Chapitre 3. L’impossible territorialisation de la qualité de l’air
p. 109-164
Texte intégral
1Comme l’eau, l’air est l’une des substances les plus banalement abondantes à la surface de la terre, consubstantielle de la vie terrestre, que l’homme partage avec une infinité d’autres organismes dits pour cela aérobies. La formation par dégazage d’origine biologique d’oxygène colonisant progressivement l’atmosphère, puis celle dans la haute atmosphère d’une couche d’ozone protectrice contre les rayons ultra-violets émis par le soleil ont précédé le développement de toute vie extra-aquatique sur notre planète. La respiration, apparue il y a deux milliards d’années environ, initiant une relation nouvelle entre le vivant et son environnement physico-chimique, marque une étape essentielle dans l'évolution du vivant. Bien plus qu’un patrimoine commun, héritage même de la vie, l’atmosphère constitue le support qui a présidé et préside à l’élaboration de l’ensemble de ses formes terrestres et aériennes.
2Si les cultures anciennes, grecques ou orientales, ont accordé au souffle une signification de principe vital, notion toujours présente dans la tradition chinoise (Cheng, 1991, Julien, 2005), la culture occidentale moderne a largement pris ses distances d’avec de telles représentations, faisant de la respiration un échange aveugle de composés physico-chimiques entre l’organisme et l’atmosphère environnante, détaché des dimensions sensibles, émotionnelles ou symboliques qui y étaient associées, également à l’origine de la notion de miasmes1. On ne saurait donc être surpris que nous éprouvions, au plan collectif, de profondes difficultés à faire face aux interrogations et aux menaces que suscite la pollution de l’air, de mieux en mieux appréhendée dans ses manifestations par l’investigation scientifique, alors que les mécanismes biologiques de protection ou d’alerte dont nous disposons à son égard sont très limités. Identifier et lutter contre la pollution atmosphérique impose de développer des instruments et des stratégies de défense et d’initiatives sans précédent biologique ni social aux échelles concernées.
3Brimblecombe (1987) a bien mis en relief la vulnérabilité ancienne des populations humaines à la pollution de l’air, montrant l’émergence précoce d’atteintes liées au mode de vie urbain ou à l’accroissement du temps passé à l’intérieur d’habitations mal ventilées. Le médecin italien Bernardino Ramazzini (1700) avait identifié dès la fin du XVIIe siècle les affections respiratoires dont étaient victimes les artisans et les ouvriers dans le cadre de leur activité professionnelle dans les ateliers, mines ou manufactures. Mais l’exposition à l’échelle de populations entières à laquelle nous sommes confrontés depuis le développement massif d’activités industrielles et de l’urbanisation qui ont suivi la révolution technique du XVIIIe siècle constitue une réalité collective nouvelle tant par son ampleur que par les multiples composants en cause et leurs relations complexes, et qui n’a cessé d’évoluer.
4L’atmosphère peut être considérée comme un révélateur majeur, paradigmatique, du champ de l’environnement dans la mesure où elle constitue le compartiment de l’environnement dans lequel les interactions sont susceptibles de se produire le plus rapidement et le plus largement du fait de son instabilité et de la diffusion des gaz, qui en sont des propriétés premières. Elle témoigne pleinement de la spécificité des démarches environnementales et de la multiplicité des médiations intriquées qui les constituent, réunissant investigation scientifique, mises en œuvre collective à des échelles multiples, indissociables d’adhésions voire d’initiatives individuelles dans la pluralité des domaines concernés, ainsi que du suivi opératoire correspondant, témoignant d’un complexe d’interventions et de relations beaucoup plus large que ceux proposés par les modèles traditionnels d’action et dont la notion de gouvernance permet bien de saisir ce qui en fait la substance.
5Comme le souligne P. Viveret, la nécessité d’une amélioration de la qualité de l’air respiré impose des changements spatiaux et temporels. Changer d’air, c’est aussi changer d’aire en élargissant le territoire à l’ensemble de la planète mais aussi changer d’ère en s’inscrivant dans la sortie de l’ère industrielle pour construire une période plus immatérielle et moins consumériste.
6La problématique intergénérationnelle du développement durable trouve dans le changement climatique planétaire un ancrage particulièrement net, confortant également, si c’était nécessaire, le caractère multiscalaire de la problématique atmosphérique. Celui-ci a été souligné par la LAURE (Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Energie du 30 décembre 1996), qui définit en France, au plan politique, le cadre de l’action collective en matière de pollution, et ce bien qu’élaboré à un moment où l’origine anthropique du réchauffement climatique n’était pas encore pleinement établie et l’intégration de cette problématique dans les politiques publiques guère envisagée de façon concrète. Ce caractère multiscalaire s’est vu par la suite renforcé par le développement des recherches sur la pollution locale (et son impact sanitaire à court et long terme) et à l’intérieur des logements, parallèlement à la mise en évidence des enjeux liés au changement global. La LAURE énonce néanmoins des prémisses de subsidiarité en rappelant dans son préambule que : « L’Etat et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans le domaine de sa compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l’objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé. Cette action d’intérêt général consiste à prévenir, à surveiller, à réduire ou à supprimer les pollutions atmosphériques, à préserver la qualité de l’air et, à ces fins, à économiser et à utiliser rationnellement l’énergie ».
7La loi sur l’air s’inscrit dans un contexte complexe de transformation de la problématique pollution atmosphérique, dont le champ s’est ouvert à des acteurs de plus en plus nombreux qu’il importe de réunir au sein d’une gouvernance pertinente, dont les conditions et les modalités sont encore largement à préciser sinon à établir, faute d’un recul et d’une expérience dans ce domaine relativement neuf. En outre, la pollution atmosphérique se situe dans un contexte scientifique marqué du poids de l’incertitude. On a affaire à un univers encore mal stabilisé, avec pour arrière-plan le passage de la prévalence d’une pollution d’origine industrielle (à un moment où l’industrie était encore proche des villes et porteuse d’urbanisation) à une pollution urbaine, massivement liée aux transports individuels (automobile et poids lourds), avec des éléments connexes non négligeables (aspects régionaux de la production d’ozone, diffusion des pesticides y compris dans l’atmosphère urbaine, etc). La problématique pollution apparaît ainsi comme une problématique en transition, que viennent enrichir et préciser les développements récents en matière d’exposition individuelle et une meilleure compréhension (en cours) de la problématique de l’air intérieur (Kirchner et al., 2006). Il s’agit à l’évidence d’un champ ouvert à l’application du principe de précaution.
8Les contradictions liées à la territorialisation des politiques environnementales et donc à la question de la subsidiarité sont au cœur de la problématique de la pollution atmosphérique. Elles suscitent une réflexion que nous développerons ici sur un plan général, dans un premier temps, puis dans l’examen plus détaillé de la situation en région Nord-Pas-de-Calais, que nous comparerons avec celle de la région Ile-de-France, de façon à tenter de dégager des éléments à même de fonder la compréhension de phénomènes et de situations encore souvent mal identifiés et qu’un regard uniquement local ou trop exclusivement global permet mal de saisir et d’évaluer.
9Dans les deux régions présentées, la question de la qualité de l’air est ancienne et permet de suivre l’évolution de sa prise en charge avec d’un côté, l’agglomération parisienne, vaste ensemble urbain inscrit dans la grande zone rurale que constitue le reste de la région Ile-de-France et, d’un autre côté des dynamiques municipales fortes (Dunkerque et Lille) face à la nébuleuse industrielle du bassin minier marquée par une approche hygiéniste de l’environnement. Cette perspective duale, s’appuyant sur deux territoires très différents, a pour objectif de dégager la part du contexte local dans la gestion collective des problèmes soulevés par la qualité de l’air.
1. Territoire, environnement et qualité de l’air
10La notion de territoire se situe au cœur de l’espace public français. On ne saurait en sous-estimer le poids, ni l’ancrage guerrier alors que les affrontements dont il a été l’enjeu se situent au cœur de la dynamique collective, de la constitution et de l’affirmation de la Royauté au développement de la Nation républicaine. Le territoire est devenu, dans le contexte contemporain d’extension sans précédent des mobilités, l’objet d’enjeux qui se sont largement diversifiés mais dont le soubassement reste cependant fondamentalement politique. Sa géométrie est éminemment variable, même si dans l’esprit d’un certain nombre d’acteurs et de décideurs, la territorialisation procède d’un mouvement vers le local. P. Rosanvallon (1990) a dégagé la signification moderne que prend la notion de territoire avec la Révolution, très importante pour comprendre l’usage qui en est fait aujourd’hui. L’un des premiers actes de la Révolution, souligne Rosanvallon, est d’établir un découpage entièrement nouveau du territoire en tant qu’espace de la Nation en départements, arrondissements et districts, découpage prolongé et affiné sous Napoléon en cantons et communes, dans un schéma parfaitement structuré et hiérarchisé, qui restera inchangé jusqu’à la loi instituant la régionalisation en 1982. Ce découpage a pour fonction, selon Rosanvallon, d’oblitérer toute trace de l’ancien régime et des systèmes de relations ou d’appartenance à caractère identitaire qui y étaient attachés. Il se veut entièrement nouveau, abstrait, général, reposant sur un principe d’égalité qu’il s’agit d’affirmer et de promouvoir à travers sa mise en œuvre même. Loin d’être neutre, la nouvelle institution porte cependant avec elle la charge secrète de ce qu’elle a pour fonction d’effacer et de faire oublier, la réalité et l’héritage de la société pré-révolutionnaire et de sa propre construction politique. Et c’est dans une tension latente permanente que s’institue de fait le territoire et les relations qu’il suscite, instrument politique de l’Etat garant des principes d’égalité et d’intérêt général dont il doit maintenir la validité. Dans la logique d’expropriation liée à l’abstraction qui caractérise sa formulation initiale dans sa brutalité hobbesienne, le territoire ne peut devenir que l’objet de réinvestissements indéfiniment concurrents, dans des tensions permanentes liées à l’oblitération qui le fonde, dont on peut observer les multiples manifestations, à toutes les échelles, par exemple autour de la ruralité, de la chasse ou de multiples autres enjeux, comme aujourd’hui la question scolaire (Maurin, 2004). Chargé d’une sémantique de clôture incombant à sa définition même, il est aussi, contrairement à l’idéal des Lumières qui préside à sa constitution, le support de rivalités qui ne cessent de marquer l’espace français et son inscription au plan international tout au long du XIXe et du XXe siècle, dans des contextes et des perspectives très diverses, dont celui de l’aventure coloniale. Il constitue, du fait de son abstraction originelle et du marquage fort qui y est associé comme de la prévalence de la figuration politique qui en est à la base, un obstacle à penser la complexité des rapports spontanés au monde vécu et par là une source renouvelée d’embarras à travers une médiation spatiale en quelque sorte jamais aboutie. Cela est particulièrement manifeste en ce qui concerne les villes et les dynamiques urbaines, dont les spécificités ont longtemps échappé aux analyses multidimensionnelles susceptibles d’en restituer la substance et la diversité, ce qui a pu se traduire par l’urbanisme étroitement technique développé dans les années soixante, dont il est maintenant si coûteux de se défaire. Aujourd’hui encore, les logiques territoriales ne cessent de s’affirmer sur le mode de la concurrence et de l’affrontement bien davantage que sur celui du partage et de la collaboration, ce que la mise en place des réformes de caractère territorial développées récemment en matière de décentralisation, de nouvelles structures urbaines ou de pays, illustre très nettement.
11En ce qui concerne l’environnement dont nous avons déjà évoqué la proximité avec la question de la qualité de l’air, il est important d’indiquer d’emblée que l’on a affaire à une notion beaucoup plus large et construite très différemment de celle de territoire. Les arrière-plans théoriques de la notion d’environnement ont été peu explorés en France, il n’est sans doute pas inutile de les rappeler rapidement (Charles, 2001). En premier lieu, l’environnement n’est pas une notion politique. L’origine de l’environnement tient à l’émergence, avec la Renaissance, de l’individualité et de la science modernes en tant que modalités profondément nouvelles d’inscription dans le monde sur le plan de la connaissance et de l’action, se dégageant de l’emprise religieuse du catholicisme romain. La notion même d’environnement est le fruit d’une évolution complexe à la convergence de deux développements qui se rejoignent progressivement. L’un, empirique, relayé ensuite par des investigations de plus en plus précises étayées scientifiquement, est lié au constat établi très tôt, et qui s’approfondit dès la première moitié du XIXe siècle, des atteintes des activités humaines sur le monde naturel (Glacken, 1967, Grove, 1996), dont on peut dire que G. P. Marsh établit une synthèse pionnière dès 1864, dans son ouvrage Man and Nature, en mettant en évidence les implications non voulues de ces activités dans différents domaines tels les forêts, les eaux, etc. L’autre, plus scientifique et distinct du premier au moins au départ, relève de l’élaboration du concept même d’environnement. Celui-ci connaît un tournant majeur avec les idées qu’introduisent les pragmatistes américains, en particulier James, Dewey et Mead, au croisement de l’épistémologie, de la biologie, de la psychologie et de l’éducation (Charles, 2007). Ils élaborent une vision profondément nouvelle, plus directement thématisée par Dewey, s’opposant aux idées largement en vigueur dans la seconde moitié du XIXe siècle de déterminisme environnemental, développées notamment par Spencer ou par les premiers théoriciens de la géographie. Pour les pragmatistes et les chercheurs qui s’inspirent de leurs travaux, les organismes ne sont plus perçus comme des entités isolées, mais indissociables d’un environnement avec lequel ils sont en interaction. Il s’agit par là (Dewey, 1896) de reconnaître les organismes comme des entités indépendantes, de les soustraire à l’emprise d’une causalité ou d’un déterminisme qui permet de les réduire aux questions que les scientifiques se posent à leur propos. Dewey et Mead, chacun dans leur domaine, donneront à ces notions de relation et d’interaction toute la place permettant d’introduire un paradigme entièrement nouveau d’une individualité en constante relation avec le monde et avec autrui sur lequel elle agit et qui agissent en retour sur elle. La conception de l’environnement que dégage le pragmatisme, aux fortes résonances darwiniennes, et qui imprègne très tôt le développement de l'écologie animale, avec, en particulier les travaux de Shelford, est celle d’un univers instable, en permanente transformation, soumis au jeu infini d’une multitude de relations. Les soubassements philosophiques ou socio-politiques d’une telle approche sont extrêmement larges et répondent à l’objectif élaboré par Dewey de dépasser le cadre fixiste et essentialiste de l’héritage philosophique grec et d’introduire à une façon entièrement nouvelle de penser le monde processuelle, dynamique, ouverte, libérée des contraintes imposées a priori par la connaissance à l’action, pour accorder à cette dernière et à l’expérience qui s’y rattache un rôle définitivement moteur. Le pragmatisme peut s’entendre, comme l’a avancé James, comme un empirisme radical, une extension logique extrême de l’empirisme et de la part que celui-ci reconnaît à la subjectivité et à l’expérience. L’action telle que le pragmatisme l’envisage est elle-même multiforme et ne relève d’aucun a priori, elle sous-entend un monde à la fois accessible et ouvert, et renvoie très explicitement au rôle massif de l’homme, décuplé par la science et la technologie et aux transformations qu’il peut, par leur intermédiaire, développer sur le monde. L’apport de ce courant philosophique aura un impact important à la fois en biologie, en géographie et en écologie, mais il se manifeste également dans une multitude d’autres domaines, en particulier en psychologie, à travers l’œuvre de Lewin, ou dans les sciences sociales.
12Les deux dynamiques de protection de la nature et de développement de l’interaction, particulièrement prégnante en écologie, convergent pour produire, face à l’extension des impacts des activités humaines sur l’ensemble du monde naturel qui prennent une dimension nouvelle après la seconde guerre mondiale, la figure d’un mouvement planétaire multiforme où l’environnement se situe au cœur des interrogations individuelles et collectives quant aux transformations que l’humanité impose au monde naturel. Le champ de l’approche environnementale se confirme non pas comme un simple domaine d’investigation déconnecté de l’action, mais au contraire d’abord comme celui de l’action, en lien avec la connaissance, indissociable de la relation et de la communication. En cela il manifeste une novation très forte, affranchie d’une vision de la représentation ou de la connaissance en tant que domaines radicalement séparés et relevant de logiques spécifiques, dissociées de l’action individuelle ou collective.
13Si très tôt, l’environnement a pu solliciter les géographes comme les écologues, la perspective qu’il les conduit à mettre en avant n’est pas spécifiquement spatiale, territoriale. Elle relève d’une investigation qui s’efforce d’appréhender, à tous les niveaux, le jeu des relations dont l’espace peut être le support mais auquel elles ne s’attachent pas en tant que tel, des implications liées à un ou des phénomènes particuliers, qui ne peuvent jamais être saisis isolément, en dehors d’éléments, d’un contexte plus large qu’ils modifient et par lequel ils sont modifiés. Ainsi Sauer s’intéresse, dans les années 30, aux Dust Bowls dans la perspective de l’intervention humaine et la mise en culture d’espaces exposés à des agents atmosphériques très puissants, qui en ruinent la mise en œuvre. Ce qui est au cœur de l’appréhension environnementale, c’est l’action humaine et ses implications à toutes les échelles, dans leur dimension non voulue, non désirée ou souhaitée. Ainsi le rebut, le déchet intéressent-ils au premier chef l’environnement. Ne relevant d’aucune ontologie, mais d’un rapport, d’une dynamique réflexive, l’environnement échappe à toute réduction y compris territoriale, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il ignore toute implication spatiale, mais le statut de celle-ci reste très spécifique, ce sont les modifications dont l’espace est l’objet et non l’espace en tant que tel qui le concernent. L’environnement est d’emblée le domaine de l’espace-temps et de leur relation complexe, du changement, de la transformation et du devenir. Le mouvement environnemental toujours très actif à travers des configurations qui ne cessent d’évoluer, qui se mondialise rapidement à partir des années 60, a très largement précédé l’institutionnalisation du domaine dans les différentes structures des État nationaux. Il contribue largement à alimenter la contre-culture des années soixante et soixante-dix, qui nourrira à son tour les mises en ouvres davantage inscrites institutionnellement des années 80.
14On perçoit facilement le caractère multiforme des enjeux environnementaux, à la fois sociaux, économiques, éthiques, politiques, industriels, scientifiques, technologiques, etc. Loin de se laisser circonscrire à un quelconque périmètre, l’environnement n’a cessé de rebondir d’une dimension, d’un domaine, d’un niveau d’activité ou de réalité à un autre, de la nature et sa protection à l’univers technique et industriel, à l’innovation technologique via les éco-technologies, de l’économie à la science, de la littérature à l’opérationalité concrète, pour signifier le caractère fondamentalement plurivoque et indéterminé qui est le sien. L’environnement n’est pas causal, n’est pas clos, pas achevé, mais en perpétuel réaménagement, perpétuelle transformation, en perpétuel devenir et instabilité, impermanent, héraclitéen.
15L’environnement, dont nous avons déjà évoqué la proximité avec la question de la qualité de l’air, constitue donc une notion beaucoup plus large et construite très différemment de celle de territoire. Dans ces conditions, on voit clairement l’asymétrie des deux registres et le potentiel de remise en questions que représente l’environnement pour le territoire, la difficulté pour le territoire à apporter des réponses pertinentes au défi de l’environnement, qui ne relève pas uniquement des mécanismes classiques de l’action collective : parallèlement à celui des scientifiques, on peut en particulier penser au rôle très important des ONG, des lanceurs d’alerte, des associations ou encore de la société civile, qui donnent sa pertinence à la gouvernance. De tous les compartiments de l’environnement l’air est celui qui en manifeste de la façon la plus immédiate les caractéristiques dans la mesure où les temps de réponse y sont plus courts qu’ailleurs où la plus grande lenteur des diffusions et les effets de stockage contribuent à moduler et à particulariser davantage les expositions. La qualité de l’air, correspondant à un ensemble de paramètres physico-chimiques relevant d’indicateurs, n’est pas suffisamment prégnante, contrairement au bruit, pour qu’elle puisse, à elle seule, servir de support à une logique ou à des stratégies territoriales. Tributaire de la dynamique de l’atmosphère comme de celle des sources polluantes, elle varie dans l’espace et surtout dans le temps et est soumise à de multiples aléas et incertitudes. La qualité de l’air peut cependant constituer un élément marquant, éventuellement incontournable de l’environnement rural ou urbain, contribuant à une caractérisation forte des espaces. De manière générale, elle est symptomatique de l’adéquation des activités humaines au respect de la biosphère.
