Le défi fédéraliste : les problématiques communes aux Pères fondateurs des États-Unis et aux partisans d’une fédération d’États-nations européenne
p. 69-88
Texte intégral
1La comparaison détaillée d’événements s’étant produits dans un contexte et un environnement aussi différents que l’Amérique de la fin du XVIIIe siècle et l’Europe actuelle ne peut que déboucher sur un bilan mitigé et partiel, et probablement plus enclin à mettre en relief les différences que les similitudes. Cela semble particulièrement inéluctable lorsque l’analyse comparative porte sur des événements précis, tels que la convention de Philadelphie de 1787 et la Convention sur l’avenir de l’Europe de 2003, en dépit de l’attrait et de l’intérêt de cette comparaison1. Il n’en est pas moins vrai ni évident que les problèmes qui se posent actuellement à l’Union Européenne ne sont pas uniquement liés ou dictés par le contexte, et que leur nature même leur confère une dimension potentiellement universelle. Sans tomber dans l’excès d’une approche déterministe opposée à la minutie de la méthode historique, il est tentant de dire à propos de l’Union Européenne et des États-Unis que « les mêmes causes produisent les mêmes effets ». Depuis sa création par le traité de Maastricht en 1992, l’Union Européenne semble engagée dans une logique fédérale qui rend la comparaison avec les États-Unis plus légitime qu’auparavant, et place dès lors les partisans d’une nouvelle réforme institutionnelle – et a fortiori ceux qui sont favorables à une Constitution européenne2 – dans une situation globalement similaire à celle des Pères fondateurs des États-Unis. L’Union Européenne, comme jadis la confédération américaine, semble en effet avoir atteint le stade où un choix fondamental doit être fait parce qu’il ne paraît plus possible de concilier la souveraineté des États et l’approfondissement et/ou l’élargissement de l’union. Sans nier les nombreuses différences dans les contextes et dans les modalités d’unification, le but de cet article est précisément de montrer que, dans les deux cas, un raisonnement globalement similaire a dicté les termes de ce choix. Il s’agit d’une part de démontrer qu’il existe des motivations communes chez ceux qui, à plusieurs siècles de distance et sur deux continents différents, s’efforcèrent de bâtir des institutions nouvelles pour concilier unité et diversité, et d’autre part de montrer que, pour cette raison même, ils furent confrontés à des défis de nature assez similaire.
Des motivations similaires
2En ce qui concerne les motivations, les points de convergences sont nombreux, trois étant particulièrement patents. Le cadre institutionnel – la confédération pour les États-Unis, et les institutions existantes de l’Union pour ce qui est de l’Europe – semblent et ont semblé inappropriés pour atteindre certains objectifs de première importance pouvant même être considérés comme la raison d’être de ces entités supranationales.
3Le plus évident de ces objectifs est celui de peser davantage dans le monde et d’atteindre un niveau de puissance jugé inaccessible à chaque État pris séparément. Cet argument nous est familier : dans le monde actuel, et plus encore peut-être depuis la fin de la guerre froide, seuls les grands ensembles régionaux sont susceptibles de se faire entendre et de faire contrepoids aux États-Unis. Le dilemme de sécurité sous-jacent à cette préoccupation est moins perceptible dans l’Europe d’aujourd’hui précisément parce que, loin de représenter une menace militaire, les États-Unis garantissent la sécurité de l’Europe depuis la Deuxième Guerre mondiale. La situation des anciennes colonies anglaises au lendemain de leur indépendance était tout autre, mais elles avaient, pour cette raison même, des motivations similaires pour s’unir. Parmi les raisons invoquées par les partisans américains d’une fédération, celle de rehausser la crédibilité aux yeux des grandes puissances revient souvent parce que la situation des États-Unis à la fin du XVIIIe siècle est celle d’une nation de second rang cernée de toutes parts par des grandes puissances européennes. L’ambition d’un Thomas Paine, qui, en 1776, pensait pouvoir établir avec ces grandes puissances des relations cordiales fondées exclusivement sur le commerce, avait fait long feu. La Convention de Philadelphie marqua la victoire de ceux qui, tels John Adams et Alexander Hamilton pensaient que les États-Unis étaient au fond un État semblable aux autres, qui ne pouvait se soustraire aux lois régissant les relations interétatiques. Pour Hamilton, « aucun gouvernement ne procurerait aux [États-Unis] la tranquillité et le bonheur intérieurs s’ils ne jouissaient pas de la stabilité et du pouvoir suffisant pour nous rendre respectables à l’étranger »3. Faute de pouvoir changer le monde, les États-Unis devraient se soumettre aux pratiques diplomatiques et veiller à protéger ses intérêts et sa sécurité, ce qui ne pouvait se faire sans rehausser la crédibilité des États-Unis, qui avait été mise à mal durant la période confédérale. De même, les partisans actuels d’une refonte de l’Union Européenne dans un sens plus fédéral prennent acte des changements intervenus sur l’échiquier international et admettent eux aussi que, dans le monde tel qu’il se présente aujourd’hui, la situation intérieure (dont l’économie et la prospérité) dépend en grande partie de sa capacité d’action à l’extérieur, d’où un certain primat des questions de politique extérieure qui rend l’union nécessaire au maintien de « l’influence et de l’autorité » de l’Europe dans le monde4.
