Chapitre 2. Les contraintes de rôle
p. 71-126
Texte intégral
1Le titulaire du rôle de maire dispose des ressources précédentes, et elles peuvent être considérables, mais il est contraint dans l’usage qu’il en fait. Les finalités qu’il poursuit sont prédéfinies ; en postulant au rôle, il les accepte. Développer la commune, agir pour régler les problèmes locaux, rassembler les citoyens… Autant de finalités qu’il sera certes possible de décliner variablement tant ces formules sont floues, mais dans lesquelles toute initiative prise par le maire devra s’inscrire (parfois au prix d’un artifice rhétorique), car elles seules sont légitimes. Cumuler les mandats, dans le temps ou dans l’espace, n’est par exemple possible qu’à condition de démontrer que c’est un moyen d’agir plus efficacement pour la commune. Si le cumul est seulement perçu comme stratégie carriériste, il sera dénoncé.
§ 1. Agir
2Le maire doit agir, faire des choses concrètes conformes aux attentes supposées de ses concitoyens. Lorsqu’il ne dispose pas des ressources adaptées au problème à traiter, par exemple parce que celui-ci, par son ampleur, dépasse les moyens dont dispose la commune (catastrophe naturelle, licenciements massifs…), il lui faut au moins déployer une action symbolique, pour malgré tout donner l’impression d’agir. L’aveu d’impuissance, fût-il inspiré par le souci honnête de dire les choses comme elles sont, équivaut à un écart par rapport au rôle. Les maires ne s’y risquent qu’exceptionnellement. Ils s’efforcent le plus souvent de sauvegarder leur image de décideurs en mettant à profit toutes les opportunités d’action qui s’offrent à eux. Pour cela, ils ont souvent tendance à sortir du cadre de leurs compétences institutionnelles ordinaires pour mettre en place des partenariats avec des acteurs de plus en plus divers. On parle de gouvernance locale et non plus d’administration locale.
1. De l’administration locale à la gouvernance urbaine
3Pendant longtemps la capacité d’action des municipalités fut enfermée dans une conception relativement étroite de l’administration municipale. Les maires géraient, administraient, intercédaient, mais demeuraient soumis à une double surveillance : celle d’une autorité de tutelle tatillonne (qui peut annuler ou même révoquer), et celle exercée par les figures traditionnelles du pouvoir local1. Pourtant, l’affirmation juridique, dès 1884, d’une compétence globale, le pouvoir conféré au maire de recruter, conjugués à la volonté politique affichée par certains élus de réellement transformer la société (expérience du socialisme municipal) ont suffit pour faire de la troisième République ce que d’aucuns n’hésitent pas à appeler « l’âge d’or des communes »2. À partir des années trente, la tendance est à la recentralisation : volonté de rationaliser le pouvoir d’État, poids de la culture jacobine, monopolisation par les ministères de l’expertise, prudence politique des maires, crise économique, toutes ces causes agissent dans le même sens. Entre les deux guerres, le municipalisme pourtant actif en matière d’hygiène et de distribution de l’eau, tourne court. Après-guerre, la reconstruction fut le fait du centre : les élus locaux attirent la méfiance, on les crédite de peu de compétences techniques, ils ne disposent de toute façon ni des moyens humains ni des ressources budgétaires pour conduire leur propres politiques. Les vrais décideurs urbains sont ailleurs : c’est l’État, ce sont les groupes de services urbains, incontournables en matière d’aménagement et d’urbanisme (Lorrain, 1993). La procédure des ZUP est ainsi largement confisquée par le centre. À partir de 1966, le ministère de l’Équipement s’érige en décideur omniprésent, avec ses ingénieurs des Ponts-et-Chaussées localement très actifs. Écrasés par les tutelles (techniques ou financières), les maires ne peuvent qu’attendre leur tour pour obtenir des équipements scolaires, sportifs… Les files d’attente sont centralisées, les mieux introduits gagnent quelques places. Les premières sociétés d’économie mixte, émanations de la Caisse des Dépôts, sont hors de portée des simples élus. C’est encore l’État qui, monopolisant l’expertise à grand renfort de ratios, fixe et hiérarchise les besoins, définit des plans quinquennaux ou décrète les métropoles d’équilibre selon une logique d’aménagement du territoire très centralisée (et que symbolise, à partir de 1963, la DATAR). Dépossédés financièrement et techniquement, les élus ne peuvent que se résoudre à un rôle second de gestionnaires ou d’intercesseurs (Gaudin, 1993 ; Biarez, 1989). Ce n’est que progressivement qu’ils vont acquérir les moyens de leur autonomie décisionnelle : l’expérience des ateliers d’urbanisme mais surtout la loi d’orientation foncière de 1967 les associent plus étroitement à la production du territoire urbain, via la collaboration avec les services de l’État pour l’aménagement des ZAC ou pour l’élaboration des SDAU et des POS. La même démarche inspire les contrats de villes moyennes à partir de 1973. Dans un contexte économique favorable, les maires des années soixante développent leur capacité d’action : les budgets d’investissements des villes sont multipliés par sept en vingt ans (1954-1974). Se mettent en place de véritables communes-providence qui diversifient leurs champs d’action (cantines, sports, animation et loisirs…). Les effectifs en personnel explosent (quasi doublement entre 1969 et 1983), de même les budgets de fonctionnement (Roubieu, 1999). Le décalage devient patent entre la volonté d’agir et l’archaïsme des procédures, toujours très centralisées.
4La décentralisation a largement bouleversé ces rapports de force, au profit des maires urbains. Libérés de la tutelle de l’État, les municipalités vont pouvoir se lancer franchement dans des projets de grande envergure. C’est par exemple ce que montre Jérôme Dubois lorsqu’il étudie les projets Antigone à Montpellier et Sextius-Mirabeau à Aix-en-Provence. Les maires développent leurs propres outils (sociétés d’économie mixte, atelier municipal d’urbanisme), ils font appel à des ressources externes (bureau d’étude, architecte réputé tel Ricardo Boffil à Montpellier), ils prennent conseil auprès de décideurs politiques autres (le maire de Montpellier consulte régulièrement ses homologues Rennais et Grenoblois, socialistes comme lui, celui d’Aix mobilise ses propres réseaux politiques). Le pilotage demeure municipal. À Montpellier, le maire et son adjoint à l’urbanisme constituent une petite équipe décisionnelle qui court-circuite y compris les services de la ville. On se situe pourtant dans le contexte d’avant 1982 (Georges Frêche est élu en 1977). Dix ans plus tard, les élus aixois n’ont plus à subir la pression des services de l’État : le leadership exercé par le maire sera pourtant moins net que dans le cas précédent, preuve que le droit ne fait pas tout. Ce qui ne change rien au bilan que l’on peut dresser à partir de tels exemples : les maires pilotent désormais vraiment (symboliquement et décisionnellement) des opérations de première importance, ils maîtrisent policy networks et policy communities. Ils s’impliquent dans les projets, politiquement ils en tirent profit : le projet urbain fait le maire autant que le maire fait le projet urbain (Dubois, 1997).
5En quelques décennies, le changement est donc considérable. Assiste-t-on pour autant à l’émergence d’un « gouvernement local » consacrant « le pouvoir autonome désormais détenu par les élites politiques locales indépendantes » (Rangeon, 1996) ? Si gouvernement il y a, il demeure largement inachevé. « Les villes sont en réalité privées des moyens et des compétences qui leur permettraient de se gouverner elles-mêmes » (ibid.). La montée en puissance des villes n’a donc été possible qu’au prix d’une accélération des échanges entre acteurs institutionnels, elle seule permettant aux élus de « tirer leur épingle du jeu ». On voit les municipalités s’ouvrir librement à des partenariats jusqu’alors impossibles. On assiste au « passage du principe de la tutelle, avec ses notions d’autorité et de hiérarchie, à celui de l’économie concertée avec les notions de partenariat, de société contractuelle et d’économie mixte » (Lorrain, 1991). L’interpénétration entre décideurs municipaux et société locale est aujourd’hui beaucoup plus forte. D’un côté les entreprises, les associations sportives, culturelles, professionnelles, les chambres de commerce, se mobilisent bien au-delà de la traditionnelle fonction de groupes de pression3. En sens inverse les élus vont au-devant de ces acteurs dans le souci de les associer, de les intégrer au processus décisionnel. En externe aussi les choses se compliquent. La pratique des contrats entre les villes et l’État se développe, depuis les anciens « contrats de villes moyennes » des années 70 qui concédaient aux maires un pouvoir d’expertise locale en matière d’équipements jusqu’aux actuels « contrats de ville »4. Auxquels s’ajoute cette autre forme de contrat entre collectivités locales que sont les multiples figures de l’intercommunalité : l’échelle de l’agglomération (loi Chevènement de 1999) permet par exemple aux grandes villes de dépasser le carcan communal pour s’ériger, à l’échelle de territoires socio-économiques plus pertinents, en acteurs de poids. L’éclatement décisionnel est désormais affiché par ces contrats, ces partenariats, quand l’intercession qui fondait la régulation croisée demeurait cachée. Armées de nouvelles compétences (par exemple la maîtrise de la planification urbaine via schémas directeurs et plans d’occupation des sols), les municipalités ne craignent plus la confrontation avec les autres acteurs. La symbolique du contrat est celle de l’horizontalisation des relations entre institutions. Désormais, toutes les collectivités sont centres d’initiative en matière d’action publique, la décentralisation n’ayant pas réussi à définir des blocs de compétence étanches (Gaudin, 1995). Emmanuel Négrier5 parle d’« échange politique territorial » pour décrire la façon dont toute politique publique, aujourd’hui, est le fruit d’un compromis entre acteurs, entre institutions, entre réseaux.
6Partenaires internes ou externes à la collectivité, partenaires privés ou publics, tous ceux qui sont porteurs d’initiatives locales intéressent les élus : une association monte un festival ? Une entreprise innove ? Un club sportif remporte quelques succès ? Une université cherche à se délocaliser ? Les élus suivent le dossier, nouent des contacts, acceptent de subventionner dès lors qu’ils ont le sentiment que l’initiative, de quelque secteur qu’elle relève, profitera au territoire dans son ensemble. On fait appel à un architecte célèbre, à un metteur en scène ou à un chef d’orchestre de renommée internationale. Le concept de gouvernance urbaine (Le Galès, 1995), libéré du juridisme qui encombrait une notion comme celle de gouvernement local, rend bien compte de ces évolutions : l’action publique locale emprunte désormais moins la voie de l’acte unilatéral (qu’il soit le fait de l’État ou de la municipalité) que celle du contrat. « À la rationalité verticale des relations centre-périphérie contrôlées par le préfet s’est substituée une territorialité horizontale caractérisée par la concurrence, voire les conflits de territoires ou de légitimité » (Mabileau, 1997). L’action publique municipale connaît des évolutions qui rendent obsolète la démarche classique de listage des « compétences communales ». De même apparaît de plus en plus vain l’exercice consistant à isoler l’acteur municipal de son environnement institutionnel et sociétal : c’est la ville tout entière qui est érigée en acteur-sujet, sans que cette approximation fasse débat. Ce qui fait désormais exister « la ville », c’est « le projet collectif, le partage d’objectifs communs, d’une vision identique pour l’avenir, d’un véritable projet de société urbaine » (Jouve et Lefèvre, 1999). La ville est conçue comme un système au sein duquel il ne serait plus possible de penser isolément l’acteur municipal. Celui-ci est enserré dans des réseaux, réseaux d’acteurs et réseaux d’institutions, moins ponctuels qu’un simple contrat, mais moins solidifiés qu’une organisation (Gaudin, 1995). « Le gouvernement des villes implique de plus en plus différents types d’organisations : autorités locales mais aussi grandes entreprises privées, représentants de groupes privés, agences publiques et semi-publiques, représentants de différents segments de l’État, consultants, organismes d’études, associations » (Le Galès, 1995)6.
7D’un côté, la montée en puissance du référentiel du marché accélère les mouvements de privatisation des services publics locaux (cantines scolaires, ordures ménagères…), les villes préférant le partenariat avec une entreprise privée plutôt que la gestion publique traditionnelle. D’autre part, les municipalités profitent des vides ou des flous juridiques pour s’investir dans tous les domaines, prenant au mot la clause générale de compétence inscrite dans la loi de 1884. Elles ont désormais les moyens de mener à bien des opérations urbaines de grande envergure, en contrôlant la multitude d’intervenants nécessaires. La maîtrise des policy networks, leur transformation en policy communities, permet le pilotage urbain bien au-delà de l’orchestration symbolique (Dubois, 1997).
8En matière d’aide sociale par exemple, le choix du département comme intervenant principal n’a pas du tout occasionné le désengagement des communes, celles-ci s’investissant dans l’aide sociale dite « facultative » via le pilotage d’institutions comme les CCAS, les missions locales…7. La scène décisionnelle locale s’en trouve modifiée dans le sens d’une plus grande complexité et d’une plus grande diversité. Il n’y a plus d’un côté l’acteur municipal et de l’autre la société locale, associations, entreprises… De nouveaux acteurs émergent, à l’autonomie partielle, à la temporalité singulière, de nouvelles institutions au sein desquelles les élus sont présents (ou représentés) : nouveaux leviers d’action entre les mains d’une municipalité se démultipliant jusqu’à l’ubiquité, ou bien fragmentation du pouvoir local ? Les rapports de force observés dans une ville ne se retrouvent pas ailleurs. L’action municipale est devenue flexible. Les élus expérimentent, innovent, bricolent, tentent des expériences de partenariat, mobilisent des réseaux différenciés. Incontestablement, le pouvoir des maires se transforme : il s’analyse désormais en termes de stratégies, d’alliances, voire de coups tactiques. « Le gouvernement local ne se contente pas de gérer des services de façon bureaucratique (ou au quotidien), il est devenu plus stratège, moins routinier, plus opportuniste, plus flexible, plus sensible à l’environnement » (Le Galès, 1995). L’État-Providence devenu État-animateur est partenaire autant que centre premier pour l’impulsion de l’action publique, la loi est moins obligation qu’opportunité (on pense à la diversité des offres en matière intercommunale). L’organigramme municipal s’enrichit de contours improbables : centres communaux d’action sociale, sociétés d’économie mixte locales, associations-relais, bureaux d’études, agences d’urbanisme, comités de quartier. De nouveaux acteurs apparaissent ou se développent, au statut juridique complexe, au rôle décisionnel certain, mais sans que soit lisible leur degré d’autonomie ou de dépendance par rapport aux municipalités. La montée en puissance de ces acteurs s’analyse-telle comme démultiplication du pouvoir décisionnel des maires, ou signifie-t-il au contraire les limites étroites de celui-ci ? La réponse n’est pas fournie par le droit : elle suppose une investigation empirique qui seule permettra de mettre à nu les rapports de force, les réseaux d’acteurs, les multipositionnements, les processus décisionnels.
