Matières premières : sécurité d’approvisionnement et technologies d’avenir
p. 85-102
Texte intégral
Généralités
1Au cours des 20 dernières années, la très forte croissance économique mondiale a considérablement fait monter la demande et les prix sur les marchés internationaux de matières premières. Puisque l’Union européenne (UE) est dépendante de presque toutes les matières premières, l’industrie et la politique, à l’échelle tant nationale qu’européenne, s’interrogent de manière croissante sur la sécurité des approvisionnements, la dépendance vis-à-vis des importations et l’efficience des matières premières.
2Les matières premières sont indispensables au fonctionnement durable de notre société moderne. Ceci vaut pour les matières premières énergétiques, telles que le charbon, le pétrole, le gaz naturel et l’uranium, autant que pour des matières premières non énergétiques comme les matières premières métalliques, les métaux non ferreux, les métaux précieux et les matières premières non métalliques. Ces matières premières sont essentielles à la compétitivité et à la capacité d’innovation de l’économie européenne. Des secteurs importants, comme le bâtiment, l’industrie chimique, l’industrie automobile, la construction de machines, l’électrotechnique, les technologies de l’information et de la communication, sont largement dépendants d’un approvisionnement sûr en matières premières.
3En dépit de la baisse des prix due à la crise financière en 2009, les prix des matières premières atteignent un niveau historique. Les métaux de base sont en passe de retrouver les maximums d’avant la crise. Certains signes indiquent que la pression sur les prix perdurera à moyen, voire long terme, en particulier parce que les pays asiatiques demandent de plus en plus de matières premières et, pour assurer l’avenir, investissent à l’étranger dans la concentration vers l’amont et le développement de gisements. Ainsi de nombreux analystes parlent-ils à nouveau d’un « supercycle vivant »1 dans le secteur des matières premières.
4L’approvisionnement européen en matières premières souffre d’un problème structurel : l’accès aux matières premières se trouve désavantagé ou même discriminé par différents facteurs d’influence, et la crise financière mondiale a encore renforcé cette tendance. La contribution qui suit s’attache à donner une vue d’ensemble des principales matières premières dans l’UE. Elle fera apparaître les possibilités propres d’obtention et d’approvisionnement, ainsi que les dépendances aux importations de matières premières. Au travers d’exemples précis, on présentera la concentration des pays et de l’offre, et on identifiera les matières premières dites critiques. L’évolution des volumes et des prix sera explicitée, ainsi que la pertinence environnementale des matières premières et les aspects liés à la sécurité des approvisionnements. Enfin, l’initiative « Matières premières » constitue le cadre de l’approvisionnement européen en matières premières jusqu’en 2020.
Les matières premières dans l’Union européenne
5L’extraction de matières premières et l’autosuffisance au sein de l’UE ont perdu en importance au cours des dernières décennies. Ceci est dû, d’une part, à l’épuisement des gisements et, d’autre part, à la concurrence internationale croissante pour l’extraction des matières premières. Au niveau international, l’extraction de matières premières se concentre aujourd’hui sur l’exploitation de gisements riches et l’utilisation de technologies minières modernes ; cette évolution s’explique entre autres par les processus de concentration des producteurs miniers internationaux.
6Néanmoins, l’extraction de matières premières au sein de l’UE, en partie fortement encouragée par des mesures nationales (comme c’est le cas pour l’extraction de houille en Espagne, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Pologne), est notable en raison des quantités produites. Les méthodes d’extraction étant techniquement très efficientes et respectueuses de l’environnement, la rentabilité économique est globalement suffisante. Puisque la haute technologie est très importante pour les marchés d’exportation, le développement et l’utilisation de technologies et de procédés respectueux de l’environnement dans le secteur des matières premières resteront déterminants à l’avenir. À ce propos, l’industrie accorde une attention croissante à la production de matières premières à partir de déchets (elles sont alors appelées « matières premières secondaires »).
Matières premières énergétiques
7Au lendemain du premier conflit gazier russo-ukrainien de 2006, la question de la sécurité des approvisionnements de l’UE a été mise à l’ordre du jour politique et est depuis devenue une priorité. Les experts et organisations énergétiques internationaux, tels que l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’Energy Information Administration américaine ou le Conseil mondial de l’énergie (CME), ainsi que la Commission européenne, s’accordent à dire que seul un bouquet (ou mix) énergétique équilibré et aussi large que possible, n’excluant aucune source d’énergie, pourra garantir la sécurité énergétique européenne, nationale et régionale. À moyen terme en particulier, c’est-à-dire d’ici à 2020, il ne faudra renoncer ni à l’énergie nucléaire, ni au charbon, en raison des défis considérables de la sécurité énergétique européenne et du changement climatique mondial.