4Une deuxième motivation commune, d’ailleurs également liée au problème de sécurité, est celle de pérenniser la paix entre des États voisins, déjà unis par des liens étroits, mais qui, faute d’unification politique plus complète, pourraient encore, dans certaines circonstances, recourir à la guerre. La version européenne de cette idée est, ici encore, évidente : elle est au cœur de la volonté initiale de l’Allemagne et de la France de créer la première Communauté européenne (du charbon et de l’acier, en 1951), et elle revient régulièrement dans les discours des plus ardents défenseurs d’une fédéralisation de l’Union et de son élargissement à l’Europe de l’Est. Dans son discours à l’Université Humboldt de Berlin en mai 2000, Joschka Fischer se fit l’avocat d’une fédération européenne au nom d’une paix durable en Europe, ce qui ne serait possible sans tourner définitivement le dos à la politique de puissance symbolisée par les puissants États-nations de naguère, et sans réunifier les deux parties de l’Europe en accueillant l’ex-Europe de l’Est au sein d’une Union élargie :
« Une Union européenne réduite à l’Europe de l’Ouest entérinerait à jamais la division de l’Europe : à l’Ouest l’intégration, à l’Est le vieux système de l’équilibre des puissances et le maintien des orientations nationales, les coalitions contraignantes, les politiques traditionnelles basées sur l’intérêt et le danger permanent des idéologies et des confrontations nationalistes. A long terme l’existence de deux systèmes étatiques en Europe et l’absence d’un ordre politique commun ferait de l’Europe un continent instable et à moyen terme, à partir de l’Europe de l’Est, les conflits traditionnels affecteraient à nouveau l’Union Européenne. »5
5Pour Joschka Fischer seule une véritable fédération peut fournir cet « ordre commun à tous » nécessaire à une paix globale et définitive en Europe.
6Avec autant de conviction, bien qu’avec des mots différents, les fédéralistes américains des années 1780 défendirent l’idée que seule la fédération serait à même d’éradiquer à jamais le risque de guerre entre les anciennes colonies devenues indépendantes. Du fait même de cette indépendance, qui introduisait la pluralité étatique en Amérique du nord, il était urgent, disaient-ils, d’instaurer le lien fédéral pour ne pas permettre l’instauration de l’état de guerre caractéristique de l’Europe. Pour James Bowdoin, un des partisans d’une fédération, il ne faisait aucun doute que
« si les États demeuraient souverains, il se trouveraient dans un état de nature les uns par rapport aux autres, et c’est la loi de la nature – qui est celle du plus fort – qui dès lors déterminerait l’issue des conflits qui pourraient survenir »6.
7Or, cette idée devait être exprimée avec d’autant plus de force qu’elle ne faisait pas l’unanimité. A l’époque, beaucoup d’Américains pensaient en effet que les républiques étaient pacifiques et que le républicanisme prémunissait dès lors l’Amérique contre les risques de guerre - d’où les efforts des Fédéralistes pour miner cette idée, qui allait plutôt dans le sens du maintien de la confédération, plus proche du républicanisme traditionnel que la république fédérale conçue par Madison. Dans les Federalist Papers, Hamilton s’efforça de convaincre ses compatriotes que la pluralité étatique, quel que soit le régime, engendre la guerre :
« Certains demandent parfois, sur un ton quasi triomphal, ce qui pourrait pousser les États à se faire la guerre s’ils étaient désunis. Rien de plus, pourrait-on répondre, que ce qui a plongé toutes les nations du monde, à différentes époques, dans un bain de sang »7.
8Cette conviction s’enracine dans la vision américaine de la vieille Europe, dont « l’état de guerre », ou la fréquence des guerres, semblait découler de la pluralité étatique qui la caractérisait.
9Il va sans dire que la perspective d’une paix durable entre les treize États était une condition requise non seulement pour être plus respectés sur la scène internationale, mais pour y exercer une influence. Nous touchons là à une troisième motivation commune aux États-Unis et à l’Union européenne, qui est de promouvoir certaines valeurs et de constituer un modèle alternatif susceptible de faire contrepoids aux puissances dominantes. Il s’agit en fait d’un objectif très important de l’unification américaine, qui soustendait déjà la volonté d’indépendance. Dans Common Sense, publié à la veille de l’indépendance, Thomas Paine donnait aux révolutionnaires américains une bonne raison de se battre jusqu’à ce que cet objectif ambitieux soit atteint. Au-delà des excès d’une métropole en quête de revenus, ce que les colonies rejetaient n’était rien moins que son système politique, pourtant vanté par Montesquieu. La grande cause de la révolution américaine était, selon Paine, de faire triompher le républicanisme, et ce faisant de promouvoir une alternative à la politique de puissance européenne, conçue comme consubstantielle au monarchisme8. En 1787, l’année de la Convention de Philadelphie, l’optimisme réformateur caractéristique de la décennie précédente s’était certes estompé, et les Pères fondateurs étaient assurément beaucoup sceptiques sur la possibilité de réformer le monde politique et la diplomatie traditionnelle9. Néanmoins, le mot d’ordre du Président Washington, no entangling alliances, reflétait encore en partie cette posture de défiance par rapport aux pratiques diplomatiques européennes, et la création de la fédération répondait partiellement au désir d’ériger un « rempart institutionnel » susceptible de permettre aux États-Unis de ne pas y être mêlés malgré eux.
