1 Il s’agit de l’association de plans l’un après l’autre, successivement, tandis que le montage vertical désigne l’association simultanée d’une image animée et de plusieurs pistes sonores ou bien même de deux images animées, dans le cas du splitscreen…
2 Paroles recueillies lors d’un entretien à Cannes, présent dans le bonus du DVD, éditions Montparnasse. Il est à noter que parmi les différents choix qui s’offraient à Folman de traitement cinématographique, il a inventé un mode original en inventant un procédé qui s’oppose terme à terme au docu-fiction : dans celui-ci, en effet, des acteurs jouent le rôle des protagonistes de l’histoire réelle, afin de convier, sur le mode de l’illusion, le spectateur à vivre cet événement. Ici au contraire, Folman choisit de dessiner des figures à partir des personnages qui ont participé réellement aux événements dont il est question, de les fantômatiser en quelque sorte.
3 L’expression est de Fanny Lautissier, dans son article : « Valse avec Bachir », récit d’une mémoire effacée, Conserveries mémorielles [En ligne], #6 | 2009, mis en ligne le 26 décembre 2009, URL : http://cm.revues.org/370.
4 Sur le travail de recherche mené par Ari Folman, fondé sur l’interview de nombreux témoins, nous possédons son propre témoignage :
« I advertised on the Internet that I was looking for stories from the first Lebanon War. I got a response from something like 100 men, and we heard all those stories, which were quite extreme. Afterward I wrote the screenplay. Most of the research, of course, is out [of the movie] because we had to keep a very narrow storyline. Then we shot everything on a sound studio. » Nick Dawson, entretien avec Ari Folman, « Drawing from memory », Filmmaker Magazine, 19 janvier 2009.
5 Il y a deux exceptions au dispositif : sur les huit individus interviewés, six seulement ont accepté d’être identifiables. Les deux plus proches compagnons de Folman : Boaz, l’ami qui fait le rêve avec les vingt-six chiens, et Carmi, auquel Folman rend visite aux Pays-Bas, n’ont pas souhaité apparaître à l’écran sous leur véritable identité. Leurs noms sont donc inventés et ce sont des acteurs qui ont joué leurs rôles pour servir de modèle à l’animation. Le générique donne le nom de ces acteurs : Miko Leon pour Boaz, et Yehezkel Lazarov, pour Carmi.
6 Les trois modes de masquage proposent un visage contrefait, mais qui laisse apercevoir les yeux et la bouche, à la manière d’un masque posé sur le visage. À cela s’ajoute dans les deux derniers cas un effet très particulier, lorsque les deux jeunes gens approchent leur main de leur visage, soit pour fumer, soit pour repousser une mèche de cheveux : la main disparaît alors sous le masque, puis réapparaît.
7 « Cela s’est passé quelque part ailleurs, ne le ramène pas par ici ; c’est l’histoire d’un soldat formé pour devenir tireur d’élite, à qui l’on a appris à attendre jusqu’à ce qu’on le laisse, jusqu’à ce qu’on le laisse attaquer. Jusqu’à ce qu’ils le laissent ressentir l’envie. Son service était bientôt fini, alors ils lui ont donné l’ordre : Vas-y, fonce ! Dévale la pente, escalade la montagne. Jusqu’à ce qu’ils le laissent attaquer. » <C’est nous qui traduisons.>
