Chapitre 1. Espaces et échelles d’intervention : la gestion de l’eau du XVIIIe siècle à nos jours dans le Nord-Pas-de-Calais
p. 39-87
Texte intégral
1Depuis que la conscience collective a été mobilisée autour de la défense du patrimoine hydraulique, la gestion de l’eau s’est réorganisée en tenant compte de la raréfaction de la ressource, de son caractère social et culturel. L’explosion des besoins a fait apparaître la nécessité d’une approche globale des problèmes de l’eau, mais aussi, de toutes les questions liées à l’environnement comme l’énonce la loi sur l’eau de 1992 : « l’eau est un patrimoine commun dont la gestion équilibrée est d’intérêt général ». La loi a mis en place des outils de planification décentralisés pour faciliter la mise en œuvre de cette politique. Par ailleurs, un fossé entre les textes et leur application demeure aujourd’hui encore.
2Notre propos ici consiste à démontrer comment on est passé d’une gestion sectorielle à une gestion spatiale de l’eau ou, autrement dit, comment de l’eau, instrument du territoire, aménagé pour les besoins du territoire, on est passé à une relation eau-aménagement du territoire, voire à un ménagement du territoire pour la préservation de la ressource. La région Nord-Pas-de-Calais au cours des siècles précédant la Révolution industrielle a été le siège de nombreuses activités artisanales, activités souvent de complément à l’activité agricole. Toutes ces activités sont liées au réseau hydrographique et l’artisanat a longtemps été un artisanat de bord de rivière. Ainsi, les modes de gestion de l’eau et des risques hydrologiques ne seront envisagés qu’à travers l’évolution historique dans la région Nord-Pas-de-Calais, d’abord par filière, puis globalement, et seront enfin intégrés dans le cadre du bassin versant, voire à l’échelle du district hydrologique transfrontalier. L’émergence d’une gestion dite intégrée traduit une transformation des rapports entre la société et les milieux naturels, mais surtout dans les modes d’action publique. Il s’agit donc d’une approche transversale, multi-objectifs, pluri-actoriale et territorialisée en matière de décisions et d’action. Dès lors, se pose le problème de l’articulation, dans l’espace et dans le temps, entre l’hydrosystème et le sociosystème (les acteurs présents et leurs activités sur le territoire concerné).
3Bien que différentes lois aient consacré le bassin versant comme cadre de gestion globale de l’eau, cette volonté d’enfermer dans des règles juridiques un élément naturel peut sembler a priori simple, et par sa nature même en dehors des principes du droit. En effet, non seulement les contraintes physiques, géographiques et surtout climatiques commandent la ressource hydraulique, mais surtout, l’interface eau-territoire suppose que la politique de l’eau passe par une inscription territoriale et par l’implication d’acteurs locaux (publics/privés) dans un processus volontaire.
4Si l’intégration de la dimension spatiale permet en outre de parfaire la compréhension de l’hydrosystème, la transformation des logiques d’action dans le temps permet quant à elle d’envisager la prise en compte de nouvelles préoccupations sociétales (environnement, participation) et illustre l’évolution de la gestion de l’eau dans l’espace et dans le temps. La notion de territoire est donc au cœur de nos interrogations. C’est pourquoi, penser l’intégration des échelles tant spatiales que temporelles dans l’évolution de la gestion de l’eau et des risques hydrologiques revient à admettre ses conséquences sur l’ensemble du système territorial, non seulement à partir de la seule variable économique ou écologique, mais aussi à travers la gestion du territoire.
1. Les temps de la proximité (XVIIIe -XIXe siècles) et des pollutions historiques dans la région Nord-Pas-de-Calais
5La région Nord-Pas-de-Calais est sillonnée par une multitude de cours d’eau. Elle ne compte pas de très grandes voies d’eau, mais le réseau hydrographique est très dense et ramifié, surtout dans les dépressions.
6De fait, cette région possède de nombreux milieux et paysages variés, liés à l’eau. Les rivières qui y circulent sont d’une importance majeure par le développement économique qu’elles ont pu susciter.
« Pays d’eau, le Nord a construit son dynamisme économique au gré de ses canaux, chemins de halage, petites rivières ou canaux à grand gabarit, péniches flamandes » (Boutique, 1997).
7A ce titre, le développement du territoire est lié aux divers usages de l’eau : usages qui mettent en péril les eaux tant de surface que souterraines ; usages concurrentiels entre les diverses activités au point de réduire les zones humides. En effet, de vastes prairies bordaient autrefois le cours des rivières. Or, depuis des siècles, les rivières de cette région ont été sujettes à une exploitation intense et massive des hommes. Elles sont presque toutes canalisées et l’urbanisation croissante et le développement industriel ont favorisé l’imperméabilisation des sols. Les prélèvements de leurs eaux, pour des raisons agricoles et industrielles, ont également transformé leurs régimes, tout comme les activités des riverains sur ces milieux humides (Figure 1). Les paysages d’eau, milieux originaux et naturels dans les époques anciennes, se sont progressivement transformés en espaces de plus en plus artificialisés. Cette gestion de proximité n’a pas permis un partage équilibré des usages de l’eau. Ainsi, à Lille, après avoir dompté les eaux de la Deûle par des canaux et asséché les marais, la physionomie de la ville changea du fait de la volonté des élus d’améliorer la salubrité publique (fin XIXe -début XXe siècle).
8A ce titre, de nombreux canaux furent remblayés. Les pollutions historiques qui se sont reflétées par l’état des nappes témoignent d’un lourd passé industriel. Comment nier que les sous-sols ont hérité de ce qui se passait en surface ? Bien évidemment, les eaux souterraines ont hérité des pollutions du passé. Et comment, face aux intérêts divergents, sinon contradictoires, faire valoir les intérêts des milieux aquatiques ? L’eau a été longtemps un territoire de rencontres de petits métiers pour qui les préoccupations de maîtrise des cours d’eau avaient toute leur importance. Les villes ont fortement contribué au dysfonctionnement et à l’altération des rivières qui les traversaient. C’est le cas, par exemple, de la ville de Lille et de plusieurs communes de la métropole lilloise. L’essor industriel entre la Lys et la Marque a favorisé une forte demande en eau motrice et en eau destinée aux différents traitements. Enfin, la croissance démographique contribue à l’augmentation de la demande en eau domestique. D’autant qu’avant 1884, il n’existe aucun système généralisé de distribution de l’eau, du fait de sa gratuité. L’approvisionnement est laissé à l’initiative individuelle et chacun puise la quantité lui semblant nécessaire. Les industriels utilisent le réseau hydrographique de surface et dérivent un volume important d’eau afin par exemple d’actionner les roues motrices. L’alimentation jusqu’aux années 1870 est assurée par le captage de source ou par des puits, puis par la multiplication de fontaines. On ne s’étonnera pas que ces comportements aient des répercutions sur le milieu naturel : dégradation de la qualité de l’eau en raison de la croissance de la production industrielle et de l’essor démographique qui conduisent à des rejets pollués en augmentation. Or le réseau hydrographique est l’unique récepteur de tous les effluents de la ville, ce qui favorisera la contamination des eaux de surface, comme nous allons le démontrer avec l’exemple de la ville de Lille. Enfin, les conflits s’expriment entre usagers tant d’amont que d’aval, dus à l’irrégularité des débits et à la mauvaise qualité des eaux. Sur la Lys, on pratique des éclusées en été et au début de l’automne. Pendant ce temps, les roues hydrauliques sont paralysées. De nombreuses pétitions portant sur la qualité de l’eau sont adressées aux élus qui les transmettent à leur tour à l’ingénieur. Ces problèmes de pollution persisteront plusieurs décennies. Ces pollutions caractérisent l’inadéquation entre la demande en eau et les réelles possibilités de la ressource, mais elles illustrent également la difficile conciliation entre les divers usages de l’eau entre les usagers et ce, en l’absence d’un cadre législatif adéquat et pertinent, en raison de la mauvaise application de la législation existante face aux pressions des milieux économiques. Cette dimension historique doit être prise en compte dans les études actuelles, notamment celles retraçant l’évolution de la prise en compte de l’environnement dans la région Nord-Pas-de-Calais. A cet effet, trois terrains d’étude ont particulièrement permis la rédaction de ce chapitre et illustreront nos propos. Il s’agit de la métropole lilloise, de la plaine de la Lys et de l’Escaut mais les analyses proposées pourraient tout aussi bien s’appliquer à la marque ou la Deûle.
1.1. De la « civilisation du fongique et de la putréfaction »1 à la naissance de la ville moderne, canalisée : les usages de l’eau divergents, sinon contradictoires
9Avant le XIXe siècle, il n’existe pas de gestion de l’eau en tant que telle. L’eau est indispensable à différents usages économique ou militaires comme l’illustre l’ouvrage de Guillerme, « Les temps de l’eau ». D’ailleurs, l’affectation de l’eau nécessaire aux différents usages, ceux des populations, des industries et de l’agriculture, comme ceux de la navigation ou des loisirs, va progressivement poser des problèmes de concurrence. Historiquement et chronologiquement, selon Guillerme, du XIVe à la fin du XVIIIe siècle, la ville s’entoure d’un fossé d’eau défensif extrêmement large de trente à cent mètres, favorisant de la sorte une humidité saturée dont la stagnation nouvelle est progressivement mise à profit, d’abord pour la production du salpêtre nécessaire à la fabrication de la poudre, puis grâce à la putréfaction et à la fermentation, pour la production de toile, de papier, de teinturerie et de tannage. De façon pratique, la stagnation est utilisée pour la séparation des fibres et la détente. Il conclut en soulignant que « c’est véritablement une économie fondée sur la fermentation qui prend corps durant le XIVe siècle pour s’achever à la fin du XVIIIe siècle » (p. 179). Pus tard, la phase couvrant les XVIIIe et XXe siècle se caractérise par la canalisation des rivières et l’enterrement des réseaux d’eau, entraînant un bouleversement dans la gestion de l’eau. Cette mutation est notamment soutenue par les Lumières et a pour incidence l’essor de l’hydraulique et l’avènement dans les milieux scientifiques du cycle atmosphérique de l’eau (Goubert, 1986). Dès lors, comme le décrit Guillerme, à « la demande du pouvoir politique, (l’ingénieur), s’efforce d’éponger, de cureter ou de cautériser cette plaie ouverte qu’est devenu le réseau de surface » (p. 189). Ajoutons que celui-ci est devenu inutile pour l’industrie, qui demande désormais une eau épurée et sous pression.
1.2. Les topographes de l’eau
10Les ingénieurs avaient une place particulière dans la gestion de l’eau et des risques hydrologiques, en particulier notamment en raison du domaine dans lequel la technique moderne est apparue, le domaine « du meilleur possible », de la maîtrise des aléas et du progrès. Les ingénieurs seront rattachés tout au long du XVIIIe siècle au contrôle général des Finances, responsable de la politique économique de la Monarchie. Ceci souligne que leur rôle ne consiste pas uniquement à réaliser des infrastructures, mais bien, conformément à l’apport des Lumières, à faire circuler hommes et marchandises, selon une conception de l’excellence, fondée sur le volume de la production et des échanges (Perrot, 1992). Mais Jean-Baptiste Narcy nous rappelle que « l’apparition ou la disparition d’une gestion de l’eau assimilable à une gestion de flux ne sont pas uniquement dues, (…), à l’évolution des techniques ou à une progression supposée linéaire des préoccupations sanitaires (on voit combien cette linéarité est fausse, avec la mise en place d’une civilisation de la putréfaction » basée sur l’eau stagnante « succédant à un Moyen Age particulièrement soucieux de son hygiène » (Narcy, 2004, p. 47).
11On trouve aussi dans les travaux d’Antoine Picon l’illustration de l’importance de l’eau, ce qui entraîne d’ailleurs une lutte contre l’eau sous toutes ses formes. Selon cet auteur, l’eau représente l’un des principaux problèmes posés aux techniciens (Picon, 1992). Car, ajoute-t-il, la voie d’eau constitue le principal mode de transport des denrées pondéreuses, les rivières fournissent la seule source d’énergie capable de faire fonctionner régulièrement des machines de forte puissance. « La sidérurgie proto-industrielle2 est par exemple tributaire du cours d’eau qui actionne ses martinets et qui doit être aménagé en conséquence. Par le biais de ce type d’aménagement, l’architecture hydraulique structure la géographie manufacturière » (p. 57). Le terme « architecture » se rapporte aux références communes que partage l’ingénieur avec l’architecte et notamment, l’usage de la géométrie et des proportions, afin de dimensionner les ouvrages. La monarchie française, après avoir investi dans la défense du royaume, demande aux ingénieurs de privilégier la vie économique, l’agriculture, les manufactures et le commerce.
12Ainsi, la tâche qui revient aux ingénieurs consiste à construire à moindre coût des routes, des canaux. Héritiers des pratiques et des savoirs remontant au Moyen-Age ou à la Renaissance, l’aménagement du territoire ne reflète qu’une partie de leurs compétences (Gille, 1978, Vérin, 1985). On relira avec attention l’ouvrage de Sabine Barles et notamment son chapitre deux sur « la ville des ingénieurs », illustrant leurs gloires et déboires dans l’aménagement de l’espace (Barles, 1999, pp119-200), ainsi que, d’Antoine Picon, « la mécanique des fleuves au XVIIIe siècle » (1995).
13Au XVIIIe siècle, influencée par la conception newtonienne qui encourage à l’édification d’un univers mécanisé, l’objectif demeure la domestication des eaux, comme en témoignent les missions confiées aux associations syndicales hydrauliques. Plus tard, avec les prescriptions hygiénistes et saint simoniennes, les espaces ne sont plus gérés en fonction de la contrainte à maîtriser mais « de plus en plus affectés, grâce au développement de la mécanisation, à l’agriculture intensive ou à l’urbanisation » (Narcy, 2004, p. 34). Saint-Simon, auteur du « Catéchisme des industriels », proposait un modèle de société laissant la première place à l’industrie, et jugeait que le pouvoir devait revenir aux savants et techniciens, seuls capables selon lui d’organiser la société de façon rationnelle et efficace. Dans cet esprit, on ne s’étonnera pas qu’il revient aux ingénieurs d’inventer des solutions techniques particulières, « sinon inédites, voire d’innover » (Vérin, 1993, p. 11). Leur mission est bien de faciliter les décisions en opérant des choix justifiés selon un double impératif : anticiper et optimiser, grâce aux mathématiques. Les ouvrages doivent aussi résister à toute force ennemie en fortifiant au sens premier du terme, mais également en construisant les constructions défensives contre les crues et les inondations. Il va sans dire que les territoires de l’eau et du risque constituent l’espace de la technique. Certains se demandent d’ailleurs si l’ingénieur « personnifie l’intelligence qui surmonte les désordres du monde et ses violences, ou bien sa raison s’implique-t-elle dans la diversité obscure des ruses de la nature ? » (Vérin, 1993).
