Politique sociale : les enjeux pour l’avenir à long terme
p. 199-209
Texte intégral
1L’actuelle crise de l’endettement, conséquence de l’insolvabilité de la Grèce et source de charges financières inédites pour les autres États membres de la zone euro, a fait passer la dimension sociale de la politique européenne au second plan du débat politique. Pour l’heure, la discussion porte sur la survie de l’euro et sur l’avenir du projet européen dans sa globalité. On oublie ainsi les répercussions massives, à court et à long terme, de la crise en cours sur les systèmes de sécurité sociale et l’affaiblissement de la capacité d’action sociale des États providence européens. En outre, les inégalités sociales et la pauvreté croissantes contribuent à menacer la cohésion interne de l’Union européenne (UE) et à amenuiser la confiance populaire dans l’action politique européenne, comme en témoigne le référendum de 2005 en France sur le traité constitutionnel européen. La politique sociale, qui est passée au cours des vingt dernières années seulement du statut de question accessoire à celui de domaine important de l’action européenne, représentera donc un enjeu central de la politique européenne dans les dix années à venir. C’est pourquoi, après un rapide rappel de l’évolution passée et des problématiques liées à la politique sociale européenne, cet article entend décrypter, à travers une analyse s’appuyant à la fois sur la théorie de l’intégration et une approche relevant de la politique réglementaire, les possibles formes de développement à venir de l’action sociale européenne.
Évolution et enjeux de la politique sociale européenne
2Si les traités fondateurs de la Communauté européenne comportaient déjà un chapitre relatif à la politique sociale, celle-ci est demeurée pendant des décennies un domaine négligé de l’action politique européenne. Cette dernière est et reste dominée par le principe de l’ouverture des marchés. La politique sociale se réduisait à des déclarations enthousiastes et à quelques rares mesures, notamment en matière de liberté de circulation des travailleurs et de politique d’égalité des chances, censées empêcher les atteintes au principe de concurrence. C’est seulement à partir de l’instauration du marché intérieur et de l’Union économique et monétaire (UEM) que s’est développée une politique sociale européenne et que s’est intensifié le débat sur la dimension sociale de l’action européenne1.
3La première étape importante de l’extension des compétences communautaires en matière sociale correspond à l’Acte unique européen, qui a instauré la majorité qualifiée pour les décisions relatives à la santé et à la sécurité de l’emploi. De plus, l’Acte unique a jeté les bases du développement du dialogue entre partenaires sociaux au niveau européen. À la suite de l’adoption du traité de Maastricht, un pas supplémentaire a été franchi avec la signature par tous les États membres, à l’exception du Royaume-Uni, du traité social, dont les dispositions ont été intégrées au droit européen par le traité d’Amsterdam en 1997. Parmi d’autres innovations significatives (Leiber 2005, p. 24.) ont notamment figuré la publication d’une liste d’objectifs assignés à la politique sociale européenne, l’instauration de la majorité qualifiée pour l’adoption de standards minimums en matière de protection de travail et d’égalité des sexes, ainsi que la mise sur pied d’un processus de dialogue entre partenaires sociaux (complémentaire aux processus traditionnellement prévus par la loi et permettant aux partenaires sociaux de déterminer le contenu d’accords cadres).
4Enfin, avec l’adoption de la Stratégie de Lisbonne en 2000, l’UE s’est fixé pour objectif la modernisation de la protection sociale, la promotion de l’intégration sociale et le combat contre l’exclusion sociale. De surcroît, en affinant la Méthode ouverte de coordination (MOC), déjà appliquée en matière de politique de l’emploi, l’Union s’est dotée d’un nouvel instrument utilisable dans les domaines de compétence qui ne relèvent pas du niveau communautaire et restent du ressort des États. Cela concerne particulièrement la politique d’intégration sociale et la modernisation, sous l’impulsion communautaire, des systèmes de sécurité sociale, lesquelles relèvent de la responsabilité des États. L’élargissement des compétences communautaires en matière de politique sociale a atteint son paroxysme dans les années 1990. En revanche, au moment du passage au XXIe siècle, l’action communautaire dans le champ social a pris une nouvelle direction, grâce à l’extension des objectifs de politique sociale et à l’instauration de nouvelles formes de politiques décentralisées et coordonnées, en complément de l’action communautaire, très limitée en matière sociale.