Plus loin, Mograbi incorpore dans son chant la réticence que sa femme éprouve pour ce projet : « It’s a collaboration that began all of a sudden… My wife asks me not to film him here in my living room. She says: “This is not material for a movie!” She doesn’t understand where it all leads. Why help him find his way? It’s a filthy fable, not a three penny “musical”! She says: “This is not material for a movie. He’s playing the repentant sinner and you’re in the role of the supposed observer. He’s purging himself through you and you will can-in on another profound film. Stop flirting with evil. You and he are not in the same boat. And promise you won’t film him here, in our living room.” » (« C’est une collaboration qui a démarré d’un coup. Ma femme m’a demandé de ne pas le filmer ici, dans mon salon. Elle me dit : “Il n’y a pas de quoi faire un film !” Elle ne comprend pas où cela va mener. Pourquoi l’aider, lui, à trouver son chemin ? C’est une sale histoire, pas une comédie musicale ! Elle dit : “Il n’y a pas de quoi faire un film. Il joue au pêcheur repentant et toi au prétendu témoin. Il s’absout à travers toi et tu tireras profit de cela dans un autre grand film. Arrête de flirter avec le diable. Lui et toi, vous n’êtes pas embarqués dans la même galère. Promets-moi que tu ne le filmeras pas ici, dans notre salon.” »)
Plus loin encore, au milieu d’un dialogue entre le jeune couple dans lequel la jeune femme marque son incompréhension et sa difficulté à accepter ce qu’a commis son ami, Mograbi apparaît par surimpression à certains moments du dialogue, commentant l’action : « Oy, I’m harboring a murderer. Oy, inside my film, it should be beetween you and yourself »… « Oy, my wife says that, Oy, you cannot forgive a murderer. »… « Oy, but between us, Oy, you can forgive a murderer, Fact is, Oy, I’m harboring a murderer. Oy, inside my film. »… « How can I sing about it, instead of shrugging it off, instead of turning him into whoever may arrest him. How dan I live with all my good intentions when there is no table to bang on, no court-of-law to turn to, instead of shrugging it off, instead of turning him in, to whoever may arrest him. I just sing about it. » (« Oh ! J’abrite un meurtrier. Oh, à l’intérieur de mon film, cela devrait se passer de toi à toi. »… « Oh, ma femme me dit : tu ne peux pas pardonner à un meurtrier. »… « Oh, mais entre nous, oh, on peut pardonner à un meurtrier, c’est un fait. Oh, j’héberge un meurtrier. Oh, à l’intérieur de mon film. »… « Comment puis-je chanter à ce sujet, au lieu de m’en moquer, au lieu de le désigner à qui pourrait l’arrêter. Je me contente de chanter à ce propos. »)
8 Il est ici d’ailleurs intéressant de noter les différents emprunts qui jalonnent la construction de codes : 1) la caméra à l’épaule qui signale la « prise sur le vif », et le « cinéma du réel », 2) la caméra à l’épaule qui crée la fiction d’une participation du spectateur à la guerre dans le cadre fictionnel du film de guerre, 3) la caméra à l’épaule imitée dans le dessin d’animation pour reprendre un procédé d’« images de guerre », empruntées aux classiques de la fiction.
9 Cette séquence est le premier entretien avec un ancien soldat qui ne soit pas un ami ou un compagnon d’armes d’Ari Folman.
10 Chanson de l’album Motorcade of Generosity, 1994. Ce titre est donc postérieur aux événements. En revanche, la chanson Enola Gay, du groupe Orchestral Manoeuvres in the Dark, date de 1980 : c’est elle qu’écoutent les soldats israéliens sur le bateau qui les emmène faire la guerre au Liban.
11 Nous essayerons de montrer plus loin que l’emploi d’une terminologie psychanalytique pour décrire ce que fait Folman n’est pas étranger au projet du film lui-même. La présence d’entretiens avec des psychanalystes ou psychologues, et surtout une séquence particulière mettant aux prises Folman et son psy l’indiquent clairement.
12 On peut tout à fait rapprocher ces stratégies d’utilisation de la culture du spectateur de ce qui se passe dans le roman ou au théâtre. L’interdépendance entre stratégie de l’auteur et cheminement du lecteur a été fort bien étudiée par Umberto Eco dans Lector in fabula et Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs.
