1 Émile Durkheim, « Cours de science sociale : leçon d’ouverture », in Revue internationale de l’enseignement, XV, p. 23-48. Cité par Serge Paugam, « Durkheim et le lien social », in Émile Durkheim, De la division du travail social (1893), Paris, PUF, 2007, p. 4.
2 Hermann Hesse a effectué plusieurs cures à Monte Verità pour s’installer ensuite dans les environs, à Montagnola, à partir de 1919. Plusieurs de ses nouvelles portent l’empreinte de la colonie et de certains de ses membres permanents (en particulier celle de Gusto Gräser, sorte de vagabond pacifiste qui semble incarner les convictions les plus radicales du lieu). Parmi ses nouvelles, signalons en particulier Weltbessere (« Celui qui améliore le monde »), paru en 1909 dans la revue März (Munich) et Demian (1919). Max Weber, quant à lui, effectua à Monte Verità deux séjours en tant que curiste en 1913 et 1914.
3 Rapport de 1905 du commissaire Rusca cité par Kaj Noschis, Monte Verità, Ascona et le génie du lieu, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2011, p. 46.
4 Ces mouvements de « Réforme de la vie », assez peu connus et discutés par l’historiographie française, ont fait l’objet en Allemagne de nombreuses études ces vingt dernières années et, en France, d’une étude approfondie par l’historien Marc Cluet qui consacra la fin des années 1990 son doctorat d'État à l’étude du mouvement nudiste en Allemagne de 1905 à 1933, auquel d’une certaine manière se rattache l’expérience de la colonie de Monte Verità. Voir Marc Cluet, La libre culture. Le mouvement nudiste en Allemagne de 1905 à 1933, Doctorat d'État, Université de Paris IV, 1999, 1785 p. (non publié, consulté sur microfiches en février 2012 à l’Atelier national de reproduction des thèses, Bibliothèque universitaire centrale, Université Lille 3).
5 Pour un approfondissement de ces questions, je renvoie aux pages 140-200 du doctorat d'État de Marc Cluet, auquel ce chapitre doit beaucoup.
6 Ida Hofmann citée par Kaj Noschis, Monte Verità, Ascona et le génie du lieu, op. cit., p. 53. Avant de se rendre à Monte Verità, Erich Mühsam a déjà tenté de bâtir avec son ami Martin Buber, futur fondateur en Israël des premiers Kibbuzim, une communauté agricole dont l’échec a été rapide. Précisons par ailleurs que les environs de Locarno sont, depuis la fin du XIXe siècle, en particulier depuis l’installation en 1871 de Mikhaïl Bakounine, qui y passe les cinq dernières années de sa vie après son évasion des prisons russes, le lieu de rencontre d’un certain nombre d’anarchistes, dont les fondateurs de Monte Verità.
7 Marc Cluet, La libre culture, op. cit., p. 159.
8 Il n’entre pas dans notre propos de résumer l’histoire de cette pratique allemande du nudisme. Mentionnons cependant la figure, à la fin du siècle, d’Heinrich Scham, qui prit le pseudonyme d’Heinrich Pudor, et qui publia en 1893 un premier ouvrage sur les bienfaits de la nudité : Nackende Menschen. Jauchzen der Zukunft, Verlag der Dresner Wochblätter, Dresde, 1893. Alors que ce dernier n’eut que peu d’échos lors de sa parution, son second ouvrage, Nakt-Kultur, publié en 1906 à Berlin, eut au contraire un large retentissement.
9 Théologien protestant, Johann Gottfried Herder veut replacer son propos concernant la statuaire grecque dans une perspective chrétienne : selon lui, cette statuaire cherche à reproduire la perfection donnée par Dieu lors de la Création à Adam et Ève (voir les pages consacrées par Marc Cluet à la philosophie du nu chez Herder, in La libre culture, op. cit., p. 68-76).
10 Sur cette réhabilitation du sensible, voir l’article de Max Caisson, « Lumière de Herder », Terrain. En Europe, les nations n° 17, octobre 1991. URL : http://terrain.revues.org/3007. Consulté le 19 février 2012.