5Le débat sur la dimension sociale de la politique européenne a été initié dans les années 1970 par le chancelier allemand Willy Brandt. Arguant de la crise économique structurelle, le dirigeant allemand exigeait le renforcement des actions européennes en matière sociale. Toutefois, c’est avant tout le président de la Commission Jacques Delors qui, dans les années 1980 et au début des années 1990, a souhaité, après de longues années de stagnation, imprimer une nouvelle dynamique au projet européen et compléter la construction du marché intérieur par l’approfondissement de la dimension sociale de la politique européenne2. Dans la deuxième moitié de la décennie 1990, les discussions sur le modèle social européen ont pris un nouveau tournant. Les gouvernements, alors majoritairement sociaux-démocrates, entendaient concilier l’exigence de croissance et les politiques de l’offre associées à la libéralisation des marchés avec les objectifs de cohésion sociale. Le débat s’articulait autour de la notion de « troisième voie » formulée par Antony Giddens. Celui-ci invite à remplacer l’État providence maternant par un État social stimulant. Depuis l’Agenda de Lisbonne, ce concept sous-tend la stratégie de l’UE en matière de politique sociale3. L’action politique qui en découle, impulsée par le Conseil et la Commission, se caractérise par une approche à la fois économique, sociale et relative à l’emploi. À cet égard, la politique sociale est conçue comme un facteur de concurrence et les lois doivent se conformer à une politique économique tournée vers l’offre. Ceci implique de renforcer la formation du capital humain nécessaire à l’établissement d’une économie de la connaissance4. Cela implique également de promouvoir l’intégration sociale et celle du marché de l’emploi, ainsi que de combattre la pauvreté au moyen d’une politique d’amélioration de la qualification des travailleurs. À ce titre, il incombe aux États membres de fournir aux citoyens les moyens de leur accomplissement personnel dans une économie globalisée et fondée sur le savoir. Les États se doivent aussi, conformément au souhait de l’UE, d’assumer le principe de solidarité envers ceux qui ne parviennent pas à s’adapter aux processus de changement et se retrouvent exclus du système marchand.
6Finalement, la politique sociale est devenue un champ important de l’action européenne. Elle est conditionnée par la structure complexe du système européen, qui s’articule autour de plusieurs niveaux. Malgré l’accroissement considérable des missions, compétences, instruments et activités communautaires en matière de politique sociale, celles-ci restent essentiellement du ressort des États membres, notamment lorsqu’il s’agit de corriger certains effets du système marchand. Le système européen à plusieurs niveaux se caractérise par une imbrication et une interdépendance croissantes des sphères d’action. Or, ceci représente un risque grandissant de blocage pour la politique sociale (Falkner 2004, p. 18). En effet, alors que la capacité d’action des États providence se voit progressivement réduite par les interventions, directes et indirectes, de l’échelon européen5, l’Europe ne dispose pas des compétences et ressources nécessaires pour compenser les faiblesses de l’échelon national dans le domaine de l’action sociale.
7À ce stade, on peut retenir que le développement au niveau européen des prérogatives et activités en matière de politique sociale s’est accompagné d’un affaiblissement du modèle européen de l’État social, et en aucun cas de sa consolidation ou de son renforcement. Sans tenir compte des difficultés financières frappant les systèmes de sécurité sociale, accentuées à la fois par l’évolution démographique et la crise économique, la faiblesse du modèle de l’État social est visible à travers l’aggravation des problèmes sociaux et le risque croissant d’une fragmentation sociale au sein de l’Union élargie. De fait, les inégalités sociales à l’intérieur de chaque État et entre États membres se sont creusées6. La pauvreté, qui touche en particulier les enfants et les jeunes, a progressé (Commission européenne 2009), tandis que l’intégration défaillante des populations immigrées a conduit à la formation de nouvelles sous-couches sociales défavorisées.
