Les grandes tendances du comportement électoral
p. 61-81
Texte intégral
1En France et en Allemagne, comme dans tous les grands pays démocratiques, les élections sont encadrées et régulées par les partis politiques. Ceux-ci sélectionnent les candidats qui se présentent en leur nom pour recueillir les suffrages des électeurs, organisent le débat d’idées et essaient de faire prévaloir leur programme dans l’opinion publique. On ne saurait donc traiter des partis politiques sans évoquer les comportements électoraux, qui enregistrent les résultats de la compétition partisane. Parmi les différents aspects de ces comportements, nous analyserons ceux qui permettent le mieux de mettre en relief des particularités nationales ou des tendances communes aux deux pays. Quatre aspects seront développés : après avoir examiné l’évolution de la participation électorale, puis la fréquence des alternances au pouvoir et le vote sanction, nous nous interrogerons sur l’influence de la sympathie partisane sur les choix électoraux et, pour finir, nous reviendrons sur les logiques de votes protestataires, de droite et de gauche.
L’évolution de la participation électorale
2La participation électorale n’est pas du tout la même selon le type d’élection pris en compte. Il convient donc de distinguer les élections nationales, qui déterminent la dévolution du pouvoir gouvernemental, et les élections locales, organisées à des niveaux infranationaux. Y sera ajoutée une comparaison des résultats des élections européennes.
3La mise en perspective des chiffres d’abstention et de participation électorale dans les deux pays doit se faire en tenant compte des différences dans les processus électoraux. En Allemagne, toutes les personnes en âge de voter sont automatiquement inscrites sur la liste de la population de leur commune de résidence. En France, seules celles qui ont fait la démarche de s’inscrire sur les listes électorales peuvent voter. Cette inscription est normalement obligatoire mais elle n’est pas sanctionnée1 : pendant longtemps, environ 10 % des Français n’étaient pas inscrits, mais ce chiffre a baissé lors de l’élection présidentielle de 2007. En France, la participation est donc calculée sur les inscrits alors qu’elle l’est sur la population en âge de voter en Allemagne. De plus, l’électeur allemand habite toujours à proximité de son bureau de vote, ce qui n’est pas forcément le cas de l’électeur français. En France, ceux qui déménagent ne se réinscrivent pas toujours dans leur nouvelle commune et peuvent parfois rester longtemps électeurs là où ils ne résident plus ; d’après une enquête électorale de 2007, 11 % des électeurs inscrits ne le sont pas dans leur commune de résidence. Au total, le taux d’abstention est calculé sur une base plus exhaustive en Allemagne mais à l’inverse, une partie des inscrits français rencontrent des difficultés pour aller voter.
Élections nationales
4La participation électorale en Europe semble avoir été élevée et assez stable jusqu’à la fin des années 1980, où l’on assiste à une hausse de l’abstention dans de très nombreux pays2. D’après le tableau 1, la baisse de la participation électorale aux élections législatives est relativement limitée en Allemagne, passant d’environ 87 % dans les années 1950 à 78 % dans les années 2000. Elle est beaucoup plus forte en France, passant d’environ 80 % à 60 % sur la même période. Ceci s’explique avant tout par la modification du système politique de la Ve République. Avec l’élection du président de la République au suffrage universel direct à partir de 1965, la hiérarchie des élections a été modifiée : les élections législatives ne sont plus le scrutin fondamental du système français. De plus, l’organisation depuis 2002 des élections législatives dans la foulée de l’élection présidentielle modifie aussi leur sens : elles tendent à n’être plus qu’une sorte de confirmation de l’élection fondamentale. Le choix important semble fait au moment de la présidentielle et certains électeurs ne jugent plus nécessaire de se déplacer aux urnes.
5Si l’on considère la participation française aux élections présidentielles et non plus législatives, on voit que la mobilisation électorale n’a pas beaucoup baissé dans le temps et que l’on vote à peu près autant à la présidentielle française qu’aux législatives allemandes : la participation avoisine en moyenne 80 % en France et 78 % en Allemagne. Elle a même été très élevée en 2007, dans une conjoncture où les candidats des grands partis de gouvernement ont su redonner espoir aux électeurs. Cet élan participationniste n’a toutefois pas duré jusqu’aux élections législatives organisées quelques semaines plus tard.
Tableau 1. Évolution de la participation électorale en Allemagne et en France aux élections nationales3
Années | Années | |
Allemagne | 86,9 | 78,4 |
France | 80,3 | 1er tour : 62.4 – 2e tour : 60,1 |
Élections régionales
6Contrairement à la France, qui a une longue tradition centralisatrice, l’Allemagne est un État fédéral très décentralisé. Elle élit dans ses 16 länder une assemblée législative. La France n’a créé une élection régionale au suffrage universel direct qu’en 1986 (22 régions métropolitaines et quatre outre-mer). Alors que les élections régionales ont lieu en France tous les six ans, le même jour, toujours selon le même mode de scrutin, les élections pour les länder ont lieu tous les quatre ou cinq ans, à des dates différentes, selon des règles électorales propres à chaque land. De ce fait, l’enjeu national des élections régionales est moins fort en Allemagne qu’en France.
7On observe dans les deux pays une baisse de la participation. En Allemagne, pour les élections régionales, celle-ci avoisinait autrefois les 80 % et même de près de 90 % aux élections législatives. Elle tourne plutôt aujourd’hui autour de 60 %, avec évidemment d’assez fortes différences qui tiennent à la fois aux traditions régionales et à la conjoncture politique du moment. La participation est aussi à la baisse en France mais avec quelques fluctuations liées à la conjoncture de chaque scrutin. En 1986, alors que des élections législatives étaient organisées le même jour, il y a eu une forte participation aux régionales (77,9 %). Ce mécanisme n’existe plus aux élections suivantes : la participation est de 68,6 % en 1992 et tombe même à 58 % en 1998 dans le contexte peu mobilisateur d’un relatif état de grâce du gouvernement d’union de la gauche, élu neuf mois auparavant. Les élections de 2004 sont au contraire organisées à un moment de très forte impopularité gouvernementale. Le vote sanction est alors très développé et l’abstention particulièrement forte dans l’électorat de la majorité, suivant en cela le modèle des élections intermédiaires4 : le taux de participation est de 62,1 % au premier tour et de 65,7 % au second.