16Dans la région Nord Pas-de-Calais, la pollution de l’air s’impose souvent comme un élément constitutif du territoire industriel. En même temps, si des études sur le bruit aux alentours des aéroports ont pu montrer combien la nuisance sonore peut jouer un rôle d’identification territoriale, suscitant chez les riverains un sentiment d’appartenance autour d’un « combat commun », il ne semble pas en aller de même pour l’air à l’échelle urbaine. Celui-ci ne suscite qu’exceptionnellement de véritables mobilisations collectives, comme peuvent le faire les incinérateurs ou les rejets de dioxines. Par contre, dans des espaces plus touristiques, la qualité de l’air rejoint les nombreuses ressources naturelles qu’il convient de protéger pour conserver au territoire son aménité. La qualité de l’air est un élément indissociable de la qualité de vie.
17Par sa volatilité même, l’air est l’élément de notre environnement le plus difficile à contenir à l’intérieur d’un périmètre administratif. La gestion territoriale de cette ressource naturelle doit donc transcender les différentes limites et structures spatiales. Elle ne peut pas ne pas prendre en compte les effets de long terme, l’accumulation des gaz à effets de serre par exemple, susceptible d’affecter gravement les générations futures. En ce sens, la qualité de l’air représente un champ exemplaire pour l’application du principe de subsidiarité tant invoqué, spécialement dans le domaine de l’environnement. En même temps, l’incessant mouvement lié au jeu des échelles, nécessaire pour assurer une intervention pertinente en matière de qualité de l’air, est difficile à intégrer dans une vision juridique de la subsidiarité quand celle-ci est définie comme « la recherche du niveau territorial le plus pertinent pour effectuer une action ».
18L’amélioration de la qualité de l’air passe ainsi par des stratégies multiformes et diversifiées ayant trait à de multiples aspects de la vie sociale. L’évolution des normes dans divers domaines y joue un rôle très important. Au plan spatial, l’aménagement du territoire, ou plutôt son ménagement, deviennent des éléments sensibles de la gestion de la qualité de l’air à travers une meilleure gestion des déplacements et des impacts sanitaires des différentes infrastructures routières et industrielles. La pollution industrielle ne revêt plus le caractère général qu’elle pouvait avoir au siècle dernier, même si des effets de panache localisés sont encore à craindre des riverains lors de certaines situations météorologiques. La cohabitation des usines avec les habitations interrogent les politiques locales d’aménagement qui doivent intégrer la dimension spatiale de la gestion des risques par une stratégie d’évitement. L’aménagement de l’espace a aussi un objectif de réduction des consommations énergétiques que ce soit à travers une optimisation des besoins énergétiques ou la maîtrise des déplacements motorisés. L’imbrication des transports et de l’urbanisation a été mise en lumière à travers l’ensemble des travaux de M. Wiel (1999, 2002). Cette spatialisation de la prévention de la pollution atmosphérique met en question la dimension administrative et politique du territoire avec laquelle elle ne coïncide pas. La pollution correspond avant tout au territoire tel qu’il est pratiqué, au territoire fonctionnel (mais s’agit-il encore du territoire) et non au découpage formel des circonscriptions administratives. Or l’organisation administrative française impose une territorialisation forte qui fasse correspondre à chaque structure institutionnelle un périmètre territorial spécifique. La loi sur l’air se situe dans cette logique territorialisée avec un double dispositif : d’une part la généralisation de la surveillance de la qualité de l’air dans la perspective de diffuser auprès du public une information pertinente quant à l’air qu’il respire (Boutaric et al. 2002) complétée d’un système d’alerte, de l’autre la mise en œuvre de plans spécialisés, les plans régionaux de la qualité de l’air (PRQA) qui visent à établir des diagnostics en termes de qualité de l’air et à définir des objectifs permettant d’améliorer celle-ci au niveau régional, les plans de déplacements urbains (PDU) visant spécifiquement les transports et leur évolution en vue d’améliorer la qualité de l’air dans les agglomérations, et les plans de protection de l’atmosphère (PPA) définissant un ensemble de mesures spécifiques en vue d’améliorer la qualité de l’air là encore au niveau régional. Chacune de ces interventions se situe dans des périmètres spatiaux spécifiques, tout en intégrant différentes échelles. La LAURE ne prend pas en considération les interventions par voie réglementaire. La loi sur l’air s’inscrit ainsi dans la logique étroite d’un objet spatialisé a priori et tente de faire cadrer la maîtrise de cet objet spatialisé avec des outils correspondants au découpage administratif existant, régions et agglomérations.
19La mise en œuvre de la loi sur l’air s’est traduite par un effort important en matière de surveillance et la généralisation à l’ensemble du territoire d’un dispositif de surveillance et d’alerte reposant sur un nombre restreint d’indicateurs représentatifs. L’utilisation très limitée faite de l’alerte et donc l’absence de recours aux moyens qui y sont associés, visant la réduction directe des émissions, a cependant eu pour conséquence un effet quelque peu paradoxal attaché au dispositif, de polariser très fortement l’attention sur la dimension instantanée, événementielle de la surveillance, à faire de celle-ci un objet en soi. Elle a conduit à accorder moins d’attention aux évolutions de moyen ou de plus long terme et à l’indication que celles-ci donnent quant à la réduction des pollutions et donc la pertinence des politiques menées. La polarisation sur la surveillance pose d’autant plus question qu’en dehors des plans imposés par la LAURE, les autres documents de planification ne font que très peu référence à la qualité de l’air. En ce sens, la politique en matière de qualité de l’air initiée par la loi sur l’air se situe dans une perspective relativement sectorielle. Ces éléments conduisent donc à poser avec insistance la question de la gouvernance de la qualité de l’air et à en suggérer la faiblesse, à travers un pilotage qui manque à tout le moins de visibilité et de cohérence et que l’on peut juger défaillant à en juger par les interrogations qu’il laisse en suspens et les évolutions mal contrôlées, par exemple celle de l’ozone troposphérique, en augmentation constante depuis plusieurs années. La dimension régionale constitue une entrée très intéressante de ce point de vue, dans la mesure où elle est l’échelle privilégiée dans le dispositif de surveillance et d’intervention, comme nous l’avons indiqué. Cependant, les dynamiques régionales ne sont pas seulement tributaires des initiatives nationales, mais aussi de logiques, d’histoires, d’un passé propres qui en orientent très fortement le développement et les spécificités. Ce seront donc les territoires et la problématique de la surveillance qui vont guider notre investigation. Pour bien mesurer les limites de cette interrogation, il faut souligner que la contextualisation territoriale de la qualité de l’air est récente et les territoires auxquels elle fait référence n’ont que partiellement recouverts la souveraineté du territoire national français. Territoire, subsidiarité, gouvernance, précaution, autant de notions que la qualité de l’air, et spécialement sa surveillance, interrogent directement.
20Pendant longtemps, la gestion de la pollution atmosphérique s’est opérée à travers un colloque singulier entre la DRIR et les industriels. La surveillance, intégrée dans cette culture du secret, avait un rôle décisif puisqu’elle était chargée de vérifier l’application des normes censées traduire les enjeux sanitaires de la population exposée. C’est l’obligation du respect des normes qui a permis d’élaborer une réglementation contraignante vis-à-vis des rejets industriels, qui ont beaucoup diminué. Cette stratégie, conjuguée avec des changements structurels forts du tissu industriel, a fait preuve d’une efficacité certaine comme le montre la baisse significative des émissions d’origine industrielle.
2. La surveillance entre uniformisation technique et enracinement local
21L’histoire de la surveillance de la qualité de l’air en France reflète bien ce double mouvement entre l’influence d’un contexte local fort et en même temps le développement d’une rationalisation administrative et technique. Celle-ci prend facilement appui et prétexte du développement de la législation européenne et de son rôle croissant dans le domaine de l’environnement pour développer des perspectives qui n’en préservent pas toujours l’esprit. Le paradoxe de la pollution atmosphérique réside dans l’existence d’un cadre législatif intégrateur alors que cette problématique est aussi, et peut-être avant tout, redevable d’une approche et de mises en perspective historiques dans un contexte économique, social, politique, technologique et industriel mouvant que l’on peut caractériser comme celui de la mutipolarisation, de la polythématisation, de l’environnementalisation, dont l’évolution même de la pollution est d’ailleurs fortement représentative, elle pourrait en constituer le symbole.
22L’actuel dispositif de surveillance de la qualité de l’air français est le fruit de cinquante ans d’une histoire relativement riche en développements. Promues par les médecins et les hygiénistes dans les années cinquante à la suite de l’épisode dramatique survenu à Londres fin 1952, causant plusieurs milliers de décès, les premières mesures étaient d’abord restreintes à quelques grandes villes. La surveillance en matière de pollution a commencé à se répandre avec la création en 1958 de l’Association pour la protection contre la pollution atmosphérique (APPA). Celle-ci a en effet été suivie, deux ans après, par la mise en place de comités régionaux qui ont entamé de réaliser des mesures dans un certain nombre de villes, en même temps que certains industriels comme EDF, les charbonnages ou les cimentiers développaient leur propre dispositif à proximité de leurs installations. En 1960 est créé, à l’initiative des industriels, le Comité d’action technique contre la pollution atmosphérique (CATPA), puis par la suite le Centre interdisciplinaire technique sur la pollution atmosphérique (CITEPA). Ces structures ne s’intéressaient qu’à un très petit nombre de polluants à partir de capteurs en nombre et aux performances limitées. La loi-cadre sur la pollution atmosphérique et les odeurs, votée en 1961, offre un premier cadre légal d’intervention face à la pollution atmosphérique, incluant la création par décret (1964) de Zones de protection spéciale (ZPS). Si certains préfets cherchent à développer la surveillance, celle-ci évolue progressivement vers la constitution d’associations de gestion de réseaux de surveillance, suite à une décision prise par le Comité interministériel pour l’aménagement de la nature et de l’environnement (CIANE) en 1973. Ce comité a été mis en place par le ministère de l’environnement, lui-même créé 19712. La philosophie du fonctionnement de ces réseaux (choix des sites, nature des polluants mesurés, fumées noires, acidité forte, monoxyde de carbone) était massivement orientée par les caractéristiques de la pollution industrielle (Vlassopoulou, 1999). Dans les régions industrielles comme Dunkerque ou Rouen, ont été créées, dés 1974, les premiers réseaux d’alerte. En 1976 est votée la loi sur les installations classées. Visant uniquement les sources fixes, elle crée aussi les conditions, avec la reformulation des zones de protection spéciale (ZPS)3, d’une réduction très importante des émissions soufrées et particulaires des sites industriels. Cette réduction est également fortement favorisée par le développement, à partir du début des années 70, du parc électronucléaire. À la fin des années 80 s’amorce une inflexion, largement initiée par Airparif, association de surveillance en région parisienne, en direction de la mesure des pollutions liées au trafic automobile. Une des forces d’Airparif a été de prendre appui sur l’évolution européenne et de situer la rénovation de son réseau dans la perspective européenne. La loi sur l’air elle-même ne correspond d’ailleurs qu’à la transcription dans le droit français d’une directive de Bruxelles (Vazeilles, 2004). Il existe aujourd’hui quarante réseaux différents couvrant, selon les indications de la loi sur l’air, l’ensemble du territoire métropolitain et des départements d’outre-mer.
23La volonté d’uniformisation de la surveillance, affichée par l’Etat, correspond à l’émergence de plusieurs composantes :
L’influence grandissante de l’Europe dans le domaine environnemental se traduisant par la mise en place de nombreuses normes et directives que les Etats membre s’engagent à respecter et à transposer dans leurs législations nationales.
Le développement des moyens de mesure amenant de nouvelles technologies recourant non plus seulement à la chimie mais également à la physique, à l’électronique, etc. Les mesures en continu permettent de mieux visualiser les pointes de pollution et d’envisager la mise en place d’alertes.
L’implication des Directions régionales de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement (DRIRE) et donc du pouvoir de l’Etat dans la surveillance de la pollution atmosphérique, permettant de mieux cibler les émetteurs qui contribuent au dépassement des seuils et, éventuellement, d’agir auprès d’eux.
L’appropriation de la surveillance, dont la responsabilité et la tutelle est attribuée au Ministère de l’environnement, par les ingénieurs et les corps techniques, les médecins n’y occupant plus qu’une place marginale. En revanche, la préoccupation sanitaire est intégrée dans les normes qui constituent le principe de gestion de la qualité de l’air, l’objectif étant de rester en deçà des valeurs limites.
24En 1996, la Loi sur l’air a formalisé en les généralisant l’organisation des associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA) en charge de la surveillance. Le conseil d’administration des AASQA est divisé en quatre collèges représentant respectivement l’Etat, les collectivités locales, les industriels et les associations (ou personnes qualifiées). L’Etat délègue à ces associations la mission de service public que constitue la surveillance mais, paradoxalement, la présidence de ces structures est assurée par un élu. Ces associations, qui doivent bénéficier de l’agrément du Ministère de l’environnement, disposent de trois types de financement : d’une part, des crédits provenant d’une redevance payée par les industriels selon le principe pollueur payeur, d’autre part, des crédits provenant des collectivités locales membres des réseaux et enfin de ceux alloués par l’Etat. La redevance payée par les industriels a été généralisée en 1985 sous forme de taxe parafiscale pour certaines installations soumises à autorisation et pour quelques polluants : SO2, Nox et poussières. Cette taxe était versée à l'Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), créée en 1991, regroupant l’ancienne agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME), l’agence pour la qualité de l’air (AQA) et l’agence nationale pour la réduction des déchets (ANRED). La LAURE a attribué à l’ADEME la responsabilité scientifique et technique de la surveillance. Les industriels peuvent verser une partie de cette taxe directement aux associations de gestion des réseaux les plus proches pour promouvoir la surveillance de la qualité de l’air. Entre 1991 et 1996, l’Etat a assuré le financement des réseaux presque exclusivement par le biais du produit de cette taxe. De telle sorte que, mises à part certaines métropoles comme Paris, Lyon, Lille, où l’enjeu de la surveillance dépendait des élus locaux, le financement de nombreuses associations de gestion a reposé sur les industriels. Or, même si les polluants taxés sont, actuellement, plus nombreux (les COV — composés organiques volatiles — se sont ajoutés aux polluants initiaux en 1990), et même si le taux de la taxe a augmenté régulièrement l’assiette de la taxe ne cesse de diminuer car les rejets industriels sont en baisse en raison des mutations industrielles, mais également parce qu’une partie de la taxe parafiscale sert au financement d’installations plus performantes et moins polluantes. Depuis 1996, les crédits accordés par l’Etat aux associations de gestion, dans le cadre de la loi sur l’air, masquent cette baisse inéluctable de la participation des industriels à la surveillance de la qualité de l’air. Le financement de la surveillance de l’air devrait suivre la même évolution que la pollution atmosphérique. Mais qui sont les responsables de la pollution automobile ? Qui doit payer pour respecter le principe pollueur payeur, les constructeurs automobiles, les automobilistes eux mêmes, l’Etat ou les collectivités locales ? Autant d’interrogations qui participent aux nouvelles orientations de la surveillance de la qualité de l’air. A ces interrogations s’ajoutent celles que pose la réforme de la taxe parafiscale qui, depuis la loi de finances de 1999, s’intègre dans la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). Elle n’est plus perçue par l’ADEME mais par le Ministère de l’Economie et des Finances qui, toutefois, s’engage à verser à l’ADEME un montant de subventions suffisant pour que cet organisme puisse continuer à jouer son rôle dans la prévention de la pollution atmosphérique. L’organisation associative de la surveillance, dont le financement n’est pas pérennisé, n’est pas sans poser un certain nombre de questions que, dans la région du Nord, les tentatives de regroupement au sein d’une structure régionale mettent actuellement en lumière.
25Le plus souvent dans les régions ou les villes industrielles, la surveillance de la qualité de l’air a pu s’organiser sur une base territoriale correspondant souvent à une agglomération. La Loi sur l’air s’appuie sur deux niveaux d’intervention, l’agglomération et la région, qu’elle juge pertinents quant aux dispositifs de planification préventive, mais le législateur n’a pas pris parti sur l’assiette territoriale des AASQA. Or, actuellement, l’Etat a tendance à privilégier, dans le domaine de la surveillance, le niveau régional.
26L’analyse de deux exemples régionaux, le Nord-Pas-de-Calais et l’Ile de France, permet de mettre en évidence combien la surveillance de la pollution atmosphérique s’est inscrite dans des contextes locaux, tout en étant pilotée par des objectifs ou des mises en œuvre techniques uniformes. En effet, comment la surveillance peut-elle être dissociée de son objet (quels sont les polluants émis localement qu’il convient de pister ?) et de sa cible (comment évaluer les politiques de prévention mises en œuvre ?) ? La surveillance ne relève pas uniquement d’un dispositif technique applicable de manière générale, elle s’appuie également fortement sur les spécificités à la fois sociales, économiques, techniques, géographiques ou politiques d’un contexte local. Les AASQA se trouvent ainsi au cœur d’un écheveau autour duquel interférent les dimensions techniques et politiques et le jeu d’échelles, également imbriquées. Les deux exemples présentés s’inscrivent dans des contextes tout à fait différents :
Airparif s’est développé dans la suite de dispositifs de surveillance antérieurs limités, dans le cadre administratif très hétérogène de la région Ile-de-France, marqué par la rivalité entre la ville de Paris, l’État et la région. L’extension du réseau s’est progressivement imposée aux différentes instances municipales et départementales concernées, en l’absence de structure d’agglomération. La dégradation de l’image prestigieuse de la ville du fait de la pollution, liée pour une part à la croissance considérable du trafic automobile, a aussi constitué une incitation forte à la réduction des émissions.
Dans la région Nord Pas-de Calais, la surveillance est également très ancienne. Elle s’inscrit dans un contexte territorial très diversifié entre le littoral, l’ex bassin minier et la métropole lilloise. Les impératifs de la gestion de la pollution industrielle se sont manifestés différemment selon ces trois entités qui ont généré des modalités de surveillance spécifiques à travers quatre réseaux distincts. Pour des raisons essentiellement liées à des impératifs métrologiques, ces quatre associations se sont récemment regroupées au sein d’une seule fédération agréée : Atmo Nord-Pas-de-Calais.
3. Les enjeux liés à la pollution de l’air en région Nord-Pas-de-Calais
27Quelles sont les caractéristiques de la région Nord-Pas-de-Calais susceptibles d’expliquer l’histoire et la gestion de la qualité de l’air avec ses modalités de surveillance spécifiques ? Le caractère massivement industriel de la région, que ce soit à travers les industries développées autour de la mine ou les usines textiles de l’agglomération lilloise, ont imposé une culture spécifique de la pollution atmosphérique, longtemps considérée comme associée à la prospérité et à l’emploi. Les préoccupations sanitaires se sont développées assez tôt, mais de façon limitée, et l’on s’interroge aujourd’hui sur le lourd tribu payé au cancer par la région, avec des taux de 20 % plus élevés que la moyenne française (Aïach et al., 2004). Cette relation entre l’usine et la pollution est encore fortement ancrée dans les esprits et induit des confusions entre le risque lié à la pollution atmosphérique et les risques technologiques. Les enquêtes effectuées à Dunkerque (Bonnefoy, 2003) montrent la confusion entre les alertes liées à une mauvaise qualité de l’air déclenchées par le réseau de mesures et les alertes industrielles en cas d’accident technologique. Les habitants disent réagir par le confinement alors que dans le cas d’épisodes de pollution, c’est, au contraire, l’aération des locaux qui est recommandée. C’est pourquoi, pour les élus, pollution atmosphérique et DRIRE étaient étroitement associés (Roussel, 1998). La longue tradition industrielle a favorisé l’identification de la gestion à la surveillance puisque la maîtrise des rejets industriels s’est effectuée dans le respect des normes.
