Les Autorités Administratives Indépendantes. Moyens effectifs et capacité réelle d’intervention
p. 267-271
Texte intégral
1La France est dotée d’une multitude d’autorités administratives indépendantes (AAI) tendant à garantir les Libertés et à réguler les acteurs économiques. C’est en novembre 1977, à l’occasion de la discussion du projet de loi Informatique et Libertés qu’un amendement de la commission des Lois du Sénat est venu instaurer la notion d’autorité administrative indépendante (la CNIL, plus précisément). Définies comme étant des autorités, dont le statut s’efforce d’assurer l’indépendance vis-à-vis de l’État, elles ont été créées en vue d’assurer dans leurs domaines de compétences respectifs, la protection des droits et libertés, ou la répartition d’une ressource rare (Colliard et Timsit, 1988). Le juge constitutionnel vient préciser la notion en 1984 lorsqu’il se penche sur la constitution du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), et donne à ces autorités une place prépondérante dans l’ordre juridique français, en considérant que ces autorités administratives indépendantes « constitue(nt) une garantie fondamentale pour l’exercice d’une liberté publique ».
2Néanmoins, les AAI connaissent certaines limites : aucune définition officielle n’est donnée de ce terme, ce qui complique toute tentative de détermination précise de la nature juridique de ces dernières. Ainsi, les auteurs de doctrine s’accordent à dire que ces autorités constituent des entités juridiques hybrides, disposant d’une nature juridique floue. Progressivement, une multitude d’AAI a vu le jour en vue d’assurer des missions de services publics spécifiques, intervenant dans des domaines divers, avec des pouvoirs et des statuts variés. Il est alors possible de distinguer les protecteurs des libertés publiques comme le Conseil Supérieur de l’audiovisuel (CSA), l’Autorité de Régulation des Communications électroniques et des Postes (ARCEP) et les protecteurs des personnes comme la CNIL.
3Dans le cadre de la société de la surveillance, des implications des technologies sécuritaires dans le quotidien des citoyens, les AAI auraient, partant de ce constat, un rôle à jouer. Néanmoins, il est nécessaire de nuancer le propos. En effet, comment pouvoir affirmer l’indépendance de telles autorités, alors qu’elles sont rattachées par leur forme à l’Administration ? Pour rappel, la Constitution française place l’administration sous l’autorité du Gouvernement. Cette ambiguïté originelle pose de nombreux problèmes quant à l’effectivité des moyens et des pouvoirs de ces autorités. Selon Marie-Anne Frison-Roche, « les lois relatives aux AAI surabondent en dispositifs pour protéger les autorités administratives indépendantes contre l’intrusion du Gouvernement mais, d’une part, les rapprochent relativement peu du Parlement et, d’autre part, les protègent relativement peu de la mission des entreprises ou groupes de pression concernés par leur action ». Outre cet aspect d’indépendance controversée, ces entités n’ont aucune maîtrise sur leur budget, fixé par l’Administration. Aussi, il semble utile de rappeler ici que les comptes des AAI sont soumis au contrôle a posteriori de la Cour des comptes, ainsi qu’à celui du Parlement.
4Les autorités administratives indépendantes interviennent dans des domaines variés, en vue d’assurer en principe des fonctions de médiation et de protection des droits fondamentaux, dans des secteurs de haute technicité. Ces fonctions ne peuvent être assurées au mieux que si les autorités en question disposent des moyens nécessaires pour se faire connaître auprès des citoyens (c’est d’ailleurs le principal problème rencontré par la CNIL). L’organisation même des autorités administratives indépendantes devrait leur permettre une réactivité supérieure par rapport à celle des structures classiques. Cependant, là encore, la question de l’indépendance effective de ces autorités pose problème. Leur réactivité est, en effet, fonction de leur indépendance, et de leur composition. Censées pouvoir régler des litiges de façon rapide, ces entités juridiques souffrent la plupart du temps d’un engorgement des demandes par rapport à leurs moyens financiers et humains. Concernant leurs compétences propres, les AAI disposent de pouvoirs importants afin de mener à bien leurs missions. Si l’on s’attache souvent aux pouvoirs de contrainte de certaines AAI, tels que leurs pouvoirs d’injonction et de sanction, ces dernières ont toutes en commun un pouvoir d’influence essentiel à leur mission. Cette capacité tient d’une part au fait qu’elles aient des facilités pour obtenir des informations des administrations et des professionnels, et d’autre part à leur pouvoir de faire savoir, au moyen de leur rapport annuel et de leurs initiatives en matière de communication.