Élections européennes
8Les élections européennes ont été organisées pour la première fois au suffrage universel direct en 1979, selon un mode de scrutin proportionnel proche d’un pays à l’autre. Dans presque tous les États membres, les abstentions ont toujours été nombreuses. Les citoyens peuvent avoir le sentiment qu’il s’agit d’une « élection de second ordre5 », aussi appelée « élection intermédiaire », qui ne nécessite pas de se déplacer jusqu’au bureau de vote. Ils utilisent parfois ces élections pour manifester leur mécontentement à l’égard du système politique du pays et des partis au pouvoir. Ces derniers y obtiennent donc souvent de mauvais résultats, l’électorat de la majorité tendant à davantage s’abstenir ou même à voter pour un autre parti (par exemple un petit parti protestataire du même camp)6. Ces élections pâtiraient donc d’un abstentionnisme différentiel entre gauche et droite.
9Cette faible mobilisation s’est renforcée au cours du temps, alors que le rôle du Parlement européen gagnait en importance (tableau 2). L’abstention a progressé d’environ 10 points en moyenne dans les pays de l’Europe de l’Ouest. Elle a augmenté plus fortement pour l’Allemagne et la France (22 points en Allemagne et 20 en France). Aux européennes, le comportement abstentionniste semble aujourd’hui autant développé dans les deux pays, où près de six électeurs sur 10 ne vont pas voter.
Tableau 2. Taux de participation aux élections européennes (Allemagne, France, UE-15, 1979-2009)
Pays | 1979 | 1984 | 1989 | 1994 | 1999 | 2004 | 2009 |
Allemagne | 65,7 | 56,8 | 62,4 | 60,0 | 45,2 | 43,0 | 43,5 |
France | 60,7 | 56,7 | 48,7 | 52,7 | 47,0 | 42,8 | 40.5 |
UE-15 | 63,0 | 61,0 | 58,5 | 56,8 | 49,4 | 52,8 | 52,4 |
Élections locales
10En Allemagne, en raison du fédéralisme, les élections locales sont organisées dans chaque land selon des règles variables à des dates échelonnées dans l’année. Il y a deux niveaux d’élection, les districts ou arrondissements qui regroupent plusieurs communes et élisent une diète, et les communes qui élisent lors de deux scrutins distincts un maire au suffrage universel direct et un conseil municipal. Du fait de la pluralité des dates de scrutin et la diversité des règles électorales, la lisibilité politique de ces élections est amoindrie. En France, on a aussi deux niveaux d’élections : les cantonales permettent d’élire les conseillers généraux qui vont gérer le département et les municipales, les conseils et indirectement les maires des communes. Chacune de ces élections se déroule à la même date d’une année sur l’autre et elles sont parfois couplées. Ceci favorise leur interprétation nationale, et elles sont considérées comme un baromètre de l’opinion à l’égard du gouvernement et un test quant à l’avenir du pouvoir national.
11En Allemagne, la participation électorale a beaucoup baissé au niveau municipal7. La situation est restée assez stable pendant 40 ans, de 1949 à 1989 : la participation à l’échelle nationale s’élevait autour de 75 %, à un niveau presque égal à celle des länder. La moyenne depuis 2005 est de 51,6 % : seul un électeur allemand sur deux se déplace pour élire son conseil municipal. En France, la situation n’est pas exactement la même. Les élections cantonales n’ont jamais réussi à fortement mobiliser. Dans les années 1960 déjà, les taux de participation étaient d’à peine 60 %, et ont ensuite fluctué en fonction des circonstances. Depuis le début des années 2000, ils sont d’environ 65 %. En revanche, les élections municipales étaient très mobilisatrices : jusqu’au début des années 1980, la participation a oscillé entre 75 et 80 %. Elle a diminué depuis, se situant à 69,4 % en 1995, 67,4 % en 2001 et 66,5 % en 20088. La baisse de la participation municipale existe donc aussi en France, même si elle est moins importante qu’en Allemagne.
Bilan et tentative d’explication
12Bien éloignés des stéréotypes anciens sur leur fort sens du vote, les Allemands ne votent pas davantage que les Français. Leur niveau de participation législative fédérale est assez proche de la participation à la présidentielle française. Le vote reste élevé dans les deux pays pour l’élection nationale centrale. La faiblesse du vote aux législatives françaises est un effet du système politique : elles n’apparaissent plus capitales pour la dévolution du pouvoir. On n’observe pas de différence importante au niveau du vote aux élections régionales et européennes. Par contre, les Français participent davantage aux élections municipales que les Allemands9. La hiérarchie de valorisation des différents types d’élection n’est donc pas tout à fait la même et peut être résumée comme suit, de l’élection la plus importante à la moins reconnue. Pour l’Allemagne : législatives, länder, municipales, européennes ; pour la France : présidentielle, législatives et municipales, régionales, cantonales, européennes.
13Entre les deux pays, les différences de modes de scrutin10 sont notables, mais ne semblent pas avoir d’effet direct sur la participation. L’Allemagne vote essentiellement selon un système proportionnel alors que la France privilégie le scrutin majoritaire, qui donne une prime de sièges très élevée au parti arrivant en tête. En principe, le mode de scrutin majoritaire devrait moins inciter à aller voter puisque dans certains bastions d’un parti politique, on sait d’avance qui sera élu et l’électeur de l’opposition prend toujours le risque de se déplacer aux urnes inutilement ; alors que dans un système proportionnel sur la base d’une seule circonscription nationale11, les petits partis sont assez bien représentés et leurs électeurs ont donc intérêt à se mobiliser. La proximité des taux de participation français et allemands montre que ces différences dans la rationalité du vote ne jouent probablement qu’un rôle marginal dans la décision de voter ou de s’abstenir.
14Pour l’essentiel, le problème n’est pas d’analyser les différences de participation entre les deux pays mais plutôt la même évolution à la baisse, que l’on peut du reste constater dans pratiquement tous les pays d’Europe. La participation régresse alors que le niveau d’éducation et de compétence politique progresse. On ne peut donc expliquer cette baisse par une apathie politique croissante des citoyens. La situation ancienne se caractérisait par un vote assez constant, quel que soit le type d’élections, de citoyens parfois très peu politisés, mais qui avaient le sens du devoir électoral, même sans toujours saisir les différences entre les candidats. Aujourd’hui, ce comportement électoral est moins fréquent. Chacun veut bien voter à condition d’être convaincu qu’il est important d’aller soutenir un candidat plutôt qu’un autre. La participation dépend donc beaucoup des enjeux perçus d’une élection12. Cette individualisation du sens du vote est plus fréquente chez les jeunes générations que chez les plus âgées, davantage conscientes de l’obligation morale de voter. C’est pourquoi, dans beaucoup de scrutins, le taux d’abstention est plus fort chez les jeunes, que ce soit en Allemagne13 ou en France14.