9C’est l’exemple des associations qui, lorsqu’elles sont entièrement subventionnées par la municipalité, ou lorsqu’elles sont présidées par un élu, apparaissent comme de simples relais permettant aux maires d’agir plus souplement en échappant aux règles de la comptabilité publique. De telles associations sont des supports décisifs de l’action municipale. C’est aussi l’exemple des sociétés d’économie mixte locales (SEML). Là encore la formule séduit par sa souplesse. Des secteurs aussi importants que l’urbanisme, l’aménagement, le logement, aux enjeux financiers considérables, sont ainsi appréhendés par les élus sous une forme renouvelée. Les financements municipaux s’additionnent à d’autres financements publics (Caisse des dépôts et Consignations) et à des financements privés pour rendre possibles des opérations d’aménagement et d’urbanisme très coûteuses. L’histoire de ces sociétés locales est celle de leur appropriation progressive par les collectivités territoriales, régions, départements et villes. Soit sous la forme d’une concurrence entre SEM et donc entre collectivités, soit sous la forme d’alliances : une SEM départementale sera ainsi cofinancée par le conseil général et par les municipalités les plus importantes du département. Parfois les maires font cavaliers seuls : ils possèdent leur SEML, et marquent ainsi leur autonomie par rapport aux autres villes, aux autres collectivités, et aux promoteurs privés. Mais même dans ce cas, ces sociétés ne sont pas de simples courroies de transmission : elles développent leur propre expertise, souvent ajustée à divers domaines techniques. Les secteurs couverts sont très variables, entre aménagement (d’un collège, d’un aéroport, d’un centre-ville) et gestion (d’un musée, d’un port de plaisance…). Même donc lorsque les élus sont en bonne position dans l’organigramme (le maire peut présider le conseil d’administration, parfois il laissera cette responsabilité à un adjoint), les techniciens s’approprient les dossiers. D’où de possibles tensions entre élus et directeurs, entre services municipaux et SEML. Un maire peut aussi utiliser l’outil SEML pour contourner une administration municipale hostile (Le Galès, 1996).
10Même ambivalence dans les relations avec les grands groupes de services urbains : Compagnie Générale des Eaux (devenue Vivendi), Lyonnaise des Eaux, Caisse des Dépôts et Consignations… Ceux-ci ont considérablement diversifié leurs activités, bien au-delà de la gestion de l’eau, vers de multiples services urbains (cantines, câble…). Le partenariat avec les villes a permis aux municipalités d’optimiser certaines actions publiques. Il faudrait encore évoquer d’autres familles d’experts : laboratoires de recherche, cabinets juridiques, bureaux d’études. Privées ou publiques, ces structures gravitent dans la sphère municipale en apportant une expertise fine et localisée dans des domaines aussi divers que le droit, la mesure des besoins sociaux, l’urbanisme. Le pouvoir d’expertise s’est décentralisé : là où jadis un grand corps dépliait les mêmes modèles d’un territoire à l’autre, de multiples innovations surgissent à présent auxquelles seule la circulation horizontale des expériences donnent un semblant de cohérence. Les villes s’observent attentivement, elles se copient parfois, elles ne font pas pour autant toutes la même chose. Dans un contexte de concurrence exacerbée et de valorisation de l’image des villes, les stratégies de distinction sont fortement valorisées.
11Le même diagnostic s’impose, on l’a dit, s’agissant des relations entre la ville et son environnement extérieur : représentants de l’État, bureaux bruxellois, villes voisines, structures intercommunales, ou encore autorités départementales et régionales peuvent aussi bien constituer des alliés et des partenaires décisionnels que des adversaires ou des concurrents. Un maire de petite ville peut profiter de l’opportunité que constituera pour lui l’intercommunalité pour étendre son territoire politique et son poids décisionnel (communauté de communes) il peut aussi assister plus ou moins passivement à la montée en puissance d’une structure qui menace sa capacité à agir (Michel, 1999).
12Les politiques économiques ont par exemple évolué dans un sens conforme au modèle de la gouvernance : initialement ignorée des maires, puis longtemps confinée à quelques leviers d’action (fiscalité des entreprises, aménagement de zones d’activité…), l’action économique des communes s’est diversifié et densifié. D’abord dans le sens d’une prise de risque supplémentaire (construction d’usines-relais, aide directe après 1982), puis par une multiplication des partenariats et des acteurs : les sociétés d’économie mixte locales peuvent constituer de bons outils pour institutionnaliser le dialogue avec les entreprises, en complément des services économiques des mairies. Émergent de nouveaux acteurs (Observatoire économique, SEM, agences d’urbanisme), sur de nouvelles scènes (par exemple les commissions extra-municipales permettant d’institutionnaliser le dialogue avec les chefs d’entreprise). L’expertise économique se développe au sein des mairies, souvent en partenariat avec les chambres de commerce ou les ANPE. Les élus s’efforcent désormais d’agir sur l’environnement des entreprises : image de marque du territoire, services offerts aux entreprises ou à leurs salariés. Des partenariats se tissent autour de la recherche ou des nouvelles technologies, souvent à l’échelle intercommunale. Le développement économique devient un mot d’ordre fédérateur qui fait éclater les cloisonnements sectoriels et les clivages politiques : les maires, ceux de gauche aussi bien que ceux de droite, sont désormais tous à l’écoute des partenaires économiques, cherchant à structurer de véritables « coalitions de croissance ». Les technopôles symbolisent cette symbiose entre acteurs locaux et acteurs économiques8.
13Dans le domaine des politiques culturelles, des évolutions de même nature ont pu être constatées. Ce secteur, longtemps centralisé selon une tradition française bien établie, s’est rapidement déconcentré et même municipalisé ces trente dernières années. L’action culturelle transite par des équipements multiples, en centre-ville (théâtre, musée, opéra…) ou dans les quartiers (maisons de quartiers, bibliothèques, MJC…), elle prend aussi la forme d’initiatives événementielles multiples dont les plus visibles sont les festivals. La professionnalisation du secteur de la culture permet aux élus de s’appuyer sur des groupes compétents et idéologiquement soudés par un même idéal (droit à la création, accès de tous à la culture…). En 1977, la conquête par la gauche d’un grand nombre de villes a symbolisé cette alliance entre élus et secteur socioculturel9. Alliance qui déborde les seules connivences idéologiques : le financement municipal (au moins partiel) des équipements culturels garantit leur loyauté, quand il ne se teinte pas de clientélisme. Professionnels ou amateurs, tous les acteurs du secteur culturel dépendent peu ou prou des subventions municipales. Des conflits peuvent éclater malgré tout, qui interdisent de faire des professionnels de la culture de simples acteurs municipaux : faut-il privilégier une culture d’élite faisant valoir l’image de la ville, ou bien une culture populaire intégratrice tournée vers les habitants ? Faut-il privilégier un domaine porteur au niveau international ou bien saupoudrer entre tous les secteurs ? Faut-il privilégier le culturel en centre-ville ou bien le socioculturel dans les quartiers ? Peut-on soutenir un projet culturel sans être accusé de le municipaliser et de le récupérer ? etc. Dans tous les cas, le modèle de la gouvernance s’impose à l’analyste : les partenariats se multiplient entre acteurs publics et privés. Certains équipements sont gérés par des SEM. Le ministère de la culture négocie ses subventions et distribue des labels (Théâtre National), tandis que les créateurs les plus renommés, profitant du contexte de concurrence entre les villes, négocient directement avec les maires. Les régions financent ou cofinancent. Les entreprises jouent les mécènes, tout ceci légitimant encore un peu plus le diagnostic de coproduction des politiques culturelles. Reste alors aux maires le pouvoir de contrôler cet éclatement, symboliquement en diffusant une vision synthétique de la culture locale (par exemple une image aussi fédératrice que possible), institutionnellement en regroupant les acteurs autour d’une même table de négociation (commissions extra-municipales, Office Social et Culturel comme à Rennes10). Et tout ceci, alors que dans le même temps les maires peuvent éprouver la tentation de se désengager financièrement11. Ce schéma se retrouve encore dans le domaine sportif : mêmes relations aux acteurs associatifs, amateurs et professionnels, même volonté de monter des projets ou de faire financer des équipements en partenariat avec des institutions extérieures (les fédérations sportives, l’État), même souci de conjuguer coproduction de l’action publique et municipalisation symbolique ou institutionnelle (Offices des Sports), même tension entre finalités internes (intégration, contrôle social des quartiers…) et finalités externes (image de la ville liée au sport professionnel). La question des subventions accordées au sport professionnel est révélatrice de ces tensions. Le système décisionnel local peut y perdre en cohérence : à Grenoble par exemple, la municipalité Dubedout, plus sensible à la thématique du sport pour tous qu’à celle du sport-spectacle, entre en conflit avec l’OMS (office municipal des sports) ; l’équipe d’Alain Carrignon, en 1983, fera le choix inverse, n’hésitant pas à intégrer des champions à forte notoriété dans l’équipe municipale (Dulac, 1998).
14Toutes ces évolutions en terme de gouvernance sont par exemple décrites par Olivier Borraz à l’échelle de Besançon. La transformation de maire-gestionnaire-intercesseur en maire animateur-entrepreneur correspond aux portraits contrastés des deux élus successifs. Le premier, Jean Minjoz, maire de 1953 à 1977, n’est certes pas inactif. Il investit entre autres secteurs celui du logement social : mais la Caisse des Dépôts et ses filiales s’imposent comme interlocuteurs incontournables. Les discussions avec l’État, en tout domaine, éclipsent largement les échanges intra-communaux. Face à « l’affaire Lip », le maire n’a d’autre ressource que de s’en remettre à l’État pour qu’il aide cette entreprise en difficulté. Son successeur (Robert Schwint) privilégie au contraire la mobilisation des partenaires locaux (associations, syndicats, entreprises) ; sur cette base, il ne craint pas d’affronter l’État, par exemple à l’occasion d’un emprunt ou pour la définition du POS (Borraz, 1998)12.
15On aurait tort de croire que ces évolutions ne touchent que les grandes villes. Toutes proportions gardées, l’action municipale dans les petites communes s’est également transformée. Le temps est révolu du petit maire sous tutelle condamné à faire le siège des bureaux (Équipement, préfecture…) pour quémander une autorisation ou une subvention. À son échelle aussi le pouvoir d’expertise s’est décentralisé : agences de développement, structures intercommunales… Les maires s’efforcent de rassembler les énergies autour de mots d’ordre fédérateurs (développement rural, désenclavement), ils recensent et encouragent les initiatives porteuses, ils s’efforcent d’enrôler au service de ce développement tout ce qui fait patrimoine, ils empruntent comme leurs collègues urbains la voie contractuelle (contrat de Pays, Pays d’accueil touristiques, pays au sens de la loi du 4-2-1995) et tissent des réseaux quand ils ne mobilisent par leurs propres relations professionnelles (Faure, 1992). L’intercommunalité ne fait plus peur, elle est perçue comme condition nécessaire au développement de la commune (Moquay, 1998). Dans ce contexte aussi le modèle du maire-animateur ou du maire-entrepreneur s’impose.
16Le bilan de ces évolutions est mitigé. Il est difficile de mesurer précisément si un tel émiettement du pouvoir local a ou non profité aux municipalités. Certains concluent à la dilution de l’acteur municipal dans un système local complexe dont il aurait cessé d’être le centre. D’autres insistent sur sa capacité à jouer des coalitions d’intérêt pour « tirer son épingle du jeu », comme dans le cas de la « politique de la Ville »13. Les dispositifs réunis sous cette appellation permettent aux élus d’intervenir dans les quartiers difficiles non plus sur la base d’un bloc de compétences octroyées par le droit, mais à la faveur de partenariats divers tissés avec les représentants localisés des ministères de l’Équipement, des Affaires Sociales, de la Justice, de l’Éducation Nationale, de l’Intérieur, de la Culture. Sans jamais être en position de force dans aucun de ces secteurs, sans jamais avoir été en position d’initier une politique d’origine étatique, les maires conquièrent un pouvoir décisionnel significatif en orchestrant les actions localisées de ces diverses autorités. Ils font dialoguer les secteurs, logement et vie associative par exemple, ils confrontent besoins matériels et aspirations post-matérialistes. « Les élus communaux aiment être maîtres chez eux et le sont d’autant plus qu’ils ont affaire aux services de l’État en ordre dispersé »14. La procédure du contrat de Ville symbolise, en même temps que la requalification en problème territorial de problèmes longtemps perçus comme sectoriels, la dévolution aux élus de secteurs significatifs. Leur capacité à formuler des diagnostics de proximité et à construire des réseaux d’interconnaissance directe se révèle alors une ressource décisive. De la sorte se resserre aussi l’emprise municipale sur les périphéries urbaines, par ailleurs longtemps délaissées. Régies de quartiers, associations de quartiers, mairies de quartiers, comités de quartiers, conseils de quartier… La logique du contrat ne banalise pas l’acteur municipal. Même si dans la réalité elle n’est pas très loin de masquer un jeu très classique de chasse aux subventions d’État, elle produit symboliquement une impression de pilotage municipal. Le maire en tire personnellement un grand profit symbolique : c’est lui qui négocie avec l’État, c’est lui qui s’approprie les services agissant sur le terrain : la politique de la ville devient sa politique15.
17Il n’est, en revanche, pas certain que cette montée en puissance de la gouvernance urbaine profite à la démocratie locale16. D’une part en raison d’une complexité et donc d’une opacité qui ne fait l’affaire ni du citoyen, ni de l’habitant-usager. D’autre part car la multiplication des arènes au sein desquelles les politiques sont négociées ne s’analyse guère comme réelle ouverture du jeu politique. Certes, comme le souligne J.-P. Gaudin, la négociation se fait au grand jour là où la régulation croisée demeurait secrète. Mais ces arènes de discussion restent fermées aux citoyens ordinaires. Leur caractère multi-sectoriel ne doit pas abuser : chefs d’entreprises, présidents d’associations, universitaires… et élus sont typés socialement : les mêmes acteurs, les mêmes réseaux se déplacent, se recomposent et se retrouvent. Les mêmes ressources également : capacité à l’expertise, représentativité et implantation, capital social… « L’essentiel de la population n’est guère concerné » (Gaudin, 1995). Au mieux peut-on diagnostiquer une affinité culturelle entre les nouvelles politiques urbaines (communication, nouvelles technologies…) et les « nouvelles » classes moyennes urbaines. Sans donc se laisser abuser par l’illusion d’une action publique locale qui serait portée par une communauté locale unanime, égalitaire et dépolitisée.
