Qualité de la preuve de la vidéosurveillance
p. 183-194
Texte intégral
1Le postulat est simple : la vidéosurveillance peut être considérée aujourd’hui comme un outil acceptable dans les dispositifs civils et pénaux d’une grande majorité de démocraties. Il n’est point besoin de refaire l’histoire du déploiement de ces dispositifs, mais plutôt de remarquer le glissement sémantique opéré vers la « vidéo protection », terminologie désormais employée et consacrée par le Ministère de l’Intérieur depuis le second trimestre 2009. Les systèmes de surveillance basés sur la capture d’images animées sont majoritairement destinés à prévenir des atteintes à l’ordre public, ou à l’intégrité de la propriété privée. Ce rôle de prévention se veut efficace à la seule condition qu’un suivi des informations délivrées par le système serve essentiellement à alimenter un système d’alerte et permette une intervention efficace des individus compétents. La majorité des dispositifs en service ont une vocation passive, dans le sens où la compréhension d’un évènement relève de l’appréciation et du traitement des situations par des hommes en temps réel. Toutefois, les fonctions de stockage des systèmes de surveillance vidéo ont permis de faire muter le dispositif, le faisant passer du rôle de prévention à celui d’outil au service de la répression pénale. Le devenir des enregistrements de vidéosurveillance fait basculer cette technologie, encore rudimentaire sur le plan du traitement des informations, dans le domaine fragile de la preuve par l’image. Cette étude ne sera pas l’occasion de remettre en cause les choix du législateur ou de considérer les positions de la CNIL en la matière. Un nombre conséquent de délibérations de la Commission viennent étayer les manquements caractérisés des agents publics et privés, usagers de ces modes de surveillance1, appuyées désormais par le rapport du 10 décembre 2008 produit par la commission des lois du Sénat (Courtois & Gautier, 2008). La compétence de la CNIL s’arrête aux portes de l’espace privé, et l’intégration de ces dispositifs connaît une inflation beaucoup moins contrôlée sur le domaine public. Bien que le régime applicable soit stable depuis plus de 10 ans (loi du 21 janvier 19952, complétée par l’article 32 de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 modifiée), et ait permis aux magistrats d’affirmer leur souveraineté d’appréciation en la matière, beaucoup de conséquences de l’usage de ce mode de contrôle des espaces échappent aux contrôles formels. Éviter le fait divers, les erreurs manifestes, ou toute autre conclusion hâtive issue d’une approche positiviste paraît être la méthode la plus prudente pour aborder une analyse qui ne sera pas uniquement fondée sur des généralités issues d’une jurisprudence plutôt constante dans certaines applications de la vidéosurveillance3. Il paraît préférable de mettre à profit une prise en compte plus générale du dispositif technique, afin d’alimenter une esquisse de la légitimité et de la légalité de la preuve vidéo. La raison est simple, et tient à l’importance du rôle du magistrat dans l’administration de la preuve (en particulier de la difficulté à considérer la légitimité d’un système de vidéosurveillance comme un acquis indiscutable) et du respect des droits fondamentaux. Il ne faut pas se méprendre, et garder à l’esprit que ce dispositif reste un moyen permettant une collecte passive et continue d’images animées dans un espace prédéterminé. Le cadre de l’image détermine un champ de vision qui ne constitue pas un espace complet. C’est un espace strict qui ne peut relater de façon autonome une scène, quand bien même un réseau de caméras pourrait étayer un raisonnement discursif basé sur l’analyse des images (Barthes, 1964 ; Dadognet, 1984), que ce soit en temps réel par les opérateurs, ou a posteriori par les forces publiques, ou les magistrats. Son installation, et son exploitation ne sont pas neutres, tout comme les conditions d’exploitation du dispositif lui-même. Dans cette perspective il apparaîtra nécessaire d’organiser l’observation en tenant compte, dans la procédure de réception de la preuve par vidéosurveillance, du respect des principes fondamentaux du droit pour déterminer si cet outil peut remplir les critères juridiques indispensables à une preuve de qualité, apte à fonder l’intime conviction éclairée du juge.