8L’UE ne participe qu’à hauteur d’environ 10 % à la production mondiale d’énergie primaire. En 2020, elle consommera chaque année près de 2,5 milliards de tonnes équivalent charbon (TEC). Les différents scénarios d’évolution postulent que la part des énergies alternatives augmentera en raison du progrès technique et de l’amélioration de l’efficience énergétique qui en découlera. D’autres facteurs influenceront aussi cette évolution : la hausse du prix du marché pour les sources d’énergie conventionnelles, en premier lieu le pétrole et le gaz naturel, et les mesures de soutien aux énergies alternatives initiées par les acteurs politiques. Néanmoins, comme les besoins énergétiques sont globalement en augmentation, les matières premières énergétiques continueront à jouer un rôle considérable. Il sera d’autant plus important d’estimer la situation des réserves de chacune des matières premières énergétiques, et son utilisation à moyen et long terme. La part de l’UE (4 %) dans la production de matières premières énergétiques mondiale est minime ; l’UE dépend aujourd’hui à 50 % des importations et cette dépendance s’accroîtra encore à l’avenir.
9Pour cette raison et notamment à cause de la forte hausse des prix, des réflexions ont été lancées dans certains pays, dont l’Espagne et l’Allemagne, en vue d’exploiter les riches mines de houille de telle manière qu’elles continuent à produire au-delà de 2020. En tout état de cause, la dépendance pour les matières premières énergétiques reste élevée et continuera de croître jusqu’à dépasser le seuil des 60 % en 2020.
Matières premières métalliques
10Parmi les principales matières premières métalliques figurent le minerai de fer et les métaux d’alliage importants pour la production d’acier inoxydable (chrome, manganèse, nickel, molybdène et vanadium). Stimulée par les besoins chinois en acier, la production européenne d’acier a elle aussi crû d’un peu plus de 1 % par an, atteignant aujourd’hui environ 170 millions de tonnes (soit à peu près 16 % de la production mondiale). Les principales réserves européennes de matières premières se trouvent en Suède (minerai de fer, mine de LKAB à Kiruna) et en Finlande (chromite, mines d’Outokumpu à Kemi et à Tornio).
11Le manganèse et le nickel sont comparativement peu extraits en Europe de l’Est et en Grèce. Le vanadium, qui représente 90 % des métaux d’alliage utilisés dans la production d’acier inoxydable, et le molybdène ne sont plus extraits en UE en tant que matières premières primaires. Le tableau d’ensemble fait apparaître une faible autosuffisance de l’Union pour ce qui est des matières premières métalliques. De plus, si on examine le cas du chrome, du manganèse et du vanadium, on constate une forte concentration de la production en Afrique du Sud.
12Le besoin en matières premières métalliques des pays de l’Est, qui continuera à croître à l’avenir, conduit fondamentalement à une plus grande dépendance vis-à-vis des producteurs internationaux. Dans un contexte marqué par une concurrence mondiale très dure, il en résulte, en particulier pour l’industrie de production et de transformation, la nécessité impérieuse d’organiser le plus efficacement possible l’utilisation de matières premières rares et chères. Entre-temps, de nombreux États membres de l’UE ont intégré à leur stratégie nationale l’objectif d’améliorer significativement l’efficacité des matières premières (ordre de grandeur : 30 % à 50 % d’ici 2020). Au premier plan de ces stratégies ne figure pas seulement l’optimisation des processus de production, mais aussi le développement permanent de nouveaux matériaux et produits intermédiaires qui contribuent à réduire l’utilisation de matières premières dans la fabrication et l’utilisation de produits. De surcroît, le recyclage de matières premières et l’obtention de matières premières secondaires se voient accorder une importance encore plus grande que par le passé. Jusqu’à présent, l’UE exportait trop de matériel usagé qui aurait aussi pu faire l’objet d’un recyclage. Cependant, on atteint aujourd’hui un taux de recyclage supérieur à 40 % pour les matières premières métalliques ; l’industrie vise l’objectif de 60 % en 2020.
