Institutions et intégration : quel avenir commun ?
p. 269-279
Texte intégral
1Dans un article souvent cité à propos du Kerneuropa (noyau dur européen), Karl Lamers et Wolfgang Schäuble s’étaient livrés en 1994 à un exercice de prospective sur l’avenir des institutions européennes. En 2010, l’exercice de prospective s’avère particulièrement délicat : l’encre des ratifications est à peine séchée, et l’heure est aux premières mises en œuvre et aux tractations sur les applications concrètes des dispositions du traité de Lisbonne.
2010, an I du traité de Lisbonne
2L'Union européenne (UE) de 2010 retrouve sa capacité d'action, avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la nomination de personnes clés et l'approbation de la Commission dite « Barroso II ». Une longue phase de tractations politiques s'était en effet étalée de l'élection du Parlement européen en juin 2009 à l'entrée en fonction de la nouvelle Commission, en février 2010.
3La ratification du traité de Lisbonne par l’ensemble des États membres, après un deuxième référendum périlleux en Irlande, a mis fin à une négociation décennale entamée à Laeken en 2001. Le nouveau dispositif légal introduit des changements majeurs. L’UE se voit enfin reconnaître le statut de personnalité juridique1. La subsidiarité est renforcée à travers un rôle accru des Parlements nationaux, mais aussi la possibilité de rétrocéder des compétences aux États membres, ou encore la sortie de l’Union. L’action extérieure prend de l’importance. Les trois piliers du traité de Maastricht, qui séparaient la Communauté européenne (CE), incarnée dans le premier pilier, des deux autres piliers « Extérieur » et « Justice et affaires intérieures », sont abolis, ces deux derniers domaines politiques étant ainsi européanisés. Le renforcement du vote à la double majorité qualifiée – à travers la procédure dite de codécision – devient la procédure législative ordinaire2 à partir de 2014. Le traité clarifie les compétences respectives des États et de l’UE, en les divisant en domaines exclusifs de l’UE, domaines exclusifs des États, et domaines de compétence partagée ou non exclusive. Passent sous le régime de la compétence partagée les politiques suivantes, qui relevaient précédemment de la compétence exclusive des États : l’espace de liberté, de sécurité et de justice, dont l’immigration et l’asile, la coopération judiciaire et pénale, la politique de l’énergie, ainsi que celle des transports et de l’espace.
4Les coopérations renforcées, comme moyen d’accroître les pouvoirs de l’Union, figurent dans un titre à part, le titre IV, qui les qualifie. Désormais, une action conjointe nécessite au minimum neuf États – contre huit dans le régime d’avant Lisbonne. La coopération renforcée peut s’appliquer à l’ensemble des domaines de compétence non exclusive.
5Cet article analyse la situation institutionnelle en 2010 avant d’en évoquer les prolongements possibles à l’horizon 2020.
Approfondissement : les changements majeurs introduits par le traité de Lisbonne
6Le traité a introduit plusieurs changements majeurs : le président permanent, le Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), le processus décisionnel, ainsi que les coopérations renforcées. Ces éléments constitueront le point de référence dans la prospective sur l’UE à l’horizon 2020.
Le président permanent du Conseil européen
7L’année 2010 a vu se succéder les présidences espagnole et belge, toutes deux faibles, en raison d’une crise économique pour la première et politique pour la seconde. D’ores et déjà, la nouvelle présidence permanente monte en puissance, ce qui relativise et compense la faiblesse des présidences en rotation. On peut également observer un renforcement du président du Conseil au détriment de celui de la Commission. Cette tendance s’explique par la crise économique qui est du domaine des États, et donc, de manière sous-jacente, du Conseil. L’absence du président José Manuel Barroso dans les débats sur la crise économique a ainsi contrasté avec la présence, forte, du président Herman Van Rompuy. Le traité de Lisbonne met donc en place un nouveau dispositif de gouvernance autour de deux nouveaux postes clés, le président du Conseil et le Haut Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, remettant ainsi en cause le rôle central du président de la Commission. La stratégie conservatrice de ce dernier s’est aussi reflétée en 2010 par la tentative de contrôler fortement le Haut Représentant, qui aux termes du traité se positionne à cheval entre la Commission et le Conseil.