28Or, actuellement, ce principe n’a plus de pertinence, les sources de pollution se sont diversifiées et leur maîtrise dépasse largement l’adéquation à une norme. L’agriculture, les transports et, de manière plus générale la vie urbaine sont devenus des sources d’émissions polluantes importantes. Les pollutions sont plus localisées, mais aussi plus diversifiées et plus larges tandis que l’impact sanitaire s’est détaché de la référence a un seuil pour s’élargir aux dimensions de la planète.
3.1. Une forte tradition industrielle en pleine mutation
29La surveillance de la qualité de l’air, dans la région, est ancienne et s’inscrit dans le contexte hygiéniste de la révolution industrielle du XIXe siècle (Bernhardt et Massard-Guilbaud, 2002). La tradition industrielle est très ancrée dans la région ce qui explique la puissance de la DRIRE qui a toujours encadré le tissu industriel constitué, dans une proportion importante, autour de la mine. La surveillance de la qualité de l’air dans la région Nord-Pas-de-Calais est bien antérieure à la Loi sur l’air.
30L’Institut Pasteur de Lille et la DDASS du Pas-de-Calais, dès le lendemain de la loi sur l’air de 1961, avaient mis en place un réseau de mesure de la pollution atmosphérique, sous la direction scientifique de l’école des Mines de Douai. Ce réseau avait une double vocation, surveiller les émissions industrielles en cas de dépassement des normes mais aussi vérifier la qualité de l’air des zones fortement peuplées. C’est pourquoi, collectivités territoriales, autorités sanitaires et industrielles financent ce réseau qui a perduré jusqu’à la fin du XXe siècle. L’analyse du détail de l’ancrage régional de la surveillance a été faite au cours d’une étude réalisée dans le cadre du programme Primequal/Predit4 et publiée récemment (Scarwell, 2006).
31Les préoccupations sanitaires, au temps du plein essor industriel, n’étaient pas absentes, mais les moyens d’investigation présentaient des insuffisances qui ne permettaient pas d’argumenter de manière péremptoire pour dénoncer les dangers d’un développement économique objet d’un véritable consensus. Le déficit de connaissance contribuait à la tétanisation d’une société plus orientée vers les conquêtes sociales qu’environnementales. L’analyse des plaintes liées aux industries de la région de Drocourt illustre la faiblesse aujourd’hui des réactions devant des pollutions ressenties (Encadré 9).
Encadré 9 : La question du benzène à Drocourt.
L’exemple de Drocourt :
Cette commune, proche d’Hénin-Carvin, dans l’ancien bassin minier (3 104 hab), est densément peuplée (environ 950 hab/Km2). Elle hébergeait deux entreprises classées Seveso : Cray-valley et les cokeries. Une autre entreprise de peinture, Spado est soumise à la réglementation sur les installations classées. Dans les communes avoisinantes, d’autres industries sont aussi susceptibles d’émettre des polluants. Pendant de nombreuses années, un ménage, porte parole de tout un groupe de voisins, a essayé de faire attester les nuisances qu’il subissait. Il a déposé de nombreuses plaintes dans différentes structures, mais ces récriminations ne reçoivent que des réponses polies de la part de la DRIRE, notifiant que l’Etat est en cours de discussion avec les industriels concernés pour qu’ils maîtrisent mieux les nuisances occasionnées. C’est ensuite une association, « Chlorophylle environnement », qui prend le relais des plaintes. Le maire accuse le couple de défendre son intérêt particulier car l’habitation intégrée dans un périmètre Z2 Seveso est difficilement vendable. En retour, l’association reproche à la municipalité de délivrer des permis de construire dans un périmètre Seveso. L’association et la mairie sont en conflit ouvert pendant plusieurs années, et il faut attendre décembre 1999 et janvier 2000 pour que l’AASQA5 locale, l’AREMARTOIS entreprenne des mesures de benzène avec un camion laboratoire. Les niveaux de benzène se révèlent très élevés6, la moyenne sur 4 semaines est de 5,7μg/m3 avec un site présentant une moyenne de 28,5μg/m3. Mais des campagnes ultérieures7 donnent des résultats moins alarmants. En juillet 2001, la valeur la plus élevée enregistrée sur le poste le plus proche des émetteurs industriels est de 7,69μg/m3. Les valeurs observées sont en nette diminution par rapport aux campagnes précédentes. La diminution estivale du benzène se conjugue ensuite avec la fermeture de la cokerie pour expliquer les baisses de niveau.
Le Préfet a saisi l’INVS8 pour entreprendre une étude sur l’évaluation des risques sanitaires pour les différentes campagnes. Entre les deux campagnes, le nombre de personnes exposées à plus de 2 μg/m3 de benzène est passé de 70 000 à moins de 25 000 hab.
32Cet exemple montre qu’entre surveillance et gestion, la gouvernance de la qualité de l’air se cherche de manière à répondre aux aspirations sécuritaires des habitants tout en assurant le développement économique de la région. Cette dualité se situe au sein du rôle de l’État, à travers les DRIRE qui doivent à la fois assurer la surveillance de la pollution industrielle et promouvoir le développement économique régional. La réponse apportée aux plaignants est celle de la négociation de la DRIRE, en charge de l’application de la réglementation, avec l’industriel. Cette réponse censée rassurer les populations rencontre le soutien de la municipalité car l’industriel est pourvoyeur de richesse à travers la taxe professionnelle dont la quote part communale est en diminution à la faveur de la récente réglementation.
33Au cours de ces négociations, la mesure et la norme tiennent une place essentielle. Ces normes représentent une garantie très équivoque pour la population puisqu’elles n’existent que pour les polluants réglementés, ce qui n’est pas le cas de toutes les substances rencontrées dans l’environnement. Avant la généralisation des mesures de benzène, le respect des normes observées sur les mesures des polluants classiques permettait d’éconduire les plaignants. L’émergence de la métrologie du benzène et de normes correspondantes permet de valider le bien fondé de la plainte.
34Dans le cas du non respect des normes, c’est le préfet qui a la charge de la communication des résultats car la diffusion de l’information sans efforts pour résoudre le problème paraîtrait inacceptable. Ce qui montre la limite de l’accès à l’information et de la transparence. Pour argumenter sa politique de communication, sans doute pour relativiser la portée des niveaux mesurés, le préfet a diligenté une étude de risque sanitaire qui devrait être la règle avant toute diffusion des résultats de manière à ne pas séparer la mesure de ses effets et à formuler une réponse en termes de risques. Or, paradoxalement, la fermeture de l’usine a permis de classer le dossier alors que le risque sanitaire identifié est présenté pour une exposition au cours d’une vie entière (70 ans). Pourtant les effets de la pollution se manifestent sur le long terme et, en aucune façon, il n’a été question de réparation des préjudices subis par les voisins, ni par rapport à la dépréciation de leurs biens, ni par rapport aux risques sanitaires encourus. La fermeture de la cokerie illustre les fortes mutations du paysage industriel et du marché de l’emploi que connaît la région.
3.2. Les émissions ont diminué et se sont diversifiées
35Comme le montre l’exemple de Drocourt, c’est la restructuration du tissu industriel qui induit un changement dans la nature des polluants mesurés. La question de la pollution atmosphérique, dans cette région, s’intègre dans un contexte général de transition entre une industrialisation massive et la tertiarisation de l’économie fortement installée dans un tissu urbain dense. De 1975 à 1992, la région Nord-Pas-de-Calais a perdu 95.400 emplois soit 6,9 % de ses effectifs et 41,3 % de ses emplois industriels. Les mutations du tissu industriel sont profondes et affectent fortement la gestion de la pollution. L’impact de la pollution industrielle est encore élevé non seulement parce que la région compte de gros émetteurs industriels : 44 établissements Seveso sur 350 en France, dont 4 dans la zone de Calais, 10 à Dunkerque, 4 à Lille, 3 dans le Valenciennois, 8 dans le Douaisis et 14 dans l’ex bassin minier mais aussi parce que les habitants ont été soumis à des pollutions historiques. Ce n’est pas, comme à Drocourt, parce qu’une usine ferme que l’impact sanitaire disparaît. L’exposition s’évalue en intégrant la dimension temporelle.
36Les grandes entreprises génératrices d’emploi tendent à être remplacées par un tissu plus large de P.M.E., plus proches de l’innovation, mais pas toujours créatrices d’emplois nombreux. Les industries génératrices ou consommatrices d'énergie disparaissent au profit de l’industrie automobile ou agro-alimentaire. Tout un réseau de centrales thermiques, liées à la présence du charbon, a disparu. Seules subsistent une ou deux centrales utilisées comme variables d’ajustement au moment des pics de consommation. La production d’énergie, dans la région, s’est concentrée autour de la centrale de Gravelines qui, tout en étant considérée comme propre en termes de CO2 et de gaz imbrûlés, pose la question de la dépendance vis-à-vis de l’énergie nucléaire.
37La région est fortement urbanisée avec des densités élevées qui l’apparentent à la “banane bleue”. Pourtant, les trois quarts de l’espace appartiennent à la surface agricole utile (SAU), ce qui est tout à fait remarquable pour une région urbaine dense9. L’agriculture de la région repose à la fois sur des cultures spécialisées et sur les grandes cultures céréalières, sucrières et oléagineuses de l’Artois. Les maraîchers écoulent leurs productions dans les villes ou vers des usines, puisque l’industrie agroalimentaire est très fortement implantée. Quels que soient les types de cultures pratiquées, les agriculteurs sont de plus en plus attentifs à la limitation des intrants, engrais et pesticides, pour protéger leur santé lors des épandages et respecter la fragilité de l’hydrosystème. La recherche des pesticides dans l’eau et dans l’air fait l’objet d’une attention soutenue de la part des pouvoirs publics. Le programme PHYTO AIR mené en 2003 par des partenaires nombreux, avait pour objectif de détecter les populations exposées aux pesticides dans les zones urbaines ou périurbaines.
38La reconversion industrielle s’est effectuée au profit de l’industrie automobile et d’un accroissement de la mobilité des marchandises et des personnes. L’ancien bassin minier devient ainsi très marqué par les transports aussi bien en ce qui concerne la construction de véhicules que les infrastructures et la logistique. La fonction de carrefour de la région se traduit par la présence d’infrastructures routières particulièrement empruntées pour le transit des marchandises comme pour celui des voyageurs. Le tunnel transmanche a renforcé l’efficacité de l’A26 tandis que la plateforme multimodale de Dourges permet de dynamiser la logistique de la fonction de transit. La région est à la fois un espace de transit et une zone dans laquelle les recompositions territoriales au cours des dernières années ont engendré une transformation des comportements qui s’orientent vers davantage de mobilité tant quotidienne que résidentielle Le taux de mobilité intercommunale (nombre d’individus ayant changé de commune) au sein de la région est de 3,11 % dans le Nord, supérieur à la moyenne nationale qui est de 2,5 %. Les actifs travaillant en dehors de leur lieu de résidence représentent 50 % en moyenne française et 60 % dans la région, 66 % dans l’aire métropolitaine lilloise.
39En écho à ces mutations économiques, les émissions de polluants se sont diversifiées et la pollution atmosphérique est davantage marquée par des polluants d’origine automobile. Le bilan effectué par les réseaux de mesure dans le cadre du PSQA (Plan de Surveillance de la Qualité de l’air) fait état d’une forte diminution de la pollution soufrée tandis que les niveaux de particules et d’oxydes d’azote, attribuables en partie au trafic routier, sont en augmentation. Cependant, les inquiétudes en termes de santé des populations se tournent vers l’ozone et les particules qui sont des polluants ayant une origine globale et donc difficiles à attribuer à une source locale identifiée. En outre, les efforts des constructeurs automobiles en faveur d’une voiture propre, se sont portés sur les polluants toxiques tandis que les émissions de CO2 posent la question de l’accroissement des quantités de gaz à effet de serre et du changement climatique. Non seulement les polluants émis ont changé mais les préoccupations concernant la gestion de la pollution atmosphérique ont beaucoup évolué : les faibles doses mesurées interrogent les effets chroniques de la pollution tandis que la maîtrise des pollutions locales réglementées n’est plus suffisante pour répondre à une question dont la complexité ne cesse de croître.
3.3. Les modes de gestion de la pollution ont évolué
40L’augmentation généralisée des niveaux d’ozone ainsi que des épisodes régionaux de pollution particulaire interrogent le mode de gestion de la pollution. La maîtrise de la pollution locale, toujours indispensable ne résout pas tous les problèmes comme le montrent les efforts effectués à Paris en faveur des transports en commun, qui ne seraient responsables que d’une diminution de 6 % des polluants classiques (Airparif, 2007). Dans la région du Nord, en dépit de tous les efforts effectués dans le domaine industriel, la question de la pollution atmosphérique demeure et reste fortement ressentie par les populations. L’enquête effectuée dans le dunkerquois (Bonnefoy, 2003) montre que, même pour les plus jeunes, la pollution est considérée comme étant plus élevée qu’autrefois.
41La proximité de régions fortement urbanisées et industrialisées se fait sentir dans les immissions de pollution transfrontalière. Depuis plusieurs années, la région Nord-Pas-de-Calais est soumise à des épisodes de pollution particulaire dont l’origine n’est pas clairement identifiée : poussières sahariennes, éléments azotés, les caractéristiques de ces épisodes, dont le dernier s’est manifesté fin mars 2007, ne sont pas déterminées avec précision. L’analyse de la trajectoire des masses d’air responsable de ces pollutions montre que ces nuages de poussières auraient stagnés sur l’Europe centrale en venant du Sud. Il paraît impossible d’extraire la région de son contexte européen : la pollution ne s’arrête pas aux frontières. La répétition récente de ces épisodes de pollution particulaire impose une vision plus large sinon globale de la qualité de l’air, supposant une réelle mutation culturelle puisque les populations ont tendance à assimiler la pollution au panache de l’usine voisine et faire un amalgame entre le risque sanitaire lié à la toxicité des polluants et les risques technologiques liés aux dangers encourus par la proximité de grosses entreprises.
42Le caractère frontalier de la région a été beaucoup moins exploité en matière de qualité de l’air qu’en Alsace, sans doute parce que, dans la région alsacienne, la géographie du fossé rhénan délimitait une entité topographique déterminant des caractéristiques de la pollution atmosphériques communes aux trois pays (brouillards, inversions de températures….). Les coopérations transfrontalières ont commencé en s’appliquant aux phénomènes climatiques (programme Reklip10). Au contraire, dans le Nord-Pas-de-Calais, la frontière ne représente aucune réalité géographique. Les industries ont fluctué de part et d’autre au gré des barrières douanières et des protectionnismes. La frontière administrative est restée très présente en dépit de l’existence d’une euro-région. Les éléments de coopération transfrontières sont récents et commencent seulement à se mettre en place sous l’impulsion des crédits européens, mais la dynamique de l’Eurorégion, sur le plan environnemental, est encore faible.
43L’importance des pollutions chroniques a été mise en évidence en particulier à travers les résultats de l’étude ERPURS, effectuée en Ile-de-France mais dont les résultats ont été étendus à toute la France et à l’Europe via les études PSAS 9 et APHEIS. La région du Nord-Pas-de-Calais a été l’objet, depuis de longues années, d’études épidémiologiques suscitées par le mauvais état sanitaire des populations. Particules, odeurs, pesticides, ozone, les impacts sanitaires négatifs de nombreux polluants ont été largement identifiés, même si les méthodes utilisées par ces études présentent nécessairement des insuffisances, liées essentiellement à des imperfections inévitables dans la collecte des données. Par exemple, la notion même d’exposition est saisie de manière très imparfaite puisque ce sont souvent les mesures de pollution de fond dans l’air ambiant qui sont prises comme référence plutôt que le suivi détaillé de l’exposition des individus11 dans le temps et dans l’espace.
44Compte tenu de l’état sanitaire défaillant de la population, de nombreuses études sur la santé environnementale ont été menées dans la région en dépit de structures de recherche longtemps défaillantes. C’est l’école des Mines de Douai qui a fait fonction d’ancrage universitaire actif dans le domaine de la surveillance de la qualité de l’air. La progressive tertiarisation de l’économie s’accompagne du développement de structures de recherche, fortement encouragées par l’exécutif régional. Le nombre de chercheurs dans la région est à l’image du retard culturel et scolaire que la multiplication du nombre d’universités est en train de combler. Ce déficit dans le domaine de la recherche est tout à fait dommageable pour le champ de la pollution atmosphérique qui, par définition, « dépend des connaissances scientifiques du moment ». En dépit des efforts réalisés par le Conseil Régional lors des derniers contrats de plans, les gros programmes de recherche dans le domaine de la pollution atmosphérique se situent en dehors de la région. La région Nord-Pas-de-Calais est ainsi tributaire de mécanismes de transferts de connaissances encore trop peu développés. Ce handicap se manifeste le plus fortement dans le domaine de la modélisation (cf. ci-dessous). Ce retard est d’autant plus dommageable que, du temps de la pollution industrielle, la région, avec l’école des Mines de Douai et les structures de recherche des industries nationalisées (Houillères, EDF) était considérée comme pilote en la matière. Pourtant, les connivences entre la DRIRE et l’Ecole des Mines de Douai sont explicites. Jusqu’à ces toutes dernières années, le directeur de la DRIRE était aussi directeur de l’école. Depuis les derniers contrats de plan, la région, s’étant dotée de compétences fortes en matière de recherche et de santé, des programmes de recherches pluridisciplinaires ont pu être menés à bien. Après avoir mis l’accent sur le bassin minier, puis sur la zone polluée autour de Metaleurop, les chercheurs, fédèrent actuellement leurs efforts au sein de l’IRENI12 localisés essentiellement sur le littoral. Il s’agit d’une structure de recherche sans murs, financée essentiellement par des crédits régionaux, mais avec le label et la garantie scientifique du CNRS. Les thèmes développés sont très orientés sur les risques et les pollutions.
45À travers l’Institut Pasteur de Lille et les services de santé publique, la région se caractérise par une large avance dans la prise en compte de la santé environnementale. Le PRASE13 a largement précédé le PNSE14. La Présidence « verte » du conseil régional, avec Marie-Christine Blandin à la tête de l’exécutif régional, est-elle le fruit de cette tradition hygiéniste et le signe d’une sensibilité environnementale forte ? Cependant, le Conseil Régional a toujours refusé de soutenir financièrement et directement les AASQA même lorsqu’il avait à sa tête un président de sensibilité écologique. Le Conseil régional, très investi dans un « bras de fer » avec l’Etat à propos des sorties de concessions minières, ne veut pas s’engager financièrement sur des missions qui relèvent de la compétence de l’État. En revanche, dans le cadre du volet « environnement » du contrat de plan Etat-Région (le Framée), le conseil régional a toujours encouragé la promotion d’études ou d’activités venant compléter la mission de surveillance réglementaire. L’absence d’une AASQA régionale a privé l’exécutif régional d’un interlocuteur unique. Cette faille dans le dispositif a été ressentie cruellement au moment de l’élaboration du PRQA. La nécessité de faire émerger un interlocuteur régional compétent a sans doute contribué à la création d’une AASQA régionale cherchant à maintenir la richesse des expériences acquises au niveau local.