10Plus de deux cents ans plus tard, c’est au tour du Vieux Continent d’exprimer des velléités similaires en affirmant par exemple, lors de la Déclaration de Laeken de 2001 qui lança officiellement le débat sur l’avenir de l’Union, qu’un des enjeux de la réforme de l’Union européenne est de faire de l’Europe « un phare pour l’avenir du monde »10. Cette expression n’est pas sans rappeler la conception traditionnelle des États-Unis comme nation phare pour tous les opprimés, ou comme cette « ville sur la colline » décrite par John Winthrop en 1630 et fermement ancrée dans l’inconscient collectif des Etats-uniens depuis lors. La déclaration de Laeken donnait, elle aussi, à l’Union Européenne une mission dans le monde, celle de propager des valeurs conçues comme spécifiquement européennes et d’orienter la mondialisation dans une direction plus humaniste, de la réconcilier avec « les principes éthiques », « la solidarité et le développement durable ». En un mot, la mission de l’Union Européenne est notamment de fournir une alternative à ce que l’on appelle en France le libéralisme sauvage, d’où le débat sur le projet de Constitution européenne, sur la question de savoir si cette constitution permet d’atteindre cet objectif. Ce qui doit ici être souligné, c’est que les partisans d’un approfondissement de l’Union dans un sens fédéral souhaitent faire de l’Union Européenne le fer de lance de l’opposition à la mondialisation non régulée, alors que les Pères fondateurs américains souhaitaient, au contraire, faire de la promotion du libre-échange une cause américaine à une époque où le mercantilisme dominait. Dans les deux cas, on peut donc dire que l’opposition aux doctrines dominantes et la volonté de promouvoir un modèle alternatif sont des motifs très importants d’approfondissement de l’union, et sont conçues comme des fondements de leur identité en construction. D’autre part, il est frappant de constater à quel point les situations respectives se sont inversées : ce sont actuellement les États-Unis qui jouent le rôle de repoussoir pour l’Union Européenne, en tant que symbole du modèle dominant, de la même façon que l’Europe constituait le repoussoir aux yeux des partisans d’une fédération américaine. Un des buts revendiqués de l’approfondissement fédéral est de mieux se défendre contre les puissances hégémoniques. La supériorité européenne, écrivait Hamilton en 1787,
« l’a incitée à se considérer comme la maîtresse du monde. […] Les faits ont trop longtemps conforté les prétentions arrogantes des Européens. Il nous appartient de défendre l’honneur de la race humaine et de donner une leçon de modération à ce frère prétentieux. L’Union nous en donnera les moyens. La désunion fera de nous une victime de ses triomphes. Opposons-nous à ce que les Américains soient les instruments de la puissance européenne ! Que les treize États, unis dans une Union indissoluble et clairement définie, érigent un grand système américain supérieur à toute puissance ou influence transatlantique et capable de dicter les termes des relations entre le Vieux et le Nouveau Monde ! »11
11Si ces arguments nous sont familiers aujourd’hui, c’est parce qu’ils ressemblent à s’y méprendre à ceux qui sont utilisés par les partisans d’une Constitution européenne, à condition de tenir compte de la différence de langage propre à l’époque :
« Face aux tentations de l’unilatéralisme – c’est-à-dire de la loi du plus fort ou des visions trop simples –, l’Europe doit être un facteur d’équilibre dans les relations internationales. Elle ne veut pas être une puissance dominante, mais elle veut mettre sa puissance au service des valeurs », disait Lionel Jospin en 200112.
12Il ne serait pas difficile de trouver des discours plus violemment anti-américains chez les Européens les plus convaincus, mais cette citation est particulièrement intéressante parce qu’elle montre bien la prétention des dirigeants politiques européens (Jospin était alors Premier ministre) de conférer à l’Union Européenne le rôle que les États-Unis ont depuis toujours tenu à revendiquer sur l’échiquier international. A cette inversion des rôles correspond l’inversion de la façon dont les deux continents se perçoivent : vus de l’Europe, les États-Unis actuels ressemblent fort à ce que les États-Unis pensaient de l’Europe en 1787, à savoir une/des puissance(s) hégémonique(s) toujours enclins à utiliser la force pour promouvoir ses intérêts et ses valeurs. Le changement dans le rôle et les représentations est plus évident encore depuis le 11 septembre 2001. Comme nous l’avons vu, les États-Unis ont en partie été créés pour échapper à l’état de guerre européen, mais ils se trouvent aujourd’hui dans une situation ou un climat (selon que l’on considère que cela est objectif ou subjectif) similaires à ceux des États européens à la fin du XVIIIe siècle. Il est vrai que l’Europe n’est pas épargnée par le terrorisme et en a été la cible avant même le 11 septembre 2001. Mais l’envergure et les conséquences des attentats de New York et Washington montrent bien, s’il en était besoin, que les États-Unis, de par leur hégémonie, sont devenus la cible principale, ce qui explique aussi que les dirigeants américains accordent une certaine primauté aux questions de sécurité – laquelle fut longtemps une caractéristique européenne. Durant la guerre froide, le Nouveau et l’Ancien monde vivaient certes dans un état de guerre, mais la puissance militaire des États-Unis fournissait néanmoins un sentiment de relative sécurité, en dépit de la menace nucléaire, parce qu’il paraissait peu probable que les deux superpuissances prennent le risque de s’en servir. Aux États-Unis, ce sentiment de sécurité s’est effondré en même temps que les tours jumelles, et il est alors apparu qu’il serait bien plus difficile de protéger le pays contre les nouvelles menaces, ne serait-ce que parce que les terroristes ne sont ni aussi rationnels ni aussi localisables que les États communistes. L’Union européenne se trouve quant à elle, peut-être pour la première fois dans l’histoire moderne, à la périphérie des conflits, et peut donc se permettre de jouer le rôle de modérateur sur la scène internationale (ce qui nous ramène à la citation de Lionel Jospin). Cette situation avantageuse permet aussi à l’Union Européenne d’être plus indépendante par rapport aux États-Unis et de présenter la fédéralisation de l’Europe comme une opportunité de privilégier les intérêts spécifiquement européens, renouant ainsi avec des arguments jadis développés par les auteurs des Federalist Papers, comme nous l’avons vu, pour promouvoir la Constitution élaborée à Philadelphie.