18Faut-il conclure à la recomposition ou au déclin du pouvoir municipal ? Les spécialistes de la gouvernance urbaine souscrivent plutôt au diagnostic le plus désenchanté, celui d’une banalisation de l’acteur municipal au sein d’une configuration complexe et étendue d’acteurs significatifs. Peut-être est-ce faire fi un peu rapidement de la primauté scénique qui continue à distinguer le maire des autres décideurs locaux : à voir la façon dont les demandes sociales convergent vers les mairies aujourd’hui encore, il est clair qu’on ne peut conclure à la dilution du pouvoir municipal. La montée en puissance des villes est aussi celle des maires.
2. La symbolique décisionnelle contre la dilution du politique ?
19Il convient de ne pas perdre de vue que le pouvoir décisionnel effectif, celui que les approches en terme de gouvernance s’efforcent de mesurer, n’est qu’une dimension parmi d’autres du leadership politique : celui-ci trouve plus sûrement sa source dans une symbolique décisionnelle qui, elle, n’est pas menacée. Évoquer l’obligation dans laquelle se trouvent les maires d’« agir », c’est aussi observer la posture décisionnelle endossée par ceux-ci, et qui va bien au-delà de leur pouvoir effectif. Cette posture décisionnelle a pour fonction de manifester le souci propre aux élus de prendre en charge les problèmes locaux, de les maîtriser cognitivement et discursivement, d’agir pour les régler, etc. Cette posture est manifeste lors des rituels décisionnels que sont les séances du conseil municipal, elle inspire très largement les prises de parole des maires, en public, dans la presse locale, dans les bulletins municipaux. Le volontarisme le plus classique s’y déploie, le maire s’octroyant une centralité décisionnelle qui rejette les autres acteurs dans le statut second de partenaires et d’alliés. Alors s’inverse le rapport de force initialement défavorable aux élus. Exemple classique du festival d’initiative associative que la mairie accepte de financer dès lors que la preuve est faite de son succès, et qui glisse au fil des ans dans la catégorie attrape-tout des « réalisations municipales ». Même la procédure du contrat, une fois retravaillée par la symbolique municipale, perd sa connotation horizontale.
20La posture décisionnelle est accréditée par quatre stratégies constitutives du rôle de maire. La première de ces stratégies est la prise de contrôle de l’agenda local. La posture décisionnelle serait en effet malmenée si les problèmes surgissaient sans que l’élu puisse intervenir. La sélection des demandes lui permet au contraire de mieux fonder sa prétention décisionnelle, par exemple en ne donnant à voir que les problèmes que l’instance municipale est à même de prendre en charge. Objectiver une situation à travers des indicateurs par exemple quantitatifs, la problématiser en la qualifiant d’inacceptable, la territorialiser en lui donnant le statut de réalité locale, la politiser en suggérant qu’il existe des solutions municipales, autant d’étapes qui président à la construction sociale de l’agenda politique local, et sur lesquelles le maire peut efficacement peser. Ici encore, la position dominante qu’il occupe sur la scène institutionnelle (accès aux médias, maîtrise de l’ordre du jour du conseil municipal, faiblesse des contrepouvoirs) joue en sa faveur. La mairie est souvent ce lieu décisif par lequel transitent toutes les informations décisives, qu’elles soient démographiques, économiques, associatives… Les maires savent se tenir informés, soit en disposant de relais grâce auxquels les informations remontent (les adjoints ont souvent cette fonction), soit parce qu’ils mettent eux-mêmes en place des structures d’observation de la réalité locale (observatoire économique par exemple). Ainsi peuvent-ils faire exister à l’échelle du seul territoire communal des catégories comme « l’emploi local », « la délinquance communale », « la population étudiante », « les chefs d’entreprise » ou bien « les familles monoparentales ». Peu importe que ces agrégats s’apparentent à de purs artifices. Ils confèrent aux problèmes sociaux une dimension territorialisée qui préside à un traitement décisionnel lui-même territorialisé. Par ce biais, les élus choisissent de donner une visibilité plus ou moins grande aux problèmes : très souvent, ils ne donnent à voir le problème que pour légitimer la décision qui l’accompagne. La dramatisation ne vaut que comme préalable à l’action. Les statistiques d’insécurité routière seront communiquées au moment du lancement d’un nouveau plan de circulation, l’exiguïté de la bibliothèque municipale ne sera déplorée publiquement que pour justifier les travaux d’agrandissement, etc.
21Il ne faudrait certes pas exagérer cette maîtrise de l’agenda politique local : une catastrophe naturelle peut surgir, l’opposition peut soulever un problème, les journalistes locaux peuvent donner à certaines situations une visibilité inédite, ou bien encore des mouvements sociaux peuvent émerger (parents d’élèves hostiles à une fermeture de classe, habitants mécontents d’une construction qui dégrade leur environnement…). La compétence des maires n’est pas nécessairement avérée sur ces dossiers donnant lieu à mobilisation, peu importe. Si la mobilisation est locale, si le problème est perçu comme local, le maire devra s’impliquer, fût-ce en jouant le médiateur avec un décideur extérieur (rectorat d’Académie, chef d’entreprise…).
22Il ne faudrait pas non plus surestimer l’autonomie des agendas municipaux les uns par rapport aux autres. D’une ville à l’autre, ils évoluent parallèlement : les problèmes d’environnement ont surgi partout au même moment, les diagnostics alarmistes sur l’atonie de la démocratie locale ou sur la « petite » délinquance de même. La politisation de l’illétrisme, de l’insécurité routière, de l’esthétique des entrées de villes, obéit à des logiques nationales et non simplement locales. Chaque maire est pris dans ces logiques globales de production d’un agenda municipal nationalement standardisé.
23Le plus souvent toutefois, ce sont bien les élus qui font exister publiquement les problèmes sociaux. Il leur est possible de taire des situations sur lesquelles ils n’ont pas prise, en les abandonnant au non-dit ou à la non-décision. Échec scolaire, déclin du petit commerce, nuisances sonores seront par exemple relégués dans l’infra-politique (problèmes personnels relevant de la vie privée), ou bien seront déterritorialisés : les tendances lourdes des sociétés modernes sont implicitement jugées hors de portée des élus locaux.
24Les maires ajustent enfin l’agenda municipal à leur posture décisionnelle en refusant de se laisser enfermer dans une conception réactive de leur rôle : ils vont au devant des besoins et des attentes en équipant, en aménageant, en anticipant. Ils ne s’encombrent guère des délimitations juridiques de compétences, par exemple en matière d’environnement. L’idéologie du projet se marque dans la volonté affichée de construire une cité irréductible aux attentes exprimées ici et maintenant. De la sorte les élus occupent le terrain. La maîtrise de l’agenda politique local ne se réduit pas au travail sur les « problèmes à résoudre ». L’agenda des dossiers et des chantiers se substitue à celui des problèmes, la politique de l’offre à celle de la demande. Il arrive ainsi que les demandes sociales émergent au fil du processus décisionnel, et donc sous le contrôle des « décideurs »17. D’où la prégnance des cycles électoraux en matière décisionnelle : les maires font en sorte d’inaugurer un maximum d’équipements avant l’échéance électorale, ce qui n’est d’ailleurs pas sans conséquence sur l’évolution des budgets d’investissement (Hoffmann-Martinot et Nevers, 1985). Cela démontre leur marge de manœuvre au moins en terme de calendrier.
25La seconde stratégie est le développement d’une symbolique de l’orchestration de l’activité décisionnelle locale. Les maires s’efforcent de faire tenir ensemble ce que la gouvernance éparpille. Les multiples initiatives sectorielles, coups ponctuels plus souvent que stratégies programmées, résultats d’un rapport de force provisoire plus souvent qu’expression d’un projet d’ensemble, sont rhétoriquement ramassées en une image, un slogan, un mot d’ordre. La fortune des schémas directeurs, projets de ville et autres projets urbains18 s’explique en partie de la sorte. La rhétorique de la planification stratégique accrédite la croyance en une autorité municipale capable de faire la ville19. D’où le renouvellement déjà évoqué de l’image des maires, plus soucieux aujourd’hui d’efficacité que de légalité (Grémion et Muller, 1990), plus entrepreneurs que gestionnaires. La gouvernance se donne à voir comme gouvernement local : « la mairie des grandes villes constitue un point de repère stable, un lieu où s’élabore un discours cohérent et modernisateur » (Rangeon, 1996).
26Concrètement, cette prétention déborde la simple rhétorique, sans quoi la symbolique de l’orchestration tournerait à vide : les élus cherchent de fait à s’investir dans tous les secteurs de la vie locale, à prendre en charge tous les dossiers significatifs. La pratique du saupoudrage en matière de financement des associations est révélatrice de cette attitude. Un maire doit pouvoir démontrer qu’il soutient toutes les activités sportives, toutes les initiatives culturelles, toutes les actions en matière sociale.
27La troisième stratégie consiste à occuper le terrain décisionnel en développant des actions symboliques. Observatoire de l’Environnement, Plans municipaux d’environnement, charte d’écologie urbaine, service environnement au sein de l’organigramme municipal, maison de l’environnement : cette institutionnalisation du secteur « environnement » permet non seulement de clientéliser des militants écologistes mais aussi de donner à voir un volontarisme sincère dans un contexte en réalité marqué par l’impuissance20. Symbolique aussi la participation d’élus à des actions collectives lorsque la décision leur échappe : référendum contre un projet autoroutier, adhésion à une association d’opposition à un tracé TGV, mobilisation face à une marée noire… Ces initiatives ne parviennent jamais à faire oublier complètement la pénurie de ressources décisionnelles lourdes (compétences juridiques, moyens budgétaires, capacité d’expertise). Au moins permettent-elles aux élus de sauver la face (décisionnelle) sur des dossiers où ils ne sont pas à leur avantage.
28La dernière stratégie prend la forme d’un discours massif d’auto-imputation (Le Bart, 1992). Les maires mettent systématiquement en avant la part qu’ils ont prise dans tel ou tel dossier, accréditant l’idée selon laquelle leur pouvoir décisionnel serait central. Ils donnent à leurs initiatives une publicité parfois bruyante qui tranche avec la discrétion de certains autres acteurs (fonctionnaires locaux ou étatiques, chefs d’entreprise, associations…). Parce qu’ils bénéficient d’un droit d’accès privilégié aux médias locaux (presse municipale par définition, presse quotidienne régionale de fait), les maires occupent la scène décisionnelle locale et apparaissent sinon comme des décideurs souverains, au moins comme les chefs d’orchestre de la vie publique locale. Le rôle d’élu s’analyse alors moins par référence au souci de vraiment emporter la décision dans les multiples négociations locales que par référence à la volonté d’occuper le terrain, d’occuper tous les terrains où il se passe quelque chose d’imputable. Une entreprise crée des emplois, les données du recensement sont favorables, l’équipe de basket accède à la première division, des associations de parents d’élèves se mobilisent : un maire habile parviendra à se faire une place sur chacun de ces dossiers, en donnant à l’événement une forte visibilité, en subventionnant, en offrant les services de l’administration municipale, en mettant à disposition des locaux, en délivrant des autorisations, ou tout simplement en les intégrant au discours municipal. Ce dernier est marqué par une rhétorique très patrimoniale : le maire, locuteur personnalisé, y parle d’acteurs qu’il donne l’impression de contrôler, de décisions qu’il donne l’impression d’avoir prises, d’équipements qu’il donne l’impression d’avoir produits seul, et d’événements qu’il donne l’impression d’avoir programmés. Les associations sont ses partenaires, l’ouverture d’une classe supplémentaire a été obtenue grâce à ses démarches, la salle de spectacle est son affaire, tout comme la réussite d’un festival.
29Le bilan de ces évolutions est particulièrement difficile à établir. Il ne s’agit certes pas de ressusciter la querelle entre tenants d’une approche décisionnelle (qui, dans la lignée d’un Robert Dahl, s’efforcerait de mesurer la part prise effectivement par les élus dans les processus décisionnels), et défenseurs de l’approche réputationnelle (pour qui, après Floyd Hunter, le pouvoir est corrélé à la réputation de détenir du pouvoir) : cette opposition est réductrice, elle méconnaît que la réputation d’avoir du pouvoir est ressource effective de pouvoir. Les analyses précédentes peuvent néanmoins nourrir une critique du modèle de la gouvernance urbaine : en décortiquant les méandres complexes des boîtes noires décisionnelles, ce modèle surestime le poids social d’une réalité qui, parce qu’elle est méconnue des citoyens, pèse peu sur leurs perceptions du pouvoir local. Il n’y a pas d’un côté la réalité d’un pouvoir émietté et de l’autre l’illusion d’un pouvoir politique souverain : il y a, au carrefour des deux, des rapports de force entre acteurs pour partie aussi inspirés par ces illusions. Autrement dit, la symbolique municipale n’est pas seulement réductrice, elle constitue aussi un discours performatif efficace sur lequel le maire peut s’appuyer pour jouer son rôle de décideur, quitte à faire illusion.
30Comment conclure ? Dilution du politique ou bien leadership notabiliaire renouvelé ? Dominique Lorrain (1993) considère les mairies urbaines comme « les grands gagnants de la décentralisation ». Jean-Pierre Gaudin hésite : « les municipalités semblent tantôt des géants dans leur travail d’auto-promotion, tantôt des nains dans leur marge de manœuvre face aux entrepreneurs » (Gaudin, 1993, p. 67). Patrick Le Galès (1995) reconnaît qu’à utiliser trop hâtivement le concept de gouvernance, « on court le risque de banaliser les autorités locales élues ». En même temps il écrit : « La présidentialisation du pouvoir du maire est désormais battue en brèche par la complexité de la société urbaine et la fragmentation du gouvernement de la ville ». De son côté, Pierre Mazet insiste sur la capacité des maires à tirer leur épingle d’un jeu de concertation généralisée qui assoit leur autorité de médiateurs21. Conclusion proche chez Olivier Borraz qui souligne ce paradoxe : « Le politique est au cœur des processus de fragmentation de l’action publique »22. De même encore Marion Paoletti, pour qui les logiques de gouvernance « ne sont pas contradictoires avec cette autre fonction plus proprement politique fondée sur un politique constructeur de sens, sur la représentation et sur les représentations »23.
3. Mesurer le pouvoir des maires : does politics matter ?
31L’évaluation du pouvoir des maires n’est pas simplement une question théorique pour politistes. Elle intéresse directement les élus, nécessairement soucieux, dans le contexte de gouvernance déjà décrit, de mesurer leur capacité à agir sur la société. Au confluent d’une exigence démocratique et d’une exigence technocratique, les pratiques d’évaluation se sont développées rapidement ces dernières années. Aide à la décision pour le décideur, l’évaluation doit aussi, idéalement, enrichir l’information dont dispose le citoyen, contribuable ou électeur. En pratique toutefois, les pratiques d’évaluation demeurent embryonnaires : les maires résistent pour d’évidentes raisons politiques à confier celle-ci à une instance réellement indépendante. En outre, l’exercice d’évaluation se révèle infiniment plus complexe (et coûteux) que ses promoteurs n’avaient pu l’espérer. Cherche-t-on à savoir si une politique est parvenue à atteindre ses objectifs, ou si les moyens mis en œuvre sont à la hauteur des résultats ? Sauf à s’enfermer dans les politiques strictement techniques, que faire lorsque plusieurs finalités sont poursuivies en même temps ? Comment par exemple évaluer l’impact d’un festival ? Faut-il interroger les commerçants du centre-ville pour mesurer ses effets économiques immédiats ? L’opinion publique régionale pour repérer un infléchissement de l’image de la ville-festivalière ? La satisfaction des spectateurs ? Le sentiment collectif d’avoir participé à une grande fête réussie ?
