius à τὸ διότι et signifie la cause efficiente.
468 Cf. Tim. 28a4-6.
469 En suivant en 317.13 l’édition aldine : ὅτι αὐτὸ καὶ κινούμενόν ἐστι (ὅτι τὸ αὐτὸ καὶ κινούμενόν ἐστι : Diels).
470 317.17 : ὁ πολυτίμητος νοῦς. Sur cette expression très courante chez les Néoplatoniciens, cf. Proclus, Théol. plat. I 19, p. 93. 13 et la note 1 de Saffrey-Westerink (p. 154 des Notes Complémentaires) qui renvoie à de nombreux passages dans Proclus, Syrianus, Damascius (par exemple Proclus, In Parm. IV, col. 957.10-11 ; Syrianus, In Met. 25.5 ; Damascius, De princ. I, p. 14.4).
471 Cf. De an. 406a2ss. ; 408b30 ; 411a25.
472 Cf. Phys. II, 2, 194b13.
473 On reconnaît ici la distinction de trois degrés de réalités en fonction de leur rapport au temps : (i) l’éternel, qui transcende le temps, qui est absolument ; (ii) le sempiternel, qui devient dans le temps tout entier ; (iii) le devenu, qui devient dans une partie du temps, cf. Proclus, El. theol. § 55 et le commentaire de Dodds, p. 229s. La sempiternité du monde sensible est fortement affirmée par les Néoplatoniciens, cf. e.g. Proclus, In Tim. I, 277.32-282.22 ; In Parm. VI, 1119.13-24.
474 Cf. supra, 287.29s. ; Proclus, El. theol. § 7. Sur la Nature comme comme cause instrumentale, et plus précisément comme instrument des dieux, cf. Proclus, In Tim. I, 12.21-25 et Lernould (2012), p. 94-98.
475 En 317.30 Diels imprime : ἀφ᾽οὗ καὶ μετεχόμενον καὶ πρὸς ὃ τὸ μετέχον ἀφομοιῦται. Je supprime καὶ μετεχόμενον. Dans la double relation ἀφ᾽οὗ καὶ καὶ πρὸς ὃ on reconnaît la matrice de la fameuse expression τὸ ἀφ᾽ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν.
476 On reconnaît les causes matérielle (le substrat) et formelle (ce qui est dans un substrat), cf. Phys. 192b33s. et Simplicius In Phys. 270.3-26. Là-dessus, voir Lernould (2011), p. 207-215.
477 318.16 : αἰώνιον ὑπάρχον. L’adjectif αἰώνιος veut dire « éternel » au sens fort du terme, i.e. qui transcende toute participation au temps et s’oppose au sempiternel (ἀίδιος).
478 Cf. Proclus, El. theol. § 76 ; In Tim. II, 144.5 ; In Parm. III, 795.7ss.
479 Littéralement : « mais si cela est absent ».
480 191a6s.
481 Ὑποθέσεις, c’est-à-dire : les « prémisses ». Cf. infra, 319.33-320.1 : Aristote appelle « hypothèses » (ὑποθέσεις) les « prémisses » (προτάσεις).
482 C’est-à-dire parmi les couples qui viennent d’être énumérés, comme parties/tout.
483 En319.32 je lis ἐξ αὐτῆς (ἐξ αὐτοῦ : Diels).
484 Cf. Aristote Mét. ∆ 1023a35ss. : « En un autre sens provenir de se dit comme la forme provient de sa partie ; ainsi l’homme vient du bipède, et la syllabe en général de la lettre en général, mais non de la même manière que la statue vient de l’airain, car la substance composée vient de la matière sensible, tandis que la forme vient de la matière et de la forme ».
485 Στοιχεῖον signifie « lettre » et « élément » (« corps premier »).