14L’accent est mis sur les processus de production et sur les échanges qui participent d’un idéal circulaire, reprenant par là les thèses des physiocrates. Les hommes autant que les richesses ou idées doivent être mis en mouvement. Antoine Picon rapporte qu’« il faut rendre encore plus fluides les circulations existantes afin de vivifier toutes les parties du royaume ». L’étude de la nature ne révèle t’elle pas que le mouvement purifie, tandis que l’immobilité laisse la corruption se développer, que l’on envisage l’air, l’eau ou encore le sang dans l’organisme ? (Guillerme, 1977 ; Fortier, 1977). Ce qui fera dire à André Parmentier que « c’est une vérité reconnue que l’eau la plus parfaite s’altérerait bientôt sans le mouvement qui l’entretient dans sa propre pureté » (Parmentier, 1787, p. 21). Alors même que l’architecture hydraulique n’est plus le modèle par excellence de l’art de l’ingénieur à la fin du XVIIIè, la lutte contre l’eau demeure un élément essentiel. Ceci étant, la théorie de la fluidité basée sur les impératifs de circulation continue de s’appliquer comme le signale Samuel Bordreuil : « Ici, c’est le mouvement qui est son propre maître et l’ingénieur qui s’en fait le patient, le zélé serviteur et rétablit la continuité là où elle s’interrompt, la régularité, là où elle manque, comme chaque fois qu’il le peut, toute rupture de charge. Désir d’une ville circulant en continu ». L’impératif de circulation devient, selon Christine Dourlens, « le principe directeur de la réorganisation globale, de la gestion de flux » (Dourlens, 1992, p. 73).
2. Les communautés villageoises
15Dès la loi municipale de 1884, le conseil municipal s’est vu confier l’ensemble des affaires communales. A ce titre, pour la gestion de l’eau, la commune a désormais officiellement compétence pour créer des services publics constituant un monopole de fait et nécessitant une occupation du domaine public. La salubrité de l'eau distribuée demeure sous la responsabilité du maire, en vertu de cette loi et elle sera renforcée par la loi de 1898. C'est d'ailleurs à l'échelle de la commune qu'est réalisé le premier bilan comptable des usages "urbains" de l'eau, depuis la mise en œuvre de la ressource jusqu'à l'évacuation et à l'épuration des effluents domestiques ou industriels, sous la forme d'un budget spécifique, distinct du budget général.
2.1. La loi du 8 avril 1898 : une gestion par filière centralisée
16Avant la loi sur l’eau du 16 décembre 1964, la gestion de l’eau est définie comme une gestion par filière et par usage (Barouch, 1989). Elle est caractérisée, à l’échelle de l’Etat, par un partage des responsabilités entre différents ministères : l’irrigation et l’aménagement dépendent du ministère de l’Agriculture, la navigation et la protection contre les crues du ministère des Travaux publics ; le ministère de l’Industrie et des Mines s’occupe de la production d’énergie et de la filière eau pour l’industrie. A côté de cette gestion verticale de l’eau, seul le ministère de la Santé Publique organise une gestion horizontale autour des questions de l’hygiène et de la protection de la santé. De fait, la gestion de l’eau est calquée sur les structures administratives traditionnelles. La loi du 8 avril 1898 constitue le texte de base du régime juridique de l’eau, même si elle ne porte que sur les eaux courantes et organise la gestion de l’eau à partir d’une distinction entre cours d’eau navigables et non navigables. C’est également de cette loi que le maire tient son pouvoir de police « Le maire surveille au point de vue de la salubrité, l’état des ruisseaux, rivières, étangs, mares ou amas d’eau ».
17L’époque est marquée par des prélèvements importants, notamment pour les cours d’eau non navigables et non flottables, alors que les prises d’eau ne peuvent être pratiquées dans les fleuves et rivières navigables et flottables sans autorisation de l’administration. Localement, on constate une régression des zones humides au profit des terres labourées et au profit de l’industrialisation et de l’urbanisation.
2.2. La régression des espaces humides au temps des sociétés ou la modification anthropique des milieux
18Dans le département du Nord, alors que la Lys, la Deûle ou encore la Marque aval ont été canalisées, on constate des débordements fréquents de ces rivières d’autant que très tôt, pour éviter les inondations, les hommes ont construit des digues ou ont détourné les rivières de leurs cours, notamment pour assurer la protection des localités les plus importantes. Ces travaux se poursuivront au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, et visent à améliorer, redresser et surtout élargir la Lys. Mais les inondations continuent de se produire.
19Des inondations sont survenues au cours de l’année 1841, entraînant des dégâts importants, surtout sur le plan agricole. « Il y a eu en janvier et juillet 1841 des inondations qui ont mis en péril les villes d’Estaires, de La Gorgue et de Merville et détruit la récolte des herbes dans la vallée de la Lys » (S 6610 ADN).
20Les populations riveraines ont essayé pendant de longues années de lutter contre les envahissements des eaux de la Lys, comme en témoigne cet extrait du rapport de l’ingénieur ordinaire à la Résidence de Lille qui, sur demandes formées par les conseils municipaux de Sailly sur la Lys, Steenwerck, Merville Estaires et Erquighem-Lys, propose au concessionnaire de la Lys : « de curer cette rivière sous le pont rouge et ses abords de manière à donner à son lit la même section sur la rive gauche que sur la rive droite, à dévaser les décharges de Pont Neuf, ainsi que les dessous du dit pont et construire un pont de halage de 3m d’ouverture à l’embouchure de la décharge de la Lys » (Ingénieur Kolle141 J 505).
21Ce sont finalement les canaux de drainage et les digues, réalisés au fur et à mesure de l’appropriation des marais, depuis le milieu du XVIIIe siècle, qui représentent les seules empreintes d’une volonté individuelle ou collective de contrôle de l’eau. L’installation progressive d’un réseau de drainage et des digues marque ainsi la volonté d’accroître la mise en valeur du fond de vallée. Ce mouvement s’inscrit dans la politique de dessèchement des marais et de lutte contre les inondations engagées dans la région (le Marquenterre en baie de Somme, le Val d’Authie…). Dans le val de Canche, ce réseau hydraulique est achevé au début du XIXe siècle.
L’assainissement et l’aménagement des marécages de plaines
22Sur la rivière de la Lys, des modifications majeures (Dérivation de Merville) sur le tracé du cours d’eau ont été effectuées par le biais de rectifications nombreuses pour satisfaire les revendications de la batellerie et des pouvoirs publics. L’objectif recherché consiste à faciliter la navigation de l’aval jusqu’à la commune de Merville. Cette rectification a été rendue effective grâce à une délibération du conseil municipal datant du 14 juin 1873.
23« Les motifs de sa réalisation sont le fait que le lit actuel est mal tracé et il présente aux abords du pont un coude brusqué qui rend l’accès de ce tracé difficile pour les grands bateaux » (141 J509). Cette dérivation a été déclarée d’utilité publique par un décret datant du 17 août 1880. Elle a un tracé presque rectiligne, plus court que la traversée de Merville avant sa réalisation. Elle apparaît plus avantageuse pour ce qui est de la circulation rapide et facile des bateaux. Les travaux de Merville visaient également la réduction des inondations, car les crues qui proviennent de la Haute Lys, arrivent à Merville avec une grande vitesse, elles sont donc freinées par les ouvrages. Les débordements qui s’en suivent épargnent ainsi la partie avale de cette ville, à savoir Estaires et La Gorgue.
24Cependant, plusieurs plaintes ont été formulées par les propriétaires terriens, les industriels et les commerçants, comme le révèle cette pétition adressée à la Chambre des Députés par 14 Mervillois contre la dérivation de la Lys à Merville, « en raison des dommages considérables que l’exécution de ce projet causerait au commerce et à l’industrie locale et à l’hygiène publique et sollicitant que les travaux d’amélioration de redressement projetés soient exécutés dans le lit actuel de la Lys, suffisamment élargie et approfondie dans la partie qui traverse l’agglomération de Merville pour répondre à la navigation et aux vœux de la population » (S 6657 ADN).
25En 1890, fut également établie une dérivation de la Lys par le vœu du conseil général du département du Nord dans les communes d’Estaires et de La Gorgue entre le pont de la Meuse et le pont d’Estaires. Cette dérivation dite d’Estaires avait pour but de remédier aux problèmes causés par la dérivation de Merville, car les eaux issues des crues rapides et intenses débordaient, allant jusqu’à envahir les établissements industriels en plus des prairies voisines. La réalisation de ce canal de décharge avait pour but de faciliter la navigation, déjà difficile à la remontée en traversant la ville d’Estaires, et d’éviter les inondations des prairies en été.
26Des travaux de moindre importance ont été entrepris pour entretenir ou améliorer la circulation des eaux de la rivière de la Lys. Ainsi, en 1841, la partie comprise entre le bassin de Merville et les bras de la décharge du moulin fut curée. Evidemment, les avantages tirés des travaux d’un curage partiel exécutés en 1810 ont influencé ceux de 1841. En outre, dans le cadre de l’amélioration de la navigation intérieure, on assiste à un curage et à l’approfondissement de la Lys depuis Aire-sur-la-Lys jusqu’au pont séparant la commune de Nieppe et d’Armentières. Dans les observations sur l’avant projet, l’ingénieur en chef propose : « de curer la rivière depuis Aire sur la Lys jusqu’au pont entre Nieppe et Armentières et de mettre le fond en pente réglée, d’une écluse à un autre. Depuis les travaux exécutés, pour l’amélioration de cette rivière, elle a généralement une largeur suffisante. Le rétablissement d’une écluse à Estaires est nécessaire à la navigation surtout en été, on ne peut que regretter l’urgence des circonstances ne permettant pas d’en étudier l’emplacement et le projet et ne laissant pas le choix du meilleur genre de construction » (S 6642 ADN).
27La rivière a été diguée en amont de Merville, mais dans sa partie aval, elle ne l’est pas, rendant le tirage des bateaux très difficile. Aussi, lorsque fut réalisée la ligne du chemin de fer Lille-Calais en 18803, le pont destiné à la traversée de la Lys fut établi en dehors de la rivière. La Lys fut détournée de son cours et se trouva divisée en deux tronçons. Ces derniers, situés entre les communes de Nieppe et d’Erquinghem-Lys, ne représentent « aucune utilité publique pour la navigation et seront l’objet d’un déclassement » (S 6664-ADN).
28Les fossés de dessèchement empruntant les anciens bras de la Vieille Lys situés entre Aire et Nieppe avaient été curés en 1878.
29En 1894, la rivière est de nouveau curée, car le fond était très envasé par les boues, les herbes et les immondices, faisant obstacle à la navigation.
30La décharge de la Motte Bodet qui est sur la Vieille Lys a été faucardée, comme le témoigne cet extrait : « Le curage des cours d’eau sus désignés par la raison que le curage n’aurait d’utilité publique que si l’on avait fait en même temps que la décharge de la Motte Bodet qui leur sert d’émissaire général. Or, le service de la Navigation à qui incombait jusqu’ici le curage de cette décharge constate maintenant cette obligation » (S6655 ADN). La décharge de Le Bourre a été curée à la même époque pour que les tracés de ses berges à son embouchure avec la Lys puissent permettre aux grands bateaux de virer facilement pour entrer dans cette rivière.
Voie d’eau et développement industriel
31En cette fin du XIXe siècle, l’exploitation des terres labourables est apparue comme le moteur de l’économie de la plaine de la Lys. Les techniques de drainage utilisées ici comme moyen de lutte contre les excès d’eau utilisée ici, remontent au Moyen Age. Il s’agit d’assainir et d’aménager les nombreux marécages de plaine, d’améliorer la circulation pour empêcher l’envahissement des champs de culture. A ce titre, entre Merville et Erquinghem-lys, pour l’évacuation des excédents d’eau, les populations riveraines ont entrepris un dense réseau de becques et de fossés assurant la communication entre les ruisseaux naturels. Ces becques sont de petits ruisseaux qui descendent des hauteurs et constituent les émissaires naturels des eaux drainées par une multitude de fossés creusés par les hommes (Dion, 1976) et sont approximativement perpendiculaires à la Lys. Les fossés servant parfois de limite entre les parcelles de cultures, se joignent à d’autres d’une plus grande dimension. Leur produit accède aux becques avant de se jeter dans la Lys. Ce réseau de drainage n’est donc pas effectué sur la rivière elle-même, mais contribue à l’évacuation des eaux en période de hautes eaux. De plus, des fossés privés relient les blanchisseries et la Lys. De ce fait, il arrive que surgissent des conflits entre les blanchisseurs et le service des voies navigables. Le problème réside dans le curage et le dévasement des fossés pour que l’eau accède plus facilement aux blanchisseries. Comme l’explique cet extrait du rapport de l’ingénieur ordinaire M. Briotel : « Dans une lettre adressée à M. le préfet du Nord en date 27 août 1894, M. Victor Pouchain propriétaire d’une blanchisserie sise au pont de Nieppe note que sur le fossé allant de la Lys à sa propriété n’a pas été curé depuis plusieurs années. Ce cours d’eau est envasé de boues et d’herbes et il est absolument impossible aux bateaux d’y pénétrer. Le fossé dont il question est un ancien lit de la Lys et il est presque comblé ». L’écoulement des eaux à la surface des parcelles culturales repose sur la création de formes agraires typiques, à savoir les « champs bombés ».
32Ainsi, la voie d’eau joue un rôle éminent dans le développement de l’industrie (Delaval, 1994), d’autant que la Lys canalisée devient une force motrice, grâce à sa navigabilité et son énergie hydraulique. Ainsi, de nombreuses usines de filature du lin se sont également implantées sur les bordures de la Lys, notamment entre Merville et Erquinghem-Lys, ce qui témoigne d’une riche tradition artisanale : blanchisseries (l’eau, constitue la matière première), brasseries, usine de cuir, scieries (elle assure le rôle de flottage pour le bois destiné aux chantiers de bateaux).
33L’activité industrielle était assurée par des fabriques de toiles de linges de table, de broderies. Il y avait aussi des blanchisseries du fil, des fabriques de bascule, des raffineries de sel, des ateliers de construction de bateaux. « Les fossés permettent de faire communiquer le contre fossé avec la Lys à volonté, l’on a de plus construit dans ce contre fossé une écluse en F et un barrage en H de telle sorte que l’on peut aussi le mettre à volonté en communication avec la rivièrette et comme nonobstant les écluses et les chemins de la targuette, les eaux du contre fossé pourraient par infiltration s’élever au dessus du niveau des prairies, celles-ci sont munies d’une diguette en terre le long de ce fossé dont elles ne reçoivent les eaux que par des éclusettes. Voilà un système complet de moyens hydrauliques adapté au blanchiment de toiles » (S66610ADN).