Le Haut Représentant et le Service européen pour l’action extérieure
8Même si le Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité du traité de Lisbonne se situe dans la continuité du ministre des Affaires étrangères du traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE), les changements allant de pair avec la création de ce poste sont considérables. La présidence en rotation a perdu ici encore une fois une bataille : si, avec la création du poste de président permanent, le Conseil européen a été enlevé à la présidence en rotation, la mise en place de la fonction de Haut Représentant lui ôte également les conseils des ministres des Affaires étrangères. La présidence en rotation conserve cependant sa primauté dans les autres formats du Conseil de l’Union européenne. Une autre innovation a consisté à situer cette nouvelle fonction de Haut Représentant à équidistance entre Commission et Conseil, et à fusionner ainsi les anciens postes de commissaire aux Relations extérieures et de Haut Représentant au Conseil. Le Haut Représentant du traité de Lisbonne est aussi vice-président de la Commission européenne. Un nouveau service a également été créé pour soutenir son action. Prévu par le titre V du traité de Lisbonne modifiant le TUE, le SEAE est, en 2010, en phase d'élaboration. Dispositif sui generis sans précédent sur lequel il pourrait être modelé, il constitue la structure embryonnaire d'une diplomatie européenne, surveillée de près par les États membres soucieux de préserver leur autonomie dans les affaires extérieures et leur influence sur le nouveau dispositif. Il incombe aujourd’hui à la Haute Représentante Catherine Ashton de présenter une proposition pour sa réalisation concrète. Un projet a été soumis aux ministres des Affaires étrangères en avril 2010 et approuvé le 26 juillet 2010.
9Le SEAE intègre les délégations existantes de l’Union à l’étranger, qui deviennent donc les ambassades de l’UE. Son équipe, qui comprendra finalement environ 5 000 personnes – l’équivalent du service diplomatique de la France ou de l’Allemagne –, sera composée, conformément aux dispositions du traité, de représentants de la Commission, du secrétariat du Conseil et des administrations nationales.
Les autres changements institutionnels
10Le titre III du traité fournit une vision d’ensemble des changements du système des institutions. Pour la première fois, le Conseil européen devient partie des traités3.
11Le nouveau système de vote à double majorité qualifiée tout comme la réduction de la taille de la Commission ne seront introduits qu’à partir de 2014, avec, pour la prise de décision, une période transitoire qui s’étend jusqu’en 2017. Le titre III fixe la nouvelle composition du Parlement européen, précise la mise en place de la fonction du président du Conseil européen et stipule que la Commission européenne sera réduite d’un tiers dès 2014, passant de 27 à 18 commissaires.
La simplification du processus de décision au Conseil de l'UE
12Le système de vote à la double majorité qualifiée prendra effet le 1er novembre 2014, mais le système actuel du vote à majorité qualifiée continuera à être appliqué en parallèle pendant une période transitoire4 jusqu’à fin mars 2017.
13Le champ d’application du vote à la double majorité qualifiée est sensiblement élargi par le traité de Lisbonne et comprend désormais les domaines de la justice et des affaires intérieures, comme l’immigration et l’asile, mais aussi l’espace. Les affaires étrangères, la défense, la fiscalité ou encore la sécurité sociale restent, quant à elles, soumises au vote à l'unanimité. Les domaines politiques de l’UE restent donc divisés entre ceux qui sont sous l’emprise du mécanisme communautaire – vote à la majorité qualifiée – et ceux où les États se réservent la primauté. L’histoire de la construction européenne est cependant faite de transitions et montre qu’une politique, une fois intégrée dans le dispositif européen, passe progressivement vers le mode du vote à la majorité qualifiée. C’est le cas pour les politiques liées aux anciens piliers deux et trois du traité de Maastricht : sous le régime de Lisbonne, le « paquet » a été ouvert, notamment les politiques d’immigration et d’asile. Et de nouvelles politiques entrent dans le dispositif, comme la politique énergétique, sujet de l’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) : là aussi, malgré les réserves des États qui souhaitent préserver leur souveraineté pour les décisions concernant le bouquet énergétique, la solidarité est revendiquée ; à l’instar de la politique extérieure, on peut s’attendre à une communautarisation future des politiques énergétiques.
