Chapitre 6. Indianité et Droit : l’économie des pratiques
p. 205-248
Texte intégral
1Les différentes tactiques énoncées plus haut ne retrouvent leur sens et leur force que si elles sont engagées dans des pratiques. Il convient donc de les replacer dans les contextes et de voir, à travers quelques exemples, l’économie des pratiques. Les peuples indigènes ont recours à diverses combinaisons des tactiques présentées pour reconstruire leur noyau identitaire, mais dans tous les cas, celles-ci reposent sur un entre-deux combinant une attitude essentialiste suivant laquelle l’indien joue de sa culture et de son rapport au passé, ce que l’on appelle son historicité identitaire, et une posture plus moderne qui insiste davantage sur les éléments nouveaux drainés par leur identité.
§ 1. L’essentialisation de l’indianité
2Qui est Indien ? Le caractère indigène en Colombie comme au Venezuela a toujours fait l’objet de multiples débats et controverses, de jeux aussi, sans que l’on puisse parvenir à une définition qui embrasse toute sa complexité ; d’autant que ce n’est pas l’existence de l’indien qui détermine une définition mais l’inverse. La principale difficulté tient sans doute à la multiplicité des circonstances d’ordre économique, social, culturel et juridique dans lesquelles se trouvent les communautés assumant leur identification à la condition d’indigène. Cette dernière correspond tant aux communautés ayant des contacts sporadiques avec la société nationale et vivant de manière isolée dans des contrées lointaines, maintenant leurs activités traditionnelles de chasse, de pêche et de récolte, qu’aux groupes presque assimilés au mode de vie paysan et qui entretiennent des liens très forts avec les autres groupes humains du pays1. Différents critères et classifications ont été mis en œuvre dans les deux États pour recenser la population indienne mais aucun n’est indiscutable. En Colombie, dès le recensement de 1985 qui établit un recensement spécial indigène, il fut décidé de considérer comme telle toute personne se reconnaissant elle-même membre d’un groupe ethnique et qui, outre cet élément subjectif, possède une tradition culturelle et vit de manière communautaire. Cette prise en compte du caractère subjectif de l’identité avec la reconnaissance d’un droit à l’auto-identification représente en Colombie comme au Venezuela une avancée majeure car elle définit l’identité sur le mode de l’attribution mais aussi du choix. Dans le contexte multiculturaliste des années quatre-vingt-dix, cette évolution couplée à la reconnaissance de droits aux indigènes va susciter un large processus de « ré-indianisation ».
1. La tactique de « reindianización »
3Les communautés paysannes sont de plus en plus nombreuses à réclamer des États leur reconnaissance comme indigènes. Le jeu sur la frontière séparant les indiens des paysans s’est en quelque sorte inversé et a été récupéré par les acteurs objets du jeu ; il ne s’agit plus de faire des indigènes des paysans sous l’action de l’État mais de transformer les paysans métis, de leur propre initiative, en nouveaux indiens. Ces processus sont plus ou moins légitimes et se donnent à voir dans de nombreuses régions de la Colombie. Certaines de ces communautés renaissantes disent appartenir à des peuples déjà existants et reconnus (cas des Pijao, Zenú, Tama, Muiska, Nasa ou Yanacuna), d’autres à des groupes considérés comme éteints (cas des Andaquí, Mokaná, Kankuamo) mais toutes viennent grossir le nombre de groupes ethniques. En Colombie par exemple, ils seraient non plus 84 mais plus de 90. Au Venezuela, il en est de même, surtout depuis la refonte constitutionnelle. Les Chaima, population péri-urbaine et métisse de l’État de Sucre, ont perdu l’usage de leur langue et nombre de traits culturels mais font aujourd’hui pression sur le Bureau des affaires indigènes pour être reconnus et intégrés au prochain recensement indigène.
4Ce phénomène de ré-ethnicisation, perceptible dans toute l’Amérique latine, revêt plusieurs significations. Il est une réaction au contexte politique antérieur d’exclusion, et ce sont les nouvelles conditions politiques et sociales qui font que ces ethnicités latentes s’activent et se convertissent en une nouvelle force sociale. Ces processus de ré-indianisation se comprennent aussi à la lumière de la globalisation, venue dissoudre les formes traditionnelles d’appartenance et de solidarité, comme la notion de classe. Le recours à l’identité est une réaction face à l’universalisme d’une culture dominante ou du marché, ravageur pour les appartenances collectives. En Colombie comme au Venezuela, la crise de l’agrarisme public et des organisations corporatistes qui lui étaient liées favorise l’ethnicisation des demandes en provenance de populations rurales qui n’avaient pas eu jusque-là la nécessité ou les moyens de promouvoir dans l’espace public leur indigénéité comme une ressource et un moyen de défendre leurs intérêts collectifs. Cette ethnicisation traduit donc la volonté de mobiliser des ressources culturelles, un capital social et symbolique pour lutter contre de nouvelles formes d’exclusion et de domination (Gros, 2001). La référence à l’ethnicité détient une fonction performative. Elle offre un nouveau cadre symbolique et identitaire, un nouvel espace de mobilisation qui s’est fortement affaibli dans les autres identités sociales. Ces ré-ethnicisations affirment de plus l’aspect instrumental de la notion d’indien, puisqu’il s’agit pour les communautés métisses de bénéficier des droits reconnus aux indigènes en changeant les frontières de leur identité. Désormais, mieux vaut en effet être indien, au regard des nombreux droits que cette identité offre, que paysan ; lequel ne dispose ni de droits ni d’une identité particuliers et s’est vu marginalisé, exclu du processus constituant et des politiques de réordonnancement territorial.
5La transfiguration ethnique qui s’opère est d’ailleurs parfaitement assumée par les métis nouvellement indiens. Pour ceux-ci, il n’y aurait pas de discontinuité entre ces deux états, le métissage étant analysé rétrospectivement comme relevant d’une stratégie de survivance, en devenant le vêtement que l’indigène a utilisé pour survivre.
6Ces transfigurations provoquent aussi des conflits de divers ordres, principalement entre indiens et paysans, du fait de la rareté de la terre et de la question territoriale en Colombie, mais aussi entre ces nouveaux indigènes et les pouvoirs publics ou encore entre les indiens eux-mêmes. C. Gros (1997), en étudiant le processus de ré-indianisation des Yanacona dans le Macizo central au début des années 1990, a montré combien cette renaissance ethnique était un moyen d’organiser les communautés en dehors du clientélisme traditionnel et du contrôle extérieur exercé par les inspecteurs de police, le tout devant permettre un accès au pouvoir municipal. De même, la conversion de la population métisse d’Atanquez (municipe de Valledupar) en kankuamo n’est pas compréhensible en dehors de la question territoriale et de la création d’Entités Territoriales Indigènes (ETI). La reconnaissance des Kankuamo permet en effet d’unifier le territoire indien de la région. Jusqu’en 1993, trois groupes sont reconnus dans la Sierra Nevada (Arhuaco, Kogui et Wiwa) qui réclament depuis longtemps la reconnaissance de leur territoire ancestral délimité par la « ligne noire ». L’apparition d’un quatrième groupe laisse alors envisager la Constitution d’un vaste territoire indien organisé demain sous la forme d’une ou plusieurs ETI disposant d’une autorité administrative et politique et de ressources propres.
7Le succès des demandes indigènes va de plus avoir un « effet dominos », d’autres groupes mobilisant à leur tour leur identité particulière. Le cas est particulièrement saillant en Colombie. D’un côté, la population noire cherche à développer ses nouveaux droits constitutionnels2. À l’instar des populations indiennes, leur demande de titres (collectifs) de propriété foncière se fait au nom d’une organisation sociopolitique et d’une culture particulières ; elle se présente aussi comme une stratégie normative pour protéger les ressources naturelles de leurs territoires. De l’autre, émerge sur la scène politique nationale le peuple Rom ou gitan. Depuis 1998, les Rom, traditions et textes juridiques internationaux à l’appui, veulent être reconnus en tant que peuple par l’État – à l’image des peuples autochtones – et bénéficier ce faisant de droits ethniques particuliers. Un processus de ré-ethnicisation identique à celui des groupes métis est mis en œuvre. Les Rom font valoir que leur invisibilité ethnique relevait jusqu’à présent d’une stratégie consciente de résistance. Ils affirment leur antériorité à la République et soulignent la persistance de traits culturels particuliers : une origine commune et une histoire partagée, une longue tradition de nomadisme et d’adaptation dans de nouvelles formes de voyages, l’utilisation quotidienne de la langue romaní, une forte cohésion interne et des rapports particuliers face au non gitan (gadye), une organisation sociale fondée sur la configuration de groupes de parenté et même une Justice propre, la Kriss romani (Gómez, 1998).
8Par ailleurs, certains secteurs marginalisés (paysans, pauvres) perçoivent ces programmes publics à destination des indigènes comme des privilèges. Ils dénoncent la consécration d’une citoyenneté sans devoirs. Au Venezuela par exemple, un conflit dans les zones classées comme parcs naturels oppose constamment les communautés indiennes – qui y vivent et vendent leur artisanat – aux autres artisans, les premières n’étant pas soumises comme les seconds aux taxes. Plus largement, c’est la question de la citoyenneté qui se trouve posée. La politique multiculturaliste des États ne semble pas seulement vertueuse. À certains égards, elle apparaît même dangereuse car en classant les individus dans des groupes d’appartenance avec des droits exclusifs, elle institutionnalise aussi les axes de conflits entre les groupes (Martiniello, 1997, p. 113).
2. Les stratégies d’identarisation foncière
9La seconde stratégie visible dans l’agir politique indigène repose sur une correspondance de l’indianité avec le territoire. Cette stratégie est selon les contextes défensive ou offensive et ses motivations sont parfois peu explicites, les aspects culturels, essentiels, de l’identité s’enchevêtrant bien souvent avec les données politiques ou géo-administratives. Ainsi, les indigènes peuvent ethniciser l’espace, comme en Amazonie colombienne, en étendant leur occupation foncière et en demandant la reconnaissance de cette occupation de fait. Cette tactique est éminemment moderne mais s’appuie sur l’identité ethnique, c’est la qualité d’indien qui est mise en avant, montrée et démontrée pour faire valoir des droits sur le territoire. De même, au Venezuela, la différence ethnique assure l’octroi de nouveaux droits territoriaux et politiques. Le conflit qui opposa dès 1993 le gouvernement de l’État Amazonas aux dix-neuf ethnies présentes sur son territoire en atteste. Dans ces deux cas toutefois, l’identité est instrumentalisée sans référence au territoire ancestral, mythique ou traditionnel. En d’autres lieux, en revanche, l’indianité se fonde sur un ancrage territorial spécifique et devient le bouclier contre les menaces extérieures. Tel est le cas pour les groupes de la Sierra Nevada de Santa Marta (Colombie) qui se sont opposés à la tentative de création du municipe de Pueblo Bello sur une portion de leur territoire traditionnel ou encore des Kari’ña de la communauté d’Aguasay (Venezuela), obligés de démontrer leur indianité pour avoir le droit de continuer à vivre sur leurs terres.
10L’ancrage territorial de l’indianité apparaît d’autant plus malléable et stratégique qu’il s’appuie finalement sur une multiplicité d’éléments définitionnels dont les caractères sont changeants en fonction des contextes et des enjeux. Le territoire joue donc un rôle déterminant dans la construction de l’identité indienne, ou plus exactement dans les représentations de celle-ci que les groupes indigènes cherchent à imposer. Les identités s’expriment au travers de « géographies imaginatives » (Said, E. in : Radcliffe, S. et Westwood, S., 1999, p. 43) qui imaginent et articulent au niveau du discours leurs différences et distinctions.
3. Identité culturelle et visibilité politique
11La posture essentialiste est tout aussi évidente dans les stratégies indigènes de visibilité politique suivant lesquelles il s’agit d’indianiser au maximum l’espace public en jouant fortement de ses marqueurs identitaires et de son capital symbolique. La force de cette stratégie de réaffirmation identitaire repose sur la connaissance d’un passé réinventé et ré-imaginé qui crée de nouvelles communautés imaginaires (Anderson, 1996), adaptées aux conditions du présent. Les groupes indigènes valorisent leurs différences en reconstruisant leurs traditions et en fabriquant de l’authenticité (Bayart, 1996).