34La culture du lin est cependant une des activités les plus remarquables et les plus importantes de cette industrie agricole. Cette rivière dont les bords sont favorables au rouissage du lin, est jalonnée d’usines de blanchisseries de brasseries et de malteries (Pierrard, 1970).
35Le développement des villes lié à l’évolution démographique favorise la création de son armature matérielle, apparition de réseaux techniques qui en « assurent l’urbanité » (Blancher, Lavigne, 1989). La technique est « une dimension essentielle de la création d’ensemble que représente chaque forme de vie sociale (…) (Castoriadis). Elle se voit assigner un rôle de protection tant des individus que des biens. C’est à partir des dispositifs et des règles de protection successivement adoptés que nous avons tenté de repérer l’évolution des modes de problématisation de l’eau dans la ville ou les espaces peuplés et notamment à travers l’exemple de la ville de Lille.
2.3. Lille : de la ville « puante » de l’ancien régime à la ville polluée de l’époque industrielle : la maîtrise de l’eau, comme facteur de développement du territoire
36La toponymie ne peut être plus explicite : « Lille » (venant réellement de « l’île »), l’eau fait partie intégrante de son histoire et y est omniprésente. Dès l’apparition des sources écrites (Xe siècle), et sans doute bien avant, comme semblent le prouver des découvertes archéologiques récentes qui évoquent une navigation fluviale sur la Deûle dès l’époque romaine, on perçoit plusieurs fonctions de l’eau dans le développement de la ville :
le site marécageux, avec les nombreux bras de la Deûle et la convergence de plusieurs petits affluents (Arbonnoise, Becquerel), est apparu comme favorable à la défense en périodes de troubles, et l’on y voit apparaître au XIe siècle une motte surélevée (Motte Châtelaine) et un castrum, enceinte fortifiée entourée d’eau ;
située à une rupture de pente (3 à 4 m) entre la Haute et la Basse Deûle, Lille, site de rupture de charge, a vu naître non pas un mais deux ports fluviaux, dont l’existence est attestée au XIIIe siècle. Le Rivage, sur la Basse Deûle, s’ouvrait sur la Flandre par la liaison avec la Lys ; le Wault, sur la Haute Deûle, accueillait les marchandises en provenance ou en direction du sud. Le transbordement entre les deux ports assurait un revenu à de nombreux débardeurs, porteurs et charroyeurs.
37A travers la ville, l’écoulement de l’eau dans une série de canaux fournissait à la fois l’énergie (moulins) et la ressource à toute une série de métiers : teinturiers, tanneurs, foulons, brasseurs… Mais, dès la fin du Moyen-Âge, l’envasement des canaux et l’abondance des rejets domestiques et industriels entraînaient conflits d’usages, pollution et épidémies. La ville connaît de nombreuses inondations qui accentuent les conditions d’hygiène déplorables. La présence de l’eau dans la ville sera progressivement éradiquée (Scarwell, Laganier 2004).
38A la fin du XVIIe siècle, l’aménagement du canal de la Haute Deûle jusqu'à Douai et la construction de la Citadelle, entourée de canaux et de glacis inondables, s’accompagne de la construction du Canal de l’Esplanade, achevé en 1750, qui relie désormais la Haute et la Basse Deûle à travers plusieurs écluses. C’est le début d’une tendance qui, du milieu du XVIIIe siècle à celui du XXe, aboutit, surtout par souci d’hygiène, à transformer progressivement en égouts souterrains la totalité des canaux de la ville intra-muros, à combler la plupart des bassins et à rejeter vers l’ouest, jusqu’au-delà de la Citadelle, le cours de la Deûle.
39A l’image d’autres fleuves ou rivières, la Deûle et ses affluents constituent donc très tôt un atout majeur pour cette grande ville et ses alentours, notamment comme axe de communication ponctué de nombreuses écluses, comme protection naturelle dont Vauban a su tirer profit et enfin, en qualité de richesse indispensable pour l’industrie textile.
40Pourtant, les Lillois semblent payer cher le développement des industries qui s’appuient sur cet avantage géographique. Au XIXe siècle, pendant la Révolution Industrielle qui touche particulièrement la région, comme l’atteste l’image toujours présente d’un « Nord industrieux », la Deûle devient à la fois zone de rejet et source d’eau potable pour Lille et les communes riveraines.
41De nombreux documents consultables aux archives du Nord soulignent cette utilisation en contradiction avec le souhait d’une bonne santé de la population. Dans la série O des archives du Nord, à la rubrique « eaux industrielles » comme à la rubrique « insalubrité », les plaintes s’accumulent. La pollution est alors très importante et ce, dans la majorité des cours d’eau de la région. Les descriptions des odeurs et de la couleur de la Deûle nous laissent imaginer le pire. Les Belges en subissent d’ailleurs les conséquences. Une gestion transfrontalière dans le cadre de l’ensemble du district hydrologique semblerait plus pertinente.
42Apparaît ainsi le cruel dilemme devant lequel se trouve, dès le XIXe siècle, la municipalité de Lille : privilégier le développement économique, sachant que les industries du Nord consomment beaucoup d’eau, mais rejettent aussi des quantités importantes d’eaux usées, ou bien améliorer la salubrité de l’eau. En effet, la région est très peuplée et les épidémies se propagent à grande vitesse. Un choix n’a jamais été vraiment fait. Les autorités ont tenté de concilier les deux, au prix de nombreuses hypocrisies, mensonges, lenteurs, avec toujours un léger profit pour l’industrie. Calmette le dénonce d’ailleurs haut et fort en 1904 dans le journal « L’Echo » en date du 14 juillet : « le conseil départemental (d’hygiène) proposait un projet tout établi dressé par le service de la Navigation pour éviter de nouveaux retards, lorsqu’il traitait, par son rapport, la ville de Lille « en demeure » de prendre toutes les mesures convenables dans un délai de 6 mois, la municipalité trouvait moyen de laisser subsister l’état de choses, se moquant comme de la première culotte de l’huissier du maire, de tous les graves inconvénients qui pourraient résulter de sa négligence ou de son mauvais vouloir » (ADN série M 265 2.)
43Cette question de la salubrité de l’eau autour de Lille soulève des enjeux économiques et humains importants et souvent divergents que la montée en puissance des idées de l’hygiénisme va mettre en exergue.
La structuration du mouvement hygiéniste lillois : Lille dans le miroir de la santé
44Condition sine qua non au développement de l'hygiène corporelle et de l'hygiène publique, l'accès des populations à davantage d'eau et à une eau plus abondante et saine est un grand défi dans lequel s'engage la France à partir de la seconde moitié du XIXe siècle.
45Au-delà de l'accès à un volume d'eau nécessaire, les hygiénistes vont, dès la fin du XIXe siècle, s'attacher à distribuer une eau saine, débarrassée des germes dont la présence faisait de l'eau un vecteur d'épidémies. Les techniques de filtration, puis de désinfection à l'ozone et au chlore y pourvoiront. Les expérimentations de Calmette à la station d’épuration de La Madeleine lès Lille en sont la preuve.
46Plus d'eau pour une meilleure hygiène, une eau saine mettant fin aux grandes vagues d'épidémies du XIXe siècle comme celle du choléra, une approche rationnelle des eaux usées pour favoriser la salubrité publique… L'ensemble de ces avancées a permis l'essor d'une nouvelle ère dans le domaine de la santé publique.
47Dans le domaine de l'eau, les théories hygiénistes vont non seulement contribuer au développement des adductions d'eau, de l'évacuation des eaux usées et du traitement de l'eau potable, mais également encourager l'hygiène corporelle. L’amélioration de l'hygiène permettra ainsi un allongement tout à fait significatif de l'espérance de vie. Cependant, les enjeux économiques s’imposent et occultent par conséquent les restrictions relatives à l’hygiène, comme le rappelle à juste titre le rapport sur les causes de l’insalubrité des eaux de la Deûle : « Les industriels ne manquent pas de dire que ces conditions sont inefficaces ou irréalisables, mais lorsqu’on sait avec quel souci des difficultés et des intérêts de l’industrie ces conditions sont établies il est permis de passer outre ». Les industriels sensibles aux impératifs économiques n’hésitent pas à avancer des arguments qui peuvent leur éviter des pertes de profits. Les structures consultatives émergentes, comme le Conseil Départemental d’hygiène ou le Bureau Municipal d’hygiène, vont ainsi se heurter aux logiques structurantes du mouvement d’industrialisation.
48De la même façon, la physionomie de la ville a changé du fait de la volonté des élus d’améliorer la salubrité publique. Ainsi, les canaux autour de la future cathédrale Notre-Dame-de-la-Treille furent remblayés comme le canal du Cirque, de la Monnaie, prolongé par le canal du Pot des Weppes comblé vers 1890. A la place de l’avenue du Peuple – Belge, le port de la basse – Deûle permettait encore le transbordement des marchandises vers la Haute-Deûle. Plusieurs ponts reliaient les deux rives : le pont Maudit (au niveau de l’Hospice Général) qui fut détruit par les Allemands en 1918 et le Pont Neuf qui existe toujours, mais « n’enjambe » désormais qu’un espace vert. Le port du Vieux-Lille, le quai du Wault était alors fréquenté par des péniches qui approvisionnaient les brasseries et les usines textiles. Sur les berges de la Basse-Deûle, appelées « le grand rivage », s’élevaient la prison et l’ancien Palais de justice. D’ailleurs, c’est dans ce quartier que l’Institut Pasteur fut établi, lors de sa création, dans les locaux de l’ancienne Halle au sucre.
49On voit bien que l’eau et le territoire entretiennent des liens étroits qui sont à l’origine de la physionomie des villes de la région. L’émergence de la notion de « réseau » va constituer l’une des composantes de cette évolution de leur rôle et de leur emprise sur la gestion du territoire. Autrefois, cette notion n’était utilisée qu’à propos des voies navigables et des routes (Guillerme, 1988)4. Antoine Picon rappelle dans son ouvrage « De l’espace au territoire. L’aménagement en France du XVIe au XXe siècle » que « Dans les années 1820, l’Essai sur le système général de navigation intérieure de la France rédigé par l’ingénieur des Ponts et Chaussées Brisson, ainsi que le Rapport au Roi sur la navigation intérieure de la France de Becquey qui s’en inspire, n’envisagent déjà plus les rivières et les canaux comme des moyens de joindre deux à deux des points remarquables du territoire, mais plutôt comme un maillage encore incomplet qu’ils se proposent d’achever » (Picon, 1997, p. 73).
La gestion des réseaux comme facteur de regroupement
50Après l’entrée en vigueur des lois de 1884 et de 1898 que nous avons ci-dessus mentionnées, les communes assurent la distribution de l’eau et mettent en place progressivement des réseaux techniques territoriaux de distribution de l’eau et d’assainissement. Pour des raisons d’efficacité, ces réseaux se sont structurés en réseaux, notamment en raison des économies des rendements d’échelle qu’ils permettent. Ils se substituent progressivement aux initiatives individuelles. Ainsi le porteur d’eau, la fontaine publique et le « tout-à-la rue » ont peu à peu fait place à distribution d’eau à domicile et au tout-à-l’égout. Cette transformation est due à la réalisation d’infrastructures et d’équipements dans le respect de l’ordre public et grâce à d’importants moyens financiers et d’efforts techniques. (Lorrain, 1986). C’est à cette époque que le préfet de la Seine (1853-1870) Haussmann donne à Paris son visage actuel. La ville est assainie, aérée par des parcs, adaptée aux transports modernes. Détruisant les vieux quartiers centraux médiévaux, Haussmann créa des percées, grandes avenues rectilignes bordées d'arbres et d'immeubles en pierre de taille, reliant visuellement des points forts de la ville. Il fit aménager aussi un nouveau réseau d'eau potable captant des sources d'eau en amont de la Seine (aqueduc de 157 km depuis la rivière la Vanne, par l'ingénieur des Ponts et chaussées Belgrand, un réseau d'égouts modernes). Ainsi sous la pression d’une demande en qualité et en quantité, on passe du portage traditionnel d’eau à la mise en place d’une politique municipale de l’eau (Guillerme, 1984). Les destructions de l’après-guerre seront l’occasion de donner un nouvel élan à la politique d’assainissement et le programme d’installations modernes prendra son essor dans la décennie soixante (Goubert, 1984)5.
51Cependant, lorsque les activités industrielle et minière ont forgé l'histoire, la géographie et la culture d'une région entière, entraînant des bouleversements humains, économiques, affectant le paysage et la stabilité des sols, les séquelles sont durables. La région du Nord Pas-de-Calais illustre parfaitement cette situation. L'extraction minière, la sidérurgie, la carbochimie sont des activités très polluantes et génèrent des quantités énormes de déchets solides et/ou d'effluents. Le choix des sites, pour l'essentiel au 19e siècle, commandé par la localisation de gisements, n'a évidemment jamais tenu compte de la présence d'éventuelles nappes. Lorsqu'une nappe est proche, les conséquences sur l'eau peuvent être importantes. Ce constat est connu et parfaitement analysé par le Directeur de l'Agence de l'eau Artois-Picardie. « Dans son histoire industrielle, la région Nord Pas-de-Calais a aujourd'hui un passif environnemental lourd à assumer. 200 km de cours d'eau, naturels ou artificiels, sont pollués par des sédiments toxiques, 200 km2 de nappes très productives ont vu leur qualité irrémédiablement détruite. Dans certains lieux, les pratiques industrielles du 19e siècle ont laissé un champ de ruines écologiques ». La montée de préoccupations environnementales est notamment à l’origine de l’implication de la collectivité sur ces questions.
3. Le temps des bassins ou l’articulation de la gestion de l’eau et du territoire
52Autrefois, l’eau était considérée comme un bien économique inépuisable dont on pouvait abuser sans limite. Sa gestion, basée sur l’offre abondante en qualité et en quantité, était sectorielle (Loriferme, 1987 ; Valiron, 1990), cloisonnée par grands type d’usage (filière agricole, industrielle et énergétique par exemple) et relevait aussi d’une action publique fortement centralisée. A partir du moment où l’eau disponible n’est plus extensible à souhait et que les ponctions et rejets à outrance ont des répercussions sur la ressource, c’est la relation homme/nature qui se trouve en décalage avec l’environnement scientifique social, culturel et économique (Ghiotti, 2007). Il devient alors urgent de substituer une gestion intégrée et territoriale de l’eau à l’approche par filière. De même, une meilleure connaissance des hydrosystèmes a favorisé l’intégration du long terme dans les dimensions spatiales et temporelles de la gestion (Bravard, 1998).
53La centralisation de la gestion de l’eau est renforcée immédiatement après la seconde guerre mondiale dans le contexte de la reconstruction nationale.