1. La réception et l’admissibilité de la preuve
2Le respect des exigences d’un procès équitable répond essentiellement à un cadre juridique communautaire reposant sur le socle des principes fondamentaux, plus ou moins contraignant, intégré dans la législation des pays de l’Union. Leurs sources peuvent être trouvées notamment dans la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (ci-après Conv. EDH), ainsi que des jurisprudences de la Cour européenne des Droits de l’Homme (ci-après Cour EDH) et de la Cour de justice de l’Union européenne (anciennement dénommée Cour de Justice des Communautés européennes ci-après CJCE ou CJUE).
1.1. - Les principes fondamentaux relatifs à la collecte et à l’usage de la preuve
3La Conv. EDH confère une base pertinente à la garantie d’un procès équitable dans ses articles 6 (Droit à un procès équitable) et 8 (Droit au respect de la vie privée et familiale).
4La Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) considère la garantie pour les justiciables de voir leurs droits à un procès équitable respectés au cours de l’instruction comme indispensable pour assurer l’équité du procès, conformément à l’article 6 § 1 de la Conv. EDH. La loyauté et le concept de « l’égalité des armes » sont des notions majeures en matière d’administration de la preuve. Cette « égalité des armes » laisse entendre qu’il est indispensable d’assurer un équilibre entre les parties, y compris lorsqu’il est question des moyens de preuve admissible4. Toutefois, il n’en demeure pas moins que les États restent totalement libres de fixer les recevabilités des modes de preuve applicables, et ce contrôle de l’équité ne peut contrecarrer cette estimation de la valeur du « matériau-preuve ». Deux décisions importantes de la Cour EDH du 24 avril 1990 (Époux Huvig contre France et Kruslin contre France) relatives aux écoutes téléphoniques en France ont révélé les manquements de la législation française en stigmatisant l’article 81.1 du Code de procédure pénale (CPP). Cet article dispose que « le juge d’instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité ». Cette acception, on ne peut plus large, a permis à la Cour EDH de souligner que ce dispositif « n’indique pas avec suffisamment de clarté l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités dans le domaine considéré », en l’occurrence, les écoutes téléphoniques, en violation de l’article 8 § 1 de la Conv. EDH. C’est à ce titre que la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 instaure une nouvelle procédure exceptionnelle applicable dans le cadre des écoutes téléphoniques, désormais consignée aux articles 100 à 100-7 du CPP.
5L’article 8 de la Convention est à remettre en perspective par rapport à son champ d’application. Il ne faut pas entendre le respect dû à la vie privée de façon extensive, mais bien dans les limites de l’espace privé. Ainsi, au regard du second alinéa de ce même article, la Cour EDH a posé dans les décisions Friedl contre Autriche du 31 janvier 19955, ou P. G. ET J. H. contre Royaume-Uni du 25 septembre 20016, des limites spatiales et contextuelles à l’applicabilité de ces règles, permettant d’appuyer toute leur relativité.
1.2. - L’admissibilité de la preuve par l’image et la vidéo
6Le droit pénal français reconnaît les garanties d’un procès équitable (Art. 6 § 1 et 8 § 2 de la Conv. EDH), ainsi que la liberté de la preuve (Art. 427 du CPP). À l’échelle civile, un plaideur ne peut user que de preuves pertinentes (Art. 9 du Nouveau Code de procédure civile (NCPC)). Dans tous les cas, ce sont les juges du fond qui sont responsables du contrôle de la licéité des éléments produits. La licéité repose dans notre cas de figure sur la légitimité de la capture de l’image, et le respect de la destination de cet enregistrement. Cette nécessité de la régularité de la preuve a été soulevée par la Cour EDH, qui aux termes de l’arrêt Allan contre Royaume-Uni du 5 novembre 2005 a jugé que la constitution de preuves basées sur un dispositif de vidéosurveillance, accompagné d’un témoignage vicié provenant d’un faux prisonnier infiltré, allaient à l’encontre des articles 6 et 8 de la Conv. EDH.
7Si l’on revient au but premier de la vidéosurveillance, il se limite à un outil permettant d’observer et archiver les évènements ayant lieu dans un espace déterminé. À ce titre, que son emploi soit à vocation civile ou pénale, la surveillance ne peut, et ne doit pas endosser le rôle d’un moyen de preuve « légal » par nature ; le procédé ne peut servir qu’à assister le magistrat dans la recherche de la manifestation de la vérité. La preuve vidéo ne constitue pas un moyen qui peut être mobilisé d’office par le juge dans le cadre d’une instruction, et ne peut porter un éclairage que sur des agissements ou situations capturées hors du champ judiciaire. C’est une preuve admissible, mais ne elle ne peut garantir en aucun cas l’appréciation sûre et totale d’une situation factuelle.