5Mais, là encore, le propos est à nuancer. En effet, l’activité d’édition de ces autorités, bien qu’important, n’a que peu d’impact auprès du citoyen lambda, puisque ces rapports annuels sont souvent à destination des professionnels (juristes, techniciens, sociétés privées, administrations). Souhaitées, à l’origine, proche des citoyens, les AAI semblent alors dans les faits éloignées des réalités. Ces rapports annuels permettent aussi aux AAI de faire état des difficultés qu’elles ont pu rencontrer dans la réalisation de leurs missions respectives. Il appartient alors au Parlement de remédier à la situation. Toutefois, et pour prendre un exemple concret, la CNIL, cette dernière disposait d’un pouvoir d’avis conforme lors de sa constitution en 1978. Ce pouvoir s’avérait utile dans le cadre d’un contrôle des activités de l’État en matière d’informatique et Libertés. Or, ce pouvoir a été supprimé par la loi du 6 août 2004. Dès lors, la CNIL ne peut se faire entendre auprès de l’État. Elle se retrouve alors impuissante au regard du pouvoir étatique. Si la loi de 1978 donnait à la CNIL le pouvoir de contrôler à priori les fichiers publics, la loi du 6 août 2004 lui a fait perdre ce contrôle des fichiers administratifs et policiers, vaste source d’informations pour l’État. La conséquence à tirer de cet exemple concret est que le Parlement n’est pas réellement tenu de remédier à la situation en cause, puisque, dans cet exemple, des pouvoirs peuvent être retirés aux autorités administratives indépendantes, preuve là encore de la non-indépendance de ces entités. Dès lors, la question de l’efficacité de ces dernières ne se posent plus réellement, puisqu’elles restent intimement liés aux objectifs poursuivis par le Gouvernement en place.
6À côté de ces prérogatives, une minorité d’AAI, en général chargées de la régulation d’un secteur économique (CRE, ARCEP, AMF) ou de la protection des libertés fondamentales dans un domaine où sont utilisées des techniques particulières (CSA, CNIL), sont dotées d’un pouvoir réglementaire. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a très vite défini les conditions d’exercice du pouvoir réglementaire des autorités administratives indépendantes. Ainsi, dans sa décision du 18 septembre 1986, il a admis que les dispositions de l’article 21 de la Constitution ne faisaient « pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité autre que le Premier ministre le soin de fixer (…) des normes permettant de mettre en œuvre une loi », à la condition que ce soit « dans un domaine déterminé et dans le cadre défini par les lois et règlements ». Le juge constitutionnel a ensuite précisé que l’habilitation donnée par la loi à certaines autorités administratives indépendantes pour exercer une compétence réglementaire devait concerner « des mesures de portée limitée tant par leur champ d’application que par leur contenu ». Ainsi, le pouvoir réglementaire des AAI est, au vu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, un pouvoir subordonné et second.
7Enfin, une minorité des AAI disposent en sus de leur fonction administrative, une fonction juridictionnelle afin d’organiser leur pouvoir de sanction. Toutefois, ces autorités n’en sont pas moins des juridictions à part entière. Cela ne leur permet alors pas d’asseoir leurs prérogatives, et d’être reconnues comme entièrement compétente dans leur domaine d’intervention. Le législateur a beau donné des prérogatives aux AAI, il est constat dans les faits d’un manque de moyens effectifs afin de mettre en application ces dernières ; ce qui nuit à l’efficacité de ces entités juridiques.
8Enfin, il semble utile de rappeler les missions originelles des AAI. Ces dernières ont été constituées, au départ, en vue de garantir les Libertés, et de réguler les acteurs économiques. Sur ce dernier point, force est de constater que cet objectif doit encore être implémenté, du moins dans la matière des technologies de la surveillance. En effet, depuis la directive européenne du 24 octobre 1995 et la loi de 1978, en France, qui réglementent la collecte, le traitement et l’échange de ces données personnelles, la Commission européenne affiche une volonté de ne pas règlementer en la matière, pour y préférer une autorégulation par les acteurs du marché. Les compétences en la matière auraient alors pu avoir un rôle à jouer, mais il n’en est rien. Les acteurs économiques, et plus loin les entreprises du secteur privé semblent, dans ce domaine, s’autogérer. Or, au vu de leur nature juridique floue, leur permettant en principe une meilleure réactivité, les AAI auraient pu s’imposer, et ainsi instaurer une sorte de corégulation du marché techno-sécuritaire, car l’enjeu de la surveillance est bien là : la sécurité des citoyens. Cette méthode de régulation du marché part de l’idée que, compte tenu de la nouveauté des sujets à traiter ainsi que de la diversité des acteurs concernés, il importe d’assurer la rencontre entre les points de vue, voire, quand c’est possible, de faire naître des consensus.
9Aujourd’hui, force est de constater que les AAI apparaissent comme des instances en devenir. Ces entités cherchent encore leur place entre le pouvoir exécutif et le pouvoir économique. Or, dans un domaine tel que la surveillance en développement constant, il est urgent que les AAI prennent une place prépondérante dans le débat technologique et sécuritaire.
Bibliographie
Colliard Claude-Albert et Timsit Gérard (dir.), Les autorités administratives indépendantes, Paris, PUF, 1988.
Auteur
Doctorante en Droit public. Ses recherches portent sur la remise en cause de la vie privée par la surveillance dans la société numérisée. Elle est membre du conseil scientifique de la Mission Lille Eurométropole Défense Sécurité, chargée des questions relatives à l'intelligence économique et à la cybercriminalité.
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