Métaux non ferreux
13Les métaux non ferreux étudiés ici – cuivre, plomb, zinc et bauxite/alumine – sont des matières premières privilégiées dans le cycle économique européen. En Europe, l’extraction des matières premières primaires stagne cependant depuis des années et se cantonne à quelques lieux de production.
14En raison de sa diversité et de sa conductivité électrique, le cuivre constitue un métal idéal pour l’électricité, l’électronique et les télécommunications. C’est pourquoi son utilisation a nettement progressé au cours de la dernière décennie, enregistrant un taux de croissance annuel supérieur à 3 %. Au sein de l’UE, la demande est définie principalement par la France, l’Italie et l’Allemagne. Ces trois pays utilisent ensemble chaque année environ 2,5 millions de tonnes de cuivre, soit environ 14 % de la demande mondiale, qui s’élève à 18 millions de tonnes (à titre de comparaison, le premier producteur minier européen, KGMH Polska Miedz, n’extrait plus actuellement que 0,5 million de tonnes de minerai de cuivre). En raison de la pénurie qui se dessine à travers le monde, le plus grand producteur européen de cuivre, Aurubis AG, a sécurisé ses livraisons de matières premières grâce à des contrats à long terme (par exemple avec des producteurs chiliens) et à une structure de fournisseurs très variée. De plus, des tentatives sont entreprises en vue de limiter à l’avenir la croissance des besoins en minerai de cuivre grâce au recyclage des déchets de cuivre.
15Bien que l’extraction de bauxite, matière première de départ pour la production d’aluminium, soit faible au sein de l’UE, la situation de l’approvisionnement est jugée satisfaisante en raison de l’offre internationale abondante. De surcroît, le recyclage a vu sa valeur augmenter aussi dans le cadre de la production d’aluminium. Les producteurs d’aluminium s’inquiètent moins du prix des matières premières que de celui de l’énergie, qui est leur facteur de production le plus coûteux.
16En raison de sa malléabilité et de son bas point de fusion, le plomb est l’un des métaux utilisés depuis le plus longtemps. La principale source de plomb est aujourd’hui le recyclage de vieux produits en plomb. En Europe, ce sont la Suède et la Pologne qui disposent des plus grandes réserves de matières premières primaires et contribuent modestement (un peu plus de 1 % chacune) à la production mondiale.
17En ce qui concerne le zinc, l’UE atteint la part remarquable de 7 % de la production mondiale (12 millions de tonnes) grâce aux mines d’Irlande, de Suède et de Pologne. La galvanisation de l’acier représente la première utilisation de zinc dans le monde, de telle sorte que la demande de zinc est dictée principalement par les besoins en acier. En raison de la forte demande des pays asiatiques, le prix du zinc a plus que quadruplé depuis le début des années 2000, dépassant les 2 400 euros la tonne. En Europe, ces prix durablement élevés ont conduit à plusieurs reprises les industriels à remplacer le zinc par des matières plastiques, ce qui a fait reculer provisoirement la demande.
Les métaux de la famille du platine
18Les six éléments platine, osmium, iridium, ruthenium, rhodium et palladium appartiennent à la famille du platine (les platinoïdes). Le platine et le palladium ont acquis une importance particulière dans l’usage industriel, leur domaine d’emploi s’étendant jusqu’aux pots catalytiques de l’industrie automobile ; d’autres utilisations catalytiques se retrouvent dans l’industrie chimique. Par ailleurs, l’industrie du bijou, l’industrie électrique (alliages de platine dans les électrodes, les capteurs, les contacteurs, les résistances, les composants informatiques), l’industrie du verre (instruments de laboratoire), ainsi que la technologie dentaire et médicale (biocompatibilité pour les stimulateurs cardiaques par exemple) représentent les principaux utilisateurs de platine.
19Étant donné que l’installation de pots catalytiques dans les automobiles devrait continuer à se développer (le platine est utilisé principalement dans les moteurs diesel, le palladium dans les moteurs essence) en raison de la hausse de la demande et des exigences accrues en matière environnementale, on s’attend à une hausse de la demande en métaux platinoïdes jusqu’en 2020. L’extraction de platine au sein de l’UE est modeste au regard de la production mondiale et se limite pour l’essentiel aux gisements finlandais. L’Afrique du Sud concentre près de 90 % des réserves de platinoïdes, ce qui est critique ; les réserves restantes se répartissent principalement entre la Russie et l’Amérique du Nord. Plus de 90 % de la production mondiale, à hauteur de 15 millions d’onces, est fournie par quatre producteurs (Anglo, Norilsk, Implats et Lonmin). Ainsi, l’extraction de platinoïdes est concentrée géographiquement et commercialement.