8Il faut lui reconnaître une qualité importante liée à la difficulté inhérente à la recherche de témoignages fiables. Beaucoup de cas avancés en faveur de l’installation généralisée de ces dispositifs en font des témoins privilégiés, équivalent à ce que peuvent être les personnes physiques7. Toutefois, le système ne peut en théorie risquer d’être soumis aux restrictions liées aux régimes du secret professionnel8, et de la possibilité pour un individu de ne pas contribuer à sa propre incrimination9 en témoignant (principe appuyé par la Cour EDH, dans son arrêt John Murray contre Royaume-Uni du 8 février 1996 sur la base de l’article 6 de la Conv. EDH).
9Inutile de s’étendre sur les cas où la vidéosurveillance a été utilisée à l’insu des individus, ou simplement dissimulée, quel que soit le cadre de son utilisation. Le principe de loyauté de la preuve est unanimement appliqué par les juridictions de cassation civiles et pénales en France, mais il faut tempérer cette réception de la preuve, qui bien que licite, ne peut se voir reconnaître une force probante complète d’office. L’exemple du traitement de la preuve par vidéosurveillance opérée par les services de la police technique et scientifique en matière pénale montre que l’exploitation faite des matériaux sur réquisition judiciaire implique un traitement technique permettant de faire « parler l’image » (grâce à des améliorations de la netteté, agrandissements ou restaurations de la qualité de l’image quand elle provient d’un support analogique). Les conclusions sont défendues directement par les experts devant les juridictions pénales. Toutefois, l’autorité administrative compétente (le Préfet du département en l’occurrence) n’est tenue qu’à une autorisation préalable pour la mise en place de dispositifs dans les lieux publics ou ouverts au public, et n’assure pas le suivi, confié aux Commissions départementales des systèmes de vidéosurveillance10. Cette organisation ne permet pas de faire respecter durablement l’intégrité du plan de l’installation, et encore moins n’a vocation à éclairer l’ordre judiciaire sur la conformité de l’installation.
10Le maillon le plus important qui doit retenir notre attention reste donc le juge du fond, seul à même d’apprécier la valeur de la preuve en tant que garant de l’impartialité. La loyauté de la preuve, aussi fragile soit-elle, ne peut empêcher la production d’éléments de faits, qui, bien qu’entachés de défauts matériels, peuvent entraîner la prise en considération d’éléments factuels non appuyés par un support. Il est difficile de nier que la simple évocation d’une situation consignée par un dispositif technique trop souvent estimé « neutre », et ce, même à défaut de recevabilité du support vidéo sur le plan juridique, puisse entraver le jugement du magistrat. Une trop grande confiance dans la conformité du dispositif, ou une qualification juridique tendant à confondre ce dernier avec une preuve parfaite par nature sont autant de bruits qui parasitent la prise en compte des facteurs humains qui peuvent se retrouver relégués au second plan dans l’ordonnancement des justifications d’un acte.
11Il ne faut pas perdre de vue que la preuve par la vidéosurveillance peut être employée par le demandeur, principalement une personne morale subissant un préjudice. Qu’il soit ou non l’opérateur de son dispositif, il demeure confondu dans ses rôles, et discrédite en partie la validité et la recevabilité du moyen, et pose le problème de la validité des preuves constituées par lui-même. En effet, l’installation d’un système de surveillance vidéo repose sur une procédure peu encline à garantir l’intégrité totale du système de collecte des images. Les technologies de l’information, tout comme les moyens de surveillance modernes, semblent faire oublier à la jurisprudence la nécessité de vérifier la loyauté de la preuve comme l’a montré la Chambre sociale de la Cour de cassation. L’arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale du 23 mai 2007 SCP Laville - Arragon c/y. montre que le juge se contente de calquer le régime de la preuve écrite électronique autorisé par l’article 1316-1 du Code civil, en se contentant de considérer la fiabilité du dispositif de transmission entre l’émetteur et le récepteur d’un message textuel simplifié (SMS, Short Message Service), où la simple possibilité de voir le message être stocké dans un téléphone mobile constitue un dispositif techniquement « loyal ». Aucune question, ni expertise n’entre en jeu à la faveur de la compréhension du protocole et de la fiabilité du rapport entre l’authenticité de l’émetteur et la conformité du message reçu. Or, il est notoire que le protocole SMS n’est pas d’une fiabilité irréprochable, et comprend des failles permettant l’usurpation d’identité (SMS Spoofing, Caller ID spoofing), et donc d’émettre des messages en endossant l’identifiant (numéro de ligne téléphonique, données opérateurs). Sans plus d’arguments techniques en mains, la Cour de cassation admet de fait un procédé comme légitime, ce qui démontre assez clairement le défaut d’obligations de contrôle de la « qualité » et de la robustesse des dispositifs techniques utilisés comme preuves.