12Deux procédés entrent notamment en jeu : Le premier consiste en un « sauvetage de la culture » indigène et se remarque dans la résurgence des autorités traditionnelles mais aussi des folklores, des valeurs culturelles ou des droits coutumiers. Par ce travail d’objectivation de la culture, il s’agit en fait de reconstruire et de légitimer la frontière ethnique, la culture étant réduite à quelques paramètres sélectionnés ou construits pour leur performativité (Gros, 2000). Conscients de leur importance, les groupes indigènes ont d’ailleurs progressivement déplacé la lutte sur le terrain des droits culturels ; plus les indigènes sont visibles culturellement, plus ils le deviennent aux niveaux politique et juridique, et inversement. Ainsi, si les cultures indigènes ne sont pas respectées, d’autres revendications connexes sont forcément violées. À l’inverse, le respect de leurs droits culturels entraîne nécessairement la reconnaissance d’autres droits, historiques (droit foncier, langues indigènes) et nouveaux (propriété intellectuelle, médecine traditionnelle). Le second procédé relève d’un ensemble de comportements et d’actions qui contribuent tous à indianiser le politique, en rendant les indiens encore plus indiens.
13Au niveau communautaire, on assiste à une re-construction des autorités traditionnelles. Les peuples indigènes valorisent désormais leur résurrection, celles-ci devant participer pleinement aux nouveaux processus politiques et juridiques ouverts par la Constitution. Au Venezuela, les Kari’ña veulent réhabiliter la figure traditionnelle du dopooto dans les communautés ; les Warao, qui ont pratiquement perdu leur organisation socio-politique traditionnelle, envisagent de « se retourner vers le passé afin de redonner sens à ce qu’ils étaient auparavant »3. De leur côté, les Piaroa de l’Amazonas (zone de Manapiare) ont recréé depuis le début des années quatre-vingt-dix leur Conseil des Anciens.
14En Colombie, le phénomène a donné lieu à de profonds bouleversements, comme en atteste un travail de terrain dans la vallée de Sibundoy (Putumayo). Le cabildo s’est fortement bureaucratisé. De nouveaux postes apparaissent (trésorier, secrétaire, assesseur) et certaines fonctions peuvent être rémunérées sans que son aspect traditionnel soit remis en cause. La figure de gouverneur a également changé. Dans certaines communautés, son élection se réalise sous de nouvelles conditions. Le choix des candidats est déterminé par l’acquisition d’une instruction moderne et d’une culture d’État. Les connaissances exigées ne sont plus uniquement celles de la tradition. Il faut aussi savoir parler le langage de l’État et connaître ses mécanismes de fonctionnement. Les gouverneurs sont aussi plus jeunes qu’auparavant4 du fait des nouvelles compétences attribuées aux communautés (cogestion des transferencias) qui créent de nouvelles exigences. Le choix dépend également de nouveaux critères, non-traditionnels. « Avant, c’étaient les anciens gouverneurs et l’Église qui nommaient le nouveau gouverneur. Maintenant, cela se fait au moyen du vote et les candidats font campagne »5.
15Le poste de gouverneur est surtout plus convoité. « Avant, personne ne s’intéressait au cabildo. Le gouverneur devait être riche quand il n’y avait pas des ressources de l’État. Mon grand-père – il a été gouverneur – a du dépenser son argent personnel pour aider la communauté. Maintenant, tout le monde veut devenir gouverneur, pour les bénéfices personnels [...]. Les gouverneurs sont d’ailleurs élus sans passer par les échelons intermédiaires ; avant il fallait déjà avoir été alguacil, petit ou grand, et après alcalde ou alcalde mayor pour enfin pouvoir prétendre au poste de gouverneur » (ibidem).
16La visibilité sociale mais aussi politique, constitue désormais un mobile puissant des comportements identitaires indigènes. En étudiant le champ politique, il est possible de montrer comment les indigènes fabriquent de l’authenticité, de la différence, envisagée non pas comme un retour à la tradition mais comme une stimulation nouvelle qui vise à la préserver. La singularisation qui s’opère se réalise sur des « porte identité » (Goffman, 1984) tels que le port de vêtements traditionnels, les peintures faciales, l’allure ou le langage. L’identité indienne, prescrite ou assignée par l’État, est ré-appropriée par les groupes indigènes qui, dans les interstices du hasard (du présent réel) et dans leurs mouvances, vont en produire une nouvelle. L’indien doit en outre veiller à ne pas se dissoudre. Il lui faut créer de la différence sans que celle-ci conduise à son exclusion, soit trouver un juste milieu entre la revendication de son identité particulière et l’acceptation de son appartenance à la société majoritaire.
17Les nouvelles élites indigènes de la Colombie et du Venezuela suscitent une inflation de symboles identitaires. Elles ressentent le besoin de paraître indigènes et de récupérer certains de leurs rituels, qui en consacrant une différence marquent aussi l’institution de celle-ci en tant que propriété sociale et symbolique (Abélès, 1990). Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les leaders indiens entrer dans l’hémicycle, habillés pour certains de leurs vêtements traditionnels6. Dans la matérialisation de l’imaginaire, le rôle des symboliques pileuses, vestimentaires et culinaires du politique est très important. Le corporel « tend à incarner à lui seul l’ordre du politique et ce faisant devient lui-même un enjeu primordial. La simple apparence est une des formes les plus importantes de l’énoncé symbolique qui permet d’appréhender les autres, leur condition sociale, et de là leur relation à soi, au premier coup d’œil. Grâce à sa plasticité, le vêtement est un instrument privilégié de construction et de négociation des identités » (Bayart, 1996). Il constitue pour les dirigeants indiens un véritable outil de communication politique et témoigne de la diversité de la société nationale, reproduite à l’intérieur de l’hémicycle. À l’instar de tout répertoire culturel, il est instrumentalisé pour émettre des messages d’autorité, de proximité et de négociation. Il matérialise « la revendication plus ou moins consciente d’un style de vie avec son esthétique, ses valeurs, son idée normative de l’économie morale de la cité et donc, son rapport au politique » (Bayart, 1996). En Colombie, le sénateur paez J. Piñacué arbore son capillazo (sorte de cape), le député inga à la Chambre des Représentants M. Jamioy met son poncho à rayures et se pare des colliers propres à son ethnie, les chakiras. Certains affichent aussi leur longue crinière comme l’ancien président de l’ONIC A. Green ou J. Piñacue. Il en est de même dans les ministères, l’assesseur arhuaco du Ministre de l’Environnement, D. Villafañé, ne quittera ni ses cheveux longs, ni son costume traditionnel ni son poporo pour assister aux réunions. L’inga B. Jacanamijoy affichera lui aussi ses cheveux longs à la Direction des Affaires Indigènes de Bogota, même s’il troquera pour l’occasion son habit traditionnel pour un pantalon et une chemise. Au Venezuela, la député wayuu N. Pocaterra mettra un point d’honneur à toujours apparaître vêtue de sa manta guajira, sorte de longue robe indigène, et de sa mochila, sac tissé dont les figures brodées évoquent le plus souvent le clan d’appartenance. Les leaders se feront aussi, en certaines occasions, escorter de nombre des leurs, eux aussi parés de leurs attributs traditionnels (chapeaux, habits, arcs, flèches, peintures faciales et corporelles). Devant le Capitolio de Caracas, des délégations indigènes d’Amazonas, Zulia, Anzoátegui et Bolivar attendront l’issue de l’ANC en dansant au son des tambours traditionnels ou en priant et en écoutant les psalmodies de chamans qui se sont déplacés pour l’événement. Des étalages d’artisanat seront aussi mis en place afin de montrer la richesse et le savoir-faire des cultures indigènes.
18Par ailleurs, les symbolismes les plus efficaces étant ceux du registre de l’absorption, quelques fêtes et repas composés de mets et boissons traditionnels (caldo de plátanos, chivo, manioc, ocumo chino, chicha wayuu ou paez, guarapo) seront organisés et partagés avec les non indiens, dans les différentes régions indigènes du pays. Le manger et le boire, parce qu’ils détiennent un pouvoir d’intégration et sont un lieu de négociation et d’espace civique, œuvrent ainsi à la mise en place d’une citoyenneté multiculturelle (Bayart, 1996). Après l’adoption de la Constitution vénézuélienne, une rencontre fut organisée le 30 juin 2000 dans un auditorium de l’université de Zulia à Maracaibo (État de Zulia) en l’honneur de la Constituyente wayuu N. Pocaterra. À cette occasion, la pièce fut décorée à l’aide de chinchorros (hamacs wayuus), de vases, de tambours et autres objets traditionnels. Des femmes barís, autre ethnie du nord du Venezuela, réalisèrent l’une de leurs danses traditionnelles en chantant dans leur langue. Le public découvrait toute la sensibilité de la culture indigène.
19L’indianité s’exprime donc désormais à travers l’agitation de signes diacritiques. Mais ces traits ne forment pas seulement un réservoir de symboles. Ils participent aussi d’un sentiment d’appartenance. Les discours des leaders indigènes relèvent autant de la volonté d’identification que de celle de revendication politique. L’identité est un besoin si pressant pour les individus ou les groupes que l’origine particulière des attributs revendiqués compte moins que le sentiment qu’il procure de fonder la différence (Forest, 1999). Les rituels constituent un moyen efficace de réaffirmer symboliquement une unité ethnique ; ils sont l’expression symbolique de la fonte, défonte et refonte des identités (Augé, p. 61).
20À ce titre, il convient de faire aussi une place aux aspects émotionnels voire théâtraux des actions politiques indigènes. Les discours des délégués indigènes à la Constituante montrent à quel point le potentiel de mobilisation de l’affirmation identitaire repose sur le renfort apporté par l’affectivité aux stratégies politiques (Ansart, 1983, Braud, 1996). Les rhétoriques indigènes sont sans égales dans leur capacité à émouvoir les foules et à imposer une image d’eux-mêmes. La plupart de leurs discours allient savamment sagesse, prudence et emphase. Les constituyentes indiens du Venezuela, tel un rituel, commenceront toujours leurs allocutions en langue indigène. Ils montreront aussi un constant souci de maîtrise de soi et de respect, y compris à l’égard de ceux qui tinrent des propos parfois discriminatoires ou violents à leur endroit.
21Ces nouveaux leaders indigènes construisent et manipulent un discours traditionaliste qui repose sur un appel constant aux valeurs ancestrales ou sur une commémoration des héros. L’invention de l’indianité ne déroge pas à cette règle qui voit les intellectuels s’imposer comme interprètes identitaires autorisés car eux seuls maîtrisent la grammaire du récit ethnique (mythe d’origine, héros, symboles, rituels…) qui façonne la mémoire, l’entretient et confère à l’identité ethnique sa légitimité historique. Peu importe de ce point de vue que la tradition ainsi réinventée ne corresponde que de très loin à la vérité. L’essentiel est qu’elle soit suffisamment élastique pour en prendre l’apparence, parler à l’imaginaire et produire des effets de réalité, donnant sens et cohérence au présent en le reliant au passé (Otayek, 2000, p. 88).
22Ce travail d’essentialisation, notamment du discours politique, est fondamental car c’est justement à travers celui-ci que le leader peut garder un pied dans la réalité indigène au niveau communautaire. Dans le cas contraire, la nouvelle élite indigène serait davantage perçue comme étrangère au monde indien, en attestent les propos d’un leader hiwi : « Par exemple, je suis leader, je parle bien mais je ne vis pas dans la communauté, mais je la peins avec de belles paroles. Si les leaders indigènes vivaient véritablement en accord avec leur culture et travaillaient à partir de celle-ci, alors la politique indigène serait bonne parce qu’ils la vivraient »7.
23Les transformations politico-institutionnelles du Venezuela ont également conduit les indigènes à revaloriser leurs ancêtres. Durant la Constituante, leurs délégués feront très souvent référence au grand Cacique Guaicaipuro. Plus tard, ce cacique sera même reconnu comme héros national et ses reliques seront transférées au Panthéon national, lieu où reposent les autres héros vénézuéliens. À travers cette commémoration les indigènes entendent célébrer leurs racines (Candau, 1998). Ce culte se présente comme un rite de régénération qui renvoie aussi à la question du rapport du rituel au temps. La référence à Guaicaipuro constitue pour les indigènes le moyen d’articuler le présent et la tradition, le court terme et la longue durée. Le recours au rite est la marque d’un travail de pérennisation de la société indigène sur elle-même (Abélès, 1990, p. 254).