46En dépit d’un processus de désindustrialisation fort, le poids de la DRIRE dans le domaine de la pollution atmosphérique reste important et continue à s’imposer avec le Plan Climat et l’attribution de quotas de CO2 aux entreprises. Les changements survenus dans les sources de pollution tendent à intégrer d’autres secteurs de l’activité économique dans les mécanismes de prévention de la qualité de l’air, en particulier à travers l’émergence de l’industrie automobile. Contrairement à d’autres régions, le monde agricole, très organisé, se sent encore peu investi par les questions de pollution de l’air comme on a pu le constater au moment de l’élaboration du PRQA, dans lequel la part de l’agriculture est très faible.
47La répartition des sources de pollution et les conditions de dispersion des polluants ne sont pas uniformes15, c’est à travers ses subdivisions territoriales que la DRIRE, au moment de la création des réseaux de surveillance (Fig. n° 1), a joué un rôle essentiel pour persuader les industriels et les élus d’adhérer aux réseaux de mesure.
3.4. La création des quatre AASQA de la région Nord-Pas-de-Calais, fruit d’un contexte local de la pollution de l’air
48La surveillance de la qualité de l’air a été confiée, dans la région, à quatre réseaux, créés à des dates très différentes, réunis aujourd’hui au sein d’une structure régionale unique. Chacun correspond à un ensemble territorial bien distinct mais aussi à des subdivisions territoriales de la DRIRE. En effet, la région Nord-Pas-de-Calais n’est pas uniforme et les émissions polluantes dépendant fortement des caractéristiques économiques et topoclimatiques de ses différents territoires (Figure 11).
49Les espaces couverts par les quatre réseaux sont géographiquement différents. Cela tient en particulier aux conditions climatiques assez hétérogènes puisque le climat se continentalise rapidement de l’Ouest vers l’Est avec la diminution de la fréquence des vents forts tandis que les amplitudes de températures s’affirment. La spécificité des phénomènes observés sur le littoral, régime des vents locaux, ozone troposphérique marin, rend difficile l’application de normes de surveillance homogènes sur l’ensemble de la région. Pendant longtemps, on a pu considérer, sur le littoral, que le calcul de l’indice ATMO, à partir de deux stations situées dans des domaines géographiques différents, était un non sens compte tenu des nombreuses nuances climatiques locales. D’ailleurs les tentatives de modélisation effectuées dans la région (Schadkowski, 1999) mettent en lumière les difficultés supplémentaires introduites par le contexte littoral. L’histoire s’est donc conjuguée avec la géographie pour faire émerger quatre réseaux de surveillance différents liés à des sources et à des contextes économiques et géopolitiques variés.
50L’agglomération lilloise, délaissée depuis un certain temps par l’industrie lourde, rencontre les préoccupations environnementales d’une métropole au passé industriel. Le bassin minier qui s’étend depuis Béthune jusqu’à Valenciennes, non sans difficultés, est en pleine reconversion selon des modalités présentées précédemment (chapitre 2). La région littorale présente une forte spécificité qui n’est pas seulement liée aux facteurs climatiques.
La métropole lilloise est très marquée par la désindustrialisation et la montée des préoccupations environnementales
51L’évolution démographique de la ville de Roubaix, avec une croissance spectaculaire au XIXe siècle (la ville est passée de 13.132 habitants en 1826 à 126.365 en 1901 et 93.000 à l’heure actuelle), montre le lien initial entre la ville et l’industrie et l’importance de la pollution atmosphérique, d’ailleurs davantage ressentie à travers l’insalubrité du logement qu’à travers la fumée des usines, gage de prospérité et d’une soupe fumante sur la table. L’orientation vers l’intégration de préoccupations sanitaires reprend la tradition hygiéniste établie par Calmette. La présence de l’Institut pasteur de Lille, de l’Observatoire Régional de Santé (ORS) et d’une longue tradition de santé publique a mis l’accent sur l’orientation sanitaire de la surveillance lilloise ainsi que sur l’implication des édiles locaux. Bien avant la réglementation européenne, l’Institut Pasteur a mesuré les concentrations en métaux dits lourds dans l’agglomération lilloise. Lille a été choisie parmi les 9 villes qui ont assuré le prolongement de l’étude ERPURS menée en Ile-de-France (étude dite PSAS 9). Le contexte politique de l’agglomération lilloise est favorable à une utilisation pertinente de l’expertise fournie par le réseau. L’entrée des verts parmi les élus de la Communauté urbaine de Lille (CUDL) a conforté l’investissement fort de la Communauté urbaine qui a longtemps délégué un élu vert pour présider l’AASQA couvrant l’agglomération, l’AREMALM. La présidence du réseau, assurée par Paul Astier, Vice-Président de la Communauté urbaine en charge du PDU, montre le souci d’intégrer la qualité de l’air dans une politique métropolitaine des déplacements. Cette orientation sonne le glas du lien entre pollution atmosphérique et industrie. Même les usines d’incinération d’ordures ménagères (UIOM) ont fermé récemment pour se concentrer autour de l’usine d’Halluin.
52Comme dans toutes les métropoles, l’agglomération lilloise doit faire face à la question de la pollution automobile et à celle, corollaire, de l’habitat, marqué par un fort mouvement de périurbanisation. La problématique principale est celle des transports avec 20 millions de kilomètres parcourus chaque jour sur les routes de la métropole. Les déplacements et l’étalement urbain deviennent, pour la métropole, un enjeu fort pour lequel le PDU et le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) ne fournissent que des réponses partielles et peu argumentées en ce qui concerne la pollution atmosphérique. Les documents de planification ultérieurs réactualisés tirent les leçons du passé et s’appuient davantage sur une ingénierie pertinente de la qualité de l’air. La longue histoire de la résorption de l’habitat insalubre, le développement de la maison individuelle et l’existence de friches urbaines posent avec acuité la question de la pollution à l’intérieur des locaux et celle, plus générale de la qualité résidentielle intégrée dans la stratégie métropolitaine du renouvellement urbain.
53Le réseau AREMA LM créé en 1979 surveille la qualité de l’air sur le périmètre de Lille Métropole communauté urbaine, élargi en 2000 à l’ensemble de l’arrondissement de Lille (périmètre du SDAU et du PPA). Cela correspond à un million d’habitants environ répartis sur 600 km2 avec une densité élevée de 1785 hab./km2. L’histoire de la mesure de la pollution à Lille reflète bien celle d’une ancienne métropole industrielle marquée par l’hygiénisme. La fermeture des usines a contribué à faire baisser l’assiette, déjà très faible, de la TGAP recouvrable par le réseau. La question du financement du réseau se pose avec les limites du principe pollueur payeur quand il s’agit de pollution urbaine. L’adhésion de la métropole a un réseau de mesure régional et unique présente, certes, l’intérêt d’une mutualisation des moyens, mais pose la question de la spécificité d’une pollution métropolitaine dont la gestion doit s’intégrer dans une vision globale de la politique environnementale de la communauté de communes. L’agglomération de Dunkerque ne s’identifie que partiellement aux caractéristiques de la métropole lilloise, d’abord par souci d’autonomie mais aussi parce que la préoccupation industrielle est encore vive et ne doit pas handicaper d’autres formes de développement liés au tourisme.
La spécificité de la région littorale
54La dynamique des élus locaux est à l’image de l’émergence d’une entité territoriale littorale même si l’espace administratif est éclaté entre deux départements. Après une situation initiale où des acteurs extérieurs (l’Etat et Sollac), imposaient au territoire un développement nécessairement exogène, se constitue un « milieu local » des acteurs de l’aménagement urbain. La notion de développement durable est invoquée pour justifier cette nouvelle forme de maîtrise urbaine qui se substitue à la notion d’environnement industriel, considéré comme relevant davantage d’une gestion de proximité. La notion de développement durable permet de s’intégrer dans une dynamique plus large, avec l’opportunité, non sans quelque opportunisme, de s’affranchir des contraintes locales. Cependant, pour l’instant, l’espace littoral Nord-Pas-de-Calais est davantage un réseau de villes qu’un territoire institutionnalisé. Ce souci de développement local se traduit par le désir de faire travailler les entreprises locales, d’avoir des projets Interreg uniquement littoraux et d’attirer la dynamique de recherche vers le littoral (IFREID16, IRENI, Contrat de Plan État-Région).
55La qualité de l’air constitue un point nodal de la constitution de ce milieu local élaboré autour de la notion d’environnement. L’évolution de l’AASQA locale, OPAL’AIR, est à l’image de cette intégration territoriale qui essaie de regrouper, au sein d’une même unité, des territoires ayant des vocations différentes : industrielles, agricoles, urbaines ou touristiques. Ce réseau, anciennement appelé AREMADE a été créée en 1976, quelques années seulement après la constitution du Ministère de l’environnement. C’est le réseau le plus ancien de la région, réseau lié à la très forte implantation industrielle dans ce secteur, avec la mise en place d’un dispositif d’alertes préventives gérées par la DRIRE. La zone de surveillance s’est ensuite étendue progressivement à l’ensemble de la Côte d’Opale et à l’Audomarrois, ce qui devrait orienter davantage l’association vers les dimensions rurales et touristiques. Néanmoins, les grosses entreprises restent nombreuses et diversifiées. Sollac (Arcelor) émet en moyenne 300 tonnes de poussières par mois et la raffinerie Total rejette plus de 7000 t de SO2 et plus de 900 tonnes de COV. Calais est un autre pôle industriel important avec Tioxide. Ces entreprises ne sont pas à l’abri d’incidents qui peuvent se traduire par des pointes de pollution éphémères de telle sorte qu’elles peuvent même passer inaperçues à travers le maillage du réseau de mesure. Les ambiguïtés entre risques technologiques et risques liés à la pollution de l’air ont déjà été soulignées et les membres de l’AASQA déplorent régulièrement le manque d’efficacité du réseau pour dépister les incidents et pour y remédier. Ce qui pose la question de l’assimilation, trop rapide, des missions de l’AASQA avec celles de la DRIRE. Le caractère très industriel du réseau entretient une confusion, au sein de la population, entre surveillance de la qualité de l’air et vigilance sur les risques technologiques.
56En ce qui concerne la pollution atmosphérique, le littoral se classe parmi les régions émettrices mais avec de bonnes conditions de dispersion puisque les vents sont fréquemment forts. En revanche, les phénomènes climatiques locaux tels que la brise de mer ou les brouillards sont nombreux et rendent les conditions de dispersion très peu généralisables ou même modélisables.
57Grâce à la présence active des représentants des différents collèges, le conseil d’administration de l’AASQA est très animé. Le poids des industriels, au sein du réseau, est très fort. Ils ont toujours considéré que la part de TGAP qu’ils versent au réseau leur donne un droit de regard sur la surveillance et sur le bon usage de cet argent.
58Le tissu associatif est très actif, au sein d’Opal’Air, comme dans tout le dunkerquois. Les associations ont des connexions très fortes avec les élus et les techniciens, en particulier ceux de la ville de Dunkerque. Ces associations, bien qu’ayant un niveau d’expertise intéressant, restent fidèles à leur mission de défense de l’environnement en refusant la problématique des pollutions globales, en insistant sur la connaissance des pollutions de proximité et surtout en accordant toujours beaucoup de prix aux alertes, jouant sûrement sur la peur liée à une confusion avec les accidents technologiques. Ce sont ces associations qui déplorent le plus la fonction de « thermomètre » du réseau et son impuissance à s’investir dans le registre de l’action, qui relève du préfet.
59Les élus sont, dans l’ensemble, tout à fait conscients de l’enjeu que représente la qualité de l’air pour le développement du territoire. Ils considèrent que leur démarche environnementale, très active et très spécifique eu égard au contexte industriel, est un moyen de s’affirmer politiquement par rapport à la métropole lilloise. L’adhésion du réseau à une fédération a toujours été pondérée par la crainte du processus de métropolisation qui pourrait s’étendre jusqu’à la qualité de l’air. Cette crainte est d’autant plus justifiée qu’au sein de ce réseau, l’osmose entre les métrologues et l’utilisation de la mesure à des fins politiques et préventives a toujours été étroite. Les réticences vis-à-vis de la dissociation entre la mesure et son utilisation ne sont pas sans fondements puisque les frontières entre l’expertise et la gestion ne sont pas aussi tranchées qu’on aurait pu l’imaginer il y a quelques années (Kourilsky, 2000).
60Cette dynamique de la vie politique se retrouve au sein d’autres structures de concertation suscitées par la présence industrielle : CLIS17, SPPPI18. C’est l’Etat qui gère ces dispositifs en manifestant la volonté de sortir de la culture du secret comme différents textes législatifs (convention d’Aarhus) l’y incitent, en s’appuyant sur les réactions des habitants qui considèrent (Bonnefoy, 2003) que l’important, pour la gestion des nuisances, c’est « d’en parler ».
L’ancien bassin minier
61L’ancien bassin minier est un territoire marqué par les difficultés sociales de la reconversion industrielles. Dans un contexte caractérisé par le chômage et la pauvreté, la pollution atmosphérique n’apparaît pas comme la préoccupation majeure des élus. D’ailleurs le dynamisme local est très éclaté face à l’Etat, qui constitue encore un acteur majeur de la reconversion minière (chapitre 2).
62Les élus du bassin minier ont longtemps considéré que la survie économique du territoire passait par l’industrie en raison de l’abondance de la main d’œuvre peu qualifiée et des sites disponibles. Dans l’unité urbaine de Lens, les ouvriers représentent 46 % des actifs et 70 % des retraités. C’est dans le Valenciennois que les pertes d’emplois sont les plus nettes. Plus d’un emploi sur 5 a disparu depuis 15 ans. A Denain, le plus grand employeur est l’hyper marché local avec 200 emplois, chiffre dérisoire par rapport aux 6 000 ouvriers employés par USINOR Denain dans les années 1980. La région doit sa reconversion industrielle à la construction automobile, avec l’installation de Renault à Douai en 1970, celle de La Française de mécanique à Douvrin en 1969, de Sevelnord à Valenciennes en 1980, de Simca-Chrysler à Hordain en 1972, et, plus récemment, de Toyota. Il est donc difficile pour cette région de se positionner vis-à-vis de la pollution automobile. Sur 58 000 emplois créés dans la région entre 1967 et 1979, période centrale de la reconversion industrielle, 25 000 l’ont été dans l’automobile, soit 43 % du total. 15 % des voitures automobiles neuves montées en France le sont à Valenciennes.
63Le morcellement des communes et les difficiles regroupements tendent à décrédibiliser le pouvoir politique local qui est loin de parler d’une seule et même voix. Les habitants sont encore marqués par l’expérience quotidienne d’un environnement dégradé, ce qui explique le faible investissement associatif. En dépit de quelques protestations associatives timides, la question des impacts sanitaires de la pollution est déléguée au SPPPI de l’Artois, structure nouvellement créée (1998). Contrairement à la métropole lilloise et au littoral, les élus n’ont que tardivement su utiliser la surveillance de la qualité de l’air comme argument politique. Selon eux, l’auto-surveillance industrielle devait être reprise par l’État dans le cadre de ses compétences régaliennes.
64L’AREMARTOIS, dont le territoire de compétence s’étend dans le département du Pas-de-Calais, a été créé en septembre 1990. C’est un réseau très marqué par l’histoire du bassin minier et par une forte connivence entre les élus locaux et les industriels qui distribuent encore une manne non négligeable. Le directeur de Metaleurop a longtemps été le trésorier de l’association alors que son installation se faisait toujours remarquer par des émissions importantes, diffuses et directes, responsables de taux de dioxyde de soufre très élevés dans l’atmosphère.
65Au moment où la loi sur l’air préconisait la surveillance de l’ensemble du territoire, l’AREMASSE a été fondée « in extremis » en décembre 1996 de façon à pouvoir bénéficier des crédits FEDER arrivés à échéance (trois millions de francs de fonds FEDER objectif 1 et deux millions de crédits d’équipements État pour l’année 1999). Les arrondissements réunis au sein de l’AREMASSE sont très différents les uns des autres puisque l’Avesnois est une zone verte vouée à la récréation et au loisir, le Cambrésis une vaste zone agricole et le Valenciennois ainsi que le Douaisis sont encore marqués par leur passé minier et industriel. Les élus, à quelques exceptions près, ne se sont pas emparés de la question de la qualité de l’air pour différentes raisons. La fermeture de la mine mais surtout le retrait de l’activité sidérurgique ont fait de cette zone une zone sinistrée, avec des taux de chômage et de pauvreté qui battent tous les records français. Il n’était pas question que des considérations environnementales retardent l’arrivée de Toyota, par exemple. La problématique de la pollution agricole dans le Cambrésis est toujours délicate sur des terroirs consacrés à la grande culture, à l’image du bassin parisien. Des considérations sur la qualité de l’air ne doivent pas gêner le développement touristique de l’Avesnois. La régionalisation de la métrologie ne doit pas faire oublier le travail d’appropriation des questions environnementales indispensable à réaliser dans cette région. On peut supposer que la diffusion de mesures de proximité (cartes et résultats de la bioindication) contribuera à sensibiliser les populations.
66Des conditions à la fois historiques et géographiques ont contribué à façonner quatre réseaux dont les zones de surveillance, d’après le PSQA actuel, ne correspondent plus au découpage des zones géographiques présentées. La territorialisation proposée s’appuie sur une discrimination nette entre les agglomérations et les zones rurales périphériques. Certes, la pollution urbaine présente des spécificités qui la distinguent nettement des pollutions agricoles. Paradoxalement, cette distinction s’impose à un moment où la frontière entre la ville et la campagne tend à s’effacer à la faveur d’un genre de vie urbain qui s’installe, grâce à l’automobile, sur l’ensemble du territoire (Encadré 10).
Encadré 10 : les ZAS
Le découpage en ZAS a défini quatre zones « agglomérations » et une zone « non agglomération » pour la région Nord – Pas-de-Calais.
Chacune possède un code européen qui lui est propre et qui définit le pays, l’AASQA ainsi que le type de zone concernée. Il s’agit de :
• la zone agglomération de Lille FR11A00001,
• la zone agglomération de Béthune-Lens-Douai FR28A00001,
• la zone agglomération de Valenciennes FR06A00001,
• la zone agglomération de Dunkerque FR10A00001,
• la zone non agglomération Nord – Pas-de-Calais FR11N00002.
Dans le cadre de l’exercice du PSQA et compte tenu du décret 98-360, qui impose une réglementation aux agglomérations de plus de 100 000 habitants, un découpage plus fin, en cohérence avec le zonage européen, a été effectué pour les zones contenant des unités urbaines de plus de 100 000 habitants. C’est le cas pour la ZAS de Béthune-Lens-Douai, fractionnée en 2 aires : la zone agglomération de Béthune (Thibault, 1998) et la zone non agglomération sur le reste du territoire. Les zones « agglomération » doivent, a priori, présenter une certaine homogénéité du point de vue de la qualité de l’air, puisque leur découpage se base généralement sur celui des outils de planification mis en œuvre sur la région, tout en tenant compte de la continuité du tissu urbain. A noter la correspondance avec le calcul de l’indice Atmo obligatoire pour les agglomérations de plus de 100 000 habitants. (PSQA version 1 décembre 2005)
67Les structures de la surveillance, à travers l’examen de quatre associations de la région Nord-Pas-de-Calais, apparaissent très largement façonnées par le contexte local qu’elles reflètent fortement. Toutefois cette intrication de l’expertise avec le tissu socio-politique local n’est pas sans créer des difficultés qui compliquent le tiraillement, observé actuellement, des réseaux entre l’État et les collectivités locales. Le réseau lillois est résolument urbain, il ne bénéficie donc pas du financement industriel issu de la TGAP. Dans un contexte régional encore très industriel, une mutualisation des moyens soulagerait le mode de financement des réseaux, de manière sans doute assez artificielle compte tenu de la désindustrialisation d’ensemble. La tradition hygiéniste de la région a imposé des préoccupations sanitaires très marquées tant dans la prise en compte de la qualité de l’air ambiant que de l’air intérieur. C’est pourquoi, le conseil régional, souhaite investir dans une prise en charge globale de la qualité de l’air à travers l’ensemble de ses facettes.
