Les politiques et les épistémologies du terrain dans l’économie rurale française
p. 65-74
Résumés
La science économique moderne présente une exception parmi les sciences humaines et sociales dans son rapport au terrain. Le tournant vers la « théorie pure » et vers la formalisation mathématique, à la manière de la physique moderne, a été préconisé par des économistes dès la seconde moitié du XIXe siècle, et a été réalisé après la Seconde Guerre mondiale. L’économie moderne puise la légitimité intellectuelle et publique de son ambition scientifique assise sur la rigueur mathématique et méthodologique. Cette orientation conduit les économistes du courant dominant à privilégier une démarche hypothético-déductive au détriment de la pratique du terrain.
Le cas de l’économie rurale, comme on l’appelle en France, ou agricole, selon la tradition américaine (agricultural economics), est éclairant des enjeux du terrain, car cette discipline semble résister, plus que d’autres branches de l’économie, à l’universalisme méthodologique par l’affirmation de la spécificité de son objet et de ses méthodes. L’économie rurale s’est constituée au cours du XXe siècle dans différents contextes nationaux comme une discipline à vocation essentiellement « pratique », proche de la « terre » et donc du terrain.
La mathématisation et la formalisation de l’économie rurale, son rapprochement de l’economics, se sont produit d’abord aux États-Unis et dans d’autres pays anglo-saxons, mais on en trouve toujours des voix dissidentes qui font appel à des approches hétérodoxes. Cette transformation a été particulièrement tardive et conflictuelle en France et en Russie. À partir de l’exemple de l’évolution de l’économie rurale en France et en Russie après la Seconde Guerre mondiale, nous montrerons que le choix méthodologique (terrain / formalisme) traduit une position épistémologique, un effort de délimitation de l’objet de sa discipline, et aussi un parti pris politique et idéologique dans un débat qui accompagne l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques.
Politik und Epistemologie der Feldforschung in der ländlichen Wirtschaftswissenschaft Frankreichs
Innerhalb der Sozial- und Geisteswissenschaften weist die moderne Wirtschaftswissenschaft eine Ausnahme in ihrem Verhältnis zum Terrain auf. Die dem Beispiel der modernen Physik folgende Hinwendung zur „reinen Theorie“ und zur mathematischen Formalisierung wurde schon zu Beginn der zweiten Hälfte des XIX. Jahrhunderts von Ökonomen empfohlen und nach dem Zweiten Weltkrieg endgültig vollzogen. Die moderne economics bezieht ihre intellektuelle und öffentliche Legitimität aus ihrem auf mathematischer und methodologischer Strenge beruhenden wissenschaftlichen Anspruch. Aufgrund dieser Orientierung privilegieren die der vorherrschenden Strömung angehörenden Ökonomen einen hypothetisch-deduktiven Ansatz, der auf Kosten der Praxis des Terrains geht.
Die ländliche Wirtschaftswissenschaft (économie rurale), wie man sie in Frankreich bezeichnet, oder die Landwirtschaftswissenschaft nach der amerikanischen Tradition (agricultural economics) ist für die Herausforderungen der Feldforschung aufschlussreich, da diese Disziplin mehr als andere Zweige der Ökonomie dem methodologischen Universalismus durch die Betonung der Spezifik ihres Gegenstandes und ihrer Methoden zu widerstehen scheint. Die ländliche Wirtschaftswissenschaft bildete sich im Laufe des XX. Jahrhunderts in unterschiedlichen nationalen Kontexten als ein Wirtschaftsbereich heraus, der im Wesentlichen praxisorientiert sowie der „Erde“ und damit der Feldforschung eng verbunden war.
Zur Mathematisierung und Formalisierung der ländlichen Wirtschaftswissenschaft, zu ihrer Annäherung an die economics kam es zunächst in den Vereinigten Staaten, später auch in anderen angelsächsischen Ländern, wobei es auch immer abweichende, sich auf heterodoxe Ansätze beziehende Stimmen gab. Diese Transformation vollzog sich in Frankreich und Russland besonders spät und mit zahlreichen Konflikten. Ich werde am Beispiel der Entwicklung der ländlichen Wirtschaftswissenschaft in Frankreich und Russland nach dem Zweiten Weltkrieg versuchen darzulegen, dass die methodologische Entscheidung (Terrain / Formalismus) eine epistemologische Haltung, den Willen zur Abgrenzung des Objekts von seiner Disziplin sowie eine politische und ideologische Parteinahme in einer Auseinandersetzung ausdrückt, die mit der Herausbildung und Umsetzung staatlicher Politik einhergeht.
Extrait
1La science économique moderne (economics) représente une exception parmi les sciences humaines et sociales dans son rapport au terrain. Le tournant vers la « théorie pure » et vers la formalisation mathématique, à la manière de la physique théorique, a été préconisé par des économistes dès la seconde moitié du XIXe siècle et a été réalisé après la Seconde Guerre mondiale1. L’axiomatisation et la formalisation de la théorie générale de l’équilibre placée au cœur de l’économie néo-classique, la formation d’une culture de la modélisation macro-économique, puis la révolution « micro » et l’engouement pour la théorie des jeux – toutes ces évolutions ont transformé la pratique des économistes et ont engendré une séparation radicale de la science économique des autres sciences sociales. La légitimité intellectuelle de l’economics s’appuie désormais sur la rigueur mathématique et méthodologique. Cette évolution a pour conséquence que les économistes du courant dominant privilégient u
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