11 Voir à ce propos le chapitre « L’essor du naturisme dans les pays germaniques » par Arnaud Baubérot, in Histoire du naturisme, le mythe du retour à la nature, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2004, 348 p.
12 Wolgang Krabbe précise que leur nombre est passé de 131 en 1881, chiffre déjà non négligeable, à 300 en 1913. Cité par Arnaud Baubérot, in Histoire du naturisme, op. cit. p. 52.
13 Id.
14 Le médecin de Monte Verità est le docteur Raphael Friedeberg, accueilli en 1904, qui soigne très généreusement les curistes (Hermann Hesse, par exemple) mais également la population (parfois démunie) d’Ascona. En 1917, Henri Oedenkoven lui propose de racheter le sanatorium de Monte Verità, ce qu’il ne peut faire faute de réunir la somme nécessaire.
15 Cette idée de « régénération » ou de « développement du genre humain » est présente dans de nombreux projets des mouvements dits de la Lebensreform. On la trouve par exemple dans les « statuts » de la communauté d’Alfredo Pioda, dite le « couvent laïc » qui, à Ascona précisément, fut fondé à partir de 1889 sous l’égide du mouvement de la Fraternité inspiré par la théosophe américaine Helena Blavatsky. Pioda y acquit un terrain sur la colline de Monescia, près d’Ascona, celle-là même qui sera renommée dix ans plus tard Monte Verità, et proposa à des proches d’en acheter des parts, selon un fonctionnement qui sera repris par les fondateurs de Monte Verità. Les « Statuts, normes et schèmes du couvent laïc qui est à fonder sur les rives du lac en Suisse » décrivent le projet comme un « lieu de refuge où des personnes des deux sexes, libres de tout préjudice religieux mais désireuses d’atteindre l’autoconscience et d’approfondir les mystères de la vie intime de la nature, peuvent se trouver dans des conditions favorables pour leurs investigations et contribuer ainsi au développement du genre humain », in Kaj Noschis, Monte Verità, Ascona et le génie du lieu, op. cit., p. 31. Voir également à ce propos Alfredo Pioda, Statuti, Norme et schema del Convento Laico da fondarsi sulle rive del Lago nella Svizzera, Bellinzona, Stamperia Colombi, 1889.
16 Ida Hofmann, Vegetabilismus ! Vegetarismus !, cité par Marc Cluet, La libre culture, op. cit., p. 160. Le principal manifeste de Monte Verità, qui relate en même temps ses premières années d’existence, fut rédigé par ses deux fondateurs : Ida Hofmann, Henri Oedenkoven, Warheit ohne Dichtung, Lorch, Württenberg, 1906. Il n’en existe pas de traduction en français.
17 « Afin de pouvoir s’abstenir, ils doivent tout d’abord mener une existence normale : pas d’alcool, pas de goinfrerie, pas de viande, et ne pas se dérober au travail (je ne parle pas de la culture physique, mais d’un travail pas pour rire, et fatigant) ; ils doivent bannir de leurs pensées la possibilité de toute relation sexuelle avec une femme qui ne serait pas la leur (…). » in Tolstoï, La Sonate à Kreuzer (1894), Paris, Garnier/Flammarion, 2010, p. 170.
18 Id.
19 Kaj Noschis, Monte Verità, Ascona et le génie du lieu, op. cit., p. 54.
20 Id.
21 Rudolf Von Laban, Die Welt des Tänzers, Stuttgart, Walter Seifert, 1920, p. 127 sq., cité et traduit par Olivier Hanse, « La danse et la culture “rythmique” comme moyen d’action », in Culture ouvrière, mutation d’une culture complexe en Allemagne du XIXe siècle au XXIe siècle, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2011, p. 65-78.