486 Sc. matière, lettres ou parties, corps premiers.
487 La citation d’Alexandre commence en 320.1, ce que marque Diels en mettant des guillemets devant ἡ μὲν γὰρ ὕλη. Mais on cherchera vainement dans Diels les guillemets marquant la fin de la citation. Fleet attribue l’ensemble du développement (320.1-11) à Alexandre : « Alexander says: “Matter takes on the form… Perhaps in a sense the premisses are in the conclusion and it is all a single thing” ». Mais c’est là à coup sûr une erreur. On sait en effet que μήποτε δέ est la formule très régulièrement employée par Simplicius pour introduire son opinion. J’arrête donc la citation en 320.10 après : τὸ δὲ συμπεπερασμένον εἶδους (« … tandis que la conclusion joue le rôle de forme »). Il reste que faire ici de μήποτε δὲ le marqueur du passage de la citation à l’introduction de l’opinion personnelle du commentateur peut être ici discuté. De 320.1 à 320.6 on a une première unité avec ce qui distingue matière, lettres ou parties, et corps premiers, qui ne sont pas substrat de la même manière. En 320.6 avec les mots ἀλλὰ ταῦτα on a une deuxième unité où est livré ce qui est commun à ces trois subtrats, à savoir l’inhérence, et qui les distingue du « substrat » que sont les prémisses dans un syllogisme (320.6-10). On pourrait attribuer cette deuxième unité à Simplicius, le ἀλλὰ marquant le passage de la citation au complément ajouté par Simplicius à l’explication d’Alexandre ; et dans ce cas il faut arrêter la citation en 320.6 après ἀπ᾽αὐτῶν σώματα. Quant à μήποτε δὲ, la formule n’introduirait pas l’opinion de Simplicius (qui se réduirait à une ligne) après celle d’Alexandre, mais constituerait un complément ajouté par Simplicius à sa propre explication.
488 Le tout « avec les parties » est le composant matériel, le tout des parties ; le tout qui « survient » aux parties (τὸ ἐπὶ τοῖς μέρεσιν ἐπιγιγνόμενον : 320.14s.) est le composant formel, qui est d’une autre nature que les parties.
489 Cf. Aristote Mét. Z 1041b11ss. : la syllabe n’est pas les lettres qui la composent : BA n’est pas identique à B et A, ni la chair, au feu et à la terre.
490 Tim. 50b7ss.
491 Le manuscrit E et Simplicius lisent : τῆς μεταβολῆς ἢ στάσεως. Les autres ms. ont τῆς μεταβολῆς ἢ στάσεως ἢ κινήσεως.
492 Cf. supra, 313.5-9.
493 Quand la cause efficiente et la cause matérielle se confondent comme dans le cas de la semence, alors on n’a pas une cause efficiente à proprement parler.
494 Soit les deux lectures suivantes (i) πάντα complément d’objet de τὸ ποιοῦν : « ce qui produit toutes choses » = τὸ ποιοῦν πάντα, (ii) πάντα sujet d’un ἐστί sous-entendu : « toutes ces choses sont [causes en tant que] ce d’où vient le commencement… » = πάντα ὅθεν ἡ ἀρχή. La première lecture ne fait pas sens, mais elle a pu être défendue dans l’idée que selon la seconde lecture (la seule qui fasse sens) on attend πάντα ταῦτα : « toutes ces choses (sc. la semence, le médecin…) sont [causes comme] ce d’où vient le commencement du changement ou de l’immobilité ».
495 En 321.17 corriger τὸ δὲ (Diels) en τὰ δὲ (comme dans le lemme), et en 321.18 lire τὰ δὲ en suivant E (τὸ δὲ : Diels).
496 Le texte d’Aristote en 195a23s. est : τὰ δὲ ὡς τὸ τέλος καὶ τἀγαθον τῶν ἄλλων. Alexandre déplace τῶν ἄλλων et lit : τὰ δὲ ὡς τέλος τῶν ἄλλων καὶ τἀγαθον dans l’idée que τῶν ἄλλων est complément seulement de τὸ τέλος.
497 La santé n’est pas cause finale de toutes les autres choses, mais seulement des choses faites en vue de la santé (par exemple marcher, suivre un traitement).