54Plusieurs facteurs vont cependant mener à un changement dans la politique de l’eau : la croissance démographique, un exode rural qui concentre de plus en plus les populations en ville, un développement industriel et une élévation du niveau de vie impliquant à la fois une augmentation de la mobilisation de la ressource en eau et une dégradation de la qualité des eaux, avec l’accroissement des rejets. Désormais, toute réforme du droit de l’eau ne peut se limiter aux seuls aspects quantitatifs, la pollution de l’eau étant au premier rang des préoccupations. L’harmonisation des actions de lutte contre la pollution, le manque d’eau ou les inondations demeurent problématiques dans les années 50, en raison d’une législation et d’une organisation administrative de la gestion de l’eau mal adaptées aux impacts qui se font jour ou s’accentuent. Ainsi, la police de l’eau ne s’exerce que sur les eaux domaniales, soit moins de 7 % des 270 000 km du réseau hydrographique. La lutte contre les impacts qualitatifs et quantitatifs, qui reste sous la responsabilité de différents ministères, amène parfois à des contradictions dans les actions engagées. Cette législation éparse et sectorielle ne conduit pas à une gestion rationnelle des problèmes de l’eau. L’intensification des tensions pour l’utilisation de l’eau, les problèmes de pollution et le surprélèvement dans les nappes d’eau souterraines provoquent une réaction de l’Etat qui se traduit par la création en 1959 d’une commission nationale de l’eau, chargée de mener une réflexion sur une gestion plus rationnelle de la ressource (Hubert, 2001). Cette gestion sectorielle va être remise en cause par la loi sur l’eau du 16 décembre 1964. Il convient de réorganiser le territoire juridique de l’eau à un échelon pertinent. A ce titre, le bassin hydrographique est apparu comme s’approchant le plus prés des réalités naturelles. On verra plus loin que ce choix n’est finalement pas le plus pertinent.
55Ainsi, progressivement, le linéaire fluvial va être réintégré dans son bassin versant, notamment grâce aux lois de 1964 et 1992, qui ont consacré le bassin versant comme cadre pour une gestion globale de l'eau.
56La réforme de la politique de l'eau en France confirme durablement cette tendance. En effet, l'avant-projet de nouvelle loi sur l'eau entérine la territorialisation de cette gestion et l'inscrit au niveau européen via la directive-cadre sur la politique communautaire de l'eau. Ce changement d'échelle, induit par l'accent mis sur le bassin versant, provoque une mutation profonde dans l'appréhension des questionnements. La mise en exergue de la dimension territoriale de l'eau a pour corollaire le décloisonnement de ces problématiques spécifiques pour les ouvrir, les confronter, les intégrer au territoire pris dans sa globalité. Ceci débouche sur la rencontre entre les acteurs de la gestion de l'eau et ceux du développement local.
3.1. Le bassin financier (comité de bassin) : la loi sur l’eau du 16 décembre 1964, une amorce de décentralisation de la gestion de l’eau
57La loi sur l’eau de 1964 marque un tournant décisif. Elle traduit le nécessaire passage d’une gestion par filière à une gestion globale de la ressource en eau, même si la lutte contre la pollution reste le thème privilégié de la loi. En outre, l’article L.212 du code de l’environnement (loi de 1964) organise le territoire juridique de l’eau en bassin hydrographique. Elle est fondée sur quelques principes :
l’interdépendance et la solidarité entre les usagers, liées au fait que les pratiques d’un usager sur un cours d’eau, une nappe ou un bassin versant influencent les dynamiques hydrologiques et donc les possibilités des autres usagers en aval (création des organismes de bassin). Cette nouvelle circonscription « administrative » reconnaissant la spécificité du bassin hydrographique traduit les multiples interrelations qui existent au sein des hydrosystèmes tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Le territoire métropolitain va être découpé en six grands bassins fluviaux (Artois-Picardie, Rhin-Meuse, Seine-Normandie, Loire-Bretagne, Adour-Garonne et Rhône-Méditerranée-Corse) dont les délimitations, aux seuls critères hydrographiques ou culturels sont contestables, mais qui répondent à la volonté de dépasser le cadre des régions administratives, aux frontières irréelles, ce qui conduit à organiser l’action publique de l’Etat autour de ce nouvel échelon et illustre la mise en place d’une politique territoriale.
58Ainsi, l’administration des bassins est confiée à des Agences financières de bassin, appelées dorénavant Agences de l’eau (depuis l’arrêté du 14 novembre 1991) et à des Comités de bassin.
59Les Agences de l’eau sont des établissements publics administratifs (EPA) dotés de la personnalité civile et de l’autonomie financière. Chaque agence est gérée par un conseil d’administration composé de représentants des collectivités territoriales, d’un tiers des représentants des usagers, et d’un tiers de représentant de l’Etat, auxquels s’ajoutent un représentant du personnel et son président.
60Le rôle de l’Agence de l’eau est de préparer et de mettre en œuvre, grâce aux redevances qu’elle perçoit, des programmes pluriannuels d’intervention (ouvrages et actions d’intérêt commun) pour améliorer la ressource tant sur le plan qualitatif que quantitatif. Elle travaille par programmes quinquennaux autour d’axes précis. Elle consulte, par le biais du président du Conseil d’Administration de l’Agence, le Comité de bassin qui donne son avis sur les programmes, sur l’assiette et sur les taux de redevance proposés par l’agence.
61Le Comité de bassin, véritable « parlement régional de l’eau » peut aussi être consulté par l’Etat en cas de conflits entre départements, communes ou structures intercommunales. Il regroupe, en trois collèges égaux, les représentants des usagers, des collectivités locales et de l’Etat. Le Comité appuie son action sur des commissions géographiques, instances locales de concertation et d’échanges. Ces commissions correspondent aux principaux sous-bassins hydrographiques qui structurent le territoire du Bassin. Elles sont constituées des membres du Comité de Bassin concerné par le secteur géographique et d’acteurs locaux (maires de grandes villes, industriels, agriculteurs et autres usagers, représentants du monde associatif et des services de l’Etat). Elles se réunissent environ une fois par an.
l’unicité de la ressource en eau dans le cadre des bassins hydrographiques (relation entre les eaux superficielles et les eaux souterraines, entre les aspects qualitatifs et quantitatifs, entre l’amont et l’aval) ;
la valeur de l’eau et l’impact économique des risques hydrologiques (pollution, inondation, étiages) : l’eau a un coût, lié aux équipements nécessaires à son épuration et à son acheminement dans les lieux de consommation comme à l’assainissement des eaux usées rejetées. Elle a aussi une valeur esthétique et culturelle qu’une pollution peut fortement altérer (application du principe pollueur payeur : « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur », art. L.110-1-II-3° C. env.). Signalons que cette loi traduit déjà le lien entre l’eau et l’aménagement du territoire puisque la création des agences financières de Bassin avait pour objectif d’éviter que la pénurie d’eau, en qualité, et en quantité ne soit un obstacle à l’aménagement du territoire. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est à la DATAR que fut confiée la tutelle des agences dont le programme se devait d’être cohérent avec les orientations du plan.
62La reconnaissance dans un premier temps d’une ouverture nécessaire des processus de décision tant aux acteurs locaux qu’aux principaux usagers dominants de l’époque (énergie, industrie, agriculture) sera renforcée dans un second temps par l’introduction d’autres usagers naturels de l’eau, notamment les pêcheurs et les associations de protection de l’environnement et de consommateurs. Cette évolution est à mettre en parallèle avec la création du ministère de l’environnement en 1971 et l’adoption d’une législation spécifique de protection de la nature (loi du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature).
63Ainsi, la période 1960-1980 connaît une mutation de la gestion de l’eau par l’introduction d’un premier niveau de décentralisation (les comités de bassin) et la reconnaissance de nouveaux acteurs qui revendiquent une participation plus grande dans les processus de décision.
64Ce mouvement de décentralisation de 1982 – 1987 se caractérise par :
la multiplication des niveaux d’intervention ;
l’élaboration de politiques propres par les collectivités territoriales ;
la montée en puissance du niveau européen dans le domaine de l’eau par le biais des directives communautaires6
65Le monde de l’eau se trouve ainsi en relation avec l’ensemble des acteurs du territoire et comme le soulignent D. Salles et MC. Zellem « dans les années 80, les lois de décentralisation (…), le développement des réglementations européennes (…), ont conduit à la prolifération des politiques contractuelles (…). Même lorsqu’on a affaire à des politiques initiées par l’Etat, les procédures de décision et d’élaboration des politiques publiques sont beaucoup plus complexes, ouvertes et pluralistes ». Une nouvelle étape est franchie avec le bilan de l’application de la loi de 1964 réalisée par les pouvoirs publics, par le biais d’un débat sur la politique de l’eau (Assises de Bassin, puis Assises Nationales de l’Eau) et aboutit à la refonte du droit de l’eau consacré par la loi du 3 janvier 1992.
3.2. Le bassin hydrographique (CLE)
66La loi sur l’eau du 3 janvier 1992 : vers une gestion plus intégrée7 et fondée sur le territoire.
67L’innovation majeure de la loi du 3 janvier 1992 consiste à instituer une planification systématique et obligatoire de la ressource en eau tant au plan qualitatif que quantitatif, sous la forme des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE)8, à l’échelle des grands bassins hydrographiques et des schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) à l’échelle des bassins versants de plus petite taille.
68Plus globalement, ce changement d’échelle conjugué aux dynamiques environnementales, intercommunales ou d’aménagement du territoire, met la gestion de l’eau en rapport direct avec le développement territorial et pose ainsi la question de son articulation avec les territoires politico-administratifs existants et les acteurs concernés, d’autant que l’élaboration de ces deux outils de planification nécessite l’engagement de processus de négociation entre tous les acteurs (publics et privés) de la gestion de l’eau.
69Egalement, la loi sur l’eau débouche sur une réorganisation de la gestion au sein de l’Etat, tant à l’échelle nationale (création d’une Direction de l’Eau au sein du ministère de l’environnement), qu’à l’échelle régionale (mise en place des Directions Régionales de l’Environnement (DIREN) en charge de la politique de l’eau ; nouveau rôle du préfet « coordonnateur de bassin ») et départemental (création des Missions-inter-Services de l’Eau (MISE)).
3.3. Le district hydrographique (CIE) : la Directive cadre sur l’eau (DCE) : une approche encore plus intégratrice
70La mise en œuvre en France de la directive cadre européenne (DCE) renforce la tendance déjà ancienne à la territorialisation de la politique de l’eau. Aussi, le territoire est un concept opératoire à la fois dans le domaine de l’aménagement du territoire que dans celui de la gestion de l’eau. Cette évolution a été renforcée par l’acte II de la décentralisation. La directive établit un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau et a été adoptée sous la présidence française le 23 octobre 2000 et publiée le 22 décembre 2000. Elle vise à établir un cadre global pour la protection des eaux continentales, souterraines et côtières, en fixant des objectifs ambitieux et une méthode. Elle propose une approche intégratrice en prévoyant de décrire directement les milieux aquatiques à partir des habitats et des espèces qui les composent. L’objectif à atteindre devient « le bon état écologique » qui doit être compatible avec une pression humaine raisonnable. Elle traduit donc le passage d’une obligation de moyens vers une obligation de résultats sur le milieu naturel qui doit être réalisé en 2015 pour le bon état écologique et chimique des eaux souterraines, des eaux de surface (côtières et continentales), des eaux artificielles et fortement modifiées, des zones protégées (Figure 2).
71En outre, elle définit le district hydrographique, comme cadre spatial pour conduire les actions de la protection des eaux, qui correspond à la notion actuelle de bassin hydrographique. Des plans de gestion et des programmes de mesures sont prévus pour chaque district, afin de répondre à l’objectif général de la directive. Enfin, elle propose une démarche et des moyens pour atteindre les objectifs prévus, ainsi qu’un état initial des eaux. Enfin, elle encourage la participation (art.14 de la DCE), qu’il faut entendre comme la participation active9 des parties intéressées, la mise à disposition des informations et la consultation du public. Précisons que la participation active du public à la mise en œuvre de la politique de l’eau est fortement encouragée. Elle se situe dans le droit fil de la convention d’Aarhus10.
72Cette rapide chronologie de la gestion de l’eau témoigne à la fois de l’évolution des modes d’action publique (territorialisés et multi-objectifs) et des processus de décision (pluri-acteurs et participatifs), ce que mettra en évidence l’évolution des outils de gestion de l’eau.
3.4. Quelles procédures de planification pour faire émerger de nouveaux territoires d’action ?
73Aujourd'hui, les aménagements des cours d'eau doivent être conçus dans le cadre de projets globaux et intégrés à une échelle pertinente :
prenant en compte l'ensemble du bassin versant et considérant la rivière et ses affluents de leurs sources à son embouchure ;
envisageant la satisfaction de l'ensemble des usages de l'eau et les besoins qui en résultent, tant sur le plan quantitatif que qualitatif ;
étudiant les impacts sur l'environnement et intégrant la protection des écosystèmes aquatiques et la prévention des effets néfastes pour la préservation des milieux naturels ;
débouchant sur une conception polyvalente et une gestion cohérente des différents ouvrages et équipements.
74Les Schémas Directeurs (SDAGE) et les Schémas d'Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) permettent désormais de mieux appréhender tous ces impératifs. Les procédures de planification ont aussi pour effet de faire émerger de nouveaux territoires d’action.
75Les principaux outils de planification de cette gestion patrimoniale et équilibrée de l’eau au niveau régional et local : le SDAGE et le SAGE
Le SDAGE
76Le SDAGE constitue un outil de planification stratégique fixant, pour une période de 10 à 15 ans, les axes fondamentaux pour assurer une gestion équilibrée de la ressource en eau. Elaboré sur l’initiative du Préfet par le Comité de bassin, il présente un caractère obligatoire pour les institutions publiques. Le comité de bassin, qui a la charge d’en assurer le suivi, voit son rôle politique renforcé et sa légitimité reconnue.
77Il est institué par la loi sur l’eau du 3 janvier 1992, conformément aux articles 2 et 3 de la loi sur l’eau : « Les dispositions de la présente loi ont pour objet une gestion équilibrée de la ressource en eau ».
78Cette gestion équilibrée vise à assurer : la conservation et le libre écoulement des eaux et la protection contre les inondations ». La démarche planificatrice du SDAGE, engagée au plan régional, s’articule avec les grands axes de la politique de l’eau définis au niveau national. La circulaire du 15 décembre 1994 demande à cet effet aux services extérieurs de l’Etat de s’organiser (réunions de concertation et arbitrage inter-services), afin qu’ils se mettent d’accord sur la manière de présenter les priorités nationales auprès des autres partenaires.