Des défis similaires
13L’existence de similitudes dans les motivations respectives des Pères fondateurs des États-Unis et des partisans d’une fédéralisation de l’Union Européenne - désir de pérenniser la paix entre les États-membres, volonté de peser davantage dans le monde et de devenir un modèle alternatif – incitent à aller plus loin dans l’analyse des contextes historiques et intellectuels pour y rechercher des points communs. Sans nier l’existence de grandes différences, il faut nuancer les affirmations fréquentes, selon lesquelles tout effort pour créer des États-Unis d’Europe seraient voués à l’échec précisément parce que les contextes seraient trop dissemblables. Deux arguments principaux sont souvent utilisés pour étayer ce point de vue : les treize États américains, contrairement aux pays membres de l’Union européenne, n’étaient pas souverains depuis assez longtemps pour être attachés à cette souveraineté et la défendre ; d’autre part, il existait une culture et une langue communes, en un mot une identité commune qui en faisait une nation. Ces observations sont, à l’évidence, globalement justes mais doivent néanmoins être nuancées sous peine de perdre de vue l’existence de défis similaires qui, bien que moins évidents à première vue, ont naguère contraint les Américains, non moins que les Européens d’aujourd’hui, à sortir des sentiers battus et à expérimenter de nouvelles doctrines et institutions politiques.
14En ce qui concerne la question de la souveraineté préexistante des États, il serait faux de penser qu’elle ne fut jamais un obstacle à la construction de la fédération américaine ou même à son maintien. Les défenseurs, surtout sudistes, des « state rights » ont empoisonné la vie politique des États-Unis jusqu’à la guerre civile, et ont à plusieurs reprises mis l’expérience fédérale en péril. En dépit du partage de facto de la souveraineté entre l’Angleterre et les colonies américaines, la doctrine de souveraineté de l’État était assez bien ancrée dans la tradition politique occidentale en 1776 pour que les treize républiques devenues indépendantes la défendent pleinement. Ce n’est qu’au prix de difficiles compromis et après maints débats que les États confédérés, surtout les plus petits d’entre eux, acceptèrent d’en céder une partie à l’État fédéral. Il est vrai que les Lumières et la philosophie des droits de l’homme minaient le principe d’autorité traditionnel et que d’éminents représentants américains des Lumières, tels que Benjamin Franklin et Thomas Jefferson, avaient déjà mis à mal la doctrine de souveraineté absolue. A la veille de la révolution, il y avait bien une divergence dans la manière de concevoir la doctrine de la souveraineté, et par suite l’empire britannique : d’une part la conception américaine selon laquelle la souveraineté pouvait être partagée entre les colonies et la métropole, (d’où une vision plus décentralisée de l’empire13), d’autre part celle du roi et du Parlement qui partaient au contraire du principe qu’eux seuls incarnaient le pouvoir souverain (d’où une vision centralisée de l’empire). Ceci étant dit, cette remise en cause américaine de la doctrine traditionnelle de la souveraineté a servi la cause des indépendantistes, et caractérise la période antérieure à la révolution. Une fois l’indépendance acquise et l’instauration de treize républiques achevée – des républiques quasi souveraines dans le système confédéral – il fallut attendre le débat sur la ratification de la Constitution conçue à Philadelphie pour que la question de la souveraineté des États indépendants soit débattue de façon approfondie, et conflictuelle, les anti-fédéralistes s’opposant catégoriquement à la création d’un système politique basé sur deux niveaux de souveraineté14. Il paraît donc difficile d’affirmer que la très courte expérience de souveraineté expliquerait, à elle seule, la volonté des États américains de partager la souveraineté et garantissait le succès de l’entreprise fédérale.
15D’autre part, cet argument peut difficilement être utilisé pour suggérer l’impossibilité pour les États membres de l’Union européenne de réussir dans l’entreprise fédérale du seul fait de leur longue expérience d’une souveraineté absolue. Beaucoup de ces États sont non seulement depuis longtemps habitués à ne plus exercer réellement leur souveraineté sans concertation, mais leur organisation interne présente différents niveaux de souveraineté. Celle-ci est donc à la fois entamée par le haut et par le bas. Certains pays, tels l’Allemagne et l’Autriche sont des fédérations, et la plupart des pays d’Europe de l’Ouest sont soit très décentralisés, soit d’ores et déjà engagés dans une voie fédérale (Espagne, Belgique, Grande-Bretagne). Le cas de la France, qui demeure l’État le plus centralisé de l’Europe occidentale, est l’exception qui confirme la règle. L’histoire des pays membres de l’Union européenne, certes longtemps politiquement structurée sur l’État unitaire et souverain, n’est donc plus un handicap insurmontable à sa progression dans la voie fédérale, et ce n’est pas cela qui distingue désormais radicalement la situation des membres de l’Union Européenne de celle des États confédérés américains. Cette comparaison peut même être positivement établie en faisant valoir que, dans les deux cas, le défi commun consiste à concevoir différemment la vieille doctrine de souveraineté pour donner corps à des institutions nouvelles et innovantes.