Évolutions possibles au cours de la prochaine décennie
8Malgré – ou bien en raison de – ce bilan assez négatif de la politique sociale européenne, celle-ci pourrait devenir un sujet central de la politique européenne au cours de la prochaine décennie. En faisant abstraction des défaillances fonctionnelles et des déficits d’efficacité décrits plus haut, lesquels requièrent en soi de réfléchir à des réformes, il est certain que le montant des charges sociales et l’exigence d’une croissance conforme à un développement écologique et social durable constituent des facteurs déterminants de la compétitivité de l’UE et des États membres sur le marché global. À ce titre, la stabilité sociale représente, principalement dans le cadre national mais aussi au niveau européen, un critère important pour légitimer l’action politique.
9Pour penser les évolutions potentielles de la politique sociale, on peut recourir à un raisonnement empruntant à la fois à la théorie et à l’approche relevant de la politique réglementaire. Au cours de la décennie qui s’achève, tandis que la recherche européenne en science politique a privilégié la théorie de l’intégration, l’économie politique s’est intéressée prioritairement aux modèles de développement inspirés de la politique réglementaire. Il convient de souligner qu’outre le contexte institutionnel, les choix relevant de la politique réglementaire faits par les acteurs déterminent eux aussi le développement concret de la politique sociale en Europe (Falkner 2000, p. 294 et suivantes). En croisant les modes de raisonnement issus de la théorie de l’intégration et ceux inspirés par la politique réglementaire, on parvient à distinguer trois types d’action de politique sociale, lesquels sont évoqués de manière plus ou moins précise dans le débat sur le modèle social européen.
10Il s’agit d’abord de considérer l’idée d’un État social fédéral. Ce modèle est régulièrement mentionné par la France dans ses prises de position au sujet de la dimension sociale de la politique européenne7. Il se fonde sur une politique active de croissance, un transfert accru vers l’échelon européen de prérogatives sociales et en matière d’emploi, ainsi que sur la formulation d’une politique sociale cherchant un juste milieu entre les logiques propres au concept de l’État social maternant et celles issues du concept de l’État social prévenant. Il est peu réaliste d’imaginer la mise en œuvre concrète du modèle de l’État social fédéral. L’attribution à l’échelon européen de responsabilités en matière de politique sociale a atteint son apogée dans les années 1990. À l’avenir, du moins au cours de la prochaine décennie, un nouveau transfert de compétences semble peu probable. La diversité accrue des types d’État providence résultant de l’élargissement de l’UE et les niveaux inégaux de développement économique sont incompatibles avec un accord sur un modèle social politique commun. D’autres arguments plaident contre l’harmonisation de la politique sociale au niveau européen, invoquant le caractère déterminant de l’action sociale dans le processus de légitimation politique, ou encore le faible attachement des citoyens à la solidarité au niveau communautaire, qui leur paraît relever largement de la fiction.
11À l’opposé du modèle de l’État social européen fédéral, on trouve l’approche néolibérale. Celle-ci fait l’apologie de la concurrence entre États membres qui, dans un contexte d’ouverture des marchés, contraint chacun d’entre eux à se faire le plus attractif possible. Les caractéristiques essentielles de ce modèle sont la recherche de la croissance au moyen de la libéralisation des marchés, une politique économique tournée vers l’offre et le maintien entre les mains des États d’un pouvoir de régulation, de plus en plus réduit, en matière de politique sociale. Ce modèle trouve ses plus fervents partisans en Grande-Bretagne ainsi que dans de nombreux pays d’Europe orientale et centrale. Toutefois, son application paraît tout aussi irréaliste. En effet, se heurtant à la tradition étatique prévalant en Europe et au principe de régulation par l’État social, ce modèle ne parviendra, ni à court ni à moyen terme, à trouver une légitimité. Par ailleurs, l’aspiration grandissante à une régulation politique accrue de l’économie laisse penser que l’expansion du modèle politique néolibéral vient, dans le contexte de la crise économique et financière, d’atteindre ses limites (Krugman 2009, Straubhaar, Wohlgemuth et Zweynert 2009).