20À cause de la forte hausse des prix des dernières années – le prix du platine s’élève aujourd’hui à environ 1 700 euros l’once de platine fin, soit 1,3 fois le prix de l’or –, l’incitation au recyclage est forte. À moyen terme, tous les secteurs industriels essaieront donc d’atteindre en moyenne 50 % de recyclage. Actuellement, ce ratio de recyclage est encore très variable : dans l’industrie du verre et les catalyseurs industriels, il est de 60 % à 90 %, alors que les secteurs de l’automobile, du bijou, des technologies dentaires et de l’électronique, où le taux varie entre 10 % et 40 %, disposent encore de grandes marges de progression.
Sécurité des approvisionnements en matières premières
21L’UE dépend massivement d’importations de matières premières en raison de sa faible production propre, toutes familles de matières premières confondues. Actuellement, environ deux tiers de toutes les matières premières utilisées sont importés en provenance de pays extracommunautaires. L’Allemagne importe même 100 % de ses besoins en matières premières primaires métalliques. Suite à la hausse considérable des prix des matières premières importées en 2005, les questions de sécurité des approvisionnements en matières premières ont vu leur importance croître à nouveau dans les sphères politiques et économiques. L’économie européenne, les fédérations d’entreprises et divers instituts se sont saisis entre-temps du thème de l’approvisionnement en matières premières et ont abordé des aspects en partie différents, qui sont importants pour pouvoir réagir de façon appropriée, à l’avenir, à la dépendance croissante aux importations de matières premières.
22Outre certaines matières premières énergétiques, l’Europe dispose aussi de nombreuses matières premières non énergétiques très importantes pour les économies des États membres. L’accès aux gisements de matières premières est cependant insuffisamment protégé par la loi, de sorte que beaucoup de gisements existant géologiquement se trouvent réduits par des mesures d’aménagement du territoire qui donnent la primauté à d’autres projets. C’est le cas de zones affectées au logement, à l’industrie et à la circulation, mais surtout des mesures prises en vue de classer une zone en vertu de règlements relatifs à la protection des nappes phréatiques, de la nature ou du paysage. Ainsi, l’accès à de nouveaux gisements est d’ores et déjà largement entravé. On peut donc prévoir que des goulots d’étranglement apparaîtront dans l’approvisionnement en matières premières minérales nationales alors que ces dernières sont géologiquement présentes en quantités suffisantes. À cet égard, l’industrie demande que :
l’aménagement du territoire (et le classement de certaines zones en zones protégées) prenne en compte tant les besoins écologiques et sociaux que les besoins économiques ;
l’aménagement du territoire intègre concrètement la désignation des gisements, indépendamment des besoins ;
l’utilisation renforcée de comptes écologiques de compensation soit soutenue.
23À l’étranger, les entreprises européennes engagées dans des projets liés aux matières premières (intégration vers l’amont) sont confrontées à diverses difficultés, telles que l’insuffisance des informations géologiques sur les gisements de matières premières et les mines, l’opacité des procédures d’attribution et le manque d’infrastructures. Cette situation est rendue encore plus délicate par les efforts de certains pays émergents qui veulent s’assurer un accès privilégié à des matières premières et ainsi les tenir éloignées des marchés internationaux – au détriment des acteurs économiques en Europe. Un exemple lourd de conséquences en est le financement de projets d’infrastructures en Afrique, à l’occasion desquels le remboursement des emprunts se fait sous la forme de livraisons de matières premières. À cause de cette pratique commerciale, les matières premières n’atteignent pas le marché mondial et ne sont donc pas mises à la disposition des entreprises européennes. Fondamentalement, le secteur européen des matières premières exige donc que :
dans le cas où de nouveaux gisements de matières premières dans les pays en développement seraient insuffisamment explorés, la politique de développement européenne apporte son soutien à la prospection ;
les projets envisagés dans le cadre de la politique d’aide au développement soient, dans la mesure du possible, intelligemment liés à des projets d’investissement d’entreprises européennes ;
les difficultés apparaissant lors d’une demande de licence de prospection et d’exploitation, et résultant de questions de procédure, puissent être abordées dans le cadre de la politique étrangère ;
les conditionnalités de financement pour des projets d’infrastructures qui contreviennent aux principes de l’initiative internationale d’allégement de la dette soient rendues transparentes.