79L’ambition du SDAGE est, à travers la gestion équilibrée de l’eau et des milieux aquatiques, de contribuer à promouvoir un développement social et économique durable. Le SDAGE s’inscrit dans le cadre d’une hiérarchie d’instruments juridiques nettement affirmée par la loi entre un niveau global (un ou plusieurs bassins : SDAGE) et un niveau local (un ou plusieurs sous-bassins : SAGE). Approuvé par le Préfet coordonnateur de bassin, il détermine des orientations et des objectifs que l’administration et les collectivités territoriales devront intégrer dans leurs processus de décision.
80Du point de vue de sa nature juridique, le SDAGE est un acte réglementaire dont la portée vient d’être étendue par la loi du 21 avril 2004, loi de transcription de la DCE, qui prévoit de renforcer sa portée juridique vis-à-vis des documents d’urbanisme, puisque ceux-ci devront lui « être compatibles ».
Le SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux) : un outil de gestion de l’eau, à l’échelle du bassin versant
81Le SAGE correspond à un outil de planification opérationnelle fixant, pour une durée de 10 ans, à l’échelle du bassin versant restreint ou d’un système aquifère, les objectifs d’utilisation, de protection et de mise en valeur de la ressource et des milieux. Une Commission Locale de l’Eau, composée d’acteurs de statuts différents, est en charge de son élaboration. Son application est par contre confiée à la Communauté Locale de l’Eau ou aux maîtres d’ouvrages publics présents sur les bassins versants. Le SAGE rassemble collectivités, usagers, associations, Etat sur un territoire cohérent autour d’un projet commun : « satisfaire les besoins de tous sans porter d’atteinte irréversible à l’environnement ». L’initiative d’un SAGE revient aux acteurs locaux (Figure 3). Il permet une concertation entre les différents acteurs pour décider comment lutter contre les crues, comment restaurer les paysages riverains. Le SAGE est élaboré, non pas à l’échelle d’une portion de rivière, mais à celle d’un bassin versant. Face aux problèmes des inondations, le SAGE est un outil de gestion qui tient compte des solidarités physiques existantes et humaines (qui restent bien souvent à construire) à l’échelle du bassin versant.
82Ces deux outils traduisent la volonté d’adapter les espaces hydrologiques fonctionnels aux particularités socio-économiques locales. Les SDAGE et les SAGE sont donc présentés, dans les textes de loi, comme des outils de gestion équilibrée de la ressource en eau aux échelles régionales (circonscriptions de bassin) et locales (bassin versant, système aquifère), élaborés à partir d’une démarche participative. On pourrait y ajouter les contrats de rivière qui, aujourd’hui, tendent à se rapprocher des SAGE. Ils s’adressent aux mêmes acteurs, s’inspirent des mêmes principes et poursuivent un même objectif opérationnel : développer un mode de gestion équilibré à l’échelle d’un bassin versant. Le SAGE revêt toutefois une dimension supplémentaire. Sanctionnées par un arrêté préfectoral, ses orientations ont une portée réglementaire. Elles deviennent le cadre de planification de la politique locale de l’eau. Par ailleurs, il couvre toute la surface du bassin versant ou le seul linéaire du cours d’eau. Pour mieux répondre aux exigences locales, ces deux outils complémentaires se relaient sur le terrain. Le contrat peut découler d’un SAGE en offrant un cadre adapté à la réalisation de certaines de ses orientations sur tout ou partie de son territoire. A l’inverse, les contrats préalablement engagés représentent un premier diagnostic du cours d’eau et un apprentissage de la concertation que le SAGE consolide. Il appartient aux acteurs locaux de choisir la formule qui répond le mieux aux exigences du terrain. En outre, si le contrat de rivière a pour objectif principal l’amélioration de la qualité des eaux, il peut également définir des actions nécessaires pour mieux assurer la protection contre les crues. Signalons que le MEDD11 vient de modifier la procédure d’élaboration desdits contrats afin d’assurer une meilleure cohérence avec les autres politiques locales liées à la gestion de l’eau12. Désormais, l’agrément des contrats de rivière ou de baie sera délivré par le comité de bassin auquel les collectivités locales ont soumis leur projet. L’agrément devra porter sur les objectifs et moyens mis en œuvre et sur leur cohérence avec le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE).
3.5. Quelle est la dimension territoriale pertinente de gestion de l’eau ?
83La gestion des ressources en eau a été abordée, d’abord sous l’angle d’une gestion purement technique, avant de passer à une gestion de plus en plus intégrée qui tient compte des multiples facettes de l’eau, incluant des dimensions à la fois sociales et politiques. D’ailleurs, si le débat tournait autrefois autour de la pertinence de la gestion par bassin (optimum dimensionnel), on parle davantage aujourd’hui de gestion intégrée, montrant ainsi que le rôle de l’eau doit être abordé dans un contexte plus large que le bassin et son hydrologie (hydrologique, écologique, économique, commercial, et sociopolitique), d’où la notion de gestion intégrée par bassin. Une définition de cette expression sera empruntée à Burton et Boisvert : « la gestion intégrée des bassins fluviaux et lacustres correspond à la prise en compte, par des décideurs informés, de l’ensemble des usages et ressources du bassin, dans une approche écosystémique. Elle vise à assurer la pérennité des collectivités humaines qui dépendent du bassin par le développement de relations harmonieuses entre les usagers eux-mêmes, et, entre l’homme et le fleuve. A l’échelle locale, cette gestion nécessite la participation des usagers, au niveau approprié, l’échelle nationale, et surtout à l’échelle régionale, elle doit prendre en compte des considérations politiques et juridique » (Burton et Boisvert, 1991). De même, le territoire, par essence, est un concept intégrateur.
De quel territoire s’agit-il ?
84L’entrée par le territoire peut donc représenter une nouvelle approche de la gestion intégrée de l’eau, et plus particulièrement de la gestion du risque d’inondation dans la mesure où cette dernière inclut les principes du développement durable. Mais que revêt ce terme ?
85Parce qu’il s’apparente à l’exercice du pouvoir, à la délimitation institutionnelle, le territoire est perçu de façons diverses et répond même à « huit définitions différentes »13. On utilise aisément ce terme comme synonyme d’« espace » ou de « lieu » ou encore, pour valoriser le rôle des acteurs locaux dans le développement.
86Certains ne lui accordent que des frontières floues et mouvantes capables de s’adapter aux réalités fonctionnelles. Dans le contexte actuel, alors que l’on parle parfois d’une tendance à la déterritorialisation à l’heure de la décentralisation, d’autres insistent plutôt sur le caractère territorial des politiques de l’eau. Ceci oblige à prendre en considération les mutations de la réalité administrative devenue complexe au profit d’un mouvement de territorialisation de l’action publique. Les territoires traditionnels ou « naturels », selon Jean-Marie Harribey que sont les circonscriptions administratives, ne sont pas adaptés à certaines politiques. Ainsi, le bassin versant constitue le cadre de la gestion territoriale de l’eau. Bien qu’il soit présenté parfois comme un objet géographique naturel, il n’en traduit pas moins une forme de découpage de la nature qui renvoie toujours à une vision particulière du territoire et de sa finalité.
87Ceci étant, la gestion de l’eau ayant un caractère multiforme, la scène locale de gestion se situe au niveau du bassin versant. La planification (SDAGE, SAGE) se fait au niveau du territoire administratif délimité à partir de critères hydrologiques (bassin versant, Figure 4).
88Les bassins hydrographiques ont été déterminés - et c’est une avancée dans le raisonnement de l’organisation administrative - en tentant de s’approcher au plus près des réalités naturelles. Cette définition est en cours de réexamen à l’occasion du projet de loi sur l’eau pour plusieurs raisons. Il s’agit d’abord, selon le ministère, de « lisser les têtes de bassin », c’est-à-dire redéfinir les contours des enceintes telles qu’elles ont été définies en 1964. Puis conformément à la DCE, il convient là encore d’effectuer une redéfinition des bassins internationaux et de mettre en cohérence les bassins nationaux avec les bassins internationaux. Les six bassins existant actuellement seront peut-être à terme plus nombreux, car ils sont définis au niveau du canton : ce sont donc les limites extérieures des cantons qui forment la frontière des bassins hydrographiques. Il est question de réduire cet échelon à celui de la commune pour être encore plus près du bassin réel.
89La commission européenne souhaitait d’ailleurs que l’on délimite les bassins sans considération d’aucune limite administrative, c’est-à-dire sur la réalité du bassin versant, quitte à envisager la division des communes. Il s’agit finalement d’une résistance purement administrative de l’Etat, pour éviter de multiplier la représentation de communes à peine concernées par le bassin au sein d’instances administratives et de se retrouver avec des agences de bassin comprenant par exemple 120 collectivités territoriales, là où l’on pourrait en avoir que 60.
90La gestion de l’eau doit également se définir localement, selon une démarche participative. Dans cette logique organisationnelle, on conçoit que de nouveaux territoires puissent servir de référence pour envisager une structuration administrative de l’espace, qui permettrait de dépasser le cadre communal, considéré comme trop restreint pour gérer une politique de prévention des inondations et de protection de la ressource en eau (Scarwell et Laganier, 2002).
91A première vue, il peut sembler absurde de poser la question du rôle du bassin versant, tant la réponse paraît évidente, dans la mesure où il constitue bien le cadre d’une gestion territoriale et intégrée de l’eau, dans le respect des équilibres naturels. Pourtant, la question de son articulation avec les autres cadres territoriaux existants est tout à fait justifiée au regard des problèmes ou des interrogations qu’elle soulève. En effet, l’articulation entre les cadres territoriaux existants et l’échelle hydrologique la plus pertinente (Vanier, 1999), le bassin versant, semble a priori nécessaire pour une meilleure appropriation par les acteurs de ce nouvel espace, mais aussi afin de garantir une quantité et une qualité de l’eau pour les demandes humaines et les besoins des milieux naturels. Or, le bassin versant est avant tout un espace physique dont les limites reposent sur des considérations hydrologiques, morphodynamiques ou écologiques. Même si le cycle de l’eau a tendance à imposer le bassin versant comme le « territoire » pertinent de la gestion globale de l’eau, il ne faudrait pas transformer ce dernier en acteur de l’action publique, ce qui privilégierait ainsi la représentation des espaces sur celle des populations. Il ne s’agit pas non plus de « fabriquer des territoires virtuels » par le biais de politiques publiques locales, « c’est-à-dire des territoires qui n’existent pas en tant qu’espaces identitaires mais comme des objets de politiques publiques » (Muller, 1999).
92Quand bien même la gestion supra communale de l’eau dans un tel cadre se justifierait-elle au regard des priorités qui l’animent, elle ne serait pas sans conséquence sur la géographie des intercommunalités, le plus souvent affinitaires de proximité, dont l’ambition n’est pas de constituer des espaces pertinents de développement et de solidarité.
93Par ailleurs, ce décalage entre les espaces hydrologiques fonctionnels et les territoires institutionnels, comme la superposition des espaces, révèlent aussi des conflits ou des affrontements au-delà des oppositions géographiques (Lajarger, 1999).
94Par son caractère transversal et intersectoriel, la gestion intégrée de l’eau peut changer aussi les équilibres traditionnels au sein des organes nouvellement créés et modifier ainsi la nature des politiques contractuelles menées par l’association de nouveaux acteurs jusqu’alors ignorés. Comme le rappelle V. Berdoulay, « Par son identification, (l’idéologie), et son analyse, les valeurs qui la sous tendent sont mises en lumière ainsi que leur structuration de l’espace géographique existant et surtout projeté. De véritables configurations territoriales se dessinent, porteuses de projets et « orientatrices » des comportements individuels et collectifs ».
95Une autre réponse à la question de la pertinence consisterait à dire que l’administration est en passe de devenir fonctionnelle, ce qui se traduit par une fonctionnalisation du territoire. Alors, dans cette perspective, non seulement tous les niveaux seraient pertinents, mais la logique territoriale serait dépassée. Finalement, l’approche territoriale par la pertinence ne refléterait-elle pas des pertinences politiques ?
96Enfin, bien que le domaine de l’eau illustre parfaitement cette tentative de rapprocher le territoire juridique du territoire réel, il nous a semblé qu’il faudrait s’intéresser aux interfaces, plutôt qu’au territoire pertinent ? Ne devrait-on pas rechercher les transferts ou les passages au lieu de ne voir que les limites ?
4. La gouvernance comme vecteur d’articulation des échelles
97A l'heure du « tout territorial », la nécessité de renforcer la cohérence et la cohésion des dits territoires par l'articulation et la complémentarité des différentes actions apparaît comme un objectif majeur. Parce que ces liens avec le territoire sont nombreux (AEP, industrie, agriculture, tourisme, environnement), la politique de l'eau nous semble, dans cette perspective, être un enjeu important. Aussi, par ce que les territoires de l’eau se superposent aux territoires administratifs, il convient de se demander comment ces constructions multiscalaires s’articulent entre elles ?
4.1. La gouvernance ou les notions de gouvernance
98Le mot « gouvernance » est actuellement à la mode et nous ne prétendons ni le redéfinir, ni en refaire l’historique. Il importe toutefois de nous référer à une conception et à des repères pour en mesurer les implications. A ce titre, nous nous appuierons notamment sur les travaux de chercheurs anglo-saxons car la Grande Bretagne (de Madame Thatcher) a constitué l’un des premiers laboratoires sociaux de cette notion. La gouvernance fait, aujourd’hui partie de ces mots d’ordre qui présentent des ambiguïtés (Rudolf, Kosman, 2004) véhiculées à tous les niveaux de la société.
99La conception européenne de la gouvernance à laquelle nous faisons ici référence est celle définie par le Livre blanc sur la gouvernance européenne. Comme le soulignent Beate Kohler-Koch et Fabrice Larat (2000), la « gouvernance communautaire n’est pas seulement déterminée par la structure de la communauté et par ses particularités, mais elle est aussi influencée par la perception des principes régissant un ordre politique légitime qu’ont les acteurs participant à cette gouvernance (…). Dans son essence, la gouvernance concerne la matière et les moyens par lesquels les préférences en partie divergentes des citoyens se trouvent traduites dans les choix et mesures de nature politique, de telle façon que la pluralité des intérêts présents au sein de la société soit transformée en action unitaire et que les différents acteurs sociaux y consentent et s’y retrouvent ». L’usage de ce mot renvoie tant aux principes de bonne gouvernance qu’aux exigences élémentaires de la démocratie, à savoir l’accès à l’information, le fait que les gouvernants doivent favoriser la transparence des décisions en rendant des comptes aux citoyens, et qu’enfin, ces derniers aient prise sur les décisions qui les concernent.