Alternance au pouvoir et vote sanction
15Les partis politiques, tout comme le système politique, incitent les individus à voter. Ces incitations sont moins efficaces qu’autrefois, notamment du fait de la mauvaise image de la politique, qui affecte – peu ou prou – toutes les démocraties occidentales. Mais les partis continuent à structurer très fortement les élections nationales, européennes et régionales, quoique moins nettement les élections locales. Le rôle des partis est encore plus fort en Allemagne qu’en France, du fait de l’importance des scrutins proportionnels de liste, dans lesquels la sélection des candidats par les partis est décisive15. Dans les deux pays, en dehors de la sphère municipale, on ne peut pratiquement pas être élu sans étiquette partisane.
16Le système partisan était très différent dans les deux pays dans l’immédiat après-guerre16. Le système allemand était considéré comme un bipartisme imparfait ou un système à deux partis et demi. Au même moment, le système français était multipartisan et polarisé. Le nombre de partis significatifs en termes électoraux était élevé, aucun parti ne dominait, les différences idéologiques entre les partis extrêmes étaient très fortes et ces derniers recueillaient beaucoup de suffrages (régulièrement 25 % pour le Parti communiste français [PCF], 21,7 % pour les gaullistes en 1951). Les deux pays ont connu une évolution inversée. En Allemagne, les petits partis ont eu tendance à se développer. De son côté, le système français s’est d’abord « bipolarisé » ; on a ensuite parlé à la fin des années 1970 d’un « quadrille bipolaire », chacune des coalitions étant dominée par deux forces à peu près égales. Depuis, le panorama s’est en partie complexifié avec l’émergence de forces nouvelles comme le Front national (FN) et les Verts, mais il s’est aussi simplifié avec l’effondrement du PCF et l’intégration de la plus importante partie de l’Union pour la démocratie française (UDF) dans une grande formation de droite. Du coup, aujourd’hui, seuls deux partis sont vraiment en mesure de conquérir une majorité gouvernementale. On a même pu soutenir que le système partisan était en train d’évoluer vers un « bipartisme imparfait17 », système assez semblable à celui de l’Allemagne.
17Les deux systèmes, construits autour d’une opposition binaire, ont donc tous deux connu des alternances au pouvoir des grands partis, avec, parfois en Allemagne et toujours en France, la présence au gouvernement de quelques ministres issus de partis plus petits. Dans les deux pays cependant, la droite a été plus souvent à la tête du gouvernement que la gauche. Les alternances au pouvoir sont souvent l’effet d’un vote de sanction vis-à-vis des gouvernements sortants, on l’a bien vu ces dernières années : en 1998, la CDU-CSU, au pouvoir depuis 1982, perd les élections (moins 6 % par rapport à 1994) au profit du Parti social-démocrate (SPD, + 4,5 points). Ce dernier va gouverner avec les Verts. La coalition n’est reconduite que d’extrême justesse en 200218, ce qui constitue une nouveauté dans une Allemagne politiquement stable, où les fidélités électorales sont traditionnellement fortes et où le chancelier n’est normalement pas usé à la fin d’un premier mandat. Il semble que se soit produit le même phénomène qu’en France. L’image du SPD et du chancelier Schröder, qui était positive après trois ans de pouvoir, a évolué à partir de la deuxième moitié de 2001, avec la remontée du chômage. Après avoir semblé très en retard dans les sondages à quelques mois de l’élection, le chancelier a sauvé sa coalition – à la différence de Lionel Jospin éliminé du second tour de la présidentielle – mais n’a obtenu que quatre sièges de majorité. C’est pour retrouver une majorité plus confortable qu’il a imposé des législatives anticipées en 2005. Sans succès : la sanction fut très claire pour le SPD, confirmant les votes sanctions enregistrés dans les länder depuis 2002, et aboutissant à ce que le SPD ne gouverne plus aucune région avec les Verts. La CDU-CSU n’a pas tiré profit de ce vote sanction. Ce sont en fait le nouveau parti La Gauche d’une part et les libéraux de l’autre qui ont progressé. En 2005 comme en 2002, la campagne électorale a beaucoup fait varier les intentions de vote, montrant que les hésitations des citoyens sont, comme en France, nombreuses et que la décision électorale est de plus en plus tardive.
18La volatilité électorale peut aussi se lire à travers les résultats détaillés de chaque élection au Bundestag. Certains électeurs, en principe favorables à un petit parti, ne donnent pas leur première voix (au scrutin de circonscription) à leur parti favori puisque le candidat concerné n’a à peu près aucune chance d’être élu : ils préfèrent voter utile pour l’un des deux grands partis. Par contre, ils votent selon leur préférence idéologique lors du deuxième vote, puisque les petits partis ont de bonnes chances d’être correctement représentés (s’ils dépassent le seuil de 5 % des suffrages). En 2005, le Parti libéral-démocrate (FDP) qui ne recueillait que 4,7 % des premières voix, a totalisé 9,8 % des secondes et a obtenu ses 61 sièges grâce à la répartition proportionnelle. Les Verts obtenaient 5,4 % des premières voix mais 8,1 % des secondes, 50 de leurs 51 sièges provenant ainsi de la proportionnelle.
La sympathie partisane en France et en Allemagne
19Le concept d’identification partisane fut d’abord établi par le travail précurseur de l’école de Michigan (Ann Arbor). Il désigne la relation affective durable d’un individu avec un parti particulier, qui peut se comparer à un lien émotionnel et personnel. C’est donc un élément significatif permettant d’expliquer le comportement électoral individuel, généré à travers la socialisation, principalement pendant l’enfance et l’adolescence19.
20L’identification partisane a deux conséquences. Elle a d’abord un effet direct sur la décision électorale. Si l’identification d’un individu à un parti est forte, ceci conduira très probablement à sa décision de voter pour ce parti. Il est possible aussi qu’une faible identification partisane bute sur d’autres facteurs explicatifs de court terme, comme l’image des candidats ou les enjeux de l’agenda politique. Une telle contradiction peut pousser à voter ou non pour son parti préféré. L’identification partisane n’est pas forcément modifiée de façon durable par une défection passagère. Deuxièmement, une forte identification façonne les représentations des individus. Elle favorise notamment une évaluation des problèmes politiques et des candidats conforme à l’orientation du parti, ce qui en retour peut conduire à son propre renforcement.