32Ces remarques ne discréditent pas l’évaluation dans son principe : elles visent simplement à jeter la suspicion sur des formes hâtives et politiquement suspectes d’autoévaluation. Instrumentalisée pour des raisons au mieux techniques, au pire politiques, l’évaluation ne sous renseigne guère, en l’état actuel des choses, sur les marges de manœuvre réelles des maires. Début 2002, la Cour des Comptes avait par exemple beau jeu de fustiger l’absence d’évaluation de la politique de la ville. Les objectifs en sont si nombreux que toute évaluation est a priori impossible. Cette action publique a perdu en lisibilité à mesure que s’accumulaient des dispositifs multiples relevant de logiques sectorielles éclatées. Les indicateurs s’empilent (taux de chômage, échec scolaire, image du quartier, statistiques de petite délinquance, activisme associatif…). Et les rapporteurs de plaider pour « des objectifs concrets assortis de calendriers d’action et de résultats ». Face au constat de la persistance des difficultés rencontrées par un quartier, comment savoir, comme le dit la Cour des Comptes, « si l’évolution aurait été plus défavorable sans cette politique » ?24
33Une autre orientation de recherche est possible pour mesurer le pouvoir des maires, qui consiste à comparer l’action municipale d’une commune à l’autre. Sur un point au moins, il existe ici une tradition de recherche solide, concernant la couleur politique des municipalités. Dans une perspective qui n’était pas dénuée d’arrière-pensées politiques, certains travaux d’inspiration marxiste s’étaient efforcés de démontrer qu’il n’y avait pas de différence fondamentale entre une gestion socialiste, une gestion démocrate-chrétienne et une gestion conservatrice. Ils soulignaient « la faible marge de manœuvre locale et le poids des déterminismes économiques et politiques globaux » (Lojkine, 1980). Le pouvoir municipal n’existant guère, la question de la variable politique était réglée a priori et une fois pour toutes. Le socialisme municipal, et avec lui la prétention à faire du social pour déjouer la domination économique, était renvoyé au rang des illusions et des chimères. Chercheurs et militants étaient invités à ne pas sombrer dans « le piège du municipalisme », « alors que les niveaux supérieurs de l’appareil d’État et l’ensemble des pratiques politiques de classe y représentent une source de détermination autrement plus précise » (Castells et Godard, 1974).
34Un parti pris trop normatif inspirait ces recherches. D’autres travaux, plus soucieux d’évaluation empirique25, portent un jugement plus nuancé sur le socialisme municipal26. L’histoire de ce courant est marquée par la victoire originelle, fin 19e, d’un socialisme pragmatique (« possibiliste » derrière Paul Brousse) sur l’intransigeance d’un Jules Guesdes ne concevant de victoire politique qu’à l’échelle de l’État. En même temps que s’impose l’idée d’expérimentation localisée, la voie est ouverte au municipalisme, rendu possible par quelques conquêtes électorales (en 1896, Lille, Roubaix, Dijon). Les nouveaux élus, malgré un statut précaire (certains, ouvriers, seront sèchement licenciés), ne renient pas leur classe sociale d’origine : le soutien aux grévistes devient un marqueur politique systématique. Ce marqueur masque cependant l’indigence d’une action trop souvent improvisée (le conseil municipal de Saint-Denis élu en 1892 se répand en violentes prises de position contre le gouvernement). Au fil des années pourtant, l’action municipale se structure : augmentation des salaires des employés municipaux, dépenses d’assistance, soupe populaire, financement de cours d’anglais dans les écoles… Après la Grande Guerre, la municipalité SFIO de Saint-Denis ouvre de nouveaux chantiers, s’inspirant d’un programme national : cantines, aides aux femmes enceintes, colonies de vacances… Le surendettement engendre des conflits avec la préfecture (Brunet, 1981).
35À Roubaix, premier centre textile français, les socialistes arrachent en 1892 la municipalité à un patronat jouant la carte de la gestion « bon père de famille ». Les nouveaux élus politisent la vie municipale et confèrent aux acteurs politiques une centralité que la droite, privilégiant l’autorité socio-économique du patronat, leur refusait. Les nouveaux élus sont ouvriers ou, à l’image du maire Henri Carrette, cabaretiers. Condamnés au pragmatisme, ils utilisent les ressources de la loi de 1884, développent cantines, crèches et sanatorium, mais se heurtent au veto préfectoral, par exemple lorsqu’ils ouvrent une pharmacie municipale. Népotisme et embourgeoisement n’entament pas la popularité d’un maire qui refuse de se faire appeler « monsieur le maire », mais qui s’efforce aussi d’apparaître comme compétent27.
36Le socialisme municipal évoluera souvent entre les deux guerres en un réformisme prudent : juridiquement la tutelle administrative est tatillonne, voire hostile (le conseil d’État interdit, on l’a dit, la pratique des services municipaux à objet commercial, boulangeries ou boucheries municipales), politiquement les socialistes ne peuvent souvent faire l’économie d’alliances avec plus modérés qu’eux (les radicaux), socialement les élus d’origine populaire manquent d’audace et sont soucieux d’apparaître comme de bons gestionnaires. Ce qui n’empêche pas une réelle capacité d’innovation dans certains domaines : aide sociale (aux chômeurs, aux grévistes, aux personnes âgées, aux femmes enceintes, aux malades), logement, santé publique, hygiène (bains-douches, adductions d’eau), aide à l’enfance (crèches, colonies de vacances), éducation (bibliothèques), équipements sportifs, urbanisme (cités-jardins). Le bilan du socialisme municipal, l’exemple de Villeurbanne (Meuret, 1982) le montre bien, n’est donc pas mince.
37Les mairies communistes s’opposent frontalement à l’État : le maire de Saint-Denis est révoqué pour avoir appelé à la grève lors du conflit marocain (1925) (Brunet, 1981). Celui d’Halluin, cité rouge du Nord, toujours aux côtés des ouvriers en grève, entretient une relation conflictuelle avec la police locale (Hastings, 1991). Malgré un contexte budgétaire difficile (les communes sortent de la guerre très endettées), les dépenses sociales croissent et entraînent une augmentation des masses budgétaires et de la fiscalité. Halluin se transforme : nouvelles écoles, égouts, hospice… Le souci d’élargir la clientèle électorale peut engendrer des conflits avec le parti (faut-il aider les familles nombreuses ?), et en sens inverse des concessions à l’égard des adversaires (l’église par exemple) mais la ligne politique demeure ferme, comme en témoigne après 1918 le refus très symbolique de subventionner un monument aux morts. Au-delà du terrain des politiques publiques, le communisme municipal se définit aussi par une structuration originale de la société locale : la section y pèse souvent aussi lourd que la mairie.
38C’est aussi ce qu’Annie Fourcaut observe à Bobigny, au cœur de la banlieue rouge. Dans un contexte sociologique favorable, la gauche accède au pouvoir en 1919. Les reclassements qui suivent le Congrès de Tour aboutisse à un positionnement PC incarné par celui qui sera réélu maire jusqu’en 1935, Jean-Marie Clamamus. L’hégémonie communiste se marque dans l’ancrage ouvriériste systématique (aux dépens des autres groupes sociaux, maraîchers et commerçants) et dans l’emprise sur la société civile via une multitude d’associations satellites. L’interventionnisme municipal, ici comme ailleurs, demeure cantonné à quelques secteurs-clés (hygiène, logement, enfance, culture), sans que l’action symbolique soit négligée (soutien y compris financier aux républicains espagnols).Clamamus, figure locale extrêmement populaire, expert-comptable dans une usine de charbonnage, deviendra député puis sénateur. Il est une personnalité importante du parti, même si les premiers rôles lui sont inaccessibles : il y demeure cantonné à quelques registres techniques (finances locales, logement) (Fourcaut, 1986).
39Après guerre, le socialisme municipal n’est plus qu’un souvenir, il a cédé la place à un réformisme Troisième Force prudent. Les alliances avec les communistes sont délaissées au profit d’alliances avec les centristes. C’est le cas à Nantes (Petaux, 1982) où André Morice réunit autour de lui en 1965 des radicaux, des socialistes de la SFIO et des indépendants, en s’opposant à la fois aux gaullistes et aux communistes. Un tel glissement à droite fera le jeu d’une nouvelle génération socialiste qui prendra la relève en 1977, derrière Alain Chenard. Ce dernier incarne avec d’autres maires socialistes (Edmond Hervé à Rennes par exemple) une possible rupture, une possible différenciation partisane. Mais là encore les contraintes de réalité limiteront le changement. Le refus, politiquement très parlant dans le contexte nantais, d’entériner le consensus antérieur avec les écoles privées provoque un conflit difficile. Le chantier de la démocratie locale est effectivement ouvert, tout comme ceux de la modernisation de l’appareil municipal ou de la communication. L’agenda municipal s’en trouve bouleversé. Ces ruptures, à la fois symboliques et riches d’effets de réalité, renvoient bien à une offre politique différenciée, celle de la gauche des années 70. On les retrouve, peu ou prou, dans les autres villes conquises. Elles ne doivent pas faire oublier les lignes de continuité : une certaine tendance à la dépolitisation gestionnaire, la priorité accordée au développement économique, etc. La variable générationnelle écrase progressivement la variable politique.
40Ces monographies qualitatives décrivent avec précision l’action municipale dans un contexte politique typé. Mais ne risque-t-on pas, en les évoquant successivement, d’oublier ce que les villes étudiées pouvaient avoir d’exceptionnel ? D’autres chercheurs s’efforceront alors de mesurer l’effet de la variable partisane en utilisant, sur des échantillons aussi larges que possible, des indicateurs quantitatifs : le poids de l’administration communale, le niveau d’équipement28, le volume des dépenses municipales ou la propension à privatiser les services municipaux29. Les singularités observées sont plus souvent liées à la morphologie urbaine qu’à la couleur politique. Ainsi, le poids paradoxal de l’administration communale dans les mairies UDF s’explique par leur fréquent statut de villes-centres. Les chefs-lieux des départements ruraux que sont souvent les villes UDF se doivent de fournir des services à l’échelle d’un département et non d’une seule commune. À l’inverse les maires communistes, par exemple en banlieue parisienne, bénéficient des économies d’échelle que rend possible la présence de la capitale. Le niveau d’équipement dépend également de la capacité contributive des communes, et donc de leur environnement industriel. Certains élus, dont la commune accueille le siège social d’une grosse entreprise, sont de ce point de vue en situation très privilégiée. Est-ce à dire que la variable couleur politique, une fois isolée, ne compte plus ? C’est presque ce que suggérait José Kobielski au terme d’une recherche sur les budgets des communes urbaines au milieu des années 1970. Difficile là encore de conclure avec certitude ! Ces analyses quantitatives ne sont pas sans poser des problèmes méthodologiques. Les chercheurs doivent se contenter d’indicateurs grossiers : un même niveau d’investissement n’exclut pas une forte différenciation quant au contenu des choix effectués…
41La conquête de trois municipalités par le Front National en 1995 (Toulon, Orange et Marignane) puis en 1997 celle de Vitrolles, permet d’actualiser la réflexion sur le caractère plus ou moins déterminant de l’étiquette politique. La vigueur extrême du discours de rupture tenu par cette formation politique a fait des quatre sites en question d’authentiques laboratoires permettant de mesurer l’étendue des marges de manœuvre dont bénéficie un maire décidé à faire autrement. Deux conclusions semblent s’imposer ici. La première tient dans l’incapacité de ces nouveaux maires à effectivement régler les problèmes, en particulier au niveau économique. Plusieurs signes vont même dans le sens d’un alignement sur les pratiques ordinaires, d’où les relations difficiles (puis pour certains la rupture) avec le leader du FN : financement du sport professionnel, augmentation des impôts locaux, subventionnement après interruption des « restos du cœur »…. La seconde conclusion tient dans la force symbolique de pratiques visant à maintenir l’illusion d’une autre politique. Des vexations symboliques très lourdes sont par exemple infligées aux populations immigrées ou aux adversaires politiques, très loin des vrais problèmes des citoyens : suppression des repas sans porc à la cantine, contrôle tatillon des ouvrages commandés à la bibliothèque municipale, allocation municipale de naissance pour les seuls parents européens… C’est sur le terrain des subventions aux associations que s’exprime le plus volontiers cette volonté de marquer la rupture. À l’initiative des nouveaux élus ou de leurs proches, de nouvelles associations émergent aux noms provocateurs (« comité Clovis », « Fraternité Française », « Culture-en-Provence »…), qui monopolisent les subventions municipales aux dépens des structures existantes (centre culturel « Mosaïque », mission locale, « Orange prévention accueil réinsertion », ATD Quart-Monde…). Symboliques encore les changements de noms de rue (une « place Mandela » devient « place de Provence ») et même de ville (Vitrolles devient Vitrolles-en-Provence). Les pratiques d’embauche municipale elles-mêmes obéissent à des considérations symboliques : les entrants sont des policiers municipaux, les sortants des cibles prévisibles de l’extrême-droite (professionnels de la culture et du social). La généralisation des pratiques de clientélisme et de népotisme (conjoints et enfants d’élus sont systématiquement propulsés à la tête d’associations-satellites) démontre que la rupture s’analyse moins en terme d’action publique alternative qu’en terme de prise de possession de la ville.
42Il conviendrait ici de distinguer entre ceux des maires d’extrême-droite qui jouent la carte de la notabilité locale classique en s’efforçant de convaincre au-delà de la clientèle du Front National (par exemple parce qu’ils n’ont bénéficié que d’une majorité relative qu’il leur faut élargir s’ils veulent rester au pouvoir) et ceux qui, comme Catherine Mégret à Vitrolles, cherchent l’affrontement avec des adversaires à qui seront systématiquement attribués les blocages : le Tribunal Administratif condamne pour voie de fait la municipalité lorsque celle-ci ferme le centre culturel « le Sous-Marin », annule les subventions aux associations lorsqu’il constate une violation du principe d’égalité (ainsi l’association « Fraternité Française »), annule l’allocation municipale de naissance, tandis que le tribunal correctionnel condamne l’adjoint qui en fait la publicité dans la presse municipale pour « délit de provocation à la discrimination ». Le maire, en criant à la censure des juges, entend faire la preuve qu’il est empêché d’agir.