24Les indigènes luttent en définitive non pas pour une communauté passéiste mais au contraire pour l’instauration de « néo-communautés » dans lesquelles les éléments pré-modernes, modernes et postmodernes seraient mélangés de manière intime (de Sousa Santos, 1998) et substitueraient à une obligation politique verticale envers l’État, une obligation horizontale communautaire, une souveraineté partagée et une hétérogénéité de l’action étatique. Ce qui est vu comme leurs traditions, coutumes et économies, et qu’eux-mêmes voient comme telles, ne seraient que la sédimentation de résistances, de stratégies de survivance et de réponses adaptatives face à la destruction de leur vie communautaire traditionnelle. La néo-communauté est d’ailleurs devenue en soi un cadre de lutte, une tactique, afin de donner un plus grand écho à leurs demandes sans générer une transformation radicale. Restauration du passé et position réformiste sont deux étapes nécessaires pour réunir les forces et éviter l’opposition frontale à la structure politique et juridique en vigueur. Cela permet aussi de renforcer les organisations tout en préparant les cadres et en élargissant les secteurs mobilisés (Correa, 1993).
§ 2. Stratégie participative et acculturation politique et juridique
« Les mouvements autochtones qui ont obtenu le plus de succès sont ceux qui ont intégré le mieux la modernité. »8
25Pour accéder au monde moderne, les groupes indigènes ne recourent pas seulement aux manières d’être, ils comptent aussi sur des manières de faire. On assiste ainsi à la mise en œuvre de stratégies essentiellement politiques qui nécessitent au préalable une reconnaissance juridique de la part de l’État. La fabrication de l’authenticité se conjugue à une assimilation des valeurs de l’Autre. L’indianité dans le nouvel espace politique ne signifie pas le rejet ou la négation de l’État mais l’adaptation inventive aux changements radicaux qu’il représente, un mode d’appropriation de ses institutions et de partage de ses ressources (Bayart, 1996). En ce sens, les processus d’identification ethnique, l’indianité, cachent souvent des stratégies pour s’insérer avantageusement dans la compétition autour du pouvoir et des ressources. Ce phénomène est particulièrement saillant dans les champs du politique et de l’économique où les indigènes habillent leurs objectifs d’une volonté de conservation culturelle ou de respect des droits indigènes. La posture traditionaliste n’est donc pas à opposer à celle de l’innovation. La nature spirituelle des contenus indigènes aide plutôt à mieux considérer l’un des paradoxes les moins compris : « les formes culturelles les plus occidentalisées, celles qui paraissent le plus nier radicalement l’identité ethnique, sont précisément celles qui, agissant comme un voile, imperceptible mais toujours présent, cachent et révèlent à la fois les effets durables de la différence » (Pellizzi, 1986, p. 637). Autrement dit, au cœur du mouvement indien et de l’indianité se trouve une contradiction : être soi-même pour être différent. Le mouvement indien ne peut exister en dehors de cette contradiction et de la modernité qu’il appelle et le fait exister (Gros, 1997). C’est pour cette raison que l’indianité se construit grâce à un bricolage et à des sauts de registres identitaires, selon l’alchimie des circonstances et des contextes. Le traditionnel se conjugue désormais avec des aspects plus contemporains, ce dont témoignent les processus d’organisation mais aussi de politisation des groupes indigènes.
1. L’impératif organisationnel et de formation
26L’organisation est devenue le cœur de la lutte indigène, l’objectif n’étant plus seulement de récupérer des contenus culturels mais de devenir de nouveaux sujets politiques. C. Gros (1997) a étudié la mobilisation et le développement des organisations indiennes en Colombie. Ses travaux conduisent à plusieurs hypothèses qui, dans une moindre mesure, sont identifiables au Venezuela. La naissance de ces organisations est tout d’abord le résultat de deux logiques contradictoires : celle de l’État et de son action publique et celle qui provient de la mobilisation même des indigènes. La multiplication des organisations indiennes se présente comme la réponse à une double exigence, celle des communautés livrées au changement, défendant tout à la fois un mode particulier d’existence et leur intégration ; celle de l’État en quête d’interlocuteurs avec qui négocier une politique plus active d’intervention. Ces organisations sont toutes plus ou moins condamnées au rôle de médiateur à la croisée de logiques passablement contradictoires. Si toutes ne sont pas également contestataires face à l’État et aux pouvoirs, si leur politisation est fort variable, elles s’inscrivent nécessairement dans une dynamique de transformation qui par des voies diverses et avec plus ou moins de force les conduit à s’inscrire comme partie prenante d’une totalité en devenir et à travailler en faveur d’une intégration.
27Dans les deux États, de grandes différences existent selon les régions, les communautés et les contextes. L’organisation peut être insufflée par le haut (l’État), sa légitimité vient alors de l’extérieur et ses efforts se concentrent sur la médiation entre les communautés indiennes et les instances de pouvoir qui la reconnaissent. Au contraire, elle peut marquer une initiative « du bas », la communauté. Dotée d’une légitimité interne, elle oblige l’État à bien mesurer la portée de ses actions sous peine de susciter les contestations. Elle peut aussi, cas du CRIC (Conseil Régional Indigène du Cauca en Colombie) et de l’ONIC, perdre une grande partie de sa capacité de contestation en entrant dans le jeu institutionnel. Le chemin de ces organisations n’est cependant pas tracé par avance : ce n’est pas parce que c’est l’État qui crée l’organisation indigène que celle-ci détient un pouvoir de contestation plus faible que celles qui naissent directement depuis la base. Il n’existe pas non plus une hiérarchie de puissance entre les différents échelons organisationnels, l’ONIC apparaissant à certains égards plus faible que les organisations sub-nationales. De même, dans le département de Guainía, l’organisation régionale CRIGUA I a perdu de son leadership9 contrairement à l’organisation zonale AICURIGUA (río Guainía) qui a acquis une plus grande efficacité dans la gestion des ressources et dans le travail d’organisation. Elle compte notamment des moyens logistiques, de transport et de communication. En outre, une division est apparue à partir de 1999 à l’intérieur de CRIGUA I. Les Puinabe, considérant que leurs intérêts n’étaient pas suffisamment représentés par cette organisation à la direction majoritairement curripaco, décidèrent de créer l’Organisation du peuple puinabe du département de la Guainía (OPDGUA)10. Les organisations de l’Amazonie se sentent par ailleurs mieux représentées par l’OPIAC (Organización de los Pueblos Indígenas de la Amazonía Colombiana), de dimension régionale, que par l’ONIC11.
28Au Venezuela, la situation est comparable. Le processus organisationnel qui se développe dans les années soixante est dans une large mesure suscité par le gouvernement de l’époque. Dans les régions indigènes, des « Fédérations indigènes » sont créées, mais elles tomberont vite entre les mains de dirigeants liés à la classe politique traditionnelle et perdront leur signification pour les indigènes, mise à part la FIB (Fédération indigène de Bolivar) qui saura tirer les leçons de cette expérience pour se restructurer et définir plus clairement ses objectifs.
29Une rupture a donc lieu entre le processus organisationnel des années soixante-dix et celui des deux décennies suivantes. En revanche, comme en Colombie, les années quatre-vingt-dix marquent la multiplication d’organisations indiennes à tous les niveaux, du local au national. Ce phénomène est cependant plus lent au Venezuela, certaines régions indigènes étant dépourvues d’organisations (dans les États de Monagas, d’Anzoátegui et de Sucre) et les efforts se concentrant essentiellement sur la réorganisation de la principale, le CONIVE. Bien que de niveau national, celle-ci apparaît, au regard de sa capacité d’action et de la légitimité qui la supporte, beaucoup plus faible que les organisations régionales telles que l’OZIP (État de Zulia), la FIB (Bolivar) ou l’ORPIA (Amazonas)12.
30La multiplication des organisations, surtout, ne signifie pas l’unité du mouvement indien. De nombreux facteurs vont en effet conduire à son morcellement. Les conclusions du Ve Congrès de l’ONIC (1998) sont éclairantes, même si pour le cas vénézuélien, il convient de retrancher parmi les facteurs explicatifs ceux liés à la violence des mouvements armés, au narcotrafic ou encore à la gestion de ressources publiques de la nation :
31« Nous devons repenser le type d’organisation dont nous avons besoin pour affronter les pressions externes mais aussi la fragmentation qui se présente actuellement entre les organisations locales, zonales, régionales, macro-régionales et nationales, à cause de la corruption en leur sein, des différents intérêts (politiques, économiques…) qui s’y présentent, de la politique traditionnelle qui les pénètre et les pousse dans des pratiques préjudiciables aux droits indigènes, à cause des mécanismes de contrôle qu’il faut avoir sur les leaders indiens occupant des postes institutionnels, de l’entrée dans le marché capitaliste des communautés et des organisations – depuis prédominent l’individualisme, le pouvoir et il n’y a plus d’obéissance à l’autorité traditionnelle ; à cause de la présence de groupes armés sur nos territoires, qui nous divisent, nous rendent vulnérables parce que certains accusent les communautés d’être les auxiliaires des paramilitaires et/ou de la guérilla [...] ; de la présence de cultures illicites, du narcotrafic, qui modifient également la culture et la mentalité de la jeunesse ; de la participation à la vie politico-électorale qui a provoqué affaiblissement, contradictions, discussions et affrontements, en particulier l’opportunisme et le lentejismo13 pour parvenir à des positions bureaucratiques ou clientélistes ; à cause des transferencias, de la présence de sectes religieuses et de l’irrespect de notre culture par certaines églises, des institutions du gouvernement qui génèrent des divisions en mettant en œuvre des programmes et des projets allant à l’encontre des politiques communautaires et en utilisant l’argent pour diviser les communautés et les autorités » (ONIC, 2000).
32Deux autres facteurs interviennent également. Le premier concerne le problème du financement de ces organisations qui manquent profondément de ressources pour fonctionner, se développer ou assurer une bonne communication avec les communautés qu’elles représentent. Leur gestion se réalise par conséquent selon des principes contraires à leur vision communautaire, les décisions sont prises par les dirigeants sans consultation de la base, provoquant un mécontentement de la part des autorités locales indigènes vis-à-vis des organisations situées aux niveaux supérieurs14. À ce phénomène s’ajoute le problème de l’urgence ou du temps politique. Les leaders indiens, en particulier ceux qui œuvrent à l’intérieur du Parlement, doivent prendre des décisions qui ne permettent pas toujours de consulter préalablement les bases : « Nos sociétés ont un sens du temps politique très différent de celui de la société criolla (blanche) et de l’État. Mais nous savons aussi manier ce temps politique pour les questions d’un intérêt vital pour nos peuples ; parce que c’est précisément de là que surgissent les manipulations et les manœuvres qui peuvent nous conduire à perdre le sens stratégique de notre lutte »15.
33Le second facteur concerne le décalage inévitable entre les organisations communautaires et celles d’échelons supérieurs. De manière générale, la lutte des organisations nationales est souvent perçue comme idéologique et abstraite. Elle est bien sûr nécessaire mais au niveau des communautés, la lutte est beaucoup plus basique, matérielle, car il s’agit de survivre.
34L’organisation est donc impérative pour les communautés et groupes indigènes. C’est à travers une structure copiée en partie sur le modèle de la société majoritaire que ces derniers obtiennent la personnalité juridique et de fait peuvent dialoguer avec les diverses institutions de l’État. Cette forme d’organisation va progressivement s’imposer et altérer ou faire disparaître les schèmes d’organisation socio-politique propres à chaque ethnie. Ainsi, le cabildo s’est généralisé à l’ensemble de la Colombie. D’origine espagnole, il existait initialement en région andine. Les communautés des basses terres ont par la suite adhéré à cette forme d’autogouvernement, y voyant un moyen de se protéger juridiquement contre leur dépouillement et altérant du même coup leurs relations plus ou moins lâches, non limitées géographiquement et établies sur le principe de réciprocité, d’alliances ou de guerres. Au Venezuela, de même, l’association civile est exigée comme condition à l’octroi de terres collectives par l’Institut National Agraire (IAN). Elle permet aussi à son président de rapporter les doléances de la communauté auprès des pouvoirs publics.