16Outre la question de la souveraineté, celle de l’identité nationale s’impose pour compléter l’analyse comparative des contextes. A première vue, il s’agit là d’une différence importante entre les treize républiques confédérales américaines, qui présentaient certes une certaine homogénéité culturelle, linguistique et religieuse, et les pays membres de l’Union européenne, qui appartiennent à des nations différentes ayant chacune leur propre identité. Cette opposition est cependant relative, dans la mesure où les treize républiques américaines n’étaient pas davantage considérées à l’époque comme une seule et même nation. Même en 1787, les États-Unis étaient loin d’être conçus comme un État-nation. La formule immortalisée dans le préambule de la Constitution fédérale, « We, the People of the United States », est à cet égard très trompeuse, puisque ce n’est que pour des raisons pragmatiques qu’elle fut choisie, et non pas pour exprimer un nationalisme encore inexistant15. Certes, le fait de postuler l’existence d’un peuple distinct du peuple britannique était déjà audacieux pour l’époque, mais en 1787 l’idée d’un seul et même peuple rassemblant la population des anciennes colonies n’était que spéculation. Aux États-Unis comme en Europe, il faudrait attendre le XIXe siècle pour que l’attachement émotionnel à la nation caractéristique du nationalisme moderne transforme la pensée politique. Le lyrisme d’un Daniel Webster vers la fin de sa vie, au début des années 1850, illustre particulièrement bien son essor aux États-Unis, mais ce n’est qu’après la guerre civile que la conception des États-Unis comme État-nation s’imposera, dans les faits comme dans les esprits16.
17Aussi pouvons-nous dire que ni les États-Unis de la fin du XVIIIe siècle ni l’Union européenne actuelle ne peuvent se servir du nationalisme comme fondement d’une fédération, dans la mesure où les premiers appartenaient à une époque pré-nationaliste tout comme la seconde appartient à une période « postnationale »17. Ce qui ne veut pas dire que le nationalisme n’existe plus en Europe, mais que l’idéologie nationaliste n’est plus le ferment de transformation de la carte politique de l’Europe qu’il a été durant le XIXe siècle. Pour un nombre important de pays membres de l’Union Européenne, l’État-nation n’est plus l’étalon de la vie politique, son intégrité étant au contraire minée, comme nous l’avons vu, par le bas (du fait de la tendance croissante à la fédéralisation ou régionalisation des États) et par le haut (du fait de l’unification croissante de l’Europe). Pour les États-Unis, comme pour l’Union Européenne, l’absence d’une idéologie nationaliste dominante permet de bâtir des institutions fondées sur une conception pluraliste et décentralisée de la société et de l’État et de s’écarter de la conception classique d’une souveraineté absolue de l’État. L’absence d’un nationalisme triomphant a par contre l’inconvénient de rendre plus difficile l’émergence d’une entité politique légitime dépassant les structures existantes. En fait, l’absence de nation européenne représente pour l’UE un défi similaire à celui des Pères fondateurs américains, qui, eux, aussi furent confrontés à la nécessité de créer un État, ou du moins une nouvelle entité étatique dépourvue d’une assise nationale clairement établie. Il faut donc souligner que, dans les deux cas, la volonté de créer d’une Constitution a précédé l’existence d’une nation, ce qui a contraint les États-Unis et contraint actuellement l’Union Européenne à s’appuyer sur la citoyenneté et les valeurs pour construire une identité commune, et non pas sur des marqueurs identitaires plus traditionnels tels que l’ethnie, les frontières, la langue.
18Les États-Unis possédaient à cet égard l’avantage de pouvoir bâtir sur le fondement idéologique posé par Thomas Paine à la veille de la Révolution. En faisant du républicanisme la grande cause de la révolution américaine. Common Sense ne fournissait pas seulement une raison de se battre aux révolutionnaires, il définissait aussi des principes politiques qui seraient bientôt élevés au rang de « valeurs américaines » : être américain signifiait déjà être républicain, par opposition au monarchisme européen. Il ne restait plus aux Pères fondateurs qu’à persuader leurs compatriotes que la Constitution fédérale incarnait, elle aussi, ces valeurs pour susciter ce « patriotisme constitutionnel » dont Jürgen Habermas est le chantre dans l’Europe actuelle18. Les « fédéralistes » européens ont, eux aussi, bien compris la nécessité d’enraciner l’Union Européenne dans des valeurs communes auxquelles tous les pays membres, ainsi que les pays candidats à l’adhésion, pourraient s’identifier. Tel était l’un des buts des « critères de Copenhague » définis par le Conseil européen de 1993, qui explicitait les conditions préalables à l’adhésion de nouveaux États membres, dont le respect des minorités et des droits de l’homme19. On peut par ailleurs remarquer que le projet de Constitution européenne définit explicitement les « valeurs de l’Union »20 et associe étroitement la citoyenneté de l’Union aux droits fondamentaux énoncés dans la partie II du projet constitutionnel21. Ces droits fondamentaux, conçus comme le reflet de valeurs profondément ancrées dans la civilisation et l’histoire européennes, représentent en somme ce que le républicanisme représentait pour les Américains à la fin du XVIIIe siècle : ils font de l’Union la terre d’élection, le champion et protecteur de ces valeurs, le garant de leur pérennité. Ils visent à forger une conscience commune européenne à partir de valeurs qui, bien que partagées par les États-Unis, seraient bien plus européennes qu’américaines de par l’importance accordée par l’Europe à la reconnaissance et à l’acceptation des différences, à la nécessité d’une cohésion sociale et à l’opposition à la peine de mort22. Il y a peu de temps encore, cette Europe était, il est vrai, divisée en deux parties ayant chacune son propre système de valeurs et ses institutions, mais ces différences peuvent de toute façon être considérées comme mineures si on les compare à celles qui séparaient les États esclavagistes des États « libres » dans les États-Unis d’avant la guerre civile23.