Les coopérations renforcées du traité de Lisbonne
14Le traité de Lisbonne, qui clarifie le partage des compétences entre Union et États membres, met l’accent sur les coopérations renforcées. S’il n’octroie pas de nouvelle compétence exclusive à l’Union, un certain nombre de compétences deviendront des compétences partagées, notamment sur la coopération policière et judiciaire en matière pénale, mais aussi la défense, jusqu’alors exclue. Une autre innovation introduit les clauses passerelles dans les coopérations renforcées : ainsi, les États participants peuvent passer de l’unanimité au vote à la majorité qualifiée, voire à la codécision. Comme auparavant, la coopération renforcée reste un mécanisme ouvert, auquel d’autres États peuvent s’associer. La montée en puissance de ce mécanisme depuis le traité d’Amsterdam est d’une très grande importance à l’heure où le nombre croissant d’États membres risque de ralentir l’intégration politique.
Élargissement : la situation en 2010
15Comment l’UE peut-elle concilier élargissement et approfondissement ? Cette question est apparue après la chute du mur de Berlin et, plus cruciale que jamais, lors des premiers élargissements de l’UE. Le dernier élargissement à l’est, surnommé le big bang, pose autant la question du nombre d’États membres que celle de la capacité de décision, comme les posera aussi l’élargissement encore à venir vers les États des Balkans occidentaux. Élargissement et approfondissement sont étroitement liés. Un des fondements de la construction européenne est l'égalité de ses membres (Schmidt 2009). Cette égalité, considérée comme un crédit permettant aux nouveaux membres d’atteindre la moyenne de tous les autres, a pu donner lieu à des erreurs d’interprétation, notamment pour ce qui concerne la représentation au sein des institutions. Le traité de Lisbonne apporte une première réponse au dilemme, en réduisant le nombre de commissaires et en supprimant, dès 2014, le principe de la représentation « un État/un commissaire ».
16En plus des 27 États membres, l'UE accueillera dans les 15 ans à venir l’Islande5 et la Croatie (dont l’adhésion est quasi certaine d’ici deux à trois ans) et, très probablement, les autres États des Balkans occidentaux, ainsi que le Kosovo. Quant à l’adhésion éventuelle de la Turquie, elle demeure une pomme de discorde au sein de l’UE. Si le président du Conseil y est opposé, tout comme la chancelière allemande ou le président français, le nouveau Premier ministre britannique défend, comme déjà ses prédécesseurs, l’entrée d’Ankara6. Il y a sans nul doute une lassitude à l’égard de l’élargissement tant dans les institutions européennes que dans les États membres, responsables politiques et populations confondus. À Bruxelles, l’évaluation de la candidature de la Bulgarie et de la Roumanie a fait naître une position selon laquelle il ne faut pas précipiter les élargissements. Les multiples problèmes rencontrés notamment en Bulgarie ont un impact indirect sur les autres candidats des Balkans occidentaux, hormis la Croatie : ainsi, la Commission ne présente plus aucune date pour une entrée potentielle de ces pays, de la Serbie à la Bosnie-Herzégovine. De plus, un sentiment de nostalgie pour le projet limité du début se répand au sein des membres fondateurs7. Les nostalgiques oublient pourtant que le projet d'un marché de libre-échange, après 1957, fut borné par la guerre froide et ses marges de manœuvre très limitées pour l’Europe. La Communauté économique européenne (CEE) constituait une organisation sans impact sur la politique internationale, sans réel pouvoir d’attraction et d’influence et dont, comme le formule Mario Telo, « les limites furent dépassées par 1989-1991 » (Telo 2008).
Réflexions en 2010 sur l’UE en 2020-2030
17Après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, plusieurs réflexions initiées par les institutions européennes ont été présentées au début de l’année 2010 sur l’avenir de l’Union respectivement aux horizons 2020 et 2030 :
le rapport de l'ancien commissaire en charge de la Politique de la concurrence Mario Monti sur la relance du marché unique, commandé par la Commission européenne (Monti 2010) ;
le rapport « Projet pour l’Europe à l’horizon 2030 », résultat des travaux du groupe de réflexion dirigé par l'ancien Premier ministre espagnol Felipe Gonzalez. Ce rapport lui avait été commandé par le Conseil européen (Gonzalez et al. 2010) ;
la refonte de la Stratégie de Lisbonne, intitulée « Europe 2020 », élaborée par la Commission européenne en 2010 et actuellement en consultation (Commission européenne 2010).