498 Cf. la toute première phrase de l’Éthique à Nicomaque, I, 1, 1094a2. Voir aussi, ibid., I, 5, 1097a18ss.
499 Fr. 52 W. Sur Eudème de Rhodes, cf. supra, 263.20 et la note ad locum et 284.34.
500 Socrate condamne le suicide dans le Phédon, 61c8 et 61e4-62c6. Voir aussi Lois 873c2-d8, où le suicide est présenté comme un acte de lâcheté et de couardise (et n’est excusable que dans certains cas : décision de justice, douleur excessive due à un malheur irréparable, honneur gravement atteint).
501 195a27 : τρόποι δέ par opposition à la distinction selon l’espèce τῷ εἴδει (195a27). Comme le note Pellegrin (2000), p. 131, note 3 : « la distinction des causes “selon l’espèce” τῷ εἴδει semble se référer aux quatre causes, alors que celle des “sortes” τρόποι désignerait des différences à l’intérieur de chaque espèce. Terminologie conjoncturelle puisqu’en 195a15 le mot τρόποι désignait les “quatre causes” ». Simplicius a bien vu cette ambiguïté dans l’emploi du mot τρόποι, cf. infra, 322.18ss.
502 Sculpteur grec de la seconde moitié du Ve siècle av. J.-C., le plus réputé de l’Antiquité après Phidias son contemporain. Ses œuvres les plus célèbres sont le Doryphore (le « porteur de lance ») dont on a pu identifier des copies romaines grâce à la description détaillée qu’en fait Pline l’Ancien, le Diadumène (« jeune homme nouant un bandeau autour de sa tête »), et une grande statue chryséléphantine d’Héra assise, qui fut placée dans le temple de la déesse à Argos (cité où travailla Polyclète durant la plus grande partie de sa vie).
503 Cf. 195b12-16.
504 Cf. supra, 194b26 et 28 et In Phys. 310.13-17 ; 314.27-31.
505 Sc. celle entre cause plus proche ou plus éloignée.
506 Soit :
cause par soi | cause par accident |
englobante – englobée | englobante – englobée |
plus éloignée – plus proche | plus proche – plus éloignée |
507 Sc. cause plus éloignée ou plus proche ; cause englobante ou englobée. Ces deux paires de différence se retrouvent dans les causes par soi et les causes par accident mais en se recouvrant différemment.
508 Cf. 195b10ss.
509 En lisant συμπεπλεγμένα en 324.1 (= leçon de l’édition Aldine) et non συμπεπλεγμένως (= mss. D et E suivis par Diels), de manière à rétablir le balancement entre 323.35 : ἢ ὡς ἀπολελυμένα… et 323.36s. : ἤ ὡς συμπεπλεγμένα (en 323.36 le συμ- en fin de ligne est une simple coquille).
510 195b4 : ὡς δυνάμενα 195b4 (cf. 195b16 et 20 : les causes « en puissance » κατὰ δύναμιν par opposition aux causes en acte : ἐνεργοῦντα). La liste des modalités des causes se clôt sur la distinction entre cause en acte et cause en puissance. De la même manière, la distinction entre être en acte et être en puissance vient couronner la liste des différentes acceptions de l’être livrée en Mét. E 2, 1026a33-b2.
511 Par opposition au « constructeur en train de construire » (ὁ οἰκοδόμος οἰκοδομῶν), qui est constructeur en acte, le « constructeur » (ὁ οἰκοδόμος) – i.e. le constructeur qui n’est pas (ou n’est plus) en train de construire – est constructeur « en puissance », non pas en ce sens qu’il peut devenir constructeur en apprenant l’art de la construction mais en ce sens qu’il sait construire et peut, si rien ne l’en empêche, construire à tout moment (i.e. actualiser à tout moment le savoir-faire qu’il a acquis en matière de construction). Sur ces deux sens de l’expression « en puissance », cf. infra, Phys. 195b20 où l’on a l’expression : τὰ δὲ κατὰ δύναμιν et l’explication qu’en donne Simplicius (In Phys. 326.7-12 et la note ad locum) et Mét. Δ 2, 1014a7-9, a20 et 24s. Voir aussi Phys. III, 6, 206a18ss. où Aristote distingue deux manières d’être en acte, et corrélativement, deux manières d’être en puissance ; la statue n’est pas en acte comme est en acte ce qui a son être dans le fait de devenir (par exemple, le jour) ; voir le commentaire de Simplicius, In Phys. 492.12ss.