19Outre la nécessité de réconcilier souveraineté et fédéralisme, et de bâtir un État fédéral sans l’existence préalable d’une identité nationale commune, on peut enfin identifier un troisième défi commun aux États-Unis de la fin du XVIIIe siècle et à l’Union actuelle : celui qui consiste à réconcilier ce fédéralisme avec le républicanisme. Il faut pour cela considérer ce qu’était, dans les faits et dans les esprits, le républicanisme à l’époque des Pères fondateurs américains. Le modèle républicain était alors, en effet, très différent de sa version moderne. Pour les Pères fondateurs américains, la création d’une République fédérale impliquait la remise en cause de la tradition républicaine classique, à laquelle Montesquieu adhérait encore, qui faisait de la petite taille du territoire et de la vertu des citoyens les deux piliers du républicanisme. En légitimant le rôle de l’intérêt individuel dans les sociétés, David Hume et Adam Smith s’étaient déjà éloignés de la vision classique de l’homme et avaient esquissé une anthropologie moderne qui serait ensuite utilisée par les fédéralistes américains24. Le génie de Madison consista à réconcilier l’étendue du territoire avec les idéaux et les institutions républicains, et à transformer l’étendue du territoire en avantage. « L’efficacité de certains principes qui étaient inconnus ou imparfaitement connus des Anciens est maintenant bien comprise », écrivait-il dans Le fédéraliste n° 9. Parmi ces principes, celui de la représentation, dont il faisait le trait distinctif d’une république, par opposition à une démocratie pure :
« La vraie distinction entre ces deux formes […] est que dans une démocratie le peuple se rassemble et exerce luimême le pouvoir ; dans une république, il s’assemble et l’exerce par l’intermédiaire de leurs représentants et de leurs agents. Une démocratie n’est par conséquent viable que sur un petit territoire, alors qu’une république peut être instituée sur un grand territoire. »25
20Ce qui était vrai pour une république l’était évidemment plus encore pour une république fédérale, qui permettait d’accroître plus encore l’étendue du territoire. Comme Madison l’explique dans Le fédéraliste n° 10, une république fédérale présentait en outre l’intérêt de multiplier et diversifier les intérêts, et par-là de rendre plus difficile la formation d’une majorité susceptible d’opprimer les minorités. C’est ainsi que le « père de la constitution » américaine rendit théoriquement compatible le républicanisme et l’étendue du territoire, et adapta la théorie classique aux besoins de l’Amérique moderne.
21Pour l’Union Européenne, plus de deux cents ans après, réconcilier républicanisme et fédéralisme semble cependant aussi difficile, en dépit de l’obsolescence de la théorie républicaine classique, du fait de l’identification du républicanisme à l’État-nation. Celui-ci paraît maintenant encore consubstantiel au républicanisme, comme les petites républiques l’étaient pour les Anciens. Pour un pays comme la France, qui depuis la révolution a identifié la République à la nation et celle-ci à la souveraineté populaire, le défi est immense, et le débat particulièrement passionnel qu’il suscite n’est pas sans rappeler celui qui opposa les fédéralistes aux anti-fédéralistes préalablement à la ratification de la Constitution fédérale américaine. En 1787, ces derniers représentaient la tradition républicaine classique et ils s’opposaient à l’édification d’un exécutif puissant et d’une grande république fédérale, tous deux conçus comme incompatible avec la vertu et l’esprit public nécessaires à la démocratie. Le maintien de la confédération était selon eux préférable parce que l’union ainsi créée était celle des États, eux-mêmes dépositaires de la souveraineté nationale et garants des droits de leurs citoyens, et parce qu’ils voyaient la mise en place de deux niveaux de souveraineté comme une absurdité :
« Est-il besoin d’une déduction mathématique pour montrer l’impropriété de la coexistence de deux souverainetés distinctes ? L’humanité toute entière perçoit naturellement l’absurdité d’une telle hypothèse, car si les mots ont un sens, le pouvoir suprême doit résider quelque part dans un État, ce qui veut dire que le pouvoir de chacun des membres de l’État (sic) doit être rassemblé et consolidé dans un corps constitué. Ce rassemblement, cette union, cette suprématie du pouvoir ne peuvent exister que dans un seul corps politique. Comme cela a été dit très justement, il doit être évident pour tous que le projet de constitution réduirait le pouvoir de chaque État à celui d’une ville. »26
22Ce sont à l’évidence des arguments très similaires que les souverainistes français utilisent aujourd’hui, et il n’est pas difficile de trouver dans les discours de Jean-Pierre Chevènement des citations qui s’en rapprochent : « la souveraineté populaire », écrivait-il dans Le Monde en 2001, « par laquelle la volonté générale s’exerce, ne peut être aliénée sous peine que le peuple lui-même se dissolve ». « Il y a une civilisation européenne » concède-t-il, mais « il n’y a pas une nation européenne mais trente. […] Aujourd’hui les nations demeurent le cadre privilégié de la démocratie. »27 Très typique de la conception française traditionnelle de la république, cette opinion est logiquement opposée à la notion de « fédération d’États nations » popularisée par Jacques Delors et reprise depuis par de nombreux hommes politiques. Dans d’autres discours, Chevènement exprime l’idée similaire au point de vue antifédéraliste exprimé cidessus, que dans le cadre fédéral, le statut, le pouvoir et l’influence de la France seraient comparables à ceux de l’Oklahoma, aux États-Unis.