100Mais deux visions différentes s’opposent : celle de la France (du haut vers le bas : « top down »), et celle du Royaume-Uni (de bas en haut : « bottom-up »). A ce titre, les collectivités locales britanniques ont collaboré avec des agences (1980-1990) pour mettre en œuvre leurs politiques. L’irruption des mécanismes du marché, en matière de décentralisation, a favorisé la fragmentation de la scène locale, au détriment d’une certaine cohérence dans la fourniture des services au public. Par ailleurs, compte tenu de la nécessité de ces interactions, s’est posée la question du rôle « marginal » des services déconcentrés et du statut de l’Etat qui n’à plus ici de rôle privilégié (Clark et al., 1998). Finalement, il s’agit d’une répartition des tâches qui autrefois incombait à l’Etat : politique publique initiée et contrôlée par l’Etat, mais mise en œuvre par des organisations tant privées que publiques.
101Pour intégrer ces divers acteurs et mobiliser leurs ressources, l’Etat a exercé une influence considérable dans le développement de la gouvernance locale dite à multiples niveaux. De ce fait les collectivités locales ont vu leur rôle évoluer.
102Les politiques d’environnement révèlent justement des enjeux spécifiques et posent des questions dites « questions à cerner »14 (en anglais « Wicked issues »). Elles autorisent à ce titre des constructions partenariales innovantes qui constituent des défis aux approches traditionnelles (rethel et weber 1982).
103A travers l’exemple du district hydrographique de l’Escaut, fleuve transfrontalier, nous souhaiterions nous demander s’il existe des structures de gestion à essence territoriale où s’exercerait une gouvernance de type multi-niveaux. Ces échelons seraient les lieux d’émergence et de regard d’analyse et de traitement des problèmes. Enfin, nous voudrions par comparaison avec les travaux anglo-saxons sur la gouvernance, nous interroger sur la signification de ce concept. La dimension scalaire permet-elle à elle seule d’en concevoir l’explication ?
4.2. L’articulation des cadres territoriaux et du bassin versant à travers l’exemple des recompositions de l’action publique en contexte transfrontalier : le district hydrographique de l’Escaut ou la gouvernance multi-niveaux
104L’objectif ici consiste à analyser de quelle manière dans un espace densément peuplé, le district international de l’Escaut, la question de la gestion transfrontalière de l’eau impose des cadres territoriaux complexes et mouvants. En l’occurrence, la gestion de l’Escaut, fleuve transfrontalier, présente désormais un caractère multiforme, qui a pour conséquence de déplacer la scène du niveau du bassin versant vers celui du district hydrographique.
105A cet effet, on conçoit qu’une nouvelle organisation de l’espace et que de nouveaux modes d’action publique puissent servir de référence pour dépasser le cadre communal, considéré comme trop restreint pour gérer désormais une politique de protection durable de la ressource en eau au niveau communautaire et en concertation avec les acteurs intéressés.
106La question qui se pose alors est celle de l’intégration des échelles spatiales et temporelles. Comment ces nouveaux espaces fonctionnels publics et/ou territoires émergents s’articulent-ils et interagissent-ils avec les territoires institutionnels existants ? Ou bien faut-il relativiser ces distorsions entre les territoires institutionnels politiques et l’hydrosystème (Lefèvre, 1995) ?
107Ces interrogations nous conduiront à envisager d’autres questions, à savoir si les habitudes de fragmentation du pouvoir qui s’inscrivaient dans une indépendance des territoires évoluent vers une coopération inter et trans-institutionnelle, reconnaissant ainsi l’interdépendance des territoires et aboutissant finalement à une gouvernance de l’espace transfrontalier (Gaudin, 1996 ; Le Galès, 1995). Enfin, l’Etat semble encadrer cette dynamique fonctionnelle en terme de coordination et de concertation, tout en produisant de nouvelles règles ou méthodes (Badie, 1995, Theys 2002). Celles-ci rendent-elles la frontière poreuse et affaiblissent-elles pour autant le rôle régulateur de l’Etat (Jouve, 1994 ; Levy, 1995 ; Raffestin, 1993) ?
108C’est à partir de l’intégration des échelles spatiales et temporelles et des dynamiques de proximité qui renvoient à la mise en œuvre a priori ou ex-post de nouveaux modes de gouvernement que l’on pourra alors formuler l’hypothèse selon laquelle les principes du développement durable, à travers des pratiques judicieuses, offrent aux pouvoirs publics locaux une opportunité pour redonner à l’environnement ses multiples dimensions spatiales et sociales.
Echelles et articulations
109L’Escaut, qui s’écoule sur près de 350 km du Nord de la France aux Pays-Bas, correspond à l’un des bassins versants les plus importants d’Europe (21 683 km²). Cependant, son débit est relativement faible, environ 80 m3.s-1 à Anvers (i. e. moins de 5 l. s-1.km ²) comparé au Danube (6500 m3.s-1), au Rhin (2200 m3.s-1) et à la Meuse (330 m3.s-1). Son bassin se répartit entre la France (31 % du total), la Wallonie (17 %), la Flandre (43 %), Bruxelles (1 %) et les Pays-Bas (8 %). Sa population, qui dépasse les 10 millions d’habitants, est très irrégulièrement répartie, la densité ne dépassant pas les 10 habitants par km² sur la Haute Lys ou en Zélande et excédant les 2000 hab./km² à Anvers, Bruxelles ou Lille. Après plusieurs siècles d’un important développement économique, peu concerné par les impacts à la fois qualitatifs et quantitatifs sur l’hydrosystème qu’il pouvait engendrer, a émergé depuis plusieurs décennies une prise de conscience des enjeux hydro-écologiques et plus récemment, la nécessité de se coordonner pour mettre en œuvre un plan de gestion à l’échelle internationale. Ces enjeux concernent à la fois :
la pollution des eaux par les villes, les industries et l’agriculture intensive
le risque d’inondation dans un contexte d’étalement urbain en zone inondable d’imperméabilisation des sols et de conquête historique des zones humides,
l’épuisement de la ressource en eau face à une demande croissante et à des déséquilibres régionaux en matière de disponibilité en eau.
110La Figure 5 met en évidence cette disparité des enjeux à l’échelle du bassin versant et souligne ainsi la nécessité de réfléchir à une meilleure articulation des échelles pour assurer une gestion intégrée de l’eau. C’est ce que propose notamment la démarche entreprise à travers la Commission Internationale de l’Escaut, à l’échelle d’un district hydrographique qui dépasse les frontières du bassin versant « naturel ». Les cours d’eau côtiers français et flamands sont ainsi intégrés dans le dispositif.
111L’exemple transfrontalier du district international de l’Escaut constitue une modalité significative de mise en adéquation de l’hydrosystème avec les territoires institutionnels (Figure 6). Si la question de la distorsion entre les territoires concernés et le territoire fonctionnel semble résolue dans la mesure où, désormais, le district hydrographique devient le niveau pertinent de gestion et de protection de la ressource en eau, il convient de mettre en évidence la façon dont les échelles s’articulent en vue de parvenir aux objectifs fixés par la DCE.
112Par ailleurs, cette mise en cohérence de l’échelle des problèmes avec celle de la décision pourrait tendre à une redéfinition du rôle et de la place de l’Etat dans la production des politiques. Mais aussi, l’intégration d’échelles plus nombreuses complexifie le jeu des acteurs. En effet, l’émergence de ce nouvel espace se double de l’avènement de nouveaux partenaires susceptibles d’induire des problèmes de régulation inédits auxquels la gouvernance territoriale pourrait répondre par un réaménagement de la gestion de l’action publique.
113Cinq échelles territoriales sont concernées par la mise en œuvre de la DCE sur le district hydrographique de l’Escaut, partie française (Figure 7).
L’échelle européenne où a été élaborée la DCE
L’échelle nationale où s’applique la DCE, sachant que seuls les Etats sont responsables de cette mise en œuvre dans les délais impartis. Ils doivent en fixer l’encadrement juridique.
L’échelle transfrontalière illustrée par la CIE. Les Etats concernés par l’Escaut ont inscrit la coopération transfrontalière dans l’accord de Gand créant la CIE. Elle est chargée d’élaborer le plan de gestion du district, qui énonce des avis et des recommandations15 en coopération avec les Etats concernés
L’échelle régionale du Comité de Bassin Artois-Picardie (CB) qui élabore le SDAGE en conformité avec le futur plan de gestion, tout en couvrant un domaine plus large que le plan de gestion (exemples de la prévention des risques d’inondations, de l’extraction de granulats, de la sécurité de l’alimentation en eau potable,…).
Enfin, l’échelle locale de la Commission locale de l’eau (CLE).
114Comment s’organisent les modalités de coopération entre ces échelles et comment doit-on qualifier cette dynamique ?
115En pratique, il ne s’agit pas pour chaque niveau d’agir en toute liberté mais au contraire de se conformer à un certain nombre de principes directeurs communs définis tant au niveau communautaire qu’au niveau national.
116Pour l’application de la DCE16, l’Etat français a signé à Gand le 3 décembre 2002 un nouvel accord international sur l’Escaut en vue de « » renforcer la coopération existante entre les Etats et Régions concernés par la protection et l’utilisation des eaux du district hydrographique international de l’Escaut »17.
La Commission internationale de l’Escaut (C.I.E)
117La mise en œuvre de la DCE qui établit un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau nécessite, au sein du district hydrographique international de l’Escaut, selon les domaines géographiques et les thèmes à traiter, une coordination multilatérale, bilatérale ou nationale18. Cette coordination s’effectuera dans le cadre de la CIE (Commission internationale de l’Escaut).
118Cette organisation intergouvernementale doit être porteuse d’une dynamique capable de produire du consensus dans l’identification des prescriptions communes en termes de données, de rapports et de produits, qui passera par une harmonisation avec les divers partenaires transfrontaliers pour contribuer à la transparence et à la coordination de la gestion de l’eau au niveau du district international.
119Ceci étant, la diversité des acteurs ne peut à elle seule garantir son succès ni d’ailleurs celui des procédures nouvelles qui les sous-tendent (Leca, 1996). Il ressort que plus l’étendue du territoire considéré sera importante, plus il sera nécessaire d’assurer des liens de cohésion entre ses composantes.
120En effet, le glissement progressif d’un système de relations associant dans un cadre national français l’Etat et les collectivités territoriales vers un autre système de relations concernant l’Europe, les Etats, les collectivités territoriales, les intercommunalités et des acteurs privés, incite à préciser les interactions entre ces « niveaux territoriaux », mais surtout entraîne une modification du jeu des relations pour se rapprocher d’un objectif d’optimisation de la satisfaction qui suppose une connaissance et une articulation des territoires concernés et enfin, une évaluation des résultats.
121La CIE19 réunit la Région flamande, la Région wallonne, la Région de Bruxelles capitale, l’Etat fédéral Belge, le Royaume des Pays-Bas et la France. Ceux-ci menaient déjà des actions de coordination autour de la qualité des eaux et, plus particulièrement, sur un système d’alerte des pollutions accidentelles et sur un réseau de mesures homogènes. Dorénavant, cette coordination doit renforcer l’articulation des échelles transfrontalières et nationales et favoriser la concertation avec l’ensemble des acteurs publics et privés concernés.
122Chaque Etat concerné par l’Escaut est représenté au sein de la CIE par une délégation dont la composition varie en fonction des parties contractantes. Par ailleurs, la structure fédérale de certains Etats concernés augmente le nombre de délégations présentes.
123En ce qui concerne la France, la délégation française est désormais menée par le préfet coordonnateur de Bassin, qui doit veiller à l’harmonisation des calendriers des travaux entre la partie nationale et l’ensemble du district international et en proposer les adaptations qu’il jugera utiles. Elle est composée des principaux services de l’Etat20 intervenant dans la gestion intégrée de l’eau, auxquels il faut ajouter des représentants des collectivités locales21 concernées. Egalement, la CIE reconnaît la qualité d’observateur à certaines organisations, dont les ONG, pour autant qu’elles aient des points communs avec la mission de la CIE. A ce titre, elles peuvent participer aux réunions de la Commission, sans pour autant disposer d’un droit de vote.
124La délégation française au sein de la CIE participe avec les autres délégations étrangères à l’élaboration des avis et recommandations qui, pour le cas de la France, seront transmis ensuite au Comité de Bassin, lequel les prendra en compte pour la révision du SDAGE.
125Enfin, la CLE répercutera à son tour les principales orientations définies par le SDAGE pour l’élaboration du SAGE.
126La volonté de l’Union européenne et des Etats de créer des réseaux de coopération transfrontalière semble s’inscrire dans une perspective de renforcement des stratégies de coopération que les seuls référentiels communs ne sauraient imposer. En effet, si cet espace public de coopération entre acteurs publics/privés nationaux et étrangers est mis en place au niveau de l’échelle transfrontalière en raison de l’interdépendance des autres échelles, il ne s’agit pas de sous-estimer les résistances liées aux barrières juridiques et socioculturelles de la frontière. La CIE doit concourir à l’élaboration d’un seul plan de gestion22 pour l’ensemble du district hydrographique de l’Escaut, mais ne dispose pour ce faire que du pouvoir d’émettre des avis et recommandations. Il ne s’agit en fait que d’une scène de concertation et de coordination. Chaque partie contractante répercute sur son territoire les dispositions qui le concernent. De même, le principe de la solidarité de l’ensemble des acteurs du district hydrographique de l’Escaut ne s’applique pas. La CIE n’est qu’une instance de concertation et de coordination. En n’émettant que des avis et recommandations, elle ne dispose pas du pouvoir de décider d’une solidarité financière entre tous les acteurs du district. Elle ne bénéficie que d’un budget limité et la plupart des opérations sont financées par le biais de programmes européens Interreg 3. Sa marge de manouvre est donc limitée.
127On aurait pu imaginer que la réalisation d’un seul plan de gestion sur l’ensemble du district hydrographique s’accompagne d’un réel pouvoir de décision de la CIE, illustrant ainsi une coopération transfrontalière plus poussée, et d’une gestion à ce même niveau. En définitive, si l’émergence d’espaces publics transfrontaliers est propice à l’expression singulière de rapports de forces inédits et structurés par l’histoire des lieux et des acteurs, il n’en sera rien dans notre cas en raison des prérogatives de la CIE qui se focalisent sur des avis et des recommandations. La portée de ces rapports de force pourrait être relativement limitée.
4.3. De la complexité de mener une politique transversale et partenariale au niveau transfrontalier
128Cette analyse n’en est qu’à un stade exploratoire en raison de son déroulement en temps réel. En effet, elle ne constitue qu’une première marche d’un édifice d’ensemble qui articule, au plan de la gouvernance, les différents niveaux d’échange. Il est donc encore trop tôt pour évaluer l’impact réel du dispositif mis en place, mais il est possible dès à présent de pré-analyser les articulations entre les différentes échelles et les interactions entre les acteurs (Encadré 1) (ENO).