2. Les critères techniques d’appréciation de la qualité de la preuve
12La réception de la preuve par le juge est conditionnée par la fiabilité technique de celle-ci. Il est pertinent à ce titre de rechercher si un cadre de contraintes liées à la qualité technique du moyen probatoire existe afin d’imposer un minimum de garanties liées à la fiabilité de ces dernières, et fiabiliser la preuve elle-même.
2.1. - Le cadre technique de l’Arrêté du 3 août 2007
13La définition des normes techniques des systèmes de vidéosurveillance fixée par l’arrêté du 3 août 200711 établit un cahier des charges technique imposant une standardisation a minima de la qualité des dits dispositifs. Cette qualité du matériau n’est pas uniquement basée sur une résolution ou une fréquence d’images minimale, mais impose également des contraintes de marquage temporel (timecode) ainsi qu’une restriction des formats d’export possible. Ainsi, sans fixer de manière précise les formats d’encodage de l’image, ni les modes d’encapsulation (méthode permettant la diffusion d’un contenu) des données vidéo exportées, le pouvoir réglementaire impose une exportation dans un format sans « dégradation de la qualité ». Or, ces mesures ne garantissent pas pour autant la confidentialité de la diffusion du support, ou tout du moins, restreindre l’accès à l’information en incluant des mesures du type des DRM (Data Rights Management) afin de tracer et limiter l’usage de chaque copie du support.
14L’article 3 de l’arrêté12 encadre de manière plus restreinte la sauvegarde des données exportées en imposant un support à écriture unique et laisse quelques indices sur la nécessité de proposer une sauvegarde exploitable de manière quasi autonome et considérée comme « compatible » (nous n’emploierons pas le terme d’interopérabilité face à la faiblesse des contraintes allant en ce sens et par l’absence même de la terminologie au sein du texte). L’annexe technique13 éclaire quelque peu sur les sous-entendus du législateur, mais ne constitue pas une contrainte juridique réelle pour les exploitants des réseaux de vidéosurveillance, et n’induit donc pas un respect complet de la qualité du matériau original.
15L’annexe technique se cantonne à inciter à l’intégration de dispositifs permettant de limiter les manipulations possibles sur les flux vidéo. Les moyens permettant de garantir l’intégrité des flux vidéo et des données associées relatives à la date, à l’heure et à l’emplacement de la caméra ne sont pas couverts par un cadre contraignant, mais le respect du placement de la caméra constitue par exemple un objectif qui ne peut être garanti par le système lui-même.
16La configuration de la situation et de l’angle de capture de la caméra n’est soumise qu’au respect de la finalité du dispositif. Seul le Décret n° 2009-86 du 22 janvier 2009 modifiant le décret n° 96-926 du 17 octobre 1996 relatif à la vidéosurveillance apporte quelques aspects précisant la mise en place des dispositifs. À cela s’ajoute l’arrêté du 6 mars 200914 qui pose en complément de l’arrêté du 3 août 2007 l’obligation de recourir à un installateur disposant des « certifications NF Service et APSAD15 (NF367-I82) délivrées conjointement par AFNOR16 Certification et le CNPP ou titulaire d’une certification équivalente ». Ces certifications sont liées à l’obtention de référentiels techniques liés aux normes NF.