4. La pollution atmosphérique en Île-de-France
68Face à la réalité très diverse, voire éclatée, de la mise en œuvre des réseaux de mesure de la pollution en région Nord-Pas-de-Calais et la façon dont celle-ci reflète des diversités spatiales et territoriales caractéristiques de la région, il est intéressant d’examiner la situation en Ile-de-France. Là encore, le langage est quelque peu trompeur dans la mesure où le terme Île-de-France recouvre, en première approximation, deux espaces entièrement différents quoique liés, d’un côté l’agglomération parisienne, de l’autre une vaste zone rurale qui entoure l’agglomération. Cette dernière représente en superficie les quatre cinquièmes de la région et environ un huitième de sa population. De façon caractéristique, cependant, le développement de la surveillance dans la région s’est fait à partir de l’agglomération parisienne, par extension du réseau sur la région, y compris la zone rurale, dans une logique avant tout urbaine. En règle générale, on enregistre des niveaux plus élevés des polluants primaires (oxydes d’azote, particules, composés organiques volatiles) dans le cœur dense de l’agglomération, par contre les niveaux élevés des polluants secondaires, en particulier l’ozone, se manifestent en zone rurale, leur localisation dépendant des vents.
69La surveillance de la qualité de l’air présente des caractéristiques très différentes de la région Nord-Pas-de-Calais, dans la mesure où l’Ile-de-France bénéficie d’un unique réseau de mesure particulièrement développé et performant, largement reconnu comme à la pointe dans le système français. Mais si l’on regarde les choses plus en détail et du point de vue de la gouvernance de la pollution atmosphérique, les choses apparaissent beaucoup plus contradictoires, et les faiblesses du pilotage collectif se font jour crûment. L’évolution de la qualité de l’air en région parisienne a connu, ces dernières années, des évolutions relativement contrastées, avec d’un côté la réduction, voire la quasi-disparition, dans le cas du plomb, de certains polluants, suite à des mesures réglementaires de caractère national, de l’autre des hausses marquées, voire des phénomènes émergents. Le phénomène le plus caractéristique est certainement la hausse de l’ozone, liée à des dynamiques qui sont de mieux en mieux comprises comme d’échelle européenne voire mondiale, et qui apparaissent d’autant plus préoccupantes qu’elles constituent un défi à l’approche de caractère essentiellement technique et réglementaire en vigueur. Les initiatives en matière d’urbanisme et de transport développées dans l’agglomération en vue d’améliorer la situation n’ont que des effets limités compte tenu de leur ampleur restreinte face à l’échelle et la complexité de la situation et sont délicates à évaluer (Airparif, 2007). La démarche PDU, élaborée soigneusement et à travers une concertation importante, se développe, du fait de sa complexité, avec beaucoup de retard. La difficulté du problème de la pollution est à l’échelle de la complexité de la région et de l’agglomération parisienne. Les transformations à mettre en œuvre semblent si importantes que l’on peut s’interroger quant à la possibilité de les réaliser dans des délais raisonnables. C’est une mutation en profondeur à l’échelle de l’agglomération, et non pas de telle ou telle de ses composantes, qu’il s’agit d’engager. La gouvernance de la pollution en Ile-de-France n’apparaît donc pas moins problématique qu’en région Nord-Pas-de-Calais, avec cependant des ancrages très différents. La canicule qui s’est abattue sur la France à l’été 2003, avec ses conséquences très graves dans le cadre régional, renforce légitimement les inquiétudes, dans la mesure où elle peut préfigurer une évolution qui pourrait s’amplifier avec le réchauffement climatique, et qui, avec l’extension d’épisodes anticycloniques estivaux, favoriserait la formation d’ozone, dont l’impact viendrait s’ajouter aux effets de la chaleur. Les incertitudes à ce point de vue restent évidemment nombreuses.
4.1. Le cadre régional : caractéristiques et spécificités
70L’évolution démographique de la région Île-de-France ces cinquante dernières années fait apparaître une baisse générale de l’attractivité de la région parisienne, particulièrement nette dans la période récente, après l’attrait considérable qu’elle a connu des années cinquante aux années soixante-dix avec un accroissement de la population francilienne de l’ordre de deux millions et demi de personnes entre 1954 et 1975. Ce niveau d’attractivité est largement lié à celui de l’activité dans la région. Le contraste avec la vigueur des dynamiques urbaines régionales met cependant en évidence l’impact d’une image négative liée à une certaine dégradation de la qualité de vie en région parisienne, à quoi la densité des espaces, la brutalité de la compétition économique que reflète celle des rythmes sociaux, un urbanisme régulant mal une présence automobile envahissante et la pollution atmosphérique qui l’accompagne participent probablement de façon significative. Toutes les enquêtes font apparaître une prégnance négative beaucoup plus forte qu’ailleurs de la pollution en région parisienne.
71L’agglomération parisienne constitue un ensemble urbain particulièrement complexe. En 199919, date du dernier recensement, elle s’étendait sur 396 communes, contre 379 en 1990, avec le rattachement de la ville nouvelle de Sénart. Ces communes rassemblaient une population de 9,6 millions d’habitants, soit 88,1 % des 10,95 millions d’habitants que comptait l’Ile-de-France, répartis sur 1281 communes au total. Couvrant une superficie de 2.733 km2, l’agglomération parisienne occupe un peu plus du cinquième du territoire régional (12.012 km2). La ville de Paris regroupait 2,12 millions d’habitants, soit un peu moins du quart (22,1 %) de la population totale de l’agglomération. L’évolution démographique de la région sur la dernière période intercensitaire 1990-1999 est caractérisée par un accroissement global de la population deux fois plus faible que celui enregistré entre 1982 et 1990 : 291.400 individus contre 587.000 pour la période précédente. Ce ralentissement s’observe dans tous les départements de la région à l’exception des Hauts-de-Seine. Il est particulièrement prononcé en Grande Couronne qui avait connu jusqu’en 1990 une très forte croissance avec un doublement à cette date de son effectif de 1962. La population de Paris est quasi-stable avec une baisse moyenne annuelle de 0,14 %. La petite couronne rassemble 4,04 millions d’individus, répartis à peu près équitablement entre les trois départements, très fortement urbanisés, qui la composent, 1,43 millions dans les Hauts-de-Seine, 1,39 pour la Seine St Denis, et 1,23 pour le Val-de-Marne. Ces deux derniers ont connu une croissance très modérée de 0,1 % par an alors que les Hauts-de-Seine enregistraient un taux plus élevé de 0,3 %. La grande couronne rassemble près de la moitié de la population totale de la région Ile-de-France (44 % du total), avec 4,78 millions d’individus dont 1,34 millions hors agglomération. La population en grande couronne est à peu près équitablement répartie entre les différents départements qui la composent : 1,35 millions dans les Yvelines, 1,19 pour la Seine-et-Marne, 1,1 pour l’Essonne et 1,1 pour le Val d’Oise. L’accroissement moyen de la population en grande couronne sur la période 1990-1999 a été de 0,6 % en moyenne par an. La plus forte progression est enregistrée en Seine-et-Marne, avec un taux de 1,1 %. Dans les autres départements, les chiffres sont compris entre 0,4 % et 0,6 %. Cette dynamique est essentiellement liée aux villes nouvelles : 41 % des nouveaux habitants de Seine-et-Marne résident à Marne-la-Vallée et à Sénart.
72La croissance récente est due essentiellement à l’excédent des naissances sur les décès alors que le solde migratoire est négatif, avec un taux annuel de – 0,5 %, soit neuf fois plus important en valeur absolue que sur la période 1982-1990. L’Ile-de-France a ainsi été, dans la période récente, la région la moins attractive de toutes les régions de France. Ce solde migratoire négatif est à relier à la dynamique économique et aux perspectives d’emploi dans la région à la même époque. Cette évolution a été particulièrement significative en grande couronne qui, pour la première fois depuis 40 ans, enregistre un solde migratoire négatif, compensé cependant par une natalité importante. L’ensemble de ces éléments fait donc apparaître une évolution de la région et de l’agglomération beaucoup plus nuancées que par le passé. Ils doivent cependant être envisagés avec prudence, dans la mesure où ils ne prennent pas en compte les évolutions les plus récentes.
73L’agglomération parisienne est caractérisée par une décroissance régulière de la densité de la population au fur et à mesure que l’on s’éloigne de Paris. À quatre kilomètres des limites de Paris, plus aucune commune ne possède une densité supérieure à 100 habitants à l’hectare, alors que la densité brute est de plus de 200 à Paris. Si les disparités entre Paris intra muros et la petite couronne tendent à se réduire, Paris reste caractérisé par une densité trois fois supérieure à celle des départements limitrophes.
4.2. Emploi et déplacement en région IDF
74En matière d’activités et donc d’emploi, en dépit d’un desserrement à l’échelle de la région, la ville de Paris et la zone limitrophe, en particulier les Hauts-de-Seine, constituent le pôle le plus actif de l’agglomération, ce que confirme le bilan récent de suivi du Schéma directeur de la région Ile-de-France (SDRIF, établi en 1994). Ce sont aussi les plus riches et les deux départements de Paris et des Hauts-de-Seine concentrent à eux seuls un sixième du produit intérieur brut français. La population de la région est caractérisée par une proportion particulièrement élevée de cadres et de professions intellectuelles supérieures : en 1996, la moyenne régionale était de onze points supérieurs à la moyenne nationale, avec 1,18 millions d’individus. Ceux-ci constituent aussi les couches les plus mobiles de la population. Les professions intermédiaires et dans une certaine mesure les employés sont également mieux représentés que la moyenne nationale. Le tertiaire regroupait, en 1996, 80 % des emplois. Les migrations alternantes constituent un trait majeur de la région : Paris, avec 1,8 millions d’emplois mobilise 750.000 Franciliens extérieurs à la ville et 100.000 extérieurs à la région. Au total, ce sont près de 250.000 personnes habitant en dehors de la région qui y travaillent.
75Malgré la crise des années 90, la mobilité au sein de la région n’a cessé de croître. Avec un taux de motorisation voisin de 380 véhicules pour 1000 habitants, la région Ile-de-France rassemblait en 1997 (Servan, 1997) environ 4,2 millions de véhicules particuliers, 630.000 camions et camionnettes, 13.800 tracteurs routiers, 9.100 autobus et autocars, indépendamment du trafic de transit. Là encore on enregistre des disparités très significatives : alors que plus d’un ménage parisien sur deux (54 % en 1990) ne possède pas de voiture, la proportion est un peu supérieure à 30 % en petite couronne et inférieure à 20 % en grande couronne, où le nombre de ménages disposant de deux voitures est lui proche de 30 %. Le cœur de l’agglomération bénéficie d’un système de transport en commun efficace et bien rôdé, massivement utilisé. Mais c’est aussi le lieu où le trafic est le plus dense (156.000 véhicules-km-quotidiens/km2 selon Louis Servan) ce qui explique les taux plus élevés de pollution par les oxydes d’azote que l’on y rencontre. L’Ile-de-France possède le réseau routier le plus dense de France mais aussi deux aéroports internationaux avec un trafic annuel de 64 millions de voyageurs et 1,3 millions de tonnes de fret.
76De par sa taille, l’agglomération parisienne se distingue de toutes les autres villes de France, et ne peut véritablement être rapprochée que d’autres très grandes métropoles européennes comme Milan, Londres ou Berlin. Il faut souligner le caractère très hétérogène, voire disparate des différentes composantes de l’agglomération. Celle-ci englobe des espaces dont les morphologies sont très diverses et dont le caractère, parfois chaotique, est accentué par les effets de proximité liés au développement de l’urbanisation. Cette hétérogénéité rejoint un aspect très insuffisamment évoqué mais cependant d’une importance majeure : à la différence d’autres grandes métropoles comparables comme Londres (Newman, 2000) ou New York, l’agglomération parisienne ne constitue qu’une entité nominale ou statistique ; elle ne dispose d’aucune autorité ou administration spécifique qui en assure le pilotage et la représente en tant que telle20. Elle constitue de fait une entité éclatée, s’étendant sur huit départements, relevant d’une multitude d’instances et de structures tant départementales ou municipales que régionale, sans compter l’intervention de l’État.
4.3. La complexité administrative
77B. Fargette (Fargette, 2000), s’appuyant sur un travail de F. Boutaric (Boutaric, 1997), a mis en avant l’idée que le regard exacerbé porté sur la pollution atmosphérique dans l’agglomération parisienne, rapporté à Paris et à Paris exclusivement21, mais aussi la lenteur et le retard très importants à y faire face tenaient fondamentalement à l’éclatement administratif et au feuilletage des prérogatives, des compétences, à la multiplicité des instances impliquées dans le pilotage de l’agglomération. Et ce d’autant que celles-ci sont soumises à de puissantes rivalités, résultant d’ancrages historiques anciens. Elles tiennent au statut de capitale de Paris et aux relations difficiles entre la ville et l’État, lequel a longtemps exercé sur cette dernière une lourde tutelle, redoutant ses débordements et mesurant son poids dans l’administration et la vie du pays. De telle sorte qu’il a fallu attendre 1977 pour que Paris dispose d’un maire élu, comme les autres communes françaises. D’un autre côté, Paris n’a cessé d’exercer une emprise multiforme très importante sur la banlieue. Un des déficits majeurs résultants de ces rivalités est un manque criant de cohérence et de lisibilité quant à l’exercice effectif de la conduite de l’agglomération et une vision très fragmentée de celle-ci de la part de la population. Quatre instances jouent un rôle déterminant de ce point de vue, le préfet de région, préfet de Paris, et le préfet de police, représentant l’État, la Région Île-de-France et la ville de Paris. Le préfet de police exerce en région parisienne un certain nombre de prérogatives qui partout ailleurs sont dévolues aux communes, comme la police de la circulation. Il est aussi préfet de la zone de défense, correspondant aux limites de la région, fonction qui dans les autres régions est dévolue au préfet de région. Par comparaison, le préfet de région, préfet de Paris possède des prérogatives limitées tant par la place qu’occupe le préfet de police que par suite de la création en 1964 du département de Paris, beaucoup plus restreint que l’ancien département de la Seine, puis par la loi de décentralisation (1982-1983). La région, issue du District de la région parisienne, créé en 1961 et dirigé d’abord par P. Delouvrier en vue de la modernisation de l’Ile-de-France, est la plus récente de ces institutions puisqu’elle n’est devenue collectivité locale qu’en 1986. Elle élabore, en association avec l’État, un schéma directeur portant sur l’ensemble de son territoire à échéance d’une vingtaine d’années dans le cadre duquel les contrats de plan État-Régions marquent des étapes successives. Compte tenu des particularités institutionnelles de l’agglomération parisienne, l’intervention et le contrôle par l’État des instruments de pilotage et de planification, en particulier en matière d’aménagement et de transport, sont plus forts que dans les autres régions.
78Comme l’explicite le titre même de l’article de B. Fargette, c’est bien comme « révélateur du fonctionnement institutionnel à l’échelle de la région » que s’est manifestée la pollution atmosphérique. On retrouve ici à l’échelle régionale ce que l’on peut observer à l’échelle globale avec la question du réchauffement climatique où la problématique atmosphérique conduit à reconsidérer en profondeur la gouvernance collective. De par sa dynamique spécifique, la pollution atmosphérique relève d’une sémiologie de la mobilité et de l’interaction qui prend complètement à contre-pied les représentations classiques enracinées dans les codes culturels et sociaux qui président aux découpages administratifs du territoire en vigueur. Elle conduit à réexaminer quelques-uns des éléments fondamentaux d’une organisation administrative et territoriale statique et cloisonnée dont elle met en évidence le manque de fonctionnalité ; elle met en relief l’étroitesse des référents culturels implicites qui la sous-tendent, faisant ressortir du même coup la dynamique heuristique et pratique de l’environnement, sa signification et son potentiel sur le plan de l’organisation collective.
79Il y là également la question d’un héritage historique. La dimension et l’antériorité de la question de la pollution atmosphérique à Paris y ont eu pour effet des mises en œuvre plus anciennes en matière de surveillance de la qualité de l’air qu’ailleurs. Le laboratoire central de la Préfecture de Police (LCPP), d’abord laboratoire municipal, créé en 1878 pour lutter contre les fraudes, a entrepris dès 1912 des mesures de monoxyde de carbone, poursuivies jusque dans les années trente, puis reprises après la seconde guerre mondiale, avec celles d’autres polluants. Le laboratoire d’hygiène de la ville de Paris (LHVP), a pris ce nom en 1910 en remplacement de celui de laboratoire de Montsouris, créé en 1870. Dès l’origine, il se consacre à des mesures de la composition de l’atmosphère, des taux de dioxyde de carbone ou d’ozone, interrompues précisément en 1910 pour ne reprendre qu’en 1954.
80D’un autre côté, comme à Lille, la vision hygiéniste a mis en exergue la résorption de l’habitat insalubre en encourageant les habitants à s’installer en banlieue, en pavillon ou en cité. En même temps, le comité départemental d’hygiène a lui-même encouragé l’implantation des usines dans les communes ouvrières tel St Denis, respectant la tranquillité des quartiers résidentiels. Vers 1860, deux tiers des Parisiens, soit 1,2 millions d’habitants, vivaient dans des conditions insupportables d’insalubrité et de surpeuplement : longues journées de travail, pénurie de logements, salaires faibles… De 1866 à 1896 la population de la banlieue parisienne passe de 325 000 à 800 000 habitants. Cependant, les industries situées aux marges de Paris ont eu du mal à attirer la main d’œuvre parisienne. Les salaires sont moins élevés que dans Paris et ce sont surtout des ruraux provinciaux qui viennent peupler les banlieues durant la période de pic d’attractivité de la capitale.
81Après les pénuries et les destructions de la seconde guerre mondiale, l’après-guerre se traduit par un redémarrage progressif de l’activité économique et de la vie sociale dans une France qui entame une des mutations les plus importantes de son histoire. Le redémarrage industriel s’accompagne d’un exode massif de la population rurale vers les villes, qui va faire en quelques décennies de la société française encore largement rurale une société massivement urbaine. La région parisienne est au cœur de cette évolution, dans la mesure où elle est, jusque dans les années 80, un pôle d’attraction majeur de cette migration, ce qui a pour conséquence un développement très important de l’urbanisation, puis de la périurbanisation qu’accompagne le développement massif du réseau et des transports routiers, suivi de l’extension et de l’amélioration du réseau ferroviaire. La dynamique économique de la région connaît aussi une évolution très importante. Encore très marquée par le poids de l’industrie jusque dans les années soixante-dix, elle se « tertiarise » massivement, pendant que l’industrie émigre pour une part en province.
82Il est intéressant de constater que les structures administratives n’ont su que très partiellement faire face à la transformation de la nature et de l’échelle des problèmes, à l’évolution et l’extension des enjeux liés à la croissance de l’agglomération à partir des années 60, de même que les services de la météorologie n’ont guère su prendre en charge la qualité de l’air. Derrière l’ancrage institutionnel et culturel des entités en charge de la surveillance dans les institutions locales, préfecture de Police et ville de Paris, il faut aussi voir l’absence d’une vision véritablement fonctionnelle de l’agglomération et de ses diverses composantes, dans l’interrogation et la fascination quant à l’urgence de son simple développement.