12En fait, l’évolution la plus probable est que l’UE, conformément à sa tradition en matière de politique sociale, continue à se développer sur le modèle de l’« État social régulateur » (Majone 1996). À la lumière de la théorie de l’intégration, ce modèle se lit comme le partage entre les échelons européen et nationaux des compétences de politique sociale relevant habituellement des seuls États. Dans cette perspective, le niveau communautaire est prioritairement chargé de définir une politique de régulation, tandis que le niveau national assume principalement des mesures de redistribution. Quant à l’approche relevant de la politique réglementaire, elle fait, à l’heure actuelle, du modèle de l’« État social stimulant » (Lamping et Schridde 2004) la référence centrale pour aborder les questions de politique sociale. Notre étude de l’évolution du modèle de politique sociale dans le système européen à plusieurs niveaux part du postulat suivant, à la fois pragmatique et optimiste : l’UE ne peut exercer les fonctions des États providence, mais ses institutions peuvent soutenir des stratégies politiques nationales destinées à défendre les valeurs de l’État providence contre les forces du marché intérieur (Scharpf 1998, p. 347).
13La première condition au renforcement de la politique sociale dans le cadre du système européen à plusieurs niveaux réside dans le « rétablissement de la stabilité macroéconomique et le retour à une évolution viable des finances publiques », pour reprendre les termes des récentes conclusions du Conseil européen (2010). À cette fin, il est nécessaire de mettre en œuvre un contrôle des marchés financiers, réclamé mais jusqu’ici resté lettre morte. Il faudrait également approfondir la coordination et le contrôle des politiques économique, financière et fiscale au sein de l’UE. Cela permettrait d’améliorer la compétitivité européenne, d’empêcher des transferts de compétence contre-productifs en matière sociale et d’atténuer l’intensité de la concurrence entre territoires au sein de l’UE. L’harmonisation des politiques financière et fiscale, sans cesse demandée par les spécialistes, ne semble pas envisagée dans un avenir proche. En revanche, le principe d’une coordination des politiques économiques, longtemps exigé par les seuls Français, est désormais approuvé par la majorité des États membres. Dans la Stratégie Europe 2020, le Conseil européen soulève l’idée d’une coordination économique. Toutefois, le flou entourant les objectifs, les instruments et l’étendue qui lui seront attribués laisse encore une grande place au débat.
14Enfin, en plus d’améliorer la situation générale, il importe de renforcer la capacité d’action en matière de politique sociale, tant au niveau national qu’au niveau communautaire. À cet égard, les chercheurs, les syndicats ou encore les sociaux-démocrates ont émis nombre de propositions, dont la mise en œuvre reste une perspective lointaine (Leiber 2007, Fischer et al. 2010). Ainsi, l’UE pourrait exercer une régulation en établissant des standards sociaux minimums. Ces derniers devraient toutefois être adaptés au niveau de productivité de chacun des États membres. En attribuant un caractère plus contraignant aux mesures de coordination prises dans le cadre de la MOC, l’efficacité de l’action européenne dans le champ de la politique sociale serait accrue. Par ailleurs, l’attribution d’une dimension sociale au Pacte de stabilité et de croissance (PSC) prendrait une signification concrète si la clause sociale prévue par le traité de Lisbonne était appliquée8, tant dans la politique européenne qu’en jurisprudence, de façon à développer l’aspect social de la politique européenne et à corriger les effets du marché et de la concurrence. De cette manière, la marge d’action des États dans le champ de la politique sociale s’en retrouverait largement augmentée.
Un avenir incertain pour la politique sociale européenne
15En résumé, force est de constater que la politique sociale européenne, et le débat qui l’accompagne, se devaient d’effectuer un sursaut pour rattraper le niveau de développement du marché intérieur et de l’UEM. Cet approfondissement a atteint son paroxysme avec l’extension des compétences, des objectifs et des instruments de politique européenne décidée par les traités d’Amsterdam et de Lisbonne. Néanmoins, en matière sociale, si la politique européenne a élargi le champ de son intervention, elle n’a pas renforcé son action. Au contraire, tandis que l’européanisation de la politique sociale a abouti à une réduction de la capacité d’action sociale des États providence, cet affaiblissement n’a pas été entièrement compensé par la politique sociale menée au niveau européen. De surcroît, l’Agenda de Lisbonne, en programmant la transformation de l’État social maternant en État social stimulant, a ouvert la voie à une limitation des mesures de redistribution assurées par les États providence.