17Le référentiel NF367-I82, auquel s’ajoute le référentiel APSAD R82, définit les exigences techniques minimales relatives à l’installation et à l’entretien périodique des systèmes. Toutefois, ces mesures n’ont d’intérêt qu’en amont, dans le cadre des autorisations, et ne concerneront que les juridictions administratives appelées à révoquer la mise en place de ces systèmes, n’entachant pas la validité de la preuve sur le plan pénal ou civil. De fait, aucun contrôle juridique d’opportunité portant sur l’intégrité technique du dispositif n’existe. La finalité peut varier en cas de reconfiguration du dispositif sans autorisation, et il serait trop simple de considérer que l’obligation d’information suffise à justifier ce genre de pratiques travestissant la loyauté d’un système intrusif par nature.
2.2. - La vidéosurveillance dite intelligente » : le risque d’un glissement incontrôlé vers un moyen de preuve autonome
18Il n’est absolument pas question de postuler en faveur ou non d’une évolution technologique d’ores et déjà amorcée dans le domaine de la surveillance vidéo. L’approche de l’analyse de la situation par ce dispositif a vocation à réduire les erreurs humaines et les temps de réaction. Elle tend volontiers à pallier la passivité de l’humain face à l’image en l’assistant d’un traitement automatisé de données déduites à partir de l’image capturée. Cette même passivité qui transforme la perception de chacun d’une situation relatée par l’image, soulève les questions liées au sens que l’on peut leur donner. Cette considération sur le sens, et la sémantique de l’image dépasse notre postulat. Les données tirées de l’analyse de l’image ne sont pas empreintes de sens, et ne résultent que de la capture et de la traduction d’un phénomène en signaux intelligibles au sein d’un traitement numérique. L’analyse n’est pas orientée sur la personne humaine en particulier, mais sur la scène, le cadre, et les phénomènes tirés de l’image dans son ensemble.
19L’apport d’une certaine « richesse » en terme de données connexes collectées par le système ajoute une somme d’informations complémentaires pouvant s’agréger à la recherche de la preuve, mais n’individualise pas le traitement : elle constitue une métadonnée complétant la donnée « image ». Elle peut permettre de contextualiser une situation, que ce soit en affinant la reconnaissance des individus (et ce, par une amélioration de la qualité de la capture des images), ou en révélant des signes qui éclaireraient sur l’intentionnalité des actes. Or, toutes ces métadonnées s’additionnant à l’image ne peuvent pour autant revêtir une force probante, ou augmenter la valeur de l’image elle-même, elle ne fait que la compléter.
20L’idéal voudrait que le magistrat ne puisse pencher en faveur de l’interprétation intimée par le système, et persiste à se baser sur son intime conviction. La technicité et la quantité de facteurs ajoutés à l’analyse, la distanciation nécessaire devient de plus en plus difficile à respecter, auxquels s’ajoutent l’impossibilité de prendre en considération les critères retenus par les concepteurs du dispositif qui ont permis de produire ces données. À ce titre, la richesse d’informations pourrait réduire potentiellement la force de l’image elle-même, et à défaut d’encadrement du législateur, remplacer le matériau même de l’image par les données issues de son traitement. L’expertise pourrait ainsi dévier du simple contrôle de la validité technique et juridique du support, et tendrait à s’orienter vers l’analyse de la pertinence du traitement et de l’intégrité des métadonnées mises à disposition. Ce genre de cas de figure pourrait engendrer un risque notable, souvent lié à l’appréciation faite par la magistrature des expertises complexes, pouvant mettre en cause le dispositif lui-même, plutôt que de servir à la manifestation d’une vérité.
21Ces considérations prospectives souffrent d’un faible enracinement culturel des magistrats dans des domaines où l’accroissement de la technicité l’emporte sur la recherche d’une légitimité. L’outil constitue une barrière psychologique, et il est bien plus simple de s’en remettre à la description générale de son fonctionnement plutôt que de chercher la conformité de ses caractéristiques face aux principes fondamentaux du régime de la preuve. La détection de mouvements, de visages et d’évènements constitue des étapes intermédiaires avant le déploiement de solutions de biométrie visuelle lorsque la robustesse sera suffisante pour assurer leur efficacité. Le temps ne suffit pourtant pas à repousser la nécessité de remettre des valeurs comme la loyauté et la licéité des dispositifs techniques à vocation probatoire au centre de la réflexion des autorités en charge de l’exécution de la loi : pouvoirs publics et magistrats.