22 Selon Olivier Hanse, l’Allemagne prit connaissance avec un très vif intérêt des thèses de Darwin qu’ils interprétèrent comme confortant la crainte d’une « dégénérescence » des Européens : « La très vive réception allemande de la théorie de l’évolution de Charles Darwin (1809-1882) est particulièrement perceptible à l’intérieur de la critique de la civilisation. La peur d’une possible dégénérescence de la race blanche ou germanique, exprimée dans les écrits de nombreux membres de la bourgeoisie cultivée, peut au moins partiellement être interprétée comme le résultat d’une projection : par un mécanisme psychosocial bien connu, les clercs transposent leur malaise collectif sur l’évocation des corps humains. Pour les meneurs de mouvements de réforme, la propagation de cette angoisse ainsi que la volonté de guérir la nation par l’hydrothérapie, les bains d’air et de lumière, l’alimentation végétarienne ou encore la pratique de la danse libre en pleine nature participent, de manière plus ou moins consciente, d’une stratégie leur permettant de se présenter comme “médecins du corps social”, seuls détenteurs des remèdes capables de mettre fin au déclin des Européens. », in Entre Réforme de la vie, culture physique et néovitalisme : rythme et civilisation autour de 1900, Université de Saint-Étienne, 2011 (en ligne, consulté le 3 mars 2012).
23 Parmi ces auteurs, qui sont en même temps, notons-le, praticiens et théoriciens, citons en particulier Émile Jacques-Dalcroze, fondateur de l’Institut de gymnastique rythmique de la cité-jardin de Dresde-Hellerau, et son élève et contradicteur Rudolf Bode. Cette cité-jardin est alors dotée par son fondateur, Wolf Dohrn, d’une véritable « mission civilisatrice » visant à contrer la « déshumanisation » engendrée par la mécanisation de la société. L’invitation faite à Émile Jacques-Dalcroze d’intervenir à Hellerau se comprend en ce sens : inventeur d’une méthode rythmique singulière, son projet est de rompre avec l’arythmie des sociétés industrielles. Voir à ce propos Olivier Hanse, « La danse et la culture “rythmique” comme moyen d’action », in Culture ouvrière, mutation d’une culture complexe en Allemagne du XIXe siècle au XXIe siècle, op. cit., p. 68.
24 Rudolf Von Laban, Die Welt des Tänzers, Stuttgart, Walter Seifert, 1920, p. 128 sq., cité et traduit par Olivier Hanse, « La danse et la culture “rythmique” comme moyen d’action », in Culture ouvrière, mutation d’une culture complexe en Allemagne du XIXe siècle au XXIe siècle, op. cit., p. 77.
25 Pour une discussion des orientations politiques prises à la fin des années 1920 par Laban, voir la conclusion du présent livre et l’article de Marion Kant, « La danse allemande et le concept de critique », in Être ensemble. Figures de la communauté en danse depuis le XXe siècle, Pantin, Centre national de la danse, 2003, p. 143-164. Dans le même ouvrage, cette dimension est édulcorée par Harald Szeemann, pour qui il est impossible de trouver « une filiation entre cette aventure-là (celle de Monte Verità) et le fascisme », ce qui est une contre-vérité. Voir Harald Szeemann, « Monte Verità », in Être ensemble (…), op. cit., p. 29.
26 Ferdinand Tönnies, Communauté et société, catégories fondamentales de la sociologie pure (1887 puis 1912), Paris, Presses universitaires de France, 2010, 273 p. (traduction de Sylvie Mesure et Niall Bond).
27 Ferdinand Tönnies, Communauté et société, catégories fondamentales de la sociologie pure, ibid., p. 5-6.
28 Id.
29 Ibid., p. 7.
30 Ibid., p. 18.
31 On remarquera que Tönnies choisit comme exemple de ces communautés fondées ni sur la parenté ni sur le voisinage celles (reposant donc plutôt sur l’amitié) surgies « surtout là où il y a identité ou similitude entre les professions et l’art » ibid., p. 19.
32 Ferdinand Tönnies, Communauté et société, catégories fondamentales de la sociologie pure, ibid., p. 26.
33 Ibid., p. 19.
34 Ibid., p. 45.
35 Fondée en 1905, l’association s’élargit en 1906, à d’autres membres, dont Cuno Amiet, peintre suisse, Max Pechstein et, pour une durée d’un an et demi, Emil Nolde, plus âgé, tandis qu’Otto Mueller les rejoint en 1910. Le groupe se dissout en 1913 après la publication par Kirchner de la « Chronique de Die Brücke », source d’intenses désaccords entre les uns et les autres.