43Les contraintes budgétaires et juridiques, le pouvoir uniformisant de l’appareil d’État, l’imposition par les experts de normes d’action, la relative standardisation des attentes des citoyens, ont à toutes les époques limité les marges de manœuvre des élus. « La marge de liberté dont disposent les maires est restreinte et ne permet qu’une faible différenciation » (Garraud, 1989, p. 145). Ceux-ci doivent faire avec une morphologie communale qui délimite souvent étroitement leur capacité d’action. Évolutions démographiques, économiques, sociologiques, environnement local, régional, national, international… Le maire n’est certes pas simple spectateur, mais il ne peut décréter ces variables. Son travail décisionnel s’apparente plus à un bricolage sur le tas qu’à qu’une planification stratégique30. Chaque nouvel élu compose avec un déjà-là imposant : dossiers engagés, niveau d’endettement, machine municipale… Il lui est difficile de résister aux modèles d’action en circulation au moment où il accède au pouvoir : la standardisation croissante des politiques locales s’explique aussi par la vitesse de circulation de ces modèles. L’innovation se diffuse très vite (presse professionnelle, mobilité des cadres territoriaux) et devient la norme (exemple de la communication). Le maire communiste du Mans, pour se contenter de cet exemple, aligne progressivement sa politique culturelle sur les standards en vigueur (valorisation de l’image et promotion économique), au détriment de conceptions initiales plus situées politiquement (valorisation des associations et de la démocratie locale) (Collin, 1994). Droite et gauche peuvent proposer des offres politiques différenciées, les pratiques évoluent dans le sens d’un rapprochement : les maires de gauche ne craignent plus de parler sécurité31, ceux de droite ont intégré les attentes en matière de démocratie locale. Les élus, contraints à s’aligner et à faire avec, sont alors tentés de sur-investir le registre symbolique, pour faire exister à tout prix de possibles singularités, personnelles ou partisanes. Cette « symbolique du changement »32 ne doit pas abuser le chercheur. Elle attire pourtant le regard lorsqu’elle prend une dimension spectaculaire : lorsqu’un maire refuse d’accueillir le président de la République en déplacement, appelle au boycott d’une entreprise privée qui licencie ailleurs que dans sa commune (affaire Danone, avril 2001) ou même refuse d’organiser sur sa commune un référendum national, le message de défiance est à la fois très médiatique et très politique. Il ne suffit pas, toutefois, à démontrer la capacité de l’élu à agir efficacement et différentiellement.
44La volonté affichée de changement est particulièrement prégnante en tout début de mandat, lorsque les nouveaux élus veulent marquer la rupture par rapport à l’équipe précédente. Ils ont alors tendance à sur-investir le symbolique : ainsi Bertrand Delanoë à Paris réformant immédiatement la procédure d’attribution des logements HLM, et instaurant presque sans consultation des voies piétonnes. Et ce, dans un contexte où la prise en charge des dossiers lourds se fait nécessairement avec difficulté.
45L’évaluation du pouvoir décisionnel des maires est obscurcie à la fois par la symbolique du changement et par les discours d’imputation déjà évoqués. Il ne suffit pas, en effet, de constater que tel mandat coïncide avec telle transformation de la commune : encore faut-il mesurer la part prise par l’élu à ces changements. Isoler le municipal du local, et même pourquoi pas ce qui, au sein du municipal, revient au maire personnellement, est un travail redoutable qui ne peut s’effectuer qu’à contre-courant des tendances spontanées à l’imputation au politique.
§ 2. Rassembler
46Le maire ne saurait se contenter d’un rôle de décideur : il est aussi l’incarnation d’un territoire fragile et à bien des égards artificiel, le territoire communal. Sa contribution à l’intégration sociale prend des formes multiples, mais toujours il s’agit pour lui de gommer les clivages internes à la commune pour ne faire exister que le groupe communautaire des habitants de la commune. Construction sociale du territoire et construction sociale de cette communauté sont inséparables, car la commune n’existe que par référence à l’un et l’autre. Le maire n’a pas la tâche facile : les sociétés modernes développent des interdépendances de moins en moins territorialisées, la thématique du voisinage spatial tend à devenir seconde, la proximité sociale est de moins en moins corrélée à la proximité territoriale. Quel est l’avenir de la commune dans ce contexte ? Pour se contenter d’une illustration, il a fallu aux maires successifs de Villeurbanne une grande énergie pour faire exister leur cité à l’ombre de la métropole lyonnaise : l’ancrage ouvrier et la singularité d’une ambition socialiste ont permis de mobiliser avec succès contre les divers projets d’annexion (Meuret, 1982). Le temps est bien dépassé où la commune pouvait être théorisée comme prolongement naturel de la famille, comme espace citoyen premier, comme territoire allant de soi.
47Face à un espace artificiellement borné et face à une population artificiellement délimitée, le maire doit construire un territoire et une communauté. Il doit offrir une identité territorialisée dans un contexte où deviennent dominantes les identités sectorielles et culturelles. Pourtant, l’attachement déjà évoqué des Français (mais il faudrait savoir lesquels) à l’échelon communal et à la personne du maire comme figure d’autorité démontre que le pari du rassemblement est largement gagné. L’identité communale résiste, peut-être même l’accélération des progrès technologiques synonymes de déterritorialisation, par les craintes qu’elle inspire, conforte-t-elle paradoxalement ce qui s’apparenterait alors à une nostalgie communale ?
48Tout aussi paradoxalement, le maire est à bien des égards complice de la fragilisation de l’identité communale, ainsi lorsqu’il agit selon les logiques de gouvernance déjà décrites. L’intercommunalité, par exemple, contredit l’entreprise de construction du territoire communal. L’élu doit à la fois dépasser le cadre communal pour agir efficacement, et préserver symboliquement celui-ci (Gerbaux, 1999). En pratique, les maires utilisent l’intercommunalité pour « améliorer l’efficacité de leur action », ils saisissent l’aubaine que constituent les incitations financières, mais sans pour autant légitimer l’échelon intercommunal en tant que tel33. Le territoire de la représentation politique tend à se déconnecter du territoire de l’action publique (Abélès, 1988). Le territoire intercommunal, autrement dit, n’existe pas comme territoire identitaire, de même que l’élu intercommunal, toujours aussi élu d’une commune, n’existe pas comme autorité distincte. On comprend que les maires, par associations d’élus interposées, résistent à l’instauration du suffrage universel pour désigner les élus intercommunaux. Parce que leur sort est lié à celui de l’échelon communal, parce qu’ils savent que c’est l’élu du suffrage universel qui fait le territoire, les maires ont bien compris que leur intérêt était d’occuper le terrain intercommunal. Ils abordent la fiscalité intercommunale par référence à un calcul coûts-avantages à l’échelle de leur commune ; ils veillent à garder la main sur les politiques « qui les relient directement à leurs concitoyens » (Michel, 1999) ; ils se battent pour que les équipements intercommunaux attrayants soient localisés sur le territoire de leur commune ; en bref, ils ne s’engagent dans l’aventure intercommunale que s’ils ont le sentiment qu’elle ne menacera pas la commune dont ils défendent les intérêts. Le droit de l’intercommunalité n’est pas pour eux une contrainte, mais une ressource plastique qu’ils travaillent à leur convenance. Sauf exception donc, le dossier intercommunal permet aux maires, en milieu rural particulièrement, de conforter leur position de médiateurs. Ils sont délégués de leur commune, suivent les dossiers, et renforcent ainsi leur autorité en interne (Moquay, 1998). On est tenté de conclure que le moment n’est pas encore venu où l’intercommunalité fragilisera le couple maire-commune.
49La construction symbolique du territoire communal ne peut-elle se faire qu’aux dépens des territoires concurrents ? Le territoire communal exclut le territoire intercommunal, leur proximité induit une rivalité directe, il n’y a pas de place pour les deux. En revanche, la construction symbolique de la commune s’est révélée historiquement compatible avec celle du territoire national. On sait le rôle que les maires ont joué dans la diffusion des idées républicaines. L’ambivalence est ici de rigueur : le maire est à la fois le représentant de la commune et celui de l’État, de même la mairie. Le territoire communal n’est donc pas un isolat : il est construit par référence à un ensemble plus vaste, l’État-nation (Mabileau, 1985).
50Il convient, pour donner consistance aux hypothèses précédentes, de s’interroger sur les atouts dont dispose un maire pour transformer en authentique communauté ce qui ne serait souvent qu’un agrégat d’individus ne partageant qu’un même espace, c’est-à-dire peu de choses en soi. Le rôle de maire exige de ses titulaires qu’ils déploient une symbolique du rassemblement sans fausse note, symbolique immédiatement perceptible dans le fait que le maire parle au nom de la commune, qu’il prend la parole depuis la commune, et qu’il parle de la commune. Comme tout élu, le maire donne une consistance d’abord rhétorique à la collectivité politique qui l’a désigné. Sa prétention à être le détenteur légitime d’un authentique pouvoir politique s’adosse à la fiction d’une communauté réelle, presque naturelle, allant de soi. La construction symbolique de la commune, territoire et communauté, est donc pour le titulaire de la fonction de maire une nécessité première : sa propre légitimité en dépend. Représentés et représentants se retrouvent finalement dans une même symbolique politique municipale : aux premiers, elle confère une identité sécurisante, aux seconds une indispensable légitimité.
51De ce fait, il n’est pas absurde d’analyser par exemple la compétition électorale comme l’affrontement entre des prétentions différenciées à qualifier la commune, la caractériser, lui conférer une identité. En milieu rural, cet enjeu identitaire conduit même à une certaine indifférence par rapport aux actions publiques proprement dites, de toutes façons contraintes et prévisibles (Le Guirriec, 1994). Bon nombre de spécialistes soulignent ce paradoxe propre aux communes rurales : la déterritorialisation des interdépendances économiques prive les élus de réel pouvoir, mais le travail identitaire y est plus que jamais nécessaire. La mairie, « dernier témoignage d’une identité collective à jamais perdue » (Bages et alii, 1976) ? Diagnostic sévère, qu’il faudrait sans doute réviser à la faveur d’évolutions récentes. Mais diagnostic juste en ce qu’il met l’accent sur la dimension identitaire du rôle d’élu.
52Deux leviers d’action sont ici à disposition des maires pour inventer le territoire communal : la communication et la concertation avec les citoyens. Loin de souligner les divergences d’intérêt et d’opinion qui marquent les sociétés locales au même titre que n’importe quelle société, ces deux piliers de la démocratie locale sont en effet largement instrumentalisés. Le souci de construire la communauté engendre une crainte des divisions qui bloque l’expression du pluralisme.
1. La communication au service de l’intégration : les dispositifs de totémisation
53Les rituels municipaux articulent symbolique décisionnelle, on l’a dit, et symbolique communautaire : discours face aux anciens combattants, scrutin municipal, cérémonies des vœux, réunions de quartier, vin d’honneur, signatures médiatisées de contrats, inaugurations diverses constituent certes des événements sectoriels dont les publics seront (au moins en partie) sociologiquement typés. Mais l’élu s’efforcera toujours d’en accréditer une lecture plus territoriale que sectorielle, faisant exister la catégorie des concitoyens, personnalisant la commune au point d’en faire un quasi sujet agissant, gommant systématiquement les identités sociales au profit des seuls ancrages territoriaux. La signature d’un contrat avec un partenaire extérieur (État, autre commune…), de fait souvent synonyme d’éclatement décisionnel du cadre communal, sera par exemple mise en scène de façon à faire exister la commune comme sujet de droit, voire comme entité souveraine (de Maillard, 2000).
54Le discours constitue bien sûr l’élément central de la construction sociale du territoire et du groupe communal. La pratique des journaux municipaux, telle qu’elle se développe depuis maintenant plusieurs décennies, le démontre aisément34. L’intrusion des nouvelles technologies de communication (radios locales, câble, sites internet) n’a rien changé de fondamental35. La volonté de montrer des élus agissant efficacement se conjugue à celle de mettre en scène une communauté valorisante et soudée : les affrontements et antagonismes sociaux sont éludés au profit d’une rhétorique du nous très englobante (et sociologiquement très peu regardante). L’opposition entre centre-ville et périphéries, que l’on sait politiquement très significative en milieu urbain, s’adoucit au fil de cette presse : le centre-ville devient la chose de tous, un lieu de consommation et de loisirs ouvert (ce qu’il n’est évidemment pas en réalité). De façon plus offensive, la presse municipale s’efforce de rassembler la collectivité de ses citoyens-lecteurs autour d’un certain nombre de symboles positifs que l’on pourrait, par emprunt à Durkheim, qualifier de totems. Ces totems sont souvent matériels : tel élément de patrimoine historique (château, église…), naturel (rivière, plage…), ou emprunté au décor urbain (mairie, usine, rue principale, place, gare…), telle figure célèbre d’hier (écrivain, homme d’État…) ou d’aujourd’hui (sportif, homme politique…), telle spécialité culinaire ou artisanale… Les totems sont aussi immatériels : le nom de la commune, son histoire par exemple. Il s’agira moins ici de dresser une liste exhaustive que de décrire le processus de totémisation, quelle qu’en soit la cible. La totémisation est la transformation d’un objet sectoriel en symbole territorial ; cette mutation, qui s’analyse aussi comme passage du profane au sacré, suppose une possible appropriation de l’objet par tous les habitants de la commune, y compris les plus éloignés du secteur d’origine de l’objet. Un écrivain n’est totémisable que s’il peut être redéfini comme écrivain local, y compris bien sûr par ceux qui ne l’ont pas lu. Cela suppose que soit désamorcée la coupure symbolique entre lecteurs et non-lecteurs, c’est-à-dire souvent entre diplômés et non diplômés. La totémisation, ainsi définie, déborde le bulletin municipal, elle inspire de multiples politiques locales qui sont autant de productions symboliques (organisation d’expositions, activités à destination des écoles, etc.). La mode des fêtes médiévales par exemple peut s’analyser par référence au souci de permettre une appropriation par le plus grand nombre du patrimoine historique, et ce en puisant dans un imaginaire médiéval qui transcende les classes sociales. Ces formes culturelles de totémisation permettent d’enrôler des experts (historiens, animateurs du patrimoine…) dans une entreprise qui réconcilie souci d’agir (politique culturelle, politique d’image) et devoir d’intégrer. Logiques de gouvernance et identité locale, alors, s’alimentent mutuellement36.
55Le totem marche s’il est suffisamment ambivalent pour parler à tous : une salle omnisports peut flatter les habitants d’une petite commune, y compris ceux qui ne pratiquent aucun sport ; un moyen de transport d’avant-garde technologique peut devenir totem bien au-delà de sa froide fonctionnalité, une mine désaffectée peut solliciter y compris la mémoire de ceux qui n’y sont jamais descendus. Les équipements publics, certains des exemples précédents le suggèrent, peuvent constituer d’excellents totems ; le maire fait alors d’une pierre deux coups, il légitime ces équipements (et donc son action) en même temps qu’il agrège la population de ses usagers (réels ou même simplement potentiels) en une véritable communauté politique.