L’évolution de la surveillance et de son contexte dans l’agglomération et le développement d’Airparif
83C’est dans ce contexte et la logique de ces développements que se constitue le réseau Airparif de surveillance de la qualité de l’air en région Ile-de-France. Airparif est créé en 1979 à l’initiative du Ministère de l’environnement qui en finance la majeure part, sous la forme d’une association loi de 1901 administrée par un conseil d’administration où siègent comme l’avait préconisé le ministère quelques années auparavant des représentants de l’État, des collectivités locales et des industriels. Lors de sa création, seuls les trois départements de la petite couronne entrent au conseil d’administration de la nouvelle association. Les objectifs et les moyens sont limités et le personnel réduit à cinq personnes. La DRIR Ile-de-France réalise la mise en œuvre de ce réseau automatique de surveillance et d’alerte dont le but est la collecte automatique des données d’un ensemble de stations fédérant les éléments du réseau mis en place dès le début des années 1960 et modernisé en 1973 par EDF (avec 25 analyseurs) à proximité de ses centrales thermiques et dans Paris intra-muros, ainsi que des stations exploitées par le Laboratoire d’Hygiène de la ville de Paris et le Laboratoire Central de la Préfecture de Police, complété de nouvelles stations dites “multipolluants”. Mis en service en octobre 1981, il comprend 85 stations et 200 analyseurs répartis sur Paris, la petite couronne et la « vallée industrielle de Mantes ». 70 de ces stations mesurent l’acidité forte, considérée comme « le traceur de la pollution atmosphérique ». « Les stations de mesure du monoxyde de carbone, au nombre de 6, constituent les indicateurs essentiels de la pollution due aux véhicules automobiles » est-il annoncé dans un document de présentation du nouveau réseau. C’est assez dire le poids de la pollution industrielle dans cette mise en place et la part très faible accordée aux sources mobiles. C’est à un renouvellement complet de cette problématique auquel on assiste dans les années qui suivent, en même temps que la vigoureuse reprise des années 80 accélère les mutations de l’agglomération parisienne, son extension, la tertiarisation de l’économie, l’accroissement du trafic automobile et de la mobilité.
84« Une réflexion sur les qualités et défauts de cet outil de surveillance est menée dès 1986 et débouche sur un vaste programme de restructuration du réseau de surveillance, validé par les instances de la Communauté européenne puis engagé entre les années 1989 et 1994 et cofinancé par l’État ainsi que la Région Ile-de-France »22 Celui-ci est repensé, dans une perspective d’harmonisation de la surveillance au niveau européen, comme un dispositif ouvert à l’ensemble des acteurs de l’agglomération, intégrant l’évolution des normes européennes, dans « l’optique principale de protection de la santé publique », autour de cinq fonctions : la prévision des épisodes de pollution atmosphérique, le suivi spatio-temporel de la pollution, l’information des partenaires et du public, l’enregistrement d’éventuels phénomènes de pollutions atypiques et enfin la participation à l’effort de recherche. C’est-à-dire avec un champ opérationnel et cognitif sans commune mesure avec ce qu’il était lors de la mise en place du réseau en 1981, où il visait la réduction des émissions soufrées en cas de dépassement des seuils d’alerte. En 1989, la Ville de Paris entre, sous la pression de l’État, au conseil d’administration d’Airparif, qui ne cessera de s’élargir à de nouveaux participants, y compris associatifs. Parallèlement est lancé, en 1990-1991, le premier volet de l’étude ERPURS23, mise en œuvre par l’Observatoire de Santé de l’Ile-de-France, associé à de multiples partenaires. Le début des années 1990 voit la réalisation progressive des divers aspects du programme élaboré en 1989. La mise à niveau du réseau s’effectue jusqu’en 1993. En 1992, est mis au point, en liaison avec Météo-France, un premier indicateur de tendance en matière de pollution atmosphérique. En 1994, une première prévision à courte échéance (le matin pour la journée) des concentrations d’ozone et de dioxyde de soufre est développée. La prévision du jour pour le lendemain devient réalité à l’été 1997, et la modélisation est validée en 1999. Parallèlement, sont développés différents outils de communication, certains relayés par la ville de Paris (brochures, revues d’information, minitel, création d’un site internet, etc…). Bénéficiant après 1996 comme les autres réseaux de mesure, de l’accroissement des crédits liés à la loi sur l’air, Airparif s’est ainsi doté, en une dizaine d’années, d’un dispositif de simulation et de prévision sophistiqué. Les outils d’observation sont améliorés et adaptés aux besoins de la surveillance suite à un audit international en 1997 qui signale les points du réseau à modifier. Des améliorations sont également proposées concernant la communication. La réalisation d’un outil de simulation constitue une avancée déterminante : elle offre un instrument d’aide à la décision qui rend possible l’anticipation, dans la mesure où il permet d’analyser des situations, de tester des scénarios, en faisant varier des paramètres et en en appréhendant l’impact. Il a déjà permis l’étude des niveaux d’émissions à envisager en vue de satisfaire l’évolution aux horizons 2005 et 2010 des objectifs de qualité en matière d’oxydes d’azote24 ainsi que l’impact des mesures envisagées dans le cadre de l’élaboration du Plan de protection de l’atmosphère de la région. Airparif élargit sa coopération à d’autres villes européennes à travers des projets comme Life « Résolution » auquel sont associées les villes de Rome, Dublin et Madrid, visant la cartographie à haute résolution des oxydes d’azote et des hydrocarbures aromatiques monocycliques, ou « Heaven » qui a rendu possible la réalisation d’un outil de modélisation permettant de connaître et de diffuser en temps réel la pollution atmosphérique et les émissions sonores liées au trafic. Parallèlement, Airparif mène différentes études ciblées sur des aspects spécifiques de la pollution atmosphérique dans l’agglomération : métro, gare de l’Est, aéroports, échangeurs routiers ou A 86, mise en œuvre des mesures adoptées par la ville de Paris, situations de proximité, dioxines et plus récemment pesticides, etc. La structure a ainsi vu son personnel passer de moins d’une dizaine de personnes dans les années 80 à une cinquantaine aujourd’hui, avec une évolution tout aussi significative de ses budgets, qui atteignent environ 6 millions d’euros par an, traduisant l’extension et la complexification croissante de son champ d’intervention.
L’étude ERPURS, l’explosion médiatique des inquiétudes et le vote de la loi sur l’air
85Le développement d’Airparif est évidemment très fortement congruent avec la montée des enjeux autour de la pollution atmosphérique dans l’agglomération parisienne dans les années 80 et 90. Les attitudes des responsables politiques dans les années 80 sont largement marquées par l’indifférence, l’ignorance voire le refus de savoir, en dépit de la poussée des préoccupations et des inquiétudes, renforcées par les controverses relatives au dépérissement des forêts apparues en Allemagne au début de la décennie. Un basculement s’opère dans les années 90. Beaucoup s’accordent à considérer que le déclencheur en a été l’étude ERPURS. Celle-ci n’a pas apporté d’éléments que des études étrangères n’aient déjà établis, elle l’a simplement fait pour la première fois à partir de données et dans le contexte de l’agglomération parisienne. En même temps, elle a constitué le point de départ de toute une série de recherches épidémiologiques (étude dite PSAS 9 portant sur le suivi épidémiologique de neuf villes françaises, étude APHEIS élargie au contexte européen) qui ont progressivement rendu possible des évaluations plus affinées des impacts sanitaires de la pollution, même si de nombreux aspects restent encore dans l’ombre. Elle a eu un impact médiatique très important, et a constitué un tournant dans l’appréciation de la question de la qualité de l’air par les responsables politiques. Elle a également permis de rétablir une relation entre le champ de la pollution atmosphérique, institutionnellement lié depuis 1971 à l’administration de l’environnement (Charvolin, 1994), et celui de la santé, que la création du ministère de l’environnement avait entièrement disjoints25.
86Reflétant la montée des préoccupations, le préfet de police Massoni met en place en avril 1994, quelques mois après son installation à la préfecture, par un arrêté interpréfectoral, un dispositif d’information du public et d’alerte en cas d’épisode de pollution atmosphérique en Ile-de-France. L’année suivante, J. Tibéri, nouveau maire de Paris, entame sa mandature par plusieurs interventions publiques sur la pollution atmosphérique (13, 21 et 24 juillet 1995), dans lesquelles il met directement en cause la place de l’automobile, présentée comme source majeure de la pollution. Il souligne le caractère préoccupant de cette pollution en matière de santé, faisant référence à l’étude ERPURS, et prône un ensemble de mesures limitées (promotion des transports en commun, de la marche, du vélo) et la mise en place d’un réseau de pistes cyclables. Cette mise en cause sera suivie d’une politique d’ensemble, critiquée notamment par les Verts qui la jugent insuffisante, visant à redéfinir la place de l’automobile dans Paris, alors qu’elle y a régné en maîtresse jusque-là, avec la création de zones où la vitesse est limitée à trente kilomètres heure, l’amélioration de la circulation et de la protection des piétons, le renforcement des mesures en matière de stationnement, etc. L’élection de B. Delanoë à la mairie de Paris en 2001 et la participation des Verts à la nouvelle municipalité se traduisent par une impulsion et un renouvellement très importants donnés à cette politique dont la première initiative est la mise en place d’un réseau de couloirs d’autobus de grande largeur accessibles également aux taxis et aux vélos. La mise sur pied d’un plan de déplacement dans Paris, articulé au PDU d’Ile-de-France, suivie de la création de quartiers verts et de la mise en œuvre du réseau Mobilien d’autobus en site propre, la constitution du nouveau Plan local d’urbanisme remplaçant l’ancien Plan d’occupation des sols et une initiative emblématique, la mise en œuvre d’une ligne de tramway sur une partie du boulevard extérieur au sud de Paris, ouverte à l’automne 2006, sont quelques uns des points forts de ces nouvelles orientations. Cette politique nouvelle, mise en place non sans quelques maladresses qui ont suscité tensions et oppositions, exploitées politiquement, s’est traduite, au moins dans Paris intra muros, par une baisse significative de la circulation automobile.
87En 1995, Corinne Lepage entreprend, dès son arrivée au ministère de l’environnement, l’élaboration de la loi sur l’air, votée l’année suivante au terme d’un long processus qui aura vu un lobby automobile extrêmement actif tenter d’en restreindre au maximum la portée, obtenant gain de cause sur le financement des mesures anti-pollution à partir de la taxation des carburants. C. Lepage souligne dans son livre « On ne peut rien faire Madame la Ministre… »26 « le soutien dont elle a bénéficié d’une partie du corps médical et en particulier de la Société Française de santé publique », partie prenante dans l’étude ERPURS, associée par la suite au projet Européen Aphéa, dont les résultats sont également publiés en 199627. Par-delà leur généralisation, la loi sur l’air apporte aux réseaux de surveillance de la qualité de l’air une validation et des moyens financiers qui leur avaient grandement fait défaut jusque-là.
4.4. Une réalité stratégique
88Les années 1990 apparaissent donc comme le moment d’une cristallisation très nette même si particulièrement tardive, en région parisienne, des préoccupations autour de la pollution atmosphérique et de sa relation aux transports, en particulier à l’automobile. Compte tenu des autres nuisances dont l’automobile apparaît également à l’origine, de sa place jusque-là prépondérante dans l’agglomération, elle est l’objet d’une remise en cause souvent véhémente dans les médias. Les implications en sont très importantes tant au plan régional que national. Au plan régional, elles ne se traduisent pas un infléchissement très net des politiques et une amorce de prise en considération d’une question restée très largement sous-estimée, voire niée par les responsables politiques. Mais c’est sans doute au plan national que les conséquences peuvent en apparaître les plus importantes, d’une part à travers l’impact médiatique des résultats de l’étude ERPURS qui dessinent l’arrière-plan sur lequel va pouvoir se bâtir la loi sur l’air, et d’autre part dans le fait que le modèle de surveillance mis en place en région parisienne et en Alsace, dans un contexte régional très différent, constitueront des références majeures de la politique développée par la loi qui généralise ce dispositif.
89Dans ce processus, la position, le rôle, la stratégie d’Airparif méritent un examen plus précis et attentif dans la mesure où Airparif constitue le pôle autour et à partir duquel s’est articulé le jeu des acteurs de l’agglomération du fait de son rôle de source majeure d’information en matière de pollution atmosphérique. Mais l’analyse du rôle d’Airparif constitue surtout une entrée privilégiée pour appréhender les failles de la gouvernance de la pollution dans la région. On pourrait en effet mettre en avant pour expliquer le développement d’Airparif, comme le fait volontiers la presse, l’opinion publique, et considérer le développement de la structure comme le reflet quasi-mécanique d’une prise de conscience générale quant à la nocivité de la pollution atmosphérique, la réponse à une demande sociale plus ou moins explicitement formulée. On pourrait, à l’inverse, imaginer que ce développement reflète le souci des responsables politiques de développer les instruments d’une meilleure appréhension favorisant l’anticipation face à des questions préoccupantes, par delà leur résonance médiatique, du fait de leur dimension de santé publique. La réalité est très sensiblement différente, mais aussi beaucoup plus ambiguë et incertaine sur différents plans. D’une part, cette prise de conscience très tardive reste partielle et limitée, en particulier en ce qui concerne les décideurs, techniciens ou responsables politiques, sans parler des lobbies auxquels nous avons déjà fait allusion, les prises de position réitérées du président de la Fédération française des automobiles-clubs, C. Gérondeau en témoignent. D’autre part, face à de multiples résistances, elle ne s’accompagne que d’une évolution très lente et nullement spontanée des comportements. Le passage à l’action implique des mises en œuvre très lourdes demandant des investissements, des études et des travaux très importants, dont témoigne la réalisation d’aménagements comme le tramway, le réseau Mobilien de bus ou même les quartiers verts.
90On peut au contraire renverser la proposition et considérer qu’Airparif a joué un rôle déterminant non pas tant dans l’émergence de cette prise de conscience, à laquelle la contribution de la presse a été très importante, mais en tant qu’acteur spécifique dans son accompagnement et sa structuration à l’échelle de l’agglomération et au-delà28. Airparif a su constituer et de fait imposer la surveillance comme instrument collectif d’appréhension de la situation et de médiation, dans un contexte caractérisé par un manque de volonté politique de la plupart des élus, reposant, dans une boucle perverse récurrente dans le domaine de l’environnement, sur le constat d’un manque de données validant leur position. En ce sens, le développement d’Airparif, et derrière cela, l’importance accordée à la surveillance, son statut d’enjeu dans les années 80 et 90, sont un témoignage sans ambiguïté de la faiblesse, voire de l’absence de gouvernance sur la question et d’une attitude d’évitement ou de fuite devant le problème, dans un contexte de récusation d’une question nouvelle, non identifiée, et donc non reconnue. La création, par la préfecture de police, d’un système d’alerte et l’usage qui en a été fait depuis sa mise en place, répondant à une logique légaliste et de court terme, typique de cette institution, jouant sur la peur beaucoup plus qu’orientée vers la recherche d’une réponse efficace de long terme, en sont une illustration évidente29. L’alerte est évidemment une réponse d’urgence, mais aussi potentiellement trompeuse, une sorte de masque quant à l’ampleur du défi que représente l’amélioration sur le long terme de la qualité de l’air. Airparif a su introduire et fonder un changement qualitatif très important, caractéristique des années 90 dans le domaine de l’environnement en France, dans le passage, via l’instrumentation et la mesure, à une approche informée mais aussi mutualisée, pluriconcernée, dynamique, multifonctionnelle et en ce sens effectivement environnementale de la pollution atmosphérique, qui n’avait jamais pris corps de cette façon auparavant. L’association a accroché ce développement à la dynamique urbaine de l’agglomération et de la zone rurale qui l’entoure à laquelle elle a ainsi donné une nouvelle réalité. Airparif a dégagé la pollution atmosphérique de l’enfermement dans les enjeux étroitement politiciens dans lesquels elle était restée cantonnée jusque-là (affrontements entre droite, gauche et écologistes), pour en faire un problème collectif reposant sur des éléments objectivés échappant à la discussion. En même temps, une telle démarche n’est qu’une première étape d’une dynamique d’action qui laisse entière la question très large et délicate des initiatives qu’il est nécessaire de mettre en place pour faire face aux interrogations que soulève l’amélioration de la connaissance et sa diffusion. La lenteur des mises en œuvre, auxquelles la loi sur l’air a tenté d’apporter un cadre cohérent, permet de prendre une meilleure mesure de l’ampleur des efforts à consentir à ce propos. Airparif a également contribué à transformer l’échelle du problème, en mettant en évidence que l’on n’avait pas affaire à un phénomène circonscrit à la seule ville de Paris mais qui concernait bien l’agglomération parisienne dans son ensemble. L’association de surveillance a ainsi contribué au développement d’une nouvelle image de l’agglomération parisienne, l’extrayant de son habitus administratif, politicien et patrimonial pour en proposer une vision plus immédiatement fonctionnelle, en tant que champ d’interactions dans une perspective radicalement distincte de celle des plans d’aménagement et des schémas directeurs, des approches sectorielles ou des visions esthétisantes qui avaient largement prévalu jusque-là30. Le développement d’Airparif a permis de rendre manifeste, visible, la cinétique de la pollution à travers la modélisation, permettant la prévision, mais aussi la restitution en temps quasi réel de l’état de l’atmosphère (projet Heaven). Il a ainsi rendu sensible la façon dont la population était à la fois origine et victime de la pollution, apportant les éléments d’une approche réflexive qui n’avait jamais eu de base informée sérieuse auparavant et qui reste encore assez peu comprise et utilisée comme outil d’intelligibilité, au-delà de son statut d’information.
91En même temps, si Airparif a introduit les fondements d’un rapport à la ville différent, il l’a fait à l’intérieur d’un schéma institutionnel inchangé. Compte tenu de la lourdeur et de l’ampleur des transformations à envisager pour obtenir une amélioration sensible de la qualité de l’air dans l’agglomération parisienne, en particulier face à des paramètres préoccupants comme la croissance du trafic ou le développement de la climatisation, ceci soulève une très grave question et dessine clairement les limites d’une évolution. La question qui est posée est bien celle de la compatibilité entre le schéma institutionnel, l’absence de pilotage de l’agglomération tel que nous l’avons présenté plus haut et les perspectives, les tâches associées de renouvellement urbain dont on peut évaluer toute l’ampleur. Le développement d’Airparif, l’élaboration du Plan de déplacement urbain n’effacent pas les effets d’échelle, les pesanteurs et les limites des logiques fragmentaires, de l’approche éclatée, “end of pipe”, propre à l’agglomération, l’inertie des comportements, liée aux séquelles de pratiques longtemps passéistes et stéréotypées, la complexité des mécanismes opérationnels qui constituent autant d’occasions possibles d’affrontement. Ils n’effacent pas non plus le jeu des rivalités particulièrement néfastes entre les composantes majeures de l’agglomération, qui sont un obstacle massif à l’élaboration de politiques enfin cohérentes.
92La structuration d’Airparif est le fruit d’un effort de longue haleine qui lui confère aujourd’hui une image, une notoriété, une position indiscutée, que ce soit auprès de la population ou des différentes instances de la région comme dans le milieu de la surveillance de la qualité de l’air en France. Cela tient très largement au positionnement technico-éthico-politique à travers lequel Airparif a pu se constituer comme une structure d’expertise reconnue pour son indépendance, ce qui est suffisamment rare en France pour être souligné. Airparif a ancré cette indépendance dans une exigence de communication en direction de l’ensemble des publics de l’agglomération, très sensibilisés à la question de la pollution. Le succès d’Airparif réside dans l’affirmation durable de cette indépendance, stratégique dans un contexte caractérisé comme nous l’avons indiqué précédemment, par la présence d’une pluralité d’instances, d’acteurs et de tutelles ayant des poids très importants et en compétitions les unes avec les autres. Celles-ci n’ont évidemment pas manqué de tenter d’exercer leur influence, négative ou positive, voire aussi, le succès venant, de valoriser leur image en cherchant à marquer leur proximité à la nouvelle structure. On mesure le caractère précaire d’une telle situation, et la fragilité d’un tel système.
