Introduction de la partie 2
p. 167-169
Texte intégral
1Les politiques d’environnement révèlent des enjeux spécifiques et posent des questions dites « questions à cerner »1 (en anglais « wicked issues »). Elles autorisent à ce titre des constructions partenariales innovantes qui constituent des défis aux approches traditionnelles (Rethel Weber, 1982).
2Parmi les principes du développement durable figure, en bonne place, l’exigence d’outils et de méthodes favorisant la diffusion de l’information et la participation aux décisions de la « société civile » (au sens néotocquevillien)2, gage de démocratie, mais aussi de rationalité économique et sociale des décisions. C’est cette exigence que recouvre le terme de « gouvernance ». La question de la protection de la ressource, qu’il s’agisse de l’eau, des sols ou de l’air, de leur relation les uns avec les autres et de leur coordination, offre un excellent ancrage pour mettre en lumière de façon plus générale les perspectives mais aussi les multiples questions que soulève la gouvernance.
3Au Royaume-Uni, des chercheurs à l’instar de Rhodes (1986, 1996) décrivent la gouvernance comme une nouvelle manière de gouverner ou encore comme la nouvelle méthode par laquelle la société est gouvernée3. Les chercheurs anglo-saxons distinguent deux types de gouvernance : la gouvernance locale4 et la gouvernance multi-niveaux5. Le terme « gouvernance » embarrasse plus qu’il n’éclaire.
4La question posée dans cette seconde partie concerne notamment les dynamiques de proximité qui mettent l’accent sur l’analyse des conditions de la participation et sur l’appropriation et/ou la réappropriation par la société civile et les élus locaux des pratiques mises en œuvre pour assurer un développement durable des ressources. L’enjeu est alors une mobilisation plus large des acteurs, la construction de nouveaux lieux de rencontre et d’organisation des politiques (Assouline et Blancher, 2003), une meilleure articulation entre recherche et décision, afin de mieux valoriser le capital cognitif par le recours à des stratégies innovantes.
5Poser la question de la gouvernance conduit donc à rechercher et à comprendre l’articulation des différents types de régulation sur un territoire, à la fois en termes d’intégration politique et sociale, et en termes de capacité d’action, ce qui revient à s’interroger sur les interrelations entre la société civile et l’État. C’est pourquoi, dans cette seconde partie, nous voudrions montrer comment le processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux et d’institutions renouvelle le débat autour de l’action collective et plus généralement autour des politiques publiques. Cependant, les attendus et les conditions de mise en œuvre de la thématique participative diffèrent de ce qu’ils étaient dans les décennies antérieures car désormais, c’est entre décentralisation et intégration que les politiques publiques et les formes de régulation se négocient en Europe (Lacour, 1997).
6La gouvernance est utilisée comme un opérateur cognitif qui permet de s’interroger en profondeur sur l’ensemble des mécanismes collectifs à l’œuvre en matière de protection de la ressource, qu’il s’agisse de l’eau, des sols ou de l’air, de leur relation les uns avec les autres et de leur coordination, en dépassant le cadre des rationalités apparentes sans pour autant dériver vers la logique d’une discipline scientifique particulière. En ce sens, la gouvernance paraît offrir une perspective heuristique dans la mesure où elle cherche plutôt à comprendre de façon ciblée des processus en apparence relativement délimités (examen et analyse des processus d’organisation), mais en fait complexes dans leur étendue et leur diversité de par leur absence de cohérence a priori, de leur hétérogénéité intrinsèque et irréductible.
7En un autre sens, la gouvernance offre une perspective proactive de mise en œuvre, d’opérationnalité collective développée dans des situations diverses, en élargissant les processus de choix, de décision et de pilotage à des acteurs de la société civile qui en général ne sont pas invités à y participer. La composition de ces deux registres de la gouvernance suggère pour celle-ci différentes voies, qui ont des significations et des portées différentes.