Le rapport Monti
18Le rapport sur le marché intérieur servira de base à un programme d’action de la Commission européenne, lancée 20 ans après la mise en place du marché unique en 1992. Selon l’ancien commissaire européen, le marché unique doit être relancé, notamment via l’harmonisation des politiques fiscales. Le professeur Monti a consulté de nombreux acteurs européens pour connaître leurs attentes et leurs craintes vis-à-vis du marché unique. Souvent considéré, à tort, comme appartenant au passé, alors qu’il n’a jamais été entièrement réalisé, il suscite aujourd’hui peu d’enthousiasme. M. Monti propose une approche globale d’action sur le marché unique, qui se déclinera en plusieurs initiatives présentées dans le chapitre II du rapport : par exemple l’idée d’un marché unique du numérique et l’accomplissement de la libre circulation des services et du travail. Le document, qui insiste à plusieurs reprises sur la nécessité d’une approche stratégique globale du marché unique, est destiné à devenir la feuille de route de la Commission dès 2012.
Le rapport Gonzalez
19Ce rapport est le résultat de la réflexion d’un groupe de 12 experts –Lykke Friis, Felipe Gonzalez, Rem Koolhaas, Richard Lambert, Mario Monti, Rainer Münz, Kalypso Nicolaïdis, Nicole Notat, Jorma Ollila, Wolfgang Schuster, Vaira Vike-Freiberga et Lech Walesa – instauré en 2007 à la demande du Conseil européen. Il porte sur le modèle économique et social européen, la croissance par la connaissance, la sécurité, le rôle européen dans la politique internationale, ainsi que sur la gouvernance économique. À la différence du rapport Monti, il ne pourra servir de feuille de route, mais présente des idées, résultats des discussions. Il se lit ainsi davantage comme un compte rendu des échanges que comme un rapport destiné à l’application.
Stratégie Europe 2020
20Ce document, présenté début mars 2010, remplace la Stratégie de Lisbonne qui devait faire de l’UE en 2010 l’économie de connaissance la plus compétitive du monde. Sans analyser l’échec de cette stratégie, la nouvelle version formule les trois priorités suivantes : une croissance intelligente, durable et inclusive. Selon des critiques, cette stratégie n’est en rien une innovation, mais copie la reformulation faite en 2005 de celle de Lisbonne, qui avait été « recentrée sur la croissance, l’emploi et l’environnement »8. L’intitulé révèle la volonté de lier la Stratégie de Lisbonne bis avec les « 3 x 20 »9 de la politique énergétique et environnementale. Sept initiatives phares sont formulées, préconisant des financements pour les projets numériques, la jeunesse et l’innovation, pour n’en citer que quelques-unes.
2020 : vision prospective sur l’an X du traité de Lisbonne
21Comment les institutions européennes se présenteront-elles en 2020, pour le dixième anniversaire du traité de Lisbonne ? En prolongeant de manière prudente les constats faits dans la première partie de cet article, on peut dessiner la configuration suivante, qui reste bien entendu conditionnelle.
L’UE disposera en 2020 d’un président permanent du Conseil européen fort. Le deuxième président permanent, qui sera élu en 2015 après deux probables mandats d’H. Van Rompuy, sera un représentant politique charismatique qui liera son image à celle de l’UE. La présidence en rotation aura été abolie vers la fin de la décennie, et des rotations par conseil des ministres seront désormais mises en place, à l’exception du conseil des Affaires étrangères. Un nouvel équilibre institutionnel sera trouvé entre le Conseil, le Parlement et la Commission, avec un partage des rôles équitable, aucune des institutions ne s’imposant comme primus inter pares. Le rôle du président du Parlement européen sera considérablement plus important, dans la continuité d’un processus déjà en cours.
Le Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité a des chances d’être dénommé, dès la fin de la décennie, « ministre européen des Affaires étrangères ». Il continuera à se trouver à équidistance entre Commission et Conseil. La politique extérieure et de sécurité aura été davantage européanisée par le biais de la coopération renforcée. Le SEAE aura relativisé le rôle des diplomaties nationales, notamment au niveau des représentations étrangères, et travaillera de concert avec elles sur des questions régionales européennes et de voisinage.