21En lien avec le processus d’individualisation et de modernisation à l’œuvre depuis le début des années 1980, dû aussi au déclin des effets socialisateurs de la famille et des groupes sociaux sur les orientations politiques, une discussion a émergé dans la littérature de science politique sur la pertinence actuelle de l’identification partisane. Ce débat est lié à la question du « désalignement », c’est-à-dire le processus d’affaiblissement et de dissolution de l’identification partisane dans les sociétés modernes. Dans le prolongement de cette discussion, certains spécialistes ont soutenu que l’identification partisane ne jouait plus aucun rôle dans l’explication des comportements électoraux. Nous pensons qu’elle a en fait toujours une efficacité, comme le montrent les exemples de l’Allemagne et de la France, bien que la comparaison des deux pays ne soit pas très aisée.
22En Allemagne, le système partisan témoigne dans l’ensemble d’une assez grande clarté et stabilité. Cela influe naturellement sur la force et la constance des fidélités partisanes, plus importantes que dans le système français. Depuis le début de la Ve République, ce dernier se caractérise par « sa fragmentation, sa polarisation, sa segmentation, sa personnalisation, son asymétrie et sa volatilité20 ». De fait, les dissolutions et les reconstitutions partisanes à répétition qui marquent le paysage politique français, rendent difficile, voire impossible le développement d’un lien stable et de longue durée avec un parti politique. On s’en rend facilement compte à la lecture des chiffres exprimant la force du lien partisan en France et en Allemagne. D’abord, il faut souligner que les sondages d’opinion pré- et postélectoraux n’adoptent pas les mêmes formulations d’un pays à l’autre21. Toute présentation comparative des effets du lien partisan sur le comportement électoral doit donc être abordée avec prudence et dans certaines limites22. Selon notre interprétation des données empiriques, le lien partisan semble influencer dans une large mesure le choix électoral ; en témoignent les résultats de l’élection au Bundestag de 2002 (tableau 3)23. Le lien partisan s’exprime avec le plus de clarté chez les électeurs du l’Union chrétien-démocrate : 91 % des sympathisants de la CDU ont voté pour elle en 2002 ; 83 % des sympathisants du SPD ont voté social-démocrate, et trois quarts des sympathisants du FDP ont donné leur voix à « leur » parti. Ainsi, le lien partisan reste un élément explicatif fort et de longue durée dans l’analyse du comportement électoral individuel en Allemagne.
23Dans le cas de la France, on dispose des données rassemblées dans le cadre du Panel électoral français, qui comporte une variable permettant de mesurer la préférence des personnes interrogées. La proximité partisane mesurée s’en rapprochant, nous utiliserons cet indicateur de remplacement pour évaluer l’influence d’une affinité partisane sur le long terme. Le tableau 4 offre un aperçu du rapport entre préférence partisane et choix électoral lors des élections législatives françaises de 2007.
24On relève comme en Allemagne des différences selon les partis. Les électeurs à la fidélité partisane la plus prononcée appartiennent aux partis de gauche et aux partis conservateurs : 84 % des sympathisants communistes et 72 % des sympathisants socialistes ont effectivement voté pour leur parti. Le phénomène de fidélité partisane est encore plus largement répandu parmi les sympathisants de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) : 90 % d’entre eux ont accordé leur voix à ce parti. À l’inverse, les résultats électoraux enregistrés par les Verts et par l’UDF24 témoignent de l’instabilité de leur électorat. Seuls 53 % des sympathisants du Mouvement démocrate (MoDem) et 37 % de ceux des Verts optent effectivement pour le parti en question le jour des élections. Notons toutefois que cette faible identification partisane est en partie imputable aux mécanismes du vote majoritaire français, qui incitent à la mise en place d’accords électoraux entre partis pour avoir une chance d’obtenir un siège. De ce fait, les petits partis ne sont parfois présents que dans un nombre limité de circonscriptions, que les grands leur concèdent, et leurs sympathisants ne peuvent donc souvent pas voter selon leur cœur25.
25L’ensemble des résultats correspondants aux élections législatives de 2002 et 2007 en France et aux élections du Bundestag en 2005 et en 2002 en Allemagne confirme les analyses en matière de comportement électoral effectuées lors d’élections passées26. Dans les deux cas, en allant au-delà des différences de formulation des questions, la fidélité partisane des électeurs pour le parti conservateur est plus forte que pour les autres partis. La corrélation entre le vote des électeurs et leurs caractéristiques sociales montre aussi que ces dernières – âge, catégorie et statut professionnels, niveau de formation – ont, dans les deux pays, quasiment les mêmes effets sur le choix électoral en faveur des partis à orientation politique comparable.
26Ce constat peut sembler surprenant si l’on pense au débat persistant évoqué plus haut sur la mobilité du comportement électoral individuel. Logiquement, une accentuation de la volatilité du comportement électoral sous l’effet des phénomènes d’individualisation et d’affaiblissement des liens sociaux devrait empêcher d’identifier clairement les bastions de l’électorat respectif des différents partis. Le matériel empirique rassemblé pour la France comme pour l’Allemagne témoigne cependant du fait que les liens partisans traditionnels et l’appartenance à un groupe social donné réhaussent sensiblement la probabilité d’un choix électoral en faveur d’un certain parti. Des études récentes ont tendance à expliquer ce phénomène par le fait qu’un groupe social donné voterait généralement de façon assez homogène pour le parti politique qui se fait le défenseur de ses intérêts. Autrefois, on supposait que les membres d’un certain milieu social, en raison de leur socialisation au sein de ce milieu, développaient un réflexe de vote (à long terme) ou du moins une certaine proximité vis-à-vis d’un parti politique27. Aujourd’hui, à l’inverse, beaucoup de chercheurs partent du fait que l’appartenance d’un individu à un certain groupe social conditionne la formation, chez cet individu, de souhaits, d’intérêts et de besoins propres à ce groupe social ; par exemple, un ouvrier sera plus intéressé par les thématiques de la justice sociale, de l’importance de l’État-providence et du maintien du pouvoir d’achat. Par conséquent, il votera (tout comme les autres travailleurs) pour le parti politique qui fera de ces préoccupations une priorité dans ses programmes et promesses électorales, et qui semblera le plus compétent pour y apporter des réponses. Voilà pourquoi c’est justement ce parti politique que l’on retrouve en haut de la liste du vote ouvrier.