512 195b12s.
513 195b13-16.
514 324.18 : κἂν μὴ οἰκοδομῇ. L’idée est que le constructeur, même s’il ne construit pas (qui est constructeur « en puissance »), est cependant dit être « cause productrice », i.e. « constructeur », cf. Aristote, De anima, II, 5, 417a9ss. : « D’un sujet qui entend ou ne voit qu’en puissance nous disons qu’il entend et voit, même s’il se trouve dormir » : τό τε γὰρ δυνάμει ἀκοῦον καὶ ὁρῶν ἀκούειν καὶ ὁρᾶν λέγομεν, κἂν τύχῃ καθεῦδον.
515 Telle est la lecture de Simplicius (cf. 325.9), non pas bien sûr en ce sens que causes et causés peuvent être combinés, mais en ce sens que les causes peuvent être combinées (par exemple cause propre et cause par accident), ainsi que les choses causées (chose causée propre et chose causée par accident).
516 Sur Polyclète d’Argos, voir plus haut, Phys. 195a34.
517 Aristote donne ici trois formes de combinaison, cf. 324.13ss. : (i) particulier/genre (du particulier) ; (ii) accident/genre de l’accident ; (iii) combinés/isolés. Carteron (1926) a une lecture différente pour la seconde combinaison, à savoir : par soi/accident (ou genre de l’accident). Ross (19361) (suivi par Pellegrin [2000]), ne donne pas des couples d’opposés, mais un catalogue de six cas : (i) cause individuelle propre : un sculpteur ; (ii) genre d’une cause individuelle propre : un artiste ; (iii) cause individuelle par accident : Polyclète ; (iv) genre d’une cause individuelle par accident : un homme ; en combinant (i) et (iii) on a (v) : un sculpteur, Polyclète ; et en combinant (ii) et (iv), on a (vi) : un homme artiste.
518 Milon de Crotone célèbre lutteur qui vécut à la fin du VIe siècle av. J.-C. Il a conduit l’armée de Crotone qui détruisit la très puissante et opulente cité de Sybaris (dans le golfe de Tarente) vers 510 av. J.-C.
519 Pellegrin (2000, p. 132, note 4) comprend que Simplicius veut dire : on peut combiner causes et effets, ce qui est trop évident. Simplicius veut dire (comme Aristote) que l’on peut combiner par exemple cause propre et cause par accident (ou causé par soi, et causé par accident).
520 325.20 : ἢ ἐναλλάξ. Je comprends : « ou le proche avec l’éloigné ».
521 Cf. De placitis Hippocr. et Plat., V. 449 Kühn.
522 195b17 : τὰ μὲν ἐνεργοῦντα, qu’on pourrait aussi traduire par : « en train d’agir ».
523 195b20 : τὰ δὲ κατὰ δύναμιν. On traduit communément (Carteron, Pellegrin) : « les causes en puissance ». Mais, comme le montre l’exemple du constructeur et de la maison, Aristote parle de cause et de causé en puissance, comme il a parlé de cause et de causé en acte (la traduction de Stevens « les choses en puissance » est peu précise mais plus proche du sens).
524 La proposition se comprend à partir de l’explication de « en puissance » qui est donnée plus bas : si le constructeur en puissance, i.e. qui n’est pas en acte (parce qu’il dort), disparaît (meurt dans son sommeil), le causé en puissance (la maison dont la construction est provisoirement arrêtée) ne disparaît pas nécessairement. De même, si la maison dont la construction est provisoirement arrêtée s’effondre, le constructeur en puissance (i.e. qui dort) ne disparaît pas nécessairement.
525 Δυνάμει dans le texte de Simplicius (326.8), κατὰ δύναμιν dans le texte de la Physique (195b20).