8En définitive, la gouvernance serait une réponse concrète à la question de la décision dans des domaines incertains, dont le sens est de faire directement appel à la dynamique et aux capacités des acteurs et de tenter d’organiser cette dynamique de façon à développer des stratégies collectives permettant de faire face progressivement aux situations. Faut-il alors considérer la gouvernance comme une simple extension des procédures de choix collectifs à des acteurs nouveaux ou considérer que la gouvernance a trait à des objets eux-mêmes nouveaux, des objets collectifs complexes, nécessitant des médiations nouvelles ? On considérera que sa généralité tient plutôt à sa polyvalence, à sa multifonctionnalité, à la diversité et la pluralité des univers auxquels elle peut s’appliquer et qu’elle recouvre. Elle apparaît bien davantage liée à des univers dont le champ et la définition sont à la fois relativement identifiés et thématisés mais dont les frontières sont aussi nécessairement floues, et dont il appartient à l’action elle-même d’établir les contours, sans pour autant les figer. Elle est plus empirique, évolutive, itérative à travers des processus d’aller et retour entre cognition, mise en œuvre et évaluation constituant autant de phases indissociables. La question d’un univers de référence, d’une trame cognitive intrinsèque est ici moins importante que celle de disposer de repères pour l’action, dont on mesure d’emblée le caractère limité.
9En ce sens, elle apparaît comme un processus collectif qu’on ne saurait isoler ou dissocier des processus de gouvernement, mais qui en apparaît plutôt comme complémentaire, dont elle vient combler les « lacunes et les vides », mais dont il n’est pas non plus interdit de penser qu’à terme elle soit amenée à le faire évoluer et à en transformer en profondeur la pratique, tant le modèle en apparaît aujourd’hui obsolète parce que les nouvelles interrogations nées des possibilités du monde technique comme de la complexification du rapport à la nature que celui-ci induit permettent d’en comprendre à la fois la logique et la nécessité.
Notes de bas de page
1 Expressions anglaises utilisées par Elisabeth BUKSPAN, (Chercheur Associé au Groupe d’Analyse des Politiques Publiques (CNRS,) Honorary Research Officer, Université de Londres. Inspecteur général des finances) lors d’un colloque Nantes les 9 et 10 décembre 2004 sur le thème : Environnement et jeux de pouvoir, administration d’État et administration décentralisée
2 Nous voulons désigner par cette expression les interactions entre acteurs et organisations qui n’appartiennent ni à la sphère de l’Etat, ni à celle de l’économie capitaliste, lesquelles de ce fait échappent partiellement à la maîtrise locale et suggèrent un enjeu de recomposition et d’adaptation des politiques publiques (Jouve et Booth, 2004).
3 Les gouvernements conservateurs ont transformé le paysage des collectivités locales et leurs pouvoirs en Grande-Bretagne en mettant en application leurs présupposés idéologiques basés sur la théorie du choix public : le secteur privé par construction serait plus efficace que le secteur public, d’où la « new public managment » (nouvelle gestion publique : de la notion de client, on est passé à celle de consommateur et enfin à celle de citoyen). De même, de la notion de hiérarchie, on est passé à la notion de marché et maintenant à celle de réseau.
4 La gouvernance locale, notion forgée au milieu des années quatre-vingt-dix, a toujours été considérée comme l’un des moyens privilégiés d’accroître l’efficacité des collectivités locales. Cette tendance s’inscrivait dans le cadre plus général de la politique « du moins d’Etat » qui devait fournir au citoyen (considéré comme un consommateur des services public locaux, il devait avoir plus de pouvoir face à l’administration) un choix et une liberté accrus. Cette recherche de l’efficience impliquait de limiter le rôle de l’Etat et donnait plus de pouvoir aux usagers. De nombreux travaux, dont ceux de Colmann, ont montré la nécessité de faire travailler plusieurs organisations en conjonction, ce qui met l’accent sur la pluralité des acteurs qui gouvernent. Cet état de fait trouve son pendant dans la multiplicité des modes de gouvernement : gouvernement par les représentants élus, par les mécanismes de marché, par le recours à des réseaux d’influence ou des accords de partenariat, par des organisations chargées d’une partie de l’intérêt général, qu’elles soient ou non des services publics. Finalement, il s’agit d’une répartition des tâches qui autrefois incombait à l’Etat : politique publique initiée et contrôlée par l’Etat, mais mise en œuvre par des organisations tant privées que publiques.
5 La gouvernance multi-niveau initiée par le gouvernement travailliste a cherché à réintégrer le concept de légitimité et de ledearship des collectivités locales, afin de leur faire jouer le rôle d’« entremetteur » ou de « facilitateur », service (création du programme « Next step »). Pour intégrer ces divers acteurs et mobiliser leurs ressources, l’Etat a exercé une influence considérable dans le développement de la gouvernance locale dite à multiples niveaux. De ce fait les collectivités locales ont vu leur rôle évoluer.
Auteur
Professeur des Universités à l’Université des Sciences et Technologies de Lille 1 (Laboratoire TVES).
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