27Des partis comme le PCF ou le Parti socialiste (PS) en France et le SPD en Allemagne devraient en principe défendre de tels objectifs, centraux pour les intérêts de la classe ouvrière. Or, dans les années 1990 et au début du XXIe siècle, c’est le Front national qui, du moins en France, était surreprésenté dans le vote ouvrier. Malgré cela, le vote FN n’a pas aujourd’hui de caractéristiques sociales fortes : l’électorat est socialement composite, et se rassemble autour de préoccupations concernant les étrangers et la sécurité. Ces thématiques ne sont pas le fait de sous-groupes sociaux particuliers, mais se situent au-delà des lignes de partage entre les différentes classes de la population. Nous nous pencherons ci-dessous plus avant sur les origines de ce phénomène, en le comparant à la structure de l’électorat des partis politiques allemands aux extrêmes de l’échiquier politique.
Aux extrêmes de l’échiquier politique
28Malgré une littérature prolifique sur les partis politiques populistes, radicaux ou extrémistes, on ne dispose aujourd’hui d’aucune méthodologie qui ferait consensus pour mettre en œuvre une analyse comparative standardisée28. Il semble évident que pour une partie de ces électeurs, le rejet des partis établis constitue le principal motif de leur choix. Face à ce premier groupe, une autre de cet électorat a des positions extrémistes de gauche ou de droite bien déterminées. Une analyse empirique précise, à l’aide de sondages, de ces groupes d’électeurs se heurte à de nombreux problèmes : les personnes interrogées ayant l’intention de voter en faveur d’un parti radical adaptent souvent leurs réponses pour les rendre plus consensuelles et socialement correctes. Ceci est tout particulièrement vrai en Allemagne – où l’aveu d’un vote aux extrêmes revient encore aujourd’hui à briser un lourd tabou – et n’est pas sans conséquences pour les instituts de sondage lorsqu’il s’agit d’émettre des pronostics quant aux résultats électoraux des partis radicaux.
Les partis d’extrême droite en Allemagne
29On distingue deux courants d’extrême droite, les Républicains (REP) d’une part et le Parti national-démocrate d’Allemagne (NPD) et l’Union populaire allemande (DVU) d’autre part. Ces deux courants sont fondamentalement distincts dans leurs orientations stratégiques et drainent donc un électorat différent.
30Dans les années 1990, les Républicains ont enregistré un nombre non négligeable de succès électoraux, surtout dans l’Ouest de l’Allemagne - jamais lors des élections fédérales, mais uniquement lors des élections régionales (Landstage) et européennes. Ils se présentent comme un parti protestataire conservateur-bourgeois prenant clairement ses distances par rapport à l’héritage national-socialiste et affichant sa volonté de coopérer avec les partis établis29. Deux facteurs intrinsèquement liés expliquent ces succès électoraux. Premièrement, au début des années 1990, les grands partis, dans leur volonté d’attirer de « nouveaux milieux » – notamment des jeunes, appartenant aux nouvelles couches moyennes et sans ancrage politique particulier – ont négligé leur tâche de représentation politique de certains milieux traditionnels ; ils ont ainsi ouvert la voie aux Républicains, leur laissant une grande marge de manœuvre sur ce terrain. Deuxièmement, les bastions électoraux de ces derniers se situent dans des régions culturellement et mentalement marquées par un protestantisme piétiste relativement rigide. Au fil du temps, s’est développée, au sein de ces milieux protestants, une culture politique centrée sur des valeurs autoritaires et conservatrices, s’appuyant sur des distinctions simplistes entre le bien et le mal. Et c’est justement avec ce genre d’offre politique, par exemple une argumentation xénophobe et populiste pour expliquer les problèmes de la société, que les Républicains, fort appliqués par ailleurs à adopter les modes convenus de la sociabilité bourgeoise, ont pu remporter leurs victoires électorales de 1992 et de 1996.
31Les succès électoraux du NPD et du DVU – en particulier en Allemagne de l’Est – s’expliquent quant à eux par d’autres facteurs. Les différentes études sur l’extrémisme politique ont sans cesse rappelé le rapport entre certains traits de caractère des individus et certaines dispositions comportementales, ou entre des expériences personnelles de frustration et la propension au vote extrémiste30. Selon ces théories, une personne de caractère autoritaire penchera en faveur de formes d’organisation hiérarchiques et aura tendance à penser en termes de stéréotypes antinomiques ami/ennemi. En politique, cela s’exprime par une valorisation forte de l’identité nationale et un dénigrement corrélatif d’autres appartenances, doublé d’un grand scepticisme vis-à-vis des procédures politiques complexes caractéristiques du fonctionnement des démocraties pluralistes, voire d’un rejet de ces dernières. Lorsque s’ajoutent certaines craintes, comme celle du chômage ou du déclassement social, dans un contexte de mutations profondes ou de rejet des partis établis, l’acceptation des idéologies d’extrême droite ainsi que la propension à voter effectivement pour ces partis s’en trouvent renforcées.
32Il va de soi que, dans toute nation industrielle développée, on trouve un certain nombre de personnes ayant acquis des dispositions autoritaires. En Allemagne de l’Ouest, les partis politiques établis réussissent encore à inclure la majorité de ces personnes et à les rallier à leur discours, d’autant qu’ils sont bien moins confrontés à certaines peurs existentielles qu’en Allemagne de l’Est. La situation y est tout à fait différente. D’une part, les partis politiques traditionnels ouest-allemands ne sont encore que peu connus et appréciés des nombreuses populations au bas de l’échelle sociale et/ou aux penchants plutôt autoritaires, et ne sont donc pas encore reconnus comme les représentants politiques de leurs intérêts. D’autre part, les Allemands de l’Est sont bien plus touchés par le chômage et par le risque de baisse du niveau de vie ; après l’effondrement de l’ancien système socialiste, ils ont été confrontés à un bouleversement des valeurs politiques et des conceptions de l’ordre qui n’a jusqu’à aujourd’hui toujours pas été véritablement digéré. En réaction, ces derniers peuvent rechercher des réponses politiques simples ou en reporter la faute sur les minorités, mais aussi adopter de nouvelles valeurs (comme le nationalisme identitaire) et conceptions de l’ordre (comme le « principe du chef » ou Führerprinzip). Des partis comme le NPD ou la DVU ont réussi à canaliser ces sentiments de discrimination sociale pour leur donner un tour nationaliste et les convertir en un nombre non négligeable de voix et de sièges de députés dans les parlements des länder.