526 Ce que dit ici Simplicius s’éclaire à la lumière de la fameuse doctrine aristotélicienne des trois degrés d’« être savant », cf. De an. II, 5, 417a22-b2 : est, par exemple, (1) grammairien en puissance l’enfant qui peut devenir grammairien par l’étude de la grammaire ; est (2) grammairien en puissance le grammairien qui possède la science de la grammaire mais qui dort ; est (3) grammairien en acte le grammairien qui fait de la grammaire. Soit la tripartition : puissance (1) – puissance (2) – acte. « Ce qui peut devenir » (τὸ οἷον τε γενέσθαι) est en puissance au sens de la puissance (1). « Ce qui peut être en acte » est en puissance au sens de la puissance (2). De fait une chose est d’être potentiellement constructeur (= puissance 1), autre chose d’être potentiellement constructeur en acte (= puissance 2).
527 « Ce qui peut être en acte » (τὰ οἷά τε ἐνεργῆσαι) et « ce qui a cessé son activité » (326.11s.) correspondent à la puissance (2) et s’opposent à « ce qui peut devenir » : (τὸ οἷον τε γενέσθαι : 326.8), qui correspond à la puissance (1) : l’enfant peut devenir grammairien, tandis que le grammairien qui dort n’est pas grammairien en acte ; mais ce n’est pour cette raison qu’il n’est pas grammairien. L’enfant est en puissance grammairien (puissance 1), le grammairien qui dort est en puissance grammairien en acte (puissance 2).
528 C’est-à-dire, comme le note Pellegrin (2000), p. 133, n. 3 : « la cause la plus élevée dans celles qui sont adéquates à l’objet ».
529 Cf. supra, 195a29-32 : « parmi les causes qui sont de même espèce, l’une est antérieure, l’autre postérieure ; par exemple, pour la santé, le médecin et l’homme de l’art, pour l’octave, le double et le nombre, et dans tous les cas les causes englobantes par rapport aux causes particulières ».
530 Τὰς μὲν δυνάμεις τῶν δυνατῶν, τὰ δὲ ἐνεργοῦντα πρὸς τὰ ἐνεργούμενα 195b27s. Littéralement : « les puissances [sont causes] des possibles, les causes opérant en acte sont relatives aux choses effectuées en acte ». Les Anciens ont rabattu la seconde construction (πρὸς + acc.) sur la première (le génitif), faisant de τῶν δυνατῶν l’équivalent de πρὸς τὰ δυνατά, comme l’atteste la remarque d’Alexandre rapportée par Simplicius, In Phys. 326.35 : « si on faisait la cause en puissance relative à l’effet en puissance » : εἰ ἀποδιδοῖτο τὸ δυνάμει πρὸς τὸ δυνάμει (où τὸ δυνάμει πρὸς τὸ δυνάμει reprend τὰς μὲν δυνάμεις τῶν δυνατῶν, Phys. 195b27s.). Sur la corrélation entre science et sensation en acte et en puissance d’une part, et leurs objets d’autre part, cf. aussi Aristote, De an. III, 8, 431b24ss. : « Science et sensation se divisent de la même manière que leurs objets : considérées en puissance, elles correspondent à leurs objets en puissance, considérées selon l’acte, elles correspondent à leurs objets en acte ».
531 Par « autres » il faut entendre les Stoïciens. La cause « sustentatrice » (συνεκτικόν) chez les Stoïciens est, en physique, le « souffle » (πνεῦμα) qui assure la cohésion de chaque chose et de l’Univers entier.
532 « Celui qui dit cela » (i.e. que par « cause » on entend la cause au sens propre) ne peut que désigner Aristote, ou plus exactement, Aristote tel que le lit Simplicius. L’idée est qu’Aristote lui-même ne pourrait, sans se contredire, soutenir que la nature est au sens propre « cause », i.e. cause productrice, du Corporel. Pour les Néoplatoniciens, la cause productrice au sens propre transcende ce qu’elle produit (cf. Proclus, El. theol. § 7 ; voir aussi supra, In Phys. 287.29s.). Et la cause productrice au sens propre, i.e. la cause la plus élevée, est (en son essence) immobile. De fait, comme Simplicius le mentionne allusivement dans les lignes qui suivent, Aristote pose (dans le Livre VII de sa Physique) un Premier Moteur immobile comme principe de l’Univers. Chez Proclus, la nature est bien cause productrice du Corporel, et en tant que telle elle est une « essence incorporelle », mais, en tant qu’elle est « inséparable » des corps, elle « vient en tout dernier parmi les causes qui produisent le Corporel et le Sensible d’ici-bas » (cf. In Tim. I, 11.9ss. et 12.26-27).