35Cela étant, cette figure reflète aussi l’incapacité de l’État à envisager un développement institutionnel indigène qui soit différent du sien, comme en atteste un travail de terrain dans les communautés waraos du Delta Amacuro. Pour elles, l’organisation renvoie davantage à notre notion d’organicité que celle d’organisation. Un Warao résumera d’ailleurs la situation en ces termes : « pourquoi nous faut-il une organisation comme celle de l’association civile alors que nous sommes déjà organisés ? »16. Les Warao ont en effet une organisation fortement décentralisée ; il n’y a pas de chef visible mais cela ne veut pas dire qu’ils ne possèdent pas un schème d’organisation socio-politique. L’organisation est en fait vécue et intériorisée par les membres de la communauté même si elle n’est pas matérialisée.
2. Pour une participation économique
36L’organisation contribue également à l’insertion dans le champ économique. Dans un contexte néolibéral et de décentralisation, les communautés indiennes entendent elles aussi trouver leur place. Ainsi, en Colombie, le versement des transferencias aux resguardos a eu pour principal effet de multiplier les organisations indigènes.
a) Le cas des transferencias chez lesWayuu
37La participation des communautés wayuus aux bénéfices de la nation pose notamment de graves problèmes. Les communautés indiennes, au regard de leur cosmovision et de leur système économique non monétaire, basé sur la solidarité et l’échange, se voient peu préparées à ce type d’autodétermination. Pour bénéficier de leur part des revenus de la Nation, les Wayuu se sont soumis aux critères et conditions fixés par l’État, à savoir l’obligation juridique de s’organiser sous forme d’association d’autorités traditionnelles. Mais il s’agit d’un groupe dont l’organisation socio-politique se caractérise par un système fortement décentralisé et clanique, où il n’existe pas d’organes spécialisés de gouvernement, les liens de parenté prédominant. Ce groupe se compose en fait d’un archipel de communautés dispersées, sans continuité territoriale et a donc beaucoup de mal à unifier son territoire et à créer un système centralisé de gestion des ressources. Chaque clan, chaque famille, veut gérer sa propre part de revenus et le nombre d’associations d’autorités traditionnelles a explosé, entraînant aussi l’atomisation des ressources budgétaires. Surtout, il est impossible pour l’État d’appliquer la procédure administrative qui vaut normalement pour les transferencias indigènes. Conformément à la loi, c’est le maire ou le gouverneur de l’entité territoriale où se trouve le resguardo qui est chargé d’administrer les ressources auxquelles celui-ci a droit. À cet effet, il élabore selon le cas une convention à laquelle souscrivent les représentants du cabildo indigène ou l’autorité traditionnelle reconnue par la communauté, son représentant élu selon ses us et coutumes ou encore celui de l’association de cabildos. Mais comment parvenir à une convention unique dans la Guajira, dans un resguardo où les associations d’autorités traditionnelles sont multiples ?
38Ce cas met en lumière deux phénomènes : le rôle joué par le processus organisationnel dans la participation économique indigène mais également un paradoxe, puisque cette procédure sensée protéger les communautés indiennes se transforme en un instrument de négation de l’identité culturelle wayuu. S’ils veulent accéder aux ressources publiques, les Wayuu doivent en effet se conformer aux exigences de l’État et accepter de s’organiser à l’image des autres ethnies. Un renversement s’opère : ce n’est pas la norme en faveur des indigènes qui est tenue de respecter leur identité, leurs us et coutumes et la culture qui leur est propre mais l’inverse. La logique d’organisation de l’État cherche à s’imposer au détriment du respect de la diversité culturelle et des usages wayuus. Le pluralisme affiché par l’État ne prend pas ici en compte le pluralisme dans le maniement politique des institutions. Cet exemple montre toute la difficulté qu’a l’État à considérer la diversité de la réalité indigène, la différence, au-delà de l’expression générique d’indien. L’État entend appliquer un droit positif homogène, inadapté au pluralisme socioculturel qu’il prétend réguler.
b) Le cas de Santiago, une seule communauté pour deux cabildos ?
39Un autre exemple colombien, chez les Ingas de la vallée de Sibundoy (Putumayo) confirme le rôle de l’organisation dans les stratégies ethno-identitaires indigènes tout en permettant de relier ensemble les tactiques politiques et juridiques présentées antérieurement.
40Les Inga sont organisés selon la figure traditionnelle du cabildo.
41Jusque fin 1996, le municipe de Santiago ne comptait qu’un seul cabildo, il en comporte désormais deux sinon trois. Leur création surgit d’un conflit suite à l’élection du gouverneur du cabildo pour l’année 1997. Conformément à la loi et à la tradition, la communauté réunie en assemblée désigna trois candidats mais cette élection, une fois réalisée, fut contestée pour anomalies (vote de personnes étrangères à Santiago, non indiennes ou qui ne possédaient pas les prérequis nécessaires pour être électeurs) par cinq des dix anciens gouverneurs, qui demandèrent alors au maire de convoquer de nouvelles élections et d’accepter durant ce temps la suppléance de l’un des leurs. Le maire ne fit pas cas de cette requête et valida le résultat électoral. L’un des candidats décida alors de créer un nouveau cabildo, urbain, dénommé « Cabildo inga Tamauca Manoy » de Santiago. Trois arguments, qui montrent combien l’introduction de ressources économiques est venue diviser les communautés, furent invoqués : Que l’argent reçu comme transferencias était investi au profit des seuls ingas du resguardo Quinchoa Pamba, ce qui exclut la majorité de ceux qui vivent à la périphérie de Manoy-Santiago. Que la gestion de ces ressources par le cabildo traditionnel ne poursuit que des fins politiques et enfin, que la réélection successive est une procédure contraire aux coutumes du cabildo inga et que par conséquent, l’élection du gouverneur pour la troisième fois consécutive était illégitime. Parallèlement, un jeu sur la notion de traditionnel vint étayer la demande. Même si ce cabildo émerge à peine, lui seul incarnerait la tradition, et ce serait une volonté de retour à l’originel qui motiverait sa création. Comme le prévoit la loi, la DGAI fut chargée de formuler un jugement administratif sur la formation de ce cabildo, avant que le maire ne le reconnaisse, ce qu’elle fit de manière positive.
42La création de ce second cabildo, urbain, est en fait stratégique et vise pour le secteur dissident à obtenir une part des transferencias. Mais cette tactique est inopérante car le fait de constituer un cabildo ne les rend pas bénéficiaires de celles-ci, seules les communautés situées sur un resguardo pouvant les réclamer17. Le paradoxe est saillant, deux conceptions des transferencias s’affrontant, celle de l’État qui les fonde sur un principe ethno-territorial (il faut se situer sur un resguardo) et celle des indiens qui mettent en avant un principe ethno-identitaire (il suffit d’être indien), détaché d’une identité foncière. Les indigènes urbains éprouvent d’ailleurs quelque ressentiment car, sous le motif de vivre à l’intérieur du municipe (pour y travailler par exemple), ils sont désavantagés par rapport à ceux du resguardo, l’État éludant très souvent dans ses politiques urbaines la dimension ethnique.
43Ce cas montre par ailleurs que les indiens peuvent parfois contrevenir à ce qu’ils ont pour habitude de défendre ardemment, leur autonomie. Ainsi, les dissensions communautaires vont légitimer une ingérence de l’État qui, en devant trancher sur le résultat de cette élection indigène, est appelé à jouer le rôle de juge de dernière instance. Suite à cette élection, en effet, trois tendances apparurent : celle qui soutenait le résultat des élections, celle qui à l’inverse en exigeait la nullité et enfin, la plus radicale, celle qui créa un cabildo parallèle. À bien y regarder pourtant, deux stratégies seulement sous-tendent ces trois positions. Pour les deux premières, c’est une stratégie politique qui est sollicitée dans ce conflit lui aussi politique. Pour la dernière, c’est en revanche une procédure juridique (création légale d’un cabildo) qui est engagée. En cherchant à obtenir une légitimité de la part des instances publiques (le Bureau indigène), le Cabildo Tamauca Manoy comptait obtenir par voie de conséquence celle de la communauté inga tout entière mais ce calcul échoua.
44Solliciter un jugement du Bureau Indigène constitue par ailleurs une stratégie inopérante voire contre-productive, du fait de l’absence de coordination entre les entités de l’État. Deux positions au sein du conflit se sont un temps trouvées concurremment confortées, chacune par une autorité différente. D’un côté, le maire de Santiago a validé les résultats des urnes, sans attendre les investigations de la DGAI, cautionnant le camp du candidat élu ; de l’autre, le Bureau indigène légitimait le nouveau cabildo invalidant indirectement les élections. Au départ, la DGAI avait en effet accepté la formation du cabildo Tamauca-Manoy et demandait que la nomination de son gouverneur soit entérinée par le maire de Santiago. Mais plus tard, sous les pressions de celui-ci et du cabildo traditionnel, elle reviendra sur sa décision « hâtive et légère » et autorisera le maire à ne pas légaliser le nouveau cabildo. Ce revirement est problématique mais éloquent car il montre comment une institution de l’État peut faire le jeu de conflits intra-communautaires. La DGAI va se trouver impliquée dans la juridicisation croissante d’une lutte politique qui dépasse ses compétences. Au rang des tactiques politiques, de plus, c’est une alliance entre le maire de Santiago (pour la première fois un inga marié à la fille d’un ex-gouverneur du cabildo traditionnel !) et les représentants du cabildo traditionnel qui motiva son changement d’opinion. Le gouverneur du cabildo désavoué décidera d’ailleurs – illustration majeure de la suprématie du droit positif – de saisir la Cour constitutionnelle.
45Les stratégies juridiques mises en œuvre dans cette localité visent donc essentiellement à apporter une réponse nationale à leur conflit communautaire. Les promoteurs du cabildo parallèle désirent en fait remplacer, grâce à une sorte « d’élimination juridique », l’élite politique locale qui, en contrepartie, s’efforce de déjouer ces prétentions nouvelles en dénonçant le népotisme s’exerçant dans la communauté. Cette accusation ne manque d’ailleurs pas d’arguments. Les gouverneurs du cabildo Tamauca-Manoy appartiennent depuis longtemps à une même famille (les Jacanamijoy) dont certains membres dirigent aussi des organisations indigènes nationale ou internationale (COICA et OPIAC)18. En outre, deux ans après l’amorce du conflit, l’un de ses principaux protagonistes (B. Jacanamijoy) occupera le poste de sous-directeur, puis provisoirement de directeur, de la DGAI. Il briguait également un poste de sénateur aux élections de 1998 mais échoua. Sous cet angle, la création d’un cabildo incarne donc un stratagème politique de grande envergure, s’aménager un espace local de légitimité politique pour en faire un tremplin d’accès aux espaces politiques nationaux.
46Ce jugement du Bureau Indigène enfin, s’il délégitime le cabildo Tamauca-Manoy, ne met malheureusement pas fin à la division. Alléguant sa méconnaissance des motifs de la Constitution du nouveau cabildo, la DGAI finit par statuer que la division de la communauté « due à des querelles de famille » doit être solutionnée à l’intérieur de la juridiction spéciale indigène. Parallèlement (avril 1999), l’action de tutelle engagée par le gouverneur du nouveau cabildo est rejetée. L’interpellation de la justice, perçue dans ce cas non comme un obstacle à l’autonomie mais une arme juridique destinée à satisfaire des objectifs politiques (légitimation du cabildo parallèle) ne clarifie donc pas les données. Elle témoigne d’une capacité décisionnelle du Bureau Indigène limitée, dépendante de la mise en forme de l’information qui lui est rapportée et des tractations politiques établies au niveau communautaire.