Les partis d’extrême droite en France
33Pour expliquer l’émergence et l’implantation du Front national, on fait appel aussi bien aux approches culturalistes qu’aux thèses de la psychologie individuelle. Jochen Schmidt met ainsi en avant la combinaison de facteurs culturels et de contextes politiques particuliers31. Parmi les premiers, Joachim Schild cite quant à lui la valorisation de la nation française et de sa souveraineté, le fait d’être prêt, pour la conservation de cette nation, à accepter un mode d’organisation autoritaire du pouvoir, ainsi qu’une défiance fondamentale vis-à-vis des élites politiques, argumentaire souvent couplé à des réflexes anti-partisans. La conjoncture politique propice était déjà présente au début des années 1980 – donc plus tôt que dans les autres pays d’Europe occidentale – avec l’arrivée au pouvoir du PS et du PCF. Alors que ce dernier s’était attribué le rôle, dans les décennies précédentes, du parti de l’anti-establishment en opposition claire aux partis traditionnels, sa participation au gouvernement lui a ôté d’emblée ce statut particulier. Ensuite, de 1986 à 2002, plusieurs périodes de « cohabitation » se sont succédées, venant certes nuancer la polarisation des partis politiques français, mais confortant dans le même temps leur caractère interchangeable aux yeux des électeurs. C’est également au début des années 1980 que l’immigration est devenue une question politique importante pour beaucoup de Français. Dans ce contexte, Jean-Marie Le Pen, leader charismatique, réussit à rassembler un électorat non négligeable en dénonçant les conséquences négatives de l’immigration, accusée de générer chômage et insécurité ; il présente le FN comme un parti anti-système en lutte contre « la bande des quatre », à savoir les partis établis. Aux yeux de ses électeurs, c’est désormais le FN qui, à la place du Parti communiste, devient le défenseur des « exclus de la société de l’abondance32 ». Ainsi, on est passé progressivement d’un « vote de protestation à un vote de conviction33 ». Les résultats des sondages que nous avons évoqués et discutés plus haut, selon lesquels les trois quarts des personnes interrogées ayant déclaré une préférence partisane pour le FN ont voté pour ce parti, viennent confirmer ce constat. Cependant, les voix accordées au Front national ne correspondent pas totalement à des logiques sociodémographiques. La corrélation entre niveau scolaire modeste et vote pour le FN est assez claire. Ce sont donc, aussi bien pour les années précédant 200734 que lors des dernières élections35, plutôt les ouvriers, les petits employés et les agriculteurs, se sentant menacés dans leur existence économique par les mutations sociales, qui forment le noyau dur des sympathisants du FN, ce qui conforterait plutôt la thèse de la psychologie politique. Les immigrés, faisant figure de boucs émissaires, canalisent les craintes de déclassement social.
34Reste que le FN, lors des élections de 2007, a baissé de plus de six points par rapport aux élections précédentes de 200236. De la même façon que pour l’Allemagne, cela pose la question de savoir si, ces dernières années, les partis politiques d’extrême droite n’ont pas atteint à leurs limites.
Les partis d’extrême gauche en France et en Allemagne
35Alors qu’en France, l’extrême gauche est plutôt à la baisse37, le nouveau parti PDS/La Gauche (Die Linke) ne cesse d’attirer des électeurs. Dans le cas du PDS, il convient cependant de se demander, en raison de la composition de ses membres et de son électorat, si l’on peut véritablement le ranger dans la catégorie des partis extrémistes. Il faut ici opérer une distinction entre l’Allemagne de l’Est et de l’Ouest. Le PDS est-allemand, successeur direct du parti au pouvoir en RDA (Parti socialiste unifié, SED), s’est rapidement établi après 1989 comme le parti populaire est-allemand, réunissant en son sein d’anciens cadres du SED, des perdants de la réunification, des nostalgiques de la RDA, mais aussi de plus en plus d’électeurs plus jeunes, de formation scolaire élevée et d’orientation libérale de gauche. Grâce à son action partisane et à sa participation au pouvoir au niveau régional, le PDS est devenu le parti défenseur des intérêts de l’Est du pays, toujours prêt à s’opposer à la domination et à l’arrogance des Wessis. La partie ouest-allemande des électeurs de La Gauche, selon le nom que s’est attribué le parti après la fusion du PDS avec l’Alternative électorale travail et justice sociale (WASG), se compose avant tout d’anciens partisans critiques du SPD, de fonctionnaires syndicalistes pragmatiques et d’anciens membres de petits partis et groupuscules marxistes. Tandis que les deux premiers groupes d’électeurs cités sont sans aucun doute proches de l’idéal de la société économique de marché, les « vieux marxistes » se distinguent avant tout par un anticapitalisme prononcé et finalement hostile au système. Ces grandes différences sont visibles à la fois dans la composition des membres et dans la structure de l’électorat de La Gauche38.
36L’extrême gauche, qui depuis ses débuts mettait en garde contre les conséquences du capitalisme global, espérait voir, dans le contexte de la crise économique globale, de larges pans de la population venir grossir ses rangs. Ses espoirs ne se sont pas réalisés à ce jour. Ceci semble aussi vrai pour la France que pour l’Allemagne. Une grande majorité des électeurs ne reconnaissent pas à ce parti de compétence particulière dans la résolution de la crise économique. Aux élections européennes de juin 2009, La Gauche a obtenu 7,5 % des suffrages en Allemagne, alors qu’en France l’extrême gauche recueillait 6,1 % et le Front de gauche (unissant les communistes et des dissidents du PS) un score équivalent.