533 Cf. supra, 286.20-288.12 (en part. 287.10-288.9) : la nature est cause du mouvement comme cause de l’être-mû, comme disposition à être mû. Et la nature est « productrice » en ce sens que, de manière analogue à l’art, et aussi de manière analogue à la production divine, la nature agit en vue de quelque chose, cf. supra, 288.9-16 où Simplicius renvoie à Phys. II, 8, 199b27-33 et au De caelo (271a33 : « Dieu et la nature ne font rien inutilement »).
534 Phys. VII, 1.
535 Littéralement : « si l’on faisait la cause en puissance relative à l’effet en puissance » : εἰ ἀποδιδοῖτο τὸ δυνάμει πρὸς τὸ δυνάμει, cf. Phys. 195b27s. : τὰς μὲν δυνάμεις τῶν δυνατῶν.
536 Cf. supra, 195b5 et la note ad locum (à propos de la distinction entre ὁ οἰκοδόμος οἰκοδομῶν = le constructeur en acte et ὁ οἰκοδόμος = le constructeur en puissance) ; « qui a construit et ne construit plus » est une glose de Simplicius.
537 L’aporie que pose la coquille ou le coquillage au fond de la mer est un topos : comment peut-on dire qu’est visible quelque chose qu’on n’a pas pu, ne peut pas, et ne pourra jamais voir ? Elle n’est pas posée explicitement dans les Catégories, mais peut en être tirée. La remarque d’Alexandre (qui commente ici Phys. 195b16ss. : « Les causes en acte sont et ne sont pas en même temps que sont et ne sont pas les choses dont elles sont causes… pour les causes en puissance ce n’est pas toujours le cas ») s’inspire en effet du chapitre 7 des Catégories d’Aristote, et elle s’éclaire à la lumière de la distinction des deux significations de l’expression « en puissance », cf. supra, 326.7s. et la note ad locum : est « en puissance » (i) à ce qui peut devenir quelque chose, et (ii) ce qui peut devenir quelque chose en acte (i.e. ce qui n’est pas en acte). Pour les Catégories, ch. 7, on se reportera en particulier au passage en 7b23-8a12 : « ce qui peut être connu scientifiquement est antérieur à la science, à ce qu’il peut sembler, puisque, le plus souvent, les choses sont déjà préalablement là quand nous en acquérons la science. Ce n’est que rarement en effet, sinon jamais, qu’on peut voir la science advenir en même temps que ce qui peut être su (ἴδοι τις ἂν ἅμα τῷ ἐπιςτητῷ τὴν ἐπιστήμην γιγνομένην)… le sensible existe lui-même avant que n’existe la sensation ». Il découle de cela que « la suppression de ce qui peut être connu entraîne avec elle la suppression de la science, tandis que celle de la science n’entraîne pas la suppression de ce qui peut être su… et la suppression du sensible entraîne avec elle la suppression de la sensation, tandis que la suppression de la sensation n’entraîne pas la suppression du sensible ». L’idée est que le sensible (le visible par exemple) et la sensation (par exemple celle de voir) peuvent exister en puissance (au sens second) indépendamment l’une de l’autre et que donc on ne peut pas dire qu’il n’y a ni noir ni blanc en dehors de la vision, cf. De an. III, 2, 426a16-27. Maintenant, si dans les expressions « cause en puissance » et « causé en puissance » on entend « en puissance » au sens premier de l’expression (au sens de puissance 1), alors toujours cause en puissance et causé en puissance « seront ensemble ». C’est dans un tout autre contexte que Simplicius aborde ce même topos quand il commente De an. 403a10 et pose la question de savoir pourquoi le coquillage au fond de la mer ne sera jamais vu bien qu’il soit visible ; réponse : parce qu’il est d’abord détruit avant que d’être vu (In De an. 17.27-29).
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