93Un des points forts de cette expertise est de ne s’être jamais présentée comme relevant d’une légitimité scientifique, technique ou institutionnelle acquise une fois pour toute, ce qui aurait évidemment été contradictoire avec le caractère pionnier de la démarche de l’association. Elle s’est au contraire envisagée comme perfectible dans un contexte soumis à une évolution qu’elle n’a cessé à la fois de cadrer et d’accompagner. Airparif a été mis en place avec des finalités limitées, dans l’orbite de la DRIR, face à un environnement se modifiant profondément en quelques années, les émissions industrielles, raison première de sa constitution, ayant largement diminué. Airparif a alors réussi, à travers une logique technique et une proximité aux phénomènes que favorisait son ancrage local, à se doter des moyens permettant d’apporter des éléments essentiels de caractérisation d’autant plus porteurs qu’ils visaient à s’insérer dans un espace informationnel public. Cela ne s’est réalisé que parce qu’il ne rentrait pas directement dans les prérogatives et les compétences de la DRIRE, limitées à l’activité industrielle, de prendre en charge la pollution automobile, de telle sorte qu’elle a délégué à Airparif la charge de la mise en œuvre nécessaire. Cependant, elle n’a pu le faire que parce qu’elle disposait de la confiance des différentes autorités de l’État et de la région, ce qui lui a permis de faire valoir un besoin de cohérence évidemment en rupture avec l’organisation sectorisée en vigueur jusque-là, auquel les instances concernées se sont ralliées. D’une pollution paradoxalement gérée au sein d’un cercle limité d’ingénieurs et de responsables de l’industrie, de l’association des constructeurs automobile et de l’administration, la rénovation d’Airparif a permis de passer à une réalité ouverte et accessible, apportant des références à une attente multiforme, autorisant l’expression d’une demande sociale hypothétique tant que sans éléments sur lesquels s’appuyer31. Et ce avec un souci d’équité et de transparence face à l’incompréhension ou au revirement tardif d’acteurs institutionnels dont beaucoup avaient pendant longtemps ignoré ou nié la réalité du problème, mais sensibles à l’inquiétude collective, à l’évolution de l’opinion et aux prises de position des médias. On mesure cependant le caractère conjoncturel et aléatoire d’une telle évolution face à l’héritage massif de l’emprise exercée pendant des décennies par les tutelles industrielles et administratives qui avaient systématiquement empêché l’appropriation de la pollution comme phénomène collectif et en avaient maintenu une approche et une gestion strictement confidentielle derrière sa façade administrative.
94La nouveauté de l’institution, son caractère d’association, sa petite taille, la structure de son personnel, la personnalité de ses animateurs sont sans doute des éléments très importants dans le dynamisme d’Airparif. Celle-ci a su apporter à une situation nouvelle, sans imputation, où l’ensemble de la collectivité est à la foi agent et victime, une caractérisation dont le champ n’a cessé de se développer. La pollution des années 50 à 70, liée à des émetteurs industriels et urbains fixes, répondait bien à la logique structurale d’une société dominée par les cadres conceptuels externes et le rôle majeur de quelques macro-acteurs. Dans le cas de la ville et de la mobilité contemporaine, c’est l’ensemble de la collectivité urbaine qui est visée, dans la multiplicité de ses composantes et non tel secteur particulier, pas même le transport individuel, l’automobile en tant que telle, comme on l’avance souvent, même si sa part dans la situation est très importante. C’est le rapport complexe entre l’automobile et la ville qu’il faut prendre en considération, sans ignorer les nombreuses autres activités en cause, en particulier le chauffage, dans un contexte d’expansion technologique constante. C’est bien la communauté urbaine dans sa continuité spatio-temporelle qui profite et pâtit simultanément de la technologie automobile dont on ne peut imputer la diffusion aux seules grandes structures productrices, tant le jeu des interactions qui lient celles-ci aux consommateurs/utilisateurs, dont les comportements aux différentes échelles modèlent la ville, est lui-même complexe (Wiel, 2002). Une telle situation, caractérisée par un processus de prolifération et de dissémination d’une ampleur sans précédent, exige de nouveaux outils d’appréhension et d’interprétation, autant qu’elle est tributaire de nouveaux modes de régulation et de processus de décision qui ne sauraient relever d’une autorité unique imposant ses choix. C’est bien plutôt la co-évolution de la ville en ses multiples composantes et de l’automobile aux différentes échelles qu’il convient à la fois d’incriminer et de promouvoir, et c’est à ce niveau qu’il convient de rechercher des réponses. D’où le rôle important des systèmes de transport publics en tant que modèles qualitatifs des évolutions souhaitables ou a contrario symboles de dégradation, ce qu’a su intégrer en Ile-de-France la RATP qui, avec l’aide de la Région, a mené à bien en quelques années un programme de modernisation de sa flotte de bus de façon à en réduire de façon significative les émissions. On voit également, au niveau des logiques d’usage, les mentalités et les pratiques des populations évoluer de façon lente mais significative.
95La démarche d’Airparif a ouvert à la promotion de ces nouvelles exigences en apportant progressivement à l’ensemble de la communauté urbaine, indépendamment des clivages entre Paris et sa périphérie, des éléments d’information susceptibles d’engager les comportements de façon plus responsables, là où la préfecture de police a, à partir de sa culture propre du risque et de la responsabilité, mis en place une procédure d’information et d’alerte à la sémiologie plus limitée, reprise dans la loi sur l’air. Cette démarche n’a pu se construire qu’en s’inscrivant, dans un premier temps, dans les points aveugles du complexe de relations présidant aux destinées de l’agglomération, pour conduire par la suite un certain nombre d’acteurs à dépasser au moins partiellement leurs points de vue et adopter une orientation plus attentive à l’environnement, plus compatible avec le souci du mieux-être collectif. D’où une situation de tension liée au décalage dans lequel Airparif se trouvait face aux attitudes et aux points de vue dominants, exigeant une vigilance très grande à la mise au point d’un outil susceptible de répondre efficacement à la diversité des attentes de ses utilisateurs potentiels. La compréhension de la demande d’information fiable, indépendante et accessible, également nécessaire aux instances impliquées dans la conduite de l’agglomération, a été le meilleur garant de la qualité et de l’indépendance d’Airparif. On peut y voir aussi l’apport d’une logique technique relevant très directement d’une culture d’ingénieur, inféodant le poids des logiques d’image et de représentation à une relation aussi précise que possible avec ce qu’elle pose comme sa finalité propre, une approche quantifiée techniquement pertinente des phénomènes. Une telle perspective et sa dimension proprement culturelle constituent sans doute une clé d’intelligibilité importante à la compréhension d’une évolution que le devoir ou l’intérêt seul ne peuvent expliquer. Elle apparaît aussi comme une extension de l’approche technique de la pollution qui a prévalu en France, dans une perspective nouvelle dans la mesure où jusque-là cette approche était restée toujours dans l’orbite du politique.
96Le rôle d’Airpairf, atypique dans le contexte français, que seule probablement son origine également atypique issue pour une part des failles d’une gouvernance incapable de faire face à une situation nouvelle en maintenant sa cohérence, ses succès dans le domaine de la surveillance ne doivent cependant pas effacer la perception de la situation qui a présidé à son développement et ses manques. En témoigne le fait qu’Airparif s’est vu amené à jouer un rôle dépassant largement sa compétence initiale pour devenir une véritable plateforme d’échange entre les principaux acteurs de la région et au-delà autour de la problématique de la pollution, dans la mesure où se côtoient au sein de son conseil d’administration, — suffisamment complexe et hétérogène dans sa composition pour qu’aucun acteur ou aucune alliance d’acteurs n’ait réussi à y jouer un rôle hégémonique — la plupart des acteurs régionaux, tant politiques (les huit départements de la région y sont aujourd’hui représentés avec l’adhésion tardive de la Seine et Marne) que techniques en matière de transport, des responsables de la santé, certains acteurs nationaux comme les constructeurs automobiles, les pétroliers, mais aussi les associations de consommateurs, les associations de défense de l’environnement, amenés par le truchement de leur participation à cette instance à échanger et à discuter.
97Ces éléments poussent donc à ne pas minimiser le caractère aléatoire de la situation dans l’agglomération en matière de pollution et la fragilité de mises en œuvre aux périmètres incertains. La mesure peut facilement tenir lieu de paravent ou d’alibi, elle n’a de sens qu’en tant que moteur d’évolutions permettant de transformer véritablement les situations. De ce point de vue, le bilan apparaît relativement limité, le gros de l’évolution étant lié, comme nous l’avons indiqué à la voie réglementaire alors que les constructeurs automobiles français, contrairement à certains de leurs homologues étrangers, ne semblent guère décidés à s’engager spontanément dans des mutations majeures, en particulier en ce qui concerne la motorisation, préférant exploiter le potentiel des technologies déjà en cours. Nous avons indiqué les retards importants dans la mise en œuvre des outils proposés par la loi sur l’air en Ile-de-France et l’ampleur des délais de réalisations dont il ne faut pas non plus sous-estimer les implications négatives. Si l’on enregistre des évolutions, celles-ci paraissent limitées, et face à l’ampleur d’un défi comme celui du changement climatique, dont la canicule de l’été 2003 a peut-être constitué l’une des premières manifestations significatives, guère à la hauteur des enjeux.
98Nous avons souligné la complexité administrative de l’agglomération parisienne qui grève lourdement les possibilités d’action à cette échelle, seule pertinente, et non pas à celle d’une quelconque des municipalités qui en sont part, fut-ce Paris. Quel peut être le sens d’initiatives qui s’arrêtent au boulevard périphérique ? D’un autre côté, l’image particulièrement négative de la pollution atmosphérique tient probablement largement au fait que la population est placée face à la pollution dans une situation inconfortable dans laquelle on lui demande de comprendre et d’affronter une réalité particulièrement complexe et délicate à partir d’éléments partiels et insuffisants pour le faire, et sans lui offrir de perspectives d’intervention et d’action ou d’éléments d’adhésion. La négativité que manifeste la population face à la pollution est à entendre comme négativité face au manque d’initiative, à l’inaction et à l’inertie des pouvoirs publics dont elle attend qu’ils soient moteurs face à cette question, ce que la municipalité qui s’est installée en 2001 à Paris a su largement entendre et relayer en diversifiant les initiatives.
99Ces éléments mettent en évidence deux aspects importants : d’une part l’obstacle que représente un fonctionnement collectif aussi peu cohérent que celui de l’agglomération parisienne face à une problématique complexe et délicate comme celle de la pollution atmosphérique, d’autre part la pénalisation collective que représente l’approche maladroite et tardive développée institutionnellement, après que les choses aient pendant un temps reposé sur le volontarisme d’une poignée d’acteurs concernés. Alors que la pollution atmosphérique aurait pu être perçue comme une chance, l’occasion d’accéder à une nouvelle vision de la ville, d’en réappréhender dans une perspective nouvelle le contexte, d’en réinventer les structures, comme cela a été le cas ailleurs, elle a au contraire pendant longtemps fait l’objet d’ignorance et de déni, suscitant par contrecoup l’explosion des inquiétudes. Elle a également conduit à un développement dont nous avons souligné le caractère technique, et une ouverture au social dont on voit les limites, tant les habitudes de défiance sont installées dans ce domaine face aux pouvoirs publics et à ce qui peut en apparaître comme l’expression. Quelle que soit l’extension de la concertation mise en place avec le plan de développement urbain et son rôle dans la dynamique générale, on mesure ce qu’il reste à faire pour faire accéder une entité aussi considérable que l’agglomération parisienne dans son ensemble à une meilleure prise sur son devenir, une amélioration supplémentaire notable de la qualité de l’air, emblématique de qualité de vie, à travers une mutation de la conscience collective dont il importe de créer les conditions. De ce point de vue, la question d’un véritable gouvernement de l’agglomération, capable d’accompagner de façon régulière et suivie les divers aspects de son développement, d’en analyser au fur et à mesure les avancées et les retards, d’en mutualiser les composants en faisant de ce développement un processus collectif fondamentalement partagé et cohérent, paraît cruciale.
5. Conclusion
100L’étude de ces exemples régionaux permet de mettre en évidence les multiples questions et les contradictions propres à la territorialisation en matière de qualité de l’air. La LAURE, en fixant la structure des AASQA, a cherché à généraliser le modèle d’Airparif32 sans vision précise quant à l’ancrage régional de cette surveillance, conçue dans une perspective nationale. L’analyse que nous avons développée montre combien le fonctionnement d’un réseau est lié à des conditions et un contexte particulier, difficilement transposables en raison de la grande disparité des situations locales et de la spécificité de chacune d’entre elles sur de multiples plans. L’ambiguïté de la surveillance réside dans la nécessité d’associer des protocoles techniques rigoureux complétés par des aspects de modélisation à la variété des contextes locaux pour lesquels elle est censée constituer un outil de gestion. L’enjeu de la surveillance apparaît très différent en contexte industriel et en contexte urbain, pour ne retenir que les deux configurations présentées ici. Le contexte industriel semble davantage marqué par la prévalence du local et une certaine difficulté à élargir, à associer et à systématiser les approches. Dans le cadre urbain, où les questions de l’espace, de la densité et de la mobilité viennent au premier plan, l’enjeu apparaît bien, comme l’a montré le développement d’Airparif, de faire émerger et de donner sens à une réalité polymorphe, de la faire entrer en résonance avec l’ensemble des dimensions et des politiques urbaines en tant que support d’initiative et de pilotage. Cette étape n’est que le prélude à des mises en œuvre en matière de rénovation urbaine de grande ampleur et très complexes, nécessitant une haute technicité, des investigations sophistiquées, le développement de dynamiques transversales, intersectorielles associées à des procédures de consultation à grande échelle, susceptibles de susciter et de relayer l’innovation sociale. Il s’agit là d’un processus de requalification, de réappropriation multiforme de l’espace urbain du point de vue de ses occupants, des personnes qui y vivent, y résident ou y travaillent, à partir d’une exigence à la fois fonctionnelle, sanitaire, mais aussi qualitative en termes de conditions et de cadre de vie. Ces mises en œuvre sont d’autant plus délicates à envisager qu’elles sont indissociables d’évolutions profondes quant aux technologies en matière de transport, avec en particulier l’abandon prévisible, au moins partiel, du moteur thermique dans le cadre urbain. Comme toute réalisation technique, la surveillance ne peut donc exister que dans une relation à double sens avec un contexte sur lequel elle se greffe mais qu’elle contribue également à constituer dans la mesure où elle est précisément capable de s’installer face à lui de manière autonome et d’en restituer une appréhension quantifiée. Cela impose un développement pour une part sui generis, donc une autonomie qui ne peut être seulement concédée mais demande à être acquise, démontrée face aux différentes instances ou pouvoir potentiellement concernées, sur le plan financier, technique et scientifique, communicationnel et administratif. La simple règle administrative ne peut à elle seule susciter ou valider une dynamique aussi multiforme, elle requiert un engagement associant de nombreuses dimensions à la fois techniques, économiques, mais aussi morales ou sociales, et une déontologie stricte dont le ressort premier est la recherche de cohérence. Ce que met en évidence la surveillance, c’est l’obsolescence de la distinction entre fait et valeur, mais au contraire le lien fort qui les associe : la mesure ne se réduit pas à un simple acte technique, à la caractérisation physico-chimique des phénomènes. Elle constitue une prise de position initiant une démarche dont les composantes sont particulièrement nombreuses et diverses, qui demande à être conduite extensivement, et dont le sens est aussi celui d’une dynamique, d’un apprentissage collectif, relevant de multiples itérations. Cela soulève la question de la gouvernance, qui ne peut se restreindre au seul champ de la pollution atmosphérique, tant elle concerne des domaines techniques ou scientifiques et des mécanismes sociaux nombreux et différents. Nous reviendrons sur cette question dans la seconde partie de l’ouvrage.
101Le contexte contemporain peut apparaître marqué d’un certain attentisme, d’une baisse relative du régime des initiatives après l’efflorescence de la fin des années 1990 et du début des années 2000, suite à la mise en œuvre des mesures avancées par la loi sur l’air. La situation a évolué et apparaît aujourd’hui davantage dominée par l’entrecroisement des interrogations en matière d’atmosphère avec la prise en considération croissante de la question du réchauffement climatique, lequel tend à mettre au second plan la question de la pollution et sa dimension sanitaire. La notion d’approche intégrée et de double dividende qui y serait associée n’ont pas encore, comme dans d’autres champs de l’environnement, gagné les problématiques atmosphériques et leurs transcriptions urbaines (European Environment Agency, 2004). La difficulté à faire face à la question du climat, le niveau même de l’engagement à envisager eu égard aux échelles spatio-temporelles concernées, les ambiguïtés de la prospective énergétique, l’apport à attendre des technologies, l’impréparation collective et une certaine absence de vision concrète, active de l’environnement, ont pour le moment suscité le doute et la confusion beaucoup plus que l’engagement, qui reste très limité. Ces hésitations à agir font que l’investissement sur la surveillance et sa dimension strictement technique font assez largement office de politique en matière de pollution atmosphérique.
102Il faut, pour finir, mettre l’accent sur la complémentarité et la répartition des tâches entre Europe, Etat, région et agglomération. Le département a été ignoré par la LAURE. L’expertise fournie par les AASQA doit pouvoir s’intégrer à ces différents niveaux à condition d’avoir des structures et des missions adaptées à ces différentes échelles. Or, pour l’instant, les AASQA ont été essentiellement formatées pour répondre aux demandes de l’Etat. Comment peut émerger une expertise répondant à des besoins locaux de planification territoriale ? Les cartographies et les modèles requis doivent s’appuyer sur une ingénierie de haut niveau, sur un véritable secteur de « recherche développement » qui doit être mutualisé entre différents réseaux. En revanche, seule une implantation locale avec un conseil d’administration pluriel peut permettre aux AASQA d’identifier la demande locale et d’y répondre. Encore faut-il que les élus s’approprient ces enjeux et se donnent les moyens d’y faire face dans une acceptation renouvelée de la notion de territoire. Plutôt qu’un périmètre étroit, les territoires de la gestion de la qualité de l’air doivent être mouvants pour mieux s’adapter à la réalité de ce fluide ubiquiste qu’est l’air. La problématique de la pollution atmosphérique conduit à reconsidérer en profondeur la gouvernance collective qui ne peut s’effectuer qu’en transcendant les cadres sclérosés des découpages administratifs.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Aïach P., Marseille M., Theis I. (coord.) (2004) : Pourquoi ce lourd tribut payé au cancer ?. Le cas exemplaire du Nors-Pas-de-Calais, Rennes, Éditions ENSP.
Airparif, Vautard R., Beekmann M. (2000) : Les réductions d’émissions pressenties en Ile-de-France permettront-elles, aux horizons 2005 et 2010, le respect des valeurs de référence de qualité de l’air pour le dioxyde d’azote ?, Rapport d’expertise.
Airparif (2001) : Étude de la qualité de l’air dans le secteur de la gare de l’Est, Paris, Ariparif.
Airparif (2007) : L’évolution de la qualité de l’air à proximité des rues parisiennes entre 2002 et 2007, Paris, Airparif.
Aschieri A. (1999) : La France toxique. Santé-environnement : les risques cachés, Paris, La Découverte.
Beck U. (2001) : La société du risque, Paris, Flammarion.
Bernhardt C., Massard-Guilbaud G. (2002) : Le démon moderne. La polution dans les sociétés urbaines et industrielles d’Europe, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal.
Berque A., Bonnin P., Ghorra-Gobin C. (2006) : La ville insoutenable, Paris, Belin, 366p.
Bonnefoy B., Frère, S., Maramotti, I., Moch, A., & Roussel, I. (2003) : « La perception de la pollution atmosphérique d’origine industrielle par les habitants de Dunkerque », Pollution Atmosphérique, 178, p. 251-259.