Conclusion
37Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, force est de reconnaître que les systèmes politiques français et allemands présentent de nombreuses similitudes en matière de comportement électoral. Malgré de grandes différences entre une organisation gouvernementale fédérale d’un côté, centraliste de l’autre, avec un mode de scrutin plutôt proportionnel d’un côté et majoritaire de l’autre, on a pu mettre en évidence des ressemblances certaines en ce qui concerne la participation électorale et l’évolution des systèmes partisans. En outre, dans le cadre d’une analyse sociodémographique des élections législatives de 2007 en France et des élections au Bundestag de 2002 et de 2005, il apparaît que des variables telles que l’âge, le niveau de formation, la profession et la religion constituent des facteurs explicatifs du comportement électoral individuel dans l’un et l’autre des deux contextes nationaux. Dans le même temps, on a pu démontrer que le lien partisan exerce une influence très importante sur le choix électoral dans les deux pays, et ce, malgré les phénomènes d’individualisation et de « désalignement » des personnes interrogées. Notre analyse finale des partis politiques extrémistes dans les deux pays nous a également permis de relever certaines similitudes : ainsi, le vote pour le Front national d’une part, pour les Républicains et le NPD de l’autre, s’explique autant par des facteurs culturels que par des facteurs individuels relatifs à certaines dispositions extrémistes des électeurs, conjuguées à des conjonctures politiques. Enfin, il est clairement apparu que la crise économique et, parallèlement le fait que les partis politiques négligent parfois certaines fractions de l’électorat qui se sentent subjectivement menacées dans ce contexte de crise peut signifier, lorsque les personnes interrogées témoignent de certains penchants autoritaires, un renouveau, voire de nouveaux succès électoraux des partis d’extrême droite.
Notes de bas de page
1 On pourra consulter P. Bréchon, La France aux urnes. Soixante ans d’histoire politique, Paris, La Documentation française, « Les Études », n° 5286-87, 5e édition, 2009. Le premier chapitre porte sur la non-inscription, l’abstention et le vote blanc et nul.
2 Cf. K. Fogg (2004). préface de Voter Turnout in Western Europe since 1945. A regional Report, Stockholm, IDEA, 2004, p. 5; M. Franklin, Voter turn out and the dynamics of electoral competition in established democracies since 1945, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.
3 La constitution de ce tableau est en partie empruntée à E. Grossman et N. Sauger, Introduction aux systèmes politiques nationaux de l’UE, Bruxelles, De Boeck, 2007, p. 63.
4 Cf. J.-L. Parodi, « Les élections « intermédiaires » du printemps 2004 : entre structure et événement », Revue française de science politique, vol. 54, n° 4, août 2004, p. 533-543.
5 K. Reif et H. Schmitt, « Nine Second-order National Elections - A Conceptual Framework for the Analysis of European Elections Results », European Journal of Political Research, n° 8, 1980, p. 3-44 ; J.-L. Parodi, « Dans la logique des élections intermédiaires », Revue politique et parlementaire, 1983, p. 43-70.
6 R. Magni Berton, « Pourquoi les partis gouvernementaux perdent-ils les élections intermédiaires ? Enquête Eurobaromètre 2004 et élections européennes », Revue française de science politique, vol. 58, n° 4, août 2008, p. 643-656.
7 A. Vetter, « Political Institutions and Local Turnout in Germany: Do Institutions Matter? », Annual Meeting of the American Political Science Association, 28-31 août 2008.
8 Comme en Allemagne, la participation dépend beaucoup de la taille des communes. L’interconnaissance des habitants dans une petite commune (et le contrôle social mutuel qui en découle plus ou moins) favorise l’expression du vote.
9 Le plus grand nombre de petites communes en France pourrait expliquer cette différence de mobilisation. Il est possible aussi que la complexité du mode de scrutin local dans beaucoup de länder décourage la participation électorale.
10 P. Martin, Les Systèmes électoraux et les modes de scrutin, Paris, Montchrestien, 2006, 3e édition ; H.-D. Klingemann (dir.), The Comparative Study of Electoral Systems, Oxford, Oxford University Press, 2009.
11 Un mécanisme de sous-représentation des petits partis existe cependant en Allemagne puisqu’ils doivent atteindre 5 % des suffrages exprimés pour participer à la répartition des sièges.
12 P. Bréchon, Comportements et attitudes politiques, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2006 (le chapitre 2 porte sur la participation électorale) ; J. Jaffré et A. Muxel, « S’abstenir : hors du jeu ou dans le jeu politique ? », in P. Bréchon, A. Laurent et P. Perrineau (dir.), Les Cultures politiques des Français, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, p. 19-52.
13 Le phénomène se voit très bien sur des tableaux de la participation par sexe et par âge pour chaque land à l’élection la plus récente (voir le site internet du Statistisches Bundesamt, Wiesbaden).
14 Voir P. Bréchon, « Logiques d’inscription, logiques d’abstention », Revue politique et parlementaire, n° 1044, juillet-septembre 2007, p. 58-67.
15 Au niveau local, le rôle des partis est très faible dans les petites communes françaises. Souvent les candidats n’appartiennent à aucun parti et se présentent individuellement avec la seule volonté de bien gérer les intérêts de la commune.
16 Voir la contribution d’Eddy Fougier et Johanna Schmidt-Jevtic dans cet ouvrage.
17 G. Grunberg, « Vers un système politique bipartisan ? », dans P. Perrineau, Le vote de rupture. Les élections présidentielle et législatives d’avril-juin 2007, Presses de Sciences Po, 2008, p. 253-270.
18 La CDU-CSU et le SPD font pratiquement jeu égal, le second ne devançant la première que de 6 000 voix sur 48 millions d’électeurs !
19 Pour une approche approfondie du concept classique et de ses récentes évolutions, voir H. Schoen et C. Weins, « Der sozialpsychologische Ansatz zur Erklärung von Wahlverhalten », in J. W. Falter et H. Schoen (dir.), Handbuch Wahlforschung, Wiesbaden, VS-Verlag, 2005, p. 187-242.
20 R. Höhne, « Das Parteiensystem der V. Republik », Frankreich Jahrbuch 2007, Wiesbaden, VS-Verlag, 2008, p. 57-76, ici p. 57. Voir aussi U. Kempf, Das politische System Frankreichs, Wiesbaden, VS-Verlag, 2007 p. 169-232.