23En dernière analyse, le défi commun aux États-Unis de la fin du XVIIIe siècle et de l’Union européenne actuelle est d’adapter la théorie et les institutions à un environnement changeant, dans le but de demeurer libre tout en possédant ce degré de puissance justement nécessaire à la liberté et au bien-être matériel. Comme les États-Unis en 1787, l’Union doit créer un système politique qui lui donnera plus de poids sur la scène internationale, tout en restant fidèle aux valeurs de ses États membres. Sur le plan économique, cela implique de concilier l’élargissement du marché commun (et donc de déréguler, de libéraliser les économies nationales) nécessaire à la compétitivité internationale de l’Union Européenne, et les droits socio-économiques que ses citoyens ont acquis précédemment, lors de la mise en place de l’État-providence. A un niveau différent, cela implique aussi de concilier le besoin d’autonomie politique et sociale des différentes nations et les conditions requises à une paix durable – impératif qui, comme nous l’avons vu, était tout aussi patent dans l’Amérique de 1787. Plus généralement, la question commune est celle de savoir si le régime républicain doit être ouvert sur le monde ou au contraire économiquement et politiquement centré sur lui-même. Cette question a été débattue par les délégués de Philadelphie lors de la discussion sur ce que devait être le modèle des États-Unis : les républiques antiques, frugales, homogènes et de petite taille ou au contraire une grande république commerciale, de conception résolument moderne, caractérisée par l’hétérogénéité, la grandeur de son territoire, le luxe et l’ouverture sur le monde28. Les Américains ont tranché et ce faisant ont orienté la République fédérale dans une direction favorable à son expansion et à sa montée en puissance. L’Union européenne paraît maintenant être dans une période similaire où il lui faut choisir son orientation. Ce choix n’est possible qu’en sortant des sentiers battus, comme les Pères fondateurs américains le firent en leur temps, et en convainquant les peuples et les élites que ces innovations sont compatibles avec leurs valeurs et leur histoire. Les deux « moments » apparaissent tous deux comme des périodes de transition dont les valeurs politiques traditionnelles ne sont plus adaptées aux réalités politiques et doivent être révisées. Toutes deux doivent faire face aux tensions et aux bouleversements qui résultent de la confrontation entre les conceptions modernes et traditionnelles, et peuvent ainsi être considérées comme un exemple de l’effort universel et à jamais inachevé pour adapter les théories à la réalité.
Notes de bas de page
1 Une telle comparaison est évidemment tentante, non seulement de par la similitude des mots, mais surtout parce que Valéry Giscard d’Estaing, le président de la Convention sur l’avenir de l’Europe, s’est maintes fois référé à la convention de Philadelphie (voir notamment ses discours au Parlement européen du 10 octobre 2001, et du 28 février 2002 consultables sur le site http://www.europarl.eu.int, ainsi que son article « l’Europe que je veux bâtir », Le point, 21 novembre 2002 et sa conférence à la Kennedy School of Government le 8 octobre 2003, consultable sur http://www.iop.harvard.edu/programs/forum). En France, outre la contribution de Thierry Chopin dans cet ouvrage, la comparaison des deux conventions ont déjà fait l’objet de plusieurs articles : François Vergniolle de Chantal, « la Convention de Philadelphie : les fondements du modèle américain », Critique Internationale, n° 21 (Octobre 2003) ; Florence Deloche-Gaudez, « Bruxelles-Philadelphie. D’une Convention à l’autre », Critique Internationale, n° 21 (Octobre 2003) ; Michel Rosenfeld, « La Convention européenne et l’œuvre des constituants américains », Cités, n° 13 (2003).
2 D’où le parallèle, exprimé dans le titre de l’article, entre eux et les Pères fondateurs des États-Unis.
3 Alexander Hamilton cité par Gerald Stourzh, Alexander Hamilton and the Idea of Republican Government. Stanford UP, 1970, p. 127.
4 Cet argument, très proche de celui d’Hamilton cité plus haut, a maintes fois été utilisé par Valéry Giscard d’Estaing. Voir par exemple son discours, déjà cité du 28 février 2002 au Parlement européen.
5 Joschka Fischer, discours à l’Université Humboldt de Berlin, 12 mai 2000, intitulé « De la confédération au fédéralisme : pensées sur la finalité de l’intégration européenne ».
6 Governor James Bowdoin, cité par Stourzh, Alexander Hamilton and the Idea of Republican Government, p. 188, op. cit. (traduction par mes soins).
7 Hamilton, Alexander, The Federalist Paper n° 7. Voir aussi les numéros 6, 8, 9 et 80.
8 « Common Sense » est notamment publié dans Thomas Paine, Selected Work, Modern Library, 1945.
9 Sur ce changement, voir Felix Gilbert, To the farewell Address, Princeton University Press, 1961.
10 La Déclaration de Laeken, qui est à l’origine de la Convention sur l’avenir de l’Europe, peut notamment être consultée sur le site www.eu2001.be
11 Alexander Hamilton, The Federalist n° 11.
12 Lionel Jospin, discours du 28 mai 2001 sur « l’avenir de l’Europe élargie » à Paris. Peut être consulté sur www.senat.fr/europe/avenir_union/jospin_052001.pdf
13 Voir Benjamin Franklin, « Observations Concerning the Increase of Mankind », Writings. The Library of America, 1987. et Thomas Jefferson, « A Summary View of the Rights of British America », Writings. The Library of America, 1987. Ces deux documents représentent deux plaidoyers, particulièrement précoce en ce qui concerne celui de Franklin, écrit en 1751, en faveur d’un empire décentralisé.
14 Je reviendrai sur ce point dans la dernière partie de l’article. Pour plus de détails sur les références, se reporter aux notes qui s’y rapportent.