56Totémiser suppose donc que soient désamorcées toutes les possibles appropriations non territoriales : peintre pour seuls initiés, patrimoine pour seuls érudits, équipement pour seuls usagers. À l’inverse, le totem fonctionnera d’autant mieux qu’il permettra de durcir la frontière entre la commune et le reste du monde, ce qui n’est pas toujours compatible avec sa fonction d’argument de communication externe (le patrimoine doit attirer au dehors en même temps que rassembler au-dedans). Mais l’identité locale se construit précisément dans cette dialectique du eux et du nous : c’est face au touriste que l’habitant endosse le plus volontiers une identité locale.
57Les totems permettent aux élus de construire un nous moins artificiel qu’il n’y paraît. Grâce à eux, le maire peut interpeller les lecteurs du bulletin municipal en tant qu’usagers des mêmes équipements municipaux, contribuables d’une même collectivité locale, amoureux d’un même paysage, citoyens d’une même cité37. La presse municipale transforme une communauté de lecteurs très artificielle (étant donné le mode de distribution des bulletins, gratuitement livrés à domicile, le terme de lecteur est même souvent usurpé) en communauté socio-politique. Elle socialise ses lecteurs, leur prodigue des conseils, s’efforce de donner de la réalité locale une vision positive : au fil de cette information-miroir, l’agrégat des individus-lecteurs tend à se transformer en communauté de citoyens (Le Bart, 1995). L’évolution constatée de cette presse, d’abord cantonnée dans l’information strictement municipale (les décisions prises en conseil, les chantiers, les services municipaux…), aujourd’hui ouverte sur l’ensemble de l’actualité locale (associations, entreprises, actualité culturelle et sportive…), ne s’analyse que superficiellement comme dessaisissement des élus et comme concession à la gouvernance. En s’ouvrant sur l’ensemble des dimensions de la vie locale, dès lors évidemment que celles-ci présentent un caractère positif, la presse municipale étend le champ d’imputation au profit du maire (plus que jamais animateur et chef d’orchestre de la vie locale) et construit un nous ambitieux au sein duquel le clivage entre élus et citoyens perd toute visibilité. On ne sait plus ce qui est municipal et ce qui ne l’est pas. Le maire et sa population ne font plus qu’un.
58Il resterait bien sûr à s’interroger sur l’efficacité réelle de cette entreprise de rassemblement : les enquêtes montrent que la presse municipale est beaucoup lue38, attendue même parfois, et qu’elle répond à ce qui s’apparente à un besoin. Son succès autorise un diagnostic en terme de fonction identitaire, bien au-delà donc de la simple fonction d’information. Mais on sait trop peu de choses des modalités et des effets de cette lecture : lecture consciencieuse et scolaire du bon citoyen ? Lecture intéressée et sélective de l’usager en quête d’informations utiles (programmes culturels, fiscalité locale, horaires d’été de la piscine municipale…) ? Lecture oblique de l’opposant politique qui ironise sur la-propagande-de-monsieur-le-maire ? La rhétorique de rassemblement, pour performative qu’elle se veuille, peut aussi tomber à plat…
59Il est un totem particulier qui mérite attention : c’est le bâtiment mairie. Dans chaque commune, la mairie est un lieu de mémoire et un symbole identitaire (Agulhon, 1997). Les maires républicains eurent à cœur, les premiers, d’en construire de belles, monumentales, centrales, imposantes. Souvent inexistante faute de moyen (le domicile du maire en tiendra lieu), souvent écrasée par ces autres lieux de pouvoir que sont l’église ou le château, souvent fondue avec l’école des garçons, la mairie acquiert progressivement son autonomie symbolique comme lieu d’enregistrement des naissances et des décès, comme lieu d’accomplissement des mariages et de conservation des archives. L’évolution architecturale n’est pas neutre, par exemple le déclin d’une monumentalité classique et la valorisation contemporaine de la transparence. La mairie symbolise certes l’État autant que la commune ; elle fait néanmoins figure de totem territorial de première importance.
60Peut ainsi être considérée comme totem, outre le bulletin municipal lui-même (accessible à tous, fédérateur), la personne du maire. L’invariable rhétorique de rassemblement doit faire oublier tous les ancrages du titulaire de la fonction39. Dans son rôle, monsieur le maire n’a plus ni origine sociale, ni position sociale, ni situation professionnelle, ni quartier de prédilection, ni préférences d’aucune sorte : il aime tous les sports, toutes les activités culturelles, il arpente tous les quartiers… Cette neutralité conditionne sa prétention à incarner complètement le territoire, à être le maire de tous40. Le centrement de la symbolique municipale sur la personne du maire, que révèle par exemple l’analyse des photographies de presse (municipale ou non), remplit alors deux fonctions : construire une communauté de citoyens autour d’une figure habilitée à incarner le territoire, mettre en scène l’élu comme décideur efficace. Stratégie politique et fonctionnalité identitaire coïncident. Il en résulte une perception très personnalisée du pouvoir municipal : « noms de villes et noms de maires se conjuguent en une seule et même représentation mentale »41.
61La dépolitisation, parce qu’elle permet la rhétorique du rassemblement, s’impose-t-elle pour autant à tous les élus ? En certaines circonstances, d’aucuns ont pu faire d’un label partisan un totem. La parti communiste hier, le Front National plus récemment, ont emprunté la voie qui consiste à faire d’une idéologie partisane le ciment qui fait tenir la collectivité. Mais même lorsque les conditions socio-économiques rendent possible cette assimilation (ville ouvrière), même lorsque la conjoncture nationale s’y prête (vague socialiste en 1977), l’entreprise se heurte à des résistances locales. La mairie doit alors tolérer sur son territoire des adversaires, quitte à faire de la lutte contre ceux-ci, assimilés à une minorité non représentative, un nouveau totem mobilisateur. Lorsqu’ils prennent le pouvoir en 1919, les futurs communistes d’Halluin ont à cœur de construire une société locale à partir de valeurs politiques : le parti est omniprésent, il inspire une constellation d’associations politisées qui déploient leur action dans tous les secteurs de la vie sociale : sport, musique, anciens combattants, fêtes locales… Identité territoriale et identité politique fusionnent totalement. Le vote exprime un ancrage territorial autant qu’une préférence partisane. Les luttes politiques (contre le patronat, contre l’État) entretiennent cette culture politique de l’isolat menacé (Hastings, 1991).
62Plus souvent bien sûr, le choix est fait de dépolitiser l’action publique, quitte à réviser les slogans électoraux : le socialisme municipal tourne à la célébration des valeurs républicaines ou du développement économique, la volonté de rupture avec le socialisme vire à la très œcuménique posture entrepreneuriale… Cela ne suffit pas à faire disparaître le marquage politique, utile pour d’autres raisons : mais celui-ci doit trouver à s’exprimer dans les termes qui sont ceux du rassemblement autour de l’intérêt local collectif42. Lorsque le souci d’être « le maire de tous les habitants » prédomine, il peut entraîner des reniements idéologiques qui agaceront les militants : mais les partis, sauf exception là encore, sont rarement en situation de contrôler leurs élus locaux (Garraud, 1989). En milieu rural, où ils jouent un rôle très marginal, l’apolitisme est, plus évidemment encore, la norme43. La politique, entendue comme ce qui divise, y est officiellement tabou.
63Alors même que le métier de décideur oblige en permanence à effectuer des choix, donc à arbitrer entre des intérêts, à hiérarchiser des attentes, les maires s’efforcent de masquer les clivages sociaux corrélés à ces intérêts derrière des mots d’ordre œcuméniques et censément rassembleurs : développement local, modernité, projet urbain, désenclavement, développement économique, autant de figures localisées d’un intérêt général supposé opposable à tous et au service de tous. L’ambiguïté de ces slogans-totems désamorce les amertumes qui pourraient naître du caractère sectoriel (et sociologiquement situé) des mesures prises. Un programme culturel ambitieux et coûteux sera décrit non par référence à son étroite clientèle objective (la bourgeoisie culturelle) mais comme outil de promotion de la ville, promotion profitable in fine à tous. Le succès contemporain des politiques d’image n’est pas à chercher ailleurs. Le référentiel image de la ville s’impose d’autant plus aisément qu’il est pour les élus un moyen de requalifier en politique de développement économique (autrement dit de légitimer) des mesures sectorielles parfois fragiles. Dire que la construction d’un métro permettra à une ville de parachever son image de modernité, que le financement d’une salle de spectacle surdimensionnée ou le subventionnement d’une équipe de football professionnelle en garantira la notoriété, c’est finalement redéfinir le public des bénéficiaires de la décision : non plus le public sectoriel des usagers du métro, des amateurs de spectacles ou de football, mais l’ensemble de la population qui a intérêt au développement de sa ville, donc à sa notoriété. L’image de la cité devient alors totem, chacun doit l’assumer, la défendre au besoin. Le combat pour figurer en bonne place sur les palmarès classant les villes où-il-fait-bon-vivre, (ou étudier, ou passer sa retraite, etc.) devient cause commune à l’ensemble des acteurs locaux44.
64Ici encore, pratiques de gouvernance et rhétorique de rassemblement s’ajustent mieux qu’on aurait pu le croire : les élus font exister la ville comme acteur (Padioleau, 1991), et s’érigent en chefs d’orchestre de l’entité ainsi inventée. Le statut de sujet conféré à « Rennes », « Lille » ou « Nice » ne menace pas la personnalisation du pouvoir local. Par métonymie implicite, la ville-acteur n’a pas d’autre visage que celui de son maire.
65Rassembler et agir, outre qu’ils sont l’un et l’autre au principe du leadership politique, ne constituent donc pas deux logiques d’action incompatibles : les équipements municipaux font ainsi d’excellents totems, la génération des maires-bâtisseurs a su jouer sur le double registre de la fonctionnalité sectorielle et de l’identité communale45. D’où sans doute, aujourd’hui encore, le souci des élus de « laisser une trace », de mener une action qui « consolide l’identité de la commune » (Abélès, 1985). Traces visibles à travers la transformation du paysage urbain, traces mnésiques à travers des événements marquants (festivals, fêtes, événements sportifs).
66Le souci de rassembler est enfin visible dans le travail de terrain accompli par les élus. L’invocation incantatoire de la proximité n’a pas d’autre fonction que la mise en scène d’une parfaite adéquation maire-population-territoire. Ce triangle symbolique n’avait pas vraiment été mis en cause par le maire-cumulant intercesseur des années 70, qui pourtant passait plus de temps à Paris que dans sa commune. Ne se battait-il pas pour sa ville ? Les évolutions récentes, consacrant le maire comme animateur, ont conforté l’obsession de la proximité. Les maires mobilisent à l’envi les catégories de la vie quotidienne, du concret, du terrain… La figure du maire ne peut rassembler que s’il sait troquer son profil de technocrate-décideur contre celui d’enfant du pays, capable de boire un coup, d’esquisser un pas de danse, de participer à un karaoké ou d’applaudir un match de football. L’élu est aussi celui qui mobilise la mémoire locale, âge d’or ou épisodes sombres. Les politiques culturelles visant à mettre en valeur le patrimoine permettent de conjuguer logique d’action et logique de rassemblement. En tant que politiques publiques, elles favorisent le développement touristique et donc le développement économique ; en tant que symboliques, elles permettent de doter le territoire d’une histoire, de racines, d’une identité. L’Histoire sera au besoin réécrite pour s’ajuster aux exigences contemporaines : la municipalité communiste de Martigues célèbre un Charles Maurras enfant du pays, provençal, et très accessoirement idéologue de l’extrême-droite. De même préférera-ton célébrer le Larzac apaisé des templiers que celui des luttes antinucléaires des années 70 (Bensa et Fabre, 2001). Certains maires ne craignent pas d’invoquer (d’inventer) une mentalité locale, quand ce n’est pas un tempérament local, fruit improbable d’une histoire et d’une géographie forcément singulières. Ainsi à Roubaix (Lefebvre, 1997). Accent régional, bonhomie, rondeur, simplicité, les registres de présentation de soi imprégnés de populisme débordent la seule catégorie des élus de gauche. L’obligation de « faire proche » s’impose aux énarques conservateurs d’origine bourgeoise comme aux maires socialistes d’origine modeste ; elle s’impose de même aux parachutés, qui devront rattraper le temps perdu et se travestir en enfants d’un pays où ils n’auront peut-être jamais mis les pieds auparavant.
67On aura compris que la construction symbolique du territoire était une entreprise multiforme qui dépassait très largement le cadre des journaux municipaux. C’est bien le rôle de maire dans sa globalité qui est contraint par cette logique, depuis la présentation de soi d’un candidat en campagne jusqu’aux interactions ordinaires qui font le quotidien de monsieur ou madame le maire. Sur ce point, il importe de rappeler que le maire n’est pas un acteur isolé. Plus intéressé sans doute que quiconque à faire exister la commune, il peut tout de même disposer d’alliés bien au-delà des frontières de l’organisation mairie. Les responsables d’une chambre de commerce, le président d’une université, l’organisateur d’un festival, sont aussi, chacun dans son secteur, des entrepreneurs de territoire. Eux aussi ont besoin de faire exister le territoire pour construire leurs stratégies (sectorielles). Les réseaux de gouvernance naissent souvent de cette solidarité objective. Mentionnons aussi les journalistes locaux, qui donnent au territoire communal une consistance quotidienne. L’opposition entre localiers de la presse indépendante et journalistes municipaux n’est pas insignifiante : mais les uns comme les autres ont partie liée au territoire local. Les relations entre élus et localiers sont plus souvent des relations de connivence que d’affrontement. L’intérêt commun bien compris à diffuser une vision positive du territoire local, à échanger loyalement les informations, conduit à ne pas exagérer le clivage entre PQR et presse municipale. L’analyse vaut pour les télévisions locales46 : la mise en scène de l’identité locale gomme les affrontements sociopolitiques.
2. La concertation instrumentalisée : la mise en scène de l’espace public local
68Le souci de faire exister le territoire communal, la population communale, et de se faire exister soi-même en tant qu’incarnant l’un et l’autre, conduit les maires à instrumentaliser la concertation. Des deux dimensions théoriquement attachées à celle-ci, expression des divergences d’intérêt et expression d’un consensus autour des procédures permettant de surmonter ces divergences, la seconde éclipse largement la première. Les maires tirent profit d’une concertation qui active la croyance en un espace public local démocratique, sans pour autant assumer les coûts de l’affrontement entre intérêts divergeants. D’où la tentation de faire exister une population communale unanime et un intérêt local unidimensionnel. La politique s’éclipse au profit d’un idéal gestionnaire supposé plus fédérateur. Rituellement, tout nouveau maire s’empresse de se déclarer l’élu de tous, comme s’il s’agissait de refermer au plus vite la fracture intra-communautaire que l’élection avait fait naître.