129Il est bien évident que certaines questions resteront suspendues à une analyse fine dans le temps qui évaluerait l’ensemble du processus de coordination.
Encadré 1 : Le programme de coopération transnationale "Europe du Nord-Ouest"
La « coopération territoriale européenne » est structurée autour des trois volets actuels :
• la coopération transfrontalière le long des frontières terrestres et maritimes de l'UE visant à répondre à des problèmes de nature locale et guidés par la notion de proximité (5.9 Mds d’€).
• la coopération transnationale visant à développer des projets stratégiques importants sur de grands espaces contigus tel que l’Europe du Nord-Ouest (1.4 Mds d’€).
• la coopération interrégionale permettant aux régions de continuer à coopérer en réseau et à échanger leurs meilleures pratiques à l’échelle de l’Europe toute entière (0.4 Mds d’€).
La Région Nord-Pas-de-Calais est la seule région d’Europe à avoir été désignée Autorité de Gestion de trois programmes à la fois pour la période 2007-2013 :
• le transfrontalier "France, Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas",
• le transnational "Europe du Nord-Ouest"
• et l'interrégional "UE 27".
130L’État et l’espace national ont été souvent les cadres privilégiés des régulations publiques, politiques et sociales. L’interdépendance des politiques au niveau communautaire, voire mondial, a favorisé la diversité des dynamiques sociales et développé d’autres modes d’action publique. Les systèmes évoluent donc pour s’adapter à de nouvelles exigences et représentations, mais comme le souligne P. Calame, « la gouvernance est par nature et par vocation un système d’évolution lente » (Calame, 2003, p. 18). C’est pourquoi il convient de mettre en évidence, d’une part, les évolutions de ce système, en soulignant les retournements ou les réajustements des principes d’action publique préexistants autour de principes nouveaux pour en donner une lisibilité et d’autre part, de vérifier que l’État met en conformité son action avec les valeurs qu’il proclame.
131Le transfrontalier met en scène de multiples structures de gouvernement qui pourraient favoriser des approches plus transversales, engendrant à leur tour un processus d’apprentissage de l’action publique où les interventions proviendraient de lieux et de niveaux de la décision politique à la fois fragmentés, imbriqués et contractualisés.
132Ainsi, l’architecture de la coopération transfrontalière peut apparaître complexe, parce qu’elle aligne plusieurs niveaux territoriaux. L’ambiguïté réside dans le fait que ces questions de coopération transfrontalières, plutôt « locales », sont surtout traitées par les administrations déconcentrées de l’État, même si des collectivités territoriales y siègent. La présence au sein de la délégation française de la CIE des Communautés Urbaines de Lille et de Dunkerque ne traduit pas nécessairement un juste partage des tâches, mais renforce une stratégie commune au regard de certains enjeux (transferts d’eau, inondation…).
133Par ailleurs, les différences entre les systèmes politiques fédéraux et unitaires accentuent la place mineure dévolue aux collectivités françaises. Finalement, le dispositif mis en place engendre un enchevêtrement institutionnel lié à la diversité des stratégies et des enjeux des différentes parties.
134Au demeurant, il faut encore souligner un autre point lié à la démocratie de proximité dont l’Europe et l’Etat français se sont faits l’écho. Si la prise en charge des affaires locales par les collectivités territoriales semblait justifiée par la « proximité », l’encadrement juridique de la coopération transfrontalière demeure coordonné par l’État. Les préoccupations de démocratie, comme le soulignent Guy Saez et Michel Bassand « ne semblent ni l’objet ni le cadre de référence explicite des formes actuelles de la gouvernance » (Saez et Bassand, 1997, p. 8). Quand bien même les collectivités invoqueraient le déficit démocratique dont souffrent parfois les institutions de coopération transfrontalière, la nécessité de créer des espaces de solidarité ou un développement concerté, l’encadrement juridique de la coopération veille à ne pas favoriser « l’affaiblissement de l’hégémonie de la normativité étatique » (Robert, 1995), déjà concurrencée par la construction communautaire, malgré l’émergence d’autre formes de coopération de proximité (COPIT, TSC23) à des échelles plus grandes.
135En réalité, la régulation croisée demeure partielle en raison de la tutelle exercée par le préfet qui reste parfois nécessaire et qui favorise une forte implication de ses services dans la gestion du projet à tous les niveaux. Face à cette imbrication des échelles, le Préfet constitue en quelque sorte l’élément permanent qui garantie la cohésion tant verticale qu’horizontale.
136La simple présence d’ONG ou de collèges d’usagers à chaque échelle ne saurait consacrer à elle seule l’existence d’un réel partenariat qui implique des possibilités d’initiatives de la part de chaque partenaire et qui ne peut se réduire à une invitation à participer.
137Peut-on dire cependant, qu’il n’existe pas de concurrence des autres acteurs ? Là encore, le nombre et la force des structures de l’État tendent à lui conserver une place prééminente. Rappelons qu’au sein de la CIE, ce sont les États qui fixent eux-mêmes les modalités du dialogue. Il faudrait analyser en fait la nature de ce partenariat en tentant de définir la marge réelle de manœuvre des acteurs et la délimitation des sphères publique et privée, et enfin, la part d’initiative de chaque partenaire.
138Si le district hydrographique constitue l’échelle pertinente de gestion de l’eau par la mise en cohérence des échelles où les problèmes se posent, la complexité apparente de ce nouveau cadre de référence n’est que très relative, en raison de la présence à chaque niveau des services de l’État et de représentants de l’Agence de l’eau. Ainsi, quelle que soit la configuration, l’État, par le biais du préfet et de ses services, maintient une cohérence tant horizontale que verticale. La DIREN assure la coordination internationale, l’Agence de l’eau le niveau national. Enfin le Préfet est chargé de la coordination générale. Ce qui laisserait penser que l’État, par le biais du Préfet, se cantonne à ses missions régaliennes et ajuste les différentes temporalités de l’action publique. En ce sens, la DCE permet de poser de nouveau la question de la place et du rôle de l’État en relation avec les nouveaux espaces de coopération et de décision qui s’élargissent et se complexifient.
139À ce stade de l’étude, le contexte transfrontalier ne met pas en évidence certaines tendances spécifiques dans la fabrication des politiques publiques que les contextes nationaux - pris séparément - révèleraient moins clairement.
140La mise en œuvre du programme « Europe du Nord-Ouest » (ENO) encourage la coopération transnationale entre autorités nationales, régionales et locales afin de promouvoir une meilleure intégration territoriale au sein de vastes groupements de régions européennes contiguës (Encadré 2).
Encadré 2 :. Le programme de coopération transrégional "Europe du Nord-Ouest"
Le Conseil régional Nord-Pas-de-Calais poursuit son rôle d'Autorité de Gestion du programme de coopération interrégional mais désormais pour le compte de 27 Etats membres et est, à ce titre, responsable du bon fonctionnement de l'ENO vis-à-vis de la Commission. Le Secrétariat Technique Conjoint du programme est situé à Lille. Parmi les thèmes de coopération prioritaire « priorité 2) on trouve la gestion durable des ressources naturelles et des risques naturels et technologiques. Le budget du programme de coopération transnationale Europe du Nord-Ouest s’élève à 351 millions d’euros de FEDER pour la période 2007-2013. Le taux d'intervention du FEDER a été fixé à 50 % pour les projets.
Ce "triplé" est une expérience unique qui fait actuellement de la Région Nord-Pas-de-Calais la région leader en matière de coopération territoriale au sein de l'Union européenne. C’est pourquoi, notre réflexion s’inscrit dans un cadre juridique récent24 et évolutif qui relativise l’analyse présentée ci-dessous.
4.4. La gouvernance et l’amplification de la déconcentration de l’action de l’Etat
141L’exemple du district hydrographique de l’Escaut traduit avec fidélité la réforme mise en œuvre par l’Etat français ces dernières années sur son territoire, notamment dans le domaine de l’environnement.
142Comme l’indique la stratégie de réforme du Ministère de l’Ecologie et du Développement durable qui date de septembre 2003, « Les chantiers de l’Etat traduisent la volonté gouvernementale de recentrer l’Etat sur ses missions régaliennes dans le même temps qu’ils invitent à expérimenter de nouvelles formes d’organisation de coopération et de partenariat ». Plusieurs textes récents sur la déconcentration confirment cette réforme notamment :
la circulaire de 16 juin 2004 relative à l’application du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’Etat dans les régions et les départements ;
la circulaire du premier ministre du 19 octobre 2004 relative à la création des pôles régionaux et à l’organisation des préfectures de région dans le cadre de la réforme de l’administration territoriales de l’Etat qui rappelle le principe de l’unicité de la représentation territoriale de l’Etat, fondement de l’administration déconcentrée en France, selon les termes de l’article 72 de la Constitution ;
La circulaire rappelle que l’échelon départemental reste le cadre d’actions de droit commun des politiques de l’Etat, conformément au principe de déconcentration qui doit régir son organisation.
143Ces textes nouveaux consolident le niveau régional. En effet, il est rappelé que c’est le préfet de région qui est responsable de la cohérence de l’action de l’Etat dans la région, qu’il fixe les orientations générales et anime et coordonne l’action des préfets de département.
144Un état-major resserré est crée autour du préfet de région, dont font partie les chefs des huit pôles qui organisent localement l’administration de l’Etat : un pôle environnement et développement durable a été créé, dont le responsable est, soit le Directeur Régional de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement, soit le Directeur Régional de l’Environnement. Participent aussi des services et autres organismes comme les Agences de l’eau, le Conseil Supérieur de la Pêche, etc.
4.5. Quel territoire de prise en compte du risque ?
145Avec l’acte II de la Décentralisation, l’Etat a redéfini ses missions et demande à ses services de s’interroger sur le niveau d’intervention optimal des politiques publiques. Ainsi, les territoires pertinents d’action des services déconcentrés de l’Etat tendent à transcender leurs limites traditionnelles pour aller à la rencontre des nécessités socio-économiques locales et, si besoin est, des réalités fonctionnelles (Figure 8, Encadré 3).
Encadré 3 : Les zones inondables : des espaces polysémiques
Le risque et plus particulièrement les risques hydrologiques sont une composante intrinsèque du territoire. En effet par les multiples interdépendances spatiales et temporelles, par les liens très forts noués entre la société et les risques hydrologiques, l’inondation, la pollution des eaux ou le manque d’eau sont à définir comme des objets dépendants de la société. Ils s’inscrivent dans l’histoire, dans un (des) territoire(s) et le devenir de notre société.
Lier plus précisément bassin versant et territoire, c’est inviter à ne pas considérer les zones inondables (et périodiquement inondées) ou encore les masses d’eau polluées comme les seuls espaces concernés par le risque. En France aujourd’hui, l’inondation est de loin le plus répandu des risques naturels, puisqu’il concerne à des degrés divers environ 1/3 des communes, dont la plupart des grandes villes, et représente 80 % des dommages imputés aux risques naturels. Aussi, une vision élargie du problème s’impose. Cet élargissement tend à mettre l’accent sur l’interdépendance spatiale des territoires. Cette interdépendance peut se résumer en quelques idées simples :
• les origines des extrêmes hydrologiques et des impacts dépassent les zones touchées et s’inscrivent en particulier dans l’espace hydrologique fonctionnel qu’est le bassin versant. Or, en matière d’inondation par exemple, il existe une disjonction radicale entre l’origine spatiale de l’aléa (les précipitations), les espaces de transferts (les versants) et les lieux de manifestation du risque. Cette disjonction se traduit par une inégalité dans le partage des responsabilités et des risques selon les secteurs géographiques. Il en découle un enjeu très fort sur le plan de l’action publique : la prise en compte des interdépendances physiques et la construction d’une solidarité entre les espaces au sein du bassin versant.
• les effets des aléas hydrologiques s’exercent bien au-delà des espaces directement affectés (altération des flux de transports et des flux économiques notamment). Cet élargissement de l’espace d’incidence suppose là encore de sortir du territoire traditionnel d’action, la commune, en faisant évoluer sans doute l’espace des réponses.
• une action publique conduite sur une zone donnée aura, certes, des conséquences sur la zone en question, conformes ou non aux intentions qui présidaient à la décision de l'appliquer, mais disposera aussi d'effets de débordement sur d'autres espaces. L’exemple de l’endiguement localisé d’un cours d’eau et de ses conséquences aval (aggravation de l’aléa) l’illustre parfaitement. Dans une perspective d’aide à la décision, il s’agit alors de tenter de projeter les impacts possibles des aménagements et des pratiques spatiales au sein du bassin versant en recherchant une meilleure intégration du risque au projet de territoire.
Ces quelques constats renforcent l’idée que les risques hydrologiques doivent être insérés à une politique d’aménagement du territoire. Cette intégration ne doit pas avoir les zones directement concernées par l’inondation ou la pollution des eaux pour seul champ d’action, les effets s’exerçant sur des espaces plus étendus. De plus, cette gestion vise à rechercher la meilleure adéquation entre une demande variée et parfois contradictoire, celle des acteurs locaux et des acteurs institutionnels (maîtrise des aléas et restauration ou protection des zones humides ; réduction des impacts liés aux inondations et à la pollution des eaux et recherche d’espaces pour l’extension des espaces urbanisés et le développement des territoires) et une offre tout aussi diverse dans le temps comme dans l’espace celle de l’hydrosystème et des savoir-faire techniques. Or la diversité des situations impose une diversité des solutions.
146Les logiques de développement des territoires en tant qu’unités organisatrices de la société se sont longtemps tenues éloignées d’une vision intégrative des possibilités et des défis liés à l’eau, et ont conduit à des politiques sectorielles de gestion de l’eau considérée comme ressource, en marge de la pensée et de l’aménagement du territoire qui s’élaboraient de manière indépendante. Si de nombreux exemples montrent néanmoins les limites d’une telle politique notamment à travers le partage de la ressource et les contraintes engendrées sur la société et les écosystèmes, une planification systématique du risque à travers les PPR à l’échelle du bassin de risque n’est pas non plus sans poser d’autres questions (Encadré 4).
Encadré 4 : Vers une hiérarchisation des risques à l’échelle communale ?