16Transférer davantage de prérogatives en matière de politique sociale à l’échelon européen ne permettra pas de renforcer la dimension sociale de l’action politique européenne. Pour atteindre cet objectif, la seule solution est, dans le cadre du système européen à niveaux multiples, d’accroître l’efficacité de la conduite de la politique sociale. Pour cela, il faut veiller au maintien de conditions macroéconomiques et financières permettant de mener des actions de politique sociale. Ensuite, il convient d’améliorer la coordination horizontale et verticale de la politique sociale au sein du système européen à plusieurs niveaux. À cet égard, la définition, la mise en œuvre et le contrôle du respect d’objectifs obligatoires et de standards minimums, aux niveaux national et supranational, semblent des moyens judicieux de renforcer la coordination des États membres entre eux et des États membres avec l’échelon communautaire. Par ailleurs, il convient de souligner que le modèle de l’État social stimulant n’implique pas la disparition des responsabilités de l’État, mais bien plutôt une redéfinition et un développement de celles-ci. Ainsi, la nécessité croissante de fournir à la société les moyens de s’adapter à une économie de la connaissance globalisée requiert l’approfondissement de la politique de formation9, de l’emploi et de la famille. Par ailleurs, l’État social stimulant ne peut abandonner complètement le suivi et la satisfaction des besoins résultant des difficultés sociales. En d’autres termes, il doit continuer à veiller à la sécurité de ceux qui ne parviennent pas à s’intégrer au système marchand.
17Le développement, au cours de la prochaine décennie, de la politique sociale dans le système européen à plusieurs niveaux sera déterminé par l’évolution des rapports de force politiques et le volontarisme, en matière de politique sociale, des acteurs communautaires et nationaux. À cet égard, notre pronostic est plutôt pessimiste. La crise économique et financière a accentué les tendances à se concentrer prioritairement sur les intérêts politiques nationaux et à remettre en question l’action politique propre à l’État providence. De surcroît, la crise de l’endettement a mis en évidence que, dans les pays les plus pauvres de l’UE, comme la Bulgarie et la Roumanie, mais aussi en Grèce, en Espagne et au Portugal, les dettes et le déficit de la balance commerciale étaient le fondement de l’étonnante croissance du produit national brut (PNB) et du revenu moyen par habitant (Dauderstädt 2009). La cohésion des États membres est plus fragile qu’il n’y paraît et, parmi eux, les pays particulièrement touchés par la crise de la dette n’ont ni la capacité, ni la volonté de soutenir un approfondissement de la politique sociale dans les sphères nationale et communautaire. Par ailleurs, l’évolution du débat au niveau européen témoigne d’une ambition amoindrie en matière de politique sociale. Déjà l’Agenda de Lisbonne, censé démontrer un engagement communautaire plus fort dans le domaine social, a subi en 2005 une révision dans le sens d’un recentrage sur les questions liées à l’économie et à l’emploi. L’Agenda Europe 2020, fixé par la Commission et le Conseil dans le contexte de l’échec de la stratégie de Lisbonne et de l’actuelle crise économique et financière, laisse également une impression mitigée. Alors que la Commission attribue à la politique sociale une place de choix dans son projet d’Agenda (Commission européenne 2010), les décisions du Conseil la noient dans un flot d’objectifs cadres, dont la méthode de mise en œuvre reste floue (Conseil européen 2010). L’image que l’UE veut donner d’elle et ses déclarations d’intention sont éloignées de l’évolution réelle. À ce titre, le scénario de formation d’une « Europe sociale » paraît plutôt improbable (Lamping 2008, p. 596). En outre, non seulement les syndicats, mais aussi les partis de sensibilité sociale-démocrate, c’est-à-dire les partisans traditionnels les plus puissants de la politique sociale en Europe, sont repliés dans une attitude défensive et devraient le rester, au moins jusqu’à moyen terme. En témoignent la faiblesse des syndicats dans de nombreux pays et l’échec des partis sociaux-démocrates aux élections européennes de juin 2009. Au final, on peut craindre que l’intensification de la concurrence aux niveaux européen et mondial, conjuguée à l’augmentation au sein de l’UE élargie du nombre d’États membres endettés et économiquement faibles, n’aient signifié la fin irrémédiable de l’âge d’or de l’espace social européen.