13 Cette focalisation du film sur les difficultés psychologiques des anciens soldats israéliens a pu être lue comme une nouvelle forme de dénégation des massacres, parce qu’elle placerait au centre non pas les massacres eux-mêmes, mais le vécu de ceux qui en ont été les complices objectifs. Cette lecture est présente par exemple dans l’article paru dans Le monde diplomatique du mercredi 11 mars 2009, à propos de Valse avec Bachir et Z32, d’Avi Mograbi, Les hors-champ de « Valse avec Bachir et Z32 », signé par Françoise Feugas : « Le lieu commun des deux films repose sur la figure emblématique du soldat, enrôlé, manipulé, pris dans l’engrenage de la violence, tout à la fois acteur et spectateur, complice ou témoin et qui, souffrant après-coup de ce que l’on identifie comme un “état de stress post-traumatique”, devient amnésique – c’est le cas d’Ari dans Valse avec Bachir – ou ne cesse de raconter son histoire sans jamais exprimer la moindre émotion ni le moindre remords – comme dans Z32. Lieu commun, en effet, que les traumatismes psychiques très réels de ces soldats surarmés qui s’en vont faire des guerres “disproportionnées” à des populations démunies dans des pays qu’ils dévastent, au napalm ou au phosphore. Dans les bonus du DVD de Valse avec Bachir, le réalisateur nous le précise : Je pense que le film aurait pu être raconté par un vétéran américain du Viêt-Nam, ou un ex-soldat russe qui a combattu en Afghanistan, ou un ancien casque bleu hollandais intervenu en Bosnie, à Srebrenica au milieu des années 1990, ou encore par un Américain sur le front en Irak… par n’importe quel homme, qui se réveille un matin dans une ville reculée, loin de chez lui, qui se fait tirer dessus et qui renvoie les tirs, et qui se demande : “Mais qu’est-ce que je fous là ?” »
Avi Mograbi confirme : « Bien sûr, Z32 parle du Moyen-Orient, mais vous pouvez aussi y voir les soldats américains en Irak, les Français en Algérie ou les Russes en Tchétchénie. Au début du film, je pensais traiter du conflit israélien, et ce n’est qu’au cours du tournage que j’ai compris que le sujet est beaucoup plus large. » (« Z32, d’Avi Mograbi », entretien avec Pierre Murat, Telerama.fr, 24 février 2009)
Cet universalisme de la figure du soldat instrumentalisé est malgré tout dérangeant, parce qu’étant indiscutable, il occulte la spécificité, pour ne pas dire la vérité historique de l’écrasante responsabilité de l’État d’Israël dans la situation faite au peuple palestinien depuis l’époque du plan de partage de la Palestine en 1947. Le caractère exceptionnel de ce conflit, eu égard aux autres guerres coloniales et massacres divers évoqués par les deux réalisateurs, réside dans sa durée d’une part, dans l’impunité absolue dont a toujours bénéficié Israël de l’autre. Les soldats qui ne savent pas ce qu’ils sont venus faire là, ni ne comprennent ce qui se passe sous leurs yeux, sont réfugiés en quelque sorte dans leur histoire personnelle, seul point de référence et seule construction narrative possible. Ils sont à la fois présents et absents à eux-mêmes et à leur environnement, métonymies d’une violence guerrière toujours déconnectée de ses causes, toujours considérée en situation, et que résume jusqu’à la caricature le : « n’importe quel homme (…) qui se réveille un matin dans une ville reculée, loin de chez lui, qui se fait tirer dessus et qui renvoie les tirs » par quoi Ari Folman nous décrit le soldat universel.
Ainsi, par une douteuse subversion des rôles, le jeune conscrit qui a tué ou participé à un crime de guerre devient la seule victime à laquelle le public est invité à s’identifier, à son corps défendant, quand les victimes palestiniennes demeurent dans l’ombre, passent en silence – comme la femme que croise Z32 revenu sur les lieux du meurtre –, sont déjà mortes ou pleurent leurs morts – comme dans les images d’archives qui bouclent le film d’Ari Folman.
En effet, ce n’est pas un film portant sur les massacres eux-mêmes, mais sur la mémoire des soldats israéliens. On peut néanmoins ajouter à ceci que le recours au dessin d’animation, ou le port de masque déformant dans Z32, écarte, précisément, la tentation de toute identification avec les protagonistes interviewés, incitant en quelque sorte le spectateur à une forme de distanciation brechtienne. Nous avons montré un peu plus haut, en première partie, qu’avec le recours aux images finales de la BBC, il n’en va pas de même quand il s’agit des victimes du massacre. On bascule, à ce moment, dans un réel qui frappe le spectateur de plein fouet. Mais l’article ci-dessus a l’intérêt de mettre en évidence a contrario la nécessité d’envisager les partis pris de réalisation comme des formes de discours, induisant un propos, une position morale et des émotions suggérées, indépendamment ou en plus des paroles prononcées dans le film. Que les soldats interrogés « n’expriment jamais la moindre émotion ni le moindre remords », comme l’écrit l’auteur, n’implique pas que les propos du film lui-même ne suggèrent pas une position éthique et des émotions…
14 Bernard Stiegler étudie à ce sujet ce qu’il appelle les « rétentions tertiaires », soit l’enregistrement par notre conscience de perceptions et de récits provenant de supports matériels indépendants de notre personne, et susceptibles d’être partagés par un groupe de gens. Cf. La Technique et le Temps, 3 Le temps du cinéma et la question du mal-être, Paris, Galilée, 2001.