Boutaric, F. (1997) : « Émergence d’un enjeu politique à Paris : la pollution atmosphérique due à la circulation automobile », Pôle Sud n° 6, mai 1997.
10.3406/pole.1997.963 :Boutaric F., Rumpala Y., Vazeilles I., Lascoumes P. (dir.) (2002) : L’obligation d’information instrument d’action publique. Surveillance et délibération dans la lutte contre la pollution atmosphérique, Paris, CEVIPOF-CNRS.
Breuillard M. (1996) : « Du littoral à l’eurorégion : un exemple de recomposition spatiale dans le Nord-Pas-de-Calais », in Nord-Pas-de-Calais, changement régional et dynamique des territoires, ORHA.
Brimblecombe P. (1987): The big smoke. A history of air pollution since medieval times, London, Methuen.
Burgel G. (1999) : Paris, avenir de la France, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube.
Charles L. (2001) : « Du milieu à l’environnement », dans L’environnement, question sociale, Dix ans de recherche pour le ministère de l’environnement, Paris, Odile Jacob.
10.3917/oj.roche.2001.01.0019 :Charles L. (2007) : « Pragmatisme et environnement » dans Lolive J., Soubeyran O. (dir.) : L’émergence des cosmopolitiques, Paris, La Découverte.
10.3917/dec.loliv.2007.01.0272 :Charles L., Ebner P., Roussel I., Weill A. (dir.) (2007) : Évaluation et perception de l’exposition à la pollution atmosphérique, Paris, La documentation française.
Charles L., Emelianoff C., Ghora-Gobin C., Roussel I., Roussel F.-X., Scarwell H., (2007) : « Les multiples facettes des inégalités écologiques », Revue en ligne Développement durable et territoires.
Charvolin F. (1994) : L’invention de l’environnement en France (1960-1971). Les pratiques documentaires d’agrégation à l’origine du Ministère de la protection de la nature et de l’environnement, Thèse IEP Grenoble, CSI/ENSMP Paris.
Cheng F. (1991) : Vide et plein. Le langage pictural chinois, Paris, Seuil.
Collectif (2000) : Atlas des Franciliens, Tome 1 Territoire et population, Paris, IAURIF/INSEE.
Decraemere M., Jarczynka S., Marguet T. (2003) : Les réponses institutionnelles à une pollution locale projet du DESS Conception de projet en écodéveloppment, 81 p.
Dab W. (2007) : Santé et environnement, Que sais-je ?, PUF, 127 p.
Dewey J. (1896): « The Reflex Arc concept in Psychology », Psychology Review 3, p. 357-370.
10.1037/h0070405 :Paris, Seuil, 216 p.
Dupuy J.-P. (2002) : Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Seuil, 216 p.
Dupuy J.-P., (2002) : Avions-nous oublié le mal ? Penser la politique après le 11 septembre, Paris, Bayard.
European Environment Agency (2004): Air Pollution and climate change policies in Europe: exploring linkages and the added value of an integrated approach, Technical report No 5, téléchargeable à: http://reports.eea.europa.eu/technical_report_2004_5/en
Fabiani J.-L., Theys J. (dir) (1987) : La société vulnérable : évaluer et maîtriser les risques, Paris, Presses de l’ENS.
Fargette B. (2000) : « Pollution atmosphérique en Ile-de-France : un révélateur du fonctionnement des institutions », Pollution Atmosphérique, n° 168.
Frere S., Menerault, P., Roussel, I. (2000) : « PDU et dynamique des institutions à Lille et Valenciennes », RTS, 69, p. 22-35.
10.1016/S0761-8980(00)80101-6 :Frère S., Roussel I., Blanchet A., (2005) : « Les pollutions atmosphériques urbaines de proximité à l’heure du développement durable », revue en ligne Développement durable et Territoires, juin 2005
10.4000/developpementdurable.758 :Frere S., Roussel I., Menerault P. (2000) : « L’ozone des villes et l’ozone des champs ou les relations ambiguës entre pollution atmosphérique et périurbanisation », Géocarrefour, 76, 4, p. 327-338.
Frère S., Roussel I., Scarwell H.-J., Blanchet A. (2004) : Les plaintes liées aux pollutions atmosphériques et olfactives : pour une gestion de la pollution de proximité, rapport CPER, 2004.
Frere S., (2005) : Concertation et décision dans les dispositifs de planification de la loi sur l’air de 1996. L’exemple du Nord-Pas-de-Calais, thèse soutenue devant l’université de Lille 2.
Frere S., Roussel, I., Menerault, P. (2001): “Urban planning and emission reduction: problems of linking Air Protection Plans and Urban Transport Plans in the North-Pas de Calais Region”, International journal of vehicule design, 27, 4, p. 150-161.
10.1504/IJVD.2001.001960 :Glacken C. (1967): Traces on the Rhodian Shore. Nature and Culture in Western Thought from Ancient Times to the End of the Eighteenth Century, Berkeley, Los Angelès, London, University of California Press.
Grove R. (1996): Green Imperialism: Colonial Expansion, Tropical Islands Edens and the Origins of Environmentalism, 1600-1860, Cambridge, Cambridge University Press.
Jullien F. (2005) : Nourrir sa vie. À l’écart du bonheur, Paris, Seuil.
Kirchner S. et al. (2006) : Observatoire de la qualité de l’air intérieur. Campagne nationale logements : état de la qualité de l’air dans les logements français, Rapport final, OQAI.
Kourilsky P., Vinet G., (2000) : Le principe de précaution, Paris, Odile Jacob/La documentation française.
Laigle L., Oehler V. (2004) : Les enjeux sociaux et environnementaux du développement urbain : la question des inégalités écologiques, Rapport final pour le PUCAMELT.
Laigle L. et Oehler V. (2004) : Les enjeux sociaux et environnementaux du développement urbain : la question des inégalités écologiques, rapport final pour le PUCA – MELT, 100 p., disponible sur le site Internet du CSTB http://lmts.cstb.fr/publications/default_labo.asp?id_membre=
Laigle L. (2005) : Les inégalités écologiques de la ville : caractérisation des situations et de l’action publique, Rapport Intermédiaire pour le PUCA – MEDD, Programme « Politiques Territoriales et Développement Durable », 120 pages, disponible sur le site Internet du CSTB : desh.cstb.fr
Laigle L. (2005) : « Urban Dynamics and territorial disparities : what kind of sustainable public actions ? », Communication à la conférence internationale de ENHR (European Network of Housing Research), June 2005, Iceland, Reykjavik, disponible sur le site web : www.enhr.com et desh.cstb.fr
Laigle L. (2006) : « Métropolisation et développement durable », Pouvoirs Locaux n° 70, III/2006, p. 33-40.
Lepage C. (1998) : On ne peut rien faire Madame la Ministre…, Paris, Albin Michel.
Marsh G. P. (1965, orig. 1864): Man and Nature or Physical Geography as modified by Human Action, Cambridge, Massachussets, The Belknap Press of Harvard University Press.
10.5962/bhl.title.163042 :Maurin E. (2004) : Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social, Paris, Seuil.
Newman P. (2000): “The new government of London”, Annales de Géographie, n° 613.
Paperman P., Laugier S. (2005) : Le souci des autres, Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 350 p.
10.4000/books.editionsehess.11599 :Ramazzini B. (1700) : De morbis artificum diatriba, Modena.
Rawls J. (1987) : Théorie de la justice, Paris, Seuil, 666 p.
Richert P., (2007) : Qualité de l’air et changement climatique : un même défi, une même urgence. Une nouvelle gouvernance de l’atmosphère, Rapport de mission parlementaire, Paris, La Documentation française.
Roqueplo P. (1999) : « Une réflexion critique », dans Ruptures créatrices, Les Échos, p. 567-597.
Rosanvallon P. (1990) : L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Seuil.
Roussel I. (2001) : Quelques réflexions sur l’hygiénisme dans le bassin minier, Programme de recherches concertées Environnement et activités humaines, 32 p.
Roussel I, Charles L., (2006) : « Pollution atmosphérique et proximité », Pollution atmosphérique, 190.
Roussel I., (2001) : « La difficile mais nécessaire territorialisation de la qualité de l’air », Pollution Atmosphérique, 169, p. 75-85.
Roussel I, Derbez M, Rozec V, Festy B. (2003) : Contribution a une meilleure connaissance de l’évolution régionale et temporelle des déterminants de l’exposition individuelle, Convention ADEME n° 0162025, 187p.
Roussel I., (2004) : « Les inégalités socio-spatiales liées au risque induit par la pollution de l’air dans la région Nord-Pas-de-Calais », in Aïach P., Marseille M., Theis I. (coord.) : Pourquoi ce lourd tribut payé au cancer ?, Rennes, Éditions ENSP, p. 276-303.
Roussel I., Charles, L. (2004) : « Peut-on parler d’une gouvernance de la qualité de l’air ? », in Scarwell H.-J. Franchomme, M. (coord.), Contraintes environnementales et gouvernance des territoires, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube.
Roussel I., Dab, W. (2001) : L'air et la ville. Paris, Hachette Littérature.
Roussel I., Rambaud J.-M. (2004) : « Pollutions atmosphériques et santé. Quelle santé pour quelle prévention », Pollution atmosphérique, 183, p. 331-342.
Roussel I., Scarwell H.-J., Callens S., (1998) : « La perception du risque lié à la pollution atmosphérique par les élus locaux : l’exemple du département du Nord », Air Pur, n° 53, p. 21-28.
Roussel I., Schmitt G. (2004) : « Les odeurs, une préoccupation de santé publique urbaine, la réponse d’un dispositif citoyen », Pollution atmosphérique, 181, p. 7-14.
Rozec V., Dubois N., Roussel I., Moch A., Maramotti I., Bonnefoy B., Skoda-Schmoll C. (2005) : Représentations et attitudes à l’égard de la qualité de l’air chez les volontaires “sentinelles”, Rapport APPA pour l’AFSSE.
Sicard D. (2006) : L’alibi éthique, Paris, Plon, 237 p.
Scarwell H.-J. (1999) : « Les normes : élaboration et signification », Air Pur, n° 56, p. 11-25.
Scarwell H.-J. (1999) : « Normes et directives européennes », Air Pur, n° 55, p. 39-44.
Scarwell H.-J. (1998) : « Principe de précaution, expertise et normes », Air Pur, n° 54, p. 15-28.
Scarwell L H.-J., Roussel I., (2006) : « Le développement durable, un référentiel pour l’action entre attractivité et tensions », Territoires en mouvement, Lille, UFR de géographie et d’Aménagement, p. 23-33
Scarwell H.-J., Franchomme M. (Coord.), (2004) : Contraintes environnementales et gouvernance des territoires, La Tour d’Aigue, Les éditions de l’Aube Nord, 430 p.
Scarwell H.-J., Roussel I. (2006) : Les démarches locales de développement durable à travers les territoires de l’eau et de l’air, Lille, Éditions Septentrion.
Schadkowski C. (1999) : La pollution photochimique à l’échelle régionale par modélisation eulérienne 3D et mesures spectroradiométriques, Thèse soutenue à l’Université de Lille1
Servan L. (1997) : Le parc automobile francilien et la qualité de l’air, Paris, IAURIF.
Thibault G. (1998) : « La stratégie de la surveillance de la qualité de l’air dans l’agglomération parisienne », Techni-Cités, n° 5.
Touraine A. (2005) : Un nouveau paradigme. Pour comprendre le monde aujourd'hui, Paris, Fayard, 263 p.
Viseux A. (1991) : Mineur de fond, Paris, Plon, col. Terres humaines, 603 p.
Villalba B., Neveu C., (2001) : Les mobilisations et les associations liées au cadre de vie et à l’environnement dans une région de tradition industrielle ; le cas de l’ancien bassin minier du NPC, CRAPS Université de Lille 2.
Vazeilles I. (2004) : La pollution atmosphérique : d’une controverse scientifique à une décision politique, Thèse de doctorat de Sciences politiques, Université Paris I – Panthéon Sorbonne
Vlassopoulou C. (1999) : La lutte contre la pollution atmosphérique urbaine en France et en Grèce. Définition des problèmes publics et changement de politique, Thèse de Science politique, Université Paris II.
Wiel M. (1999) : La transition urbaine, Liège, Éditions Mardaga.
Wiel M. (2002) : Ville et automobile, Paris, Descartes et Compagnie.
Williamson T. (2003): “Limit values in European Air Quality Policy: Emerging Issues”, proceedings of the 14th international air quality conference, Dubrovnik, p. 21-28.
Zuindeau B. (2000) : Développement durable et territoire, Lille, Septentrion, 290 p.
Zuindeau B. (2002) : « Développement durable et territoire de reconversion : la place de la recherche dans les nouvelles politiques régionales (l’exemple du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais) », in C. Larrue « Recherche et développement régional durable », col Sciences de la ville n° 17, MSHVT, Tours, p. 157-169.
10.4000/books.pufr.1269 :Notes de bas de page
1 Les grandes peurs occidentales concernent davantage l’alimentation que la respiration. Or le manque d’air, l’absence de souffle sont tout aussi vitaux.
2 La pollution atmosphérique constitue avec la protection de la nature l’un des premiers champs de compétence du nouveau ministère.
3 Des ZPS ont été créés en 1975 dans les villes de Lille, Paris et Lyon.
4 Scarwell H.J, Roussel I., Les démarches de développement durable : pertinence et apports effectifs dans la gestion de l’air et de l’eau : Les exemples de Lille et de Saint Etienne, rapport final dans le cadre du Programme MEDD Politiques territoriales et développement durable, 338 p., novembre 2005.
5 Association de Surveillance de la Qualité de l’Air.
6 La moyenne à ne pas dépasser, pour le benzène est de 5 μg/m3
7 http://www.atmo-npdc.fr/admin/mediatheque/Drocourt%202004%20-%20tubes%20passifs.pdf
8 Institut National de Veille Sanitaire.
9 Il y a une grosse différence de densité entre le département du Nord (400 hab/km2) et celui du Pas de Calais, plus rural (215 hab/km2).
10 Region Klimat Program.
11 Des études comme celle des sentinelles de l’air menée par l’APPA (Roussel et al., 2003) à Dunkerque sur 60 habitants de la région ouvrent une voie d’investigation intéressante mais limitée car le suivi détaillé d’un échantillon aussi restreint ne peut être considéré comme représentatif de l’ensemble des habitants
12 Institut de Recherche en Environnement Industriel
13 Programme régional de santé environnementale.
14 Plan national santé environnement
15 Ces disparités régionales se manifestent également dans la désindustrialisation. L’emploi industriel diminue de 58.3 % dans le valenciennois, 54 % dans la zone de Lens-Hénin, 52.6 % dans la Sambre-Avesnois et 51.1 % dans la zone de Roubaix-Tourcoing. A l’Ouest les pertes sont plus faibles car la zone est plus rurale.
16 Institut Fédératif sur les Risques et l’Environnement Industriel
17 Commission Locale d’Information et de Sécurité.
18 Secrétariat Permanent pour la Prévention des Pollutions Industrielles.
19 Les données ci-après sont empruntées à l’Atlas des Franciliens, Paris : IAURIF, 2000.
20 C’est justement à l’échelle de cette agglomération d’une dizaine de millions d’habitants, en effet unique par sa complexité et son étendue, que doivent se poser de façon globale devant l’ensemble des habitants-citoyens les arbitrages sur les grands problèmes : la forme de la croissance de la ville (retour à des densités hautes et continues, ou dilution de la ville de basse densité), les modes d’association des transports collectifs et individuels, les rapports entre environnement et développement économique, et surtout les montants et les objectif des solidarités intrarégionales et interrégionales.” Guy Burgel, Paris, avenir de la France, La tour d’Aigues : Éditions de l’Aube, 1999, p. 181-182.
21 Alors que celle-ci peut affecter plus fortement la petite couronne que la capitale, voire des zones à l’extérieur de la région, en particulier en ce qui concerne l’ozone.
22 Thibault, 1998.
23 Évaluation des risques de la pollution urbaine pour la santé.
24 Airparif, Vautard R., Beekmann M., 2000.
25 Relation qui n’a cessé de se voir confirmer et de s’élargir depuis, aboutissant, en dépit du retard de la France dans le domaine de l’écotoxicologie, à la création de l’Agence française de sécurité sanitaire environnementale, à laquelle a été adjointe en 2006 la composante santé au travail, même si les moyens mis en œuvre ne paraissent pas à la hauteur des besoins (Aschieri, 1999).
26 Paris, Albin Michel, 1998.
27 Journal of Epidemiology and Community Health, 1996, 33 (suppl. 1). Pour un bilan sur la question des relations entre pollution et santé, voir le rapport Politiques publiques, pollution atmosphérique et santé. Poursuivre la réduction des risques, réalisé en juillet 2000 par le Haut Comité de la santé publique, Ministère de l’Emploi et de la Solidarité.
28 En particulier vis-à-vis des autres réseaux de mesure français dont la structuration n’est pas sans poser problème dans le cadre de l’afflux des crédits amenés par la loi sur l’air compte tenu de la disparité des situations locales ou régionales et d’un besoin de cohérence et de leadership.
29 Il n’appartient évidemment pas à une telle institution de proposer des réponses de long terme, mais ses initiatives colorent cependant très fortement la logique collective et sa sous-estimation chronique de l’ampleur de ces questions
30 La mise en œuvre du Plan régional de la qualité de l’air (approuvé en mai 2000) a été l’occasion de réaliser une investigation et un bilan approfondi de la pollution dans la région, au terme d’une collaboration étroite d’Airparif à un projet piloté par l’IAURIF, Evaluation de l’exposition globale de la population francilienne à la pollution atmosphérique, étude réalisée par E. Cordeau avec l’appui technique de J. Berthier, IAURIF, 1999. On peut souligner à ce propos le travail réalisé à l’IAURIF sous l’impulsion de R. Delavigne pour développer une approche véritablement environnementale de la région dont témoigne le Plan vert régional d’Ile-de-France rendu public à l’automne 1995.
31 Cf. Etude de la qualité de l’air dans le secteur de la gare de l’Est, juillet 2001, étude réalisée pour évaluer les émissions du parc diesel de la SNCF à la gare de l’Est. Des travaux ont également été menés pour évaluer les concentrations de particule dans l’enceinte du métro.
32 Elle s’est également inspirée du modèle de l’Association pour la Surveillance et l'Etude de la Pollution Atmosphérique en Alsace (ASPA).
Auteurs
Professeur émérite à l’Université de Sciences et Technologies de Lille 1 (Laboratoire TVES) et également Vice-présidente de l’Association pour la prévention de la pollution atmosphérique (APPA).
Philosophe et sociologue, directeur d’études, Fractal.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Dire la ville c’est faire la ville
La performativité des discours sur l’espace urbain
Yankel Fijalkow (dir.)
2017
Lille, métropole créative ?
Nouveaux liens, nouveaux lieux, nouveaux territoires
Christine Liefooghe, Dominique Mons et Didier Paris (dir.)
2016
Biocarburants, les temps changent !
Effet d'annonce ou réelle avancée ?
Helga-Jane Scarwell (dir.)
2007
Le changement climatique
Quand le climat nous pousse à changer d'ère
Isabelle Roussel et Helga-Jane Scarwell (dir.)
2010
Enseigner les sciences sociales de l'environnement
Un manuel multidisciplinaire
Stéphane La Branche et Nicolas Milot (dir.)
2010
Éco-fiscalité et transport durable : entre prime et taxe ?
Séverine Frère et Helga-Jane Scarwell (dir.)
2011
Écologie industrielle et territoriale
Stratégies locales pour un développement durable
Nicolas Buclet
2011
Universités et enjeux territoriaux
Une comparaison internationale de l'économie de la connaissance
Patrizia Ingallina (dir.)
2012