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Notes de bas de page
1 À propos du développement de la politique sociale européenne, voir S. von Oppeln, « Le modèle social européen : bilan et perspectives », in M. Koopmann et S. Martens (dir.), L’Europe prochaine. Regards franco-allemands sur l’avenir de l’Union européenne, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 89-104.
2 Cf. « Heute muss man die Deutschen von Europa überzeugen. Jacques Delors im Gespräch mit Sabine von Oppeln und Reinhard Blomert », Leviathan, n° 1, 2010, p. 1-21.
3 Voir la Stratégie de Lisbonne, Conseil européen, 23 et 24 mars 2000, Lisbonne, Conclusions de la Présidence. L’ambition affichée est de faire de l’UE « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010 », avec l’objectif stratégique de renforcer l’emploi, la réforme économique et la cohésion sociale en tant que composantes d’une économie de la connaissance.
4 Voir l’Agenda social européen adopté lors du Conseil européen de Nice les 7, 8 et 9 décembre 2000, Journal officiel de l’Union européenne n° C157 du 30 mars 2001 ; Communication de la Commission sur l’Agenda pour la politique sociale 2005-2010, COM(2005)33 version définitive, Bruxelles, 9 février 2005 ; Communication de la Commission à l’adresse du Parlement européen, du Conseil, du Comité économique et social européen et du Comité des régions, Un Agenda social renouvelé : opportunités, accès et solidarité dans l’Europe du XXIe siècles, COM(2008)412 final, Bruxelles, 2 juillet 2008 ; Agenda 2020, Conclusions du Conseil européen à Bruxelles 25 et 26 mars 2010, EUCO7/10, Bruxelles, 26 mars 2010.
5 La limitation directe du pouvoir des États providence résulte de la législation communautaire, de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) et, plus récemment, de l’influence exercée grâce à la méthode MOC par l’échelon européen sur la réforme des systèmes de sécurité sociale. Les influences indirectes prennent leur source dans la liberté de circulation, la concurrence sur le marché intérieur, la concurrence au niveau européen et mondial et l’ouverture croissante des systèmes de sécurité sociale au marché européen. Cf. Leibfried et Pierson 2000 et Leibfried 2006.
6 Cf. European Centre for Social Welfare Policy and Research, Annual Monitoring Report 2009, Social Situation Observatory. Income Distribution and Living Conditions, p. 74 à propos de l’inégalité de revenus entre les États membres et p. 9 à propos de l’inégalité de revenus à l’intérieur des États membres.
7 Cf. notamment L. Jospin, « Europa schaffen ohne Frankreich abzuschaffen, ist mein Kredo. Grundsatzrede des französichen Regierungschef am 28 Mai 2001 », Frankfurter Rundschau, 5 juin 2001, p. 8.
8 Cf. traité de Lisbonne, titre II, article 9 : « Dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l'Union prend en compte les exigences liées à la promotion d'un niveau d'emploi élevé, à la garantie d'une protection sociale adéquate, à la lutte contre l'exclusion sociale ainsi qu'à un niveau élevé d'éducation, de formation et de protection de la santé humaine », Journal officiel de l’Union européenne n° C115/47, 9 mai 2008.
9 Voir la contribution de N. K. Wissmann dans cet ouvrage.
Auteur
Chercheur et enseignante à l’Institut des sciences politiques de l’université libre de Berlin, spécialiste de l’intégration européenne et des relations franco-allemandes.
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