Les coopérations renforcées seront probablement devenues un outil essentiel de l’approfondissement de l’Union. En 2020, des coopérations renforcées dans les domaines de l’environnement, de l’énergie, des transports et de la recherche, pour n’en citer que quelques-uns, auront vu le jour. Les coopérations renforcées contribueront également à l’émergence des coopérations régionales, car les régions dans nombre de cas partagent les mêmes préoccupations. Les meilleures expériences seront transmises par la suite de région en région, comme on l’observe d’ores et déjà dans le domaine de l’énergie10. Les coopérations renforcées, délestées vers la fin de la décennie de l’exigence d’au moins neuf membres participants, deviendront ainsi un instrument primordial pour concilier approfondissement et élargissement.
Un modèle politique novateur
22L'UE restera un objet politique non identifié, une création sui generis comme le fut au XVIIe siècle l'État nation. L’État nation s’est imposé à partir de 1648, après la guerre de Trente Ans et avec le traité de Westphalie. Ce modèle de gouvernance, fondé sur les éléments peuple, gouvernement, territoire, la souveraineté et la reconnaissance internationale, s’est ensuite progressivement imposé, en deux siècles, à l’échelle planétaire. L’Europe pourrait-elle ainsi devenir, une nouvelle fois, le berceau d’un modèle de gouvernance ? Ce modèle de gouvernance régionale fondée sur l’équilibre entre intergouvernemental et supranational est d’ores et déjà apprécié dans nombre de régions dans le monde (Baylis et Smith 2008, Telo 2008). Ce dispositif, si fragile qu’il puisse paraître, sera stable. L’UE ne deviendra ni État fédéral, ni État unitaire, mais restera une structure entre deux, exposée aux tensions entre intergouvernemental et supranational. La double nature du système institutionnel de l’UE, entre confédération et fédération, persistera ainsi. La subsidiarité, renforcée par le traité de Lisbonne, sera exploitée progressivement et permettra de mieux concilier les régions, les États et les institutions communautaires. L’approfondissement des coopérations renforcées permettra de sortir de l’impasse d’une égalité mal comprise. Certes, l’UE de 2020 ne sera pas une Union sans tensions11. Mais elle aura progressé par réformes successives, à partir des éléments que le traité de Lisbonne a mis en place aujourd’hui.
23La réalité européenne et son contexte historique, que décrivaient en 1994 K. Lamers et W. Schäuble, ont bien changé, et certains risques, comme une division de l’UE en un groupe mené par la France et un autre par l’Allemagne, ne semblent plus être d’actualité. L’euro n’a pas été créé à cinq, et un noyau dur de cinq États n’a pas émergé. Cependant, d’autres problématiques identifiées alors restent posées, comme celle de l’efficacité politique d’un grand groupe d’États membres, aux intérêts en partie divergents. Les auteurs avaient mis en garde contre une extension des institutions, créées pour six, mais « bientôt à 12, ou 16 ». Ils avaient également déploré une hétérogénéité croissante des intérêts, ainsi qu’un nationalisme nouveau dans la majorité des États membres. L’impératif de l’élargissement oriental était souligné. Seize ans plus tard, on peut constater avec satisfaction qu’un certain nombre de mesures préconisées dans le papier du Kerneuropa ont été mises en œuvre, et ceci notamment par le traité de Lisbonne. La réforme institutionnelle a abouti. Le principe de la subsidiarité est renforcé, par le biais du nouveau rôle des Parlements nationaux ; l’élargissement oriental a eu lieu et d’autres sont en cours ; la capacité d’action extérieure de l’Union sera à terme renforcée, car les bases institutionnelles à cette fin viennent d’être créées. Le noyau dur qu’appelaient de leurs vœux K. Lamers et W. Schäuble – qui soulignaient cependant son caractère non définitif – n’a pas été institutionnalisé, mais il pourrait désormais être créé et renforcé par des pays qui souhaitent avancer ensemble et partager un avenir commun.
Bibliographie
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Agence européenne de l’environnement, Greenhouse Gas Emission Trends and Projections in Europe 2009, Rapport de l’AEE, n° 9, 2009.
Baylis, J. et S. Smith, The Globalization of World Politics, Oxford, Oxford University Press, 4e édition revue, 2008.