69La volonté de légitimer les décisions par référence à la communauté globale des citoyens se manifeste par exemple dans les usages faits du référendum local. Expérimentées dans les années 1900, interdites par le Conseil d’État en 1905, réintroduites à la marge en 1971 (dans le contexte particulier des fusions de communes), finalement explicitement autorisées depuis la loi du 6-2-1992, les consultations locales auraient pu permettre une gestion rationalisée des divergences d’intérêt à l’échelon local. D’autant que la loi ne donne à cette procédure qu’un statut de consultation : le conseil demeure souverain. Force est de constater que l’usage contredit cette ambition : les consultations, certes en nombre croissant, ne sont pas utilisées pour arbitrer les débats qui diviseraient lourdement la communauté des citoyens. Elles sont un outil entre les mains du maire (il en a de fait l’initiative47) pour réactiver le consensus local, aux dépens souvent d’une minorité bruyante (Paoletti, 1997). Car les mobilisations locales, à l’inverse de ce qui se passait il y a quelques décennies, se développent aujourd’hui plus souvent pour empêcher un projet municipal que pour le réclamer. D’où la tentation chez les élus de faire exister les publics virtuellement favorables au projet en question pour marginaliser ces quelques adversaires, eux très visibles48. Les opposants minoritaires à un projet (par exemple les habitants vivant à proximité d’un équipement industriel créateur d’emplois) se voient ainsi relégués symboliquement hors de la communauté consensuelle des habitants favorables au projet. De la sorte ce dernier gagne en légitimité, de même le maire, pour qui le référendum est alors « un multiplicateur de légitimité »49. La manifestation d’un large consensus, symboliquement riche d’effets identitaires, renvoie donc aussi aux stratégies politiques de légitimation. On comprend dans ces conditions que les associations, court-circuitées par cette procédure, n’aient jamais été très enthousiastes face à la libéralisation de la pratique référendaire.
70Il arrive aussi que le référendum soit utilisé, en toute illégalité cette fois (la loi prévoit en effet qu’il doit porter sur « les affaires de la compétence de la commune ») pour manifester l’hostilité de la commune toute entière face à un projet imposé de l’extérieur (tracé ferroviaire ou autoroutier, installations EDF, projet intercommunal…). Ainsi le maire de Chamonix a-t-il organisé en août 2001 un référendum sur l’opportunité d’autoriser les poids lourds à emprunter le tunnel du Mont-Blanc. Le tribunal administratif de Grenoble annule, les élus persistent. Interdit en principe, ce type de scénario concerne pourtant un tiers des consultations locales. Le référendum est alors une ressource que le maire utilisera, même contre la loi, pour s’opposer plus efficacement50. Lorsque la cible du mécontentement est l’État, la solidarité historique entre la commune et ce dernier se fissure : c’est le cas quand un maire refuse, au risque d’être révoqué, d’organiser une consultation nationale sur sa commune pour protester contre la fermeture d’une maternité dans son hôpital, contre un projet d’enfouissement de déchets, ou contre un tracé autoroutier51.
71Selon l’étude de Marion Paoletti (qui porte sur 57 cas), un quart seulement des consultations locales voient se dégager une minorité de plus d’un tiers des votants. Dans tous les autres cas, le vote manifeste un large consensus. Tout se passe comme si les maires ne prenaient le risque de solliciter l’avis de leurs concitoyens que lorsqu’ils sont à peu près certains de l’issue favorable de la consultation, et d’un taux de participation significatif. « Les référendums de crise sont minoritaires… Les référendums ont lieu dans la quasi-totalité des cas dans des contextes apaisés et neutralisés » (Paoletti, 1997, p 98). Ils obéissent à une logique communautaire : le chiffre de participation est souvent plus attendu que le résultat proprement dit. « Dans la quasi-totalité des cas, le vote va dans le sens souhaité par le maire » (Paoletti, 1996). Autre donnée significative : les consultations ont plus souvent lieu dans des petites communes que là où il existe une opposition capable d’activer les clivages politiques.
72La tension entre posture décisionnelle et posture de rassemblement ne peut toutefois pas toujours être euphémisée. Il y a bien des moments où la décision arbitre entre des intérêts divergents. La place accordée aux opposants, que ce soit les élus minoritaires du conseil municipal ou les adversaires mobilisés contre un projet, témoigne de cette tension. La tentation est forte pour le maire de feindre d’ignorer ces adversaires, et de ne rien faire pour leur conférer la moindre visibilité. Lorsque le droit de parole leur est concédé (page « opposition » dans les bulletins par exemple), les maires ont tendance à les disqualifier a priori, le plus souvent en leur prêtant des positionnements (politiciens, carriéristes, idéologiques) qui excluent symboliquement ces opposants de la communauté des citoyens de la commune. La compétition politique gêne la rhétorique du rassemblement, elle menace le cercle de la représentation qui fait tenir ensemble un territoire, une population, un maire. Ce cercle profite à l’élu, qui y gagne la légitimité, il ne fait pas problème aux citoyens, à qui il procure identité et intégration sociale : le rôle d’opposant ne s’en trouve pas facilité. S’opposer, c’est immédiatement faire éclater le consensus. D’où, au sein des conseils municipaux ruraux par exemple, la fréquence des décisions à l’unanimité (Becquart-Leclercq, 1976). La démocratie locale ne sort pas grandie de cet enfermement circulaire qui obstrue l’espace public. La symbolique de l’incarnation dont usent les maires n’est pas favorable aux débats sereins et profanes entre porteurs d’intérêts divergents.
73C’est encore ce qu’illustre l’histoire des comités de quartier. Initialement construit, dès les années 20, puis surtout dans les années 70, comme lieux de résistance à l’action municipale (par exemple à des projets immobiliers), ces associations se sont progressivement vu aspirer par les municipalités, jusqu’à devenir des instruments de gouvernance à disposition des élus (exemple des dispositifs Habitat et Vie Sociale en 1977). Structures-relais, les comités de quartier s’inscrivent aujourd’hui davantage dans une logique descendante (des élus vers les habitants) que dans une logique ascendante (des habitants vers les élus). Leur capacité mobilisatrice face aux élus sont faibles, au mieux ils font remonter les inquiétudes et les attentes de la base ; en revanche, ils peuvent relayer la parole de la municipalité, assurer la gestion d’un équipement de quartier (MJC, centre social), accomplir des arbitrages budgétaires (enveloppes de quartier), accompagner les dispositifs DSQ (développement social des quartiers). Leur contribution à l’intégration sociale par l’organisation de fêtes, d’événements culturels, ou par la diffusion d’une presse de quartier, prolonge plus qu’elle ne concurrence le travail des élus. Le quartier, comme territoire ainsi construit, ne menace pas la commune : ces deux territoires s’emboîtent d’autant mieux que l’équipe municipale se décline elle-même en élus de quartiers, ou que l’administration municipale se déconcentre en mairies de quartiers. Tout concourt donc à faire des comités de quartiers des médiateurs qui ne menacent en rien la prétention du maire à gérer et à rassembler. De plus, le déclin global de l’activisme associatif isole les comités de quartiers de leur supposée base : il leur reste alors à se tourner vers la municipalité (qui les subventionne) pour trouver une place et un rôle52.
74Autant donc les élus éprouvent des difficultés à assumer le caractère nécessairement pluriel, voire antagoniste, des intérêts localement en présence, autant ils n’ignorent rien du bénéfice politique qu’ils peuvent tirer d’une concertation aussi large que possible avec les habitants. Rassembler autour d’un processus décisionnel est un idéal difficile à atteindre en pratique, tant les intérêts sociaux sont divers : c’est toutefois ce à quoi prétendent les procédures de concertation. Comités consultatifs, commissions extra-municipales, commissions consultatives des services publics, conseils de quartiers, réunions de quartier, enquêtes d’opinion, et même enquêtes publiques, sont pour les maires (qu’ils devancent la concertation ou qu’elle leur soit imposée, comme dans le dernier cas, par la législation53) autant d’occasions de mettre en scène la délibération démocratique, ce qui permet tout à la fois de légitimer la décision et donc le décideur, et de faire exister la communauté citoyenne. En matière de DSQ, par exemple, « les élus mettent en place des structures de concertation essentiellement pour se conformer à la norme de l’État central distributeur de crédits » (M. Blanc, 1988). Le consensus sur la procédure ferait presque oublier les désaccords de fond, d’autant que la concertation fait elle-même l’objet de mise en scène. On risque d’assister aux mêmes dérives s’agissant des conseils de quartiers instaurés par la loi du 27 février 2002. Obligatoires au-delà de 80 000 habitants, facultatifs en deçà, éventuellement couplés avec la désignation d’adjoints de quartiers, ils sont laissés à l’appréciation du conseil municipal quant à leur composition et leur fonctionnement et n’ont de toute façon qu’un rôle consultatif.
75La politique de la ville s’est accompagnée de la mise en place d’un grand nombre de structures de dialogue avec les habitants des quartiers défavorisés. Très souvent, la proximité inter-individuelle, rendue possible par une occupation obsessionnelle du terrain, ou par la montée en puissance du référentiel « habitant » (au singulier), tient lieu de concertation, aux dépens de l’affrontement politique avec les groupes d’intérêt. L’opinion consultée est atomisée. La concertation flirte alors avec le contrôle social, quand ce n’est pas la surveillance (exemple des agents de voisinage). Elle peut certes contribuer à inverser la représentation que les habitants se font de leur quartier : mais là encore, la démocratie locale est sacrifiée à l’identité territoriale54. En matière d’enquête publique, on assiste à la même logique d’atomisation de l’opinion publique locale. Même si certains citoyens savent monter en généralité en empruntant à la rhétorique de l’intérêt général, le travail des commissaires enquêteurs, peu liés par les avis exprimés, s’apparente plus à une « mise en scène de l’intérêt général » qu’à une reconnaissance du pluralisme des intérêts. Il est rare que l’enquête publique conduise les commissaires enquêteurs à donner un avis défavorable au projet donnant lieu à enquête55.
76La symbolique du rassemblement fonctionne car elle répond aux attentes des citoyens. Elle est d’abord vecteur d’intégration territoriale, elle s’analyse comme offre identitaire valorisante, par référence à un territoire de proximité, la commune, doté de toutes les apparences de l’immédiateté. Elle remplit une autre fonction psychosociale en sublimant la passivité des habitants, en transformant en consentement citoyen ce qui n’est souvent qu’indifférence. La confiance dans la personne du maire, on l’oublie trop souvent, a pour corollaire une indifférence avérée aux affaires locales. Les maires s’en accommodent : s’ils regrettent ponctuellement de ne parfois bénéficier d’aucun relais auprès de tel groupe (les jeunes de telle cité, la communauté maghrébine…), s’ils vont même à l’occasion jusqu’à susciter ces relais, c’est le plus souvent pour leur plus grand confort décisionnel qu’ils gèrent les dossiers sans vraiment consulter. Le présidentialisme municipal y trouve son compte, qu’un vague discours de rassemblement ou d’intérêt général viendra recouvrir d’un vernis démocratique. Les maires ne font rien pour encourager l’implication des citoyens dans les processus décisionnels. Ils se satisfont de cette culture de « remise de soi » qui caractérise historiquement l’emprise notabiliaire sur le corps électoral. L’activisme local est le fait d’une minorité sociologiquement typée56. La démocratie locale est représentative plus que participative (Mabileau, 1994). Les maires souhaitent techniquement être au fait des attentes et des besoins, mais la démocratie directe est trop synonyme de querelle interne pour qu’ils s’y risquent au quotidien. La rhétorique de rassemblement affaiblit la démocratie locale. Pour le dire autrement : il n’y a pas d’espace public local comme il y a un espace public national.
77Il existe certes des contre-exemples liés à des pratiques innovantes : le maire socialiste du XXe arrondissement de Paris a pu, en 1995, expérimenter un dispositif de tirage au sort au sein de la population pour favoriser la participation à des conseils de quartiers ; et mettre sur pieds un Observatoire de la démocratie locale. Mais cet exemple se déroule dans un contexte particulier. Sa situation de simple maire d’arrondissement, qui plus est opposant politique à l’échelle de la capitale, ne fait pas de lui un maire comme les autres : les conseils auront plus souvent pour cible le maire de Paris que celui de l’arrondissement. En outre, même dans ce contexte, on trouve trace de la finalité précédente de mobilisation d’une communauté unanimitaire. Mobilisation d’autant plus volontariste que les territoires emboîtés ainsi construits (quartiers et arrondissement) n’existent qu’à l’ombre du territoire parisien global. Comme ailleurs, on puise dans un imaginaire typé, fêtes à l’appui, pour durcir ces nouveaux territoires. La communauté citoyenne ainsi forgée a aussi pour fonction de « court-circuiter des associations locales au pouvoir grandissant ». Les conseils de quartier sont largement contrôlés par le maire qui les préside, qui y nomme, et qui contrôle de fait l’ordre du jour. Les citoyens tirés au sort, souvent tentés par l’absentéisme, ne sont ni en majorité ni en position de force. Ils se voient imposer (et ils intériorisent) des normes très contraignantes : apolitisme, enfermement dans une rhétorique du témoignage, préservation du consensus, absence de pouvoir décisionnel…57
78Autre contre-exemple dont la portée demeure limitée : les expériences liées aux nouvelles technologies permettant l’interactivité (en particulier l’informatique) et mises au service de la démocratie locale. La célébration souvent spectaculaire de ces nouvelles technologies et du choix de les mettre à la portée de tous tourne à la totémisation la plus consensuelle ; quant aux expressions citoyennes, elles consistent plus souvent en demandes individuelles ponctuelles qu’en contributions critiques à la formulation de l’intérêt local. La cyber-démocratie locale est atomisée : les forums électroniques ne sont pas des espaces publics (Hermès, n ° 26-27, 2000).
79À l’échelon communal, les contre-pouvoirs font défaut, sauf dans les grandes villes où il existe une opposition structurée, politisée, souvent professionnalisée, qui peut jouer localement le jeu de la politique. Mais en dehors de cette configuration particulière, les dossiers restent confinés au sein d’un petit milieu décisionnel fermé. L’accès à l’information de tous les élus, facilité par la loi du 6-2-199258, reste trop souvent lettre morte. Les simples citoyens n’usent qu’exceptionnellement des possibilités d’information qui leur sont théoriquement concédées : procès-verbaux du conseil municipal, arrêtés municipaux et budgets n’intéressent qu’une minorité (Baguenard et Becet, 1995). D’où les dérives que l’on connaît : corruption d’élus, marchés publics truqués, clientélisme illégal, dépenses non surveillées, gestion approximative, surendettement incontrôlé… Ce n’est pas un hasard si ces dérapages sont plus souvent dénoncés par des acteurs extérieurs à la commune, les Chambres régionales des comptes par exemple, mieux armées que les tribunaux administratifs car autorisées à formuler des jugements d’opportunité et pas seulement de légalité.