24Les droits et taxes à l’exportation nuisent au bon fonctionnement des marchés internationaux de matières premières et entraînent des distorsions de concurrence significatives. Pour les entreprises de l’UE, cela signifie une entrave à l’acquisition de matières premières et de produits semi-finis. L’industrie exige en particulier de la Commission européenne qu’elle s’engage en faveur de l’amélioration des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les enfreintes aux dispositions applicables de l’OMC doivent être divulguées de manière renforcée dans le cadre de ses procédures de règlement de différends. De plus, les distorsions de commerce et de concurrence doivent être systématiquement abordées lors des discussions entre la Commission européenne et les pays concernés.
25La concentration croissante observée chez les producteurs de matières premières internationaux met en péril l’approvisionnement en matières premières de l’industrie européenne si l’association d’entreprises crée des structures de marché susceptibles de limiter la concurrence. La concentration de la production de certaines matières premières métalliques a déjà atteint des proportions inquiétantes, comme le montre le tableau 1.
26En outre, certaines matières premières (par exemple le minerai de fer) sont aussi touchées par la concentration du commerce ; ainsi, la position dominante des grands consortiums de matières premières pourrait conduire à la réduction de l’offre et donc à la hausse des prix. Les coûts qui en résultent pour l’ensemble de la chaîne industrielle de production de valeur pèsent lourdement sur les entreprises européennes. La Commission du commerce international de l’UE a déjà entrepris des efforts poussés pour observer le comportement sur le marché des entreprises internationales de matières premières, examiner précisément les fusions et réagir au moyen de contre-mesures à toute entorse aux règles ou à toute limitation de la concurrence. La Commission européenne (avec le commissaire au Commerce, Karel De Gucht) espère pouvoir mettre en œuvre les mesures nécessaires en coopération étroite avec d’autres autorités internationales de la concurrence.
Matières premières critiques et technologies d’avenir
27On qualifie de critiques des matières premières stratégiques, pour lesquelles un goulot d’étranglement est prévisible. Ceci ne se rapporte pas seulement à une raréfaction physique générale, mais aussi à la part du recyclage et à la substituabilité des matières premières au cours des cycles économiques. De surcroît, on a identifié un grand nombre de matières premières pour lesquels la demande va augmenter d’ici à 2030 en raison des nouvelles technologies d’avenir dans les secteurs des transports, des technologies de l’information et de la communication, de l’énergie, de l’électrotechnique, des techniques de propulsion, ainsi que de la chimie, de la construction mécanique et de la médecine ; des difficultés d’approvisionnement sont donc prévisibles.
28Lorsqu’on se pose la question de la vulnérabilité face à un choc des prix externes ou un goulot d’étranglement, ou la question de la compétitivité, il faut prendre en considération la valeur nette des importations d’une matière première. En raison de la hausse du cours de l’euro par rapport au dollar, la zone euro a jusqu’à présent réussi à compenser les hausses de prix en dollars, pour certaines exorbitantes, sur le marché mondial des matières premières. Un possible recul de l’euro conduira à l’augmentation des dépenses faites pour l’acquisition de matières premières. S’agissant de la concentration des pays et entreprises producteurs, le risque pour l’approvisionnement de l’UE est encore accru en raison de facteurs techniques, socio-économiques et politiques, et à cause d’un possible cartel d’entente sur les prix. En s’appuyant sur l’indice de Herfindahl2, on constate une concentration critique pour le chrome, le germanium, le niobium, le palladium, le rhénium, les sables minéraux lourds et le vanadium. Une grande concentration des pays producteurs est d’autant plus critique que le risque politique et économique est jugé élevé dans les pays concernés. Pour mesurer ce risque, les indicateurs de la Banque mondiale se fondent sur le degré de contrôle de la corruption, la stabilité politique et la criminalité (fragilité de l’État de droit), le degré de bureaucratisation et l’efficacité de cette bureaucratie.
29Le tableau ci-après présente une énumération provisoire de certaines matières premières jugées particulièrement critiques par l’Institut der deutschen Wirtschaft.