36 Magdalena M. Moeller signale que soixante-huit membres passifs, chiffre non négligeable, appartinrent à l’association jusqu’en 1910. Voir Die Brücke (1905-1914), Quimper, Musée des Beaux-Arts, Somogy éditions d’art / Hirmer Verlag, 2012, 280 p.
37 Non qu’il s’agisse ici de chercher à dater cette rencontre – sans doute peut-on lui donner une autre origine, peut-être au temps du symbolisme, par exemple avec les Nabis. Peu importe, donc, le moment précis de la rencontre, ou le groupe qui la fait advenir : compte ici le fait de la rencontre, plus encore celui du constat de la disjonction entre association d’artistes et groupe assimilable à l’avant-garde.
38 Ernst Ludwig Kirchner, « Manifeste de Die Brücke », 1906, cité par Magdalena M. Moeller in catalogue Die Brücke (1905-1914), op. cit., p. 35.
39 Ernst Ludwig Kirchner, cité par Magdalena M. Moeller, « La gravure dans l’histoire de la Brücke », in Figures du moderne, l’Expressionnisme en Allemagne – Dresde, Berlin Munich, Paris : Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 1996, p. 63.
40 Ernst Ludwig Kirchner, « Chronique de la Brücke » (1913), in Figures du moderne, l’Expressionnisme en Allemagne – Dresde, Berlin Munich, Paris : Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 1996, p. 353.
41 Ernst Ludwig Kirchner, cité in Figures du moderne, ibid., p. 376.
42 Ernst Ludwig Kirchner, « Chronique de la Brücke » (1913), in Figures du moderne, ibid., p. 354.
43 Heckel cité par Itzhak Goldberg, « Matisse et Schmidt-Rottluff. Le nu paradisiaque », in Karl Schmidt-Rottluff, Nice, Cimiez, Musée Matisse, 1995, p. 21.
44 Pour une étude de l’intérêt des artistes pour ces objets et ces cultures, en particulier de celui d’Emil Nolde, voir l’article de Philippe Dagen, « Un voyageur sans illusions », in Emil Nolde, 1867-1956 Paris, Réunion des Musées nationaux, 2008, p. 75-93. Sur l’engagement ultérieur de certains dans le régime nazi, voir notre conclusion et la note 5 page 213.
45 Cette formule est citée par Itzhak Goldberg, « Matisse et Schmidt-Rottluff. Le nu paradisiaque », art. cit., p. 24. Goldberg la reprend lui-même de l’article de Daniel E. Gordon, « L’Expressionnisme allemand », in Le Primitivisme dans l’art du XXe siècle, Flammarion, 1987, p. 370.
46 Carlo Severi, « L’empathie primitiviste », in Traditions et temporalités des images, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2009, p. 165-188 (sous la direction de Giovanni Careri, François Lissarrague, Jean-Claude Schmitt et Carlo Severi). Carlo Severi y discute les propos de Robert Goldwater qui, en 1938, affirme : « Les arts appréciés par le XXe siècle sont ou bien des arts exotiques, où l’on peut imaginer que la technique a été entièrement subordonnée à l’expression d’une émotion intense, ou bien des arts indigènes (l’art populaire, l’art des enfants, l’art des fous) où, idéalement, l’expression directe de l’émotion dépasse largement les moyens d’expression traditionnels » in Primitivism in the Modern Art, 1938, cité par Carlo Severi, art. cit., p. 166.
47 Emil Nolde, Kerzentänzerinnen -Danseuses aux bougies, 1912, huile sur toile, 100,5 x 86,5 cm, Nolde Stiftung Seebüll.
48 Carlo Severi, « L’empathie primitiviste », art. cit., p. 167.
49 Ernst Ludwig Kirchner, cité in Figures du moderne (…), op. cit., p. 71.