« Se dé-saisir » de son terrain. Pour une épistémologie de la distanciation
p. 75-86
Résumés
S’il réside dans l’expression « saisir le terrain » la notion primordiale d’une prise de possession, il peut être nécessaire dans certaines configurations de recherche de s’inscrire à rebours d’un travail d’infiltration ethnographique. On pourrait alors parler d’un exercice consistant finalement à se « dé-saisir du terrain ».
Ainsi, comment peut-on entretenir une vigilance épistémologique fiable dès lors que l’on est tout à la fois enquêteur et enquêté ? Comment soutenir l’exigence réflexive inhérente au contrat scientifique lorsque l’on se trouve être à la fois acteur et observateur de son objet ? On peut tout d’abord souligner le cas de Pierre Bourdieu qui répond à cette question dans son travail sur le monde académique, en usant de ce qu’il nomme la « socio-analyse », soit l’exploration et l’évaluation des déterminations sociales pesant sur le travail intellectuel. On peut observer également les divers avantages que peut recéler ce type de situation. La position de participante observatrice dont nous avons l’exemple ici – une musicienne d’orchestre professionnelle qui étudie le champ des pratiques orchestrales – permet d’échapper au travail d’incorporation de schèmes indigènes. Ainsi, dans le cas d’une étude sur la musique, l’intériorisation de l’hexis corporelle imposée lors de son apprentissage instrumental par le musicien/chercheur peut aider à la création d’une grille de lecture spontanée, détachée du filtre éventuel de l’enquête ethnographique. En contrepartie, se posent d’emblée des questions de réflexivité, d’objectivation et de déontologie à observer tant vis-à-vis des enquêtés que des enquêtants. Si les problèmes d’intégration ne se posent pas pour celui « qui en est » comment négocier, par exemple, le sentiment de dénonciation de son propre groupe ?
Conscient de ce préalable, il est alors primordial d’opérer un décentrage épistémologique nécessaire à l’équilibre entre le discours savant et la pratique. Ceci passe obligatoirement par une objectivation de son propre inconscient ainsi qu’une réflexion autour des dimensions symboliques et imaginaires que l’on emporte avec soi sur le terrain.
Abstand vom Terrain: Für eine Epistemologie der Distanzierung
Wenn der Hauptinhalt des Ausdrucks „das Terrain erfassen“ im Besitzergreifen liegt, sollte man in bestimmten Forschungszusammenhängen gegebenenfalls bewusst gegen die ethnografische Infiltrationsarbeit vorgehen. Man könnte dann von einer Übung sprechen, die letztlich darin besteht, sich „des Terrains zu entledigen“.
Wie also kann man eine glaubwürdige epistemologische Wachheit bewahren, wenn man sowohl Untersuchender als auch Untersuchter ist ? Wie kann man die dem wissenschaftlichen Vertrag inhärente Forderung nach Reflexivität aufrechterhalten, wenn man gleichzeitig die Rolle des Akteurs und des Beobachters seines Objektes innehat. Es sei diesbezüglich zunächst an Pierre Bourdieu erinnert, der in seiner Arbeit über die akademische Welt diese Frage beantwortete, indem er sich der von ihm so bezeichneten „Sozioanalyse“, d. h. der Erforschung und Evaluierung der sozialen Determinationen widmete, die auf der geistigen Arbeit lasten. Außerdem bietet diese Art von Situation auch diverse Vorteile. Die Position einer beobachtenden Teilnehmerin ermöglicht es uns in unserem Beispiel einer professionellen Orchestermusikerin, die das Feld orchestraler Praktiken untersucht, sich mit der Einbeziehung einheimischer Schemata nicht zu beschäftigen. Im Rahmen einer Studie über Musik kann die Verinnerlichung der während des Übens vom Musiker / Forscher auferlegten körperlichen Hexis dazu beitragen, ein spontanes, vom eventuellen Filter der ethnografischen Untersuchung unabhängiges Leseraster zu schaffen. Im Gegenzug stellen sich sofort Fragen der Reflexivität, Objektivierung und Deontologie, die gegenüber den Untersuchten ebenso wie gegenüber den Untersuchenden zu beachten sind. Wenn sich für den „Insider“ keine Integrationsprobleme stellen, wie kann man dann z. B. das Gefühl, seine eigene Gruppe zu denunzieren, verhandeln?
In Kenntnis dieser Voraussetzung kommt es darauf an, die notwendige epistemologische Dezentrierung vorzunehmen, um den wissenschaftlichen Diskurs und die Praxis in ein Gleichgewicht zu bringen. Dies geht zwangsläufig über eine Objektivierung des eigenen Unbewussten und über ein Reflektieren der symbolischen und imaginären Dimensionen, die man mit sich auf das Terrain trägt.
Extrait
1Musicienne professionnelle, je travaille en tant qu’instrumentiste dans des orchestres que, par ailleurs, j’ai décidé d’observer par le prisme de l’étude scientifique. La thèse en préparation sur la construction du collectif, appelé le « faire orchestre » dans les orchestres français, s’appuie sur la connaissance empirique du terrain dont je bénéficie et se trouve inévitablement « conditionnée » par un pré-savoir dont un des principaux enjeux est de ne pas devenir un présupposé. Le terme « conditionnée » incarne précisément le conflit qui peut se jouer en la personne qui, tout à tour, doit endosser la tenue de l’observatrice puis de l’observée. Tout d’abord, la question du temps est sous-entendue : le passé, par l’idée de dispositions déjà présentes au moment de l’observation scientifique du terrain, et le présent, par le fait de devoir mener de front deux activités, l’une faisant le pari de la neutralité axiologique du regard porté sur l’autre.
2Les questions suivantes doiven
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