• Dans le domaine du risque d’inondation, l'actualité nous rappelle sans cesse la nécessité de la prévention. Les dommages récurrents dans le bassin hydrographique Artois-Picardie montrent qu'il convient de renforcer les mesures de prévention, la connaissance du risque et son organisation, ses modalités de diffusion, mais également la protection des communes financièrement vulnérables par la prescription d’arrêtés de catastrophe naturelle, voire de PPR. A ce titre, la prescription d’un grand nombre de PPR a été retenue par les préfets du Nord et du Pas-de-Calais notamment en tant que moyen de protection financière des communes, lesquelles étaient sous l’effet d’une modulation éventuelle de leur franchise d’assurance. Mais, à ce jour (2007) seuls 73 PPRN sont approuvés sur 950 prescrits en région Nord-Pas-de-Calais. La démarche de PPR constitue un outil réglementaire en principe réservé à la gestion spécifique des risques naturels dans les secteurs qui concentrent la vulnérabilité la plus élevée ; il est donc important de qualifier correctement le risque d’inondation sur les PPRN déjà prescrits. Dès lors, ne faudrait-il pas envisager une abrogation des arrêtés de prescription de PPR « Cat-Nat » qui n’apparaîtrait plus prioritaire. Plus modestement ne faudrait-il pas envisager une réflexion sur la hiérarchisation des PPR « Cat-Nat » ? La conduite d’une telle réflexion s’avère d’autant plus nécessaire qu’en raison de la prescription de PPR intervenue depuis, ces suppressions remettraient en cause le versement futur d’indemnités de dommages liées aux catastrophes naturelles et éventuellement des remboursements aux compagnies d’assurance pour les indemnités versées. Une telle annonce pourrait également susciter des interrogations sur la cohérence de la politique de prévention des risques naturels conduite par l’Etat dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, alors que la loi du 30 juillet 2003 énonce la nécessité d’un affichage non contestable.
• Il existe peut-être une alternative à la prescription systématique d’un PPR d’autant que certains PPR peuvent apparaître non pertinents eu égard aux enjeux concernés ou eu égard aux solutions alternatives existantes. Par ailleurs, l’objet du PPR n’étant pas de prendre en compte des désordres liés aux insuffisances de réseaux, il s’avèrerait nécessaire de mieux cerner les phénomènes ou de caractériser les dégâts qui ont abouti aux arrêtés de catastrophe naturelle. A ce titre, si la région Nord-Pas-de-Calais constitue un terrain particulier où se superposent des risques fluviaux, miniers et/ou liés à l’imperméabilisation des sols et aux dysfonctionnements des réseaux, ceux-ci doivent être clairement identifiés car tous ne peuvent donner lieu à la prescription d’un PPR. Si la prescription d’un PPR a un « effet parapluie », elle entretient une certaine confusion dans la définition des aléas sans résoudre complètement les problèmes d’inondation.
L’intérêt de cette question se pose avec d’autant plus d’acuité qu’elle renvoie à la justification des soutiens publics et qu’elle a également des implications en termes d’aménagement du territoire. Autrement dit, c’est toute la question de l’urbanisation des zones inondables et de la prise en compte éventuelle de cette contrainte à l’échelle communale voire intercommunale dans le cadre strict des documents d’urbanismes qui est posée ici26.
5. De la DCE à la loi du 21 avril 2004 : quelle mise en œuvre ?
147La loi de transposition de la directive-cadre intervient dans un contexte renouvelé27 imposant désormais une approche globale et une démarche intégrée. Rappelons que l’échéance de transposition était fixée au 22 décembre 2003. La DCE énonce fait clairement référence à une démarche intégrée : cette perspective ne se retrouve pas dans la loi. Or si l’on prend en compte l’impact de certaines activités humaines notamment l’agriculture, l’énergie, le tourisme ou l’installation d’entreprises la question de l’eau est primordiale. La démarche intégrée devrait conformément à la DCE constituer le préalable à tout usage de l’eau ou à toute intervention sur le milieu aquatique. De même, la perspective d’une approche durable s’impose : le préambule de la DCE (point 18) rappelle la perspective de promouvoir « une utilisation durable de l’eau, fondée sur la protection à long terme des ressources en eau disponibles » (article 1erb) de la DCE). A ce titre, la loi de transposition devait soutenir des mesures relatives à une utilisation efficace et durable de l’eau, or le texte en l’état n’évoque aucun élément particulier. En ce qui concerne, le territoire de référence demeure le district hydro auquel sont actuellement rattachés les bassins hydrographiques, eux – mêmes pouvant être composés de petits bassins hydrographiques. Le bassin au sens de la loi de 1964 confirmé en 1992, constitue le cadre de référence pour l’identification d’un district hydrographique.
148Dans son article 3 la DCE énonce que « chacun des Etats recense les divers niveaux de gestion de l’eau, du sous bassin au district ». En outre, elle impose l’identification de l’emplacement et des limites des masses d’eau de surface (intégrant les rivières, lacs et eaux côtières) et souterraines dans le plan de gestion du district hydrographique. Le législateur français n’a pas repris cette l’identification.
149Si le bassin constitue le cadre de référence, les sous bassins ne sont définis que s’il est nécessaire d’établir un SAGE. La DCE repose sur un maillage du territoire reposant sur les bassins et les districts sachant que les Etats peuvent toujours identifier de petits bassins qui seront rattachés à des bassins plus important. En n’imposant pas de structuration de la gestion du district aux sous bassin, la loi limite toute intervention territorialisée.
150S’agissant de l’approche institutionnelle, la DCE impose aux Etats de désigner une autorité administrative « responsable » qui sera chargée des « règles prévues par la présente directive au sein de chaque district » (art.3-2 de la DCE). S’agit-il du préfet coordonnateur de bassin, de l’Agence de l’eau ou d’une autre autorité administrative, rien ne permet de l’indiquer en l’état du texte. Dès lors en ne désignant pas cette autorité, la loi ne répond pas aux exigences de la DCE et conforte ainsi la dispersion de compétences intervenue récemment. Certes, les collectivités territoriales peuvent se regroupées au sein d’établissement public de bassin mais le pouvoir réglementaire a instauré des préfets chargés de mission interrégionale comme c’est le cas pour la Loire et a surtout modifié les compétences étatiques au niveau local en dotant les DDA28 de l’essentiel des compétences étatiques en matière d’eau, alors même que les DIREN assuraient certaines de ces missions. Enfin, quelle est la portée des mesures instaurées ? La loi du 21 avril 2004 ne prend que peu en considération l’exigence de coordination du droit de l’eau avec d’autres législations. Outre l’absence d’une obligation d’une démarche intégrée, le législateur limite la portée juridique du droit de l’eau. Ainsi, si le principe de compatibilité des décisions prises dans le domaine de l’eau est maintenu tel que formulé par l’article L.212.1 du code de l’environnement, l’exigence de prise en considération des autres décisions est supprimée (anciennement Art. L.212.1 du code de l’environnent, dernière phrase). En revanche, on notera l’obligation de compatibilité instaurée entre les documents d’urbanisme et les objectifs de quantité et de qualité des SDAGE et les objectifs de protection et les objectifs de protection des SAGE.
151A ce jour les exigences de la DCE ne sont pas toutes remplies. L’approche retenue par la France est pour le moins minimaliste car si conformément à son titre, la directive « établit un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau », cela signifie que nous devrions pouvoir dans chaque Etat identifier une approche cohérente basée sur l’existence d’une politique publique.
6. Conclusion
152Dans cette esquisse d’une histoire de l’eau en région-Nord-Pas de Calais, nous nous sommes efforcés de justifier de la pertinence du bassin versant comme territoire de gestion de l’eau.
153Plus que le choix du territoire pertinent, il s’agit par le biais de la future réforme sur l’eau de faire évoluer notre manière de gérer le territoire. Appréhender la gestion de l’eau sous l’angle de son rapport au territoire permet de comprendre les processus qui gouvernent l’action publique et d’aborder la problématique de la gouvernance comme solution pour intégrer le caractère multidimensionnel du territoire (des flux et des tensions économiques, sociales et politiques qui évoluent dans le temps) en privilégiant une action planificatrice et contractuelle qui combine réglementation et démocratisation du processus décisionnel. Ceci implique aussi, non sans difficultés, le développement d’une conscience commune de l’eau et des risques associés pour parvenir à une politique de « ménagement » du territoire.
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Clark T. N. (éd.), Hoffmann-Martinot Vincent (éd.), The New Political Culture, Boulder, Westview
Weber M., 1982 : la ville, Aubier (éd originale, 1921)
Notes de bas de page
1 Référence à Guillerme (p. 181).
2 Voir par exemple Woronoff D., 1984 : L’industrie sidérurgique en France pendant la Révolution et l’Empire, pp. 236-267.
3 Cette voie ferrée reliait Armentières à Arques. Elle est utilisée pour le transport des marchandises. Tout au long de cette voie de chemin de fer sont implantés beaucoup d’établissements industriels. Mais les gares les plus importantes et les plus proches se trouvent à Armentières et à Hazebrouck (MALTE-BRUN V.A., 1880).
4 Sur l’émergence de cette notion, on lira A. Guillerme, Genèse du concept de réseau. Territoire et génie en Europe de l’Ouest, 1760-1815, Rapport de recherche dactylographié, Paris, Université de Paris VIII
5 Pour un historique de l’équipement hydraulique de la France, voir J.P. Goubert, La France s’équipe. Les réseaux d’eau et d’assainissement 1850-1950, in Les annales de la recherche urbaine, Les réseaux techniques urbains, pp. 47653.
6 Directive 75/440 CEE relative à la qualité requise des eaux superficielles destinées à la production d’eau alimentaire, directive 76/160 sur les eaux de baignade, directive 78/659 CEE sur la qualité des eaux ayant besoin d’être protégées ou améliorées pour la qualité du poisson ou directive 79/923 sur les eaux conchylicoles, directives sur les eaux résiduaires et sur les nitrates d’origine agricoles.
7 L’usage de l’expression « gestion intégrée » (Valiron, 1984) est parfois préférée à celle « d’approche patrimoniale » (Barouch, 1989 ; Mermet, 1992) selon les auteurs.
8 Elaboré par le comité de bassin à l’initiative du préfet coordonnateur de bassin, les SDAGE fixent les orientations fondamentales de la gestion équilibrée de la ressource en eau et définissent les objectifs et les aménagements à réaliser. Ils déterminent le périmètre des SAGE dont le contenu doit être compatible avec le SDAGE. Le SAGE, plus détaillé par définition que le SDAGE, fixe les « objectifs généraux d’utilisation, de mise en valeur et de protection quantitative et qualitative des ressource en eau superficielle et souterraine » (art. 5). Il est établi par une Commission locale de l’eau (CLE) composée pour moitié d’élus locaux, pour un quart des représentants des usagers, des propriétaires riverains, des organisations professionnelles et des associations concernées et pour un quart des représentants de l’Etat. Sa mise en œuvre peut s’appuyer sur une communauté locale de l’eau regroupant sous la forme d’une structure intercommunale, les communes concernées par le SAGE. La mise à disposition du public des textes des SAGE permet aux citoyens d’exercer un contrôle (possibilité de recours administratifs et contentieux) sur l’action de l’administration et des collectivités territoriales.
9 Selon Coralie Noel, ingénieur chargé de mission à la Direction de l’eau, cette participation active s’appuiera avant tout sur les structures de concertations existantes : Comité de Bassin, Commission locale de l’eau… composée des représentants des collectivités, de l’Etat et des usagers (associations, industriels, agriculture etc.)
10 Cf. Convention d’Aarhus du 23 juin 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et à l’accès à la justice en matière d’environnement. Elle fut transcrite dans le droit français par la loi n° 2002-285 du 28 février 2002 dite loi « démocratie et proximité » autorisant l’approbation de la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et à l’accès à la justice en matière d’environnement.
11 Ministère de l’écologie et du Développement durable.
12 Circulaire du 30 janvier 2004 relative aux contrats de rivière ou de baie et abrogeant la circulaire du 22 mars 1993 (Circ. n° 93-36, 22 mars 1993, BO Equip. 30 avr. 1993, n° 11, p. 12) et celle du 24 octobre 1994 (Circ. n° 94-81, 24 oct. 1994, BO Equip. 10 déc. 1994, n° 33, p. 35).
13 Cf. Lévy J. et Lussault M. (dir), Dictionnaire de la Géographie et de l’espace des sociétés, Belin, 2003, p. 907 à 917
14 Expressions anglaises utilisées par Elisabeth Bukspan, (Chercheur Associé au Groupe d’Analyse des Politiques Publiques (CNRS,) Honorary Research Officer, Université de Londres. Inspecteur général des finances) lors d’un colloque Nantes les 9 et 10 décembre 2004 sur le thème : Environnement et jeux de pouvoir : administration d’État et administration décentralisée
15 Article 3-1-a de l’Accord international sur l’Escaut de Gand du 3/12/2002.
16 Notamment l’article 13 et l’article 6.
17 Accord international sur l’Escaut, Gand, 3/12/2002.
18 Cf. Accord international sur l’Escaut du 3 décembre 2002 signé à Gand.
19 Premier accord de coopération transfrontalière sur l’Escaut instituant la CIPE (commission internationale de protection de l’Escaut) : accord de Charleville-Mézières.
20 La délégation française est composée de la DIREN, la DDE, VNF, la DRIRE (statut d’observateur), l’Agence de l’eau Artois-Picardie, les communautés urbaines de Dunkerque et de Lille.
21 Il s’agit des Communautés urbaines de Dunkerque et de Lille.
22 Art.2 (b) de l’accord international de Gand.
23 COPIT : Conférence Permanente des Intercommunales Transfrontalières créée en 1991 pour favoriser la concertation et la coopération entre les intercommunales belges de Tournai, Courtrai, Ypres-Roulers, Mouscron et Lille-Métropole Communauté urbaine ; TSC : Technical Schelde Commission – Commission Technique de l’Escaut pour la partie aval du bassin de l’Escaut.
24 Les 5 et 6 mars 2007, une grande manifestation visant à lancer le nouveau programme s’est tenu à Lille au Nouveau Siècle réunissant 500 acteurs clés originaires de l’ensemble des pays de l’ENO.
25 Ces travaux ont été présentés lors du colloque Eau et Territoires ; Quelles priorités pour la recherche ? (Lyon 9-10 Janvier 2006) Scarwell H.J. et Laganier R.
26 Ces questions font l’objet d’un programme de recherche « RDT » (2007-2009) : Quel appui scientifique apporter aux acteurs locaux pour gérer les risques naturels et industriels d’un territoire ? Le projet de recherche : Prévenir le risque d’inondation : du recueil d’information à la hiérarchisation des PPR « Cat-Nat » dans le Nord-Pas-de-Calais. Réflexion sur la deprescription des PPR « Cat-Nat » coordonné par Helga-jane Scarwell et financé par le MEDAD
27 Durant la même période un projet de loi de ratification du Protocole à la Convention d’Helsinski venait d’être déposé : projet de loi n° 1349, enregistré à l’AN le 14 janvier 2004, autorisant l’approbation du Protocole sur l’eau et la santé à la Convention de 1992 sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux.
28 Décret n° 2003-1082 du 14 novembre 2003, relatif aux attributions et à l’organisation des directions départementales de l’agriculture et de la Forêt (JO du 18 novembre 2003).
Auteur
Professeur des Universités à l’Université des Sciences et Technologies de Lille 1 (Laboratoire TVES).
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