30La note de risque est établie sur le fondement de la projection statistique, de la concentration des pays et entreprises producteurs, et du manque de substituabilité. Bien que les projections statistiques fassent apparaître que certains métaux tels que le chrome, le niobium et les platinoïdes seront disponibles pendant plus de 100 ans, l’approvisionnement est jugé critique pour l’avenir en raison de la très grande concentration des pays et entreprises producteurs, et de la faible substituabilité.
31Le besoin de certaines matières premières s’accroîtra de manière exorbitante, suivant la vitesse de développement de nouvelles technologies.
Tableau 3. Évolution des besoins globaux en matières premières pour les technologies d’avenir
(nombre proportionnel à la quantité mondiale produite)
Matière première | Aujourd’hui | En 2030 | Technologies d’avenir (sélection) |
Gallium | 0,28 | 6,09 | Photovoltaïque en couche mince, composants électroniques HF (circuits intégrés, DEL, laser) |
Neodyme | 0,55 | 3,82 | Aimants permanents, technologie laser |
Indium | 0,40 | 3,29 | Écrans (télévision) et affichages, photovoltaïque en couche mince |
Germanium | 0,31 | 2,44 | Câbles en fibre de verre, technologies optiques à infrarouges |
Scandium | Infime | 2,28 | Piles à combustibles, élément d’alliage pour l’aluminium |
Platine | Infime | 1,56 | Piles à combustibles, catalyseurs |
Tantale | 0,39 | 1,01 | Microdensateurs, technologie médicale |
Source: Fraunhofer Institut für System- und Innovationsforschung, Karlsruhe 2009.
32L’indium, par exemple, est utilisé principalement pour la production d’écrans plats (50 % de l’indium primaire et 80 % du matériau recyclé sont utilisés à cette fin). Le germanium est utilisé à 35 % pour la production de fibres optiques, notamment les conducteurs de lumière en fibre de verre, et à 30 % pour la technologie à infrarouge (systèmes de vision nocturne destinés à un usage militaire, construction automobile). Le néodyme, un élément du groupe des « terres rares » (indice : plus de 90 % de la production mondiale de « terres rares » est faite en Chine), est un composant essentiel dans les aimants à très forte puissance de la technologie médicale et de l’électrotechnique (appareils à résonance magnétique, propulsion des véhicules électriques ou hybrides), ainsi que dans les centrales éoliennes. Les taux d’augmentation de l’utilisation sont variés, entre 2,5 fois pour le tantale et 21 fois pour le gallium. D’une manière générale, la situation est particulièrement critique pour les métaux de base à « haute technologie » parce que ceux-ci ont une valeur commerciale élevée, et jouent un rôle clé dans le développement de technologies innovantes et respectueuses de l’environnement. De plus, au regard de la très grande dépendance aux importations, des faibles possibilités de substitution et de la position dominante des pays producteurs, le risque encouru en matière d’approvisionnement est très important.
L’initiative « Matières premières 2020 » de l’UE
33Afin de relever les défis posés par la raréfaction des matières premières, plusieurs pays tels que les États-Unis ou le Japon ont mis en place des stratégies au niveau national qui visent à assurer l’accès aux matières premières. Aux États-Unis, par exemple, les matières premières critiques sont identifiées et des lieux de stockage construits afin d’y placer des matières premières particulièrement importantes pour l’industrie de défense américaine. Le Japon s’est entre-temps lancé dans une vaste diplomatie des matières premières. Quant à l’UE, sa stratégie est définie dans le cadre de l’initiative « Matières premières dans l’Union européenne », qui repose principalement sur trois piliers (a à c) à mettre en place d’ici 2020.
Sécurisation de l’accès aux matières premières dans les pays tiers
34Afin de garantir l’accès aux matières premières dans les pays tiers, l’ensemble du spectre des instruments de la politique extérieure doit être utilisé à l’avenir. Il s’agit concrètement de la politique étrangère, de sécurité, commerciale, réglementaire et de développement. La diplomatie européenne des matières premières est dirigée principalement vers trois groupes d’États :
les États riches en matières premières, en particulier en Afrique ;
les États industrialisés tels que les États-Unis et le Japon, qui partagent le même intérêt pour des marchés internationaux de matières premières libres et exempts de distorsions ;
et des États tels que la Chine et la Russie, dans l’objectif de supprimer les structures faussant les échanges commerciaux.