47La portée heuristique de cette affaire repose en définitive sur plusieurs points : d’abord, dans ce jeu politique et juridique, elle met en relief la marge d’incertitude inhérente à l’interdépendance des stratégies des acteurs ainsi qu’à la projection du conflit communautaire au niveau national. Elle minimise aussi l’aptitude de la DGAI à juger et à résoudre un conflit. Plus que juge objectif parce qu’en dehors du jeu des acteurs, celle-ci fut ici une pièce maîtresse de leurs stratégies. Son intervention est inopérante, puisque sous le motif du respect de l’autonomie juridique indigène, elle renvoie l’affaire aux principaux concernés qui, à l’origine, lui avaient donné compétence pour statuer !, donnant ainsi l’impression que l’État veut se décharger de l’affaire. La création d’un cabildo détient par ailleurs de multiples enjeux. Elle n’est désirable ni pour l’État, ni pour le cabildo traditionnel car elle implique une nouvelle répartition budgétaire et foncière. À supposer une légitimité reconnue aux deux cabildos, comment envisager le système de transferencias et la dualité d’autorité politique et juridictionnelle ? Un certain vide demeure qui décontenance l’État et rend possible une manipulation du politique et du droit.
48Du côté vénézuélien, la demande d’intégration à la nation et au marché se fait également de plus en plus forte. Les communautés indiennes ont pris conscience de la valeur commerciale des ressources naturelles. L’écologie donc, tout en reconstruisant un rapport symbiotique avec l’environnement, autorise les indigènes à réclamer leur quote-part aux bénéfices économiques et commerciaux. En outre, les droits indigènes n’ont jamais exclu le droit pour ces derniers de modifier leurs valeurs traditionnelles et d’exploiter les ressources pour leur propre compte. Les Pemón de la Sabana grande, par exemple, au travers de leur organisation régionale, la FIB, ont récemment obtenu (juin 2000) devant la Justice le droit de co-administrer le parc de Canaima ainsi que l’octroi de 80 % des recettes d’entrée des touristes sur ce parc (perçues jusque-là par l’Institut national des parcs). L’entrée des indigènes dans les sphères du politique les conduit à penser qu’eux aussi ont le droit d’intégrer cette nouvelle économie-monde. Et la manière la moins choquante encore, lorsque l’on porte les images de soumission, de passivité et de désintéressement, réside en cette idéologisation instrumentale de la nature. La mise en avant du thème écologique ne traduit donc pas une soumission aux catégories élaborées dans le monde occidental mais un moyen de profiter de l’espace politique et économique ouvert par ce thème.
3. Pour une participation politico-électorale
49L’entrée sur l’échiquier politique oblige les groupes indigènes à s’unir afin de faire front au reste de la classe politique. Mais cela est loin d’aller de soi.
a) L’entrée en politique du mouvement indien
50Dans les deux États, l’accès à la vie politique nationale fragilise le mouvement indien et aiguise les différences entre ses organisations19. Il n’est ainsi pas rare que le passage au politique corresponde à une étape de désintégration du mouvement. En Colombie, les succès électoraux obtenus dans les années quatre-vingt-dix n’ont pas empêché le fractionnement du mouvement et ont même contribué à l’accentuer (Le Bot, 2001). Une division s’est peu à peu installée entre les organisations indigènes gremiales (défendant des intérêts corporatistes) et politiques (nées des premières telles que le Mouvement des Autorités indigènes de Colombie (AICO), l’Alliance Sociale Indigène (ASI) et le Mouvement Indigène de Colombie (MIC))20.
51Déjà, au moment de la Constituante, des divisions sont apparues. Après avoir longtemps boycotté la politique institutionnelle de l’État, le mouvement indien décide pour la première fois de faire lui aussi partie du système, donnant lieu à une lutte idéologique entre deux courants : d’un côté les organisations qui défendent des revendications de type corporatiste (CRIC, ONIC et AICO21), c’est-à-dire un projet de société qui ne se fonde pas seulement sur les aspects culturels indigènes – l’ONIC avait par exemple créé dans les années quatre-vingts un secrétariat afin de se maintenir en relation avec les autres secteurs populaires ; de l’autre, le Mouvement des Autorités Indigènes du Sud Ouest (AISO), secteur dissident du CRIC, majoritairement guambiano, défend en priorité la revalorisation et le respect des autorités traditionnelles indigènes (cabildos, caciques, capitaines…) dans leur rôle de gardiens de l’ordre politique et social à l’intérieur des communautés. Pour les élections à la Constituante, deux organisations nationales vont proposer une liste : l’ONIC – qui verra élu Francisco Rojas Birry – et l’AISO, qui portera Lorenzo Muelas. Plus tard, les élections pour le Sénat (1991-1994) entraîneront une crise au sein de l’ONIC, deux secteurs s’affrontant : la région selva-llano (forêts et savanes des basses terres), majoritaire, proposait une liste unique tandis que la zone andine voulait qu’il y en ait deux. Après d’âpres discussions, la junte directive s’accorda sur une liste unique dont la tête serait Gabriel Muyuy, un inga du Putumayo. Cette décision mécontenta quelques secteurs. Les régions de la zone andine opposées à cette décision, rejointes par d’anciens membres du mouvement Quintín Lame, décidèrent en juin 1991 de lancer leur propre liste pour les sénatoriales, avec à sa tête l’ancien président de l’ONIC (Anatalio Quirá) et sous le couvert d’une nouvelle organisation, l’ASI ; laquelle propose de doter le mouvement indien d’une organisation en accord avec les conditions politiques du pays et qui soit capable d’incarner un véritable projet alternatif de société, alliant les aspects ethniques et de classe.
52Face à toutes ces contradictions, l’ONIC, qui avait durant la Constituante assumé un rôle politique et pas seulement gremial (corporatiste) décida en 1993 de se retirer de la compétition électorale en se dessaisissant de sa personnalité juridique, requis indispensable pour entrer en lice. Elle prit également le parti de ne soutenir aucun secteur politique indigène. Le Mouvement des Autorités Indigènes de la Colombie (AICO), héritier de l’AISO, continua en revanche ses actions politiques, soucieux de représenter les peuples indigènes dans leur spécificité, de favoriser leur autonomie et leurs formes de gouvernement, d’encourager la reconstruction sociale et économique des communautés indiennes et des autres minorités ethniques du pays et de soutenir dans la mesure du possible le développement des autres secteurs marginaux de la société.
53Parallèlement aussi, Gabriel Muyuy, non soutenu par l’ONIC22, décida de créer (en 1993) son propre mouvement politique, le MIC. Celui-ci ressemble à l’ASI : comme elle, il allie les revendications ethniques à celles d’une transformation de la société en termes de classe. Il se donne également pour objectifs la défense, la protection et la conservation des ressources naturelles du territoire national, un développement économique et social qui s’accompagne d’une véritable amélioration du niveau de vie, d’une participation réelle de tous les citoyens sans distinction de race, de sexe, de religion, de courant politique ou de formation académique. Il est principalement soutenu par les régions de l’Amazonie et de l’Orénoque. Mais cette organisation périclitera en raison du faible engagement de ses dirigeants (beaucoup moins rompus à l’exercice politique que ceux de la zone andine) et des organisations régionales le soutenant. Ses sympathisants délaisseront rapidement cette formation politique pour en intégrer d’autres, pas forcément indiennes. Le parti libéral, en particulier, reconquerra une partie de ses militants et, suite à son échec aux sénatoriales de 1998, le MIC disparaît définitivement du paysage politique.
54Cela étant, le principal défi auquel est aujourd’hui confronté le mouvement indien de la Colombie et du Venezuela est celui de la participation politico-électorale, qui vient le dénaturer et le transformer. Parallèlement à la multiplication des organisations, de nombreuses divisions se créent entre elles mais aussi en leur sein. En Colombie, pour les sénatoriales de 1994, puis de 1998, l’ASI est divisée entre deux secteurs : celui des communautés d’Antioquia et du Chocó (soutenant F. Birry) et celui du Cauca et de Tolima (qui appuie J. Piñacué). Aux élections sénatoriales de 2002, le malaise est aussi grand, Piñacué est de nouveau élu par la circonscription nationale mais en contradiction manifeste avec la ligne officielle de l’ASI ! En outre, cette organisation n’incarne plus l’espace politique le plus performant pour les élections par la circonscription spéciale indigène, les dernières sénatoriales consacrant le candidat de l’AICO (Efren Cuaical) et F. Birry qui à cette occasion intègre le Movimiento Huellas Ciudadana. De même, le Mouvement des Autorités Indigènes (AICO) voit s’installer en 1994 une concurrence de leaderships entre deux candidats guambianos issus de la même communauté (L. Muelas et F. Tunubalá). Aux élections de 2002, il saura en revanche tirer la leçon des dissensions et des dispersions. Il n’avalisera que deux candidatures (une pour le Sénat, une pour la Chambre) et ses deux candidats seront élus. Quant à l’ONIC, ses hésitations puis son retrait officiel (apparent seulement) de la compétition électorale montrent la fragilité du mouvement indien, sa dynamique politique se développant entre deux pôles : l’intérêt de créer des formations politiques spécifiquement indigènes et la possibilité de fonder des mouvements qui, tout en garantissant la participation indienne, tendent la main aux autres secteurs de la société colombienne. L’ONIC a d’ailleurs changé de nature depuis sa naissance. D’organisation (gremial) politico-communautaire elle devient une instance politico-électorale. En fait, « le politique est en train de détruire le corporatisme [...] Les leaders indiens utilisent l’organisation comme une arme politique et les sénateurs comme un moyen d’accéder au pouvoir »23. L’ONIC est néanmoins consciente de cette dérive : « À chercher davantage dans les institutions de l’État que dans l’exercice de l’autonomie, à nous concentrer sur des actions en accord avec ce qu’établissent les normes juridiques, nous négligeons le projet de reconstruction culturelle et sociale [...] nous nous isolons des organisations et des mouvements sociaux populaires qui ont été nos alliés. D’autre part, un nombre important de leaders locaux, régionaux ou nationaux sont en train de travailler dans la politique électorale, mettant au second plan, et parfois en les utilisant, les organisations de base » (ONIC, 1999).
55Au Venezuela, lorsqu’il fut clairement établi que trois indigènes participeraient à la Constituante, le CONIVE s’est très rapidement mobilisé. Il connut alors un sursaut de légitimité et chapeauta tout un processus de consultation des communautés indiennes dans l’ensemble du pays. Mais sa force ne tient pas tant en sa capacité d’action qu’en l’absence de toute autre alternative. Il est la seule organisation nationale indigène du pays, connue et reconnue par l’État ; et l’urgence des transformations politico-institutionnelles ne laisse pas le temps de penser à en créer une nouvelle. Après la Constituante, une fracture identique à celle que connut la Colombie s’est dessinée. Le reflet majeur de ces divisions et incertitudes liées à l’émergence politico-électorale des groupes indigènes est la tenue de nombreuses réunions politiques, principalement entre les dirigeants des organisations indigènes et leurs représentants à l’ANC, pour statuer sur le rôle que devra jouer le CONIVE lors des prochaines échéances électorales, le 30 juillet 2000.
56Deux positions se faisaient front sur la question de savoir s’il fallait ou non créer une organisation politico-électorale au niveau national, c’est-à-dire différente du CONIVE qui devrait pour sa part se concentrer sur le politico-communautaire. Un secteur affirmait la nécessité de bien distinguer les organisations indigènes à objectifs politiques de celles défendant les intérêts communautaires en dehors de la scène politico-électorale, sous peine de « perdre le nord de la lutte indigène »24. D’ailleurs, selon ce secteur, le CONIVE ne bénéficie pas d’une solide légitimité interne puisqu’il a été constitué avant les organisations régionales ou locales. L’autre secteur jugeait préférable de laisser le CONIVE coordonner à nouveau les processus électoraux, celui-ci ayant déjà été reconnu par le Conseil National Electoral du pays (CNE). Charge à lui alors d’assurer l’inscription des organisations régionales au CNE et d’établir un profil et des critères de sélection pour les candidatures indigènes. Le CONIVE était bien sûr partisan de la seconde alternative, insistant sur le fait que si chacune des organisations, régionales et locales se lançait dans la compétition politique sans son soutien, ce sont le désordre et la confusion qui s’installeraient, laissant l’image d’un mouvement indien désuni. Créer une nouvelle organisation revenait aussi indirectement à disqualifier le travail des Constituyentes indigènes, avec l’appui du CONIVE25. Son rôle est en outre essentiel dans la légitimation des candidats aux élections et la définition d’une ligne idéologique : « Il est nécessaire de matérialiser notre propre pensée dans un projet politique qui définisse avec clarté et de manière cohérente les objectifs, les buts et les actions permettant de concrétiser l’exercice de notre participation et notre espace à l’intérieur de la société vénézuélienne et des différents niveaux de l’État » (CONIVE, 2000).