80Les mobilisations locales existent pourtant. Les maires tentent de les transformer en revendication territoriale, ce qui suppose une cible extérieure à la commune. Alors peuvent-ils reformuler le consensus communal et se poser en leader de la mobilisation. La défense du territoire menacé reconstruit le triangle symbolique élu-territoire-communauté. Mais lorsque cette stratégie échoue, par exemple parce que la mobilisation porte directement sur une décision municipale, ou parce que le maire se range aux arguments des décideurs, celui-ci est en première ligne59. Entre 1965 et 1977, le développement des GAM (groupes d’action municipale) a fortement (mais provisoirement) activé la démocratie locale. Derrière ce sigle se marquait la montée en puissance de couches moyennes salariées et urbaines se satisfaisant mal du modèle notabiliaire de démocratie simplement représentative. L’aspiration autogestionnaire de participation au gouvernement urbain ne fut pas sans conséquences sur le scrutin de 1977, en particulier sur la nature de l’offre formulée par les listes de gauche. Le gouvernement Barre tenta de répondre à ces aspirations en institutionnalisant la participation locale, il se heurta au refus des élus locaux. Le thème de la participation ne resurgira que sous une forme domestiquée, par exemple dans le cadre de la politique de la ville (Paoletti, 1997).
81La démocratie locale a longtemps été mythifiée sur la base d’approximations hâtives : on a souvent confondu, après Tocqueville, proximité spatiale et proximité politique. La petitesse de l’échelon communal rend sans doute possible une relation d’élus à électeurs plus immédiate, car fondée sur une interconnaissance moins artificielle. Mais cette relation est à construire, elle n’est pas donnée a priori. Les discours naturalisant la démocratie locale, dite de proximité, pêchent par aveuglement. « Au plan institutionnel, écrit A. Mabileau, la démocratie locale reste toujours à la discrétion des élus, même si la transformation des rapports sociaux fait émerger sur l’agenda politique la participation des habitants aux décisions qui concernent la vie de la cité »60.
82Décider et agir, rassembler et incarner : ces deux contraintes de rôle correspondent aux attentes des citoyens désireux de se voir offrir une identité locale à même d’entretenir la croyance en un pouvoir proche, accessible, humain. Mais elles font aussi l’affaire des élus qui se forgent ainsi une image de décideurs efficaces et de totems rassembleurs. Un tel ajustement entre attentes psychosociales et stratégie politique favorise la stabilité, voire l’inertie, du système local. Il n’est pas pour autant nécessaire. Un maire peut ne pas convaincre qu’il fait des choses pour sa commune, ou bien ne pas être en mesure d’incarner celle-ci. De telles contraintes de rôle supposent donc un apprentissage sélectif. Comment devient-on maire ?
Notes de bas de page
1 D. Renard montre par exemple que les politiques sociales municipales n’ont pu émerger, à l’initiative des républicains sous la IIIe République, qu’au prix d’une lutte sévère contre les autorités religieuses locales dont ce secteur relevait traditionnellement (« Les politiques sociales municipales et leurs acteurs », in Dumons (B.) et Pollet (G.), 1999).
2 Dumons (B.) et Pollet (G.), « Espaces politiques et gouvernements municipaux dans la France de la Troisième République », Politix, 2001.
3 Sur la perception par les maires de l’action et de l’efficacité des groupes de pression, voir Balme (R.), « Des maires sous quelle influence ? », Politix, 1989.
4 Voir Gaudin (J.-P.), (dir.), 1996 ; et du même auteur : « L’espace public des politiques contractuelles », in François (B.) et Neveu (E.) (dir.), 1999. Voir aussi : Marcou (G.), Rangeon (F.) et Thiébault (J.-L.), 1997.
5 « Échange politique territorialisé et intégration européenne », in Balme (R.), Faure (A.) et Mabileau (A.) (dir.), 1999.
6 Pour une discussion du concept de gouvernance urbaine, voir : Lorrain (D.), « Administrer, gouverner, réguler », ARU, 1998. L’auteur insiste sur les risques d’une posture de recherche qui, se centrant sur les changements récents et spectaculaires, peut succomber au risque de ne plus voir la part de routine et de continuité qui caractérise les gouvernements urbains.
7 Voir : Daran (M.) : « L’action sociale des communes ou l’inégalité en développement », in Balme (R.), Faure (A.), et Mabileau (A.) (dir.), 1999. Et aussi : de Certaines (M.), « L’élu local face à l’exclusion sociale », in Fontaine (J.) et Le Bart (C.) (dir.), 1994.
8 Gerbaux (F.) et Muller (P.), « Les interventions économiques locales », Pouvoirs, 1995 ; Biarez (S.), « Repenser la sphère locale selon l’espace public », in François (B.) et Neveu (E.) (dir), 1999 ; Le Galès (1993) pour l’exemple de Rennes.
9 Balme (R.), « L’association dans la promotion du pouvoir municipal », in Mabileau (A.) et Sorbets (C.) (dir.), 1989.
10 L’OSCR finance environ 300 associations avec un budget municipal de plus de 2 millions de francs.
11 Saez (G.), « Villes et culture : un gouvernement par la coopération », Pouvoirs, 1995 ; pour l’exemple de Rennes, voir : Vion (A.) et Le Galès (P.), 1998 ; et Huet (A.), 1996.
12 Voir aussi : Ganne, 1985.
13 Maury (Y.), « La négociation des contrats de Ville : le cas du Languedoc-Roussillon », in Gaudin (J.-P.) (dir.), 1996 ; Donzelot (J.) et Estèbe (P.), « Réévaluer la politique de la ville », in Balme (R.), Faure (A.), Mabileau (A.) (dir), 1999.
14 Donzelot et Estèbe, art. cit.
15 Voir : Platerier (A.), « Contrat et politiques publiques : l’exemple des contrats de ville en Picardie », in Marcou (G.), Rangeon (F.) et Thiébault (J.-L.) (dir.), 1997.
16 Jacquemart (S.) et Rangeon (F.), « Contrats et démocratie locale », in Marcou (G.), Rangeon (F.) et Thiébault (J.-L.), 1997.
17 Novarina (G.), « La construction des demandes sociales par le projet d’urbanisme », ARU, 1998.
18 Hayot et Sauvage, 2000 ; Gerbaux, 1999 ; Pinson, 2002 et 2003. Voir par exemple, chez ce dernier auteur, l’analyse du projet Euroméditerranée à Marseille.
19 Padioleau et Demesteere, 1991 ; Padioleau, 1991
20 Valarié (P.) et Djouldem (M.), « Les politiques publiques d’environnement : de la science militante à l’écologie urbaine » in Gaudin (J.-P.) (dir.), 1996.
21 « Politiques urbaines et société locale : la démocratie révélée », in Biarez (S.) et Nevers (J.-Y.) (dir.), 1993.
22 « Pour une sociologie des dynamiques de l’action publique locale », in Balme (R.), Faure (A.) et Mabileau (A.) (dir), 1999.
23 « La démocratie locale française : spécificités et alignement », in CURAPP-CRAPS, 1999.
24 Libération, 26-2-2002.
25 J.-P. Brunet (1981) étudie par exemple systématiquement les budgets municipaux et établit des comparaisons entre la commune qu’il étudie (Daint-Denis) et d’autres communes semblables pour faire ressortir la singularité du socialisme municipal.
26 Lefèbvre, 1999 ; Meuret, 1982.
27 Lefebvre (R.), « “Le conseil des buveurs de bière” de Roubaix (1892-1902) », Politix, 2001.
28 Dans son étude sur 82 petites villes du nord, Jeanne Becquart-Leclercq note que, toutes choses égales par ailleurs, « les communes de gauche seraient plutôt mieux équipées que les communes de droite » (1976, p. 66).
29 Kobielski, 1978 ; Lorrain (D.), « Parler vrai ou produire juste », Politix, 1989.
30 Olivier Nay (1994) montre par exemple comment le choix, par le maire de Montpellier Georges Frêche, d’une politique novatrice en matière de communication s’explique paradoxalement par son absence de ressources politiques « classiques ».
31 Embauche de policiers municipaux, vidéo-surveillance, couvre-feu pour mineurs n’émanent plus, loin s’en faut, des seuls maires de droite. Ce qui n’empêche pas une forte différenciation symbolique entre deux camps qui s’accusent mutuellement d’être « laxiste » ou « liberticide ».
32 Marie (J.-L.), « La symbolique du changement », in Mabileau (A.) et Sorbets (C.) (dir.), 1989.
33 Demaye (P.), « La recherche de la démocratie intercommunale », in CURAPP-CRAPS, 1999.
34 Dauvin (P.), « Le bulletin municipal de Rennes, souci du lecteur ou de l’électeur ? », Mots, 1990 ; Le Bart (C.), « Les bulletins municipaux : une contribution ambiguë à la démocratie locale », Hermès, n° 26-27, 2000.
35 Hermès, n° 26-27, 2000. Voir par exemple le travail d’E. Maigret et L. Monnoyer-Smith sur le conseil municipal télévisé à Issy-les-Moulineaux.
36 Exemple du Pays cathare analysé par W. Genieys : « Le développement local face à l’État. La genèse du “Pays cathare” », in Balme (R.), Faure (A.), et Mabileau (A.) (dir.), 1999.
37 Quitte à jouer sur plusieurs identités. Le Paris de Jacques Chirac, surchargé en lieux de mémoire qui sont autant de totems, est selon le contexte une capitale internationale, une ville de tradition républicaine, un village, la cité libérée par le général de Gaulle, le-Paris-de-toujours, etc. (Haegel, 1994).
38 Voir les résultats d’une enquête sur la lecture des journaux municipaux dans : La Gazette des communes, 16-10-2000.
39 Voir l’analyse par F. Haegel (1994) de la stratégie chiraquienne d’apparaître comme un maire « comme les autres ».
40 Choisit-il un positionnement plus typé, tel le maire de l’île de Batz déclarant abruptement : « nous les marins… », qu’il voit se dresser contre lui ceux qui ne se reconnaissent pas dans cette imposition identitaire. Dans l’exemple précédent, les agriculteurs manifestent à la mairie, ravivant la querelle propre à cette île entre marins et agriculteurs, les premiers insulaires et plutôt de gauche, les seconds continentaux et plutôt de droite (Le Guirriec, 1994).
41 Chevalier (D.), « La politique urbaine, domaine réservée du maire », ARU, 1998.
42 En luttant localement contre le Front National non pas en lui refusant une salle mais en organisant une manifestation de rue, Catherine Trautmann, en 1997, cumulait les profits d’un positionnement politique et ceux d’un rassemblement très large.
43 Briquet (J.-L.), « Les amis de mes amis… Registres de la mobilisation politique dans la Corse rurale », Mots, 1990.
44 Le Bart (C.), « Les politiques d’image : entre marketing territorial et identité locale », in Balme (R.), Faure (A.) et Mabileau (A.) (dir.), 1999.
45 « L’opération Antigone a forgé une mémoire commune », note J. de Maillard à propos de l’urbanisme montpelliérain. De même à Pessac, ville « sans centre-ville », ville qui « n’existe pas », mais que les élus inventent à force d’inaugurations, de publicité, d’actions (« De la difficile consolidation des leaderships urbains », Sciences de la société, n° 53, 2001).
46 Le Guern (P.) et Leroux (P.), « Les limites de l’espace public médiatisé : l’exemple d’une télévision locale », Hermès, 2000.
47 Les opposants au sein du conseil municipal, sauf à réunir un tiers du conseil (la moitié dans les communes de moins de 3 500 habitants) ne peuvent même espérer demander à celui-ci l’organisation d’un référendum. Plus intéressant : une loi de 1995 autorise l’initiative populaire, dans des conditions assez restrictives il est vrai. Il faut qu’un cinquième des électeurs inscrits demande le référendum. Encore le conseil garde-t-il dans tous les cas le pouvoir de refuser l’organisation de la consultation.
48 Exemple du référendum organisé en 1983 par A. Carrignon (pour ou contre le tramway) afin d’imposer la décision à une majorité municipale réticente.
49 Paoletti (M.), « La pratique politique du référendum local : une exception banalisée », in CURAPP-CRAPS, 1999
50 De même certains maires utilisent la procédure d’enquête publique pour activer l’expression d’un mécontentement face à un projet qu’ils combattent.
51 Libération, 14-9-2000
52 Gontcharoff (G.), « Le renouveau des comités de quartier », in CURAPP-CRAPS, 1999 ; Rangeon (F.), « Les comités de quartier, instruments de démocratie locale ? », ibid.
53 Loi de 1983 réformant les enquêtes publiques, loi de 1985 obligeant les maires à consulter la population avant de modifier le POS, loi de 1991 posant la même obligation pour les opérations d’aménagements modifiant substantiellement les conditions de vie des habitants… (Marcou (G.), « La démocratie locale en France, aspects juridiques », in CURAPP-CRAPS, 1999). À chaque fois les conditions concrètes de la consultation sont laissées à l’appréciation des élus.
54 Mazet (P.), « Participation des habitants et politiques publiques délibératives : pour une approche critique de la démocratie locale », in Neveu (C.) (dir), 1999.
55 Blatrix (C.), « Le maire, le commissaire enquêteur et leur public. La pratique politique de l’enquête publique », in CURAPP-CRAPS, 1999.
56 Quantin (P.), « Une ville en France : qui participe ? », in Mabileau (A.) (dir.), 1987.
57 Blondiaux (L.) et Lévêque (S.), « La politique locale à l’épreuve de la démocratie : les formes paradoxales de la démocratie participative dans le XXe arrondissement de Paris », in Neveu (C.) (dir), 1999 ; Blondiaux (L.), « Représenter, délibérer ou gouverner ? Les assises politiques fragiles de la démocratie participative de quartier », in CURAPP-CRAPS, 1999 ; Blondiaux (L.), « La démocratie par le bas : prise de parole et délibération dans conseils de quartier du XXe arrondissement de Paris », Hermès, 2000.
58 « Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d’être informé des affaires de la commune qui feront l’objet d’une délibération ». La même loi impose la présence des élus minoritaires dans les commissions d’appel d’offres, les conseils d’administration de CCAS… pour lesquelles la désignation se fait désormais au scrutin proportionnel.
59 Garraud (P.), « La mobilisation politique locale en France : décisions controversées et mouvements protestataires », in Mabileau (A.) (dir.), 1987.
60 « À la recherche de la démocratie locale », in CURAPP-CRAPS, 1999, p. 66.
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