21 Au sujet de la discussion autour de la formulation des questions au tout début de la recherche socio-psychologique en Allemagne, voir P. Gluchowski, « Parteiidentifikation im politischen System der Bundesrepublik Deutschland », D. Oberndörfer (dir.), Wählerverhalten in der Bundesrepublik Deutschland, Berlin, Duncker & Humblot, 1978, p. 265-324. Pour les questions posées en France, voir B. Cautrès, A. Muxel (direction), Comment les électeurs font-ils leur choix ? Le Panel électoral français 2007, Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
22 Hermann Schmitt est l’un des rares auteurs à s’être lancé dans une réelle entreprise comparative, en s’appuyant sur un questionnaire identique (Comparative Study of Electoral System, CSES) en date de 2002. Cependant, ses chiffres et explications, indiquant que les électeurs français ne sont pas aussi capables que les Allemands de nommer un parti avec lequel ils s’identifient, ne paraissent pas très convaincants. De nouvelles données de l’enquête CSES montrent que les Français se disent aussi fréquemment que les Allemands liés à un parti et sont capables de le nommer dans des proportions similaires. H. Schmitt, « Politische Parteien, Links-Rechts-Orientierungen und die Wahlentscheidung in Deutschland und Frankreich », in J. W. Falter, O. W. Gabriel et B. Weßels (dir.), Wahlen und Wähler. Analysen aus Anlass der Bundestagswahl 2002, Wiesbaden, VS-Verlag, 2005, p. 551-571.
23 On ne dispose malheureusement pas des données correspondantes pour 2005. On peut cependant supposer que la force du lien partisan s’y est révélée de façon comparable.
24 Transformé en MoDem entre la présidentielle et les législatives de 2007.
25 Cet argument, souvent mentionné dans la littérature, ne s’applique pas au MoDem en 2007. En effet, celui-ci venait de décider d’arrêter son alliance avec l’UMP et présentait des candidats dans presque toutes les circonscriptions.
26 Voir, pour la France, J. Chiche, F. Haegel et V. Tiberj, « Érosion et mobilité électorale, dans B. Cautrès, N. Mayer (dir.), Le Nouveau Désordre électoral, Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 255-277, et U. Kempf, op. cit. [20], p. 169-259. Pour l’Allemagne, voir le Forschungsgruppe Wahlen Mannheim, op. cit. et Forschungsgruppe Wahlen Mannheim, Bundestagswahl. Eine Analyse der Wahl, 18 septembre 2005, Mannheim 2005.
27 Sur ce point, voir surtout H. Schoen, « Soziologische Ansätze in der empirischen Wahlforschung », J. W. Falter et H. Schoen (dir.), Handbuch Wahlforschung, Wiesbaden, VS-Verlag, 2005, p. 135-185.
28 Voir sur ce point U. Eith, « Die Republikaner in Baden-Württemberg : Mehr als nur populistischer Protest », N. Werz (dir.), Populismus. Populisten in Übersee und Europa, Opladen, Leske und Budrich, 2003, p. 243-262. Voir également l’essai faisant référence de K. Arzheimer, « Die Wahl extremistischer Parteien », in J. W. Falter et H. Schoen (dir.), Handbuch Wahlforschung, Wiesbaden, VS-Verlag, 2005, p. 389-446. En français, voir H.-G. Betz, La Droite populiste en Europe, Paris, Autrement, 2004 ; C. Pina, L’Extrême Gauche en Europe, Paris, La Documentation française, 2005 ; P. Perrineau (dir.), Les Croisés de la société fermée. L’Europe des extrêmes droites, Paris, Éditions de l’Aube, 2001.
29 Sur les Républicains, voir surtout l’ouvrage de U. Eith 2003, op. cit. [28].
30 Voir K. Arzheimer, op. cit. [28] ; M. Klein et J. W. Falter, « Die dritte Welle rechtsextremer Wahlerfolge in der Bundesrepublik », in J. W. Falter, H.-G. Jaschke et J. R. Winkler (dir.), Rechtsextremismus. Ergebnisse und Perspektiven der Forschung, Opladen, Leske und Budrich, 1996, p. 288-312 ; K. Arzheimer, H. Schoen et J. W. Falter, « Rechtsextreme Orientierungen und Wahlverhalten », W. Schubarth et R. Stöss (dir.), Rechtsextremismus in der Bundesrepublik Deutschland, Opladen, Leske und Budrich, 2001, p. 220-245.
31 Voir J. Schmidt, « Der Front national und Jean-Marie Le Pen », N. Werz, Populismus. Populisten in Übersee und Europa, Opladen, Leske und Budrich, 2003, p. 89-111. Voir aussi M. Minkenberg, « Die Front national (FN) », S. Ruß, J. Schild, J. Schmidt et I. Stephan (dir.), Parteien in Frankreich, Opladen, Leske und Budrich, 2000, p. 267-288, ainsi que P. Bréchon et S. Mitra, « The National Front in France. The Emergence of an Extremist Right Protest Movement », Comparative Politics, vol. 25, n° 1, 1992, p. 63-82.
32 J. Schmidt, op. cit. [31], p. 100.
33 J. Schild, « Front national. Spaltpilz für die bürgerliche Rechte », DFI (dir.), Aktuelle Frankreich-Analysen, n° 9, avril 1998, p. 5.
34 Voir U. Kempf, op. cit. [20].
35 J. Fourquet, « L’érosion électorale du lepénisme », in P. Perrineau (dir.), Le Vote de rupture. Les élections présidentielle et législatives d’avril-juin 2007, Paris, Presses de SciencesPo, 2008, p. 213-234 ; P. Perrineau, « La "défidélisation" des électeurs de Jean-Marie Le Pen », in Br. Cautrès et A. Muxel (dir.), Comment les électeurs font-ils leurs choix ? Le Panel électoral français 2007, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 201-220.
36 Nicolas Sarkozy a construit une stratégie très volontariste, avec des accents sécuritaires et anti-immigrés, qui a attiré les électeurs frontistes plus proches de la droite traditionnelle.
37 De 2002 à 2007, l’extrême gauche recule à la présidentielle de 10,4 % à 5,7 % et le PCF de 3,4 % à 1,9 %. L’évolution est un peu différente aux législatives (tableau 5).
38 Voir avant tout, au sujet de l’électorat du PDS/Die Linke, K. Neller et I. Thaidigsmann, « Wer wählt die PDS ? », F. Brettschneider, J. van Deth et E. Roller (dir.), Die Bundestagswahl 2002, Wiesbaden, VS-Verlag, 2004, p. 185-218. Voir aussi K. Arzheimer et J. W. Falter, « Good bye Lenin ? Bundes- und Landtagswahlen seit 1990. Eine Ost-West-Perspektive », J. W. Falter, O. W. Gabriel et B. Weßels, Wahlen und Wähler. Analysen aus Anlass der Bundestagswahl 2002, Wiesbaden, VS-Verlag, 2005, p. 244-283.
Auteurs
Professeur de science politique à l’Institut d’études politiques (IEP) de Grenoble et chercheur à PACTE/CNRS.
Enseigne la science politique à l’Université de Fribourg.
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