57C’est donc la seconde option qui fut retenue pour les élections de juillet 2000. Contrairement au cas colombien qui voit naître des organisations politiques nationales indigènes (AICO, puis ASI et MIC) dès 1991, l’ambiguïté demeure au Venezuela. Le CONIVE se lance dans la compétition électorale en avalisant des candidats issus des organisations sub-nationales mais sans pour autant renoncer à la dimension politico-communautaire de son rôle de représentation. Dans la pratique cependant, une autre organisation politique indigène entrera en jeu, le Parti Multiethnique d’Amazonas (PUAMA) obtenant un siège à l’Assemblée nationale. En Amazonas, les communautés indiennes ont en effet acquis de l’expérience dans le domaine de la participation politique. Ce parti est né fin 1997 de la nécessité de faire face à l’influence des partis traditionnels26. Au départ, l’initiative se cantonne au municipe de Manapiare puis s’étend très vite à ceux d’Autana et d’Atabapo. Cette arrivée sur la scène politique régionale est un véritable succès grâce à la dimension multiethnique et « attrape-tout » du parti. Désireux de promouvoir les droits fondamentaux des peuples indigènes mais aussi des non indiens, le PUAMA avait déjà remporté un siège à l’Assemblée législative de l’État et un autre à l’ANC.
58La participation politique rend également crucial le problème de la formation des leaders indiens qui est d’ailleurs devenue une priorité dans les deux pays. L’ONIC (1999) a décidé d’en faire un objectif national : « Jusque-là, le processus se faisait sans continuité ni suivi, au moyen d’ateliers régionaux ou nationaux de juntes directives. L’idée est donc de bâtir une méthodologie spécifique dans la perspective de construire un système permanent de qualification et de remise à niveau pour les leaders et les autorités indigènes, dans le domaine des relations avec l’organisation et le gouvernement ». Au Venezuela, la nouvelle Constitution projette les indigènes dans le monde politique alors qu’ils n’ont pas l’expérience de leurs voisins. Or la capacité institutionnelle des organisations indigènes passe nécessairement par un personnel hautement spécialisé et préparé pour assumer les fonctions directives au sein des organisations et des différents niveaux de l’État » (CONIVE, 2000). Le processus de formation ne peut en outre se faire qu’une fois les processus électoraux de juillet et décembre 2000 achevés. Faute de temps et de moyens, financiers et logistiques, les dirigeants indigènes appelés dans les institutions publiques de la nation ne possèdent aucun bagage ou repère leur permettant de se mouvoir avec clarté dans ces nouveaux espaces politiques. C’est donc un véritable défi que doivent surmonter les indigènes du Venezuela : renforcer leurs organisations et la formation de leurs dirigeants pour constituer une véritable élite indigène qui soit prête à agir dans les rouages institutionnels tout en étant guidée par le savoir des anciens.
59Les organisations indigènes de la Colombie et du Venezuela connaissent en définitive une grande période de doutes et de remise en question. L’ouverture de l’État aux groupes indigènes vient certes dynamiser leurs processus d’auto-organisation mais elle fragilise aussi le mouvement indien à la recherche d’un nouvel équilibre. Les indiens sont passés de la marginalisation à la sursaturation des espaces de participation : « De si nombreux espaces se sont ouverts simultanément que les organisations indiennes en perdent la boussole » (Del Pilar in Gomez, M., 1997, p. 266). La structuration d’une idéologie indigène est donc incontournable, dans la mesure où seul un projet politique clair pourra colmater les fissures créées par la nouveauté des changements.
b) Indianité et politique : l’impératif idéologique
60La politique multiculturaliste des États débouche sur une institutionnalisation progressive du mouvement indien ainsi que sur des projets concurrentiels de construction démocratique, avec leurs parts inévitables de luttes pour le pouvoir et de confrontations plus ou moins rituelles. L’indianité devient aussi une forme légitime d’énonciation du politique, une véritable idéologie, à la fois discours et programme politique (Ansart, 1974). Elle marque le saut de l’indigénisme à l’indianité (Berdichewsky, 1986) qui émerge depuis les secteurs proprement indiens et « prétend élucider et résoudre à son avantage la question indigène elle-même » (Barre, 1983). L’idéologie indienne promeut une reconnaissance culturelle de l’indianité en hypertrophiant ses dimensions politiques. La culture représente à la fois le cadre et la trame d’action. Les particularités ethniques sont sublimées et transcendées au moyen d’une historicité instrumentale, de la croyance en une appartenance originelle à une même civilisation et du rejet des expériences coloniales. Le discours indigène prend également acte de l’évolution du contexte dans lequel s’inscrit l’indianité. La rhétorique homme-nature laisse place au paradigme de la communauté, avec toute la charge affective et les représentations qu’elle implique. La communauté va devenir non seulement une unité spéciale, sociale et culturelle plus adéquate pour observer et connaître l’indien mais aussi une unité capable de le définir (Baltrán, G. in Casó, A., 1971). La construction d’une identité générique, supra-communautaire et supra-ethnique constitue peu à peu le monde indigène en une seule communauté, une communauté imaginaire, porteuse d’un projet et d’un idéal démocratiques.
61L’indianité apparaît bel et bien, ce faisant, comme une construction idéologique et historique ; loin d’être l’expression d’on ne sait quel retour à la nature, elle est un phénomène pleinement inscrit dans la modernité, un outil pour dire le changement social, l’affronter, l’organiser (Otayek, 2000). Elle n’est pas non plus un phénomène transitoire : « Quand l’identité en soi devient une identité pour soi, tout laisse à penser qu’elle trouvera dans l’efficacité nouvelle (et recherchée) de son affirmation les moyens de se renouveler » (Gros, 1997). L’indien en soi s’exprime dans la pratique de sa culture, sa conscience immédiate inclut la notion de différence qui s’explique idéologiquement à travers le mythe. L’indien pour soi s’exprime à travers l’ethnicité, conscience ethnique inscrite dans un projet politique de libération dans lequel, outre la différence, est reconnue l’inégalité. L’indianité est le moment idéologique actuel de cette conscience de l’indien en soi (Bonfil, G., in Alcina Franch, J., 1990).
c) Alliances et médiatisation politique
62Que ce soit en Colombie ou au Venezuela, la stratégie de convergence entre les groupes indigènes et les secteurs progressistes de la société est devenue incontournable. Les leaders indiens se sont rendu compte de la nécessité d’établir « des mécanismes de coordination, une unité d’action et d’alliance avec les secteurs populaires et les organisations sociales pour affronter les problèmes engendrés par le modèle néolibéral de globalisation, les mégaprojets et la législation préjudiciable aux communautés et au pays, et pour proposer un modèle alternatif de société nationale et globale » (ONIC, 2000). Les organisations indiennes tentent donc d’élargir le cadre politico-culturel de leur mouvement, en partageant leur leadership avec d’autres secteurs pacifiques, marginalisés comme eux et susceptibles de faire écho à leurs réclamations. Les alliances répondent, il est vrai, à un double objectif : assurer l’accès et la participation du secteur indien au monde politique tout en concourant à ce qu’il incarne un véritable projet démocratique alternatif. Les indigènes ont besoin de voir leur cause portée par d’autres secteurs de la société mais également d’élargir leurs revendications ethniques, notamment dans leurs dimensions sociales et politiques. Lors des processus constituants, cela était très perceptible. Les représentants indiens de l’ANC colombienne ont été les porte-voix des populations afro-colombiennes et des raizales de l’archipel de San Andrés. Au Venezuela, les Constituyentes affirmaient représenter et défendre les indigènes mais aussi les autres secteurs démunis de la société (femmes, enfants, handicapés).
63Par conséquent, le mouvement indien ne doit pas être analysé comme la mobilisation autonome, isolée, des groupes indigènes mais plutôt comme le résultat de la confluence de différentes forces de la société civile et, au niveau local surtout, de la Constitution progressive de réseaux communautaires. Un rapprochement s’effectue dans certaines sphères progressistes de la société (syndicats, Églises, groupes de défense des droits de l’Homme, écologistes, juristes, scientifiques). Les alliances apparaissent multiples et souvent conjoncturelles, attestant du caractère politique de ces sociétés indigènes. Au moment des élections par exemple, des rapprochements se font entre les organisations politico-électorales indigènes et les partis politiques. Mais les alliances les plus efficaces demeurent de loin celles avec les ONG et l’Église, car elles aident à développer de nouveaux paradigmes idéologiques, un nouveau radicalisme qui fournit au mouvement indien les moyens de résister à la manipulation tout en maintenant une attitude ferme dans la formulation de leurs demandes et dans la défense de leurs droits. Cela dit, ces alliances ne sont pas sans inconvénients : « Si un mouvement indien est politiquement bien organisé en termes de rationalité et de logos occidental et si ses énoncés idéologiques sont suffisamment inspirés de la tradition scientifique occidentale euro-américaine, alors évidemment le mouvement n’est plus indigène mais il est devenu une partie intégrante du mouvement générique des classes populaires, en dépit de sa composition objective indigène ou de son identité ethnique déclarée » (Varese, 1994).
64Les effets de l’influence des agents externes sont en réalité contradictoires. Les ONG – comme les Églises – contribuent pour beaucoup à donner une résonance aux demandes indigènes, à défendre leurs droits, à organiser les communautés ou à les transformer en agent de développement. Mais sous certains aspects, elles incarnent un frein à leur développement, violant leur autonomie au profit de leurs propres intérêts et objectifs. Même si les ONG favorisent la participation populaire et ethnique, elles sont dépendantes des gouvernements et des organismes internationaux qui les financent, ce qui restreint leur autonomie et leur capacité d’initiative et de gestion. Sous cet angle, la valorisation du capital social (Putnam, 1993) comme facteur indispensable à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion devient un moyen de continuer sous un nouvel habillage conceptuel l’encadrement des élites indigènes et la mise en œuvre des programmes néolibéraux.
65Parallèlement aux alliances formées avec divers secteurs de la société, l’utilisation des moyens de communication est une nouvelle arme politique pour les indigènes. L’accès à ceux-ci fait d’ailleurs partie de leurs revendications les plus récentes. Parler de liberté d’expression revient implicitement à parler du droit à l’information et à la communication. Cela suppose l’accès aux médias de masse, qui représentent le moyen d’exercer un droit à la différence culturelle, ainsi qu’aux nouvelles technologies d’information et de communication. Les demandes indiennes se réalisent en outre dans un cadre plus ample que celui du respect des différences. Il s’inscrit dans l’idée d’instaurer une nouvelle société où l’interculturalité serait un axe central des relations sociales. Le cas est surtout vrai pour les communautés de la Colombie qui se sont fortement mobilisées pour accéder aux moyens de communication. En 2000 notamment, l’État colombien proposa la mise en place d’un système de communication radiophonique géré par les communautés indiennes sur l’ensemble du territoire national. Cette proposition est intéressante pour les deux parties. Pour les communautés indiennes, la radio assurera l’établissement de relations plus étroites entre elles – certaines vivant dans les coins les plus reculés du pays – et permettra de diffuser rapidement et de socialiser les informations les concernant. Les organisations indigènes pourront aussi restaurer leurs liens avec les bases et ce faisant acquérir une plus grande légitimité et influence dans les communautés qui, elles, pourront diffuser leur culture et revaloriser leur identité ethnique. Enfin, la radio donnera un meilleur écho aux problématiques indigènes tout en devenant le principal moyen de faire participer les communautés, notamment dans les affaires politiques. L’État a de son côté tout intérêt à impulser ce projet qui lui permettrait de mettre un pied dans les régions auxquelles il a peu accès.