15 Comme Max Farrand et d’autres l’ont montré, la formulation originelle - « We, the people of the states of New Hampshire, Massachusetts, Rhode Island » etc. - insistait davantage sur la pluralité des États, et seule l’incertitude sur la question de savoir quels États ratifieraient la Constitution explique le choix des délégués de changer de formulation. Pour plus de détails sur ce point, voir Thierry Chopin, La république « une et indivisible » : les fondements de la fédération américaine, Paris, Plon, 2002, ainsi que François Vergniolle de Chantal, « la Convention de Philadelphie : les fondements du modèle américain », Critique Internationale, n° 21 (octobre 2003)
16 Le fait qu’il ait fallu attendre 1868, et l’adoption du XIVe Amendement à la Constitution fédérale, pour que la suprématie de la citoyenneté fédérale sur celle des États soit légalement établie, constitue probablement la meilleure preuve de l’absence d’un véritable État-nation avant la guerre civile. L’UE paraît être à un stade similaire, dans la mesure où la citoyenneté européenne existe sans être véritablement reconnue au même titre que les citoyennetés nationales.
17 Pour plus de détails sur la notion de postnationalisme, voir par exemple Jurgen Habermas, Après l’État-nation. Paris, Fayard, 2000 et Jean-Marc Ferry, La question de l’État européen. Paris, Gallimard, 2000.
18 Pour une analyse de la notion de « patriotisme constitutionnel » en Europe, voir Jan-Werner Müller, « Is Euro-patriotism Possible ? », Dissent, printemps 2004. (aussi consultable sur le site www.dissentmagazine.org/menutest/articles/sp04/muller.htm). Pour plus de détails sur l’attachement des Américains à leur constitution, et sur sa « sacralisation », voir par exemple Denis Lacorne, « E pluribus unum : une devise pour l’Europe ? », Le Débat n° 123 (janvier 2003).
19 Ces critères ne concernent pas uniquement les principes politiques et les valeurs, ils expriment aussi des exigences en matière économique et monétaire. Néanmoins, ils exigent des pays candidats d’« avoir mis en place des institutions stables garantissant la démocratie, l’état de droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection ».
20 Voir l’Article I-2 intitulé « les valeurs de l’Union » : « L’Union se fonde sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la tolérance, la justice, la solidarité et la non-discrimination. »
21 En effet, le Titre II énonce conjointement « Les droits fondamentaux et la citoyenneté de l’Union » (Article I-8 et I-9) et renvoie explicitement à la Charte des droits fondamentaux qui constitue la partie II de la Constitution.
22 Selon Habermas, cette conscience commune de l’Europe est fondée sur sa mémoire historique, souvent dramatique, qui la rend particulièrement sensible à la violence. Pour plus de détails, voir Jan-Werner Müller, « Is Europatriotism possible ? », op. cit.
23 Cet argument est exprimé par Denis Lacorne dans « E pluribus unum » : une devise pour l’Europe ?, op. cit., et par Michel Rosenfeld, « La Convention européenne et l’œuvre des constituants américains », Cités, n° 13 (2003)
24 Dans ses Essais politiques, Hume avait déjà exprimé l’idée qu’une société doit être basée sur une conception réaliste de l’homme (l’homme étant selon lui intéressé, et plus enclin à satisfaire ses propres besoins que ceux de la société) : « Dans l’Antiquité, la politique était violente et contraire à l’orientation naturelle et habituelle des choses.[…] Et moins les principes qui régissent une société donnée sont naturels, plus difficile il sera pour le législateur de les faire prévaloir. La meilleure politique est celle qui respecte l’orientation ordinaire de l’humanité pour ensuite lui apporter les améliorations possibles. » (David Hume, Political Essays, New York, Charles Hendel, 1953, p. 133-34. Passage traduit par mes soins) Cette idée est fréquemment exprimée dans les Federalist papers. Pour plus de détails, voir Jean-Marie Ruiz, « Publius et la nature humaine », Revue Française d’Etudes Américaines n° 87 (2001) ainsi que Gordon Wood, The Creation of the American Republic, 1776-1787, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1969.
25 James Madison, The Federalist n° 14. (traduit par mes soins)
26 The Impartial Examiner, Virginia Independent Chronicle, 20 février 1788, article reproduit dans Herbert Storing, The Anti-federalist, Chicago, The University of Chicago Press, 1981, p. 281. Les écrits les plus significatifs des anti-fédéralistes ont été publiés par W. B. Allen et Lloyd Gordon, The Essential Antifederalist, Lanham, MD, University Press of America, 1985. Pour une présentation des points de vue anti-fédéralistes américains dans le débat préalable à la ratification de la Constitution fédérale, voir Herbert Storing, The Complete Antifederalist, Chicago, The University of Chicago Press, 1981 ; Jackson Main Turner, The Anti-federalists. Critics of the Constitution, 1781-1788, New York, Norton, 1974 ; Cecilia Kenyon, The Antifederalists, Boston, Northeastern University Press, 1985.
27 Jean-Pierre Chevènement, « la démocratie en péril à Laeken », Le Monde, 14 décembre 2001.
28 Comme Philippe Raynaud le souligne dans « l’idée républicaine et le “Fédéraliste” » [dans François Furet et Mona Ozouf. Le siècle de l’avènement républicain. Paris : Gallimard, 1993. Voir p. 71], l’adoption du projet de Madison à Philadelphie impliquait l’ouverture sur le monde (ouvrant aussi la voie à l’expansion continentale) et reflétait la victoire de la version moderne du républicanisme.
Auteur
Maître de conférence en civilisation américaine, Université de Savoie
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