10.1093/hepl/9780198739852.001.0001 :Commission européenne, Europe 2020 – Une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive, Bruxelles, COM(2010)2020, mars 2010, <ec.europa.eu/eu2020/index_fr.htm>.
Monti, M., Une nouvelle stratégie pour le marché unique. Au service de l’économie et de la société européennes, Rapport au président de la Commission européenne José Manuel Barroso, Bruxelles, Commission européenne, 12 mai 2010, <ec.europa.eu/bepa/pdf/monti_report_final_10_05_2010_fr.pdf>.
Gonzales, F. et alii, Projet pour l’Europe à l’horizon 2030, les défis à relever et les chances à saisir, Rapport du groupe de réflexion au Conseil européen sur l’avenir de l’UE à l’horizon 2030, Bruxelles, Conseil européen, mars 2010, <www.consilium.europa.eu/uedocs/cmsUpload/Reflection_FR_web.pdf>.
Lamers, K. et W. Schäuble, Überlegungen zur europäischen Politik, Bonn, Christlich Demokratische Union/Christlich-Soziale Union, 1er septembre 1994, <www.cducsu.de/upload/schaeublelamers94.pdf>.
Schmidt, V. A., « Re-Envisioning the European Union: Identity, Democracy, Economy », Journal for Common Market Studies, Annual Review, n° 47, 2009, p. 17-42.
10.1111/j.1468-5965.2009.02012.x :Telo, M., Relations internationales. Une perspective européenne, Bruxelles, Université libre de Bruxelles, 2008.
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Notes de bas de page
1 Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne (TUE), titre VI, article 47 : « L’Union a la personnalité juridique ».
2 Pour le débat sur le traité et ses apports, cf. C. Demesmay et A. Marchetti, Le traité de Lisbonne en discussion : quels fondements pour l'Europe ?, Note de l'Ifri, n° 60, Paris, Ifri, 2009 ; The Treaty of Lisbon : Implementing the Institutional Innovations, Joint Study, European Policy Centre/Egmont/Centre for European Policy Studies, novembre 2007 ; The EU Foreign Service : How to Build a More Effective Common Policy, EPC Working Papers, n° 28, European Policy Centre, novembre 2007.
3 Articles 13 et 15 du traité de Lisbonne modifiant le TUE.
4 La double majorité qualifiée se définira dès 2014 comme égale à au moins 55 % des États membres et d’un minimum de 15, représentant au moins 65 % de la population de l’UE. Une minorité de blocage est prévue et comprendra au moins quatre membres du Conseil : cette minorité peut alors demander un délai supplémentaire de négociation au sein du Conseil. Le système prévalant jusqu’ici du vote à la majorité qualifiée attribue à chaque État un certain nombre de voix en fonction de sa population : ainsi, l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni disposent chacun de 29 voix, alors que Malte par exemple n’en compte que trois.
5 Les négociations ont été ouvertes le 26 juillet 2010, sous la présidence belge. L’adhésion est prévue pour 2012, et pourrait s’effectuer en même temps que celle de la Croatie. Les sujets délicats du processus de négociation sont les dettes islandaises envers le Royaume-Uni, ainsi que la pêche, et notamment la chasse à la baleine.
6 Visite de David Cameron à Ankara, 26 juillet 2010.
7 Voir par exemple l’interview de l’ambassadeur belge en Allemagne, M. Geleyn, le 8 juillet 2010, <www.euractiv.de/erweiterung-und-partnerschaft/artikel/belgien-praesidentschaft-ohne-programm-003350>.
8 Voir par exemple <www.confrontations.org/spip.php ?article749>.
9 Voir la contribution de M. Jauréguy-Naudin et celle d’E. Brougton, M. Créach et M. Fink dans cet ouvrage.
10 Avec les régions de l’électricité définies par l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER), par exemple : cf. S. Nies, At the Speed of Light ?. Electricity Interconnections for Europe, Étude de l’Ifri, Paris, Ifri/Technip, 2009.
11 Voir la contribution de J. Sonnicksen dans cet ouvrage.
Auteur
Jusqu’en août 2010 responsable du bureau de l’Institut français des relations internationales (Ifri) à Bruxelles et chercheur au programme Gouvernance européenne et géopolitique de l’énergie.
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