66Au Venezuela, les organisations indigènes projettent également de développer une politique de communication vis-à-vis des bases mais aussi de l’extérieur : les instances de l’État, la société civile ou encore le monde international. Dans certains États, la diffusion de revues indigènes (Observador Indígena, Kari’ña Aürüan de l’État d’Anzoátegui) ne fonctionna qu’un temps, faute de moyens. Mais l’accès aux médias nationaux (télé, radio) demeure relativement fermé aux groupes indigènes et, contrairement au cas colombien, ils ne se firent pas, durant la Constituante, l’écho de leurs revendications.
67L’opinion publique internationale joue aussi un rôle croissant dans la diffusion et la prise en charge par l’État des demandes indigènes. Instrument privilégié de communication politique, celle-ci est un moyen supplémentaire pour faire pression sur l’État et constitue un nouveau pôle d’action pour les groupes indigènes. Le cas u’wa en Colombie est ainsi largement dénoncé et relayé par l’opinion internationale et les ONG, qui se mobilisent afin d’obtenir l’intervention d’organismes internationaux tels que la Commission Inter-américaine des droits de l’Homme.
§ 3. Les effets des stratégies indigènes sur l’État et le droit
68Les refontes constitutionnelles de la Colombie et du Venezuela n’agissent pas sur le seul terrain des minorités ethniques. De manière générale, il faut convenir d’un processus de rétroaction permanent entre l’État, le droit et l’action des communautés indiennes. Les interactions entre le pouvoir politique et son environnement donnent en fait lieu à des régulations croisées, à des mécanismes de transaction ou de négociation liant entre eux les différents acteurs. Le processus de rétroaction doit beaucoup à la cybernétique ; il rejette la causalité linéaire pour envisager les choses à l’image d’un circuit où l’effet devient lui-même producteur de la cause. Suivant ce principe, « la société apparaît alors comme le produit des interactions entre individus mais cette société avec sa culture, avec ses normes, « revient » sur les individus et les produit à son tour » (Morin, 1986).
1. Mouvements indigènes et culture d’État
69Les luttes indigènes sont l’une des figures les plus significatives de l’émergence d’une société civile plus autonome par rapport à un État, lui aussi en reflux. Elles contribuent fortement à la transformation de la culture politique des États (Badie, 1986, Cefaï, 2001) qui désormais ne gravite plus de manière aussi exclusive autour de celui-ci et de son système politique, mais s’élabore dans les rapports entre la société et les instances du pouvoir, les luttes mettant en cause les modèles verticaux et étatistes et tissant des réseaux en deçà et au-delà des institutions de l’État-nation (Le Bot, 2001, p. 61).
70De plus, il existe sans aucun doute un lien entre les politiques culturelles ou plutôt multiculturelles des États et leur culture politique. Les identités et les stratégies collectives des mouvements sociaux sont inévitablement liées au champ de la culture et du politique, la politique culturelle étant un « processus généré quand différents ensembles d’acteurs politiques, marqués par et incarnant des pratiques et des signifiés culturels différents, entrent en conflit » (Alvarez, Dagnino, 1999). De ce point de vue, « les pratiques et les signifiés – en particulier ceux théorisés comme marginaux, minoritaires ou résiduels, émergents, alternatifs ou dissidents – peuvent être source de processus qui doivent être acceptés comme politiques ». La politique culturelle des mouvements sociaux, parmi lesquels les mouvements indiens, prétend défier et disloquer les cultures politiques dominantes. « Dans la mesure où les objectifs des mouvements sociaux contemporains ont une portée qui va au-delà des gains matériels et institutionnels [...] nous devons accepter que ce qui est en jeu, c’est la transformation profonde de la culture dominante dans laquelle ils se meuvent et se constituent eux-mêmes comme acteurs sociaux avec des prétentions politiques » (Ibidem).
71En Colombie et au Venezuela, cette transformation de la culture politique dominante est visible à plusieurs niveaux. Les indigènes sont parvenus non seulement à traduire leurs réclamations identitaires et politiques en droits mais aussi à re-signifier les notions conventionnelles de démocratie, de citoyenneté, de participation et de développement. En représentant un espace stratégique où sont débattues différentes conceptions de la citoyenneté et de la démocratie, les mouvements indiens jouent désormais un rôle fondamental visant à transformer l’ordre politique dans lequel ils opèrent. Ils n’essaient pas de conquérir le pouvoir comme le ferait un parti politique mais questionnent plutôt la manière même dont celui-ci s’exerce. Progressivement, ils parviennent à redéfinir les paramètres de la démocratie et à redessiner les frontières du politique et du droit.
72Dans le champ du politique tout d’abord, il est facile de voir de quelles manières les discours et les pratiques excluantes ont évolué vers un apprentissage des valeurs de la participation, de la pluralité et de l’exercice de droits : « Il y a, et non sans liens avec la globalisation, des changements significatifs dans la culture civique, en particulier une dévalorisation de la confrontation politique et du militantisme héroïque au profit de valeurs et comportements plus consensuels, pragmatiques et orientés vers la micro-politique du quotidien qui posent en termes nouveaux la représentation des citoyens par l’État » (Revesz, 1998).
73La culture politique des États réaffirme également la centralité de la politique en tant qu’activité éminemment citoyenne et non comme de la responsabilité exclusive d’une minorité. Les refontes constitutionnelles de la Colombie et du Venezuela amènent une transformation substantielle des relations politiques et un changement dans la nature du pouvoir. Elles posent les règles de nouvelles interactions entre les citoyens et l’État ainsi que de nouvelles médiations politiques où l’interculturel devient un axe structurant. Les peuples indigènes reflètent une nouvelle forme de participation citoyenne et modifient les règles institutionnelles de la démocratie représentative. En cherchant comment entrer dans la modernité sans cesser d’être indien, ils nourrissent une modernité alternative. Preuve aussi d’un certain assouplissement dans leurs politiques économiques et d’une volonté de remédier à leur aspect néolibéral, les États d’Amérique latine adjoignent de plus en plus à celles-ci un pan social, mettant en œuvre des programmes sociaux vis-à-vis des secteurs les plus démunis de la société parmi lesquels les indigènes (red de solidaridad en Colombie, Fondo Unico Social, Plan Bolivar au Venezuela).
74Dans le champ du droit, les transformations sont tout aussi indéniables. Les deux États subissent un infléchissement significatif de leur droit positif, attestant de la démocratisation de leur culture politique. Ce phénomène est particulièrement saillant dans la confrontation des visions indiennes du politique et de la vie en société au cadre normatif de l’État, les cosmologies indiennes venant confondre et infléchir les axiomes étatiques, en particulier celui des droits de l’Homme. Alors que le principe de diversité ethnique et culturelle vise à protéger et à concilier des cosmovisions et échelles axiologiques diverses, parfois contraires au précepte d’une éthique universelle, le principe multiculturaliste se fonde sur des normes dites transculturelles et universelles qui assureraient une coexistence pacifique entre des nations culturelles. Cette divergence de vues pose de manière toujours plus aiguë la nécessité pour l’État d’ajuster son approche des droits fondamentaux, en la rendant moins « aveugle » aux différences, ce que fait progressivement l’État colombien.
a) Le prosélytisme religieux dans les communautés arhuacas
75Les Arhuaco se caractérisent par un système d’organisation politico-religieux. Mais un conflit surgit entre les membres traditionnels de la communauté et ceux convertis au pentecôtisme. Les mamos s’opposèrent alors juridiquement (devant la Cour constitutionnelle et avec succès) à la pratique collective du culte évangélique sur leur territoire. Cette juridicisation du conflit renvoie à une controverse tant juridique qu’axiologique, qui oppose la valeur de la liberté de conscience et de culte à celle du droit fondamental à l’intégrité, à l’identité et à la diversité culturelle. La présence de dissidents au sein de la communauté constitue en effet une grave menace pour cette dernière. L’imbrication du profane (le politique) et du sacré dans la cosmovision arhuaca agit comme un marqueur identitaire et de fait, toute substitution de croyance affecte inéluctablement les légitimités et normes, politiques et religieuses, de l’organisation traditionnelle27. La conversion à la doctrine évangélique incarne ici bien plus qu’une apostasie. Elle amène à une négation identitaire.
76Cet exemple est extrêmement significatif. Tout d’abord, il illustre cette contradiction entre deux visions symboliques du monde : celle de l’État qui, agitant le dogme des droits de l’Homme, voit dans cette affaire une violation de la liberté individuelle religieuse et celle des communautés indiennes qui, au nom de leur cosmovision, justifient cette restriction de liberté. Ensuite, il met en évidence le problème de double allégeance à laquelle est soumis l’indien : l’une nationale qui le rend sujet actif de tous les droits constitutionnels et l’autre communautaire qui lui offre l’opportunité de se développer au sein de sa communauté d’origine. Il montre aussi comment les arhuacos évangéliques vont piocher dans l’arsenal du droit positif (revendication de la liberté de culte) afin de s’opposer au droit particulier réservé aux peuples indigènes (droit à l’intégrité). Il dévoile donc une identité indienne volatile, plurielle, sensible à l’événement, tout en rendant visibles les modes de bricolage et de manipulation dont elle fait l’objet. Par ailleurs, ce cas illustre les dissensions internes à la communauté, rendant caduc le mythe de l’harmonie qui définissait jusque-là de manière romantique les communautés indiennes. L’auto-représentation pacifique de ces dernières vise en réalité moins à affirmer une tradition de culture de paix qu’à maintenir une autonomie locale. Cet exemple, surtout, met en évidence un « entre-jeu » identitaire. L’arhuaco évangélique met en avant son appartenance à la société globale pour déjouer les implications d’une appartenance communautaire. Les valeurs que charrie le concept de citoyenneté (le national) s’opposent dès lors à celles de l’indianité (le communautarisme ou la communalisation). La communauté traditionnelle, quant à elle, étale une cosmogonie originale afin de préserver politiquement mais aussi symboliquement son identité.
77Cette décision judiciaire (T-652/98) ne fait d’ailleurs toujours pas l’unanimité au sein de la magistrature colombienne. Pour certains magistrats, elle est inadmissible car elle privilégie les cosmovisions indigènes, simples constructions historico-culturelles, par définition variables selon les contextes, aux dépens d’une liberté immanente, immuable parce qu’intrinsèque à la condition humaine, la liberté de conscience. De plus, ce jugement revient à donner la suprématie à un droit fondamental collectif (l’intégrité culturelle) plutôt qu’à un droit individuel tout aussi primordial (la liberté religieuse). En prohibant la diffusion de l’évangélisme sur le territoire des Arhuaco, comment alors permettre à ces derniers, en tant qu’individus, de professer, selon leur propre conscience, une autre croyance que celle ancestrale ? Un risque de captation de l’individu par le groupe existe, les droits et libertés individuels étant sacrifiés sur l’autel de la nécessité communautaire de maintenir ses traditions pour pérenniser son identité. Cette décision émane en tout cas d’une conception pluraliste du droit. Les actions du mamo deviennent licites dès lors qu’elles sont considérées depuis leurs propres « bio-logiques », c’est-à-dire dans leur cadre cognitif (cosmogonie) et leurs pratiques culturelles. Les conduites incriminées comme violatrices des droits fondamentaux correspondent en fait à une logique culturelle distincte et particulière du monde suivant laquelle l’équilibre de l’homme avec le Cosmos est primordial. Un « coup » est donc porté au dogme des droits de l’Homme, l’État faisant ici prévaloir le droit (collectif) à la diversité.