35La diplomatie européenne des matières premières se compose d’un ensemble de mesures diverses : l’objectif principal de la politique commerciale et réglementaire est l’élimination des barrières protectionnistes à l’exportation mises en place par des pays tiers. Les objectifs de la politique de développement doivent être mis en cohérence avec l’objectif d’accès aux matières premières. À cette fin, la constitution d’un savoir-faire dans les pays en développement doit être particulièrement soutenue (par exemple, la rédaction correcte de contrats pour les projets miniers). La Banque européenne d’investissement (BEI) prévoit d’affecter plus de crédits à des projets miniers. Le dialogue avec d’autres initiatives internationales, telles que celle initiée par la Banque mondiale en faveur de la transparence dans l’économie des matières premières (Initiative pour la transparence dans les industries d’extraction, EITI), doit en outre contribuer à soutenir les objectifs de l’UE.
Renforcement de l’approvisionnement provenant des sources européennes
36L’extraction de matières premières primaires au sein de l’UE a nettement reculé au cours des dernières décennies. C’est surtout en raison des problèmes croissants d’acceptabilité des projets miniers dans l’opinion, au niveau régional, que le secteur a fortement perdu en attractivité, à tel point que les jeunes spécialistes qualifiés sont devenus rares. L’UE court le risque de renoncer, tôt ou tard, à ses connaissances technologiques dans le domaine des matières premières, connaissances qui ne sont pas seulement utiles en Europe, mais aussi pour des investissements à l’étranger. Cependant, les prix élevés des matières premières peuvent rendre à nouveau attractifs et rentables des projets miniers qui avaient été ajournés. C’est pour cela qu’il sera très important, à l’avenir, de simplifier les règles administratives et d’accélérer les procédures d’agrément pour les projets relatifs à la prospection et à l’extraction de matières premières. La proportion élevée de zones classées Natura-2000 au sein de l’UE (en moyenne, 17 %) est souvent perçue comme un obstacle aux projets miniers. Fondamentalement, l’extraction de matières premières et le respect de l’environnement ne sont pas exclusifs l’un de l’autre ; il faudra donc veiller à une plus grande cohérence lors de la mise en œuvre des règlements. Il est nécessaire également de se doter d’une base de connaissances propres et de mener des travaux de recherche et développement. Outre les technologies innovantes de prospection et d’extraction, la recherche autour de substituts aux matières premières critiques prendra une place clé. Pour cela, il faudra renforcer les relations entre l’université et l’industrie, afin de sensibiliser notre société à l’importance des matières premières. De plus, il faudra développer la réalisation du potentiel de matières premières secondaires en tant que source particulière de matières premières pour l’Europe.
Une plus grande efficacité des matières premières pour réduire leur utilisation
37L’utilisation efficace des matières premières et leur recyclage contribuent à faire baisser la consommation de matières premières primaires à tous les niveaux de la création de richesses. Dans le cadre d’une politique industrielle durable, la réduction de la part des matières premières primaires doit contribuer à la diminution de la dépendance européenne à l’égard des importations et à l’atteinte d’objectifs écologiques.
38En résumé, la sécurité de l’approvisionnement européen en matières premières doit être assurée jusqu’en 2020 par les mesures suivantes :
meilleure utilisation des potentiels en matières premières au sein de l’UE (législation en matière d’aménagement du territoire) ;
intégration vers l’amont de l’industrie des matières premières, et soutien à la prospection à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE ;
meilleure transparence dans le secteur des matières premières au moyen d’initiatives en matière de certification adaptées et acceptées internationalement ;
politique de libéralisation des marchés internationaux de matières premières et amélioration des conditions de la concurrence ;
augmentation de l’efficacité des matières premières grâce à l’efficacité des matériaux et l’accroissement de la part recyclée.
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Notes de bas de page
1 Le terme de « supercycle » désigne une phase de croissance qui dure de 10 à 20 ans, à la différence d’un cycle économique habituel (cinq ans).
2 L’indice de Herfindahl est établi en additionnant le carré des parts de marché de tous les pays fournisseurs du secteur considéré. Plus l’indice est élevé, plus la concentration est importante.
Auteurs
Chef de service pour l’économie, l’énergie et l’environnement au sein de l’association allemande de la houille Gesamtverband Steinkohle e.V. Il a notamment travaillé dans l’industrie minière et dans le domaine de l’énergie au sein de l’entreprise RAG.
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