1 La fortune moderne du mot date du XIVe siècle, comme le rappelle Jacqueline Cerquiglini-Toulet (La Couleur de la mélancolie, la fréquentation des livres au XIVe siècle, Hatier, 1993, p. 104) : inventer, avant, a fort mauvaise réputation: Dieu invente, ou crée; l’homme ne peut que trouver. Mais les Grecs, déjà, avait « une prédilection particulière pour la question: « Qui est l’inventeur ? » et cette passion réapparaît massivement aux XIVe et XVe siècles. Christine de Pizan lui donne son sens actuel, dès 1405, dans L’Avision Christine »; très vite « Cil qui premier trouva » devient un topos. Or, ce « Cil qui premier trouva » bat sérieusement de l’aile en littérature et ailleurs dans l’environnement « relativiste » de ces trente dernières années. Paradoxalement (ou logiquement), le XIVe est un siècle de « lassitude de la matière », de déjà-dit, un siècle où le réemploi et le glanage (on dirait aujourd’hui le montage, ou la citation: bref, le travail de seconde main) sont les procédés dominants.On n’a pourtant pas fait le deuil de l’« originalité », vertu démocratique et révolutionnaire. On continue par conséquent à dire de création des textes presque entièrement construits à partir d’une matière trouvée. C’est-à-dire que l’on applique un critère, ou une qualification, modernes à un texte qui ne l’est plus. Les instruments critiques ne s’ajustent plus, ou mal, il n’est donc pas étonnant que l’évaluation soit difficile.Le soupçon – ou la découverte – que l’invention humaine pourrait bien être à la hauteur de l’invention divine – i.e. terrifiante, mortelle – ne peut pas ne pas avoir jeté le trouble sur le terme même d’invention: «C’est presque insulter les mystères du monde de penser que nous pouvons inventer quelque chose ou que nous ayons même besoin d’inventer quoi que ce soit,» dit Borges (Richard Burgin, Conversations avec J.-L. Borges, Paris, Gallimard, 1972, p. 60).
2 Voir le réseau des allusions sexuelles chez Rimbaud expliqué/décodé par Pierre Le Pillouër, dans Trouver Hortense, Besançon, éditions Virgile (Ulysse fin de siècle), 2008.
3 Comme si nous étions d’avant K. Marx... Marx ne cesse d’ironiser sur la prétendue « naturalité » du capitalisme (2 exemples : « Dans les pays de vieille capitalisation le travailleur est, quoique libre, dépendant du capitaliste en vertu d’une loi naturelle (!) » - citation de Wakefield, le point d’exclamation est bien entendu de Marx. Plus loin : « Mais never mind! encore une fois, richesse de la nation et misère du peuple, c’est par la nature des choses, inséparable. » (Le Capital, Livre I, huitième section, chapitre XXXII, Paris, Champs/Flammarion, 1985).
4 « Et comme l’abeille dans les prés verdoyants va toujours cueillant les fleurs parmi les herbes, ainsi notre Courtisan doit cueillir et voler cette grâce à ceux qui lui sembleront la posséder [...]. Mais j’ai déjà souvent réfléchi sur l’origine de cette grâce et, si on laisse de côté ceux qui la tiennent de la faveur du ciel, je trouve qu’il y a une règle très universelle, qui me semble valoir plus que tout autre sur ce point pour toutes les choses humaines que l’on fait et que l’on dit, c’est qu’il faut fuir, autant qu’il est possible, comme un écueil très acéré et dangereux, l’affectation, et pour employer peut-être un mot nouveau, faire preuve en toute chose d’une certaine désinvolture (sprezzatura), qui cache l’art et qui montre que ce que l’on a fait et dit est venu sans peine [...] » (Baltazar Castiglione, Le Livre du Courtisan, 1528).
5 Dans = jonchée (Paris, éditions Les petits matins, 2008).
6 « Celui-là donc qui ne repoussait pas les textes complexes de Mallarmé se trouvait insensiblement engagé à réapprendre à lire. Vouloir leur donner un sens qui ne fût pas indigne de leur forme admirable et du mal que ces figures verbales si précieuses avaient assurément coûté, conduisait infailliblement à associer le travail suivi de l’esprit et de ses forces combinatoires au délice poétique. » Par conséquence, la Syntaxe, qui est calcul, reprenait rang de muse [je souligne] (Paul Valéry, Variété III, « Je disais quelques fois à Stéphane Mallarmé... », dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), t. I, 1957, p. 646).
7 Dans Le Cahier du Refuge n°170, cipM, juin 2008, pp 12-14.
8 Dans Le Cahier du Refuge n°170, cipM, juin 2008, pp 12-14.