b) L’indianité et les codes de l’État : le cas des Nukak-Maku
78L’État peut subir des inflexions dans ses principes et juridictions mais aussi dans ses propres codes normatifs. Des colons de San José del Guaviare rencontraient systématiquement des enfants nukak-makus autour de leur village, « abandonnés » par leurs parents près de familles non-indiennes. Quand ils furent quatorze, l’État décida de les renvoyer à leur communauté, dans le but effectif de protéger la survivance de l’ethnie. Une expertise anthropologique révéla alors que les faits successifs d’abandon détenaient en réalité une explication culturelle. Les enfants avaient des problèmes de santé ou étaient orphelins et n’avaient par conséquent aucune chance de survivre à l’intérieur du système nomade qui est propre aux Nukak-Maku. « La rencontre de cette société nomade avec celle des colons permit à la première de se rendre compte qu’il existait un autre type de société, différente de la sienne et qui, sédentaire, disposait d’aliments stockés ainsi que d’une médecine qui pouvait certainement soigner ou soulager une surdité, une cécité, une épilepsie ou encore remédier socialement à l’absence de parents directs ayant les moyens de subvenir aux besoins des enfants » (E. Sánchez, 1998). En fait, un changement culturel et d’éthique s’est certainement produit au sein de la communauté nukak-maku28 qui a alors abandonné, ou plutôt expulsé, les enfants de son propre système de vie où leurs chances de survie étaient quasiment nulles, pour qu’ils soient pris en charge par notre société. Le concept d’orphelin n’existe d’ailleurs pas dans la langue des Nukak-Maku. Pour toutes ces raisons donc, le Conseil d’État décida de ne pas pénaliser les auteurs de l’abandon alors même que cet acte est répréhensible selon le Code du mineur. Mieux encore, il réformera ce dernier afin de tenir compte de la spécificité indigène, en permettant aux autorités indigènes d’émettre des autorisations en matière d’adoption de leurs enfants par des non indiens. Cette décision prend véritablement en compte la différence de référents culturels entre la société occidentale et celle des Nukak-Maku. L’acte d’abandon est envisagé non plus comme un acte barbare mais au contraire comme un comportement protecteur du droit à la vie… de fait, non condamnable.
c) Droits de l’Homme et sanction corporelle chez les Paez
79Les droits coutumiers indigènes peuvent-ils bouleverser les droits de l’Homme qui fustigent notamment tout châtiment corporel ? La Colombie a été confrontée à cette question et décida, après débats, de reconnaître pleinement la pratique de systèmes de justice autres que le sien et de légitimer une conception de la dignité humaine différente de celle reconnue par son droit positif. La sentence dite « du fouet » (T-523/97) est à ce titre emblématique car elle reconnaît ce qui aurait pu être interprété ce qui aurait pu être interprêté comme une torture depuis une vision stricte des droits fondamentaux, la pratique du fouet comme mode de sanction chez les Paez (celui qui a commis la faute est fouetté publiquement sur les mollets, puis suspendu par les jambes à une branche (le cepo)). En avalisant cette pratique, l’État reconnaît l’autonomie politique et juridique des communautés ainsi que l’exercice de l’autorité conformément à leur propre système de justice. Mieux, il accepte en son sein l’existence d’autres systèmes de logique et de croyances, déterminés par des symbologismes différents, la trace laissée sur le corps, le rayon, symbolisant pour les Paez la purification, le passage de l’obscur vers le clair (Sánchez, E., 1998).
80Cet exemple invite à penser la transformation de l’État comme un processus parallèle et concomitant aux transfigurations ethniques. Les transformations du droit en vue d’une reconnaissance effective de la diversité ethnique et culturelle ne signifient pas que les mutations du droit positif ne visent qu’à respecter les aspects traditionnels des cultures indigènes. Pour preuve, le fouet est une pratique espagnole imposée aux Paez qui l’ont accommodée en lui attribuant le concept d’éclair, vu par eux comme « médiateur entre les extrêmes ». D’autre part, il permet de tester empiriquement la politique de reconnaissance. L’État colombien applique dans ce cas un jugement de valeur égale aux coutumes et créativités des cultures indigènes (Taylor, 1997), leurs expressions étant placées sous les paramètres de statuts équivalents. C’est la première fois qu’une croyance est acceptée comme preuve dans une décision judiciaire relative aux indigènes29. La croyance relève pourtant pour le magistrat du monde possible alors que pour les Paez, elle appartient au monde réel.
2. De l’État de droit à la Société de droits
81Ce qui est remarquable enfin, derrière ces exemples, c’est que l’émergence de nouveaux mouvements sociaux en quête de droits ébranle le monopole de l’État sur le droit. La politique de reconnaissance envers les peuples indigènes vient notamment questionner le rapport entre culture et droit. La posture multiculturelle oblige en effet l’État à ouvrir son champ du droit à d’autres systèmes de régulation, tels que les droits coutumiers indigènes. Les demandes indigènes font dès lors l’objet d’une nouvelle lecture, en devenant une expression de cette interrogation au sein des États d’Amérique latine mais également un symbole de la construction de ce que J.-M. Blanquer appelle « Société de droits ».
82La société de droits se construit sur un double mouvement, chacun déjà observé par de nombreux auteurs mais peu souvent mis en corrélation avec l’autre. Le premier rend compte d’une certaine globalisation du droit (de Sousa Santos, 1998), c’est-à-dire de l’émergence d’un droit « sur-étatique qui modifie la situation latino-américaine du point de vue du droit conçu comme culture », le second consiste en un phénomène d’éclatement du droit (droit sub-étatique) qui « interroge cette même situation du point de vue de la culture conçue comme droit ». La Société de droits émerge dans cet interstice mais se présente d’emblée comme un phénomène ambigu, marquant à la fois l’apogée de l’État de droit qui l’a engendrée et les prémices de son déclin.
83Derrière son apparition, en effet, c’est l’État lui-même qui est remis en cause en tant que référent et ordonnateur du système politique et social. Conséquence de l’État de droit tel qu’il est mis en œuvre, dans les États modernes, la société de droits en est aussi la négation puisqu’elle nie la dimension pyramidale de l’ordre normatif (au profit d’une géométrie variable des moyens et des fins) et qu’elle fait de l’État un simple acteur (très affaibli) et non l’axe de la réalisation de cet ordre (Blanquer, 2000). Sous cet angle donc, la question indigène renvoie à une transformation plus globale des modes de gouvernement de l’État. La société s’empare progressivement du droit et introduit du même coup un nouveau type de régulation politique, se fondant sur un rôle moins central de l’État et sur le développement d’un droit multiforme. Les nouveaux usages de la règle, la régulation politique, correspondraient en outre non pas à un irrésistible progrès de la morale civique mais plutôt à un rejet de modes tutélaires de l’action publique, à des modifications des modes de gouvernance liés à l’insertion des États dans des structures polycentriques.
84La société de droits résulte donc d’une mutation de la mobilisation collective, au sens où les nouveaux conflits visent principalement à imposer de nouvelles règles que l’État a pour charge de légitimer (Roulx, 1998), mais également d’un phénomène de juridicisation croissante de la société, c’est-à-dire des relations entre le citoyen et l’État et des questions de société elles-mêmes. La logique juridique est en quelque sorte reprise par la logique sociale. Le phénomène est saillant en Colombie, où « les individus et les groupes se saisissent d’une offre juridique multiforme pour développer des stratégies propres d’utilisation du droit » (Blanquer, 2002). Autrement dit, une nouvelle conception du droit, comme un service public offert à la société civile apparaît dans les États d’Amérique latine. En s’imaginant sur un marché juridique, pareil à celui de l’économie, on peut dire que l’offre de droits a créé une demande croissante de droits qui oblige maintenant l’État à modifier son propre droit… « Cette offre se traduit par une multiplicité de droits (première, seconde et troisième générations), une multiplicité de procédures (l’action de tutelle, l’amparo) et une multiplicité de juridictions aux champs de compétences nécessairement concurrents. À l’opposé du modèle de l’État de droit qui suppose unité juridique et hiérarchie des normes, la société de droits favorise l’hétérogénéité des solutions juridiques » (ibidem), les acteurs sociaux et a fortiori les groupes indigènes utilisant de plus en plus ces options juridiques en fonction de leurs intérêts et objectifs.
85Deux autres phénomènes interviennent également. L’un rend compte d’une autre facette de la société de droits, liée au remplacement de l’État de droit par un État contractuel qui « multiplie des offres en fonction des besoins sociaux exprimés mais qui ne se donne pas les moyens, en particulier humains, d’assurer l’homogénéité de son action ». L’autre invite à repenser le rôle du juge qui n’incarne plus la bouche de la loi mais un co-législateur voire un créateur de politiques publiques, un policy maker, dont « l’analyse et le décisionnisme s’imposent dans tous les domaines, nombreux, où il y a carence de l’État » (Blanquer, 2002). En ce sens, la nature (et le degré) de la reconnaissance des groupes indigènes et de leurs cultures n’est ni générale ni systématique comme on pourrait le croire mais partielle et contextuelle, dépendant bien plus de la personnalité des juges que des règles elles-mêmes, ou encore de la construction des valeurs qui se réalise dans mais aussi hors de l’enceinte judiciaire, en transitant du forum social vers celui du judiciaire. C’est en situant l’analyse dans ce cadre que l’on peut alors « observer les groupes en lutte pour l’interprétation du droit selon un principe intégrateur favorable à leurs intérêts collectifs liés à leurs caractéristiques communes, souvent identitaires ». La reconnaissance de la diversité ethnique et culturelle suppose une appréciation relativiste et flexible des cultures et des droits indigènes qui entraîne à son tour un retour dans le droit du pragmatisme. Car au final, « il ne s’agit pas de transformer une observation des faits en règles de droit. Il s’agit de reconnaître que la règle de jeu ne se borne plus à dire comment fonctionne le jeu mais inclut un certain nombre de possibilités pour les joueurs eux-mêmes, de dire quelle sera la règle du jeu » (Arnaud, 1992, p. 120).
Notes de bas de page
1 Se reporter au cas de la communauté de Yaguara, présenté chapitre 4.
2 L’article transitoire 55 (C.P.) et la loi 70 de 1993.
3 Entretien avec la leader warao Dalía Hermina, Playa Sucia (Municipe de Tucupita, Delta Amacuro), 04/05/2000.
4 Ce constat apparaît également pour les capitanes en Amazonie.
5 Entretien avec l’inga María Teresa Chasoy, 09/05/1999.
6 En réalité, les traditions vestimentaires datent de l’époque coloniale seulement.
7 Entretien avec Lorenzo Rodríguez à Morachito (Amazonas), 10/12/1999.
8 Werther (G), 1992.
9 Entretien avec le président de CRIGUA I, Tito Dasilva, Puerto Inírida, 23/05/1999.
10 Entretien avec Miguel Rodriguez, membre de l’OPDGUA, 22/05/1999.
11 Entretien avec Silvano Aquilera, membre de l’OPIAC, 27/04/1999.
12 Respectivement, Organisation des peuples indigènes (de l’État) de Zulia, Fédération Indigène de Bolivar et Organisation des PeuplesIndigènes d’Amazonas).
13 Désigne le fait de passer de l’opposition au soutien du gouvernement en place.
14 Entretien avec Tito Poyo, président du CONIVE, Caracas, 19/06/2000.
15 Entretien avec N. Pocaterra, Caracas, 18/01/2000.
16 Comunidad de Playa sucia, Delta Amacuro, 05/05/2000.
17 En fait, le montant des transferencias est fixé au prorata de la population indienne que compte le resguardo alors que les critères sous-jacents à l’exécution des projets d’investissements doivent bénéficier à l’ensemble de la population indienne, qu’elle habite le resguardo ou en dehors.
18 La COICA est une organisation indigène représentant les régions amazoniennes de neuf États L’OPIAC est l’Organisation de la région Amazonienne de Colombie.
19 Sans compter la demande croissante d’entrée en politique des femmes indiennes, les revendications de genre – éminemment modernes – se greffant sur celles ethniques.
20 Voir aussi Laurent (V.), 2001.
21 L’AICO est née à la fin des années 80 Elle concentre son activité dans le Cauca, le Nariño et la Sierra Nevada et réunit Guambiano, Paez, Yanacona, Inga et Arhuaco.
22 Sous un retrait apparent, l’ONIC soutenait le secteur andin et l’ASI.
23 Entretien avec Nelson Romero, assesseur du sénateur J. Piñacué, Bogotá, 17/06/1999.
24 Entretien avec Rafael Suárez, membre de l’Organisation Indigène de Zulia (ORPIZ), Maracaibo, 27/06/2000.
25 Entretien avec José Poyo, Caracas, 12/07/2000.
26 Entretien avec José Otero, coordinateur du PUAMA, Puerto Ayacucho, 11/12/1999.
27 Les dogmes évangéliques privilégient les aspects individuels et interdisent certains rites arhuacos (usage du poporo, offrandes et confession auprès du mamo).
28 Auparavant, dans de tels cas, les enfants étaient abandonnés dans la forêt.
29 Entretien avec Esther Sánchez, Bogotá, 4/03/1999.
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