Bibliographie
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Barthes R., Rhétorique de l’image, in Communication, n° 4 « Recherches sémiologiques », EHESS, 1964
10.3406/comm.1964.1027 :Courtois Jean-Patrick et Gautier Charles, La vidéosurveillance : pour un nouvel encadrement juridique, Rapport d’information n° 131 (2008-2009), fait au nom de la commission des lois, 2008, disponible à l’adresse http://www.senat.fr/rap/r08-131/r08-131_mono.html (lien vérifié : avril 2011)
Dagognet F., Philosophie de l’image, Paris, Librairie Philosophique Vrin, 1984.
Notes de bas de page
1 Par exemple, la délibération n° 2008-187 du 3 juillet 2008, montrant un cumul de négligences, de collectes / traitements non déclarés et illicites dans une entreprise du secteur de la grande distribution.
Lien : http://www.cnil.fr/en-savoir-plus/deliberations/deliberation/delib/148 (lien vérifié : avril 2011).
2 Article 10 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité, modifiée par la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 - art. 1, JORF 24 janvier 2006.
3 Cf. position de la Chambre sociale de la Cour de Cassation, fondée essentiellement sur les contraintes liées aux alinéas 1 et 2 de l’article L. 432-2-1 du Code du travail : « Il (le comité d’entreprise) est aussi informé, préalablement à leur introduction dans l’entreprise, sur les traitements automatisés de gestion du personnel et sur toute modification de ceux-ci. Le comité d’entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés. »
4 Cour EDH, 15 juin 1992, « Lüdi contre Suisse » (écoutes téléphoniques). Voir aussi : Cour EDH, 19 fevrier 1991 « Isgro contre Italie », et CEDH, 12 juillet 1988, « Schenk contre Suisse ».
5 Cet arrêt-ci détermine la possibilité d’ingérence d’une autorité publique dans l’exercice du respect de la vie privée, par exemple pour des raisons de sûreté, santé, sécurité publique.
6 Cet arrêt-là souligne que l’existence d’une zone d’interaction avec autrui dans un contexte public peut relever de la vie privée.
7 Articles 226-13 et 226-14 du Code pénal et R. 188 du Code de procédure pénale.
8 Article 310 du Code Pénal.
9 Article 105 et de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes.
10 Article 4 du décret n° 2009-86 du 22 janvier 2009, JORF n° 20 du 24 janvier 2009, p. 1495 NOR : IOCD0828833D.
11 Arrêté du 3 août 2007 portant définition des normes techniques des systèmes de vidéosurveillance. NOR : IOCD0762353A.
12 Arrêté du 3 août 2007, Art. 3 : « Le support physique d’exportation est un support numérique non réinscriptible et à accès direct, compatible avec le volume de données à exporter. Dans le cas de volumes importants de données à exporter, des disques durs utilisant une connectique standard pourront être utilisés. Pour les systèmes numériques de vidéosurveillance, un logiciel permettant l’exploitation des images est fourni sur support numérique, disjoint du support des données. Le logiciel permet : 1° La lecture des flux vidéo sans dégradation de la qualité de l’image ; 2° La lecture des flux vidéo en accéléré, en arrière, au ralenti ; 3° La lecture image par image des flux vidéo, l’arrêt sur une image, la sauvegarde d’une image et d’une séquence, dans un format standard sans perte d’information ; 4° L’affichage sur l’écran de l’identifiant de la caméra, de la date et de l’heure de l’enregistrement ; 5° La recherche par caméra, date et heure »
13 Créé par l’arrêté n° 2007-08-03 JORF du 21 août 2007, accompagné du rectificatif en date du 25 août 2007.
14 Arrêté du 6 mars 2009 fixant les conditions de certification des installateurs de vidéosurveillance, NOR : IOCD0902687A.
15 Assemblée Pleinière des Sociétés d’Assurance Dommage, organisme de certification satellite du Centre national de prévention et de protection (CNPP), association reconnue d’utilité publique pour la prévention et la maîtrise des risques
16 Association française de normalisation, organisme français de normalisation, membre de l’ISO (International Organization for Standardization)
Auteur
Doctorant en Droit public et Membre de l'IREENAT. Il rédige une thèse consacrée aux aspects juridiques de la mise en œuvre de la carte d'identité électronique
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